Ctésias fournit peu de renseignements sur les membres de
la famille royale réunis après la mort de Cyrus autour de Cambyse. Il se
borne à nommer un frère cadet qu'il appelle Tanyoxarcès, et auquel le
conquérant avait laissé, comme il a été dit plus haut, la seigneurie de Le nom de Tanyoxarcès, attribué au second fils de Cyrus par Ctésias, n'est nullement un obstacle à ce que celui de Smerdis, Cométès on Gobad, soit authentique, car Tanyoxarcès n'est autre que le titre de Daynhukhshathra, roi des provinces, parfaitement convenable pour un grand feudataire du sang royal, et sous cette qualification, un nom propre a dû exister qui n'a pu, suivant l'usage le plus ordinaire des Iraniens, s'éloigner du cercle des choix déjà faits dans la famille ; comme le père de Cyrus s'appelait Cambyse, et aussi l'aillé des fils de ce prince, il est naturel que l'on ait nominé le second Gobad, Cométès ou Smerdis, toutes formes diverses d'un même mot, et emprunté au souvenir de l'aïeul. Au dire d'Hérodote, le Roi des provinces ayant suivi Cambyse en Égypte, eut le malheur de s'y distinguer par un exploit qui lui devint fatal. Les Ichthyophages avaient présenté au monarque perse, de la part du roi des Éthiopiens, un arc d'une force extraordinaire, avec le défi de le tendre. Cambyse, en effet, malgré sa vigueur ne put y parvenir ; mais le Roi des provinces réussit à deux doigts près. Cambyse, transporté de jalousie, fit aussitôt partir son frère pour Suse. Mais probablement la forte et malveillante impression qu'il avait reçue du mérite du jeune prince continua à le préoccuper en secret, car une nuit il rêva qu'un courrier venait lui annoncer en toute hâte de la part des Perses que Smerdis, assis sur le trône royal, était si grand et si haut, que de la tête il touchait hi voûte du ciel. Cette vision menaçante fut tenue pour un avertissement. Un seigneur du nom de Prexaspes partit pour Suse, afin de mettre ordre à ce qui s'y passait. Il assassina Smerdis, les uns disent à la chasse, les autres en l'attirant sur les bords de la mer Persique, où il le noya. Ctésias raconte différemment les choses. Suivant lui, le Roi des provinces ayant trouvé en faute un mage appelé Sphendadates, le condamna ii recevoir un certain nombre de coups de fouet. Cet homme, plein de rancune, alla persuader à Cambyse que son frère conspirait contre lui, et polir lui donner une preuve évidente de son assertion, il ajouta que si le roi ordonnait au prince de se rendre à la cour, il n'obéirait pas. Cambyse manda immédiatement Cométès-Gobad, qui, ne soupçonnant pas la gravité que devait avoir sa négligence, resta à ses affaires, et ne se pressa nullement d'arriver. Un second messager ne le décida pas davantage. Ce ne fut qu'au troisième avis qu'il se mit en route. Cambyse irrité couvait une résolution violente, quand sa mère Amytis, s'apercevant de ses dispositions d'esprit et se doutant des intrigues du prêtre, engagea le roi à s'en défier, et celui-ci, sans renoncer le moins du inonde à son projet, eut peur de sa mère, et ajourna son crime. Il cherchait un moyen de le commettre sans se heurter contre une opposition aussi directe. Sphendadates vint à son aide. Il se trouva qu'il ressemblait d'une manière extraordinaire au Roi des provinces. Il engagea Cambyse à feindre d'avoir découvert sa culpabilité dans les affaires du prince et à le condamner à perdre la tête par le glaive. Cependant on ferait périr Cométès-Gobad ou Smerdis en secret, et lui, Sphendadates, serait montré publiquement revêtu des habits et des ornements de la victime, afin de tromper ceux qui le verraient. Les choses se passèrent d'abord comme le prêtre l'avait conseillé. Le Roi des provinces fut saisi et jeté en prison sans qu'Amytis en sût rien, et on lui fit boire du sang de taureau, dont il mourut. Sphendadates., paré comme un frère de Cambyse devait l'être, fut montré en public. Chacun se trompa à la ressemblance ; nul ne soupçonna la fraude. Cependant trois des confidents intimes du roi avaient connaissance de ce qui se passait : c'étaient Artasyras ou Ashkesh le Parthe, Bagapates ou Toous, roi de l'Arie, et Ixabates on le roi des Uxiens. Quelque temps après, Cambyse, curieux d'éprouver la force de l'illusion derrière laquelle il dissimulait son fratricide, fit venir Labyze, chef des eunuques du prince assassiné, avec les autres serviteurs, et leur demanda si le personnage en présence duquel il les amenait n'était pas véritablement sou frère. Ils se montrèrent fort étonnés de cette question, et ils
affirmèrent qu'ils étaient bien convaincus que le Roi des provinces était là
réellement en peu-sonne, tellement, ajoute Ctésias, la ressemblance était
saisissante et complète. Cambyse désormais rassuré renvoya Sphendadates dans L'erreur se prolongea pendant cinq années ; mais un eunuque nommé Tibéthée, ayant été cruellement battu par l'ordre du prêtre, s'enfuit, et alla tout révéler à Amytis. Celle-ci exigea de Cambyse que Sphendadates lui fût remis ; n'ayant pu l'obtenir, elle s'emporta contre le roi à des imprécations solennelles, et ayant pris du poison, elle mourut. Le roi fut extrêmement frappé de la malédiction de sa mère. Il fit tout au monde pour en détourner les effets. Il offrit des sacrifices dans lesquels furent présentées de nombreuses victimes ; mais le sang ne coula pas sous les couteaux sacrés. La terreur de Cambyse s'en accrut. Quelque temps après, la reine Roxane accoucha d'un enfant sans tête. Cambyse consulta les devins sur ce prodige, et il en apprit qu'il ne laisserait pas de fils pour lui succéder. Alors le spectre de sa mère lui apparut, et lui annonça que le châtiment de sou crime était proche. Le roi était alors à Babylone, et un jour qu'il s'amusait par désœuvrement à couper un morceau de bois avec un couteau, il se blessa ii la cuisse et se coupa le muscle ; il mourut après onze jours de souffrance. Ainsi, pour Ctésias, il existe une connexité étroite d'une
