HISTOIRE DES PERSES

LIVRE PREMIER. — PREMIÈRE ET SECONDE FORMATION DE L'IRAN.

CHAPITRE VII. — RÈGNE DE ZOHAK.

 

 

On a vu, à travers toutes les obscurités de la tradition, que le vainqueur immédiat du Djemshydite n'était pas le souverain suprême de la grande monarchie sémitique, agissant par lui-même, mettant sa personne en jeu, mais bien un feudataire exécutant les ordres de son souverain et très certainement soutenu par les forces dont celui-ci disposait.

Ce que laissent apercevoir à ce sujet les documents persans, les historiens grecs le confirment. Voici ce que raconte Diodore de Sicile.

Ninus ayant, le premier de tous les princes de l'Asie, rassemblé et discipliné une armée permanente, s'unit d'une alliance intime avec Ariæns, roi des Arabes. On a vu que certaines traditions persanes font précisément de Zohak un prince arabe habitant les contrées riveraines du golfe Persique. Aidé de cet allié, Ninus réduisit sous son gouvernement toute la Mésopotamie, puis ayant attaqué l'Arménie, il contraignit Barzanes, roi de cette contrée, à se soumettre et à s'unir à lui, comme l'avait déjà fait Ariæns ; il poussa droit contre les suèdes, alors soumis au sceptre d'un certain Pharnus. Celui-ci, vaincu, fut mis en croix avec ses sept fils et sa femme.

Ces exploits accomplis, l'empire assyrien se trouva fondé ; alors Ninus songea à la conquête des pays de l'Asie situés entre le Tamis et le Nil. Mais, et c'est ici que l'identité du récit de Diodore avec celui de la chronique persane se prononce, il employa principalement à cette grande expédition un de ses fidèles déjà institué satrape de la Médie. Ce prince n'est pas nommé par l'auteur grec, mais il s'identifie ne lui-même avec Koush-Héféran, en même temps que ce dernier, se confondant pour la légende orientale avec Zohak, tantôt donné comme étant le grand roi des Assyriens, tantôt comme n'étant que l'ami indiqué par Diodore, feudataire dans la Médie, province arrachée à la domination d'une ancienne race certainement ariane, probablement scythique, devient tout naturellement Déjocès.

Ce fut donc ce Zohak, ce Koush-Héféran et son fils Koush-Pyldendan, ce Déjocès, car ces noms divers s'unissent pour représenter l'allié de Ninus et le chef de la nouvelle dynastie médique, qui entreprit la conquête de l'empire des Djems. Dans un espace de dix-sept années, il réduisit à l'obéissance les Caduses et les Tapyres, habitants des rives méridionales de la Caspienne, les Hyrcaniens et les Drangiens, les Derbikkes, les Carmaniens, les Choramniens, les Borcans et les Parthes, tons les peuples du Nord en un mot, sauf les Bactriens. Il soumit également, assure Diodore, beaucoup d'autres nations moins importantes dont il serait trop long de parler, et j'admire comme les renseignements dont se servait l'écrivain grec avaient bien conservé, sans qu'il le pût comprendre, le fait du fractionnement politique établi par la féodalité dans l'empire iranien. Diodore, qui écrit en aveugle, ajoute pourtant que le feudataire de Médie s'empara aussi de la Perside et de la Susiane. Il se trompe évidemment, car par cela seul que l'ami de Ninas était roi des Mèdes, il l'était aussi des deux provinces annexées à cette région, et qui n'eu ont jamais été séparées. Les Perses, en effet, n'étaient qu'une colonie mède, Persée et sa descendance étant issus du sang de Médée ; ce point sera établi en son lieu.

A toutes ces conquêtes, Diodore montre d'ailleurs que le roi des Arabes, Ariæns, prit toujours une grande part, car ce ne fut que lorsqu'elles se trouvèrent accomplies que Ninus renvoya chez lui son allié en le comblant de présents. Cet allié est donc à attirer aussi dans la personnalité déjà si multiple de Zohak, puisqu'il a contribué, ainsi qu'on l'a vu, à fournir des traits notables de cette physionomie.

Les conquêtes achevées, à souverain suprême de tant d'États pensa à se donner une capitale, et dans un espace aréal embrassant quatre cent quatre-vingts stades, il fonda Ninive. Jusqu'alors ville si grande et si magnifique ne s'était pas vue dans l'univers. Les murs d'enceinte mesuraient cent pieds de hauteur, et trois chars lancés de front pouvaient circuler à leur sommet. Quinze cents tours hautes de deux cents pieds dominaient ces remparts superbes. Une population composée de puissants Assyriens s'était adjointe toutes les multitudes étrangères qui avaient voulu habiter avec elle ; les nouveaux venus s'étaient surtout établis dans les immenses faubourgs entourant lu cité.

Ensuite, Ninus résolut de parfaire la soumission des territoires iraniens, en mettant fin à la résistance prolongée de la Bactriane. Le roi de Médie, son vassal, le roi des Arabes, le roi d'Arménie, n'avaient pu venir à bout de cette province où s'était concentré le dernier effort du souverain djemshydite, et lui-même y avait échoué une première fois. Il ordonna une seconde expédition.

