On a vu, à travers toutes les obscurités de la tradition, que le vainqueur immédiat du Djemshydite n'était pas le souverain suprême de la grande monarchie sémitique, agissant par lui-même, mettant sa personne en jeu, mais bien un feudataire exécutant les ordres de son souverain et très certainement soutenu par les forces dont celui-ci disposait. Ce que laissent apercevoir à ce sujet les documents persans, les historiens grecs le confirment. Voici ce que raconte Diodore de Sicile. Ninus ayant, le premier de tous les princes de l'Asie,
rassemblé et discipliné une armée permanente, s'unit d'une alliance intime
avec Ariæns, roi des Arabes. On a vu que certaines traditions persanes font
précisément de Zohak un prince arabe habitant les contrées riveraines du
golfe Persique. Aidé de cet allié, Ninus réduisit sous son gouvernement toute
Ces exploits accomplis, l'empire assyrien se trouva fondé
; alors Ninus songea à la conquête des pays de l'Asie situés entre le Tamis
et le Nil. Mais, et c'est ici que l'identité du récit de Diodore avec celui
de la chronique persane se prononce, il employa principalement à cette grande
expédition un de ses fidèles déjà institué satrape de Ce fut donc ce Zohak, ce Koush-Héféran et son fils
Koush-Pyldendan, ce Déjocès, car ces noms divers s'unissent pour représenter
l'allié de Ninus et le chef de la nouvelle dynastie médique, qui entreprit la
conquête de l'empire des Djems. Dans un espace de dix-sept années, il
réduisit à l'obéissance les Caduses et les Tapyres, habitants des rives
méridionales de A toutes ces conquêtes, Diodore montre d'ailleurs que le roi des Arabes, Ariæns, prit toujours une grande part, car ce ne fut que lorsqu'elles se trouvèrent accomplies que Ninus renvoya chez lui son allié en le comblant de présents. Cet allié est donc à attirer aussi dans la personnalité déjà si multiple de Zohak, puisqu'il a contribué, ainsi qu'on l'a vu, à fournir des traits notables de cette physionomie. Les conquêtes achevées, à souverain suprême de tant d'États pensa à se donner une capitale, et dans un espace aréal embrassant quatre cent quatre-vingts stades, il fonda Ninive. Jusqu'alors ville si grande et si magnifique ne s'était pas vue dans l'univers. Les murs d'enceinte mesuraient cent pieds de hauteur, et trois chars lancés de front pouvaient circuler à leur sommet. Quinze cents tours hautes de deux cents pieds dominaient ces remparts superbes. Une population composée de puissants Assyriens s'était adjointe toutes les multitudes étrangères qui avaient voulu habiter avec elle ; les nouveaux venus s'étaient surtout établis dans les immenses faubourgs entourant lu cité. Ensuite, Ninus résolut de parfaire la soumission des
territoires iraniens, en mettant fin à la résistance prolongée de Ici se place l'histoire des premières années de Sémiramis, comment, fille de la déesse assyrienne Derkéto, exposée dans le désert, nourrie par des colombes, elle avait été recueillie par des pasteurs qui avaient conduit l'enfant au gardien des juments royales, Simma, lequel l'avait adoptée pour sa fille. Un grand seigneur assyrien, Onnès, chef du conseil royal et gouverneur de toute l'Assyrie, étant venu pour inspecter les troupeaux, devint amoureux de la jeune fille, l'épousa, et eu eut deux fils, Hyapatès et Hydaspès. On a vu que d'après l'annaliste que je paraphrase ici et
qui rte fait que copier Ctésias, l'histoire de Sémiramis commence avec la
conquête de En nous fournissant, ce que ne fait pas la légende orientale, les détails de la prise de possession des contrées pures, et en nous montrant que cette opération a exigé des années, des efforts répétés et l'emploi de toutes les forces de l'Occident sémitique, Ctésias n'avance que des faits nécessaires et incontestables. Un empire centralisé tombe du jour au lendemain ; une monarchie féodale a la vie plus dure parce que le principe de l'existence est entretenu chez elle dans beaucoup de foyers qu'on ne parvient à étouffer que successivement. La révolte intérieure, sans laquelle il serait même impossible de tenter l'aventure, peut ouvrir les portes aux envahisseurs, mais elle ne les dispense pas de fatigues et de peines qui même n'aboutissent pas toujours au succès. Les compilateurs grecs des anciennes chroniques perses donnent donc ici l'aspect vrai des choses. Ninas, certain des difficultés qu'il allait rencontrer