part entre la mort du Roi des provinces et le remplacement de ce fils de
Cyrus sur le trône de Un mage nommé Patizithès avait été laissé en Perse par Cambyse pour y exercer la régence pendant l'expédition d'Égypte. Ce Patizithès, dont le nom signifie fils de roi, et qui d'après cela pourrait bien avoir été quelque agnat d'une grande famille attaché à la fortune de Cambyse, avait un frère qui ressemblait parfaitement à Smerdis et que pour cette cause il mit sur le trône. En même temps il envoya des messagers dans toutes les parties de l'empire, et notamment en Égypte, afin de détourner les peuples et les armées du service dé Cambyse, et de les appeler à l'obéissance du nouveau souverain. Cette révolution s'autorisait de la conviction générale de la folie de Cambyse. On était las de ses violences. Quand le héraut député par Patizithès arriva à l'armée
d'Égypte, celle-ci avait déjà quitté cette contrée, et dans sa marche de
retour vers Cambyse, plus étonné qu'effrayé, et soupçonnant Prexaspes-Pouroushaspa de n'avoir pas rempli ses intentions et d'avoir laissé vivre son frère, l'interrogea sévèrement à cet égard. Prexaspes soutint qu'il avait tué Smerdis, suivant l'ordre qu'il en avait reçu ; Cambyse fit comparaitre le héraut, et il résulta des déclarations de cet officier qu'il n'avait iKis vu le nouveau souverain an nom duquel il parlait, mais que les instructions dont il était porteur lui avaient été transmises par le mage Patizithès, demeuré régent de l'empire en l'absence de Cambyse. Ce point éclairci, et Cambyse cherchant avec anxiété a comprendre ce que cette affaire pouvait signifier et sur quoi elle reposait, Prexaspes-Pouroushaspa s'écria que tout était clair, et qu'il s'agissait d'une conjuration ourdie par Patizithès et son frère Smerdis. A ce nom, Cambyse fut pénétré d'une lainière soudaine. Il se rappela le songe qu'il avait eu et qui lui avait montré ce Smerdis assis sur son trône. Il s'était trompé à la ressemblance. Rempli de douleur d'avoir fait périr son frère innocent, bridant de le venger, tourmenté des périls qui le menaçaient, emporté par la fougue de son imagination malade, il courut à son cheval, dans la volonté de marcher vers Suse à l'instant même ; mais dans sa précipitation et avec ses mouvements violents, son glaive sauta hors du fourreau et s'enfonça dans sa cuisse, à la place même où il avait frappé le dieu Apis. Il pensa de suite que la blessure était mortelle, et demanda le nom de la ville près de laquelle il se trouvait. On lui dit qu'elle s'appelait Agbatane. A ce mot, il ne douta plus de sa fin, car l'oracle de Buto lui avait prédit jadis qu'il mourrait à Agbatane ; il avait cru que c'était Ecbatane de Médie. Pour la seconde fois, les avertissements divins se jouaient de lui. Il languit pendant vingt jours. Au bout de ce temps, il assembla autour de son lit tous les seigneurs et les chefs de l'année, leur avoua le meurtre de Smerdis en le déplorant, mais aussi en cherchant à l'excuser par la vision qu'il avait eue, et qui s'appliquait, sans qu'il pin le deviner, à l'autre Smerdis, frère de Patizithès, en ce moment usurpateur de la couronne ou du moins cherchant à le devenir. Il supplia les Perses, et principalement ceux qui appartenaient à la tribu achéménide, de ne pas tolérer que des mages, c'est-à-dire des Mèdes, s'emparassent de l'empire. Il les conjura de ne pas souffrir une telle ignominie, et les combla de bénédictions dans le cas où ils uniraient leurs efforts pour empêcher un si grand mal. Il les maudit, au contraire, et appela sur eux une fin pareille à la sienne s'ils manquaient à donner satisfaction à ses derniers désirs. A ces paroles du Grand Roi, les assistants éprouvèrent la plus violente émotion, et pleurèrent sur leur malheureux prince en proie à d'atroces douleurs ; peu de temps après, Cambyse expira. Il ne laissait aucun enfant, et ses dernières paroles étaient faites pour jeter le trouble et la méfiance dans tous les esprits. Mais personne ne crut que Smerdis eût péri. Prexaspes-Pouroushaspa voyant le roi mort, soutint hardiment qu'il n'avait pas exécuté les ordres sanguinaires de son maitre. Il craignait d'avouer qu'il eût trempé ses mains dans le sang d'un fils de Cyrus. Chacun se rappela que Cambyse était fou. On soupçonna quelque fantaisie de haine posthume, et en conséquence toute la nation perse reconnut le mage Smerdis pour son souverain, et le règne de cet imposteur commença sans difficulté. Il régna sept mois, et montra une douceur et une partialité extrêmes à tous les Occidentaux sujets de l'empire. Il les avait exemptés pour trois ans de tout subside et du service militaire. Mais connue il ne sortait jamais de la citadelle de Suse et ne