Ici se place l'histoire des premières années de Sémiramis, comment, fille de la déesse assyrienne Derkéto, exposée dans le désert, nourrie par des colombes, elle avait été recueillie par des pasteurs qui avaient conduit l'enfant au gardien des juments royales, Simma, lequel l'avait adoptée pour sa fille. Un grand seigneur assyrien, Onnès, chef du conseil royal et gouverneur de toute l'Assyrie, étant venu pour inspecter les troupeaux, devint amoureux de la jeune fille, l'épousa, et eu eut deux fils, Hyapatès et Hydaspès.

On a vu que d'après l'annaliste que je paraphrase ici et qui rte fait que copier Ctésias, l'histoire de Sémiramis commence avec la conquête de la Bactriane. A la vérité, Diodore assigne à cette héroïne une origine assyrienne. Mais il donne des noms iraniens aux enfants du premier mari, et c'est d'une manière tout analogue que la tradition persane, en hésitant aussi à attribuer dès noms de même origine à Zohak, comme, par exemple, celui de Peyourasp, et en le montrant allié par le sang à la maison des Djems, porte témoignage que l'histoire de la grandeur de l'Assyrie.ne commence réellement qu'avec la conquête des terres iraniennes, ou du moins telle était l'opinion qui prévalait dans les mémoires sur lesquels Ctésias, le guide de Diodore, avait composé ses récits.

En nous fournissant, ce que ne fait pas la légende orientale, les détails de la prise de possession des contrées pures, et en nous montrant que cette opération a exigé des années, des efforts répétés et l'emploi de toutes les forces de l'Occident sémitique, Ctésias n'avance que des faits nécessaires et incontestables. Un empire centralisé tombe du jour au lendemain ; une monarchie féodale a la vie plus dure parce que le principe de l'existence est entretenu chez elle dans beaucoup de foyers qu'on ne parvient à étouffer que successivement. La révolte intérieure, sans laquelle il serait même impossible de tenter l'aventure, peut ouvrir les portes aux envahisseurs, mais elle ne les dispense pas de fatigues et de peines qui même n'aboutissent pas toujours au succès. Les compilateurs grecs des anciennes chroniques perses donnent donc ici l'aspect vrai des choses.

Ninas, certain des difficultés qu'il allait rencontrer pour en avoir déjà éprouvé de pareilles, se mit en marche à la tête d'une armée de sept millions de fantassins, deux cent dix mille cavaliers et seize cents chars armés de faux. Il fit son plan de manière à attaquer à la fois toutes les villes et tous les cantons de la Bactriane, dans le but de prévenir l'appui que les seigneurs auraient pu porter à leur chef suprême ou bien qu'ils auraient voulu se donner entre eux.

Le roi de la Bactriane s'appelait alors Oxyartès. Il est à croire qu'il s'agit ici du dernier Djemshydite et non pas du feudataire qui occupait sous lui la province. Ce prince rassembla quatre cent mille guerriers exercés, laissa les Assyriens pénétrer dans le plat pays, se jeta brusquement sur eux, et les ayant mis en fuite, les poursuivit jusqu'aux montagnes, où il tua cent mille de leurs gens.

Cette victoire aurait dû assurer son salut ; mais il arriva ici ce que produisent d'ordinaire les organisations féodales. L'armée victorieuse d'Oxyartès se dispersa, et chacun retourna dans son château, dans son village ou dans sa ville. Le roi d'Assyrie rallia ses troupes, attaqua ses vainqueurs, les défit en détail, s'empara de leurs cités, et vint enfin mettre le siège devant Bactræ ou Balkh, réduite à ses seules ressources. Ces ressources étaient grandes encore. La place était forte, la garnison nombreuse, la défense formidable. Ninus ne prenait pas la ville. Il arriva alors qu'Onnès, le mari de Sémiramis, ennuyé de ne pas voir la femme dont il était épris et qu'il avait l'habitude de consulter daims toutes ses affaires, lui manda de venir au camp. Elle s'empressa de se rendre aux désirs de sou mari, et pour accomplir un voyage si long et si fatigant, elle inventa un vêtement qui ne pouvait trahir son sexe ni gêner la liberté de ses mouvements. Ce fut cc genre d'habit, dont la grâce est telle, dit Diodore, que par la suite les Mèdes et ensuite les Perses s'empressèrent de l'adopter et le portèrent universellement. Ainsi, Sémiramis avec ses enfants aux noms iraniens, portait de plus le costume qui fut toujours connut depuis les temps historiques pour être celui des Mèdes et, par conséquent, des hommes de la Loi pure, car c'est ainsi que l'entendent les Grecs.

Sémiramis, douée d'un esprit et d'un coup d'œil merveilleux, ne tarda pas à remarquer la situation critique où se trouvaient les Assyriens, et elle se rendit compte que, ceux-ci ne faisant aucune démonstration contre la citadelle, tout occupés qu'ils étaient à assaillir les endroits les plus faibles, cette citadelle était mal gardée par les défenseurs de la place, trop confiants dans la difficulté des approches. Elle réunit un certain nombre de soldats accoutumés à escalader les hauts lieux, et grimpant avec eux le long des escarpements les plus difficiles, elle parvint jusqu'aux remparts de l'acropole, en occupa le sommet, et de là avertit les siens de son succès. Les guerriers iraniens, surpris et épouvantés, désertèrent leurs postes qu'ils jugeaient dès lors intenables, et la place tomba entre les mains des assaillants.

