La tradition fait venir de Cette étymologie à la manière de Platon n'est pas plus
admissible que toutes celles dont le philosophe a égaré ses écrits.
D'ailleurs, le mot akh est arabe, et il n'est
pas à supposer que ce vocable sémitique ait eu cours dans les établissements
arians aux premiers jours de la conquête. Cependant, toute fausse que soit
l'hypothèse, elle révèle un sentiment vrai en lui-même. La plupart des chroniqueurs attestent que le premier
prince des hommes de Je ne vois pas non plus qu'il soit nécessaire d'établir une identité entre le Roi des hommes ou du pays dont il est ici question, et l'autre Roi des hommes qui s'est trouvé également placé en tête de la liste des souverains primitifs de l'Ayryana-Vaëja. Cette dénomination n'est pas personnelle, et peut-être pourrait-on même la retrouver dans le nom guerrier de l'ancien dieu italiote, Mars, qui serait ainsi le fantôme d'un des anciens chefs de ces Arians qui pénétrèrent aussi et le plus loin dans les terres occidentales. De même, du reste, que les premiers monarques iraniens n'ont pas laissé d'eux-mêmes un souvenir bien distinct, de même leurs grands vassaux de l'Elbourz ont vu s'effacer, sous le flot du temps, la meilleure part de leur personnalité. Le Keyoumers dont il s'agit ici porte aussi la qualification de Roi du marécage, du limon, de la boue. On explique ce titre en disant que lorsqu'il arriva dans ses domaines, il n'y trouva que de la terre et de l'eau et rien davantage. Les commencements de sa puissance furent donc des plus humbles. Le poile du Shah-nameh, Ferdousy, rapporte que Keyoumers n'était vêtu que d'une peau de panthère, et qu'avant lui on n'avait dans le pays qu'il occupait aucune idée de civilisation. On ne bâtissait pas de demeures, on ne savait pas même préparer les aliments. Le prince arian débuta par la guerre, mais la légende assure que ce fut après avoir vainement essayé de vivre en paix avec les aborigènes, et quand ceux-ci curent rompu perfidement les traités que d'abord ils avaient consentis. Aidé de ses enfants, de ses parents, de ses compagnons, fort de son droit, il attaqua les dyws et les contraignit à lui faire place. Alors il fonda deux villes, Demawend et Istakhr. La première de ces cités, nous l'avons déjà traversée.
Soit qu'il faille y reconnaître Varena la carrée, soit toute autre création
de la plus ancienne époque, il n'est pas douteux qu'elle date des premiers
âges. Quant à la seconde, Istakhr, c'est, suivant l'opinion des Persans
actuels, Persépolis, située au centre, de Les constructions entreprises par le roi lurent accomplies avec l'aide des dyws prisonniers, contraints de travailler pour leurs vainqueurs. Malheureusement, il s'en fallait de beaucoup que toute cette population fût captive. Le plus grand nombre errait librement dans les montagnes et menaçait sans cesse les colons. Keyoumers régna trente ans et mourut. Il parait avoir eu pour successeur son fils Syamek, que reconnaissait et protégeait, le suzerain de Balkh. Hamza Isfahany croit Syamek petit-fils de Keyoumers par Masha. Syamek continua la colonisation et combattit les dyws ennemis. Surpris par eux dans une embuscade, il fut tué. La légende fait grande estime de Syamek. Le plus ordinairement elle le représente comme un ascète qui avait renoncé à la royauté et s'était retiré dans le voisinage du mont Demawend, au fond d'un ermitage. C'est là que, suivant quelques