laissait surtout venir jusqu'à lui aucun des seigneurs perses, un d'entre eux, Otanès, fils de Pharnaspes, conçut des soupçons. Probablement les dernières adjurations de Cambyse n'avaient pas tout à fait disparu de sa mémoire ; il voulut s'éclaircir de ce qui lui semblait suspect, et il en trouva aisément le moyen. Une de ses filles, appelée Phédime, avait été épousée jadis par Cambyse, et désormais, avec les autres femmes de ce prince, elle appartenait à Smerdis. Sou père lui fit demander si son mari était bien réellement le fils de Cyrus. Phédime s'excusa sur ce qu'elle n'avait aucun moyen de le savoir, n'ayant pas vu son nouvel époux avant la mort de Cambyse. Otanès l'engagea à consulter sur ce point sa compagne Atossa, fille de Cyrus, qui certainement connaissait son propre frère. Mais parler à Atossa ne se pouvait faire, car les épouses royales étaient rigoureusement séparées l'une de l'autre, et ne communiquaient point ensemble. Cette précaution inusitée augmenta les soupçons d'Otanès, qui rappela alors à sa fille qu'elle était de noble naissance, et lui ordonna de risquer sa vie s'il le fallait, mais de profiter de la première fois que le souverain viendrait partager sa couche pour s'assurer s'il, avait ou non les oreilles coupées. Otanès savait que le mage, frère de Patizithès, avait subi autrefois ce supplice par ordre de Cambyse. Phédime obéit à son père, et trouva en effet que l'homme endormi à ses côtés n'avait plus d'oreilles. Otanès fut averti dès l'aube du jour. Il s'ouvrit de sa découverte à deux autres chefs, Aspathinès et Gobryas. Ils s'adjoignirent Intaphernes, Mégabyze et Hydarnes ; et sur ces entrefaites, Darius, fils d'Hystaspes, étant arrivé à Suse du pays de Perside, dont son père était satrape, les conjurés se l'associèrent également, ce qui porta leur nombre à sept. Darius les engagea à agir immédiatement. Il leur remontra, contre l'avis d'Otanès, que des entreprises telles que celle qu'ils méditaient se perdaient par la temporisation ; il parla si bien qu'il les entraîna, et ils marchèrent tous ensemble vers le palais dans la ferme résolution d'y pénétrer de gré ou de force et de mettre à mort l'usurpateur. Dans ce même moment, les mages inquiets avaient fait venir Prexaspes-Pouroushaspa, et sachant qu'il était le seul homme véritablement instruit de la mort de Smerdis, fils de Cyrus, ils cherchèrent à le gagner à leur cause, et à obtenir de lui la déclaration publique que le souverain régnant était en réalité celui qu'il avait mis à mort, c'est-à-dire Smerdis lui-même. Ils le menèrent au sommet d'une tour, et lui dirent de parler au peuple ; mais Prexaspes saisi d'une généreuse résolution, proclama la vérité, célébra les louanges des Achéménides, de Cyrus, de toute leur race, et maudit les Perses dans le cas où ils laisseraient régner les mages. Cela fait, il se précipita du haut de la tour. Ainsi, ajoute Hérodote, mourut Prexaspes, qui avait toute sa vie été réputé homme de bien. Je relève avec soin toutes les mentions qui sont faites de ce Prexaspes et le ton qu'emploie Hérodote pour en parler. Ce n'est pas sans un motif puissant, et on aura lieu plus tard d'apprécier l'importance de ce personnage ; mais pour le moment je continue l'analyse, qu'il faut mener à fin. Tandis que se passait la scène qui vient d'être rapportée, les sept conjurés marchaient vers le palais. En chemin, l'émotion de la foule et les propos de ceux qui couraient çà et là leur ayant appris l'événement, Otanès, malgré Darius, recommença à insister sur la nécessité d'être prudent ; il arrêta ses amis, et leur conseilla avec force de laisser les événements amener une solution ; mais tout à coup, au milieu du débat, sept couples d'éperviers apparurent dans le ciel. Ils poursuivaient deux couples de vautours. Ils les atteignirent, et de leurs becs et de leurs serres ils les déchirèrent en pièces. Ce spectacle était facile comprendre et à interpréter. Les sept chefs, pleins d'espérance et soutenus par les dieux, reprirent leur marche vers le palais, passèrent devant les gardes qui parurent à peine les apercevoir, rencontrèrent des eunuques chambellans, et comme ceux-ci, étonnés de l'audace des conjurés, s'écrièrent, et voulurent leur barrer le passage et les arrêter, ils mirent l'épée à la main, et. tombant sur ces hommes mal inspirés, ils les massacrèrent ; puis foulant aux pieds leurs cadavres, ils pénétrèrent jusqu'auprès des deux frères mages, qui, dans ce moment même, délibéraient sur l'embarras où l'action de Prexaspes venait de les plonger. Le bruit du combat, les cris des mourants, le tumulte des agresseurs les avaient tirés de leur entretien. En voyant apparaître les conjurés, ils comprirent de suite ce dont il s'agissait ; l'un sauta sur un arc, l'autre sur une lance, les premières armes qui se trouvèrent sous leurs mains. Mais l'arc ne pouvait être d'aucun usage, on était corps à corps ; avec la lance, il y avait plus de ressource. Aspathinès fut blessé à la cuisse, Intaphernes à l'œil. C'était de quoi irriter les vengeances et non pas éteindre les courages. Un des mages tomba percé de coups ; l'autre s'enfuit et voulut tirer la porte derrière lui, mais Darius et Gobryas l'en empêchèrent. Il courut, ses deux ennemis l'atteignirent dans un réduit obscur où on ne se distinguait plus l'un de