HISTOIRE DES PERSES

LIVRE QUATRIÈME. — LES ACHÉMÉNIDES.

CHAPITHE V. — SUSE DEVENUE CAPITALE - CRÉATION D'UN SYSTÈME MONÉTAIRE.

 

 

Il n'est pas dans la nature d'une organisation féodale de laisser le gouvernement se concentrer aisément dans une ville et y amener tous les fils conducteurs de la vie publique. Comme le pouvoir est extrêmement morcelé et que des droits solides et persistants existent partout, aussi bien dans la plus petite bourgade, dans le château le plus pauvre, que dans la cité la plus opulente, il n'y a pas de motifs pour que les peuples soient attirés à se presser dans la résidence du souverain, qui n'est que le modérateur et souvent la victime de tant d'institutions supérieures à son trône, et dont précisément le jeu ne peut s'exécuter convenablement qu'assez loin de l'atteinte de son bras. Aussitôt, au contraire, qu'une ville capitale tend à absorber la vie d'une nation et à attirer à elle les forces répandues primitivement sur la surface entière du territoire, la liberté faiblit avec les prérogatives individuelles, et quel que soit le nom dont se décore l'usurpation, de quelque excuse que se colore la tendance à tout faire aboutir à un centre unique, il n'est pas. possible de méconnaître que la liberté s'en va en même temps sans doute que le bon ordre, la meilleure administration et l'opulence générale s'augmentent. Antérieurement à l'avènement de Darius, le rôle de la capitale avait été fort restreint. Sous les Djemshydites, nous avons pu soupçonner que la métropole était peut-être vers la contrée de Nishapour. Après les guerres de la délivrance, Férydoun-Phraortes et ses successeurs résidèrent à Amol sans donner à cette ville beaucoup d'autorité. Pendant les guerres scythiques, le Grand Pied, dépouillé de cette place, s'établit quelquefois à Phages. Cyrus et Cambyse se trouvaient, par la force des choses, dans leurs fiefs patrimoniaux de la Perside et de la Susiane. Leurs ancêtres y avaient leurs monuments funéraires ; les trésors de la famille y étaient conservés ; la population y était particulièrement dévouée à ses princes nationaux. La puissance souveraine posait donc naturellement dans ces provinces, et lorsque les Grands Rois voulaient par instants, dans les intervalles assez courts de leurs expéditions, se reposer de leurs fatigues, c'était là qu'ils revenaient. Ainsi, à proprement parler, Cyrus et Cambyse n'eurent pas de capitale réelle, pas plus que Charlemagne, et pour la même cause. Toujours à la tête de leurs armées ; le premier occupé à déterminer et à fixer les frontières du nord et de l'ouest, le second à conquérir d'immenses et riches contrées méridionales, ils n'eurent pas le temps de se faire un séjour définitif, et comme ils accumulaient et n'enregistraient pas, comme ils acquéraient et n'administraient pas, la vie active consomma toute leur vie, et l'empire n'eut pas de centre. Darius, régulateur définitif de ce qu'ils avaient l'ait, eut d'autres obligations que les leurs, et il y satisfit en plaçant le siège de son gouvernement dans la ville de Suse, au pays des Kosséens, c'est-à-dire dans la Susiane.

Il est facile d'apercevoir pourquoi cette contrée fut préférée à la Perside, bien que la Persifle pût réclamer fi bon droit le titre de patrimoine royal par excellence, de patrie oies Pasargades et des Achéménides et de terre suzeraine l'égard de la Susiane, son annexe. La Persifle était une contrée moulu nuise, pauvre, niai cultive. Elle était peuplée de soldats et de familles nobles dont plusieurs probablement avaient, au point de vue de la naissance et de l'ancienneté d'illustration, des prétentions plus ou moins fondées, peu favorables au respect dont la branche parvenue des Pasargades devait tenir surtout à s'entourer. Nul n'est prophète dans son pays, et Darius devait être gêné par le contact trop rapproché de ses anciens égaux. D'ailleurs il semblerait que Cambyse, sinon Cyrus, avait déjà remarqué certains avantages par lesquels la Susiane méritait d'obtenir la prépondérance politique sur la Persifle, on bien, ce qui est plus probable, l'influence même des circonstances força le choix du souverain.

La Susiane, prolongement des plaines de la Babylonie, est bornée au nord par l'Assyrie, à l'est par les monts Zagros et le Tab, appelé autrefois Oroatis ; à l'ouest par le Tigre et au sud par la mer Persique, de sorte que c'était en réalité une partie des territoires araméens participant à la vie du reste, touchant presque fi Babylone, et entrainée de tout temps clans le mouvement de la civilisation assyrienne. Non-seulement le Tigre, en traçant la limite occidentale du pays, mettait cette contrée dans toute sa longueur, de trois cents milles anglais sur cent cinquante de largeur, en communication étroite avec les provinces sémitiques, mais encore elle était la seule parmi les diverses parties de l'empire qui l'Ut traversée par des cours d'eau considérables : le Choaspes, aujourd'hui la ; l'Arosis ou Oroatis, dont il vient d'être question ; l'Hédyphon, peut-être le Djerah ; le Kopratis ou Kourkankend ; l'Eulæus, dont parle Daniel[1] ; le Gyndès ou Karadon. Cette abondance d'eau assurait la facilité des parcours, parce que presque tous ces fleuves sont navigables, et garantissait la fertilité du sol par les nombreux moyens qu'elle présentait de multiplier les irrigations, sans lesquelles, dans ces parties de l'Asie, la terre ne saurait rien produire, mais avec lesquelles aussi elle donne tout ce qu'on lui demande. Enfin le voisinage de la nier, de cette mer qui apportait dans la vallée du Tigre les productions de l'Inde, de l'Arabie méridionale et de l'Afrique, et faisait de lu province choisie un des pays les plus riches de l'antiquité.

