SOLIDARITÉ DE LA FAMILLE DANS LE DROIT CRIMINEL EN GRÈCE

LIVRE DEUXIÈME. — PÉRIODE DE TRANSITION — LA CITÉ CONTRE LA FAMILLE.

CHAPITRE VII. — SOLON ET L’AFFRANCHISSEMENT DE LA PROPRIÉTÉ.

 

 

En déterminant dans le γένος des cercles concentriques de parentèles, la législation de Dracon avait rompu son unité sang compromettre son existence. La cité continuait à renfermer des γένη d’Eupatrides, groupes puissants qui entretenaient entre eux des relations politiques. L’État, troublé par les guerres privées des grandes familles, était tenu en échec par leur coalition permanente et spontanée contre les pouvoirs publics. Le malheureux qui n’en faisait point partie était plus que jamais écrasé par leur richesse et leur orgueil tyranniques. Ceux-là mêmes qui appartenaient à ces associations naturelles n’avaient pas toujours à s’en féliciter : l’individu restait prisonnier d’une collectivité dans laquelle, à chaque instant de la vie, ses sentiments pouvaient être froissés et ses intérêts inconnus. Au fond de la crise politique qu’amena l’affaire des Cylonides et des έναγεΐς, il y avait une crise morale où se débattait confusément la grande question de la responsabilité. Athènes souffrait, à en mourir, d’un mal mystérieux, elle avait besoin d’un remède héroïque.

Solon fut nommé par la confiance de ses concitoyens arbitre et législateur. Pour remplir celte double mission, il lui fallut de toute nécessité affaiblir les γένη, dans leur action extérieure et leur constitution intime, Par les mesures extraordinaires qu’il prit pour arrêter l’effusion du sang, comme par les lois qu’il forgea pour établir définitivement la pair dans la justice, qu’il travaillait à réparer la passé ou à préparer l’avenir, il contribua pour une large part à l’affermissement de la puissante société et à l’émancipation de la personnalité humaine aux dépens de la solidarité familiale. Placé par la naissance dans les rangs d’une aristocratie fière de ses privilèges et forte de ses cadres, il avait par son existence antérieure appris à connaître une classe de commerçants composée en grande partie d’étrangers et où chacun ne devait rien qu’à lui-même : il savait quels étaient les préjugés à ménager et les vœux à satisfaire. Il fut assez prudent pour réussir, assez hardi, pour y avoir eu du mérite. Sa manière est douce autant que forte : il aime les savants dosages de prescriptions anciennes et d’idées nouvelles ; il est d’une habileté merveilleuse à combiner harmonieusement la violence équitable et la légalité traditionnelle, βίαν τε καί δίκην συναρμόσας. Consciemment, il fit beaucoup pour affranchir les générations futures, en leur laissant fort à faire.

L’esprit même de la constitution solonienne est opposé au classement des citoyens par γενή. L’État se met directement en rapport avec les individus. Les groupes, il ne les détruit pas, il les ignore. Chaque homme a ses devoirs et ses droits envers la communauté, fixés par sa fortune. Sûr d’avoir sa place dans l’assemblée du peuple et dans les tribunaux, tout Athénien, quelles que soient sa famille et la situation qu’il y occupe par sa filiation, peut s’élever, par son travail, par son énergie, par ses qualités d’initiative, jusqu’aux classes qui ont le monopole des magistratures.

Effet indirect des lois constitutionnelles, le démembrement du γένος est le but immédiat et constant des luis civiles. Dans leur préoccupation d’aller droit aux grands faits de la politique athénienne, les historiens n’ont pas toujours assez insisté sur le caractère juridique et social de la réforme accomplie par Solon : les événements de l’agora ont fait tort à la vie de famille. Et cependant, de même que la Révolution française a marqué sa trace la plus durable et la plus profonde dans ce Code civil qui s’est fait respecter des régimes les plus divers, de même Solon a mérité sa gloire moins par son action sur les partis, qu’il ne put jamais maîtriser, ou par sa constitution, qui ne résista pas cinq ans à l’assaut des mécontents, que par les principes qu’il introduisit dans la législation pour toujours, par les prescriptions où ses concitoyens ne cessèrent plus de voir le résumé de la sagesse humaine. Jusqu’aux derniers jours d’Athènes, les lois de Solon furent entourées d’une telle vénération, que les orateurs lui attribuèrent une fouie de lois plus nu moine anciennes. Mais il est un indice auquel se reconnaissent le plus souvent les dispositions d’origine authentique : cette signature de Solon, à est l’hostilité envers les solidarités des vieux temps[1].

Avant Solon, la plus grande force du γένος lui venait d’un régime foncier osa dominait enture l’idée de propriété familiale, Ce régime peut se reconstituer par à peu prés[2]. Evidemment, on n’en était plus depuis de longues années au temps où les fils partageaient la propriété du patrimoine avec le père vivant et où sa mort donnait simplement à la communauté un effet nouveau. Mais ce système patriarcal de propriétés et de succussion avait laissé dues tous les γένη, malgré la variété de leurs règlements autonomes, des vestiges facilement reconnaissables. La terre, qui avait appartenu a tous les membres du γένος collectivement, appartenait bien à un nombre plus ou moins grand de familles ; mais, si Me se morcelait lentement, elle ne se mobilisait pas : c’étaient toujours des membres du même γένος qui la possédaient. Peut-être l’inaliénabilité des immeubles n’était-elle plus le droit ; en tout cas, elle était le fait, en ce sens que le sol ne pouvait, ni par donation, ni par vente, ni par hypothèque, passer d’un γένος à un autre[3]. Par cela même que la femme en se mariant changeait de γένος, on se gardait de lui reconnaître la vocation héréditaire ou même de lui constituer une dot en biens-fonds ; on sa bornait à lui donner des valeurs mobilières, la plupart du temps des objets personnels et un trousseau. Les fils et, à leur défaut, les plus proches collatéraux héritaient nécessairement. Ils maintenaient volontiers l’héritage à l’état d’indivision ; ces communautés fraternelles que connaîtra en tout temps l’Attique y devaient être fort nombreuses ; on voulait retarder, empêcher, si possible, le morcellement de la propriété, même au cas où les copartageants eussent été du même γένος. Si le défunt ne laissait qu’une fille, elle était adjugée comme épiclère à l’agnat le plus proche, quel que fut l’âge de l’appelé et dût le de cujus ne jamais avoir de petit-fils posthume : circonstance particulièrement favorable, après le décès des conjoints, à la concentration de plusieurs lots entre les mêmes mains, à la reconstitution du domaine primitif. A plus forte raison, si le défunt ne laissait ni parent à un degré légal ni fila adoptif, la succession était dévolue au γένος, sans qu’un testament pût la lui enlever. Bref, vers l’an 600, en Attique, le en corps n’avait plus un droit absolu de propriété collective ; mais il conservuit sur les biens privés des familles et des individus un droit éminent. Τά χρήματα έν τώ γένει καταμένειν[4] : c’était la règle absolue.

Mobiliser le sol, et, pour cela, tirer des coutumes particulières aux γένη les dispositions les plus libérales, les plus imbues de l’esprit individualiste, les faire sortir des γένη pour les appliquer à tous les citoyens, sans acception de personnes : tel fut l’objet que se proposa Solon, telle fut sa méthode, dans toutes ses prescriptions sur le régime de la propriété. Il refusa de faire par la violence, en une fois, ce qu’on appelait γήν κινεΐν[5] ; mais il le fit par une série de mesures législatives, par ce qu’il appelait lui-même κράτει νόμου.

Toute la législation foncière de Solon serait dominée par la seisachtheia, s’il était vrai que cette mesure eût eu pour but de libérer une classe de nerfs. Mais, si séduisante que soit par certains côtés l’hypothèse de Fustel de Coulanges, si habilement qu’on s’y soit pris pour la confirmer[6], ce n’est jamais qu’une hypothèse opposée à lies textes formels. A tout prendre, il serait inconcevable que dans la trentaine de vers où Solon se justifie et se glorifie d’avoir libéré la terre, il ne lui soit pas échappé un mot qui ne puisse s’entendre d’une abolition de dettes, et qu’une institution essentielle, ayant duré jusqu’au VIe siècle, eût été assez vite abolie dans la mémoire des hommes, pour qu’aucun écrivain du Ve siècle ne fût plus capable d’y rien comprendre. Les Eupatrides n’avaient pas d’ilotes ; l’Attique ne renfermait pas de ces misérables qui, loin de posséder la glèbe où ils peinaient, étaient possédés par elle. Solon n’eut donc pas à prononcer l’affranchissement des personnes et des terres. Le fardeau dont il soulagea les έκτημόροι, c’était la servitude pour insolvabilité, non la servitude de naissance ; il les dispensa de remettre à leurs créanciers jusqu’à libération les cinq sixièmes de la récolte, et non d’abandonner un sixième éternellement à leurs patrons. Malgré son importance matérielle, cette abolition de dettes ne pouvait avoir par elle seule de grandes conséquences politiques et sociales[7].