L'admiration et les récompenses ne manquèrent pas à Sémiramis. Mais Ninus, allant au delà de la reconnaissance et frappé de sa beauté, en devint éperdument amoureux. Il la demanda à son mari, qui refusa de la céder. En vain, Ninus lui offrit en dédommagement la main de sa fille Sosana, probablement Sousan, le lys ; voyant qu'il ne pouvait vaincre sa résistance, il le menaça de lui faire arracher les yeux, et Onnès désespéré se pendit. Sémiramis devint femme du monarque d'Assyrie et reine souveraine.

Ninus mourut. Sa veuve lui fit ériger un tombeau glorieux, tumulus immense, large de dix stades et haut de neuf, sur lequel on construisit ensuite une forteresse qui exista plus longtemps que l'empire ninivite et longtemps encore après que les Mèdes eurent renversé l'État dont jadis ils étaient les vassaux[1].

Je reviendrai tout à l'heure à la personnalité de Sémiramis, qui mérite d'être examinée ; en ce moment, il s'agit de terminer ce qu'il y a à dire sur Zohak. Il est certain, d'après ce qui précède et qui s'incorpore d'une manière si manifeste dans la légende iranienne, que ce prince, personnifiant la conquête sémitique au milieu de l'Iran et l'agrandissement formidable de l'empire des Adites, ou, si l'on aime mieux, des Ninivites, doit être considéré comme une figure synthétique dans laquelle Ninus et tous les chefs secondaires que j'ai nommés et que mentionnent aussi bien les Orientaux que les Grecs, se réunissent, tout en laissant apercevoir des traces notables de leurs existences séparées. La confusion établie sur les origines, sur les titres, sur les noms véritables du colosse assyrien, en est la preuve manifeste. On peut conserver le nom de Ninus comme étant celui qui convient le mieux au souverain suprême pour lequel et par lequel se sont accomplies toutes les conquêtes dans l'Iran ; on peut donner le nom de Déjocès, ou Dahaka, ou Zohak, à son puissant vassal de Médie ; dans l'un comme dans l'autre système, pourvu qu'on ne supprime rien des indications fournies par les autres personnages aperçus sous ces deux appellations, on restera fidèle au véritable esprit de la tradition.

L'idée de vassaux grands et puissants attachés à la monarchie ninivite est un fait si important pour les Orientaux, et qui est demeuré si ferme dans leur esprit, qu'un très ancien historien arabe, Aboul-Faouarès, cité par Moslih-Eddyn Mohammed Lary, assure que Nemrod n'était autre que le gouverneur institué par Zohak sur les pays de la Loi pure.

D'ailleurs, aussitôt la conquête accomplie, Zohak ne parait plus comme souverain direct du sud de la Perse. Ce titre appartient à Héféran ou Koush-Héféran que j'ai déjà nommé, qui s'identifie tout naturellement avec le roi des Mèdes institué par Ninus, et qui, d'ailleurs, réside à Ramadan, c'est-à-dire Ecbatane. Il est fils du roi Nywaseb, et l'auteur du Koush-nameh fait ce dernier fils de Zohak ; ailleurs il n'est donné que comme son parent par

Peut-être est-ce encore ici une indication obscure de l'existence de la dynastie médique de Ninive. Puis Zohak fait en ce point pendant à Djem-Shyd : sa personnalité représente non seulement tout le mouvement militaire et conquérant de l'Assyrie à l'époque de la conquête de l'Iran, mais encore une série entière et fort longue de dynasties dont la tradition persane, qui en a oublié le détail, se souvient dans l'ensemble, puisqu'elle dit que Zohak a régné mille ans moins un jour. Ici les documents conservés par Ctésias et Diodore trouvent leur place, ainsi que ceux dont se sert Hérodote, et nous pouvons en toute certitude revenir à l'histoire de Sémiramis. C'est à la fois une reine assyrienne, mède et iranienne.

On la voit consolider et étendre l'empire fondé par l'éponyme Ninus. Elle bâtit Babylone, assure Diodore, bien que Bérose s'élève contre cc sentiment, et il parait avoir raison. Elle peut avoir agrandi la ville, ou, pour être plus vrai, la domination ninivite que représente son nom a accompli une telle œuvre et bien d'autres. Quant à la création de Babylone proprement dite et même à celle de Ninive, le mieux est de n'en pas parler avec trop d'insistance. La Bible dit, au rebours de l'histoire profane, que la première de ces villes a été construite avant l'autre et fut l'œuvre de Nemrod :

Et le commencement de son règne fut Babel, Erek, Akkad et Kalné, au pays de Sinhar.

De ce pays-là sortit Assur, et il bâtit Ninive et les rues de la ville, et Kalah[2].

