HISTOIRE DES PERSES

LIVRE DEUXIÈME. — TROISIÈME FORMATION DE L'IRAN.

CHAPITRE III. — HISTOIRE DES SUCCESSEURS DE FÉRYDOUN JUSQU'AU RÈGNE DE CYRUS.

 

 

Hérodote place après Phraortes Cyaxares, et le dit fils de celui-ci. Diodore, qui prétend cependant rapporter l'opinion de l'annaliste d'Halicarnasse, ayant tout à fait passé Phraortes sous silence, assure que les Mèdes, longtemps satisfaits de vivre sans chef suprême et de voir leurs villes se gouverner démocratiquement, se résolurent enfin à élire un souverain, qui fut Cyaxares. Celui-ci fit souche royale ; ses descendants augmentèrent graduellement le territoire de l'empire. Mais Diodore annonce qu'il ne parlera pas de leurs actions, qu'il ne citera pas même leurs noms, afin d'arriver plus vite aux temps de Cyrus. Il se borne à déclarer que la série de ces rois aboutit à Astyages il invoque le témoignage de Ctésias, et donne sur cette base le tableau d'une longue suite de rois soi-disant mèdes, qu'en effet Ctésias a pu croire mèdes, mais que j'ai identifiés plus haut avec les Abtiyans iraniens ; il ne dit pas un mot de Cyaxares, mais il connaît un roi Maudakès, qu'il suppose fils d'Arbaces, fondateur de la dynastie, et qui pourrait bien être un reflet du Menoutjehr dont il va être question tout à l'heure. Je me hâte de dire qu'une supposition comme celle pie j'émets ici n'a guère de valeur positive ; en tout cas elle serait sans grande utilité, car Ctésias n'ajoute pas autre chose sur ce Maudakès, sinon qu'il régna sur l'Asie pendant l'espace de cinquante ans.

Ce que je veux surtout faire ressortir, c'est que pour les Grecs il n'est nullement certain ni même affirmé que Cyaxares ait été le fils de Phraortes, non plus qu'il lui ait immédiatement succédé, et que l'opinion persane offre la même incertitude.

En général, Menoutjehr ou Menoushan est donné comme petit-fils de Férydoun par Pesheng, surnommé Iredj. C'est la version qu'adopte Ferdousy dans le Livre des Rois. Mais Abdoullah-Mohammed, fils de Hassan, fils d'Isfendyar, prétend que Menoutjehr n'était que le fils de la fille d'Iredj, mariée par son grand-père Férydoun à un des neveux de ce dernier, par conséquent à un des fils de Kyanwesh ou de Shadekam, issus d'Abtyn aussi bien que le grand roi. De cette façon, Menoutjehr serait encore éloigné de Férydoun d'un degré de plus. Hamza Isfahany dit vaguement que Menoutjehr était un des descendants d'Iredj.

L'auteur de la Chronique du Fars va beaucoup plus loin.

Il compte entre Férydoun et Menoutjehr dix générations, et établit la table suivante :

Férydoun.

Pyl.

Iredj.

Peroushenk.

Kourek.

Arenk.

Ferkour.

Wyrek.

Roushenk.

Meshykhouryar.

Ferarweshenk.

Menoutjehr.

Tous ces noms, débris mutilés de formes zendes, sont en réalité bien iraniens, et il n'est pas douteux qu'ils aient été fournis par des souvenirs anciens. L'écrivain qui les donne remarque lui-même, au nom de Meshykhouryar, que cela signifie l'adorateur perpétuel du Soleil.

Avec cette liste on n'a pas de quoi combler la période entière de cinq cents ans attribuée au règne de Menoutjehr. Mais si ce chiffre n'est pas une exagération des cinquante années que, suivant Ctésias, a régné Maudakès, il permet du moins de concevoir la possibilité de répartir un si long espace entre un nombre raisonnable des partageants, dont la plupart ont été oubliés par la tradition ; et la série plus ou moins longue de rois entre le fondateur de la monarchie et le prince qui la laissa se perdre, que Diodore aperçoit vaguement, reçoit ici dans tous les cas sa justification.

Quant à l'identification de Menoutjehr avec Cyaxares, elle a déjà été faite par plusieurs auteurs et ressort assez clairement de la comparaison des textes grecs et orientaux pour ne pouvoir être sérieusement mise en doute. Hérodote raconte que Cyaxares, encore plus guerrier que ses ancêtres, inventa une tactique nouvelle et introduisit l'usage de réunir dans des corps différents les archers, les piquiers, les fantassins et la cavalerie ; jusqu'alors on avait combattu pêle-mêle. Cyaxares attaqua les Lydiens, et pendant le combat le jour fut changé en nuit. Après avoir soumis toute l'Asie au-dessus du fleuve Halys, c'est-à-dire le nord, il marcha sur Ninive et l'assiégea. Au moment où il allait emporter la place, il fut assailli par une armée innombrable de Scythes que commandait le roi Madyas, fils de Protothyès, et qui, lancés à la poursuite des Cimmériens fugitifs, se trouvaient dans le pays des Mèdes.

Pour arriver jusque-là, il leur avait fallu faire une longue route, non pas celle que connaissaient les Grecs et qui, allant du Palus-Méotide au Phase et à la Colchide, aboutit après trente bonnes journées de piéton, et à travers les montagnes et le pays des Sapires, jusqu'aux terres médiques ; ce ne pouvait être le chemin qu'avaient suivi les Scythes vainqueurs des Cimmériens. Ils passèrent plus haut, dit Hérodote, et ils arrivèrent en laissant le Caucase sur leur droite.

Je remarquerai que le Caucase dont il est ici question n'est aucunement celui de Géorgie, car, dans ce cas, venant du Palus-Méotide, il n'y aurait pas besoin de faire observer que les Scythes l'avaient en à leur droite. Cela s'entendait assez de soi. Mais Hérodote veut dire que les Scythes ne prirent ni le chemin qui vient du pays des Sapires ou mieux Tapoures, ni celui qui partant du Palus-Méotide aboutit à la frontière septentrionale des Mèdes. On lui a raconté, et il n'a pas très bien compris, que les Scythes, agresseurs de Cyaxares, avaient laissé à leur droite le Caucase persan ou l'Elbourz pour pénétrer sur les territoires iraniens dans la direction de l'Hyrcanie et de la Bactriane, ce que nous avons reconnu plus haut être sur la route ordinaire de ces peuples vers les contrées pures.

Cyaxares et les Mèdes ayant été battus par les Scythes, abandonnèrent pour un temps leurs projets de conquête contre les Assyriens. Mais les vainqueurs, restés seuls maitres du terrain pendant l'espace de vingt-huit ans, ayant rendu insupportable leur domination déprédatrice, les Mèdes réussirent à inviter le plus grand nombre des chefs à un festin, et les ayant enivrés les massacrèrent. Alors Cyaxares reprit le cours de ses conquêtes. Il se présenta de nouveau devant Ninive, s'en empara, et subjugua tous les Assyriens jusqu'au pays de Babylone exclusivement. Ceci fait, il mourut après un règne de quarante ans, y compris les dix-huit ans qu'il lui avait fallu porter le joug des Scythes.

De tout cela, Diodore ne sait pas un mot, et il se contente de rappeler ce qu'il a déjà dit du peu d'accord des historiens assyriens et mèdes sur cette partie des annales de la dynastie d'Ecbatane. Ctésias, son guide favori, n'avait donc rien raconté de pareil, et par la raison très simple qu'il ne considérait pas l'ensemble de ces faits comme appartenant à l'histoire de la Médie, non plus qu'il ne prenait Cyaxares pour un roi mède ; car il n'est pas admissible que le Cyaxares placé par lui à la tête de la généalogie médique là où Hérodote a nommé Déjocès, puisse être identifié avec la personne du conquérant de Ninive. Ce n'est que l'écho d'un nom.