En matière d’aliénation immobilière, Solon se contenta probablement d’autoriser l’achat et la vente entre personnes de γένη différents. Cependant les auteurs modernes sans exception admettent l’existence d’une loi solonienne destinée à restreindre la capacité d’acquérir des terres[8]. Leur source est un passage de la Politique. Aristote, étudiant les résultais produits par l’égalité des fortunes, écrit ces mots : Cette influence de l’égalité des biens sur l’association politique a été comprise par quelques-uns des anciens législateurs, témoin Solon dans ses lois, témoin tous ceux qui défendirent législativement l’acquisition illimitée des terres[9]. Nul autre document, pas un fait ne permet de classer Solon parmi les auteurs de lois contre l’accaparement des terres[10]. Qu’on se borne à interpréter notre texte littéralement. Aristote ne dit pas : οΐον παρ' άλλοις τε καί Σόλωνι έστί νόμος. Il ne compte pas Solon parmi ces anciens législateurs qui ne savaient, pour égaliser les fortunes, que déterminer un maximum de terres pouvant appartenir à un homme. Il veut dire que l’idée d’arriver l’όμαλότης τής ούσίας inspirait à Solon l’ensemble de sa νομοθεσία, comme à d’autres législateurs un νόμος spécifique. Nous sommes avertis une fois de plus — et c’est tout — que Solon s’est proposé de faire circuler le sol.

Un des moyens les plus simples qu’ait trouvés Solon pour diviser la propriété, ce fut d’appeler les femmes au droit de posséder la terre. Ce droit qu’elles n’avaient jamais eu, elles ne pouvaient pas l’obtenir sans restriction, elles le reçurent par représentation de leurs fils à naître, presque à titre de fidéicommis et sans préjudice de l’autorité appartenant à leur κύριος. Mais c’était déjà beaucoup de la leur accorder sous réserves. Elles ne furent plus frappées d’une incapacité absolue en matière de succession. Elles purent donc aussi entrer en possession de tous biens-fonds par cet avancement d’hoirie ou cette remise de part successorale qu’est de sa nature la constitution de dot.

Aussi éprouve-t-on de la surprise à se trouver en face d’une loi comme celle que rapporte Plutarque[11] : Pour les mariages autres que ceux des épicières, Salon proscrivit les dots et disposa que la future pourrait apporter trois robes et quelques meubles de faible valeur, sans plus. Il n’importe qu’une pareille prohibition soit inconciliable avec tout ce qu’on sait de la constitution dotale dans l’Athènes classique[12] : la pratique du Ve et du IVe siècle ne prouve rien pour le commencement du VIe. Il ne suffit pas non plus d’invoquer une autre loi, qui passe également pour être de Solon, celle qui impose au plus proche parent de l’épiclère θήσσα l’obligation de l’épouser ou de la doter[13] ; cette obligation a pu être inscrite dans la loi générale de Solon περί τών κλήρωνκαί έπικλήρων, sans démentir une prohibition expressément restreinte aux cas où la future épouse n’est pas épiclère[14]. Ce qui est plus grave, c’est que l’interdiction attribuée à Solon ne s’harmonise pas avec l’ensemble de sa législation. Sans doute, l’usage des fortes dots peut à la longue favoriser la concentration de la richesse dans quelques familles, et c’est pourquoi Aristote déclarera qu’on aurait dû l’abolir à Sparte[15] ; mais il contribue puissamment à ruiner un système de propriété immuable, et c’est pourquoi Platon, dans une intention diamétralement opposée à celle d’Aristote, n’en voudra pas non plus pour sa cité[16]. La nubilité du sol, à quoi Aristote attribuera les accaparements dont souffrira Sparte, paraissait à Solon l’unique remède aux maux d’Athènes ; le régime foncier que Platon méditera de fonder ressemblait précisément à celui que Solon cherchait à détruire ; en un mot, les motifs qui pousseront les philosophes grecs à protester contre l’abus des dols devaient en recommander l’usage au réformateur. Aussi, on ne voit pas pourquoi Solon aurait attiré sur lui l’odieux d’une loi somptuaire, quand cette loi n’aurait fait qu’entraver la réalisation de son projet favori.

Mais ce n’est pas une raison, parce que Plutarque n’y a rien compris, pour rayer du code solonien la disposition qu’il cite. Il faut la replacer dans le milieu qui l’a produite. Au début du VIe siècle, la convention matrimoniale était certainement régie en Grèce par le principe des dots[17]. Mais là où les γένη, gardaient une organisation furie, la dot ne pouvait consister qu’en biens meubles : les biens-fonds ne sortaient pas de la famille[18]. Solon trouva les Athéniens au même point où plus tard Epitadée devait trouver les Spartiates, constituant à leurs filles des dots en argent et en objets de toutes sortes[19]. Ces cadeaux n’avaient même pas de nom particulier. Au temps d’Homère, on disait des douceurs : telle était la signification de μείλια. On se mit à les appeler προΐξ, comme les aumônes[20] et tous les dons manuels[21]. On les appela aussi φερναί, d’un mot qui n’a pu désigner d’abord que des objets portatifs, des valeurs mobilières[22]. Par conséquent, Solon, dans sa loi sur les dots, combat, non pas le principe de la dotation, ni même les excès de coquetterie, mais la constitution en dot des valeurs mobilières.

Il savait bien, en homme d’État qu’il était, que sa prohibition n’empocherait pas les Athéniens de doter leurs filles et leurs sœurs. Il eût été bien fâché de ce résultat. Il comptait, au contraire, sur la générosité ou la vanité des pères et des frères riches, pour les contraindre à donner une partie de leurs propriétés immobilières. La loi qui limitait les φερναι à Athènes était conçue dans le même esprit qu’une loi plus claire de Massilie qui interdisait de constituer en dut plus de cent pièces d’or, plus cinq pour le trousseau et cinq pour les joyaux, mais qui n’interdisait nullement d’ajouter à ce maximum de biens meubles une maison ou une pièce de terre[23]. En légiférant sur les dots, Solon ne se préoccupait pas d’en limiter le montant, mais d’en déterminer la composition à partir d’un, certain chiffre. Il empêcha les Eupatrides de concentrer entre les mains des femmes le numéraire relativement rare de l’Attique ; c’était compléter la réforme monétaire[24], venir en aide au commerce, mettre un terme à des placements léonins qui auraient rendu les Athéniennes maîtresses du sol[25], faire à temps pour Athènes ce qu’Epitadée fit tardivement pour Sparte[26]. Il obligea les Eupatrides, sous peine de marier leurs filles comme des pauvresses, à détacher des grands domaines quelques parcelles : c’était activer la transformation économique de la société.

Que tel soit le point de vue auquel s’est placé Solon par rapport à l’institution du mariage, c’est ce que montrent clairement les idées des Athéniens sur les empêchements résultant de la parenté. Tandis que les Grecs de l’épopée et de la légende admettent sans difficulté l’union entre frères et sœurs germains[27], les Athéniens prohibent le mariage entre frères et sœurs utérins, mais le tolèrent entre frères et sœurs consanguins. Ces deux règles empruntent une valeur singulière au fait que la prohibition et la tolérance sont inverses dans le droit spartiate. Le renseignement nous vient de Philon le Juif[28]. On peut dire que la loi attribuée à Solon ne figurait pas sur les άξονες[29] : Plutarque, très attentif et très informé sur l’article du mariage et la question des empêchements légaux[30], eût été bien aise dans ses bavardages de citer ce nom. Alors il s’agit d’une loi non écrite et propagée par la θέμις, mais absolument conforme à l’esprit de la législation solonienne et qui dura. Comment donc expliquer l’opposition certaine[31] du droit attique et du droit spartiate ? Ce sont des motifs politiques et sociaux qui ont incliné les deux peuples vers des solutions contraires. Le mariage entre frire et sœur a été autorisé par les Athéniens et interdit par les Spartiates dans le cas où il ne favorisait point la fusion de deux patrimoines ; il a été admis par les Spartiates et condamné par les Athéniens dans le cas où il fortifiait l’aristocratie terrienne lier l’accaparement des fortunes.

