SOLIDARITÉ DE LA FAMILLE DANS LE DROIT CRIMINEL EN GRÈCE

LIVRE PREMIER. — PÉRIODE PRIMITIVE - LA FAMILLE SOUVERAINE.

CHAPITRE II. — LA JUSTICE DANS LA FAMILLE.

 

 

I. — La θέμις : les délits et les peines.

On est tellement habitué de nos jours à considérer la justice comme un attribut de I’État, qu’une tribu ou une cité primitive où n’apparaît point encore de juridiction sociale semble dépourvue de toute juridiction. C’est sous cet aspect qu’on se représente souvent la Grèce aux temps légendaires. On y voit bien certaines lésions causer des guerres ou donner lieu à des arbitrages entre deux γένη ; mais on croit volontiers que, dans les rapporte entre membres d’un γένος, il n’y a point d’acte incriminable. Une logique superficielle amène à cette conclusion, que rien de ce qu’un parent fait contre un parent n’est susceptible de châtiment. L’attentat le plus horrible dans la nature, le plus monstrueusement sacrilège dans les sociétés rudimentaires, c’est le parricide ; le parricide même semble avoir échappé à toute sanction dans les vieilles coutumes de la Grèce, et, comme la législation tirée de ces coutumes ne fut jamais abolie par les Athéniens, on va jusqu’à soutenir que jamais dans Athènes le parricide ne lut puni[1].

Si l’on veut dire que les cités primitives n’avaient pas de juridiction criminelle pour prononcer impérativement sur les offenses commises à l’intérieur d’un γένος, on a bien raison. Seulement, quand les parties appartenaient à des γένη différents, elles ne trouvaient pas non plus devant elles de tribunal permanent à compétence fixe, auquel il fallût recourir obligatoirement. Si l’on veut dire que, dans ces vieilles sociétés, deux personnes de la même famille ne pouvaient avoir l’idée de soumettre un litige à des arbitres pris en dehors de cette famille, pas plus que deux citoyens de la même ville ne se seraient adresses aux magistrats d’une autre ville, on a encore raison. Mais, on a grand tort si l’on prétend que, faute de juridiction sociale, les crimes commis en famille fussent assurés d’une complète impunité.

Les belles études da Robertson Smith sur les Arabes, de Kovalewsky sur les Ossètes et de Steinmetz sur les peuplades sauvages, ont fait ressortir — ce qu’indiquait déjà Thonissen à propos des Hindous, des Égyptiens et des Hébreux — l’importance capitale qu’a dans les sociétés rudimentaires la justice familiale, a côté de ce qu’on pourrait appeler le droit interfamilial[2]. Partout la groupe patriarcal est un groupe à l’intérieur duquel n’existe pas la vengeance du sang, principe de l’union contre les étrangers. Selon que l’offenseur et l’offensé appartiennent à des communautés différentes ou sont parents entre eux, le même acte n’a plus le même caractère. Dans un cas, il y a préjudice causé par une famille à une famille, d’où alternative de représailles ou de réparation : nulle atteinte à la solidarité, nul démérite ; pas même, à l’origine, de responsabilité personnelle. Dans l’autre cas, il y a manquement au devoir social et trouble de la paix intérieure, d’une l’idée de culpabilité entraînant celle de punition ; mais, comme la famille, obligée de réagir, a intérêt à se diminuer et à s’affaiblir le moins possible, elle se débarrasse du criminel sans écarter ses proches, et, par un calcul spontané, tend à restreindre la responsabilité. Ainsi coexistent deux systèmes : les groupes règlent leurs comptes entre eux en suivant la loi du talion ; le groupe réprime les fautes individuelles de ses membres en fondant son droit sur la nécessité de la défense sociale et sur l’intimidation. La Grèce primitive connut ces deux sortes de justice. Elle appela l’une δίκη et l’autre θέμις.