pour en avoir déjà éprouvé de pareilles, se mit en marche à la tête d'une
armée de sept millions de fantassins, deux cent dix mille cavaliers et seize
cents chars armés de faux. Il fit son plan de manière à attaquer à la fois
toutes les villes et tous les cantons de Le roi de Cette victoire aurait dû assurer son salut ; mais il
arriva ici ce que produisent d'ordinaire les organisations féodales. L'armée
victorieuse d'Oxyartès se dispersa, et chacun retourna dans son château, dans
son village ou dans sa ville. Le roi d'Assyrie rallia ses troupes, attaqua
ses vainqueurs, les défit en détail, s'empara de leurs cités, et vint enfin
mettre le siège devant Bactræ ou Balkh, réduite à ses seules ressources. Ces
ressources étaient grandes encore. La place était forte, la garnison
nombreuse, la défense formidable. Ninus ne prenait pas la ville. Il arriva
alors qu'Onnès, le mari de Sémiramis, ennuyé de ne pas voir la femme dont il
était épris et qu'il avait l'habitude de consulter daims toutes ses affaires,
lui manda de venir au camp. Elle s'empressa de se rendre aux désirs de sou
mari, et pour accomplir un voyage si long et si fatigant, elle inventa un
vêtement qui ne pouvait trahir son sexe ni gêner la liberté de ses
mouvements. Ce fut cc genre d'habit, dont la grâce est telle, dit Diodore,
que par la suite les Mèdes et ensuite les Perses s'empressèrent de l'adopter
et le portèrent universellement. Ainsi, Sémiramis avec ses enfants aux noms
iraniens, portait de plus le costume qui fut toujours connut depuis les temps
historiques pour être celui des Mèdes et, par conséquent, des hommes de Sémiramis, douée d'un esprit et d'un coup d'œil merveilleux, ne tarda pas à remarquer la situation critique où se trouvaient les Assyriens, et elle se rendit compte que, ceux-ci ne faisant aucune démonstration contre la citadelle, tout occupés qu'ils étaient à assaillir les endroits les plus faibles, cette citadelle était mal gardée par les défenseurs de la place, trop confiants dans la difficulté des approches. Elle réunit un certain nombre de soldats accoutumés à escalader les hauts lieux, et grimpant avec eux le long des escarpements les plus difficiles, elle parvint jusqu'aux remparts de l'acropole, en occupa le sommet, et de là avertit les siens de son succès. Les guerriers iraniens, surpris et épouvantés, désertèrent leurs postes qu'ils jugeaient dès lors intenables, et la place tomba entre les mains des assaillants. L'admiration et les récompenses ne manquèrent pas à Sémiramis. Mais Ninus, allant au delà de la reconnaissance et frappé de sa beauté, en devint éperdument amoureux. Il la demanda à son mari, qui refusa de la céder. En vain, Ninus lui offrit en dédommagement la main de sa fille Sosana, probablement Sousan, le lys ; voyant qu'il ne pouvait vaincre sa résistance, il le menaça de lui faire arracher les yeux, et Onnès désespéré se pendit. Sémiramis devint femme du monarque d'Assyrie et reine souveraine. Ninus mourut. Sa veuve lui fit ériger un tombeau glorieux, tumulus immense, large de dix stades et haut de neuf, sur lequel on construisit ensuite une forteresse qui exista plus longtemps que l'empire ninivite et longtemps encore après que les Mèdes eurent renversé l'État dont jadis ils étaient les vassaux[1]. Je reviendrai tout à l'heure à la personnalité de Sémiramis, qui mérite d'être examinée ; en ce moment, il s'agit de terminer ce qu'il y a à dire sur Zohak. Il est certain, d'après ce qui précède et qui s'incorpore d'une manière si manifeste dans la légende iranienne, que ce prince, personnifiant la conquête sémitique au milieu de l'Iran et l'agrandissement formidable de l'empire des Adites, ou, si l'on aime mieux, des Ninivites, doit être considéré comme une