Le Tarykh-è-Shouster ou Chronique de la Susiane s'étend avec complaisance sur les ressources de cette contrée. Il assure pie tout ce qui est nécessaire à la nourriture des hommes et des animaux y étant en abondance, s'y trouve au meilleur marché possible. Le blé, l'orge, le riz, toutes les céréales y réussissent à merveille. Le sol, léger et toujours humide, se laboure aisément avec des charrues traînées par un âne, et si on emploie les chevaux ce labour, c'est uniquement afin de le faire plus vite. Les oranges, les citrons, les limons, les figues, les grenades, abondent dans toute sorte de variétés et de qualités excellentes, et il y a encore d'autres espèces de fruits et à l'infini. Le sel y est d'une saveur toute particulière. Ou y cultive avec succès des roseaux à tige droite et à contexture serrée qui fournissent aux écrivains de l'univers entier leurs meilleurs calames. Les melons, les courges, les concombres, les pastèques, sont d'un goût exquis. Le coton y réussit d'une manière incomparable, de même que le tambakon. Il est à remarquer que, dans son enthousiasme, l'auteur de la Chronique ne parle cependant pas de la canne à sucre, dont la culture a été très-répandue autrefois dans toute la Susiane, mais en a disparu depuis quelques siècles. Il ajoute, passant sur ce point, que dans les temps anciens les cultures couvraient. tout le pays. On ne voyait que jardins de plaisance, jardins fruitiers et champs en plein rapport. A perte de vue et dans toutes les directions s'étendaient ces lignes de canaux appelés banals, et qui portent les eaux courantes ii des distances énormes. C'était, dit la Chronique, ]'œuvre des rois, et on s'en sert encore. A ces canaux était due l'étonnante fertilité du pays. Du reste, la Kerkhah était navigable ; elle portait les navires du golfe Persique jusqu'aux quais de Suse ; elle avait été canalisée par les ordres de Dura ou Darius, sous le règne duquel commença ce grand travail, achevé seulement par son fils. Il est intéressant de voir nu renseignement de ce genre conservé dans un livre dont la rédaction n'est pas ancienne, et qui ne fait que reproduire une légende.

Le tableau enchanteur tracé de la Susiane par les documents nationaux est sans doute exact en général, mais incomplet ; il y manque les ombres. L'écrivain, amoureux de son pays, ne les a pas touchées ; elles troublent un peu la beauté de l'ensemble. Ce pays si admirable est aussi un séjour de fièvres malignes et de fréquentes maladies endémiques développées par la chaleur excessive et les exhalaisons de marécages étendus. Il est vraisemblable qu'au temps de l'ancienne prospérité, la contrée étant plus boisée et les canaux en meilleur état, tous ces fléaux avaient moins de force ; cependant, en somme, le climat était le même, et n'a jamais pu être favorable aux hommes sur aucun point du littoral persique. La nature, productive et vigoureuse dans le règne végétal, n'y est pas moins puissante pour le développement des espèces organiques ; les reptiles venimeux et les insectes nuisibles y pullulent et y ont, je pense, toujours pullulé. Les serpents de différentes sortes se glissent jusque dans les habitations ; les scorpions, les araignées gonflées de venin qu'on nomme rotaïl, et dont la morsure peut devenir mortelle en certains cas, les moustiques de toutes les grosseurs, tourmentent la vie des habitants, et empêchent cette région si brillante de tenir ici-bas la place du paradis terrestre.

La population de la Susiane n'était pas à proprement parler iranienne. Elle provenait de mélanges noirs ou éthiopiens d'Asie et sémitiques, fondus par le temps en une masse où le sang mélanien dominait sans doute ; la langue courante était un dialecte araméen dans lequel le contact des tribus iraniennes avait mêlé déjà beaucoup de mots et de formes arianes. C'était un des nombreux dérivés de l'houzwaresh. Les Susiens, voués à l'agriculture, passaient pour pacifiques, soumis, étrangers à toute tentation belliqueuse. Ils convenaient à merveille pour entourer et peupler une grande capitale, et le souverain d'un empire en général remuant et aventureux devait se féliciter de trouver ainsi la sécurité et le repos au moins dans son voisinage immédiat. Mais cette population si tranquille n'occupait que la plaine. Aussitôt que l'on atteignait les montagnes de l'est, le Parachoathras, on entrait sur le territoire des Uxiens, dont les mœurs n'étaient pas aussi calmes.

Le nom de ce peuple, qui semble provenir du mot ousha, l'intelligence, la prudence, et qui voudrait dire alors les avisés, indique une origine ariane. C'était une tribu nombreuse qui, d'une part, s'étendait jusqu'à la Médie, et de l'autre couvrait une partie de la Perside. Ils étaient turbulents, et menaient une vie militaire et libre sons leurs chefs féodaux. Ceux-ci ne se pliaient pas toujours bien facilement aux désirs du gouvernement central, et leurs habitudes avaient dû contribuer à dissuader le Grand Roi de fixer son séjour officiel dans la Perside. Ces Uxiens occupaient précisément la contrée actuellement possédée par les Bakhtyarys ou favoris de la fortune, et je ne cloute pas que ces derniers ne soient leurs descendants directs. Je les ai vus en différentes occasions. Leur taille élevée, la noblesse de leurs traits bronzés, dont le type aquilin reproduit les physionomies des mélophores gravés sur les murailles de Persépolis ; la vigueur de leurs membres, leur barbe et leurs cheveux bouclés et annelés, rappellent avec l'exactitude lu plus saisissante les types. créés par les artistes de l'antiquité. Ils miment le genre de vie de ceux dont je crois pouvoir faire leurs ancêtres, et j'ai assez parlé de leur enthousiasme guerrier dans un autre ouvrage pour n'avoir pas besoin d'y revenir ici[2]. Leurs courses aventureuses déliassent Ispahan, et vont chercher le désert de Yezd. Prendre et donner leur parait résumer toute la vie d'un homme de race noble. Nominalement ils sont sujets de la Perse ; mais ils n'admettent pas les ordres des gouverneurs, et se plient encore moins au payement des impôts. Dans des circonstances rares, le gouvernement envoie dans leurs montagnes un corps de troupes soutenu par de l'artillerie. Quelquefois il a le dessous. Quand l'expédition réussit, on prend d'assaut et l'on détruit quelques tours fortifiées ; on met à mort les rebelles que l'on parvient à saisir, on frappe une contribution aussi forte que possible ; mais on n'ose pas pousser les choses à l'extrême, et on s'empresse d'accepter les premières conditions de paix. On se retire, et l'ancien état de choses reprend son cours. Tels sont les Bakhtyarys : tels étaient les Uxiens.