La volonté constante de rompre la solidarité matérielle du γένος explique toutes les nouveautés introduites par Solon dans la loi successorale. Auparavant, la dévolution, si variable qu’elle pût être de γένος à γένος[32], était encore assujettie à deux règles fondées sur les croyances religieuses et sur les intérêts collectifs de la famille, l’exclusion absolue des femmes et la répugnance pour le morcellement, Solon releva les femmes de leur incapacité, sans les placer sur le pied d’égalité avec les hommes. A parenté égale, il donna la préférence aux mâles, en vertu de la règle κρατεΐν τούς άρρενας καί τούς έκ τών άρρένων ; mais il fit passer les femmes d’une parentèle avant les hommes de la parentèle suivante. Ajoutez à cela que dans chaque hypothèse il choisit les solutions les plus favorables à l’égalisation des fortunes. Telles sont les conceptions générales qui permettent de percer les ténèbres et quelquefois de démêler les parties originales de cette loi περί τών κλήρων καί έπικλήρων qu’Aristote[33] déjà trouvait obscure et compliquée.

Par une prescription qui resta toujours en vigueur, Solon déclara successibles en première ligne les fils légitimes du défunt. Les fils vivants et les descendants des fils prédécédés par représentation devaient recueillir l’héritage par parts égales, à l’exclusion des filles. Fustel de Coulanges, qui admettait que dans les familles grecques prévalut longtemps le droit d’aînesse, faisait honneur à Solon du partage égal entre les frères[34]. Mais le régime de copropriété familiale n’avait jadis laissé au chef qu’un préciput religieux et politique[35]. Quand on en vint au régime de propriété individuelle, le privilège de l’aîné ou πρεσβεΐα, qui entraînait en Laconie et en Crète le droit au κλήρος inaliénable et indivisible[36], put bien consister chez les Athéniens en une option coutumière sur la maison paternelle, mais non pas en un droit excluait sur la succession, ni même sur un majorat. Solon n’eut qu’à puiser dans la tradition pour y trouver la règle άπαντας τούς γνησίους ίσομοίρους εΐναι τών παρώων[37]. S’il prit quelque initiative dans le cas où le défunt ne laissait que des fils, ce fut peut-être pour déclarer le partage obligatoire dés l’instant où l’un des héritiers demandait à sortir de l’indivision. Dans le cas où le défunt laissait à la fois des fils et des filles, il s’en remit a la conscience des frères du soin de doter leurs sœurs, en les incitant toutefois aux dotations immobilières. Mais le troisième cas possible, celui où le défunt ne laissait que des filles, attira vivement l’attention du législateur.

Il s’agissait de réglementer l’institution de l’épiclérat. Solon n’eut pas à la créer. Elle était installée dans la vie privée des Hellènes de temps immémorial. Quand un homme mourait sans enfants mâles, la fille survivante devait épouser le premier-né parmi les plus proches agnats du père ; mais le patrimoine, dont les époux avaient la jouissance provisoire, appartenait d’avance au fils issu de ce mariage. Par une adoption posthume, le petit-fils du défunt, la θυγατριδοΰς, devenait son fils et héritier ; car il ne tallait pas que l’héritage sortit de la lignée directe, et seul le mâle avait qualité pour perpétuer la famille. Entre son père et son fils, l’épicière était plutôt attachée à l’hérédité que vraiment héritière[38] : dans ses mains, la succession n’était qu’un dépit. Elle avait pour toute mission de procurer au mort un continuateur de sa personne et a pu être définie une machine à procréer un héritier[39]. Les hellènes restèrent toujours attachées pieusement à cette vieille conception[40]. Dans une cité démocratique, elle présentait un avantage évident : elle empêchait bien des fortunes de passer à des collatéraux et d’aller grossir les autres fortunes du même γένος. Peut-être Solon était-il plus sensible encore à ce bienfait social, pour avoir eu sous les yeux, dans quelques γένη attardés, le douloureux spectacle d’orphelines réduites à la misère par des parents éloignés[41]. La justice et l’intérêt public commandaient au législateur d’assurer le sort de fa fille en la joignant au patrimoine et de sauvegarder l’autonomie du patrimoine en le réservant à l’enfant désiré. Niais Solon prit ses précautions pour empêcher les parents d’abuser de leurs droits on de négliger leurs obligations envers l’épiclère.

L’épiclérat donnait lieu à une exploitation éhontée. Les ayants-droit étant désignés automatiquement par l’άγχιστεία, les oncles de l’épiclère avaient le pas sur les cousins, et le plus âgé des oncles sur les autres[42]. De malheureuses enfants étaient mises à la discrétion de vieillards avides qui les abandonnaient sans ressources[43], ou acceptaient le titre de maris sana la fonction. Il fallait remédier à ces abominations. La famille y était intéressée, puisque la maison des ancêtres allait être déserte à bref délai. L’État aussi, puisque deux patrimoines allaient faire masse entre les mêmes mains. Le γένος seul s’accommodait de voir opérer la concentration des biens par l’extinction des foyers. Solon exigea donc un mariage conclu dans les formes et qui ne fût pas stérile. Delà une disposition que Plutarque mentionne en ces termes : Absurde et ridicule nous parait une loi qui permet à l’épicière, si son maître et gardien légal est notoirement impuissant, de όπυιεσθαι avec l’un des plus proches parents de son mari[44]. Dareste a le premier reconnu le sens de cette loi[45]. L’épiclère adjugée à un mari incapable de remplir le premier de ses devoirs est autorisée, non pas à commettra un adultère légal, mais à contracter un nouveau mariage plus conforme à ses goùts[46]. Elle recouvre sa liberté, par le bénéfice d’une séparation amiable[47] ou d’une γραφή κακώσεως έπικλήρων[48] ; elle peut épouser l’un quelconque, à son choix, des ayants-droit subséquents[49]. Solon ne lui permet pas de prendre sou second, son vrai mari en dehors du γένος, parce qu’elle doit à son père — et non à son premier mari — un fils de la même lignée ; mais, en favorisant la naissance de ce fils, il contrecarre tant qu’il peut les convoitises du γένος.

Il veut aussi que les άγχιστεΐς, ayant les avantages de l’institution, en aient les charges. Voilà pourquoi il emprunte à Charondas une loi par laquelle le plus proche parent d’une épicière sans ressources est tenu de l’épouser ou de la doter[50]. Effectivement, dans le plaidoyer contre Macartatos sont insérées des dispositions en faveur de l’épiclère qui paie le riens des thètes : le parent qui refuge d’épouser celle qui lui échoit doit lui constituer une dot de cinq cents drachmes, s’il est pentacosiomédimne, de trois cents, s’il est chevalier, de cent cinquante, s’il est zeugite[51]. Ce n’est pas là une invention de rhéteur[52]. Sans doute une difficulté ; se présente. Tandis que l’obligation alternative qu’il prescrit est mentionnée par les orateurs, les grammairiens et les poètes comiques[53], le chiffre de la dut, qu’il donne comme proportionnel à la fortune du constituant, est partout ailleurs fixé invariablement à cinq mines[54]. Mais, quand Dinarque, Apollodore et Posidippe parlaient d’épiclères recevant aux termes de la loi une dot de cinq cents drachme, ils ne voulaient pas dire, comme le croit Suidas, qu’il y eût une loi astreignant par une disposition ex-presse et unique les parents de l’épiclère pauvre à lui fournir une dot de cinq cents drachmes. La loi de Solon pouvait continuer, au IVe siècle, à graduer les dots ; en fait, la dot exigible était infailliblement celle du taux le plus élevé, parce que tous les Athéniens comptaient comme pentacosiomédimnes, depuis que l’avilissement des prix avait fait partager aux thètes eux-mêmes le privilège de la première classe[55]. On n’eut jamais besoin d’abolir officiellement la distinction des classes[56], et, pour la même raison, on se garda d’abroger une loi toujours respectée. Il ne serait pas venu à l’idée des parents appelés à se cotiser de s’infliger une diminutio capitis, pour avoir à constituer une dot inférieure à cinq mines, en un temps où la valeur de l’argent avait tellement baissé que même les pauvres gens donnaient à leur fille des dix, vingt et vingt-cinq mines[57]. Ainsi, tous les témoignages qui semblent s’accorder pour infirmer l’origine solonienne de la loi insérée dans le plaidoyer contre Macartatos, si on les dégage des commentaires échafaudés par les lexicographes, présentent des applications de cette loi et conspirent à en prouver l’authenticité[58]. Elles portent deux fois la marque de Solon, ces dispositions qui obligent les membres du γένος à faire des sacrifices d’argent et à les faire suivant un taux progressif. Il n’est pas jusqu’au silence de la loir qui ne soit significatif. Elle ne prévoit pas le cas où l’ayant droit de l’épiclère θήσσα appartient lui-même à la classe des thètes. Maladresse de faussaire ? lacune fortuite ? Non. Solon demande une année de leur revenu minimum aux gens aisés de la première et de la deuxième classe ; il ne demande déjà plus que les trois quarts aux zeugites[59], plus gênés et plus souvent atteints ; il ne demande rien du tout à ceux qui n’ont pas grand’chose, parce qu’il se propose moins un objet de bienfaisance privée que d’assistance publique et d’économie sociale. Il lui suffit que sur la masse du γένος, aux dépens des plus riches propriétaires, se constitue un patrimoine de plus.