Ce qu'il importerait de savoir d'une manière certaine, c'est ce que le Livre saint prétend désigner par le pays de Sinhar. J'ai déjà présenté mes doutes sur l'identification avec la Mésopotamie, et j'ai dit combien je serais enclin à voir là une contrée située à l'orient, séjour antérieur des populations émigrantes. Quant aux noms de Babel et de Ninive, j'ai indiqué aussi que l'antiquité ne donnait jamais de dénominations précises et directes, mais seulement des noms vagues. En considérant que Babel ne signifie autre chose que la Porte de Dieu, c'est-à-dire un lieu consacré quelconque, on conçoit que bien des localités ont pu, ont dît être ainsi dénommées. Quant à Ninive, c'est une forme de l'arabe newy, la maison, la demeure, et ce ternie est encore plus indécis que celui de Babel. L'opinion la plus vraisemblable, c'est que personne n'a fondé ni la Ninive ni la Babel de l'Assyrie, et que, nées obscurément du concours des populations, ces deux cités se sont Graduellement agrandies, fortifiées et embellies sous le règne des souverains de la dynastie zohakite, adite ou quel que soit le nom qu'on voudra lui donner.

Sémiramis fit encore de grandes créations dans la Médie, enrichit Ecbatane de monuments considérables., an nombre desquels on cite surtout les travaux d'irrigation. Dans la Perside, elle multiplia tellement les constructions, que partout, jusqu'au temps où écrivait Ctésias, il était d'usage de loi attribuer les restes de palais et de remparts ruinés répandus çà et là, et l'on prétendait que c'étaient ses camps, absolument comme en France les vestiges des Romains passent encore aujourd'hui pour devoir leur origine à César.

Je n'insiste pas sur les prétendues conquêtes de la reine d'Assyrie, elles sont par trop immodérées ; s'il est admissible et même presque assuré qu'à l'ensemble des provinces de la Mésopotamie, de la Médie, de la Perside, de la Susiane, composant le noyau de l'empire, et aux États iraniens conquis, la monarchie assyrienne ait réuni, comme le veut. Diodore, la Cilicie, la Pamphylie, la Lycie, la Carie, la Phrygie, la Mysie et la Lydie ; la Troade jusqu'à l'Hellespont, la Propontide, la Bithynie et la Cappadoce, il semble prudent d'eu retrancher les territoires des Barbares situés vers le Tanaïs, et surtout l'Égypte et la Phénicie, la Libye, l'Éthiopie et l'Oracle d'Ammon. Rien n'empêche cependant que les gouverneurs assyriens de Bactræ ou Balkh aient pu diriger des expéditions contre l'Inde. Il semble, au contraire, que de telles collisions aient dû être dans la nature des choses. Le roi hindou Stabrobates, qui parait avoir été nommé réellement Sthavira-Pati ou Sthavara-Pati, seigneur de la terre ferme, fut battu dans une première rencontre et dut laisser le passage de libre aux agresseurs ; mais il prit sa revanche dans une seconde affaire, et Sémiramis, rejetée au delà du fleuve et ayant perdu les deux tiers de son armée, renonça à toute prétention sur un domaine si bien défendu[3].

La grande Reine mourut à soixante ans, après un règne de quarante-deux ans, et les Assyriens prétendaient qu'elle avait été changée en colombe. Le nom et l'idée de cet oiseau domine toute la vie de cette femme. Elle est nourrie par des colombes, elle est belle comme une colombe, elle est lascive comme une colombe, et quand son destin est achevé, elle devient colombe. Athénée et d'autres historiens se sont refusés à voir en elle une fille de Derkéto, adoptée par un grand seigneur ; suivant eux, ce n'était qu'une courtisane. J'ai fait remarquer que les noms des fils qu'elle avait eus de son premier mari étaient arians, peut-être médiques, peut-être iraniens. Dans tous les cas, elle indique bien un moment de contact étroit entre la race sémitique et les peuples blancs du Nord[4].

Après elle régna son fils Ninias, et ici Diodore, n'en racontant pas plus sur cette dynastie, se borne à établir que les descendants de Ninus se maintinrent sur le trône pendant trente générations jusqu'à Sardanapale. Hérodote introduit Nitocris dans la liste et place cette reine cinq générations après Sémiramis. En supposant à chaque génération trente-trois ans de durée, ce qui produit le chiffre assez normal de trois générations par siècle, ou obtiendrait neuf cent quatre-vingt-dix ans et quelque chose pour la durée totale de la dynastie ninivite ; ce calcul correspondrait assez bien aux assertions des Persans relativement à la durée du règne de Zohak, et achèverait de démontrer que ce qu'ils rapportent des actions, des conquêtes, de la puissance de ce prince s'applique à ce que les Grecs ont appris à Suse des monarques ninivites. Nous ayons donc la même tradition reproduite par des esprits de nature différente.