A côté d'eux, les Messabates occupaient le coin intérieur entre la Perside, la Susiane et la Médie. C'étaient encore des Arians, et leur nom, Maça-pati, signifie les grands seigneurs. Ils vivaient comme les Uxiens, et associaient à des habitudes guerrières l'élève des chevaux et de toute espèce de bétail.

Au nord-ouest habitaient les Kosséens, au milieu des montagnes, entre la Susiane et la Médie. Leur région étant particulièrement rude et sauvage, ils étaient pauvres, et ne paraissent pas avoir eu d'autre occupation que la guerre et la chasse. Ils vivaient de gibier salé et de fruits sauvages, fournissaient des archers excellents, et au lieu de payer tribut au Grand Roi, ils en recevaient des subsides. Du temps de Strabon, où leur nombre devait avoir plutôt diminué qu'augmenté, ils pouvaient mettre sur pied treize mille hommes. Ou les redoutait. Les Achéménides, obligés de les payer pour les tenir en repos, n'en étaient jamais venus à bout. Alexandre seul parvint à les châtier un moment, mais d'une façon si peu efficace, qu'Antigone perdit toute son armée en cherchant à se frayer passage à travers leur territoire. Il semble que leur nom dérive de quelque mot zend analogue au sanscrit khoudj, qui signifie voler, piller ; ils méritaient assez qu'on les appelât couramment les pillards. Hérodote nous les montre coiffés de mitres, c'est-à-dire de bonnets pointus en feutre, vêtus de tuniques bariolées à manches, et couverts de cuirasses en écailles de fer. Je remarque en passant que cette armure était très-ordinaire à toute la race ariane, car plus tard on la retrouve, comme on le verra ailleurs, en usage chez un grand nombre de nations iraniennes, sur le dos des Roxolans et des Alains, qui l'apportèrent dans les environs d'Orléans lorsque plusieurs de leurs tribus y furent colonisées par les empereurs romains ; il semblerait que ce fût là le prototype de la chemise de mailles ou haubert de la chevalerie du moyen âge.

Les Kosséens portaient on outre des pantalons tombant jusqu'à la cheville ; ils avaient au bras un petit bouclier rond et léger appelé gerra, dit Hérodote, et ce mot se rattache à la racine djar, tourner ; leur carquois, garni de flèches de roseau, se liait à la ceinture à gauche, faisant pendant à un poignard battant sur la cuisse droite. Ils portaient à la main un grand arc et de courts javelots[3]. Si l'on voulait décrire aujourd'hui l'équipement des montagnards de la même contrée, on n'aurait rien à changer aux termes que je viens d'employer, à l'exception de ce qui concerne les armes de jet, puisque le fusil a remplacé l'arc. Mais le bonnet est le même, le surcot est pareil, la chemise de mailles représente l'armure écailleuse usitée de nos jours, comme je viens de le remarquer tout à l'heure. Le bouclier rond, le terra, ce trait caractéristique du guerrier kosséen, n'a pas changé dans sa forme pas plus que dans ses dimensions. C'est toujours un disque de quelques pouces de diamètre et qui ne semble d'abord propre qu'il protéger le point. La cartouchière occupe la place du carquois, et le gaina lare, tranchant des deux côtés, droit et pointu, bas, est toujours suspendu à la ceinture sur la cuisse droite.

On comptait parmi les districts kosséens la Kabandène et la Chaltapite, qui en formaient les deux extrémités au nord-est et au sud. Mais la korbiène, au temps de Strabon appartenait à Élymaïde ou Élam, contrée située l'ouest de l'Eulæus. Les Élamites occupaient ainsi le nord de la Susiane. Ils arrivaient jusqu'aux rives du Tigre ; leurs rameaux étaient nombreux, leur race féconde, et ils se rencontraient un peu partout dans la région entière, se faisant estimer par leur esprit entreprenant, bien qu'ils ne fussent pas de race ariane. Ils appartenaient au sans sémite. La Bible, qui fait grand cas de la puissance d'Élam, le nomme le premier parmi les fils de Sem, eu compagnie des éponymes assyrien, hébreu, lydien et araméen[4]. Au temps d'Abraham, un roi d'Élam, Chodorlahomer, avait déjà joué un rôle dans les chroniques avec quatre rois ses voisins[5]. Isaïe comptait Élam parmi les grandes monarchies, à côté de l'Assyrie et de l'Égypte[6]. Il vante la force de ce peuple à l'égal de celle des Mèdes[7], parle de ses carquois, de ses boucliers, de ses chars de guerre[8]. A son tour, Jérémie exalte la force d'Élam et en menace Israël[9] ; puis il se retourne contre lui, et prédit une tempête qui va l'assaillir des quatre vents du ciel, briser son arc et disperser sa force à tous les coins du monde, de telle sorte qu'il ne sera pas une terre on l'on ne puisse rencontrer ses enfants fugitifs ; mais cette période de malheur ne doit pas durer, et la prospérité d'Élam renaitra[10].