auteurs, les dyws le surprirent pendant qu'il était absorbé dans la prière, et précipitèrent sur sa tête un énorme rocher sous lequel il resta écrasé. line telle manière de comprendre la personnalité d'un des premiers rois de l'Elbourz fait partie d'un système historique tout particulier qui semble appartenir à une époque assez basse, probablement au temps des Sassanides, où les Parsys s'accordèrent à considérer les anciens rois comme des saints. Cette idée a toujours été se développant chez eux ; elle s'est particulièrement exaltée chez les Guèbres de l'Inde, et elle a produit parfois les plus singuliers contresens. A Demawend, la tradition orale ne pense rien de tout cela au sujet de Syamek. Elle le tient pour un véritable souverain. On montre à peu de distance de la ville un hameau appelé Mamek-abad, ou la demeure de Mamek. Là demeurait la mère du prince assassiné par les dyws. Le souverain arian résidant à Balkh, autrement dit le
Djemshydite, continua à Housheng, fils de Syamek, ou, suivant Hamza Isfahany,
fils de Ferwal, fils de Syamek, la bonne volonté qu'il avait eue pour son
père[2]. Celui-ci fut une
espèce de Numa, et la légende lui donne le surnom de Justicier. Il mit un peu
d'ordre dans ses domaines, et avança l'œuvre civilisatrice en exploitant les
mines de fer et en façonnant des armes nouvelles. Il apprit à son peuple à
travailler le métal, 'a fabriquer des meubles de bois, à creuser des puits, à
prendre des ouvriers à gages. Il ne laissa pas non plus de gagner du terrain
sur les dyws, qu'il battit en plusieurs rencontres, et il fonda des
établissements étendus, bien qu'on ne s'accorde pas sur les noms de ses
villes ou qU'on en propose d'impossibles a admettre. Il mourut après avoir
commandé pendant quarante ans. Il avait eu un frère appelé Wyghert, qui a
passé comme lui, chez quelques auteurs, pour avoir été un prophète. Du reste,
c'est à Housheng que Hamza Isfahany commence la lignée des souverains, et il
le fait régner dans une ville très vaguement désignée sous le nom d'Istakhr
ou Boum-é-Shah, Après lui parut Tahmouras, qui voulut mériter et qui obtint le titre de Dyw-bend, le Lieur de dyws. Il fut surtout guerrier, et fit sentir aux aborigènes la pesanteur de son bras. On l'appelle aussi Zényawend. Quelques auteurs le donnent pour fils de Housheng. Plusieurs assurent qu'il n'était que son petit-fils, et qu'il avait pour père Dyw-Djehan. D'autres, comme Hamza Isfahany, mettent entre ces deux noms trois générations ainsi dénommées : Hunkadh. Ayounkadh. Veyven-Djehan. Mais c'est par une confusion manifeste avec la lignée des Djems. Tahmouras remporta de nombreuses victoires sur les
sauvages, en réduisit un grand nombre en servitude, et tout ce qu'il ne put
dompter il le repoussa dans les marais du Mazandéran, de sorte que sous son
règne la conquête de l'Elbourz fut achevée. On ne lui prête pas seulement des
exploits guerriers ; on veut aussi qu'il ait été un protecteur de la science,
et qu'il ait introduit l'écriture dans les cités de Il eut Djem-Shed pour successeur immédiat. On en doit
inférer que lorsque la dynastie des grands rois fut renversée par Zohak, la
lignée secondaire des souverains de l'Elbourz éprouva le même sort, et que le
torrent de l'invasion sémitique atteignit l'existence politique de Après la bataille où il fut vaincu, le dernier Djemshydite
prit la fuite, et l'on raconte très diversement sa destinée ultérieure.