figure synthétique dans laquelle Ninus et tous les chefs secondaires que j'ai nommés et que mentionnent aussi bien les Orientaux que les Grecs, se réunissent, tout en laissant apercevoir des traces notables de leurs existences séparées. La confusion établie sur les origines, sur les titres, sur les noms véritables du colosse assyrien, en est la preuve manifeste. On peut conserver le nom de Ninus comme étant celui qui convient le mieux au souverain suprême pour lequel et par lequel se sont accomplies toutes les conquêtes dans l'Iran ; on peut donner le nom de Déjocès, ou Dahaka, ou Zohak, à son puissant vassal de Médie ; dans l'un comme dans l'autre système, pourvu qu'on ne supprime rien des indications fournies par les autres personnages aperçus sous ces deux appellations, on restera fidèle au véritable esprit de la tradition. L'idée de vassaux grands et puissants attachés à la
monarchie ninivite est un fait si important pour les Orientaux, et qui est
demeuré si ferme dans leur esprit, qu'un très ancien historien arabe,
Aboul-Faouarès, cité par Moslih-Eddyn Mohammed Lary, assure que Nemrod
n'était autre que le gouverneur institué par Zohak sur les pays de D'ailleurs, aussitôt la conquête accomplie, Zohak ne
parait plus comme souverain direct du sud de Peut-être est-ce encore ici une indication obscure de l'existence de la dynastie médique de Ninive. Puis Zohak fait en ce point pendant à Djem-Shyd : sa personnalité représente non seulement tout le mouvement militaire et conquérant de l'Assyrie à l'époque de la conquête de l'Iran, mais encore une série entière et fort longue de dynasties dont la tradition persane, qui en a oublié le détail, se souvient dans l'ensemble, puisqu'elle dit que Zohak a régné mille ans moins un jour. Ici les documents conservés par Ctésias et Diodore trouvent leur place, ainsi que ceux dont se sert Hérodote, et nous pouvons en toute certitude revenir à l'histoire de Sémiramis. C'est à la fois une reine assyrienne, mède et iranienne. On la voit consolider et étendre l'empire fondé par
l'éponyme Ninus. Elle bâtit Babylone, assure Diodore, bien que Bérose s'élève
contre cc sentiment, et il parait avoir raison. Elle peut avoir agrandi la
ville, ou, pour être plus vrai, la domination ninivite que représente son nom
a accompli une telle œuvre et bien d'autres. Quant à la création de Babylone
proprement dite et même à celle de Ninive, le mieux est de n'en pas parler
avec trop d'insistance. Et le commencement de son règne fut Babel, Erek, Akkad et Kalné, au pays de Sinhar. De ce pays-là sortit Assur, et il bâtit Ninive et les rues de la ville, et Kalah[2]. Ce qu'il importerait de savoir d'une manière certaine, c'est
ce que le Livre saint prétend désigner par le pays de Sinhar. J'ai déjà
présenté mes doutes sur l'identification avec Sémiramis fit encore de grandes créations dans Je n'insiste pas sur les prétendues conquêtes de la reine
d'Assyrie, elles sont par trop immodérées ; s'il est admissible et même
presque assuré qu'à l'ensemble des provinces de La grande Reine mourut à soixante ans, après un règne de quarante-deux ans, et les Assyriens prétendaient qu'elle avait été changée en colombe. Le nom et l'idée de cet oiseau domine toute la vie de cette femme. Elle est nourrie par des colombes, elle est belle comme une colombe, elle est lascive comme une colombe, et quand son destin est achevé, elle devient colombe. Athénée et d'autres historiens se sont refusés à voir en elle une fille de Derkéto, adoptée par un grand seigneur ; suivant eux, ce n'était qu'une courtisane. J'ai fait remarquer que les noms des fils qu'elle avait eus de son premier mari étaient arians, peut-être médiques, peut-être iraniens. Dans tous les cas, elle indique bien un moment de contact étroit entre la race sémitique et les peuples blancs du Nord[4]. Après elle régna son fils Ninias, et ici Diodore, n'en racontant pas plus sur cette dynastie, se borne à établir que les descendants de Ninus se maintinrent sur le trône pendant trente générations jusqu'à Sardanapale. Hérodote