l'autre. Cependant les deux seigneurs tenaient leur victime ; Gobryas surtout s'y cramponnait de tous ses doigts. Pourquoi ne frappes-tu pas ? dit-il à Darius. — Je n'y vois pas, et crains de te blesser, répondit l'autre. — Frappe néanmoins ! Le mage tomba, et expira. Le sacrifice consommé, les seigneurs ayant tranché la tête des deux imposteurs, se jetèrent dans les rues et les parcoururent, brandissant leurs trophées sous les veux des Perses, et les appelant aux armes. Toute la population de Suse voyant comment les choses avaient tourné, s'unit sans hésiter à ses libérateurs, et rendant solidaires de ses griefs tous les mages qui se trouvaient dans la ville, fit main basse sur eux, et massacra ceux qu'elle put rencontrer. Ce fut pour l'avenir une date mémorable, une grande journée, une fête nationale ; on l'appela la magophonie, le massacre des mages, et il était ordonné pendant la célébration de cette fête que les personnes de cette caste eussent à se renfermer chez elles. Le premier acte de la révolution était accompli ; il restait maintenant à savoir comment on voulait s'organiser. Le cinquième jour après l'événement, les sept conjurés, qui jusqu'alors avaient sans doute exercé une sorte d'autorité provisoire, mirent en délibération la forme du gouvernement futur. Otanès recommanda l'abolition de la royauté et l'établissement de l'isonomie. Mégabyze proposa une institution oligarchique. Mais Darius soutint que la monarchie était dans les traditions nationales ; que le mieux qu'on pouvait attendre de la démocratie était précisément d'y aboutir ; que le pouvoir d'un chef était le gouvernement par excellence, le seul fort et capable de secret dans les résolutions et d'unité dans l'action, et qu'en conséquence c'était la monarchie qui convenait le mieux aux Perses. Tous les assistants se rangèrent à cet avis. La monarchie fut donc décrétée, seulement on décida qu'Otanès et ses descendants resteraient libres, et ne serviraient la couronne qu'autant qu'ils le voudraient, avec cette condition toutefois de ne pas transgresser les lois du pays. D'ailleurs Otanès déclara renoncer à tous ses droits éventuels au trône, et comme dédommagement, il fut résolu que lui-même et après lui le chef de sa maison recevraient tous les ans un habit à la mode médique, et d'autres présents honorables. Il obtint ces distinctions non seulement en échange de sa renonciation au pouvoir, mais aussi en mémoire de ce qu'il avait été le premier à se soulever contre les mages. La situation d'Otanès ainsi fixée, les autres chefs décidèrent que chacun des sept aurait ses entrées libres au palais, et pourrait se présenter devant le roi sans se faire annoncer, en tout temps, en tout lieu, sauf le cas où le monarque serait avec sa femme. En outre, celui-ci n'épouserait jamais qu'une fille issue du sang d'un des six autres ; enfin le souverain allait être élu de la manière suivante le lendemain matin, au soleil levant, les six qui n'avaient pas abjuré leurs droits à l'empire quitteraient ensemble la ville à cheval, et le premier dont le cheval hennirait serait immédiatement reconnu et proclamé par les autres. Les choses se passèrent comme on l'avait décidé. Les prétendants sortirent au petit jour. Le disque du soleil s'éleva sur -l'horizon, et aussitôt le cheval de Darius se mit à hennir ; à ce signe, ses cinq compagnons descendirent de leurs montures, se prosternèrent, et proclamèrent roi des Perses l'Achéménide Darius. Cependant un échoir brilla et un coup de tonnerre retentit dans l'air serein : c'était la consécration des dieux. Hérodote ne trouve pas que l'autorité céleste ait suffi pour amener nu pareil résultat. Il ajoute qu'il y avait bien aussi une part d'intrigue et de ruse dans cette affaire. L'écuyer de Darius, appelé Œbaras, avait eu soin, de façon ou d'autre, car l'historien présente deux versions, de mettre le cheval de son maître en excitation pour la cavale favorite du haras, et grâce à la fourberie de ce serviteur, Darius l'emporta sur ses rivaux trompés. Voilà comment Hérodote rapporte les événements relatifs à la mort de Smerdis, fils de Cyrus, la lin de Cambyse, l'usurpation des mages, et finalement le renversement de ceux-ci et l'avènement de la nouvelle dynastie. Voyons maintenant comment Ctésias explique la partie de ces événements sur laquelle nous ne l'avons pas encore interrogé. Sa façon de concevoir les choses est plus simple que celle de son glorieux devancier. Suivant lui, le chef des Bagous et l'Arsacide Artasyras
avaient résolu avant la mort de Cambyse de placer sur le trône le faux