Élam avait donc acquis et occupait un rang considérable parmi les peuples issus de la hanche de Sein. Il était soumis à la Perside comme celle-ci l'avait été à la Médie ; mais tout ce qui était Élamite était considéré comme supérieur en énergie et en civilisation aux habitants des campagnes et à ceux des villes du pays dont nous avons déjà reconnu l'origine, en grande partie autochtone. C'était un contrepoids à la puissance des dominateurs iraniens qui pouvait être employé avec avantage par les Grands Rois, et un mérite de plus que leur autorité rencontrait dans une région déjà si favorable à leurs vues.

La Gabiène se trouvait encore dans l'Élymaïde ; au centre de la région susienne s'étendait la vaste plaine de Cissia ; plus loin, sur la côte de la nier, les Eldyméens touchaient au pays de Characène, et le long du Tigre, vers l'embouchure, était la Mélitène. Ces dernières dénominations sont toutes sémitiques.

Une contrée si fertile, si peuplée que la Susiane, ne pouvait manquer, bien que son étendue ne fût pas, en somme, très-grande, de posséder un certain nombre de villes marchandes. On y trouvait en effet Sély ou Soloky, dont le nom, facile à transformer, se prêta à devenir plus tard Séleukia. C'était une cité importante et populeuse, située sur l'Hédyphon, Azara ou Ourzan, également sur l'Hédyphon et dans le pays des Élyméens, gardait les marques de la grandeur passée de ce peuple par la présence de riches et majestueux sanctuaires dédiés à Vénus et à Diane, c'est-à-dire à Astarté et à Anaïtis. Sur la côte sud-ouest se présentaient Aginis, Aphle et Agorra, que l'on veut considérer comme une même ville, mais qui probablement désignent trois localités contiguës placées non loin de l'embouchure du Chatt-el-Arab, vers l'endroit où le Tigre, le Choaspes et l'Eulæus se réunissent en une vaste nappe d'eau. On y devait trouver les comptoirs principaux du commerce de la Babylonie avec les royaumes de l'Inde. Au pied des montagnes occupées par les Kosséens s'élevait encore une autre ville que Diodore appelle Badaky[11]. Les noms des innombrables bourgs et villages remplissant la plaine, bordant. les fleuves et les canaux et contribuant l'immense développement acquis par l'agriculture, ne nous sont pas parvenus, non plus que ceux des châteaux fortifiés, habitations des seigneurs des montagnes. Mais nous en savons assez sur cette opulente contrée pour nous faire une idée suffisamment exacte de l'énorme population qui s'y concentrait. D'autant plus que, suivant lui remarque très-juste de l'auteur du Tarykh-è-Shouster, le pays perdit beaucoup de sa prospérité sous les rois arsacides qui transportèrent ailleurs le siège du gouvernement ; cependant la plupart des historiens on géographes grecs auxquels sont empruntés les renseignements qui précèdent ne connaissaient que la Susiane du temps des Parthes. On peut donc juger de ce qu'elle avait été auparavant.

Maintenant il convient de parler de Suse même, la capitale de la province et de tout l'empire. La fondation en remonte certainement il une époque antérieure au règne de Darius, qui ne fit, ainsi que ses successeurs, qu'agrandir une cité déjà considérable, puisqu'elle avait servi de métropole aux puissants Élamites. L'auteur de la Chronique de Shouster place l'origine de Suse aux temps les plus reculés, et il lui attribue l'honneur d'avoir fourni le premier type des constructions humaines. Les hommes, dit-il, habitaient dans des cavernes et dans des trous, et étaient ainsi exposés à toutes les intempéries des saisons et aux attaques des animaux sauvages. Housheng leur apprit à bâtir des maisons avec de la terre battue, du bois et des roseaux, à réunir ces demeures sur nu même point en les serrant les unes contre les autres, à les enceindre de murs et de fossés, et Suse fut la première ville ainsi créée.

Ce nom signifie, toujours suivant le même auteur, la Belle. C'est, dit-il, un mot ancien, et la forme donnée à la ville était celle d'un faucon planant les ailes étendues, ce qui était un symbole de souveraineté. Tandis que l'on travaillait à la fondation des édifices, Housheng, qui observait les ouvriers, aperçut un chien sortant des ouvrages commencés ; cet animal se mit en quête, et revint quelque temps après tenant entre les dents un os qu'il apporta pour le ronger dans l'intérieur des murailles. Housheng fut frappé de ce spectacle, et en tira un mauvais augure. Mais un de ses compagnons, homme avisé et sage, lui expliqua que cela signifiait l'obligation pour les gens de la contrée de se procurer avec peine et fatigue les choses nécessaires à leur vie, et d'aller dans les lieux étrangers chercher eux-mêmes tout ce dont ils auraient besoin. Ce pronostic s'appliquait à merveille à une population d'agriculteurs et de marchands. Ici l'auteur de la Chronique appelle à son aide le témoignage du livre intitulé Nozhet-el-Goloub, qui dit en effet que les gens opulents sont nu petit nombre parmi les habitants de la Susiane : il s'agit évidemment ici de la population aborigène, vouée aux travaux les plus durs ; et il ajoute que dans le dialecte arabe du pays, Shouster s'appelle Teset, du nom d'un chef des Béni-Adjel qui remporta là une grande victoire. Au dire des livres les plus anciens, le signe zodiacal de Shoush serait les Gémeaux. De son côté, Mewlana Djelal-Eddyn Mohammed, fils d'Abdallah, Iezdv, dans le livre intitulé Tohfet-al-Monnadjemyn, dit que c'est le Cancer ; et en effet cette opinion parait la plus conforme à la vérité.