introduit Nitocris dans la liste et place cette reine cinq générations après Sémiramis. En supposant à chaque génération trente-trois ans de durée, ce qui produit le chiffre assez normal de trois générations par siècle, ou obtiendrait neuf cent quatre-vingt-dix ans et quelque chose pour la durée totale de la dynastie ninivite ; ce calcul correspondrait assez bien aux assertions des Persans relativement à la durée du règne de Zohak, et achèverait de démontrer que ce qu'ils rapportent des actions, des conquêtes, de la puissance de ce prince s'applique à ce que les Grecs ont appris à Suse des monarques ninivites. Nous ayons donc la même tradition reproduite par des esprits de nature différente. Les habitudes, les
mœurs, non seulement des rois de Ninive, niais surtout de leurs feudataires
de Médie, dont les Iraniens dépendaient plus directement et dont ils
sentaient davantage l'action, contrastaient si fort avec les usages des pays
de Les princes de cette famille faisaient fabriquer des
figures à la ressemblance des personnes qui leur étaient chères, raconte le
Koush-nameb, de leurs femmes, de leurs maîtresses, de leurs filles, et les
mettant à côté de leurs propres images, commandaient aux grands et au peuple
de les adorer. La résistance à de tels ordres était punie de mort, et c'est
de la menace perpétuelle des supplices que nous entretient Koush, surnommé Pyldendan, l'homme
aux dents d'éléphant, fils de Koush-Héféran, roi des Mèdes, quitta un
jour sa capitale, Ecbatane ou Hamadas, située sur les bords de la mer de
Khawer, pour conduire son armée dans le Mekran. C'était là, comme on l'a vu
plus haut, une des deux routes de terre qui conduisaient dans l'ancien Iran. Au milieu de la mer de Khawer s'élevait une ile bien boisée, où un habitant du pays mena le roi. Celui-ci admira la beauté du lieu et voulut y laisser un souvenir éternel de son passage. Par ses ordres, ses soldats se mirent à tailler des pierres immenses. Ce travail dura quatre mois, au bout desquels s'éleva une muraille d'une grandeur, d'une hauteur, d'une force extraordinaires. Quand elle fut terminée, les ouvriers y encastrèrent une vaste table de marbre sur laquelle fut sculptée l'image de Koush-Pyldendan lui-même. Il était représenté la main ouverte, et au bas se lisait une inscription dont le sens était : Cette figure est celle du magnanime Koush, semblable au l'en dans les combats, portant la couronne des rois avec majesté, maitre du Khawer en toute splendeur et magnificence. Puis suivait le récit des grandes actions titi monarque et la liste des villes et des régions qu'il avait conquises. Ne voulant pas que cc monument élevé à sa gloire restât dans la solitude, ignoré du inonde, Koush-Pyldendan fonda tout auprès une ville où il colonisa trente mille personnes, hommes et femmes, laboureurs, marchands et artisans, amenés des pays d'alentour. Il commença par leur distribuer en abondance ce qui pouvait être nécessaire à leur complet établissement, des vivres, des bœufs, des ânes, des moutons, des instruments de travail. Il leur partagea des terres fertiles à l'entour de la. ville et fonda un bazar. Comme il voulait que la cité créée par lui devint illustre, il la nomma Koushan, de son propre nom. On pourrait reconnaître sans trop d'efforts dans la légende que je rapporte, l'histoire de l'origine de la ville actuelle de Kashan, qui aurait ainsi commencé par occuper une position insulaire dans la mer de Khawer, ce que l'état actuel des lieux ne rend pas invraisemblable. Comme c'était pour s'honorer lui-même que Koush-Pyldendan
avait fondé la nouvelle cité, il ordonna qu'au commencement de chaque année
les habitants de Koushan se réuniraient devant la muraille, en face de la
plaque de marbre ornée de sa gigantesque ressemblance, et que là ils
accompliraient avec respect les rites de l'adoration due à Bien que ce récit, tel qu'on peut le lire aujourd'hui, ne date que des temps musulmans, il provient évidemment d'une époque bien antérieure, et eût-on le bonheur de posséder la relation contemporaine de la fondation d'une ville par un prince médo-assyrien, les couleurs du récit, les détails, ne pourraient guère être plus caractéristiques. Cette idolâtrie du maître et de sa personne, et par suite