Avec l’idée arrêtée de restreindre autant que possible le droit des collatéraux, Solon fut amené à faire la part assez belle aux enfants nés en dehors du juste mariage ou νόθοι, il n’eut lias à réagir contre un trop puissant préjugé. La légende et l’épopée ne présentent pas les bâtards dans une position humiliante[60] : ils sont capables d’hériter à défaut d’enfants légitimes[61]. C’est beaucoup plus tard, lorsque les νόθοι furent surtout des fils d’étrangères, que par mesure politique on réduisit leurs droits. Déjà un décret de Périclès (451) leur avait ôté le titre de citoyens[62], quand Aristophon fit remplacer la disposition de Solon par celle-ci : Les bâtards des deux sexes n’auront aucun droit à la succession ni des choses saintes ni des choses privées, cette prohibition étant valable depuis l’archontat d’Euclide[63]. Donc, jusqu’en 403, dans les catégories de la loi successorale figurèrent les νόθοι.

A quelle place ? Aristophane nous l’apprend, dans une scène des Oiseaux. Peisthétairos dit à Héraclès : Écoute la foi de Solon : Les bâtards n’auront pas droit à la succession, s’il existe des enfants légitimes ; s’il n’existe pas d’enfants légitimes, ils concourront avec les plus proches parents aux biens du défunt[64]. La question serait assez claire, si nous n’avions comme documents que les textes législatifs de Solon et d’Aristophon. Malheureusement, Peisthétairos vient tout embrouiller. Il veut prouver à Héraclès que Poseidon le berne en lui faisant espérer la succession de Zeus, qu’il n’y a aucun droit comme bâtard. Et voilà le mot μετεϊναι si bien détourné de son sens, que ce n’est plus le νόθος qui concourt à la succession avec les plus proches parents, mais les plus proches parents qui concourent entre eux sans le νόθος. Peut-être l’hostilité dont étaient entourés les νόθοι partait-elle certains Athéniens, dont Aristophane, à abuser contre eux d’une équivoque et à leur dénier dès 414 le droit dont ils furent privés en 403 ; peut-être aussi sommes-nous tout simplement devant un personnage de comédie qui joue sur les mots et prend un lourdaud dans les filets d’un sophisme juridique. En tout cas, une interprétation fallacieuse ne peut prévaloir contre un texte précis[65]. La réforme d’Aristophon, qui se préparait dans les esprits depuis un demi-siècle, a pris le contre-pied de la disposition solonienne sur la vocation héréditaire des νόθοι.

Athènes put bien, après l’archontat d’Euclide, suivre l’exemple de Sparte, où les νόθοι étaient privés de tout patrimoine[66] ; mais, jusqu’à ce moment, elle s’était conformée pour la succession ab intestat au même principe que ce personnage de Tégée qui, dans un testament à forme de dépôt, désignait comme héritiers les bâtards, à défaut des fils et des filles légitimes et avant les collatéraux[67]. Et il était bien dans l’intérêt de l’όμσλότης τής ούσίας de maintenir les patrimoines dans la ligne directe coûte que coûte, par les filles faute de fils, par les enfants naturels faute d’enfants légitimes.

De toutes les dispositions relatives à la transmission du patrimoine, la plus caractéristique et la plus grosse de conséquences, c’est l’autorisation de tester. Nous avons conservé le texte de Selon. En voici les mots essentiels : Τά έαυτοΰ διαθέσθαι εΐναι, όπων άν έθέλη, έάν μή παΐδες ώσι γνήσιοι άρρενες[68]. C’est bien la liberté absolue d’instituer un héritier à défaut de fils légitimes. Plutarque[69] accorde à cette réforme l’importance qu’elle mérite. Solon, dit-il, se rendit encore célèbre par la loi sur les testaments, Avant lui, le droit de tester n’existait pas : tous les biens du défunt et sa maison restaient nécessairement dans le γένος. Il permit à quiconque n’avait pas d’enfants de disposer de sa succession en faveur de qui il voudrait, faisant plus grand cas de l’amitié que de la parenté, de la générosité libre que de la contrainte, et convertissant un droit de possession en propriété véritable.

Il n’est pas possible cependant que le législateur n’ait pas été mis sur la voie de cette réforme par le droit antérieur. Les Athéniens du IVe siècle proclamaient Solon l’auteur de leur loi testamentaire[70] : s’ils ont voulu dire qu’avant Solon on ne connaissait rien d’analogue au testament en Attique, nous n’avons pas à les est croire sur parole[71].

Il y a des choses qui n’ont pas d’inventeur. Le premier testament fut fait par un moribond qui recommanda de marier sa fille unique au fils de son frère[72]. En règle stricte, c’était le frère lui-même qui devait recueillir la succession avec la main de la fille ; mais, marié ou vieux, il ne lui fallait pas un grand effort d’amour fraternel et de paternelle abnégation pour exaucer cette prière suprême. La coutume donna aux vœux formels des mourants une vertu impérative. L’adoption, devant laquelle on reculait tant qu’on gardait l’espoir d’avoir un fils, put se faire valablement in extremis ou conditionnellement à cause de mort, c’est-à-dire que l’adoption entre vifs se compléta de l’adoption testamentaire. Seulement, de même qu’il sera interdit plus tard d’adopter un étranger, de même, à l’origine, le testateur dut prendre son héritier universel, son fils adoptif et posthume, parmi les parents plus ou moins proches. La liberté de tester n’allait pas jusqu’à conférer à un intrus une frauduleuse γής έγκτησις ; elle ne portait pas atteinte au principe sacré τά χρήματα έν τώ γένει καταμένειν. Elle était étroitement circonscrite dans le ένος. C’est à peu prés ainsi qu’elle devait exister dans les lois que Philolaos donna aux Thébains vers la fin du VIIIe siècle[73], ces lois sur l’adoption qu’on appelait lois testamentaires et qui n’empêchaient pas le nombre des κλήροι de rester immuable[74].

Solon n’eut qu’à enregistrer les règles pratiquées dès longtemps pour la confection des testaments[75]. Il leur laissa leur caractère d’adoption testamentaire. Même condition pour l’institution d’héritier que pour l’adoption : l’absence d’enfants mâles. Même objet : la succession totale. Mêmes cas d’incapacité : l’insanité d’esprit et la contrainte physique ou morale. Pour les Athéniens, comme pour les Thébains, les νόμοι θετικοί sont des lois περί παιδοποιΐας[76]. Mais la grande réforme introduite dans ces lois par Solon, c’est le droit d’instituer désormais un héritier en dehors du γένος[77]. Les barrières dans lesquelles était cantonnée la liberté du testateur sont brisées. Par adoption entre vifs ou par adoption posthume, chacun peut donner un fils en le prenant où il veut, Όπως άν έθέλη, voilà les mots essentiels et nouveaux qui ont valu à Solon la célébrité dont parle Plutarque.