Suse n'était pas fortifiée ; elle avait seulement une acropole placée au sud-ouest, sur lu rive du fleuve, et s'élevant sur na monticule d'une hauteur assez considérable. Au nord du monticule et près des eaux s'étendaient les vastes bâtiments du palais des Grands Rois. La ville proprement dite était à l'est, et couvrait un espace de terrain estimé à cent vingt stades de tour, quelquefois il beaucoup moins ; mais ces variations s'expliquent par la différence des époques où vécurent les auteurs des renseignements. Les matériaux employés étaient, comme daims toute la vallée du Tigre et la plus grande partie de la Perse, la brique cuite au feu ou simplement séchée au soleil, et des couches de bitume reliaient le tout et servaient de ciment.

Le palais était magnifique, et surpassait les résidences somptueuses d'Ecbatane et de Persépolis. Le livre d'Esther nous le dépeint entouré de jardins et de bois, et quand il décrit les fêtes données par Assuérus aux grands de l'empire, il parle des colonnes de marbre auxquelles s'attachaient les voiles et les tapisseries blanches, vertes et pourpre, soutenues par des cordes de lin et d'écarlate tenant à des anneaux d'argent ; il nous montre les lits d'argent et d'or, le pavé de porphyre, de marbre, d'albâtre ; malheureusement il ne dit rien de l'architecture en elle-même. Tout ce qui ressort chez l'historien hébreu comme chez les auteurs grecs, c'est un sentiment de profonde admiration et d'étonnement devant tant de grandeur et de faste ; mais il n'y a aucune indication précise qui puisse nous donner une notion un peu nette de ce qui frappait si fort les imaginations de l'antiquité.

D'après l'état actuel des ruines ou plutôt d'après le petit nombre de fouilles exécutées jusqu'ici dans ce terrain gorgé de richesses archéologiques, on supposerait. difficilement ce que nous voudrions savoir. Sir W. Williams, de Kars, et M. Loftus ont retrouvé sur l'emplacement du palais un rectangle irrégulier dont deux côtés mesurent douze cents pieds anglais de longueur, tandis que les deux autres en ont mille. On y distingue plusieurs vastes salles, dans l'une desquelles subsiste la trace de trente-six colonnes de pierre placées sur six lignes parallèles et flanquées de trois portiques, chacun composé de six colonnes. Les colonnes du centre ont des bases carrées, celles du pourtour des bases rondes. Les chapiteaux sont dans le goût assyrien, très-ornés et supportés par des chevaux agenouillés, garnis de leurs caparaçons[12]. Ce peu qui nous reste d'un passé si merveilleux est suffisant pour exciter notre curiosité, mais ne la satisfait pas. Il n'y a plus qu'un mot à dire sur les richesses accumulées à Suse. Suivant Arrien, lorsque Alexandre prit cette capitale, il trouva cinquante initie talents d'argent dans le. trésor royal, c'est-à-dire une épargne de trois cents millions de francs, et il ne faut pas oublier qu'à cette époque l'État perse était en décadence et avait déjà beaucoup perdu de ses ressources, puisqu'on avait été obligé d'avoir recours au triste expédient de l'altération des monnaies. Il faut ajouter que d'autres villes de l'empire étaient aussi des centres financiers, telles qu'Ecbatane, on Darius prit sept mille talents avant de partir pour les provinces de l'est, et Persépolis, qui passait pour être le dépôt favori des trésors des Grands Rois. Nul doute que dans les autres provinces il     n'y eût également des réserves plus ou moins abondantes.

Dans cette ville de Suse, si superbe, affluaient les hommes de toutes les races et de tous les pays. Le Bactrien et le Scythe avaient des affaires à traiter et des intérêts à débattre, comme l'Égyptien et les marchands de l'Inde et de la Phénicie. Parmi les objets exhumés lors des recherches de M. Loftus, on a trouvé un piédestal d'une colonne déjà renversée à l'époque ancienne, et sur lequel un soldat grec a tracé à l'envers avec la pointe de son poignard le nom de son capitaine, mercenaire à la solde du Grand Roi. Ce souvenir, en quelque sorte vivant, suffit presque à ressusciter les temps disparus, à rétablir les rues, les ruelles et les places de la grande cité, à y faire circuler la foule bariolée qui les encombrait, à y montrer ces bandes de soldats étrangers qui venaient y chercher des profits, de cette multitude de vagabonds accourus des villes helléniques, médecins, musiciens, intrigants de toute espèce, que nous allons avoir Luit d'occasions d'observer.

Ce qui attirait ce monde, c'était la grande opulence préparée par les Ninivites, les Babyloniens, les Phéniciens les Égyptiens, les Lydiens, perpétuée par une production agricole et industrielle incessante, manifestée par tout ce glue l'art avait pu créer de plus somptueux, et encore augmentée entre les mains des Perses depuis le règne de Cyrus. Le signe représentatif de cette richesse, l'argent, coulait a grands flots sons les effigies, sous les empreintes les plus diverses. La Lydie semait sa monnaie, connue les colonies ioniennes, comme la grande Babylone elle-même, sons les types les plus variés, chaque État ayant le sien ; mais, par une singularité fini ne pouvait pas durer, il n'y avait dans tout l'empire qu'une seule puissance qui ne possédait pas un type monétaire, et cette puissance, c'était l'empire lui-même. Ni Cyrus ni Cambyse n'avaient eu le temps ou l'occasion de combler cette étrange lacune. Darius s'en occupa.