de ses affections, voire de ses caprices, comportait une extension illimitée
de l'apothéose. Outre le culte officiel, qui s'étendait, se modifiait, se
transformait à chaque nouveau règne, les sujets avaient encore liberté
plénière de se fabriquer tous les dieux dont ils se sentaient l'envie, et le
Livre de Koush remarque qu'on possédait des idoles de la grandeur de la main,
auxquelles chacun rendait hommage à sa fantaisie. Sous ce rapport, point d'empêchement,
nulle défense. Les dogmes acceptés reconnaissaient que des forces divines
pouvaient se concentrer et opérer dans
n'importe quelle manifestation de la forme[5] Mais s'il était
permis de tout adorer, de tout transformer en talismans, de se faire, sous
l'empire de quelque fantaisie que ce fût, une amulette quelconque, il était
strictement interdit de nier cette ubiquité de l'unité divine, et, plus forte
raison, de particulariser en une seule et restrictive conception du Souverain
des êtres et de ses principaux esprits, une doctrine religieuse qui, laissant
le prince au sein de l'humanité, arrivait par là au crime de haute trahison.
La mort et les tortures menaçaient, comme je l'ai dit tout à l'heure, les
hommes assez malavisés pour repousser le naturalisme sémitique. Les peuples étaient ainsi démoralisés par le fond, et il le fallait pour que le système entier devint applicable. Quand l'État est tout, il doit, un jour ou l'autre, avoir tout, et ce qu'on lui retient, on le lui vole. C'était l'avis de l'empereur romain, comme celui du souverain ninivite. L'un et l'autre prétendaient trôner divinement dans la conscience des sujets, et, afin de se rendre plus vénérables, l'un et l'autre avaient également compris la nécessité de se soustraire alitant que possible à la vue des adorants. Si le prince assyrien apparaissait, quelquefois et de loin, aux regards des sujets, c'était à travers une multitude d'eunuques, d'esclaves, de gardes, de grands. Il vivait derrière cent portes fermées et cent rideaux tirés au fond de pavillons cachés dans des jardins silencieux, entouré de femmes rassemblées de toutes parts et qui devenaient des offrandes consacrées. Ces femmes, placées sans cesse entre la passion du souverain et son dégoût subit, passaient leur vie inconnues au monde ou du moins oubliées de lui, et livrées à toutes les chances de l'existence la plus variable. On raconte du même Koush-Pyldendan, dont il a été dit tout à l'heure comment et pourquoi il fonda Koushan, qu'il était sans cesse livré aux fureurs de ses amours. Il idolâtrait une maîtresse, et, pour un caprice, la massacrait dans son lit même. Aussitôt le désespoir le prenait, non moins désordonné chie sa rage, non moins effréné que sa tendresse. De sa victime il faisait une déesse, et les villes, sous peine de carnage, se prosternaient tremblantes devant cette fantaisie inattendue. Puis la fille que le meurtrier avait eue de la malheureuse, et dont les traits lui rappelaient ce qu'il avait détruit, lui inspirait un beau soir un appétit furieux. A la résistance il répondait par un nouvel égorgement, suivi d'un nouveau désespoir, d'où naissait une nouvelle déesse, un nouveau besoin d'oublier, d'autres appels à d'autres troupeaux de femmes parmi lesquels le cœur exaspéré et toujours inassouvi du taureau royal pût trouver un moyen de s'apaiser. Recherche impossible. Chaque nuit nouvelle amante, nouvelle crise, accès de furie devant l'impossible, et un meurtre. Quand il ne tue pas, le roi médo-sémite conçoit une autre idée. Il ne veut pas que telle fille devienne enceinte parce qu'elle est issue d'une race ennemie ou qui peut le devenir, et l'enfant, si c'était un fils, ne serait-il pas enclin à venger les malheurs de sa mère et de sa nation ? Les épouses royales restent tremblantes des conséquences possibles de l'amour du souverain. Si par malheur elles se croient en danger, elles