Les Asiatiques présentent ]'histoire de leur Cyaxares, de Menoutjehr, sous un jour qui, avec plus de poésie, a aussi beaucoup plus d'intensité et de vérité.

Férydoun avait eu trois fils : Iredj, surnommé Pesheng, fils d'une fille d'un des grands vassaux iraniens et qu'on appelait Irandokht ou la fille de l'Iran, et Tour et Selm, nés l'un et l'autre d'une fille de Zohak. Iredj représentait le sang le meilleur de la race pure, au lieu que ses frères, à demi iraniens, étaient aussi à demi étrangers. Tandis que le premier était la personnification de la nation choisie et du vrai peuple de la Montagne, Tour, son frère, était celle des peuples scythiques, ses parents, mais ses parents avides, ambitieux, perturbateurs de son héritage ; et Selm, celle d'autres parents, les peuples de l'Occident, les Assyriens surtout, rancuneux adversaires de l'Iran délivré de leur joug. La tradition rapportée par Ferdousy ne laisse pas oublier un instant ce fait que la famille de Selm était dominée par l'influence d'une origine odieuse, et il a bien soin de remarquer non seulement pour Selm lui-même, mais encore pour son petit-fils Gherkwy, que c'était là le produit de Zohak à peine modifié.

Ainsi le monde d'alors, en tant que les Asiatiques le connaissaient, se partageait entre l'Iran, la seule partie intéressante, le Touran, où abondaient des masses de cavaliers pillards et menaçants, le pays de Selin enfin ou l'Occident, dans lequel couvaient tous les mauvais vouloirs. En dehors de ces trois éléments principaux, On apercevait encore les Hindous et les vassaux peu fidèles du Kaboul ; ces derniers ne perdaient pas une occasion de nuire aux contrées pures, mais ils ne jouaient qu'un rôle secondaire.

Je n'ai pas besoin de rappeler qu'en faisant d'Iredj bills de Férydoun, je me conforme simplement à la version du Shah-nameh. Je ne veux ni infirmer ni encore moins détruire l'autorité des textes que j'ai cités plus haut et qui tendent à mettre entre Férydoun et Cyrus une longue descendance de souverains. Je me borne à consigner telle quelle la conception idéalement vraie, mais trop grandiose, trop simple, troll absolue pour être matériellement historique, que Ferdousy a conservée de l'état des affaires à l'époque qui nous occupe.

Iredj, attaqué par ses deux frères, trahi et persécuté, fut tué par eux, et Menoutjehr, son fils, lui succéda dans l'amour de la nation pure. Il était né dans la Montagne, à Manwesch, dit le Borhan-é-Gaté. Tolites les grandes familles fidèles se pressèrent autour de lui, et l'affection qu'elles avaient eue pour son grand-père Férydoun le couvrit d'une sorte d'auréole. Mais tout à coup les guerres qu'il conduisait contre Selm, l'Occidental, furent interrompues dans leurs succès par une attaque désespérée des Touranys qui, venant en aide à leurs alliés, exécutèrent une diversion puissante, couvrirent les frontières du nord de nuées épaisses de cavaliers, et se mirent à ravager l'Iran oriental. Menoutjehr et ses héros, impuissants à contenir une pareille tempête, furent obligés de quitter M'aga, d'abandonner les plaines et de se réfugier dans la Montagne, où ils résistèrent de leur mieux à leurs innombrables ennemis.

Pendant deux ans, ceux-ci, les tenant bloqués dans les vallées, se comportèrent en maîtres impérieux dans toutes les contrées pures. Mais enfin, lassés par la résistance de Menoutjehr et ne pouvant réussir à le forcer, ils se laissèrent persuader, moitié lassitude, moitié ennui, de lever le siège inutile qu'ils faisaient des défilés du Roustemdar, dans l'Elbourz, et, plus par adresse que par force, on en fut débarrassé, et ils regagnèrent leur pays.

Une fois délivré de ce péril, Menoutjehr, sortant de l'Elbourz, s'avança vers l'occident. Il alla attaquer sur son propre territoire Selm, le représentant de la race de Zohak, le combattit, et le tua de sa propre main. Les documents en prose racontent, à la suite de cet exploit, la conquête de l'Assyrie tout entière, et ils ont un tel sentiment de la façon dont Menoutjehr gouverna cette grande région après l'avoir soumise, qu'ils le présentent comme le premier qui l'ait fertilisée par l'ouverture de canaux d'irrigation, inconnus dans la Mésopotamie avant son règne. Il ne s'arrêtent pas en si beau chemin, et leur conquérant favori pousse ses triomphes jusqu'eu Égypte.

Les poèmes sont moins libéraux envers Menoutjehr, et limitent un peu plus ses succès. Ferdousy ne dit pas même explicitement que la défaite et la mort de Selm aient été suivies de la prise de possession des États de ce dernier. Mais le fait ressort pourtant des détails que le poète de Nishapour ajoute au sujet de la domination incontestée, qui appartient dès lors à l'Iran, sur les provinces du prince vaincu. Le récit de la mort de Selm tel que le donne le Shah-nameh, assez caractéristique pour être présenté ici, donne lieu à une scène d'une grandeur toute féodale. Menoutjehr vient (l'exterminer le dernier souverain ninivite. Les vassaux de Selm, tremblants pour eux-mêmes, se tiennent devant le vainqueur. Celui-ci, debout, armé, à l'entrée de sa tente, écoute leurs sollicitations et leurs prières : ils demandent qu'il leur soit permis de rendre les honneurs funèbres à leur chef. Le monarque iranien leur répond :

J'ensevelirai l'objet de votre amour, et par là je glorifierai mon nom. Toute action qui n'est pas dans la voie de Dieu est dans celle d'Ahriman. Elle est mauvaise. Qu'elle reste loin de ma pensée ! qu'elle aille aux méchants et aux monstres ! Je ne vous demanderai compte ni de votre haine pour moi, ni de votre amour pour mes ennemis. Une fois vainqueur, mes rivaux, mes yeux, sont innocents. Aujourd'hui je dois être juste ou injuste. Je n'ai plus à frapper, je n'ai plus à soumettre. Demandez-moi de vous aimer. Commencez donc librement vos chants funéraires. Laissez là les instruments guerriers. De toute race malfaisante détournez-vous ! et que vos prêtres sages s'assemblent à votre appel. Dans vos contrées, dans celles des Turks du Tjin, dans les provinces du Roum, choisissez à votre gré un lieu brillant pour y placer la sépulture de celui qui fut votre roi. Livrez-vous sans crainte à ce pieux travail. — Alors des voix s'élevèrent, sortant des tentures qui voilaient la demeure intérieure : Ô héros, exemple de vertus et de sagesse, ne songez plus désormais à verser le sang ! Que la fortune ne soit plus contrainte par vous à troubler l'univers !