satrape déjà maitre de Cette mort ne sauva pas les mages. Sept chefs particulièrement puissants, Onuphus, Idernès, Norondabates, Mardonius, Barissès, Artaphernes et Darius, fils d'Hystaspes, se mirent à la tête des mécontents. Ils se rattachèrent Bagapates, chef des Bagous, et Artasyras, qui, probablement émus par l'indignation générale, n'osèrent pas soutenir plus longtemps leur créature. Ils faisaient partie de la maison du souverain qu'ils avaient créé. Bagapates tenait même les clefs du palais. Il ouvrit les portes. Sphendadates, surpris tandis qu'il était couché avec une courtisane de Babylone et se voyant sans armes, se défendit avec un siège d'or ; mais pressé par les sept, il ne prolongea pas sa résistance, et tomba criblé de blessures. Il avait régné sept mois. La fête de la magophonie est celle du jour où le mage fut tué. Darius monta sur le trône parce que son cheval avait Henni le premier parmi ceux de ses rivaux mi lever du soleil. Il avait trouvé pour obtenir cet avantage un moyen sur lequel Ctésias ne s'explique pas. Maintenant, on doit comparer les textes respectifs des deux historiens grecs. Nulle part, dans tout son ouvrage, Hérodote ne montre plus clairement les mérites et les défauts de sa manière. lien n'est vivant, intéressant comme son récit. Bien aussi n'est plus systématique : pour ne pas s'écarter d'une ligne des opinions de ceux qui, à Babylone, lui ont raconté les faits, et qui assurément n'étaient pas des Perses, mais des Araméens on des Grecs domiciliés, il embrouille tout, et ne se met en peine d'aucune contradiction avec ce qu'il a dit lui-même des mœurs, des croyances et des idées des Perses. Ce n'est pas assez que son Cambyse ait été fou à lier, ce qui d'ailleurs est incontestable, il l'entoure de rêves, de visions, de prédictions, d'oracles, et ce même personnage qui, au rebours du tolérant Cyrus, parait avoir éprouvé le dégoût le moins dissimulé pour les dieux étrangers, cet homme, ce furieux qui tue Apis d'une manière si brutale, qui viole les tombeaux des rois égyptiens, et insulte aux idoles de ces peuples ; excès que l'on admettrait d'un bon Mazdéen, il le rend crédule l'oracle étranger de Buto, avec lequel il n'avait rien à faire. C'est qu'Hérodote frayait surtout avec les gens pieux de sa croyance et de sa race. Il n'avait pas l'idée de s'écarter un instant de leurs points de vue et de leurs prédilections. De même que son histoire de Crésus n'est qu'un éloge d'Apollon, de même que celle qu'il donne de Cyrus a surtout pour but de nous montrer ce roi soumis à toutes sortes d'influences qui le diminuent, et surtout à celle de l'ancien ami de Solon, de même encore Cambyse, contre lequel il se fait Égyptien, lui sert principalement à glorifier la puissance mystérieuse et terrible de l'onéiromancie et celle de la voix des Butades. On reconnaît dans cette manière de représenter les choses non pas une chronique de la famille de Cyrus, mais un réquisitoire porté sur cette famille par les sujets araméens et grecs de l'empire. C'est le ton qui régnait dans ces groupes sous le Gouvernement des Achéménides en parlant de leurs maîtres et des prédécesseurs de ceux-ci. C'est le mode de leur opposition et la mesure de leur haine assez impuissante d'ailleurs, en tant qu'une animosité latente mais persistante peut être considérée comme telle. En se nourrissant d'oracles et de visions, en se consolant ainsi de leur abaissement, les habitants des contrées sémitiques et les Grecs mêlés avec eux ressemblaient beaucoup aux Juifs de la même époque, qui, répandus dans les mêmes contrées, avaient eux aussi des rancunes, des colères sourdes et cachées, et une passion vive pour exprimer leur résistance en faisant courir des anecdotes malveillantes. Ce qui tranche vigoureusement sur ce caractère des races vaincues, c'est ce qu'Hérodote laisse aussi très bien apercevoir de l'attitude des Perses eux-mêmes vis-à-vis de Cambyse. Malgré ce qu'ils avaient à souffrir de ses accès de frénésie, malgré le tort qu'ils éprouvaient de ses conceptions insensées, ils ne songèrent jamais à se révolter ; ils repoussèrent toujours fermement les tentatives des conspirateurs. Quand il mourut, ils le pleurèrent. Il était pour eux le fils de Cyrus, et quand plus tard des générations qui ne l'avaient pas connu essayèrent de se le rappeler, il se trouva que les aïeux, ses contemporains, en avaient laissé à leurs enfants un souvenir redoutable, mais en même temps profondément respectueux. Ils appelèrent Cyrus le père, et Cambyse fut pour eux le maître, un maitre terrible sans doute, mais digne de vénération, et c'est cette impression qui se maintient autour de la figure de Kaons représentée par la tradition persane. Les accès de démence et même d'impiété du roi ne sont pas niés ; cependant, c'est toujours Kaous, c'est toujours le Grand Roi. On suppose qu'il est revenu des uns, qu'il s'est repenti des autres, et c'est absolument ainsi et sous l'influence de ce sentiment arian commun aux deux peuples, que les Franks considéraient et jugeaient les Mérowings et particulièrement les descendants de Clovis. Une telle manière de penser creusait un abîme entre les Perses et les Grecs asiatisés, à plus forte raison entre eux et les Sémites. Hérodote ne l'a pas compris, et ne pouvait pas le comprendre. Ctésias est naturellement sous l'empire des mêmes influences que son émule. Il n'entoure pas la mort de Cambyse des marques de la réprobation divine, mais il croit aussi à la haine des dieux pour le conquérant iranien, et il lui faut des signes funestes. Il raconte ce qu'il en a appris dans les maisons qu'il fréquentait et qui n'étaient pas iraniennes. Un médecin étranger, touchant la solde et sollicitant les cadeaux des Perses, ne manquait pas d'occasions de dénigrer ceux dont il mangeait le pain et de rencontrer des gens disposés à l'imiter. J'ai vu bien des hôtes de cette espèce dans les mêmes lieux. Le cours des siècles n'y a rien changé. Maintenant vient l'histoire du mage qui succéda frauduleusement à Cambyse et dont le règne dura sept mois, au dire