La question de nue de la monnaie est une des plus épineuses que présente la science historique. D'une part, il n'est pas douteux que le système des poids dérivait, en Asie comme en Grèce, d'une source babylonienne, et que par conséquent les plus anciennes proportions de métal précieux admis dans la monnaie étaient réglées d'après ce système ; d'autre part, on n'a jamais découvert jusqu'ici une monnaie, soit ninivite, soit babylonienne, soit phénicienne, soit égyptienne ou juive, qui n'appartienne à une époque relativement basse. On voit bien par le passage de la Genèse on Abraham achète le champ et la caverne double d'Héphron, fils de Tsohar, qu'il en donna quatre cents sicles d'argent[13] ; on voit de même au livre des Juges que Nichas a enlevé puis rendu il sa mère onze cents morceaux d'argent[14] ; mais il n'est dit ni dans l'un ni dans l'autre cas, ni dans aucune des citations que l'on pourrait relever, que ces morceaux d'argent aient porté une empreinte quelconque et aient été supputés autrement que d'après leur poids.

Il est d'ailleurs une observation à faire que je m'étonne de n'avoir jamais trouvée. L'invention de la monnaie en tant qu'institution publique, manifestée par l'apposition d'un signe quelconque sur un lingot, n'a pas eu d'abord et n'a acquis ni dans l'antiquité ni dans le moyen fige les avantages que l'on se figure pouvoir lui attribuer. Avant qu'elle eût eu lieu, les contractants se livraient le métal au poids, et ont continué à le faire jusqu'à nos jours. Dans les transactions publiques ou privées, les sommes ne sont pas comptées, elles sont pesées, et cela avec raison, car l'usure de la pièce ou, ce qui n'est pas moins ordinaire, la rognure intentionnelle, empêche qu'elle ne vaille ce qu'elle parait valoir. Dans les États européens, l'impression d'un cordon sur les tranches a mis, jusqu'à un certain point, des obstacles à cette dépréciation ; mais c'est une découverte récente et dont les anciens et les Asiatiques n'ont jamais en la moindre idée. Les uns et les autres n'ont donc pu traiter la monnaie de la inique façon qu'ils traitaient les lingots, et sous ce rapport l'institution des types monétaires ne réalisa pas le progrès qu'on s'imagine.

Sous un autre point de vue, il en résulta un inconvénient très-grave. Aussi longtemps que le public était resté maitre de son objet de payement ou d'échange, il avait pu le contrôler en pleine liberté ; et ainsi, lorsqu'un lingot de titre suspect était présenté, on l'éprouvait ; s'il était bon, on l'acceptait, et au cas contraire on le rejetait. Rien n'était plus simple. Mais aussitôt que l'État eut pris sous sa garantie l'instrument commercial et lui eut imposé sa marque, il prétendit le rendre sacré, et les contractants ne furent plus maitres de juger de la valeur de cet instrument. Je n'entends pas dire que ce fut un mal quand la monnaie se trouva de bon aloi ; les transactions en devinrent plus faciles et plus simples, car du moment que les pièces avaient été pesées et leur poids reconnu, il n'y avait pas ii se préoccuper de leur titre ; mais lorsque l'État, abusant de sa position privilégiée, altéra les valeurs, et, sous l'ombre d'une protection donnée à l'honnêteté chi commerce, s'arrogea le droit de pratiquer le vol impunément, l'invention de la monnaie fut nu véritable fléau, et l'obligation de le subir un désastre. Or, l'altération des monnaies a toujours été la tendance des gouvernements. Elle s'est pratiquée avec plus on moins d'effronterie, plus ou moins de violences, des détails plus on moins odieux ; on a réussi dans certains cas à la faire admettre comme chose indifférente et même comme favorable ; mais en somme, c'est toujours une contrainte à laquelle les peuples eussent préféré ne pas se soumettre. Voilà, je pense, ce qui explique la tardive diffusion de la monnaie.

Je ne suis cependant pas convaincu encore de l'impossibilité d'en rencontrer les premières applications chez les populations de l'Aram. Il n'y a pas longtemps qu'on a reconnu les médailles lydiennes, et par conséquent donné raison à Hérodote et à Xénophane de Colophon, qui les considéraient l'un et l'autre comme les plus anciens spécimens de l'art monétaire. Mais dans le style même de ces pièces, soit qu'elles portent sur la face empreinte une simple excroissance de métal carrée, ou une tète de dieu tournée à gauche, ou une tète de lion, on encore la partie antérieure d'un lion, à gauche, attaquant un taureau ; dans le style même de ces monuments, dis-je, il règne un caractère si absolument assyrien, et les rapports intellectuels de la Lydie avec l'Aram étaient si étroits, qu'il est bien difficile d'imaginer qu'une invention toute gouvernementale comme celle de la monnaie ait été reçue à Sardes avant de l'avoir été à Babylone.

Quoi qu'il en soit, dès le huitième siècle avant l'ère chrétienne, les Argiens, sous leur roi Phædon, possédaient une monnaie qui, de même que celle d'Égine, se réglait sur le système métrique assyrien. Les Grecs ne reconnaissaient chez eux rien de plus ancien en ce genre. Quand Darius imagina à son tour de créer sa monnaie, il se conforma à la règle générale, et prit pour hase le poids assyrien. Le statère d'or pesa 8gr50 à peu près, et la clanique d'argent, 5gr80[15].

Le symbole imprimé sur le lingot de métal, qui conserva sa forme naturelle, est le roi couronné d'une tiare dentelée ; le plus souvent se tenant sur un genou, dans l'attitude d'un combattant, tourné à droite, tenant de la main droite une javeline et de la main gauche un arc. Parmi les pièces que j'ai sous les yeux, il en est une parfaitement conservée, avant le quadratum incusum au revers, dans sa forme la plus primitive, sans aucune division ni saillie ; et à l'avers, le buste du roi debout, tourné à droite, la tiare haute, les cheveux rassemblés en tonne tombant derrière la tête, sans enflure ; la barbe longue, tombante, pointue, non frisée ; le corps vêtu d'une tunique dont les manches, serrées vers les épaules, s'élargissent et deviennent tombantes sur l'avant-bras, à la façon de la chemise orientale actuelle, tandis que la jupe du vêtement fait au-dessous de la taille beaucoup de plis divergents ; dans la main gauche, une longue lance, non plus couchée sur l'épaule droite, comme dans les autres tuniques, mais perpendiculaire au visage ; dans la main droite, un arc. L'ouvrage est de style purement assyrien.