Voici donc Menoutjehr maître d'une monarchie singulièrement agrandie, et telle que celle de Férydoun pouvait sembler petite en comparaison ; mais la constitution intérieure n'en était pas changée. Les grandes familles vassales des Gawides, des Çamides, des descendants de Nestouh, possèdent leurs anciens fiefs, augmentés ou rehaussés par l'éclat que la victoire fait rejaillir sur leurs maîtres ; et à coté de ces races primitives on voit s'en élever une nouvelle, destinée à avoir beaucoup plus de retentissement dans l'histoire du monde. C'est celle d'Aresh, l'éponyme des Arsacides, qu'Abdoullah-Mohammed, fils de Hassan, fils d'Isfendyar, appelle le Razy, ou l'homme de Rhagès, dans sa précieuse Chronique du Taberystan.

Il a déjà été dit plus haut que la population iranienne de l'Hyrcanie, ces anciens colons qui, au temps des Djems, avaient les premiers arraché le pays aux dyws et l'avaient cultivé, avait subi à son tour, avant Férydoun, une invasion de Scythes. Le nom particulier de ces nouveaux arrivants était pour les Grecs, sous Cyrus, les Derbikkes, Derbysses ou Dyrbæi, et le Shah-nameh les connaît sous le nom de Berdeh, dont il fait le chef de la nation ; quant aux Indiens, ils nomment ces peuples Paradas, et le zend les appelle Pouroutas[1].

Les généalogies en prose, recueillant. ces souvenirs et entrevoyant leur véritable portée, ont fait de Bertas ou Pertas un fils de Kemary, fils de Jafès, fils de Nouh. Ainsi nous trouvons tout à la fois dans les annalistes grecs et dans les Orientaux, le plus ancien souvenir des Arsaces et des Parthes reproduit d'une façon très concordante.

Ferdousy s'accorde avec Ctésias pour reconnaitre que la nation scythe dont il est question occupait l'Hyrcanie, et étendait ses domaines jusque dans le Kohistan de Rey, à l'est, vers la région du bourg actuel de Damghan, lit où fut plus tard Hékatompylos. Il parait que ces tribus étaient venues originairement du Ladakh, où elles s'étaient fait une réputation d'intégrité dont les Grecs eurent connaissance au temps des Achéménides.

Les Dyrbæi, dit Ctésias, sont heureux, riches et justes. Ils ne nuisent à personne. Si quelqu'un d'entre eux trouve sur son chemin quelque argent ou des objets quelconques, il rend tout au propriétaire. Leur conduite est réglée par des rites religieux, et ils ne se nourrissent que de végétaux.

C'est peut-être beaucoup de vertus et bien de la discrétion pour des gens des Montagnes et des Scythes. Mais il faut conserver les paroles de Ctésias[2]. En tout cas, on ne saurait révoquer en doute la gloire des Dyrbæi. Elle avait traversé la région de l'Iran oriental et franchi l'Indus. Les Parthes comptaient au nombre de leurs tribus une race particulière et prééminente. C'étaient les enfants d'Ashek, appelé aussi Aresh et Ashkesh, et dans ces formes d'un même nom on retrouve la double source des dénominations d'Arsaces et d'Ashkanyans, données aux grands rois parthes par les Grecs et par les Asiatiques[3].

La nation entière avait suivi l'exemple des Çakas du Zawoul et du Seystan, et ses chefs imitaient aussi les Çamides. Comme ces derniers, ils avaient rendu hommage à Menoutjehr, et même déjà à Férydoun, et combattaient sous les enseignes de ces rois.

Les auteurs persans, moins bien renseignés que Ctésias sur les vertus religieuses des Parthes, insistent, en revanche, sur leurs mérites guerriers, et reconnaissent ces cavaliers comme dignes de beaucoup d'éloges, en tant qu'excellant à tirer de l'arc. Il parait que les Parthes faisaient en ce genre mieux que tous les autres et maniaient merveilleusement ces armes, faites d'un bois léger et lançant des traits courts dont Hérodote leur attribue l'habitude. Les contes orientaux insistent d'autant plus sur ce mérite spécial, qu'ils y rattachent le souvenir d'un service mémorable rendu par la maison régnante des Parthes à la monarchie iranienne.

Quand Menoutjehr fit parvenu, plutôt par ruse que par force, ainsi qu'on l'a vu plus haut, à délivrer son pays de la présence des Scythes, et qu'il eut déterminé leur roi Afrasyab, descendant de Tour, à faire la paix, il fallut fixer la frontière respective des deux États.

Afrasyab prétendait repousser jusqu'au pied de la chaîne de l'Elbourz la limite de l'Iran, et dans ce cas les domaines des Parthes eussent fait partie de la Scythie, puisque l'Hyrcanie aurait cessé d'appartenir aux contrées pures, Menoutjehr n'acceptait pas de pareilles conditions. Pour se mettre d'accord, les Iraniens et les Scythes s'adressèrent à Aresh, le plus directement intéressé dans la question, puisqu'il s'agissait de sa nationalité future.

Le roi des Parthes monta tout armé jusqu'au dernier sommet du Demawend, et là, se tournant du côté de l'est, il saisit son are, prit une flèche dans son carquois, l'ajusta sur la corde et la fit partir avec force.

La flèche vola depuis le lever du soleil jusqu'à midi et vint tomber sur la rive du Djihoun. Ainsi fut fixée la frontière, et l'Hyrcanie resta annexée aux États du grand roi iranien.

Aresh était d'ailleurs, avant cet exploit, un chef fameux dans les conseils et dans les camps. Au temps où la guerre avait commencé entre l'Iran et le Touran, raconte Abdoullah-Mohammed, le roi, étant occupé dans le sud, chargea de la défense les deux feudataires dont les domaines se trouvaient envahis. C'étaient Garen le Gawide et Aresh le Parthe. Ils firent de leur milieux l'un et l'autre ; mais Menoutjehr fut informé que la fidélité de Garen avait été tentée ; et, dans un accès de défiance injuste, il ordonna de l'emprisonner.

Aresh, resté seul, fut battu par les Scythes, et les affaires ne se rétablirent que lorsque le Gawide, dont l'innocence avait été reconnue, eut repris sa place auprès de son frère d'armes. Alors les deux chefs réunis attaquèrent les Scythes, qui, ayant passé tous les défilés de l'Elbourz, débouchaient dans la plaine au-dessus de l'emplacement actuel de Téhéran, près du village de Doulab, et marchaient sur Rhagès. Ce fut le théâtre resté fameux d'une des plus terribles défaites qu'aient subies les ennemis de l'Iran. Cependant ils étaient si nombreux qu'ils réparèrent bientôt ce rude échec, et toute la valeur de leurs antagonistes, soutenue par la présence du roi et des vassaux, ne les empêchant pas de pulluler autour des étendards sacrés, força ceux-ci à fuir dans la Montagne, comme je l'ai raconté plus haut. Mais dans ces alternatives de bonne et de mauvaise fortune, la haute réputation d'Aresh ne fit point entamée, et les Parthes, au jour de leur plus grand éclat, tinrent à honneur de se rattacher à lui.

Abdoullah-Mohammed, fils de Hassan, fils d'Isfendyar, a donné la détermination de la Parthyène d'après les documents sassanides qu'il a eus à sa disposition. Il l'appelle Fradeshwad-Gher, le pays de Fradeshwad, ou, dans une forme contractée, Fershwad. Il lui assigne pour limites, à l'ouest, l'Azerbeydjan et l'Ahar ou Arrau, petite contrée à côté du Ghylan ; au nord, le Taberystan, le Ghylan et le Deïlem ; au sud, les plaines de Bey, de Koums et de Damghan ; à l'est, le Gourgan. C'est à peu près ce que les Grecs ont dit de l'étendue de la Parthyène ; mais le chroniqueur persan ajoute que ce territoire fut ainsi fixé au temps du roi Menoutjehr, et l'on a d'autant moins de sujet de douter de sa parole que rien ne contredit ici ce que l'on sait par ailleurs de l'extension du troisième Iran.