Suivant les uns, il se retira dans un ermitage et y mena longtemps la vie
ascétique. Livré ail repentir de ses fautes, il parvint au plus haut degré de
la perfection, et mourut comme un saint. Suivant d'autres, il erra sur le
bord oriental de Une autre version, qui ne représente le dernier Djem ni comme un martyr ni comme un ascète, prétend savoir que le monarque iranien voyagea dans tous les coins de l'univers, et finit, quand les poursuites dont il était l'objet parurent se ralentir, par s'arrêter secrètement dans un certain canton- du Seystan ; qu'il s'y fixa, s'y maria à une fille du pays, mena une existence obscure et inconnue, et mourut en laissant des fils qui furent les ancêtres de la famille souveraine du pays. Hafez Abrou a raconté cette histoire dans ses Annales, et dit lui-même qu'il l'a empruntée an Kershasep-nameh, où elle se trouve en effet. Enfin une dernière relation, d'accord sur un point avec celles qui font périr Djem-Shed de mort violente, représente pourtant les choses d'une tout autre manière. Elle dit que le roi, aux jours de sa prospérité, avait épousé la fille d'un souverain du Nord, c'est-à-dire une princesse du sang des Ariens-Scythes. Après son désastre, il se réfugia dans les États de son beau-père avec sa femme et cieux fils qu'il eu avait eus. Il y vivait paisiblement, quand Mehradj, le roi des Hindous, eut connaissance de sa retraite. Cette circonstance donne lieu de penser que la légende a ici en vue, pour le royaume du roi scythe, quelque pays du nord -est situé aux environs du petit Thibet. Quoi qu'il en soit, Zohak, averti par son allié, réclama Djem-Shyd, et, sur le refus de le livrer, envoya Héféran, roi des Mèdes, coutre le prince scythe. Héféran battit son adversaire, le tua, s'empara de ses provinces, et ayant saisi le proscrit, le mit à mort. Mais les deux fils Glue Djem-Shyd avait eus de la fille du roi scythe ne se laissèrent pas prendre. Ils trouvèrent le moyen de s'enfuir, et les persécuteurs ne surent pas les retrouver. Avant de voir ce qu'ils devinrent, il convient de s'arrêter une dernière fois sur la personnalité des Djems. Elle remplit trop visiblement toute la première période de l'histoire iranienne pour n'avoir pas été l'objet principal de la méditation des écrivains orientaux. Tenant encore, et plus d'à moitié, à l'époque primitive où les populations saintes encore compactes occupaient l'Ayryana-Vaëja, elle touche aux temps Où la nationalité iranienne déjà bien formée et délimitée eut à subir sa première catastrophe. Cette longue possession de l'histoire, ou, si l'un aime mieux, de la légende, donne au nom de Djem un relief extraordinaire. I,e clergé mazdéen des Sassanides s'était déjà aperçu qu'il y avait mieux à faire de ce grand souvenir qu'un roi plus ou moins illustre. Il prétendit le personnifier dans un saint, dans un ascète d'un mérite si extraordinaire que l'abstraction de ses idées s'étendit à l'abstraction de sa personne. Le Tjellar-é-Tjemen ou les Quatre Prairies, assure que son nom signifie intelligence, parce que ce fut là sa raison d'exister. On le nomme aussi Monerzeh ou le Saint par excellence. Il fut aussi appelé Khour-Shyd, Soleil. Dans la première période de sa vie, il s'appliquait uniquement à la vie anachorétique et parcourait les montagnes et les plaines, livré à ses méditations et absorbé par son énergique pénitence. L'hiver, il se plongeait dans un étang jusqu'au cou. L'été, allumant un feu énorme, il se tenait à côté, et quand il avait supporté des ardeurs terribles pendant sept jours et sept nuits, il buvait quelques gouttes d'eau et se retirait ensuite dans un lieu obscur. Cette existence dura jusqu'il ce que Djem-Shyd eût en tendu une voix qui lui disait : Tu es plus près de moi que tous les autres hommes. Ce résultat obtenu, Séroush, l'ange céleste, fit sortir Djem de sa solitude et lui ordonna de retourner auprès de ses parents, c'est-à-dire de son frère Tahmouras et de sa mère Gulnar, fille de Ferhad, fils de Housheng. Il obéit ; mais dans