des deux historiens. Si par la dénomination de mage on entend désigner un prêtre mazdéen, et c'est en effet ainsi qu'on envisage les choses d'ordinaire, on tombe dans une erreur qui n'est pas soutenable. Il n'existait pas encore de mazdéisme à cette époque. L'ancienne religion de l'Iran durait toujours. Ses ministres, les athravas, ne formaient pas une caste à part, et à plus forte raison il est impossible d'admettre que la tribu médique portant le nom de mages, c'est-à-dire les grands, ait pu constituer, comme on l'a voulu prétendre, une caste sacerdotale pour l'Iran entier. Ce que nous avons vu jusqu'ici des annales, de la constitution géographique, du mode de formation politique, des institutions de l'empire, tout absolument interdit jusqu'à la pensée d'une semblable organisation. Nous savons même que, jusqu'au temps de Cambyse, l'athrava n'était prêtre qu'en certaines occasions, comme de nos jours le garde national est soldat ; le sacerdoce était une occupation temporaire et non une profession ; tout père de famille était athrava chez lui au moment de la prière, au moment du sacrifice ; il n'y avait ni clergé ni temples. Ainsi les deux mages dont il est question ne pouvaient pas être des prêtres, ou s'ils l'étaient, ils appartenaient à quelque culte étranger. Le nom de Sphendadates, attribué par Ctésias à
l'usurpateur du trône de Rien ne s'oppose donc à ce que les prétendus mages qui voulurent succéder à Cambyse aient pu avoir des noms iraniens et cependant ne pas appartenir à cette nationalité. Les obscurités du récit d'Hérodote s'éclaircissent sensiblement par cette seule remarque. Des prêtres mazdéens ne sont pas possibles à l'époque de Cambyse ; mais des prêtres quelconques non iraniens le sont parfaitement, et du moment que des gens de cette dernière espèce ont pu porter des noms perses sans être Perses eux-mêmes, et, bien plus, ont dû le faire ; du moment qu'ils étaient au service du roi, il n'y a plus de difficulté : ceux dont il s'agit ici, ce sont des Chaldéens ; nous pouvons en être sûrs. Hérodote, Ctésias, toute l'antiquité grecque et la plus grande partie des historiens modernes ont absolument confondu deux sacerdoces qui ont de la ressemblance sans doute, ruais qui diffèrent par ce qu'il y a de plus essentiel ; ils n'auraient jamais consenti à se laisser considérer comme identiques, pas plus que les prophètes hébreux et les sages de Ninive, ou que les ecclésiastiques catholiques et les pasteurs de l'Église protestante, dont les dogmes principaux sont assurément les mêmes. Les prêtres chaldéens, au temps de Cambyse et bien avant, formaient mi corps ; ils étaient puissants et nombreux ; ils étaient à la tête d'adhérents dévoués ; ils dirigeaient beaucoup de consciences ; ils pouvaient échauffer, exciter les imaginations et faire mouvoir beaucoup de bras ; enfin ils représentaient bien les populations sémitiques si nouvellement rattachées à l'empire, et qui renfermaient dans leur cause celle des colons grecs de l'Asie Mineure ; ils constituaient toute l'intelligence, toute la science, toute l'activité morale des Babyloniens, Syriens, Lydiens, Phrygiens, Cariens, qui se sentaient humiliés et blessés par la conquête iranienne, et qui ne comprenaient quoi que ce fût aux institutions et aux formes sociales de maitres si différents de ce qu'ils étaient eux-mêmes, et qui leur apparaissaient en toute sincérité comme des barbares, quoique nous ayons vu qu'en somme les vaincus fussent très doucement traités par ces conquérants. En considérant les choses de cette manière, il devient compréhensible et tout à fait conforme au développement naturel des faits, que la mort de Cambyse, de ce prince à moitié fou, qui avait dû effrayer et scandaliser étrangement les sujets occidentaux, ait déterminé chez ces derniers des tentatives pour se délivrer de la suprématie iranienne. Le Grand Roi ne laissait ni fils ni frères, la race de Cyrus finissait avec lui ; c'était un moment favorable. Je dis que les Assyriens devaient le saisir ; j'ajoute que, seuls, ils pouvaient désirer une révolution, et que les Mèdes n'étaient aucunement poussés à éprouver des tentations semblables. Les Mèdes, vassaux directs de l'empire, y étaient rattachés depuis longtemps. Dans toute leur histoire, ils n'avaient jamais eu qu'une position subordonnée, d'abord vis-à-vis de Ninive, ensuite d'Amol. La suprématie était toujours restée au-dessus de leur portée ; pourquoi l'eussent-ils réclamée alors ? C'était une population mixte. Elle pouvait être plus on moins dévouée, mais elle n'avait pas à beaucoup près l'homogénéité qui faisait la force des sujets sémites et grecs et qui aussi explique leur irritation. Elle n'avait aucun motif de nourrir la même malveillance et les mêmes ambitions. Est-ce à la faveur d'une ressemblance fallacieuse avec le fils cadet de Cyrus que la tentative de s'emparer de la couronne fut conduite ? On ne saurait rien décider sus. Les auteurs orientaux n'en parlent pas ; ils traitent cette partie de l'histoire perse d'une autre manière qui va être exposée tout à l'heure. Acceptons donc ce qui ne se peut contrôler, et laissons régner le faux Smerdis à la place que le véritable eût dû remplir. Ce qui est certain, c'est qu'il s'occupa tout d'abord de satisfaire aux deux réclamations les plus vives des nations conquises : il supprima pour trois ans et les impositions et la milice. C'était annoncer, par le dernier point surtout, que le régime iranien, essentiellement militaire, avait pris fin. Quand la fraude fut découverte, quand les deux mages ;