Les θέμιστες étaient, à l’origine, des décisions autoritaires prises par un chef unique, le roi du γένος, ou tout simplement le chef de famille[3]. Accumulées de siècle en siècles, les θέμιστες ont formé dans chaque famille comme un recueil traditionnel, anonyme, mystérieux, qui a pris le nom abstrait de θέμις. Par une extension naturelle, ce nom en est arrivé à désigner le code diffus des θέμιστες léguées par le temps à toutes les familles de la cité et même de toutes les cités[4]. Alors la θέμις apparaît comme l’ensemble des principes latents qui s’imposent à tous les membres d’une communauté, comme le dhâman des Hindous et le fas des Romains[5]. Par suite, une θέμις, particulière est un jugement que le juge trouve immédiatement dans sa conscience. Inspiration spontanée, soudaine, elle semble une émanation céleste, quelque chose de surnaturel descendu sur terre[6]. Envoyée par Zeus, elle ne peut que dicter un ordre catégorique. Pas besoin de serments ni de témoignages : sans délai, en premier et en dernier ressort, elle règle tout d’un mot[7]. Une pareille justice est essentiellement patriarcale. Par sa nature, comme par ses effets, elle diffère de la δίκη, qui aboutit à des sentences arbitrales rendues par plusieurs chefs suivant une procédure coutumière. Un jour viendra où la δίκη, toute pénétrée de θέμις, dominera la société, où la θέμις sera reléguée dans un domaine presque idéal : la θέμις, opposée à la δίκη, sera comme le sentiment inné de l’équité, opposé au fait extérieur de la légalité officielle, comme la conscience morale, opposée au droit positif, comme la justice divine, opposée à la justice humaine. Mais au temps où le γένος avait encore une organisation solide dans la cité, la θέμις était la justice familiale, et la δίκη le droit réglant les relations entre familles différentes.

Les catégories de crimes ne sont pas nombreuses dans le γένος. Non que les crimes soient rares sous le régime patriarcal, mais ce sont toujours les mêmes[8]. Quand la vie n’est pas compliquée, les passions sont violentes, mais peu variées en leurs manifestations. D’ailleurs, la justice du γένος hésite à sévir, quanti ce d’est pas absolument nécessaire, pour ne pas multiplier les expulsions. Aussi se borne-t-il à châtier les infractions les plus graves. C’est d’abord l’attentat contre le groupe entier ou, ce qui revient au même, contre son dieu. Si la trahison et le sacrilège vont toujours de pair dans les lois de la cité antique, cette assimilation remonte aux coutumes du γένος primitif[9]. Puis viennent les crimes de droit commun. On n’en connaît pas d’autre pendant bien longtemps que le meurtre et l’attentat contre les mœurs, adultère ou viol. Il faut que la propriété mobilière et individuelle se répande, pour qu’on ait aussi à réprimer le vol.

La peine la plus grave qui sait ordinairement infligée au criminel de droit commun, c’est l’expulsion de la famille, qui entraîne l’expulsion du γένος. Cette mise hors la loi n’a pas seulement toutes les conséquences civiles qui seront plus tard celle de l’άποκήρυξις grecque ou de l’exheredatio romaine ; elle équivaut encore à ce que sera en droit pénal la proscription[10]. Terrible est la situation de l’homme retranché. S’il a une maison à lui, elle est détruite[11] ; s’il a des biens en propre, ils sont anéantis ou confisqués. Repoussé par les siens, il est à peu près sûr d’être traité en ennemi sur la terre étrangère. Banni, il devient bandit. Sa tête n’a plus de prix. Ses parents n’ont pas voulu le tuer ? Libre au premier venu de se jeter sur lui : nulle vengeance à craindre[12]. Celui qui n’a plus de foyer et qui n’est plus protégé par la θέμις n’est plus qu’un άτιμος[13]. Il y a ainsi des hommes exclus de l’humanité : en Irlande, en Russie, dans l’Inde, on les appelle des hommes séparés[14], et les Allemands ont conservé, pour les qualifier, le mot de vogelfrei. En Grèce, ce sont des loups[15].