Les circonscriptions ainsi remaniées, la capitale de l'empire cessa d'être Amol ou Témysheh. Il n'était plus possible à un prince dont les États atteignaient à l'orient les rives de l'Indus et à l'occident celles du Tigre, de se tenir enfermé au fond des montagnes, en face des eaux de la Caspienne. La tradition assure donc qu'une autre métropole fut choisie, mais elle ne peut donner que très vaguement l'indication de cette nouvelle cité. Abdoullah-Mohammed la place dans le Taberystan ; d'autres prétendent que ce fut Ragha ; plusieurs assurent que ce fut Pehlou. En réalité, ces avis diffèrent peu. Pehlou est une dénomination idéale qui indique seulement le siège de la race iranienne héroïque ; Pehlou ou Pehlewan signifie précisément le héros, et on a dit que Fars était fils de Pehlou, fils de Sem, fils de Noé, autrement que les Perses se rattachaient aux anciens patriarches, dont les Arabes ont voulu faire un rameau de la famille sémitique. Les Indiens connaissaient les gens de l'Iran sous le titre commun de Pahlawas. Comme les Pehlewans demeuraient dans la Montagne, Pehlou y était nécessairement situé. Le Taberystan ne s'étend pas tout à fait assez vers le sud pour qu'il y eût utilité à quitter Amol en restant dans ses confins ; mais Ragha est à fort courte distance, et on peut, à la rigueur, supposer que cette ville faisait partie de la province royale. Je penche donc à croire que c'est à Ragha, cité ancienne, célèbre et considérable, que s'établit la famille souveraine et qu'elle plaça le siège de son autorité.

Menoutjehr mourut dans sa gloire, et sou fils Nommer lui succéda. On va voir une suite de rois venir après celui-ci et séparer son règne de celui de Cyrus, qui, d'après Hérodote, n'eut qu'Astyages entre lui et Cyaxares. Mais j'ai montré tout à l'heure que les Grecs eux-mêmes n'étaient nullement d'accord sur ce point. Tandis que les savants de la Babylonie, remontant beaucoup plus haut que les Iraniens dans une certaine partie du passé, mêlaient sans doute les faits et les règnes, mais conservaient le souvenir de leur compatriote Déjocès ou, du vainqueur Phraortes ou Férydoun, du conquérant Cyaxares ou Menoutjehr, gardaient enfin les trois noms principaux qui semblaient résumer l'histoire de leurs rapports avec l'Iran, la cour de Suse ne parlait au médecin de Guide que de la partie des animales qui intéressait directement soit la famille, soit la monarchie des Achéménides, et à laquelle son histoire propre se rattachait. C'est pourquoi elle mettait Cyaxares ou Menoutjehr à la tête d'une liste beaucoup plus longue que ne le faisait Hérodote. Elle est ici d'accord avec la tradition persane, et elle a raison sans doute. La confusion ne peut naître que de la tentative impossible à laquelle se sont livrés les Grecs, et après eux les modernes, de chercher des points de conciliation entre la table d'Hérodote et celle de Ctésias. Ces tables sont toutes deux vraies au tend, mais ne portent pas sur des synchronismes, et, de plus, celle de Ctésias représente à hi fois et la lignée des Abtiyans antérieure à Férydoun, et celle des descendants de Menoutjehr antérieure à Cyrus. Les causes de la confusion, pour Hérodote comme pour Ctésias, sont en ceci, que les Babyloniens et les Perses s'efforçaient de présenter comme leur histoire particulière ce qui était celle des nations iraniennes dont ils faisaient désormais partie, mais auxquelles ils n'avaient jamais appartenu ! sous le rapport ethnique, et dont le passé par conséquent ne présentait pas pour eux un enchaînement bien net.

Quoi qu'il en soit, l'histoire persane dit la vérité quand elle met plusieurs rois entre Menoutjehr et Key-Khosrou ou Cyrus. Les Indiens, tout à l'heure, nous en donneront la preuve.

Noouzer ne débuta pas d'une manière heureuse ; il sembla ne pas devoir marcher sur les pas de son glorieux père. Les annalistes persans traitent avec sévérité ses premières années, et Ferdousy intitule rudement un de ses chapitres : Désertion de Noouzer des mœurs de Menoutjehr ; Çam le remet dans la droite voie. Les grands vassaux étaient les tuteurs naturels des princes qui avaient besoin d'être morigénés, et nous allons voir se passer dans l'Iran ce qui arriva chez nous quand les Mérovingiens abâtardis ne soutenant plus l'empire, les héros de la maison d'Austrasie violentèrent à la fois les bras et le sceptre de ces suzerains. On accusa Noouzer de passer sa vie dans la mollesse : manger, dormir, ne rendre justice à personne ; insulter de ses emportements les prêtres et les seigneurs, rester invisible à ceux qui avaient affaire à lui ; se montrer rapace et poursuivre avec tant d'âpreté l'argent de ses sujets, que, pour sauver leurs biens, ceux-ci durent en grand nombre émigrer hors de ses États, voilà ce que la tradition lui reproche ; et il en fit tant qu'il la fin les guerriers s'insurgèrent, et l'empire fut rempli de tumulte, de cris et de sédition.

Alors le roi prit peur et écrivit à Çam d'accourir à son aide. Celui-ci se trouvait dans le Mazandéran. Il fit battre le tambour en toute hâte, réunit ses hommes, et, doublant les étapes, s'avança à grandes marches du côté de la capitale.

Aussitôt que le bruit de son arrivée se fut répandu, les rebelles s'empressèrent de toutes parts autour de lui, et lui expliquèrent les motifs qui les avaient poussés à l'insurrection. Çam écouta les plaintes et les griefs ; mais quand la foule des vassaux révoltés eut fini de plaider sa cause, il répondit :

Dieu, qui nous a créés, a établi ce roi ; car puisque Noouzer est de la race souveraine, et qu'il siège sur le n trône, honoré de la ceinture, mon devoir est de mettre n la main à la couronne pour l'affermir sur la royauté.

Comme personne ne paraissait convaincu, il continua avec plus de véhémence :

Ô seigneurs, qui que vous soyez dans le monde, est-il possible que quelqu'un de vous ait une telle furie ? Si une faible fille du roi Menoutjehr occupait ce trône et portait la tiare, je voudrais, moi, n'avoir d'autre oreiller que la terre de ses pieds, et je la contemplerais avec un dévouement sans bornes ! Quant à Noouzer, son cœur d'enfant a déserté la voie où marchait Menoutjehr ; c'est qu'il n'a pas encore beaucoup vécu. L'expérience de la vie lui manque ; il faut lui montrer que ce qui lui semble aisé et charmant est difficile et dangereux. Je me charge de ramener au bien cet élu de Dieu qui s'égare. Je rendrai le monde heureux de sa lumière. Le sol où Menoutjehr a posé son pied est ma place ; ma couronne est l'empreinte où le cheval de Noouzer a imprimé son pas ! Je parlerai ! je conseillerai ! Mes conseils rendront la fortune favorable. Quant à vous, repentez-vous de ce qui s'est passé ; rentrez dans une meilleure route !