c'est-à-dire les deux prêtres chaldéens, eurent été mis à mort par des
seigneurs appartenant aux familles de Hérodote et Ctésias assignent l'un et l'autre sept mois de
règne au mage imposteur, et tout de suite après ces sept mois commence le
règne de Darius. Mais Eschyle n'est nullement de cet avis. Après Merdis,
qu'il appelle l'opprobre de Plusieurs critiques ont conseillé de considérer comme interpolé le vers de la tragédie des Perses dont il s'agit ici. D'autres s'y sont opposés, et je pense qu'ils ont raison. Rien n'indique la nécessité d'un retranchement que le désir de se conformer aux opinions répandues par Hérodote. Je suppose que la méthode tout anecdotique de ce grand homme n'exige aucun sacrifice de ce genre quand on voit quelques-unes de ses assertions formellement contredites. Cela mènerait trop loin. La tragédie des Perses fut représentée à Athènes, sur le théâtre de Bacchus, l'an 473 avant Jésus-Christ, à ce qu'on assure, et l'on fait mourir Cambyse en 522. Eschyle n'était donc séparé que par quarante-neuf ans tout au plus des faits qu'il reproduit dans sa pièce, tandis qu'Hérodote, qui écrivit son histoire avant 444, environ soixante-dix ou soixante-dix-huit ans plus tard, comme j'ai eu l'occasion de le dire, d'une façon peu favorable à la parfaite exactitude et au complet et irréprochable enchainement des faits, avait déjà eu tout le temps de laisser les convenances légendaires s'interposer entre lui et la vérité. Hérodote ne nomme pas du tout Artaphrenès, qu'Eschyle honore d'une épithète si noble, et qu'il fait roi plus tard, après l'avoir présenté dès l'abord comme le chef unique de la conjuration. Peut-être pourrait-on retrouver ce personnage dans l'Intaphernes qu'Otanès enrôla ; mais Intaphernes ne figure pas autrement dans le récit que pour avoir été blessé par l'un des deux mages et avoir eu l'œil crevé d'un coup de lance. Ctésias est plus près d'Eschyle ; il nomme Artaphrenès et ne connaît pas Intaphernes. Seulement, au lieu de sept conjurés, il en a neuf, et les deux derniers, Artasyras et Bagapates, jouent un rôle considérable claies l'événement : d'abord cc sont les deux personnages les plus puissants de la troupe, ils ont mis le mage sur le trône ; puis ils sont maîtres du palais, et ils introduisent Ictus complices jusqu'an lit du tyran. Il est encore à relever que quatre noms cités par Ctésias, en laissant à l'écart Artasyras et Hagapates, n'ont pas leurs analogues dans la liste d'Hérodote ; ce sont : Onuphas, Norondabates, Mardonius et Barissès. D'Onuphas je lie saurais rien faire, et la physionomie du
mot semble plutôt sémitique qu'iranienne. Norondabates pourrait cacher un des
noms fournis par Hérodote, car c'est un titre : Norounda-pati
ou Nabounda-pati, seigneur
de Nabounda, pays situé vers l'embouchure de l'Indus, près de Au fond, et malgré tous les efforts que l'on pourrait tenter, les deux listes de conjurés ne concordent ni en nombre ni en désignations de personnes. Je pense qu'il est prudent de les considérer comme suspectes et assez légendaires l'une et l'autre, et de s'en tenir à la seule impression que l'intrus chaldéen fut renversé par une conjuration des nobles iraniens, parmi lesquels figurait Artaphrenès. Mais il est possible, si nous voulons suivre Eschyle, que la parfaite entente entre les conjurés n'ait pas continué après la victoire ; qu'un certain Maraphis ait, d'abord pris hi couronne pour un temps plus on moins long ; qu'Artaphrenès, qui y avait plus de droits que lui, l'ait renversé ; qu'ensuite soit venu Darius. Peut-être toutes ces révolutions successives, ces déplacements qui ne sont pas rares dans les moments de grande émotion, où l'on sait qui l'on ne veut pas, mais beaucoup moins nettement qui l'on veut, n'ont-ils pas occupé un bien long espace de temps. A considérer ce qui se passe lorsqu'une dynastie aimée se termine brusquement et qu'on ne sait à quel chef obéir, je suis tenté de croire qu'Esche le a été dans le vrai, et ici vient se placer une question chronologique. Suivant Hérodote, Cyrus avait régné vingt-nerf ans, Cambyse sept ans et cinq mois, le mage sept mois, ce qui embrasse une période de trente-sept ans. Pour Ctésias, Cyrus occupa le trône pendant trente ans, Cambyse pendant dix-huit, et le mage pendant sept mois. Les deux auteurs sont d'accord sur ce dernier point ; mais la somme totale de l'un donne trente-sept ans, celle de l'autre en produit quarante-huit, plus sept mois. Le calcul est tout différent mur les Orientaux : Key-Kaous
règne cent cinquante ans et Cyrus soixante ans. Je ne suis pas étonné de la
longueur du règne de Kaons-Cambyse, parce que j'en rejette ce qu'elle a
d'excessif sur la confusion qui du père et du fils de Cyrus fait une seule et