 Les habitudes, les mœurs, non seulement des rois de Ninive, niais surtout de leurs feudataires de Médie, dont les Iraniens dépendaient plus directement et dont ils sentaient davantage l'action, contrastaient si fort avec les usages des pays de la Loi pure, qu'une assimilation corn-piège était plus que difficile à amener entre les cieux populations. Le souvenir de cet antagonisme moral s'est conservé avec une vivacité qui étonne. Originairement, sans doute, les Mèdes, en tant qu'Arians-Scythes, sentaient dans leurs veines le même sang que les hommes de la Bonne Loi. Mais un grand nombre d'entre eux s'étant alliés aux Sémites, avaient pris la direction et la couleur des idées de ceux-ci. Toutefois le fait n'était pas absolu, la confusion n'était pas entière, et la facilité avec laquelle la Médie se rallia quelques siècles plus tard aux pays iraniens porterait à croire que les populations scytho-médiques s'étaient recrutées d'apports d'essence ariane par l'invasion de nouvelles tribus du Nord, ce qui leur avait permis de lutter sans désavantage contre l'immixtion également croissante des éléments sémitiques. Ceci parait admissible pour les sujets ; quant à la maison régnante, elle était absolument pervertie.

Les princes de cette famille faisaient fabriquer des figures à la ressemblance des personnes qui leur étaient chères, raconte le Koush-nameb, de leurs femmes, de leurs maîtresses, de leurs filles, et les mettant à côté de leurs propres images, commandaient aux grands et au peuple de les adorer. La résistance à de tels ordres était punie de mort, et c'est de la menace perpétuelle des supplices que nous entretient la Bible aussi bien que les poèmes persans ; il en faut déduire le peu de goût des populations médo-scythiques pour de pareils cultes. On ne saurait mieux exposer le caractère de cette idolâtrie personnelle et sanguinaire qu'en laissant le Koush-nameh raconter nue des actions de son héros, dans un passage dont la physionomie vraiment antique s'est admirablement conservée sous le vernis plus moderne donné par le narrateur.

Koush, surnommé Pyldendan, l'homme aux dents d'éléphant, fils de Koush-Héféran, roi des Mèdes, quitta un jour sa capitale, Ecbatane ou Hamadas, située sur les bords de la mer de Khawer, pour conduire son armée dans le Mekran. C'était là, comme on l'a vu plus haut, une des deux routes de terre qui conduisaient dans l'ancien Iran.

Au milieu de la mer de Khawer s'élevait une ile bien boisée, où un habitant du pays mena le roi. Celui-ci admira la beauté du lieu et voulut y laisser un souvenir éternel de son passage. Par ses ordres, ses soldats se mirent à tailler des pierres immenses. Ce travail dura quatre mois, au bout desquels s'éleva une muraille d'une grandeur, d'une hauteur, d'une force extraordinaires. Quand elle fut terminée, les ouvriers y encastrèrent une vaste table de marbre sur laquelle fut sculptée l'image de Koush-Pyldendan lui-même. Il était représenté la main ouverte, et au bas se lisait une inscription dont le sens était : Cette figure est celle du magnanime Koush, semblable au l'en dans les combats, portant la couronne des rois avec majesté, maitre du Khawer en toute splendeur et magnificence. Puis suivait le récit des grandes actions titi monarque et la liste des villes et des régions qu'il avait conquises.

Ne voulant pas que cc monument élevé à sa gloire restât dans la solitude, ignoré du inonde, Koush-Pyldendan fonda tout auprès une ville où il colonisa trente mille personnes, hommes et femmes, laboureurs, marchands et artisans, amenés des pays d'alentour. Il commença par leur distribuer en abondance ce qui pouvait être nécessaire à leur complet établissement, des vivres, des bœufs, des ânes, des moutons, des instruments de travail. Il leur partagea des terres fertiles à l'entour de la. ville et fonda un bazar. Comme il voulait que la cité créée par lui devint illustre, il la nomma Koushan, de son propre nom. On pourrait reconnaître sans trop d'efforts dans la légende que je rapporte, l'histoire de l'origine de la ville actuelle de Kashan, qui aurait ainsi commencé par occuper une position insulaire dans la mer de Khawer, ce que l'état actuel des lieux ne rend pas invraisemblable.

Comme c'était pour s'honorer lui-même que Koush-Pyldendan avait fondé la nouvelle cité, il ordonna qu'au commencement de chaque année les habitants de Koushan se réuniraient devant la muraille, en face de la plaque de marbre ornée de sa gigantesque ressemblance, et que là ils accompliraient avec respect les rites de l'adoration due à la Divinité.

Bien que ce récit, tel qu'on peut le lire aujourd'hui, ne date que des temps musulmans, il provient évidemment d'une époque bien antérieure, et eût-on le bonheur de posséder la relation contemporaine de la fondation d'une ville par un prince médo-assyrien, les couleurs du récit, les détails, ne pourraient guère être plus caractéristiques.