cette nouvelle situation, il ne renonça pas à ses pieux exercices. Pendant cinquante ans une adoration muette l'absorba, il ne leva pas même la tête une fois. Son pouvoir devint immense, et il fut un prophète. Les hommes l'acceptèrent unanimement comme tel, et dès lors il n'est pas admissible que le diable ait jamais pu le séduire, car on sait que Satan n'a aucune prise sur les prophètes. Djem persévéra au contraire fermement dans la foi, et y devint si grand, que, suivant l'expression même que certains traditionnalistes persans prêtent à Mahomet, il put dire de lui-même, comme celui-ci : Tout homme qui m'a vu a vu Dieu. A ce point de vue, Djem-Shyd est donc complètement
innocent de la perversité qui s'empara de l'empire vers la fin de son règne ;
non seulement il n'y eut aucune part, mais Azerpejouh a enseigné dans son
livre intitulé Setaysh-é-Khosrevan, ou Cette façon de transformer l'ancienne légende porte la
trace d'une pensée indienne. Quoique le livre ou on la rencontre soit fort
répandu aujourd'hui parmi les Guèbres du Guzarate, il est ancien, il est
vraiment persan, et je ne doute pas que la composition n'en remonte au temps
où l'action des bouddhistes se fit sentir sur On observe sons la forme donnée ci-dessus à la légende de Djem-Shyd îles indices de cette double manière d'opérer. Les pénitences gigantesques du héros sont de l'enseignement de Sakyamouni. L'opinion qui absout les prophètes (les tentatives du diable, l'idée de prophétie elle-même, l'idée du diable enfin, sont des notions chaldéennes, juives, chrétiennes. C'est là l'esprit du parsisme sassanide, religion toute de compromis, d'emprunts et de placages, niais disposée à se croire beaucoup plus pure que dans son état ancien, par cela même qu'elle transforme davantage, transfigure et rejette dans le inonde des idées tout cc qui jusqu'alors avait dans l'histoire des nations iraniennes présenté la solidité de faits réels. Ce n'est pas Djem-Shyd seulement qui se vaporise de cette manière, ce sont successivement tons les rois anciens, réduits par cette méthode à la condition de grandes ombres métaphysiques ; et non seulement on a imposé cette négation aux créatures humaines, on l'a étendue au milieu dans lequel elles avaient vécu. Le Vara, l'empire, a été relégué par delà la région des chimères, dans une sorte de conception idéale très étrangère à l'univers positif, et qui n'a pas même assez de densité pour servir de demeure aux âmes du paradis futur. Le lac Voourou-Kasha, le lac Pouytika, sont de même devenus des espèces de métaphores. Tonte l'histoire a été dépouillée de sa réalité et transportée dans le domaine des songes. Les livres postérieurs des Parsys ont adopté à l'envi l'un de l'autre cette sorte de scepticisme singulier. On y voit sans doute des vestiges incohérents, des contradictions, des tiraillements qui protestent contre les violences d'une telle méthode ; mais,- en somme, cette méthode convient si bien à la nature des Orientaux, elle choque si médiocrement l'instinct très faible qu'ils peuvent avoir de la nécessité de distinguer entre ce qui est dans le temps et l'espace, de ce qui est en dehors de ces conditions actuelles, qu'elle a survécu jusqu'à nos jours et se maintient. Elle fait plus ; elle a séduit des savants européens, qui, la trouvant ingénieuse et bizarre, pour cela même l'ont adoptée. Pourtant elle est, comme je viens de le dire tout à l'heure, trop en désaccord avec elle-même, et ensuite trop contredite par les textes les plus anciens et par la tradition positive restée entre les mains des musulmans et conservée par eux, pour qu'il soit possible de se confier à elle et de ne voir avec elle que des fictions pieuses et des êtres de raison dans cc que les annales ont conservé des temps primitifs de l'Iran. Il a existé également parmi les Juifs et les chrétiens des
sectes mystiques qui n'ont aperçu dans La preuve la plus manifeste que l'on puisse donner du
succès très borné obtenu par ces combinaisons sur la masse des esprits, c'est