Les seigneurs cédèrent enfin à la voix de Çam, et se courbèrent sous le devoir. Pour le héros, il se rendit en hâte auprès du roi, et commença par se prosterner au pied du trône et baiser la terre. Mais aussitôt que Noouzer eut aperçu celui auquel son père mourant l'avait recommandé, il se leva et vint se jeter dans ses bras. Après beaucoup de caresses, le prince écouta ce que le guerrier avait à lui dire :

Roi, s'écria Çam, tu es tout ce qui nous reste de Férydoun ; songe donc à te montrer tel dans le pouvoir et la justice, que chacun puisse rendre de toi bon témoignage... Tout homme qui attache son âme aux plaisirs du monde, les sages le classent parmi les fous... Conduis-toi ainsi dans cette vie passagère, que tu ne sois pas déshonoré devant Dieu. Férydoun n'est plus, mais il nous reste de lui le chemin de la Loi ! Ce qui reste du misérable Zohak, c'est la malédiction qui pèse sur lui !

En donnant ici le récit du poète du Shah-nameh, je me plais à faire observer combien, même dans le détail, Ferdousy a suivi de près la tradition. Il y a sans doute quelques couleurs empruntées à son temps dans le tableau qu'il a tracé. Mais, en somme, ce n'est pas à la cour d'un prince turk du dixième siècle, hardi aventurier, conquérant despotique élevé contre la légitimité religieuse des khalifes, que le poète avait pu recueillir ces maximes toutes féodales du respect dû au rang des souverains et du droit qu'ont les vassaux de régenter leur prince. Il ne faisait là que raconter ce que les Dehkans lui avaient appris, non seulement de l'histoire, mais encore des mœurs du passé, et je ne fais nulle difficulté d'admettre qu'en somme il a bien rendit l'ensemble des rapports de Noouzer avec son puissant vassal.

Noouzer promit ce qu'on lui demandait, et se déclara repentant de sa mauvaise conduite. Il changea complètement ses mœurs, en effet, et désormais fut un bon roi. Mais de grands événements se préparaient, auxquels il ne prit personnellement que fort peu de part, sinon pour être constamment battu et constamment tiré d'embarras soit par les Çamides, soit par les Gawides, jusqu'au moment où, fait prisonnier par les Touranys, il eut la tête tranchée, après un règne de sept ans. On peut donc supposer que le regret qu'il éprouva des premiers déportements de sa vie royale ne lui donna ni les talents ni l'énergie que réclamaient les circonstances, et qu'il fut, peu de chose près, ce que nos anciens chroniqueurs appel- lent un roi fainéant, c'est-à-dire nu roi qui n'était pas digne de l'être.

Le trait capital de ce temps-là, ce furent les guerres contre les peuples du nord. Cette situation se conçoit sans aucune peine. Elle est indiquée par l'ensemble des faits.

Le mouvement même qui, sous Abtyn et sous Férydoun, avait affranchi l'Iran de la domination assyrienne, s'il avait pour justification la nécessité de délivrer la race pure du joug de ses ennemis et de faire revivre l'ancien empire des Djems, avait pour véritable raison d'être, pour cause initiale, la recrudescence de forces manifestée par le monde scythique. Abtyn était allié aux Scythes, Férydoun était leur parent, une partie de ses vassaux étaient des Scythes, et ce fait est parfaitement indiqué par la tradition quand, rattachant l'éponyme Tour au sang de Férydoun lui-même, elle le montre entrant, avec son frère l'Iranien et son autre frère l'Assyrien, en compétition pour l'empire du monde. L'Assyrien, fatigué de ses défaites, épuisé par sa longue domination, n'avait plus qu'à dormir dans la servitude ; les Scythes, au contraire, excités par leurs besoins, leur vie guerrière, les succès de leurs parents, faisaient des efforts multipliés pour conquérir et régner. De là les guerres qui suivirent la mort de Férydoun, et dont nous venons de voir que Noouzer fut la victime.

Le nom de Tour, qui, à dater de cette époque, devient la racine de la dénomination géographique Touran et de son dérivé ethnique Tourany, désignera désormais les Scythes de tontes tribus, l'ensemble des races turkes, les Mongols, les Tatars, les Chinois, tout ce qui enfin menacera ou envahira l'Iran du côté du nord-est, quelque divers que soient les instincts de ces multitudes, leurs origines, leurs physionomies, leurs rôles. Par conséquent ce mot signifiera Turk ou Tjyny, qui, suivant le goût des auteurs et les préoccupations des temps, lui seront quelquefois substitués, sans intention chez les annalistes d'indiquer aucune différence de signification. Ce serait d'ailleurs, en ce qui concerne le mot Turk, une idée peu rationnelle, car il parait bien que ce n'est qu'une forme du mot original Tour, devenu Tourek ou Turk par une habitude commune à tous les peuples iraniens, qui ajoutaient aussi volontiers un k final à tous les mots, que les Persans modernes un h. Un philologue asiatique attribue l'origine de la langue turke à Aous, fils de Ter. Dans l'ancien dialecte, la forme employée était Tourya.

Cette dénomination veut dire ennemi, et n'emporte avec elle aucune désignation qui se puisse appliquer à une race particulière. C'est donc tout à fait à tort que l'on a prétendu réserver cette expression pour indiquer la famille des peuples jaunes. Il en est résulté les notions les plus fausses, et sur la nature des Scythes, pris, sur la foi de ce mot mal entendu, pour des Mongols, et sur la nature des Turks eux-mêmes, atteints sans doute à un certain moment de l'histoire par des mélanges de ce sang, mais qui ne l'étaient pas d'abord et qui ne le furent même jamais dans la somme entière des branches de leur famille ; et enfin, sur la nature des Tatars, plus jaunes que les Turks, mais non pas encore à considérer comme appartenant au groupe finnique, car ils n'ont été que des métis, où un certain appoint de sang blanc arian, fort ou faible, s'est toujours et partout conservé[4].

La preuve la plus directe que le mot Tour, ou Tourya, ne désigne pas des peuples jaunes, niais seulement des ennemis, c'est que les Afghans, je le tiens du Serdar Kandahary Mir-Elem-Khan, appellent Tour les populations noires ou brunes, telles que les nègres et les Hindous, et, par opposition, Sour ou Syriens »les peuples non noirs, Turks, Ouzbeks, Européens, Chinois et Mongols. Si l'on veut prendre le nom de Tour dans le sens que lui accordent les écrivains orientaux, c'est-à-dire comme indiquant les peuples descendant du nord-est, il est clair qu'à un moment donné les Arians, Grecs, Scythes, Iraniens, Hindous, ont été des Touranys. Si, au contraire, on l'entend dans sa véritable portée étymologique, qui est la seule bonne, l'expression de Tour et de Tourany ne signifie plus que des peuples de quelque race ou sang que ce soit, attaquant l'Iran du côté du nord-est. Ce qui achève de rendre cette interprétation nécessaire, c'est que les Indo-Gètes eux-mêmes, Touranys par excellence, ne nous montrent sur les médailles qu'ils nous ont laissées que des effigies d'un caractère physionomique tout à fait indo-germain, entourées de légendes dont le langage est absolument arias. En conséquence, il restera bien entendu que chaque fois que le mot Tourany se présente dans les annales antiques de l'Iran, il équivaut à ceux de Scythe, de Turk, de Tjyny, et qu'ensemble ces appellations indiquent des populations alors hostiles à l'Iran, mais non d'autre race que les Iraniens primitifs[5].