Par là, Athènes s’assure une avance précieuse sur le reste de la Grèce dans la voie de la liberté individuelle[78]. Ailleurs, semble-t-il, on en est resté au régime de la dévolution nécessaire pendant tout le Ve siècle. La Locride, à cette époque, n’en connaît pas d’autre[79]. Le code de Gortyne est muet sur la question du testament[80], et, s’il donne pour la première fois le droit de choisir un adopté dans la famille qu’on voudra[81], il soumet l’exercice de ce droit à des formalités qui excluent toute possibilité d’adoption testamentaire. Il fallut les bouleversements provoqués par la guerre du Péloponnèse, les périls qui résultaient d’une contradiction trop éclatante entre les mœurs et les institutions, pour qu’enfin, dans la première décade du IVe siècle[82], Sparte se décidât, sur la proposition d’Epitadée, à laisser chacun disposer de ses biens par donation entre vifs ou par testament[83]. Alors seulement — comme Isocrate l’assure[84], et il le prouve par les exemples d’Egine, de Siphnos et de Kéos[85] — la Grèce entière approuva la liberté de tester. La réforme qui recevait cette adhésion unanime, Athènes l’avait accomplie depuis deux siècles[86]. Dans l’intervalle, la hardiesse de Solon avait eu ma large récompense. La liberté de tester, a-t-on dit[87], implique la plus grande latitude qui, dans l’histoire de la civilisation, ait jamais été accordée à l’individu. Pour apprécier jusqu’à quel point elle peut, dans certaines conditions, contribuer à la supériorité morale et stimuler la vitalité d’un peuple, il faut comparer la valeur sociale d’Athènes et de Sparte au moment où la cité victorieuse à la guerre copiait, malgré elle et trop tard, la loi qui avait conféré à la cité vaincue le don de résurrection. Avec la question du testament, celle des successions vacantes révèle peut-être le mieux les tendances d’une législation. A qui appartient un droit éminent sur les biens dont le propriétaire est mort sans parent au degré successible et sans héritier institué ? Que le cas soit fréquent ou non, il y faut une solution de principe. En Grèce il ne se présentait, pour ainsi dire, jamais, grâce à l’adoption[88]. C’est bien pourquoi nous sommes si pauvres en renseignements sur les règles du droit attique applicables aux successions en déshérence. Mais il est utile et il n’est pas impossible de voir celles que suggérait la législation de Solon.

La loi successorale, après avoir appelé les divers ordres d’άγχιςτεΐς en ligne successivement paternelle et maternelle, jusqu’au degré d’enfants de cousins germains, veut qu’à défaut de parents à ce degré, de l’un et de l’autre côté, le plus proche purent du côté du père vienne à la succession[89]. Si donc les parentèles de l’aïeul paternel et de l’aïeul maternel sont éteintes, on en vient à celle du bisaïeul paternel ; puis, sans passer à celle du bisaïeul maternel, on remonte à celle du trisaïeul paternel, et ainsi de suite à l’infini. Cette règle, où ne se combine plus avec le privilège de masculinité la dévolution en ligne féminine, passe quelquefois pour apocryphe et incompréhensible[90]. Elle est aussi authentique que le reste de la loi successorale, et, si elle ne se conforme pas au même principe, elle n’en est que plus caractéristique. Solon détache du γένος la famille légale et dans chaque ordre de parents successibles il donne une place subsidiaire aux parents de la ligne maternelle. Mais précisément parce qu’il limite l’άγχιστεία à la parentèle de l’aïeul, au delà de cette parentèle il ne peut pas en appeler une nouvelle. Par suite, il ne lui reste qu’à reconnaître la vocation aux parents éloignés du γένος. A défaut d’άγχιστεΐς ce sont les συγγενεΐς, qui viennent à l’hérédité, selon le degré de parenté naturelle et à l’exclusion des femmes.

Dans ces conditions, il ne pouvait pas y avoir, à vrai dire, de succession vacante, tant qu’existait l’institution des γένη. Tous les membres du γένος ayant la conviction qu’ils descendaient d’un ancêtre commun, il s’en trouvait au moins un qui avait des droits à l’héritage et bénéficiait de la règle τόν πρός πατρός έγγυτάτω κύριον εΐναι. Il était impossible qu’une maison restât vide, parce qu’il était impossible que le défunt n’eût pas dans son γένος de ces parents éloignés qu’on appelait les χηρωσταί[91]. La disposition qui réglait le droit successoral à défaut d’άγχιστεΐς empêchait absolument une succession de tomber en déshérence.

L’idée de Solon est bien claire : il donne à l’individu la liberté complète de tester et reconnaît en même temps le droit du γένος. Mais il prémunit la cité contre les abus possibles. L’archonte a dans ses attributions la surveillance des foyers déserts. C’est à lui que les χηρωσταί viennent demander l’envoi en possession. Si personne ne se présente, il recherche l’ayant droit de son initiative propre. S’il y a contestation, le peuple est pris pour juge. Solon ne pouvait pas attribuer une succession au trésor ; c’eût été la confisquer de la manière la plus odieuse. Du moins, les biens vacants allaient, non pas au γένος en corps, mais à une personne au γένος que désignait le plus souvent l’État.

En résumé, Solon a transformé le régime foncier de l’Attique et ruiné la solidarité matérielle du Vivo ; par un grand nombre de modifications partielles. Il n’a pas voulu, et il s’en est vanté, assumer la tyrannie pour décréter le partage égal des terres ; mais il a su orienter toutes ses lois vers l’égalité des fortunes. La seisachtheia arrêta la constitution hypocrite de propriétés immenses : la poignée d’Eupatrides qui asservissait hommes et choses dut se résigner à voir une forte partie du soi attique aux mains des a méchants s, inattaquables désormais dans leur liberté. Pour rendre impossible tout nouvel accaparement, il n’était pas besoin de fixer un maximum à l’acquisition des biens-fonds : bien au contraire, à un législateur qui favorisait de toutes façons le commerce, en vue d’opposer la richesse mobilière à la richesse foncière, la liberté absolue d’achat et de vente dut sembler une nécessité. Il suffisait d’assurer le morcellement progressif des grands domaines. Le partage égal de la succession entre les fils ou les parents du même degré, le concours des bâtards avec les collatéraux étaient des coutumes trop précieuses pour n’être pas recueillies soigneusement : pour toute innovation, la loi institua une procédure qui permit à chacun de sortir facilement de l’indivision, Le mariage de la fille épicière avec le parent le plus proche ne servit plus de prétexte à la concentration des patrimoines, et pour la même raison fut prohibé le mariage entre frères et sœurs utérins. Mais les changements capitaux consistèrent à faire circuler la terre d’un 7tvic à un autre. Les femmes furent en grande partie les agents de cette réforme. Solon améliora sérieusement leur condition, et l’on pourrait dire qu’il fut le premier des féministes. C’est qu’il demandait aux femmes de l’aider à démarquer le sol. L’interdiction des dote en valeurs mobilières fut une injonction à constituer des dota en biens fonciers. Les filles et leurs descendants prirent rang parmi les successibles. Enfin, ouvertement, sans restriction, pour tous ses biens, le citoyen athénien fut autorisé, à défaut de fils, à se choisir un héritier où il voulait : c’était la négation même des conceptions archaïques. Et pourtant Solon ne prétendit jamais proclamer un principe nouveau et le pousser jusqu’à ses dernières conséquences ; il prit des garanties contre les abus de l’épiclérat, mais ne chercha pas à l’abolir ; il admit la vocation héréditaire des femmes, mais subordonna leur droit au privilège des milles ; il permit de prendre un fils adoptif hors de la famille, mais à condition que l’adopté ne pourrait pas à son tour désigner un fils adoptif ; il décréta la liberté de tester, mais laissa subsister le droit du γένος sur les biens vacants. Au profit de la liberté individuelle, il opéra dans le régime foncier d’Athènes une révolution diluée et inachevée.

 

 

 



[1] On trouvera peut-être là le critérium dont Grote (III, p. 134) regrettait l’absence.

[2] Pour décrire le régime foncier de l’Attique avant les réformes de Solon, nous n’avons d’autres documents que ceux qui nous font connaître ces réformes : on trouvera donc nos références plus loin. — Voir Fustel de Coulanges, Nouv. rech., p. 127 : M. Wilbrandt, De rerum privat. ante Sol. tempus in Attica statu, diss. in., Rostochii, 1895 ; Die pol. und soc. Bedeutung der att. Geschlechter vor Solon, dans le Philol., Suppl. VII (1899), p. 166 ss.

[3] L’aliénation n’était même pas possible par confiscation, dans le cas où les plus proches parents renonçaient à leur droit de préemption sur les biens confisqués. Telle était du moins, vers cette époque, la disposition du droit argien (Amer. journ. of arch., V, 1901, p. 159 ss., l. 8-9).

[4] Plutarque, Solon, 21.

[5] Id., ibid., 15.

[6] Fustel de Coulanges, Cité ant., p. 316 ss. ; art. Attica respublica, dans le Dict. des ant., p. 536 ; Nouv. rech., p. 50 ; Clerc, Les mét. ath., p. 340 ss. ; Beauchet, II, p. 529 ss.