Cette idolâtrie du maître et de sa personne, et par suite de ses affections, voire de ses caprices, comportait une extension illimitée de l'apothéose. Outre le culte officiel, qui s'étendait, se modifiait, se transformait à chaque nouveau règne, les sujets avaient encore liberté plénière de se fabriquer tous les dieux dont ils se sentaient l'envie, et le Livre de Koush remarque qu'on possédait des idoles de la grandeur de la main, auxquelles chacun rendait hommage à sa fantaisie. Sous ce rapport, point d'empêchement, nulle défense. Les dogmes acceptés reconnaissaient que des forces divines pouvaient se concentrer et opérer dans  n'importe quelle manifestation de la forme[5] Mais s'il était permis de tout adorer, de tout transformer en talismans, de se faire, sous l'empire de quelque fantaisie que ce fût, une amulette quelconque, il était strictement interdit de nier cette ubiquité de l'unité divine, et, plus forte raison, de particulariser en une seule et restrictive conception du Souverain des êtres et de ses principaux esprits, une doctrine religieuse qui, laissant le prince au sein de l'humanité, arrivait par là au crime de haute trahison. La mort et les tortures menaçaient, comme je l'ai dit tout à l'heure, les hommes assez malavisés pour repousser le naturalisme sémitique. La Bible montre bien, en ce qui concerne les Juifs, combien l'État assyrien était inquiet sur ce point, et tout ce qu'on risquait à ne pas pousser jusqu'au bout avec lui ce qu'il devait considérer, en effet, comme le plus important de ses principes constitutionnels.

Les peuples étaient ainsi démoralisés par le fond, et il le fallait pour que le système entier devint applicable. Quand l'État est tout, il doit, un jour ou l'autre, avoir tout, et ce qu'on lui retient, on le lui vole. C'était l'avis de l'empereur romain, comme celui du souverain ninivite. L'un et l'autre prétendaient trôner divinement dans la conscience des sujets, et, afin de se rendre plus vénérables, l'un et l'autre avaient également compris la nécessité de se soustraire alitant que possible à la vue des adorants. Si le prince assyrien apparaissait, quelquefois et de loin, aux regards des sujets, c'était à travers une multitude d'eunuques, d'esclaves, de gardes, de grands. Il vivait derrière cent portes fermées et cent rideaux tirés au fond de pavillons cachés dans des jardins silencieux, entouré de femmes rassemblées de toutes parts et qui devenaient des offrandes consacrées. Ces femmes, placées sans cesse entre la passion du souverain et son dégoût subit, passaient leur vie inconnues au monde ou du moins oubliées de lui, et livrées à toutes les chances de l'existence la plus variable.

On raconte du même Koush-Pyldendan, dont il a été dit tout à l'heure comment et pourquoi il fonda Koushan, qu'il était sans cesse livré aux fureurs de ses amours. Il idolâtrait une maîtresse, et, pour un caprice, la massacrait dans son lit même. Aussitôt le désespoir le prenait, non moins désordonné chie sa rage, non moins effréné que sa tendresse. De sa victime il faisait une déesse, et les villes, sous peine de carnage, se prosternaient tremblantes devant cette fantaisie inattendue. Puis la fille que le meurtrier avait eue de la malheureuse, et dont les traits lui rappelaient ce qu'il avait détruit, lui inspirait un beau soir un appétit furieux. A la résistance il répondait par un nouvel égorgement, suivi d'un nouveau désespoir, d'où naissait une nouvelle déesse, un nouveau besoin d'oublier, d'autres appels à d'autres troupeaux de femmes parmi lesquels le cœur exaspéré et toujours inassouvi du taureau royal pût trouver un moyen de s'apaiser. Recherche impossible. Chaque nuit nouvelle amante, nouvelle crise, accès de furie devant l'impossible, et un meurtre.

Quand il ne tue pas, le roi médo-sémite conçoit une autre idée. Il ne veut pas que telle fille devienne enceinte parce qu'elle est issue d'une race ennemie ou qui peut le devenir, et l'enfant, si c'était un fils, ne serait-il pas enclin à venger les malheurs de sa mère et de sa nation ? Les épouses royales restent tremblantes des conséquences possibles de l'amour du souverain. Si par malheur elles se croient en danger, elles cherchent à anéantir l'être qui n'existe pas encore. C'est là le harem, cette retraite sacrée où vit le monarque, ressemblance exacte, portraiture parfaite de son âme, la débauche sans limites, des sens effrénés, la haine accouplée au plaisir, un cœur qui s'affole et ne s'apprivoise pas, des assassinats, des incestes, des infanticides, des avortements, et des multitudes ahuries que la loi prosterne devant des bronzes de trois polices de haut, résultats derniers de toutes ces horreurs. Sans l'idée de l'influence de la race qui les rendait possibles, de pareilles institutions sont absolument inexplicables.

Les annales persanes confirment ainsi ce que nos livres sacrés et même les écrivains grecs ont raconté des monstruosités de la société sémitique. Les grandes monarchies de la Mésopotamie, principalement, ne se contentèrent pas de les imaginer pour elles-mêmes. Elles les étendirent aux régions tombées dans l'orbite de leur influence, et surtout à l'ancien empire des Djemshydites.