cherchent à anéantir l'être qui n'existe pas encore. C'est là le harem, cette retraite sacrée où vit le monarque, ressemblance exacte, portraiture parfaite de son âme, la débauche sans limites, des sens effrénés, la haine accouplée au plaisir, un cœur qui s'affole et ne s'apprivoise pas, des assassinats, des incestes, des infanticides, des avortements, et des multitudes ahuries que la loi prosterne devant des bronzes de trois polices de haut, résultats derniers de toutes ces horreurs. Sans l'idée de l'influence de la race qui les rendait possibles, de pareilles institutions sont absolument inexplicables. Les annales persanes confirment ainsi ce que nos livres
sacrés et même les écrivains grecs ont raconté des monstruosités de la
société sémitique. Les grandes monarchies de Mais, précisément, lorsque ces vices répugnants firent
invasion à l'est et à l'ouest des pays assyriens, il n'est pas supposable
qu'ils se soient présentés seuls aux populations, sans l'appui, sans la
recommandation de quelques avantages assez sensibles, assez brillants pour en
dissimuler l'infamie, du moins au début. Les masses se trompent, sont
trompées ; nulle part elles ne sont scélérates, et elles ne s'aveuglent pas
sciemment. Les grandes monarchies assyriennes, par cela même qu'elles
divinisaient le pouvoir souverain, jouissaient de filmes beaucoup plus
concentrées que n'en purent jamais avoir les États féodaux, et se trouvaient
ainsi en état de réaliser de beaucoup plus grandes choses. Elles se
signalaient à l'admiration des peuples étrangers par deux Grands faits dont
le souvenir est resté très présent : l'existence de grandes armées
permanentes, n'obéissant qu'au maitre, et lui obéissant ponctuellement et
toujours, des armées de mercenaires dont la guerre était l'unique métier ;
puis l'accomplissement sur la plus vaste échelle de ces immenses travaux
publics, canaux, routes, forteresses, temples, palais, tombeaux qui ont fait
l'admiration et l'étonnement des siècles, et qui, avant de devenir des sujets
de déclamation et d'études archéologiques, furent pendant de longues périodes
les énergiques véhicules d'une richesse agricole, d'un commerce, d'une
industrie, d'une prospérité matérielle telle que le monde d'alors ne pouvait
voir ailleurs rien qui y pût être, comparé, si ce n'est l'Égypte, régie, par
suite de la nature de son sol et aussi par celle de sa race, d'après des
principes au moins très analogues à ceux de l'Assyrie. L'Iranien devait se
laisser éblouir par des résultats si frappants, par un spectacle d'apparence
si grandiose, et surtout, quand il n'avait pas encore éprouvé lui-même les
conséquences journalières du système, il devait penser que l'organisation
inventée par ses aïeux était bien loin de donner les beaux résultats dont il
admirait les fruits chez ses voisins de l'Ouest. De loin, il n'apercevait pas
l'impiété fondamentale, le pouvoir absolu de la force sans autre contrepoids que
la force elle-même, l'absence de droits chez le gouverné, une discipline de
fer et qui ne raisonnait ni ne laissait raisonner, et parce qu'il ne
remarquait rien de tout cela, il ne réfléchissait pas à la noblesse des
institutions qu'il allait perdre. Il ne se rappelait plus pie, chez lui, le
roi avait à respecter à la fois et les droits de ses dieux et ceux de son
peuple ; que la puissance souveraine contrôlée par les grands était partout
limitée et par le pouvoir féodal et par les lois religieuses ; que le père de
famille était un personnage si vénérable qu'il était lui-même son prêtre, et
que dans cette société libre, la moralité était si haute, la notion de
l'indépendance, du droit personnel si vaste, que rien ne pouvait les
embrasser ni les contenir. Au contraire, elles contenaient tout. Mais c'était
précisément là ce qu'on méconnaissait, parce que ces droits rigides ne
donnaient ni l'opulence ni les ressources de la volupté, et que la société
iranienne se sentait désormais assez entamée par les métis et les étrangers
pour n'avoir plus le plein et libre usage de son sens propre et primitif.