[7] Cf. A. Martin, Les cav. ath., p. 46 ss. ; Guiraud, p. 421 ss. ; Dareste, Nouv. ét., p. 73 ss.

[8] Voir Guiraud, p. 77, 102 ; Thalheim, p. 58 ; Meier-Schömann-Lipsius, p. 571-572 ; Busolt, Gr. Gesch., II p. 245, 246 ; Beauchet, III, p. 64-65, 86-87 ; Wilbrandt, diss. in., p. 31 ss. ; art. cité, p. 187-188 ; Pöhlmann, II, p. 156. — Caillemer, art. Egktésis, dans le Dict. des ant., p. 495, hésite entre l’explication traditionnelle et une hypothèse personnelle, d’après laquelle Solon aurait accordée aux étrangers la γής έγκτησις au-dessous d’une certaine valeur (cf. Guiraud, p. 153 ; Beauchet, III, p. 92-93) ; mais il croit, lui aussi, à une loi spéciale de Solon.

[9] Politique, II, 4, 4, trad. Barthélemy Saint-Hilaire.

[10] Pour admettre que cette loi a existé dans Athènes, Wilbrandt (diss. in., p. 33 ss.) est obligé de convenir qu’elle n’a pas été appliquée ou est aussitôt tombée en désuétude ; Beauchet (III, p. 64) en fait un simple décret.

[11] Solon, 20.

[12] Voir Böckh-Fränkel, Staatsch., I, p, 598 ; Van den Es, p. 40 ; cf. Meier-Schömann-Lipsius, p. 514, n. 95 ; Beauchet, I, p. 253-254.

[13] Diodore, XII, 18, 2-4 ; Aristophane de Byzance, dans Eustathe, ad Iliade, XXI, 449. Cf. Meier-Schömann-Lipsius, p. 515.

[14] On n’a donc pas besoin de ramener la disposition sur l’épicière à la période de misère qui suivit les guerres médiques (cf. Ciccotti, p. 27-28).

[15] Politique, II, 6 (9), 11.

[16] Lois, V, p. 742 C ; VI, p. 774 C.

[17] On peut voir comment les έιδνα, payés en principe par le futur au père de la future, finirent par devenir la dot (Odyssée, I, 277 ; II, 53, 194). Dès la fin des temps homériques, l’achat de la femme se changeait en symbole : le père de la fiancée la cédait souvent à titre gratuit, άνάιδνον (Iliade, IX, 146, 288 ; Hesychius, s. v. άνάιδνος) ; parfois même il lui remettait, pour entrer en ménage, des cadeaux de valeur, μείλια (Iliade, IX, 147, 289, cf. XXII, 50-51, 88 ; Odyssée, VII, 314 ; XX, 342). Par l’augmentation progressive des μείλια, le régime dotal s’introduisit en Grèce, bien avant Solon. Voir von Hartel, dans l’Œsterreich. Gymnasialzeitschr., 1864, p. 480 ss. ; Ouvré, p. 293 ; Tamassin, La nozze in Omero, Balogna, 1893, p. 24. Sur les origines du régime dotal en droit comparé, voir Westermarck, trad., p. 389 ; Kovalewsky, p. 166-167.

[18] En général, il devait en être ainsi à L’origine du régime dotal. Alkinoos promet à Ulysse une maison en même temps que des richesses, s’il consent à épouser Nausicaa (Odyssée, VII, 314) ; mais la situation est exceptionnelle : il faut loger l’étranger dont on fait son gendre. Quant aux sept villes qu’Agamemnon s’engage à livrer à Achille, ce sent des μείλια de souverain épique, comme jamais personne n’en a donné à sa fille (Iliade, IX, 148, 290). On voit, au contraire, Althés donner à Laothoè de l’airain et de l’or (Iliade, XXII, 50-51), et l’on ne conçoit guère que Télémaque ait put promettre à sa mère d’autres δώρα que des biens meubles (Odyssée, XX, 343). C’était l’habitude, dit Guiraud (p. 58), que la fille, en se mariant, emportât quelque chose avec elle ; mais son père ne lui donnait jamais de terres ; ses présents étaient toujours des bestiaux ou des objets mobiliers... La dot n’était pas un avancement d’hoirie, mais un don manuel. Cependant, plus loin (p. 136), Guiraud considère la dotation des filles comme un des moyens qui ont contribué de bonne heure à la constitution de la propriété foncière en dehors des grands γένη. Il cite l’exemple de Mégare. Mais les mariages mixtes dont s’indigne Théognis (v. 183 ss.) n’ont pas pu produire l’effet qui leur est attribué. Que dit le poète ? L’homme bien né ne refuse pas de prendre pour femme la fille d’un vilain, si elle lui apporte beaucoup de bien. Point de femme, non plus, qui ne consente à devenir l’épouse d’un vilain, s’il est riche (trad. Patin). Or, quand les propriétaires de Mégare se mariaient à des filles de marchands d’armateurs et de fabricants (cf. Busolt, Gr. Gesch., I, p. 670), ils recevaient des dots en argent, ils fumaient leurs terres et n’en acquéraient pas de nouvelles. Quant à la fille noble qui épousait un roturier riche, elle ne lui apportait certainement pas une grosse dot en valeurs immobilières : la mésalliance ne s’expliquerait plus.

[19] Cf. Dareste, Sc. du dr., p. 61.

[20] Le mendiant est un προΐκτης (Odyssée, XVII, 350, 449 ; Cf. Suidas, Hesychius, s. v.).

[21] Cf. Odyssée, XVII, 413 ; XIII, 15 ; Hesychius, s. v. προϊκα . δωρεάν, φερνήν . πάν γάρ δώρον προίξ.

[22] Hesychius, s. v. φερνάν πάντα τά φερόμενα. L’origine du mot est indiquée dans notre loi par le verbe έπιφέρεσθαι. — Les auteurs du Ve siècle appellent encore φερναί une dot en valeurs mobilières, y compris le trousseau et les bijoux (Hérodote, I, 93). Lorsqu’ils disent φερνή de l’esclave faisant partie d’une dot (Eschyle, Suppl., 978 ; Euripide, Iph. Aul., 47 ; cf. Ion, 298), ils désignent toujours, selon la distinction si clairement formulée par Fustel de Coulantes (Nouv. rech., p. 47), l’esclave attaché à la personne qui pouvait être transporté d’un maître à un autre et passer de main en main comme un objet mobilier, et non pas l’esclave immeuble, c’est-à-dire semblable au sol auquel il était attaché. Le sens primitif de φερνή est rappelé par des vers d’Euripide où ce mot désigna des cadeaux de noce (Méd., 956-958 ; Iph. Aul., 611). Ce n’est qu’au IVe siècle que φερνή se dit aussi d’une dot consistant en immeubles (Xénophon, Cyropédie, VIII, 5, 19 ; Eschine, Sur la fausse ambassade, 31 ; Polybe, XXVIII, 17, 9 ; Hesychius, s. v. άποτιμήματα).

[23] Strabon, IV, 1, 5. p. 181.

[24] Aristote, Constitution des Athéniens, 10 ; Plutarque, Solon, 15.

[25] Aristote, Pol., II, 6 (9), 9-11 ; Plutarque, Agis, 7 ; cf. Fustel de Coulanges, Nouv. rech., p. 114-115.

[26] Cf. Fustel de Coulanges, op. cit., p. 117.

[27] Voir, pour la mythologie, l’art. Incestus, dans le Dict. des ant., p. 449. Cf. Odyssée, X, 5-12 ; Pausanias, IV, 2, 4.

[28] De spec. leg., II, p. 779, éd. 1640 (p. 303, éd. 1742).

[29] Hruza, Polyg. und Pellikat nach gr. Rechte, p. 165-166, art. Incestus, l. c., p. 450.

[30] Solon, 20 ; Quæst. rom., 108, p. 289 E (cf. 6, p. 265 D-E).

[31] Έμπαλιν empêche de faire disparaître cette opposition par des artifices de ponctuation, comme le voudraient Wachsmuth, II, I, p. 151, n. 11, et Beauchet, I, p. 175.

[32] Cf. Hruza, op. cit., p. 119, n. 26.

[33] Constitution des Athéniens, 9 ; cf. Plutarque, Solon, 18, 35.

[34] Cité ant., p. 379 ; cf. 93, 304. M. Guiraud, p. 105, semble encore attribuer à Solon la règle du partage égal entre les fils. Jadis, dit-il, la succession aux propres, sinon aux acquêts, était déférée à l’un des fils, de préférence à l’aîné. Cf. Thalheim, p. 69 ; H. E. Seebohm, On the struct. of gr. tribal soc., p. 91-93.