Mais, précisément, lorsque ces vices répugnants firent invasion à l'est et à l'ouest des pays assyriens, il n'est pas supposable qu'ils se soient présentés seuls aux populations, sans l'appui, sans la recommandation de quelques avantages assez sensibles, assez brillants pour en dissimuler l'infamie, du moins au début. Les masses se trompent, sont trompées ; nulle part elles ne sont scélérates, et elles ne s'aveuglent pas sciemment. Les grandes monarchies assyriennes, par cela même qu'elles divinisaient le pouvoir souverain, jouissaient de filmes beaucoup plus concentrées que n'en purent jamais avoir les États féodaux, et se trouvaient ainsi en état de réaliser de beaucoup plus grandes choses. Elles se signalaient à l'admiration des peuples étrangers par deux Grands faits dont le souvenir est resté très présent : l'existence de grandes armées permanentes, n'obéissant qu'au maitre, et lui obéissant ponctuellement et toujours, des armées de mercenaires dont la guerre était l'unique métier ; puis l'accomplissement sur la plus vaste échelle de ces immenses travaux publics, canaux, routes, forteresses, temples, palais, tombeaux qui ont fait l'admiration et l'étonnement des siècles, et qui, avant de devenir des sujets de déclamation et d'études archéologiques, furent pendant de longues périodes les énergiques véhicules d'une richesse agricole, d'un commerce, d'une industrie, d'une prospérité matérielle telle que le monde d'alors ne pouvait voir ailleurs rien qui y pût être, comparé, si ce n'est l'Égypte, régie, par suite de la nature de son sol et aussi par celle de sa race, d'après des principes au moins très analogues à ceux de l'Assyrie. L'Iranien devait se laisser éblouir par des résultats si frappants, par un spectacle d'apparence si grandiose, et surtout, quand il n'avait pas encore éprouvé lui-même les conséquences journalières du système, il devait penser que l'organisation inventée par ses aïeux était bien loin de donner les beaux résultats dont il admirait les fruits chez ses voisins de l'Ouest. De loin, il n'apercevait pas l'impiété fondamentale, le pouvoir absolu de la force sans autre contrepoids que la force elle-même, l'absence de droits chez le gouverné, une discipline de fer et qui ne raisonnait ni ne laissait raisonner, et parce qu'il ne remarquait rien de tout cela, il ne réfléchissait pas à la noblesse des institutions qu'il allait perdre. Il ne se rappelait plus pie, chez lui, le roi avait à respecter à la fois et les droits de ses dieux et ceux de son peuple ; que la puissance souveraine contrôlée par les grands était partout limitée et par le pouvoir féodal et par les lois religieuses ; que le père de famille était un personnage si vénérable qu'il était lui-même son prêtre, et que dans cette société libre, la moralité était si haute, la notion de l'indépendance, du droit personnel si vaste, que rien ne pouvait les embrasser ni les contenir. Au contraire, elles contenaient tout. Mais c'était précisément là ce qu'on méconnaissait, parce que ces droits rigides ne donnaient ni l'opulence ni les ressources de la volupté, et que la société iranienne se sentait désormais assez entamée par les métis et les étrangers pour n'avoir plus le plein et libre usage de son sens propre et primitif. Elle était tombée dans la contradiction et le désordre, et s'était ouverte d'elle-même aux envahisseurs. Ainsi avait eu lieu la conquête, et on peut en rattacher l'idée à une tradition arabe très persistante qui se retrouve chez tous les auteurs orientaux. On dit que dans une des portes de la ville de Samarkand était anciennement encastrée une table de fer couverte d'une inscription portant que la ville était éloignée de mille parasanges de la capitale de son souverain, le Tobba, résidant à Sanaa, dans l'Yémen. Ici, les détails importent peu. Vers le temps de Mahomet, les Arabes ne croyaient pas qu'il eût jamais existé des souverains de leur race plus grands que les Tobbas de l'Arabie méridionale. Ces princes étaient leur point extrême de comparaison en fait d'omnipotence. L'empire de ces dynastes venait alors de s'écrouler, et les peuples de la Péninsule en avaient encore l'imagination remplie. S'il faut se garder d'attacher une importance quelconque à l'indication du monarque, ni au nom de sa prétendue capitale, ni même u celui de la ville qui était censée relever de lui, On n'en doit pas moins remarquer que le pouvoir de certains rois de race arabe avait été autrefois étendu jusqu'aux limites du nord de l'Iran primitif, et il n'est pas douteux que ce souvenir se rattache aux temps de Zohak, tout aussi bien que ce que les écrivains grecs ont pu savoir des conquêtes de Ninus et de Sémiramis.

L'établissement assyrien s'assit dans les contrées djemshydites et de façon à y étouffer toutes tentatives de résistance. Des colonies y fuirent conduites et installées, afin de mieux s'assurer des territoires de la Bonne Loi. On prétend retrouver dans l'ancienne Kandahar, sous le nom de Kophen, une de ces antiques fondations qui serait parvenue de très bonne heure à une glorieuse prospérité.