Je serais porté à considérer cette pièce comme un spécimen de la plus ancienne fabrication et appartenant à Darius Ier. On parviendra sans doute, au moyen de la distinction des styles, très-sensible sur toutes les dariques, à établir des catégories entre ces pièces, de tacon à les distinguer sinon tout à nuit par signes, du moins par périodes, en descendant jusqu'à l'époque d'Alexandre, ou les types anciens furent abandonnés.

Si je me livrais à une pareille recherche, je mettrais après la darique que je viens de décrire celle dont le quadratum incusum est tout aussi simple, on le roi est velu d'une tunique à manches serrées attachées au poignet ; avant la barbe plus épaisse sur les joues et frisée, et lu touffe de cheveux rejetée en arrière au lien de tomber droit comme sur la pièce précédente, mais n'offrant pas encore un développement excessif. La figure royale est en pied, inclinée sur le genou droit ; la lance couchée sur l'épaule du même côté, l'arc dans la main gauche.

Après cette seconde classe viendrait la darique où le quadratum incusum montre à l'intérieur un certain travail ; sur quelques pièces, un disque entre deux excroissances oblongues ; sur d'autres, une figure approchant de celle du kaf phénicien, mais avec Ta queue allongée et tournée à droite au lieu de l'être à gauche. Du reste, les détails pareils à peu près à ceux des monnaies de la classe précédente.

Ensuite se placerait une quatrième classe où le quadratum incusum est de plus en plus caractérisé sur certaines pièces, assez simple sur d'autres ; l'effigie royale se distingue par l'ampleur extrême de la chevelure relevée en houle derrière la tête, et ayant déjà quelque chose de la mode usitée beaucoup plus tard, sous les Sassanides.

Dans une cinquième classe se rangeraient les pièces où la figure, bien qu'analogue aux types précédents, révèle sinon nit travail grec, du moins un goût moins assyrien. Le quadratum incusum a fait place à un semis de gros points placés sans ordre les uns à côté des autres. Il semblerait qu'on doit chercher un sens à ces signes, car on les voit reparaitre à longue distance sous le règne des derniers Arsacides.

Dans une sixième classe, les pièces ont un avers et un revers véritables. Sur le premier, le roi est debout, tourné à droite, figuré jusqu'au genou, sans lance ni javelot, tirant l'arc ; sa tiare est plate ; au revers, une galère flottant sur une double ligne de flots. De pareilles dariques appartiennent sans doute à la fabrication des villes phéniciennes maritimes ; mais comme d'une part elles portent le signe royal et qu'en outre elles sont frappées des deux côtés, il importe d'en tenir compte ici comme marquant une variété dans l'art monétaire de l'empire nécessairement postérieure aux types cités plus haut. Je possède parmi d'autres monuments de cette espèce un bronze qui doit appartenir aux derniers temps des Achéménides. A l'avers, le roi sur le genou droit ; sa main droite serre le javelot couché sur l'épaule ; le bras gauche étendit tient l'arc. La particularité remarquable est que la figure est inscrite dans un orle perlé qui parait ici pour la première fuis dans les monnaies perses. Au revers, une galère d'un travail très-élégant voguant sur une double ligne de flots ; au-dessus, deux lettres, dont celle de gauche est peul lisible. L'autre est un T. On pourrait y voir les deux lettres T, P, et lire ici le nom de Thiphsakh, une des villes commerciales les plus importantes des rives de l'Euphrate. Mais ceci est hypothétique. Ce revers est entouré d'un orle comme l'avers.

J'ajouterai à ces détails que pour la troisième et la quatrième classe, ainsi que pour la cinquième et probablement la sixième, il existe des pièces fourrées, ce qui ne contribue pas peu à assigner à ces monuments mie place chronologique relativement basse dans l'histoire numismatique de l'empire ; car, sous les premiers Grands Rois, l'état du trésor était trop florissant pour qu'on pin sentir le besoin de recourir au triste expédient de l'altération des monnaies.

J'ai insisté, comme moyen de classement, sur une particularité de la mode asiatique qui s'attache à l'ampleur plus on moins grande de la chevelure. On petit considérer comme certain que des touffes d'une dimension exagérée ne sont pas un signe d'une très-haute antiquité dans les figures que l'on observe. Les cylindres vraiment assyriens, car il s'en faut que tous les cylindres soient tels, et il en est beaucoup qui appartiennent aux siècles postérieurs à l'ère chrétienne, montrent toujours dans leurs personnages une réduction extrême sons ce rapport. J'observe ce fait sur une sardoine de ma collection.

C'est un cylindre oblong aplati dans le sens de sa longueur, arrondi au sommet, et portant sur sa base légèrement bombée la figure d'un ange, probablement un amshaspand, à quatre ailes, volant vers la droite, tenant de la main droite un objet lancéolé, et de la gauche une fleur de lotus à longue tige serpentante.

Cette figure, de travail assyrien, mais on les formes et le style égyptiens ont été évidemment cherchés, ne peut appartenir qu'au règne de Cambyse ; car, dans la grande quantité de pierres que je possède, je ne retrouve aucun autre spécimen qui puisse me porter à penser que le goût égyptien ait fait fortune en Asie et s'y soit établi à demeure. C'est donc une œuvre de caprice et qui, pour cette raison, porte sa date avec elle-même. Dans cette figure, les cheveux tombent droit comme sur les cylindres plus anciens.