Redoutable par ses effets, l’expulsion est encore un supplice physique et moral par la façon dont on y procède. Le coupable est dépouillé de tout : on lui prend ses objets personnels, on lui arrache ses habits. Il doit fuir nu. Telle est la règle primitive dans toute sa rigueur[16]. Platon l’appliquera encore aux esclaves et aux étrangers[17] ; mais certains traitements que les Athéniens feront subir aux φαρμακοί des Thargélia[18] et aux μιχοί[19] prouvent qu’elle a été jadis d’un emploi général. Par pudeur autant que par pitié, la femme est autorisée à voiler sommairement sa nudité[20]. En cet état, le proscrit voit se ruer sur lui le γένος entier. Jusqu’aux limites du domaine il est accompagné par une foule en colère. Chacun tient à lui témoigner sa réprobation ; insultes et coups pleuvent de toutes parts. Toutes les haines se coalisent contre un seul, en une solidarité effroyable. L’expulsion figure ainsi la lapidation, dont elle est l’horrible adoucissement.

Cette chasse à l’homme est connue dans tous les pays du monde. En Grèce, on voit très bien quelle est son origine et combien l’usage en était retendu dans le temps où elle constituait un châtiment accessoire pour toute personne expulsée. Là, en effet, cette coutume fut appliquée, jusque dans les siècles historiques, non pas seulement aux femmes coupables[21], mais aux traîtres[22], aux sacrilèges[23], aux calomniateurs[24] et, par symbolisme religieux, à toutes sortes de criminels[25]. Dans certains cas, ou la poursuite se termine par l’exécution capitale, il est clair quelle figure seulement un mode d’exécution plus ancien. Ainsi, à Sparte, lorsque Kinadon fut convaincu de conspiration, avant de le livrer au bourreau, on le fouetta, on le déchira, on le promena dans la ville, lui et ses compagnons[26]. Les φαρμακοί, criminels charges des fautes de tous, étaient flagellés par les Athéniens avec des brancher, de figuier sauvage et des oignons de scille[27], de même que précédemment ils étaient lapidés[28] ; le sacrificateur, meurtrier impie, fuyait à Lindos sous une volée d’injures et d’imprécations[29], comme il fuyait à Ténédos sous une grêle de pierres[30]. A l’origine, le loup était traqué par les gens du γένος[31] aux cris de Παΐε, βάλλε (frappe, lance)[32] : que la chasse se terminât ou non par l’hallali et la curée chaude, le hasard en décidait[33]. Pourtant, on venait en aide au hasard : on apportait à la poursuite plus ou moins d’indignation ou d’ardeur. De là des distinctions, qui furent fixées par la coutume, entre la peine de mort et la proscription.

L’atimie, dans le γένος, n’avait même pas toujours pour conséquence la proscription. Il existait déjà une atimie du second degré, une atimie à l’intérieur. Elle entraînait la mort civile et l’excommunication. Le paria n’est pas une particularité de l’Inde[34]. Toutes les sociétés patriarcales le connaissent, ce misérable qui, pour expier un crime, traîne une vie lamentable dans un coin, dénué de tout, couvert de haillons, disputant aux chiens une chétive pitance, désigné au mépris par des signes connus, repoussé par ses parents de leur maison, de leur temple, de leur tombe.

Il n’échappe même pas à la douloureuse formalité de la poursuite expiatoire. Pour l’atimie du premier degré, on n’a pas renoncé à un simulacre de lapidation ; pour l’atimie du second degré, on veut un simulacre d’expulsion. La dégradation commence par une promenade dont les injures, les horions, les coups de fouet font désormais une punition corporelle ou infamante. Dans le monde entier, cette épreuve a été longtemps infligée ou l’est encore à la femme adultère[35], parfois aussi au débiteur insolvable[36], qui a hérité de la situation faite au criminel. Il en était de même en pays grec. A Kymê, l’épouse coupable est d’abord placée sur une pierre à l’agora, puis conduite par toute la ville sur un âne, enfin ramenée sur la pierre[37]. C’est un drame en trois actes : le premier est l’expulsion de la famille, l’άπόρρησις, d’après la procédure qui est encore en usage à Gortyne, κατ' άγοράν άπό τώ λάω ώ άπαγορεύοντι[38] ; le second, c’est une expulsion fictive de la communauté ; le troisième, c’est la proclamation d’atimie, vu que l’όνοβάτις devient άτιμόν de droit. A Lépréos, tandis que l’amante est exposée onze jours sur l’agora sans ceinture, avec un chiton transparent, l’amant est traîné de place en place durant trois jours, solidement garrotté[39]. Ce dernier détail rappelle que ales liens mécaniques emprisonnent, dans l’Odyssée, le couple livré à la risée du γένος olympien[40], et qu’à Sparte Kinadon a les mains et le cou passés dans une pièce de bois pendant sa lugubre tournée[41]. Peut-être le carcan est-il simulé par le collier de figues que portent les φαρμακοί[42]. En tout cas, ce collier fait partie d’un accoutrement burlesque et symbolique. D’après la loi de Charondas, le calomniateur est promené avec une couronne de tamaris sur la tête[43]. C’est manifestement la même coutume qui oblige à Thèbes le débiteur insolvable à s’asseoir sur l’agora coiffé d’un κόφινος ou couffin en osier[44]. On reconnaît le bonnet vert, le bonnet d’infamie, dont le débiteur devait s’affubler dans nos pays[45]. Ce qui est curieux, c’est de retrouver au fond du Cambodge, réunis sur la personne du criminel qu’on expulse ou qu’on mène au marché, le collier des φαρμακοί, formé cette fois de fleurs rouges, et la coiffure ignominieuse de la Grande-Grèce et de la Béotie, consistant en un panier de bambous tressé en couronne[46].