Le personnage appelé Tour, comme celui appelé Selm, résume une race de souverains qui ne remonte pas plus haut que l'âge de Férydoun. C'est celle de rois arians-scythes, vraisemblablement alliés par le sang- aux rois iraniens et qui guerroyaient avec leurs nations sur la frontière du nord-est dans l'espoir de faire des conquêtes et de s'avancer vers le sud. En lui-même, Tour n'est pas une individualité distincte, et se montre, à l'origine de l'histoire des rois du 'fourmi, tel que l'on a vu Keyoumers, le Roi des hommes, aux premiers âges de celle des rois iraniens. Bientôt la légende l'abandonne, et passe à un nom fameux qui a déjà paru une fois dans ces pages ; c'est Afrasyab[6]. Ce souverain n'est rien moins qu'une sorte de Djem-Shyd scythique. Sa gloire est le centre ci sera désormais le point de départ de toute gloire touranienne, et elle ira si loin qu'à l'époque musulmane même des dynasties turkes de la Perse se prétendront descendues d'Afrasyab.

On ne le considère pas comme très rapproché du temps où Tour a régné ;- au contraire, il en est séparé par un certain nombre de générations, et je vais citer à ce sujet deux tables généalogiques fort différentes. La première m'est fournie par le Nasekh-Attevarykh, et elle est ainsi établie :

Férydoun.

Wershyb.

Tour.

Shanpaseb.

Sherwan.

Pesheng ou Zadeshem.

Zow.

Afrasyab.

Terk.

 

Le Tarykh-é-Fars, ou Chronique du Fars, présente les noms suivants :

Férydoun.

Bourek.

Tour.

Rayermen.

Tourekh.

Fash.

Tourshesb.

Afrasyab[7].

Asanyaseb.

 

J'ai déjà fait observer que si de pareilles listes ont en vérité une grande valeur historique et demandent à être recueillies avec soin, ce n'est nullement qu'il faille accorder une foi implicite à leurs détails, ni même peut-être qu'il soit sage de s'y arrêter beaucoup ; mais parce que le fait de leu ; existence démontre d'une manière peu réfutable que, dans l'opinion des peuples, une suite de princes tombés d'abord dans l'obscurité, puis en grande partie dans l'oubli, ont séparé des noms éclatants qu'on ne manque pas de rapprocher indûment les uns des autres, comme Hérodote a fait pour Astyages et Cyrus. Ici les deux séries contrastantes que je viens de citer servent à prouver que la généalogie placée entre Férydoun et Noouzer repose sur un fondement solide, et que plusieurs générations séparent ces princes, puisque ces deux listes existent simultanément pour les familles royales du Touran et de l'Iran avant Noouzer et Afrasyab, qui autrement ne pourraient être considérés comme contemporains.

Profitant de la faiblesse que le peu de mérite de Noouzer répandait dans l'empire, et lui opposant sa force, Afrasyab résolut la conquête ; quand il eut mis à mort le roi d'Iran, il se déclara son héritier, faisant valoir d'ailleurs qu'il descendait de Tour, frère aîné d'Iredj, et se prétendant ainsi plus autorisé dans son droit que ne l'avaient été les fils de Menoutjehr dans le leur.

Entouré de chefs de guerre dont les poèmes ne firent pas difficulté de célébrer la sagesse et la bravoure, Afrasyab commença par se saisir de l'Hyrcanie ; malgré l'héroïque résistance des Parthes, il força ces derniers à céder, et les rejeta dans les montagnes de Bey. Ensuite il envahit le Mazandéran, et ayant pénétré dans le Taberystan, il s'empara d'Amol, l'ancienne capitale : fort de cette situation qui le rendait maitre du centre des Pays purs, il se proclama roi de l'Iran.

Ainsi, après une succession assez longue de princes indigènes allant d'Abtyn à Nommer, qui ont compté des noms si glorieux que les intermédiaires se sont perdus et effacés dans leur rayonnement, la monarchie iranienne réclamée par les Scythes allait tomber entre leurs mains. Ce qui sauva l'empire et lui permit de lutter contre des parents impérieux, plus énergiques, mais moins civilisés, de sang plus pur, mais d'esprit moins aiguisé, ce fut l'organisation féodale du pays. En prenant Amol, Afrasyab n'avait saisi que des murailles de pierre, il ne s'était pas emparé de l'esprit de vie, non pas concentré au cœur, mais répandu dans tous les membres de la communauté. La grande maison des Çamides se roidit contre l'étranger, rejeta ses prétentions, lui refusa l'hommage et le porta à un personnage obscur, Zow ou Zab, issu du sang de Menoutjehr, assurait-on, mais, dans tons les cas, appartenant à la race de Férydoun, et qui surtout avait le mérite d'être Iranien. Ce chef nouveau eut pour principal appui la puissance des grands feudataires, qui l'arrachèrent à son humilité afin de l'opposer à l'invasion étrangère. Zab ou Zow monta donc sur le trône sons la protection et aussi sons l'influence des Seystanys, et Zal ou Zalzer, chef de cette famille, prit en son nom le commandement. Voici la généalogie que le Nasekh-Attevarykh attribue au nouveau monarque :

Menoutjehr.

Hywaseb.

Noouzer.

Kendjebouberz.

Maysoun.

Tasmasp.

Roumeh.

Zow.

Artedyb.

 

Le Tarykh-é-Fars, qui ne connaît pas Zow, prétend que ce fut un certain Shehryraman, descendu de Menoutjehr, qui fut roi, et il donne ainsi son lignage :

Menoutjehr.

Abtiyan Maysoun.

Noouzer.

Shehryraman.

Suivant cette version, Shehryraman, dont il est curieux de voir le père reprendre le nom générique de la race à laquelle Férydoun avait appartenu, aurait été un des seigneurs de la Montagne, probablement arrière-vassal de la couronne, et signalé au choix des Çamides par l'avantage qu'il procurait de faire continuer plus ou moins réellement la lignée royale après l'extinction des branches directes.

Quoi qu'il en soit, l'empire et surtout le Djebel étaient tombés dans une situation déplorable. La famine épuisait le pays, on ne trouvait plus de pain nulle part, et le peu qu'on en avait venait du dehors, car la guerre faisait tant de ravages que les champs restaient en friche. Une partie des seigneurs étaient prisonniers, les autres se défendaient à grand'peine. Les guerriers de tous les rangs étaient profondément découragés. Le roi Zow, et Zal, le chef des Çamides, réussirent à tenir ferme au milieu de ces désastres, et leur résistance fatigua tellement l'opiniâtreté d'Afrasyab qu'à la fin le roi tourany consentit à traiter.

Suivant le Shah-nameh, on en vint à un accord, par suite duquel le roi Zow reprit possession des territoires compris entre le Djyhoun et la frontière actuelle du Toucan, c'est-à-dire toutes les conquêtes d'Afrasyab. A l'est, il recouvra de même la contrée limitrophe du Tjyn et du Khoten, ce qui indique les terres au-dessus de la Bactriane et du Thibet. De son côté, Zal, le Çamide, livra aux Touranys le pays de Khergah ; il fut convenu qu'il n'y attrait plus de la part des Scythes d'incursions dans l'Iran ainsi reconstitué, et que Zow en serait reconnu pour le souverain effectif et légitime.

Sans prétendre discuter la valeur de la tradition, on peut cependant remarquer que le traité qu'analyse Ferdousy répond assez.mal à l'état des choses au moment où il fut contracté et à celui des temps qui suivirent. En outre, le poète ne mentionne aucune victoire des Iraniens contre leurs adversaires ; tout au contraire, il s'étend avec tristesse sur leurs misères et leur épuisement. Or, les plus beaux triomphes n'auraient pas obtenu de plus complète récompense que précisément les stipulations qui viennent d'être détaillées, et par lesquelles l'empire se serait trouvé reconstitué suivant l'étendue de ses jours de puissance. Enfin, pour dernier trait, il n'est pas dit, et il n'est en effet pas vrai, qu'Afrasyab ait cessé d'avoir sa capitale à Amol. De tout ceci, même en maniant les éléments de la légende avec la plus grande discrétion, il serait prudent d'en extraire l'opposé de ce qu'elle affirme, et, vu les illusions ordinaires de l'amour-propre national, de traduire ainsi le texte de la convention conclue entre l'Iran et le Touran.