Cependant, ainsi dominés, ainsi séduits, les Iraniens ne gardèrent pas longtemps leurs illusions. A la vérité, ils étaient trop bien garrottés avant d'en être revenus, pour pouvoir se dégager aisément des liens dont on venait de les charger. Pourtant toutes les annales sont unanimes sur ce point. Les protestations commencèrent presque avec l'intronisation de l'autorité étrangère. Probablement étouffées sans beaucoup de peine dans le pays plat, dans les villes riches et populeuses qui les premières avaient trahi la cause nationale, elles persistèrent davantage au sein des contrées montagneuses, principalement sur les frontières du nord où les populations étaient restées plus arianes et touchaient aux Scythes ; et ce fut à ce double titre que ce qu'on peut appeler déjà la résistance, naquit, pour ne plus mourir, sur un point de l'ancien État qui n'avait pas eu beaucoup de réputation dans les jours de prospérité, parce qu'il était le dernier pays colonisé et très probablement le plus pauvre de tous. A dater de ce moment cette terre devint une province particulièrement illustre dans l'Iran.

Le Djebel ou la Montagne, la contrée qui s'étend entre les confins de la province de Hérat, Haroyou, l'Arie des Grecs et la limite extrême du pays de Rhagès, allait jouer désormais un grand rôle. C'est à proprement parler, avec quelques modifications de frontières, la Parthyène ; la région de l'Elbourz, nommée par les livres zends Hareherezeyty ; une terre qui, disent les légendes, s'est nommée primitivement le Hebyreh[6], forme moderne du nom antique ; enfin, c'est ce qu'on appelait au moyen âge et qu'on nomme encore quelquefois le Kohistan ou le Djebel de Rey, la contrée montagneuse au pied de laquelle est Rhagès. Les principales villes de ce pays étaient, aux temps primitifs, Rhaga aux trois châteaux, Chakhra la forte, et Varena la carrée.

Zohak installa des garnisons sur plusieurs points de la Montagne ; le fait est attesté pour Demawend. Il ne paraît pas que les Assyriens se soient occupés de fonder des établissements dans une région rude et sauvage où des laboureurs et surtout des bergers fort agrestes ne méritaient pas d'are surveillés de bien près. Ce fut lit pourtant que l'esprit de haine contre l'étranger se développa tout d'abord et se maintint sans jamais faiblir. Longtemps on put le méconnaître ou le mépriser, car il n'avait pas de moyens de se faire jour. Cependant, dans un demi-secret, la religion des ancêtres se conservait an fond des châteaux et des villages. Avec la religion survivaient l'amour des anciennes coutumes et le regret des anciens rois. Toute domination est nécessairement plus adroite, plus ferme, plus sage, plus précautionneuse à ses débuts que quand elle a déjà vieilli et se croit bien assise. Il arriva qu'avec le temps l'oppression assyrienne, déjà odieuse à ces descendants plus purs des anciens Arians, devint plus odieuse encore. On oublia les torts des derniers Djemshydites pour ne plus se souvenir que de leur noble et grande origine ; on oublia qu'une partie des Iraniens avaient eux-mêmes voulut devenir les sujets de Zohak. On se rappela les lois, les mœurs du passé, et on les jugea excellentes parce qu'on ne les avait plus, ou du moins parce qu'elles ne dominaient pins. Les populations de la Montagne passèrent graduellement de l'opposition sourde à l'opposition déclarée, et il se prépara peu à peu un jour où, les circonstances s'y prêtant, l'insurrection allait devenir patente. Avant de raconter les événements auxquels cette tendance des esprits donna lieu, il importe de connaître avec quelque précision et la nature physique de la contrée qui va en être le théâtre, et bien des faits de détail appartenant aux derniers moments de l'empire djemshydite et aux premiers jours de la domination de Zohak, que je n'ai pas encore eu l'occasion de rapporter. Je commencerai par la description géographique.

 

 

 



[1] DIODORE SIC., II, 1-9.

[2] Genèse, X, 19-11.

[3] DIODORE SIC., II, 16-19. — LASSEN, ouvr. cité, t. I, p. 859.

[4] Les Orientaux ont gardé un souvenir très obscur de Sémiramis ; cependant ce souvenir existe. Hatusa-Isfahanv place au nombre des rois hymyarites Shamyr-Yourysh, fils d'Ahon-Karyb, fils d'Ifryk, fils d'Abrah, fils d'Al-Raysh. Suivant lui, les historiens de l'Yémen le confondent, bien qu'à tort, avec Alexandre le Grand, auquel il ressemble par les exploits et les conquêtes. C'est à lui et non au conquérant grec qu'appartient réellement le titre de Dzou-Ikarneyn, ou Maître des deux cornes. Il avait conquis le Khoraçan et renversé les murailles de Sogd, qui fut ensuite nommée, d'après lui, Shamyrkhand ou Samarkand, c'est-à-dire la ville de Shamyr. Quelques-uns pensent que Shamyr vivait au temps de Kishtasp ; d'autres assurent qu'il était antérieur et qu'il fut tué par Roustem, fils de Destan. D'après ce récit, Sémiramis change de sexe et devient un homme. On trouvera dans l'histoire des Achéménides un reflet de Sémiramis sur la reine Homay.

[5] Traité des écritures cunéiformes, t. II, p. 217 et passim.

[6] Koush-nameh : Iran n'était pas alors le nom de la terre d'Iran ; c'est Hebyreh que l'appelait l'homme de la Loi pure.