que l'Islam, dès son premier établissement dans les contrées iraniennes, ne
crut pas pouvoir se refuser à accepter comme des vérités positives
l'existence des premiers rois, et en particulier ce qui se rapportait à
Djem-Shed. Ne trouvant rien ni d'eux ni de lui dans les traditions juives ou
chrétiennes non plus que dans le Koran, il jugea indispensable, suivant la
tendance commune à tolites les sciences, de faire rentrer, bon gré mal gré,
ce qu'il ignorait dans le cercle de ce qui lui était déjà connu. De la un
autre mode de critique bien particulier. Ou doit sauts doute à ce système la
généalogie arabe de Zohak que j'ai citée plus haut. Ou lui doit de même
l'insertion du 'min de Dieu, Allah, dans un certain nombre d'inscriptions
antiques de Cette idée, malgré la grande autorité de Myrkhond, est tout aussi loin d'avoir acquis la faveur générale que toute autre combinaison de même espèce. Certains auteurs préfèrent l'opinion de Heseb, fils de Membeh, d'après lequel Djem-Shyd aurait vécu au temps où le prophète Houd s'efforça de ramener les Adites à des sentiments pieux. Dans ce système, on cherche bien à établir un synchronisme entre le règne du monarque iranien et un fait biblique ; mais on s'abstient de confondre l'histoire du Peuple pur avec celle du peuple de Dieu, et c'est là au fond le sentiment qui a prévalu ; malgré les efforts du zèle musulman. L'instinct général en l'erse s'est, somme toute, conservé libre des rêveries des Parsys et de celles des moullas. Il tient pour assuré qu'il possède une histoire particulière au pays, très réelle, très positive, très ancienne. Il ne cherche pas il peser le degré de possibilité des faits, ni la rectitude de leur enchantement. Il prend le tout comme il lui est parvenu. Un historien de profession me disait avec un soupir qui ne trahissait d'ailleurs ni chagrin ni embarras : Il y a beaucoup de mensonges dans tout cela. Après cette réflexion, il n'en recueillait pas moins avec la plus complète sérénité les récits les plus exorbitants, et se contentait de les livrer comme il les avait reçus, les faisant suivre seulement, quand ils lui semblaient par trop extraordinaires, de cette réflexion consolante : Dieu seul sait avec exactitude ce qui en est ! Ce en quoi il suivait encore l'exemple de ses prédécesseurs. Je fais comme lui, persuadé que cette manière de conserver les annales est préférable aux systèmes d'interprétation que je viens de faire connaitre, et à beaucoup d'autres encore dont je parlerai plus à loisir. Pour le moment, je reviens aux deux fils de Djem-Shyd que j'ai laissés errant par le monde après le meurtre de leur père. Ils se jetèrent il travers le désert du sud-ouest et s'avancèrent avec beaucoup de précaution dans la direction du Mazandéran et de l'Elbourz. Pendant assez longtemps, ils se tinrent compagnie dans ces lieux sauvages, cachés à tous les yeux et soutenant leur existence à grand peina. Un jour, le plus jeune, appelé Faregh, dit à l'autre : C'est sans profit que nous partageons les misères d'une pareille vie. Notre père nous a prédit, tu le sais, que de toi sortirait le vengeur de notre famille et le réparateur du pouvoir des Iraniens. Quant à moi, en entendant ces paroles infaillibles, j'ai déclaré que je renonçais au trône et prétendais embrasser la vie contemplative. Notre père s'en est réjoui et m'a donné trois livres qui contiennent toutes les prescriptions de la sagesse. Va donc où la a volonté de Dieu t'appelle. Pour moi, je deviens ascète. Il serait inutile aujourd'hui de prétendre fixer la date de cette tradition. Ce qui est certain, c'est qu'elle provient d'un récit guèbre, et les trois livres doivent être le Vendidad, le Yaçna et le Vispered. On est ainsi transporté à l'époque des Sassanides, où les mages enflés de leur puissance politique aussi bien que religieuse, à peu près égale à celle des rois, peuvent avoir eu la pensée de rattacher leur institution à un fils de Djem-Shyd. Quand Faregh eut parlé ainsi qu'on vient de le voir, Nounek, le frère