La signification première de ces détails caractéristiques précise la situation créée par l’atimie à l’intérieur. En effet, un rapprochement s’impose entre le κόφινος du débiteur et le κάλαθος ou le πόλος en osier tressé dont l’art grec couvre la tête des hiérodules et des caryatides[47]. La coiffure d’atimie est signe d’esclavage : elle sauve de la mort et condamne à l’abjection[48], elle fait d’un dire humain quelque chose de sacré et de maudit. Il vit, le criminel, il n’est chassé que de la famille ; mais il est mis au rebut de la société. Sa servitude est plus dure que toute autre, Son costume doit rappeler désormais les loques qu’il portait le jour de la dégradation[49]. Il lui est interdit de prendre part aux cérémonies religieuses[50]. A Athènes, une loi évidemment très vieille défend à la femme expulsée du domicile conjugal de porter aucune parure et d’entrer dans les sanctuaires publics. En cas de contravention, le premier venu peut lui déchirer ses habits, lui arracher ses ornements, la frapper aux conditions de ne pas la tuer ni de l’estropier[51]. Eschine attribue ces dispositions à Solon et lui prête des intentions très édifiantes. En réalité, le législateur s’est borné à perpétuer les vestiges reconnaissables des coutumes patriarcales. C’est la loi du γένος primitif qui faisait à l’άτιμος une vie impossible à vivre.

A partir du moment où la propriété individuelle prit de l’importance, l’atimie put produire un effet nouveau, la vente du criminel. D’une part, dans la δίκη se répandait de plus en plus l’usage de la composition, et la θέμις devait en sentir le contrecoup. D’autre part, les familles, plus riches et d’une richesse plus indépendante, avaient besoin de nombreux esclaves. Si la confiscation des acquits était impossible un insuffisante, par incapacité civile ou manque de ressources, un pouvait toujours tirer de la personne coupable la valeur de son corps : c’était plus pratique que l’expulsion ou l’infamie pure et simple. Partout, et non pas seulement chez les peuples aryens, on mène la femme adultère et le débiteur insolvable sur la place du marché, ce qui est quelquefois un moyen de rendre la honte publique, mais aussi un appel aux acheteurs. Il faut comprendre ainsi l’exposition sur le pilori, telle qu’elle était pratiquée à Lépréos, à Kymè, à Thèbes, à Thourioi. Athènes même a conservé certains vestiges de cette coutume. Le mot άποκηρύττειν, qui a fini par désigner l’abdication de la puissance paternelle sur le fils coupable, s’applique, dans un sens plus général, à l’acte de vente. Même après Solon, le père a toujours eu la faculté de vendre sa fille prise en faute[52]. Il n’est pas impossible que, dans d’autres cités, la loi ait formellement reconnu au mari le même droit sur sa femme. Un rhéteur écrit : νόμος έκέλευε τήν μεμοιχευμένην πωλεΐσθαι[53]. Dans l’appréciation d’un texte comme celui-là, la critique un peu courte d’un Meier voit peut-être moins juste que la naïve confiance d’un Meursius et d’un Petit. A un certain moment, l’atimie infligée pour tout crime commis dans la famille a pu avoir pour sanction la vente à l’étranger aussi bien que l’expulsion et la mort civile.