[35] Voir Iliade, XIII, 354-355 ; XV, 166, 182, 204 ; Hérodote, VI, 52 ; Aristote, Pol., I, 1, 7. Les cadets, s’adressant à l’aîné, disent ήθεΐς (Iliade, VI, 518 ; X, 37 ; XXII, 229 ; Cf. Pollux, III, 24).

[36] Cf. Guiraud, p. 228.

[37] Isée, Sur la succ. de Philoct., 25.

[38] Dareste-Haussoullier-Th. Reinach, I, p. 469 ; cf. Fustel de Coulanges, Nouv. rech., p. 37-42.

[39] Guiraud, p. 234.

[40] Id., p. 106. ; cf. Leist, Alt-ar. Jus gent., p. 108 ; Schrader, Reallex., p. 197.

[41] Il est probable qu’une régie antérieure à l’épiclérat et qui put subsister à côté de lui refusait tout droit de succession à la fille et à sa descendance. On retrouverait des traces de la règle primitive dans Athènes, même à l’époque classique (cf. Caillemer, p. 10 ; Fustel de Coulanges, Cité ant., p. 379 ; Nouv. Rech., p. 39-40 ; Beauchet, I, p. 402-403).

[42] Cf. loi de Gortyne, VII, 15-18.

[43] Voir Isée, Sur la succ. de Pyrrh., 46-50.

[44] Solon, 20.

[45] Sc. du dr., p. 86 ; Nouv. ét., p. 31-37 ; cf. l'art. Investus, dans le Dict. des ant., p. 453 ; Beauchet, I, p. 456-461.

[46] Voir Hesychius, s. v. βεινεΐν ; loi de Gortyne, VII, 15. — VIII, 56. Solon a soin de définir l’impuissance légale. Il exige, dit Plutarque (l. c.), que l’époux de l’épicière remplisse le devoir conjugal au moins trois fois par mois. Cf. (Plutarque), Amat., 23, p. 784 A.

[47] Isée, Sur la succ. de Ménécl., 7 ss.

[48] Voir l’art. Kakôssôs graphè, dans le Dict. des ant., p. 794.

[49] La rupture préalable du mariage nécessaire et la droit laissé à l’épicière de ne plus tenir compte de la dévolution sont les deux traits qui distinguent le droit attique du droit spartiate (voir l’art. Investus, l. c., p. 453). Sparte a, comme toujours, conservé la vieille coutume, ce qui permet de discerner la part de Solon dans la loi d’Athènes et de mesurer la distance, qu’on n’a pas toujours observée, entre cette loi et la niyôga primitive.

[50] Cette loi est attribuée à Solon par Diodore (XII, 18, 2) et Aristophane de Byzance (dans Eustathe, ad Iliade, XXI, 444). Telle est l’opinion générale : voir Schelling, De Sol. leg. ap. or. att., Berol., 1842, p. 101 ; Wachholtz, De lit. instr. in Dem. quæ fertur or. in Macart., p. 29 ; Caillemer, p. 55 ; Barrilleau, De la const. de dot dans l’anc. Gr., dans la Nouv. rev. hist. de dr. fr. et étr., VII (1883), p. 138 ; Hafter, Die Erbtochter nach att. Recht, Leipz., 1887, p. 56 ; Beauchet, I, p. 408, 479-480 ; Busolt, Gr. Gerch., II, p. 269, n. 2.

[51] 54. La correction de K.-Fr. Hermann (τώ γ' ένί, au lieu de τώ γένει) et celle de Blass (τόν έγγότατα άεί, au lieu de δεΐ) sont confirmées par la loi de Gortyne (VII, 21 ss.).

[52] Cf. Francke, compte rendu de l’ouvrage de Schelling, dans la Jenaische allg. Litreraturzeit,, 1844, p. 742 s. ; Van den Es, p. 41 s. ; Caillemer, p. 55 ss. ; art. Dos, dans le Dict. des ant., p. 390 ; Lécrivain, art. Epikleros, ibid., p. 603. L’authenticité du document est défendue par Dareste, Plaid. civ. de Dém., II, p. 55, n. 26 ; Barrilleau, l. c., p. 160 s. ; Hafter, op. cit. p. 56-57 ; Lipsius, Att. Proc., 2e éd., p. 356, n. 438 ; Ciccotti, p. 34-35 ; Beauchet, I, p. 480-484.

[53] Isée, Sur la succ. de Cléon, 38 ; Pollux, III, 33 ; Térence, Phorm., I, 2, 75-76 ; II, 1, 66-67 ; Quintilien, Inst. orat., VII, 4, 24.

[54] Térence, l. c., II, 3, 52-53 ; Posidippe le Comique, dans Harpocration, s. v. θήτες ; Dinarque, dans Harpocration, s. v. έπίδικος (Or. Att., Didot, II, p. 465, fr. 100) ; Suidas, s. v. θήττα. Harpocration, au mot έπίδικος, cite comme sources le plaidoyer d’Isée contra Satyros et celui de Dinarque pour la fille d’Aristophon ; mais pour la question de dot il se réfère uniquement au dernier de ces discours.

[55] Aristote, Const. des Ath., 26, 7, 47 ; cf. Busolt, Gr. Gesch., III, I, p. 292.

[56] Aristote, l. c., 7.

[57] Voir Böckh-Fränkel, Staatsh., I, p. 598.

[58] D’après Aristophane de Byzance, l. c., la loi de Solon fut remaniée, et le montant de la dot légale porté de cinq cents à mille drachmes. Si le renseignement est exact, il ne convient qu’à une époque postérieure à Posidippe, c’est-à-dire au premier quart du IIIe siècle.

[59] La question du cens des zeugites est définitivement réglée par Aristote, l. c., 7. Böckh (Staatsh., 3e éd., I, p. 578 ss.) fixait ce cens à cent cinquante médimnes, d’après la loi sur l’épiclère θήσσα. De cette façon, Solon aurait exigé une cotisation proportionnelle. En réalité, il a établi deux catégories assujetties à un taux différent, en déterminant un minimum non imposable. Il a ainsi appliqué le principe de la progression à une obligation privée, comme il l’a fait au système des impôts en substituant un capital fiscal au capital réel des différentes classes (Pollux, VIII, 130 ; cf. Böckh, l. c., p. 589 ; Thumser, De civ. Ath. muneribus eurumque immunitate, Vindob., 1880, p. 28 ss. ; Guiraud, p. 525 ; voir cependant les objections des auteurs énumérés par Busolt, op. cit., II, p. 269, n. 2).

[60] Cf. Iliade, V, 69 ss. ; VIII, 284 ; XIII, 171 s., 694 s. Voir Schömann-Galuski, I, p. 63 : Hruza, op. cit., p. 71-72 ; Ouvré, p. 287 ; Beauchet, I, p. 492-493.

[61] Les exemples de Molosses et de Thésée sont assez connus. Dans Odyssée, XIV, 199 ss., des fils légitimes se partagent la succession paternelle, mais cèdent une maison et une part de trésors à un bâtard de leur père. Le bâtard n’entrait donc pas en concours avec les fils légitimes.

[62] Aristote, Const. des Ath., 26 ; Platon, Périclès, 37 ; Suidas, s. v. δημοποίητος ; Ælien, Hist. var., VI, 10 ; XIII, 24 ; cf. Haussoullier, La vie munic. en Att., p. 34 ss. ; Busolt, Gr. Staalsalt., p. 203 ; Gr. Gesch., III, I, p. 337-339.

[63] Νόθω δέ μηδέ νόθη μή εΐναι άγχιστείαν μήθ' ίερών μήθ' όσίων, d’après (Démosthène), C. Macart., 51, et Isée, Sur la succ. de Philoct., 47. Cf. Démosthène, P. Phorm., 32 ; C. Euboul., 30, 53 ; Isée, Sur la succ. de Ciron, 43. L’authenticité de la loi ingérée dans le plaidoyer contre Macartatos a été contestée par Francke, dans la Jenaische allgem. Litteraturzeit., 1841, p. 742 ss. ; A. Schäfer, Dem. und seine Zeit, III, II, p, 229 ; K. Seeliger, dans le Rhein. Mus., XXXI (1876), p. 176-182, et dans le Philol., XLIII (1888), p. 417-428 ; Grasshof, Symb. ad doctr. jur. att. de heredit., Berol, 1877, p. 8. Mais elle est admise généralement (voir la bibliographie dans Beauchet, III, p. 443, n. 3 ; Drerup, Ueb. die bei den att. Redn. eingel. Urkunden, dans les Jahrb. f. class. Philol., Suppl. XXIV, 1898, p. 284-286).