royal, accablé de chagrin, éprouva un surcroît de douleur en comprenant qu'il allait se trouver seul. N'ayant cependant rien à opposer aux paroles de l'ascète, il accepta ses adieux et poursuivit son voyage. A. travers mille dangers, il réussit à atteindre l'Elbourz, qu'occupaient ou du moins sillonnaient les bandes assyriennes, et il s'établit du côté du couchant, c'est-à-dire dans les vallées hautes à l'ouest de Ragha. Zohak fit chercher partout les deux frères. On ne put les découvrir, et comme ni l'un ni l'autre n'essaya de sortir de l'obscurité dans laquelle ils s'étaient ensevelis, les inquiétudes du vainqueur finirent par s'éteindre, et on oublia que Djem-Shyd n'était pas mort tout entier. Pourtant ce ne fut pas Nounek qui le ressuscita. Un tel honneur ne lui était pas dévolu. Il ne le fut pas non plus à son fils Méharew, qui mourut avant lui. Mais son petit-fils, Abtyn, connu du Vendidad sous le nom d'Atwya et que la légende nomme aussi Angyvan, Yteghyar et Athfyan, probablement par suite de mauvaises transcriptions, s'il ne fut pas lui-même le soleil du grand jour de la délivrance, en fut du moins l'étincelante aurore. En ne séparant Abtyn de Djem-Shyd que par deux
générations, j'ai suivi le texte du Koush-nameh. Djem-Shyd. Abtiyan-Byferoust. Abtiyan-Remy-gaw, ou du Taureau de combat. Abtiyan-Seher-gaw ou du Taureau vigilant. Abtiyan-Asfyd-gaw, ou du Taureau blanc. Abtiyan-Siyah-gaw, ou du Taureau noir. Abtiyan-Kour-gaw, ou du Taureau furieux. Abtiyan-Bour-gaw, ou du Taureau gris. Abtiyan-Zour-gaw, ou du Taureau rouge. Abtiyan-Fyl-gaw, ou du Taureau éléphant. Abtiyan-Per-gaw, ou du Taureau fort. Ce nom d'Abtiyan, répété pour tant d'individus, signifie,‘
roi », suivant Toutefois, le Yaçna, qui connaît très bien Atwya[5] et lui rend un,
respect convenable, n'a marqué nulle part un point aussi important que le
serait le lignage dont il est fait honneur à ce prince dans le Koush-nameh et
La mémoire d'Abtyn, d'Abtiyan-Per-gaw, ou du Taureau fort, est sans cloute particulièrement
chère à la race iranienne, parce que ce héros fut le père du libérateur.
C'est sou plus beau titre de gloire ; ce n'est pas le seul. Le descendant des
Rois possède en propre des mérites considérables et qui le font honorer pour
lui-même. Au temps où il vint au inonde, la domination assyrienne paraissait
consolidée et affermie à jamais. Les résistances partielles, si tant est
qu'il y en ait en, car aucune tradition n'en parle, avaient cessé depuis
longtemps, et un silence complet de soumission régulait dans les contrées
pures. La majeure partie des populations pouvait même avoir perdu à demi le
souvenir de l'ancien empire, car plus de neuf cents ans, suivant les
légendes, avaient passé sur la ruine du Vara. Néanmoins de tels faits ne
s'oublient pas, et les populations modernes de la race latine ont eu beau
traverser des siècles non moins nombreux de domination germanique, leurs
instincts n'ont jamais cessé de tourner, comme l'aimant vers le pôle, du côté
de Ce qui avait empêché l'Iran de se fondre avec les provinces assyriennes, c'était la différence des races, les antipathies de sang et les conséquences qui en découlaient. Un Iranien pouvait être un sujet soumis dans ce sens qu'il comprenait l'inutilité de la révolte et son impuissance à secouer le joug. Il ne pouvait être un sujet fidèle, parce qu'il lui était impossible de raisonner comme mi Sémite, de voir les choses de la vie, d'apprécier celles de la morale, de comprendre celles de la de la même manière, d'approuver ce que l'autre approuvait, de blâmer ce qu'il blâmait. Sa raison avait une autre forme, sa logique d'autres procédés, son affection et sa haine poursuivaient d'autres buts en tournant sur d'autres mobiles. Les traditions des nus et des autres, leur esprit, leur manière de se représenter toutes choses, révèlent cette vérité avec une clarté complète. Le peuple d'Iran était donc en insurrection latente niais perpétuelle, et la marque de cette révolte, c'était sa religion, trait essentiellement