J'observe le même fait sur une agate blanche représentant un adorant tourné à gauche vers une étoile, et encore sur une cornaline d'un rouge brun, où le roi, placé dans un quadrige à côté de son écuyer, tire de l'arc contre un oiseau placé devant lui, sujet symbolique fréquemment répété. Ainsi, en thèse générale, on peut et on doit établir que partout où les effigies humaines ont des cheveux extrêmement gros et travaillés, il n'y a dans le monument qu'une antiquité relative ; et pour le cas particulier qui nous occupe ici, les doriques où le roi est coiffé de cette façon appartiennent certainement aux temps moyens, sinon aux temps bas de la dynastie achéménide. Je ferai remarquer en finissant cette digression que la mode des cheveux gonflés pénétra même dans la Grèce vers les temps qui précédèrent Alexandre, et dans certains bustes de Platon nommément, on observe des traces de cette disposition.

J'ai complété, autant que l'état actuel des connaissances a pu me le permettre, le tableau des nouveautés par lesquelles Darius s'efforça de répondre aux besoins de son empire. Par l'institution des satrapies, il essaya de neutraliser les conséquences anarchiques résultant de la réunion forcée de tant de races, de tant de peuples, de tant de souverainetés locales, de tant d'intérêts divergents que contenait l'empire perse ; et en même temps appréciant le danger de confier un pouvoir nécessairement discrétionnaire à des hommes qui pouvaient en abuser, il voulut limiter leur puissance en ne les choisissant que parmi les fonctionnaires élevés par lui, soutenus par lui, et qu'il pouvait renverser du jour au lendemain ; il les créa essentiellement amovibles, et le leur fit sentir fréquemment par des destitutions suivies de confiscations qui les ruinaient plus ou moins ; il leur refusa tout ce qui aurait pu leur donner une apparence souveraine, et notamment le droit de battre monnaie, interdit sous peine de mort.

Pour rattacher les provinces à un centre unique, il fit choix d'une capitale. Il la prit dans une contrée riche, jadis fameuse, habitée par une population conquise à plusieurs reprises et par différents maîtres, et dont il n'avait a craindre ni le prestige ni la force. Elle n'eût pas plus trouvé d'appui pour une révolte dans ses anciens conquérants, les Babyloniens, que dans ses nouveaux dominateurs, les Perses.

Min d'assurer la communication rapide de ses ordres et d'être toujours ait courant de ce qui se passait sur tous les points de la monarchie, le gouvernement du Grand Roi entretint ou créa les routes, multiplia les stations de poste et les moyens de sécurité, y fit circuler des courriers dont les devoirs et les droits furent définis ; il s'arrangea en un mot de son mieux pour être averti dans un bref délai et pouvoir agir de même.

Dans le but d'entretenir la paix publique et la soumission, il eut des armées et des garnisons permanentes dans les différentes contrées, ici de la cavalerie, la des fantassins, et put ainsi tenir en échec dans la mesure possible les forces locales dont les feudataires on les villes libres auraient été tentés d'abuser.

Pour paver un si immense établissement, il établit des impôts encore inconnus, en régularisa d'autres, fixa les quotités, indiqua les lieux de versement, et institua une monnaie royale dont la détermination quant au poids et quant au titre lui donna le moyen d'avoir constamment la main dans la bourse de ses sujets.

Enfin, et ce fut son œuvre capitale, inquiet de l'étal intellectuel de ses peuples, trouvant chez les Sémites une surexcitation philosophique dangereuse, chez les Iraniens un gout de plus en plus développé pour ce genre de spéculation, chez les Scythes une façon indépendante et hautaine de traiter ces questions qui ne lui était pas moins antipathique, en ce sens qu'elle lui fermait tout accès dans les consciences, où il prétendait pénétrer aussi bien qu'ailleurs, il favorisa l'avènement du mazdéisme. Il y apercevait avec plaisir des compromis favorables à la paix, une hiérarchie sacerdotale qui lui promettait des auxiliaires, une apparence de religion nationale qui était une institution unitaire de plus, enfin les ressources pour diriger les imaginations des peuples et leur imposer des devoirs. Sur ce point comme sur d'autres il se trompa, et les gouvernements s'y tromperont éternellement. Ii avait cru, connue ils le croiront toujours, que quelque chose peut se détruire dans le monde métaphysique, et qu'il y existe plus que des combinaisons diverses de principes éternels. Le mazdéisme compliqua le désordre d'un terme de plus, et n'abolit rien.

Telle fut l'œuvre de Darius. Maintenant ii ne reste qu'a présenter la série d'événements produits au milieu du cadre qu'il avait constitué.

 

 

 



[1] VIII, 2.

[2] Trois ans en Asie.

[3] HÉRODOTE, VII, 61.

[4] Genèse, X, 22.

[5] Genèse, XIV, 1.

[6] ISAÏE, XI, 11.

[7] ISAÏE, XXI, 2.

[8] ISAÏE, XXII, 6.

[9] JÉRÉMIE, XXV, 25.

[10] JÉRÉMIE, XLIX, 35-39.

[11] FORBIGGER, II, p. 585-586.

[12] RAWLINSON, Hérodote, III, p. 208.

[13] Genèse, XXIII, 16.

[14] Juges, XVII, 2.

[15] Le poids des statères et des dariques conservées dans les collections varie nécessairement, ayant, pour la plupart, perdu par l'effet du temps. Autant que je le sache, les limites hésitent entre 8gr50 et 8gr15 pour les statères. M. le duc de Luynes fournit ces deux chiffres. Pour les dariques, le Musée Britannique en possède une qui pèse 5gr68, et il en existe beaucoup qui descendent au-dessous de 5gr10. Je ne cite pas les doubles statères d'or, pièces assez rares, dont la valeur actuelle oscille entre 16gr70 et 16gr30.