[64] V. 1660-1666.

[65] Cf. Meier, p. 71 ; Thalheim, p. 7 ; Dareste, Nouv. Et., p. 62-63, 68-69. Voir, en sens contraire, Bunsen, De jure hered. Ath., p. 16 ; Platner, Beitr., p. 114 ; Van den Es, p. 72 ss. ; Schelling, De Sol. leg. ap. orat. att., p. 95 ss. ; Caillemer, p. 25 ss. ; Zimmermann, De nothorum Athenis condicione, Mederici, 1886, p. B ; Busolt, Gr. Staalsalt., p. 202, n. 4 ; Beauchet, I, p. 493 ss. D’après Otto Müller, Untersurh. zur Gesch. d. att. Bürger-und Eherechts, dans les Jahrb. f. class. Philol., Suppl. XXV (1899), p. 663-566, les Athéniens auraient de tout temps appliqué le principe qui prévaut depuis 403, sauf une mesure de circonstance prise de 411 à 403.

[66] Strabon, IV, 3, 3, p. 279 ; Plutarque, Agésilas, 4 ; et. Fustel de Coulanges, Nouv. rech., p. 95.

[67] Michel, n° 1343, B, l. 7-8 ; cf. Dareste-Haussoullier-Th. Reinach, II, p. 71, 69.

[68] Démosthène, C. Stéph., II, 14 ; cf. C. Léoch., 68 ; Isée, Sur la cucc. de Ménécl., 13 ; Sur la succ. de Pyrrh., 68 ; Sur la succ. de Philoct., 9 ; Hypér., C. Athénog., VII, 2 ss.

[69] Solon, 21. Plutarque paraphrase ainsi la loi : Ό δ' ώ βούλεται τις έπιτρέψας, εί μή παΐδες εΐεν κύτώ, δοΰναι τά έαυτοΰ.

[70] Aristote, Constitution des Athéniens, 3 ; Démosthène, C. Leptine, 102. cf. C. Léoch., l. c. ; C. Olymp., 56.

[71] L’affirmation des anciens a été prise à la lettre par Schelling, op. cit., p. 128 ; Schneider, De jure hered. Ath., p. 26 ; Fustel de Coulanges, Cité ant., p. 88 ; Caillemer, Le dr. de tester à Ath., dans l’Ann. de l’ass. pour l’enc. des ét. gr., 1870, p. 21 ; F. R. Jevons, p, 89 ; Thalheim, p. 70 ; Busolt, Gr. Gesch., II, p. 287-288 ; Ed. Meyer, II, p. 300 ; Schrader, Reallex., p. 864-865.

[72] Bien entendu, ce genre de testament in extremis et sans formes a toujours pu être fait pour les acquêts en biens meubles. C’est ainsi que les Ossètes, qui n’avaient pas le droit de disposer des immeubles avant 1859, pouvaient donner à leur lit de mort et suivant leur bon plaisir à tels ou tels de leurs parents les biens meubles qui formaient leur pécule (Kovalewsky, p. 220). Chez les Malgaches, il y a des biens qui, appartenant à la famille d’une manière indivise, ne peuvent être transmis par testament (A. Cahuzac, Essai sur les inst. et le dr. malg., t. I, Paris, 1844, p. 307 ss.) ; il y en a d’autres qui peuvent être légués, mais seulement à un homme du même village ou de la même tribu (Id., ibid., p. 378, 387).

[73] C’est la date donnée par Gilbert, Handh., II, p. 45, n. 5.

[74] Aristote, Politique, II, 9, 7.

[75] Cf. Schömann-Galuski, I, p. 408-409 ; Meier-Schömann-Lipsius, p. 572 ; Schulin, Des gr. Testam. vergl. mit dem röm., p. 6 ; Guiraud, p. 97 ; Beauchet, III, p. 426 ss.

[76] Isée, Sur la succ. de Ménécl., 13, après avoir cité littéralement le texte du législateur, expliquera qu’il est permis τά έαυτοΰ διαθίσθαι όπως άν έθέλη, pour que les hommes sans enfants puissent ποιήσασθαι όυτινα άν βούλωνται. Cf. Sur la succ. d’Arist., 9 ; Isocrate, Æginét., 13-15. Voir Fustel de Coulanges, Nouv. rech., p. 136 Guiraud, p. 107-108 ; Beauchet, III, p. 428, 673, 680. On a pu soutenir que jamais le droit attique n’a connu l’institution d’héritier que sous forme d’adoption, ni le legs qu’à titre universel. Cela est faux. A l’époque d’Isée, la notion d’adoption et celle de testament commencent à se distinguer, et le simple leks parait à côté de la succession universelle (cf. Schulin, op. cit., p. 29 ss. ; Beauchet, III, p. 692 ss.) : le droit de l’individu sur la propriété fait un nouveau progrès. Mais alors même la liberté de l’adoptant et celle du testateur s’accroissent dans la même mesure et restent identiques.

[77] Il est vrai que l’héritier institué, par cela même qu’il est fils adoptif, entre dans la famille du défunt. Mais cette obligation est encore favorable aux vues du législateur : elle empêche le cumul des successions. Chargé de perpétuer sa famille légale, le légataire adopté perd l’άγχιστεία dans sa famille naturelle et ne peut reprendre sa place dans la maison paternelle qu’à condition de laisser un fils légitime de son sang dans la maison du testateur adoptant. Telles sont les dispositions de la 21e loi de Solon, dispositions qui portent sur l’adoption en général, par conséquent aussi sur l’adoption testamentaire. Voir Harpocration, s. v. δτι οί ποιητοί ; cf. Antiphon, C. Callistr., dans Harpocration, ibid. (Or. Att., Didot, II, p. 224, fr. 15) ; Démosthène, C. Stéph., II, 14 ; Isée, Sur la succ. de Philoct., 44 ; Sur la succ. d’Astyph., 2, 33 ; Sur la succ. d’Arist., 11.

[78] Voir cependant les inscriptions de Pétélia et de Tégée, dans I. J. G., n° XXIII.

[79] Ibid., n° XI, A, l. 16 ss.

[80] Cf. Bücheler-Zitelmann, p. 134 ; Dareste-Haussoullier-Th. Reinach, I, p. 462 ; II, p. 66 ; Guiraud, p. 107, 108 ; Beauchet, III, p. 431.

[81] X, 33-34.

[82] Sur la date de la loi d’Epitadée, voir Duncker, dans les Silzungsber. der Ak. der Wiss. zu Berlin, 1861, p. 150.

[83] Plutarque, Agis, 5 ; Aristote, Pol., II, 6 (9), 10. Si Epitadée alla plus loin que Solon, en admettant la liberté de tester même en présence d’un fils, cela tient aux nécessités économiques mises en lumière par Fustel de Coulanges, Nouv. rech., p. 111 ss.

[84] Æpinet., 49-50.

[85] Ibid., 12-15. Ajouter, pour le IVe siècle, l’exemple de Dodone (I. J. G., n° XXIII, C).

[86] Quand le reste de la Grèce eut rejoint Athènes, déjà Athènes repartait pour une nouvelle étape. En spéculant des incapacités de tester, Solon ouvrit le champ à d’innombrables procès où les héritiers évincés attaquaient la validité des testaments par une espèce de quereta inofficiosi testamenti. C’était une de ces circonstances où, selon l’observation d’Aristote (Const. des Ath., 6), les tribunaux populaires devinrent les maîtres des intérêts privés. Vers la fin du Ve siècle, se préparait un régime où la liberté de tester, après avoir marqué le triomphe de l’individualisme sur la tyrannie du γένος, allait être limitée par la puissance croissante de l’État démocratique. La transmission κατά δόσιν se faisait souvent, dans la réalité, κατά διαδικασίαν.

[87] Sumner Maine, Ét. sur l’hist. du dr., trad. de Kérallain, p. 57.

[88] Voir Isée, Sur la succ. d’Apollod., 30.

[89] (Démosthène), C. Macart., 52. Pour la discussion relative à cette disposition, je renvoie à Beauchet, III, p. 560-565.

[90] Voir K. Seeliger, Das Erbschaftgesets in Dem. Makart., dans le Rhein. Mus., XXXI (1876), p. 180 s. ; cf. Grasshof, Symb. ad doctr. jur. att. de heredit., p. 19.

[91] Hesychius. Etym. Magn., s. v.