asiatique, et qui, lorsqu'on en tient compte, explique dans les annales des nations de cette partie du monde les faits les plus considérables, qu'on ne saurait comprendre en le négligeant. C'est la religion qui est, dans ces pays, non seulement la vie de l'aune et la lumière qui colore chaque passion et chaque instinct, mais qui constitue également ce qu'ailleurs on appelle l'amour de la patrie. Lia, si l'affection pour à sol existe, on la partage avec des gens que l'on déteste et que l'on méprise, qu'au besoin on égorge, parce que les races les plus disparates sont juxtaposées et entrelacées dans les mêmes régions. Ce qui surtout donne à chaque groupe son signe distinctif, sa marque de reconnaissance, son mot de passe, le drapeau qu'il adore, qui lui fait compter ses amis et lui désigne ses adversaires, c'est le mode de croyance. A ce titre, il n'importe même pas toujours que les différences entre les bannières soient aussi apparentes qu'elles l'étaient entre le mazdéisme et les théories chaldéennes, il suffit de la moindre différence avouée. Les schismatiques grecs ne portent pas moins d'aversion aux catholiques indigènes qu'aux musulmans on aux idolâtres. L'antagonisme théologique suffisait donc, et au delà, pour conserver vivante l'antipathie qui séparait les vaincus des vainqueurs, quel que fût le nombre des siècles qui se fussent succédé en vain pour l'effacer. A chaque instant, il se présentait des occasions publiques de scandale et de malédiction réciproque. J'ai déjà parlé du culte des images, si révoltant pour les Parsys qu'à tout moment les traditions y reviennent. S'agissait-il des honneurs funèbres ? le mazdéen voulait exposer ses morts, et il les offrait en pâture aux animaux des champs et aux oiseaux de l'air. Au contraire, l'Assyrien, peu soucieux de souiller le sein vénérable de la terre, inhumait les siens. Il bisait pis ; il pratiquait les embaumements, source de mille profanations. Ce qui était plus impie et plus effroyable encore, il s'en prenait au feu de bien des manières, et à l'eau ; il ne montrait aux éléments purs aucun respect, et mettait le comble à son iniquité en prodiguant les adorations, en élevant des sanctuaires aux serpents, ces créatures maudites que la loi ariane ordonnait à ses fidèles d'exterminer partout où ils les rencontraient. Il faut laisser à part, comme constituant des offenses que le temps peut adoucir et même faire oublier, les déboires et les humiliations auxquels les chefs de famille et les seigneurs féodaux étaient exposés dans l'exercice de leur autorité héréditaire, et l'indignation que devait leur causer l'exercice d'un pouvoir remis à des hommes de rien que l'omnipotence royale plaçait sans cesse au-dessus d'eux. Les Iraniens n'avaient qu'à choisir entre des motifs plus profonds encore de souffrir et de s'irriter. Les monarques de Abtyn fut l'homme qui réunit tons les éléments de combustion ainsi préparés, et disposa une conflagration qui devait finir par dévorer l'empire de Zohak. Il ne reste plus, avant d'entrer dans le récit de la lutte, qu'a faire connaitre le vaste cercle de pays qui s'y trouvèrent intéressés. |
[1] Le Rouzet-Essefa prétend que Keyoumers était le même qu'un certain Amer, fils de Japhet. On se retrouve ici en présence d'un souvenir obscur de Yima ou mieux de Ymir. — Dans ce sens, le Keyoumers on Amer du Rouzet-Essefa ne serait pas celui de l'Elbourz, mais le roi plus ancien des tribus arianes dont il a déjà été question, et qui personnifie toute la dynastie et même toute la race primordiale.
[2] La forme zend du nom de Housheng est dans le Yesht-Avan, Houshyogho-Paradhato, Honsheng le Pyshdadien.
[3] Traité des écritures cunéiformes, t. II, p. 977 et sqq.
[4] L'auteur du Rouzet-Essefa, plus pénétré qu'aucun autre de la légitimité de cette interprétation, assure que les anciens rois de l'Iran et leurs peuples iodaient le souryany, c'est-à-dire la langue syrienne, et que dans cet idiome Keyoumers signifie le Vivant.
[5] SPIEGEL, Yaçna, t. II, p. 70.