même personne, et sur les ténèbres de cette dynastie particulière de Il ne reste plus qu'un seul point à examiner pour eu avoir fini tant bien que mal avec l'époque de Cambyse et du mage. Hérodote doutait que beaucoup de Grecs pussent croire que les Perses aient discuté, après la mort de l'usurpateur, sur la forme de gouvernement la plus convenable. Je ne partage pas cette incrédulité, et je suis persuadé que, sinon dans la forme, au moins dans le fond, sinon quant aux personnages mis en scène, au moins quant à la totalité des seigneurs iraniens, la discussion survenue entre les chefs doit être absolument vraie. L'État était bien changé de ce qu'il avait été autrefois. Ce n'était plus, comme au temps des Djems, une monarchie composée de populations régnantes toutes homogènes ; ce n'était pas non plus, comme après la délivrance par Férydoun, une confédération de grands fiefs luttant contre les envahissements des Scythes, contre les attaques des Indiens, surveillant la frontière occidentale, et réunis plutôt que dominés et régis sous un pouvoir central le plus souvent très faible. On y voyait désormais une immense agglomération des territoires les plus divers, on tout ce qui avait pu autrefois s'appeler équilibre était sinon déjà détruit, au moins fort ébranlé. Le roi, nous l'avons dit, était devenu tout-puissant ; il avait acquis les moyens de l'être : de là, menace permanente pour les indépendances anciennes ; plus de la moitié de l'empire, et la plus intelligente, la plus riche, la plus apparente, non pas à plus morale, à coup sûr, ni la plus brave, ne comprenait rien à l'organisation féodale et n'admettait que le pouvoir absolu. Au dehors, terreur universelle devant le colosse qui avait réussi à saisir dans ses vastes bras les forces rassemblées du monde d'alors, partant sécurité profonde vis-à-vis de l'étranger, repos dans les esprits, loisir, besoin d'activité, recherche de quelque chose à faire, appétition de nouveautés ; c'est dans de pareils moments que les peuples, que les sociétés se jettent dans des voies inconnues. Devenues grandes, elles veulent briser leur berceau et repousser dédaigneusement comme des jouets de leur enfance ce qui les a faites ce qu'elles sont. C'est ce qui allait arriver dans l'Iran. Nous allons voir les institutions anciennes s'altérer, la religion changer, le vieux sang arian avoir peine à maintenir ses droits, et n'y parvenir qu'à l'aide et aux dépens des concessions les plus radieuses ; il est donc naturel qu'en un pareil moment les théories politiques les plus diverses aient été débattues entre les hommes d'État. Tout cela serait faux si l'on voulait s'obstiner à
considérer l'empire perse comme un simple produit de la violence heureuse et
comme un monument de la force aveugle et irraisonnée. Je suppose que les
lecteurs de ce livre n'accepteront plus mie façon si superficielle
d'apprécier les faits. Nous avons vu comment l'Iran s'était fondé par la
colonisation agricole, et sons l'action d'un régime politique très libre et
très moral ; comment, après un temps d'éclipse, sa nationalité vivace avait
reparti plus forte que jamais ; comment elle avait résisté à la pression des
Scythes, ii l'énervement qui lui venait de l'ouest ; comment enfin Cyrus,
l'établissant définitivement dans sa gloire, avait mis Cambyse en état de
faire flotter en 'lierne temps les étendards du soleil et sur les confins du
Thibet, et sur les dernières plages caspiennes, et aux extrêmes limites de
l'Égypte, et sur les murs des cités grecques de Maintenant que l'empire était fondé dans tout son développement, car les quelques autres acquisitions qu'il fit encore plus tard sont relativement insignifiantes, comment allait-il être gouverné ? Voilà la question que, suivant Hérodote, se posèrent les conjurés après le meurtre du mage. L'isonomie était-elle à admettre ? Elle l'était sans doute, et les Iraniens de vieille souche et ceux d'origine scythique devaient la comprendre dans tous ses avantages et la préférer, car nous verrous qu'après la chute des Achéménides et la mort d'Alexandre, ce fut précisément à ces principes que revinrent les Arsacides. Mais il n'était pas question d'une isonomie à la manière grecque ; les villes n'étaient rien dans, les campagnes y étaient tout. Il s'agissait donc, non pas comme à Athènes, à Argos ou ailleurs, d'une communauté de citoyens décidant de tout sur un agora, en présence de métœques et d'esclaves impuissants, mais d'un peuple de propriétaires ruraux, de seigneurs féodaux maitres chez eux a différents degrés et n'obéissant qu'à des lois coutumières que personne n'avait qualité pour changer. Telle était l'isonomie dont voulait parler Otanès. L'oligarchie proposée par Mégabyze était manifestement le gouvernement par les grands feudataires réunis en conseil. Évidemment cette doctrine n'avait aucune chance de succès. Les Iraniens et les Scythes devaient la repousser avec horreur ; les Occidentaux n'y pouvaient rien comprendre. La monarchie fut préférée ; mais il est à remarquer toutefois que, dans l'extension qu'on-allait lui donner, extension que l'état des choses rendait inévitable, chacun, Darius. lui-même, qui en profitait, savait tout ce qu'un Arman y éprouvait de répugnance. Aussi des exemptions, des privilèges, des garanties de dignité et d'indépendance furent-ils stipulés en faveur de ceux qui avaient délivré l'Iran de la révolution essayée par les mages. La monarchie fut donc adoptée, mais non pas sans réserves, et le régime inauguré par le premier Achéménide ne se présenta pas comme un système absolu. C'est ce que nous allons constater dans le quatrième livre de cette histoire. FIN DU TOME PREMIER. |