Elle était tombée dans la contradiction et le désordre, et s'était ouverte
d'elle-même aux envahisseurs. Ainsi avait eu lieu la conquête, et on peut en
rattacher l'idée à une tradition arabe très persistante qui se retrouve chez
tous les auteurs orientaux. On dit que dans une des portes de la ville de
Samarkand était anciennement encastrée une table de fer couverte d'une
inscription portant que la ville était éloignée de mille parasanges de la capitale
de son souverain, le Tobba, résidant à Sanaa, dans l'Yémen. Ici, les détails
importent peu. Vers le temps de Mahomet, les Arabes ne croyaient pas qu'il
eût jamais existé des souverains de leur race plus grands que les Tobbas de
l'Arabie méridionale. Ces princes étaient leur point extrême de comparaison
en fait d'omnipotence. L'empire de ces dynastes venait alors de s'écrouler,
et les peuples de L'établissement assyrien s'assit dans les contrées
djemshydites et de façon à y étouffer toutes tentatives de résistance. Des
colonies y fuirent conduites et installées, afin de mieux s'assurer des
territoires de Cependant, ainsi dominés, ainsi séduits, les Iraniens ne gardèrent pas longtemps leurs illusions. A la vérité, ils étaient trop bien garrottés avant d'en être revenus, pour pouvoir se dégager aisément des liens dont on venait de les charger. Pourtant toutes les annales sont unanimes sur ce point. Les protestations commencèrent presque avec l'intronisation de l'autorité étrangère. Probablement étouffées sans beaucoup de peine dans le pays plat, dans les villes riches et populeuses qui les premières avaient trahi la cause nationale, elles persistèrent davantage au sein des contrées montagneuses, principalement sur les frontières du nord où les populations étaient restées plus arianes et touchaient aux Scythes ; et ce fut à ce double titre que ce qu'on peut appeler déjà la résistance, naquit, pour ne plus mourir, sur un point de l'ancien État qui n'avait pas eu beaucoup de réputation dans les jours de prospérité, parce qu'il était le dernier pays colonisé et très probablement le plus pauvre de tous. A dater de ce moment cette terre devint une province particulièrement illustre dans l'Iran. Le Djebel ou Zohak installa des garnisons sur plusieurs points de |
[1] DIODORE SIC., II, 1-9.
[2] Genèse, X, 19-11.
[3] DIODORE SIC., II, 16-19. — LASSEN, ouvr. cité, t. I, p. 859.
[4] Les Orientaux ont gardé un souvenir très obscur de Sémiramis ; cependant ce souvenir existe. Hatusa-Isfahanv place au nombre des rois hymyarites Shamyr-Yourysh, fils d'Ahon-Karyb, fils d'Ifryk, fils d'Abrah, fils d'Al-Raysh. Suivant lui, les historiens de l'Yémen le confondent, bien qu'à tort, avec Alexandre le Grand, auquel il ressemble par les exploits et les conquêtes. C'est à lui et non au conquérant grec qu'appartient réellement le titre de Dzou-Ikarneyn, ou Maître des deux cornes. Il avait conquis le Khoraçan et renversé les murailles de Sogd, qui fut ensuite nommée, d'après lui, Shamyrkhand ou Samarkand, c'est-à-dire la ville de Shamyr. Quelques-uns pensent que Shamyr vivait au temps de Kishtasp ; d'autres assurent qu'il était antérieur et qu'il fut tué par Roustem, fils de Destan. D'après ce récit, Sémiramis change de sexe et devient un homme. On trouvera dans l'histoire des Achéménides un reflet de Sémiramis sur la reine Homay.
[5] Traité des écritures cunéiformes, t. II, p. 217 et passim.
[6]
Koush-nameh : Iran n'était pas alors le nom de la
terre d'Iran ; c'est Hebyreh que l'appelait l'homme de