Les Iraniens cédèrent définitivement à Afrasyab tout ce que celui-ci avait conquis jusqu'au pied septentrional de l'Elbourz, c'est-à-dire le pays qui va du Djyhoun au Taberystan. Le roi du Touron garda Amol pour capitale, et s'étendit dans l'est, de manière à toucher la frontière des États zawoulys appartenant aux Çamides. Le cœur de la Montagne resta au roi Zow avec les pays situés au sud, jadis occupés par Férydoun et Menoutjehr, Médie, Assyrie moins Babylone, Perside, Susiane, et leurs annexes. Ce qui va suivre démontrera que c'est bien ainsi qu'il faut comprendre les choses.

Zow quitta la Montagne et alla résider dans la Perside. Zal retourna vers le Seystan, siège principal de sa famille. Une prospérité très grande s'étant rétablie dans toutes les contrées pures, le roi, qui, suivant la parole du poète, était déjà vieux lorsqu'il avait commencé à régner, et pourtant avait rajeuni le monde, vit arriver, après cinq ans, le terme de son existence : il expira, laissant l'empire désolé de sa perte.

Son fils Kershasep prit la couronne. Mais il semblerait que le traité conclu avec les Scythes n'avait de valeur que tant que Zow vivait, car Afrasyab reprit les armes et attaqua le nouveau souverain. Les Indiens se joignirent à lui, et Kershasep fut réduit à faire face de tons les côtés. Il régna neuf ans sans parvenir à apaiser le tumulte des armes, soutenu par les Çamides, mais suffisant à peine à sa lourde tâche. Au moment de sa mort, sa famille s'éteignit avec lui, et l'Iran, n'ayant plus à porter sur le trône aucun prince du sang de Menoutjehr, tomba dans une confusion qui réduisit encore le peu de moyens qu'on avait eus jusque-là de soutenir les assauts désespérés des Scythes.

J'ai suivi la tradition conservée par Ferdousy, en donnant Kershasep pour le fils de son prédécesseur. D'autres écrivains ne reconnaissent ce prince que pour son neveu ; il aurait eu pour père un frère de Zow nommé Keshtasep, qui ne fut pas appelé au trône.

Avec ces rois de descendance un peu incertaine se termine la lignée arbitrairement conçue des souverains commençant à Keyoumers, et comprenant la série étrangère des Zohakides. C'est ce que les écrivains orientaux appellent les Pyshdadians, ou monarques primitifs.

A ceux qui vont suivre et qui se succèdent jusqu'à Pavé-liement d'Alexandre, on a donné la qualification également vague de Kayanyans, ou les Rois. Une telle classification n'engage à rien, et je ne la cite que pour mémoire ; car si elle ne trouble pas l'exposé des lilas, elle n'y jette non plus aucune lumière. Je ne pense pas même qu'on soit fondé à lui accorder une valeur chronologique, et c'est ce que j'ai établi déjà en quelques occasions.

Cependant Afrasyab et les Scythes saccageaient l'Iran. L'interrègne eût certainement porté un coup mortel à l'empire et l'eût fait tomber eu dissolution, s'il se fût prolongé. Les Çamides, dont la puissance avait jusque-là soutenu un édifice si attaqué et si chancelant, comprirent la nécessité de mettre fin à cet état critique ; 'Gal s'attacha activement à trouver un candidat qui pût être présenté comme possesseur de la qualité suprême à laquelle on pouvait espérer rallier l'amour et le dévouement des Iraniens, c'est-à-dire qui fût issu du sang des rois : il le découvrit là seulement où devait exister un tel personnage, c'est-à-dire dans l'Elbourz.

Je dis que ce fut Zal qui le fit connaître ; mais, en réalité, ce fut son fils, Roustem, qui le rencontra dans les solitudes de la Montagne et l'amena à son père. Il fut immédiatement reconnu, proclamé et intronisé. Il s'appelait Key-Gobad, ou suivant le Tjehar-è-Tjemen, Key-Ghobad ; c'est le nom que les Grecs ont écrit Gomatas. Un mobed se porta garant de sa descendance véritable et authentique de Férydoun ; tout ce qui était Iranien s'attacha à lui pour faire face aux Scythes. Mais les affaires étaient si mauvaises que le nouveau roi, ne pouvant sans doute se maintenir dans l'Elbourz inondé par les envahisseurs, se transporta dans les provinces du sud, fit de la Perside le centre de l'empire, et choisit pour capitale Istakhar, que nous nommons Persépolis. Ainsi, les Perses étaient appelés à jouer désormais le premier rôle dans les affaires de l'Iran.

L'intérêt considérable de cette transformation de la nationalité iranienne a naturellement porté les annalistes à s'enquérir des ancêtres directs de Key-Gobad. La plupart ne remontent pas plus haut que son père, Shenseg. Mais le Nasekh-Attevarykh donne une série plus longue, et rattache le nouveau roi et sa dynastie à Noouzer de la façon suivante :

Noouzer.

Dad.

Mansou.

Key-Gobad.

Nourkan.

 

Ce système n'offre aucune vraisemblance, car si Key-Gobad avait pli réellement se relier à Noouzer, la découverte qu'on avait faite de sa personne aurait été moins laborieuse, et Ferdousy surtout ne manquerait pas de lui faire honneur de sa parenté directe avec un prince aussi connu, aussi peu éloigné de lui, au lieu de le dire vaguement issu du lointain Férydoun, et de citer l'autorité contestable du mobed que les Çamides appelaient en témoignage. Le caractère le plus remarquable de la table du Nasekh-Attevarykh, c'est de supposer plus de deux générations entre Noouzer et Key-Gobad, et d'allonger encore la série des âges dans l'histoire de l'Iran antérieure à Cyrus.

La légende donne une grande réputation au règne de Key-Gobad. Puissamment aidé par les Çamides, il bat les Scythes en plusieurs occasions, les réduit à demander la paix, les contraint à céder toutes les provinces iraniennes qu'ils ont envahies, et rétablit les frontières là où Menoutjehr les avait placées. Un roi si glorieux règne cent ans ; il meurt laissant le trône à son fils Kenabyeh, prince obscur, qui n'est nommé que par un seul auteur. Mais il semble d'autant plus nécessaire d'en tenir compte, que la présence de ce nom dans la liste royale sert à faire comprendre le chiffre un peu considérable d'années que ceux qui le suppriment accordent à la domination de Key-Gobad[8].

Après lui vient Key-Kaous, son fils, et l'éclat jeté par le règne de ce prince est tel que, de mémo que les héros du passé, il est cité par les poèmes de l'Inde, qui le connaissent sous le nom de Kava-Ouçanas. Comme il à vécu cent cinquante ans, il faut admettre encore, d'après ce que nous venons de voir pour Key-Gobad, que des noms royaux se sont perclus autour de sa mémoire.

Cependant une autre supposition est non moins admissible. C'est qu'à cette date où l'histoire persane place un Key-Kaous, c'est-à-dire un roi Cambyse, il y a en effet un Cambyse, mais beaucoup moins notable, beaucoup moins glorieux qu'elle ne le suppose, et elle a transporté à ce plus ancien nom la gloire immense acquise par un autre Cambyse, par le fils de Cyrus, qui a fait oublier tout à fait les actions de son homonyme. La preuve de la justesse de cette observation se trouvera plus tard, quand on verra que le caractère général prêté par la légende au puissant Key-Kaous est absolument identique à celui que les historiens grecs reconnaissent à Cambyse. En conséquence, je ne ferai rien de plus ici que de noter sans le décrire le règne d'un prince appelé Key-Kaous, qui résida dans la Perside comme ses deux prédécesseurs.

Nous sommes arrivés à une époque capitale. Tous les écrivains orientaux sont unanimes pour placer après Key-Kaous le grand nom de Key-Khosrou, ou Cyrus.

Une période imposante finit ici. Une autre qui ne l'est pas moins, et qui présente plus de précision dans ses traits, va commencer ; mais il faut, avant de s'y engager, examiner un point très digne d'être relevé.

Ni Hérodote avec ses renseignements babyloniens, ni Ctésias et Diodore avec leurs connaissances puisées dans les archives de Suse, ne savent absolument rien des rois qui ont suivi Cyaxares, si ce n'est d'Astyages, que l'on a vu ne pouvoir correspondre au rôle à lui assigné par les Grecs, qui n'a certainement pas tenu la place où ils le mettent dans la chronologie, et qui, sur la déclaration péremptoire très motivée de Ctésias, n'était ni le grand-père ni même le parent de Cyrus.

Cependant nous avons là cette lignée qui s'étend de Noouzer à Key-Kaous, et dont il n'y a pas moyen de discuter la réalité générale.

Si l'on observe qu'une liste royale, celle (les Perses, aïeux de Cyrus, nous a été conservée et var Hérodote et par Ctésias ; si l'on fait encore attention que la légende persane reconnaît que, depuis Key-Gobad du moins, le séjour du roi a été fixé dans la Perside ; si l'on veut se rappeler encore que le nom de Cambyse revient souvent dans cette liste, comme ceux de Kenabyeh et de Kaous, qui le représentent, reparaissent aussi dans la table iranienne ; si l'on reconnaît enfin que les généalogistes ont dû attacher un prix considérable à exagérer, sous les règnes de Cyrus et de Cambyse, la renommée et les exploits des aïeux de ces princes en les transformant, eux, simples feudataires de la Médie, en rois de l'Iran, il deviendra très  probable que depuis Key-Gobad jusqu'à Cyrus, il n'y a pas à établir une succession des descendants de Menoutjehr, mais, au contraire, qu'il faut considérer les noms dont je viens de dresser la série comme occupant une position synchronique vis-à-vis de ceux-ci. Ce ne seront plus des héritiers, ce seront des contemporains ; ce ne seront plus des monarques suzerains, ce seront des feudataires rehaussés par la gloire et la puissance de leurs descendants. Le résultat de cette façon de comprendre les faits sera de concilier assez complètement les récits grecs avec les récits persans dans tout ce que les uns et les autres ont d'essentiel. L'idée que j'exprime ici ne m'appartient pas. Elle ressort tellement de l'examen des choses, que Hamza Isfahany la consacre comme un fait indubitable. Il dit que Key-Gobad était né sous le règne de Zow, et il ajoute que même Kershasep fut roi dans ce temps-là ; en conséquence, il n'accepte pas que Key-Gobad et ses successeurs aient continué la suite des rois de l'Iran, et je pense qu'il a raison de les faire contemporains des derniers de la lignée de Menoutjehr.

 

 

 



[1] LASSEN, ouvr. cité, t. I, p. 525.

[2] Strabon ne parle pas tout à fait d'un ton si élogieux des Derbikkes ; ils avaient, suivant lui, l'habitude de tuer et de manger les vieillards au-dessus de soixante-dix ans ; quant aux vieilles femmes, ils les pendaient et les enterraient ensuite. Ces renseignements ne paraissent pourtant pas bien sérieux. Élien, Étienne de Byzance, Diodore, Denys d'Halicarnasse et Pomponius Méla ont aussi parlé des Derbikkes, alors considérés comme habitant près de l'embouchure de l'Oxus. Ils avaient à côté d'eux les Parses et les Dahæ, et un peu plus bas, au sud, les Tapoures et les Mardes. Toutes ces populations parentes devinrent plus tard le premier noyau des nations arsacides.

[3] Il serait assez admissible de rattacher au nom d'Aresh cette nation des Aorsi, nommés Adorsi par Tacite, et qui habitait entre le Daix et l'Yaxartes. Elle faisait à la fois un grand commerce de marchandise : indiennes et babyloniennes, allant chercher les dernières jusqu'en Médie avec ses chameaux. Tels sont les détails donnés par Strabon et par Mue, ainsi que par Tacite. Il est vrai que ce récit se rattache à une époque beaucoup plus basse que celle où nous sommes parvenus. Mais, d'un autre côté, je doute que les renseignements possédés par les auteurs que je cite fussent Lien récents, et il se pourrait qu'ils remontassent jusqu'à l'époque d'Alexandre. C'est un défaut favori des géographes de tous les temps d'être en retard sur les faits qu'ils exposent.

[4] Essai sur l'inégalité des races humaines, t. I, passim.

[5] Ce fait, déjà indubitable par lui-même, est encore plus évident par le témoignage de sculptures que l'on observe à Persépolis, à Bisoutoun et ailleurs. Nulle part les personnages figurés ne montrent le type filmique, ce sont toujours des Arians ou des Sémites, et une des applications de ce qu'on observe si aisément, c'est de faire ressortir l'absurdité criante du système qui voudrait trouver une langue jaune sous les inscriptions cunéiformes de la deuxième espèce. Je m'en suis expliqué dans le Traité des écritures cunéiformes, t. I, p. 339 et passim.

[6] Le Yesht-Avan le nomme Fragharsha.

[7] Maçoudy a sur la descendance des rois touranys une opinion autrement formulée. Suivant lui, il faut concevoir ainsi cette lignée :

Noub.

Soubvl.

Jafès.

Amour.

Les fils d'Amour, et parmi eux Arou ; les descendants d'Arou, qui sont les Arians. Parmi ceux-ci les Khozlodjs, beaux et grands par excellence, et issus de ce sang.

Les rois primitifs des Turks, sont Afrasyab et Shaneh.

Cette opinion contient évidemment un souvenir très net de l'origine ariane des Touranys, et mêle à des idées bibliques une tradition très authentique et très ancienne. Moroudj-Ezzeheb, XV. Ce qui n'est pas moins intéressant dans le passage de haute importance que je viens de citer, c'est que, des tributs issues d'Amour, une partie avait passé dans l'Inde, et y avait pris la coloration et la nature propre aux gens du pays ; une autre s'était répandue dans le Thibet. Quant au nom d'Amour, c'est l'Ymir scandinave, le Yima perse, le Yama indien, le Nemr sémitique, dont il a été question plus haut. Et Amour habitait primitivement dans le nord-est, dit Maçoudy.

[8] Sir John Malcolm, sur l'autorité d'un auteur qu'il ne nomme pas, attribue à Key-Gobad quatre fils : Key-Kaous, qui suit ; Aresh, évidemment l'éponyme des Arsacides ; Roum, celui des peuples de l'Asie Mineure, et Armen, celui des Arméniens. — T. I, p. 25. — Mais on a vu Aresh figurer déjà à une époque antérieure à celle-ci.