De toute façon, l’atimie n’était pas éteinte par la mort du criminel. Le γένος qui l’avait expulsé ne le recevait pas dans le tombeau commun. La privation de sépulture accompagnait forcément le bannissement ou l’infamie. Si l’État interdit plus tard de rendre les derniers honneurs à l’homme coupable de trahison, de sacrilège ou de suicide, il ne fit que bénéficier d’une vieille tradition. Pour le suicide surtout[54], l’exclusion posthume ne se comprend que dans lis institutions primitives du γένος. Il faudra bien un jour qu’un l’explique autrement on dira que le feu divin ne doit pas mire profané par le corps de celui qui a devancé le ternie fixé par les dieux[55], ou bien que c’est toujours un attentat contre la cité de la priver d’un citoyen[56]. Mais ces raisons ont été imaginées après coup. Si les lois de Cypre[57] et de Thèbes[58] ordonnent de jeter sans sépulture le cadavre du suicidé, si celle d’Athènes exige qu’on lui coupe la main pour l’enterrer à part[59], si Platon veut qu’on l’enfouisse sans honneur, sans stèle, sans inscription, aux confins du territoire, dans un coin sauvage[60], ce n’est pas la république, même soutenue par la religion, qui a pu de son initiative propre interdire aux familles d’admettre qui elles voudraient dans leur sépulcre, d’invoquer qui elles voudraient dans leurs repas funèbres[61]. Le suicide est une espèce d’homicide où la victime est le meurtrier[62], soit ; mais alors, comme pour tout homicide commis en famille, la victime ne peut avoir pour champions, le meurtrier ne peut avoir pour adversaires que ses parents. C’est le sang de la famille qui a coulé ; celui qui l’a fait couler en doit compte à la famille ; voilà le principe primitif[63], que les peuples anciens et modernes conservent indéfiniment dans leur droit religieux et leur droit criminel[64].

Ce système de délits et de peines a pour condition la solidarité de la famille et du γένος. Le crime, c’est ce qui la rompt : le châtiment, c’est ce qui la venge et la reconstitue dans son intégrité. Mais pour avoir une idée plus complète et plus exacte de cette solidarité fondamentale, il importe de voir comment fonctionne la θέμις et qui a la juridiction, soit dans la famille, soit dans le γένος.

II. — La juridiction familiale.

Dans la famille étroite, le chef est armé de pouvoirs redoutables : il est le roi de la maison, οΐκοιο άναξ[65]. Il traite tous les siens en souverain maître et juge. Tel le Cyclope isolé, farouche, tout-puissant : θεμιστεύει δέ έκαστος παίδων ήδ' άλόχων[66].

Sa femme est une propriété qu’il a payée, une esclave plus considérée, parmi d’autres esclaves qui sont ses concubines. Il a sur elle tous les droits. Si elle désobéit, il peut l’attacher à la poutre et lui infliger la peine domestique du fouet[67]. Si elle compromet les intérêts de la maison, il peut la répudier[68]. Si elle est coupable d’adultère, il peut ou la tuer sur place, comme l’une quelconque de ses servantes[69], ou la renvoyer[70] en la soumettant à l’atimie et en exigeant la restitution des έεδνα[71].

Les enfant, fruits de cette propriété vivante, appartiennent au maître, comme les fruits d’un champ[72]. IL peut, au moment de leur naissance, les exposer ou les détruire sans délai[73]. Il dispose de leur liberté, il dispose de leur vie, tant qu’ils sont à lui : rien ne l’empêche de les vendre, pour peu qu’il ait besoin d’en tirer profit, ou de les immoler à quelque intérêt supérieur[74]. On sait comment Agamemnon fixe le sort d’Iphigénie ; Athamas fait de même pour Phrixos[75], Kèpheus pour Andromède[76], Laomédon pour Hésione[77]. Par suite, sur les enfante en faute c’est le père qui prononce. Pas de pardon pour l’inconduite d’une fille. Λίην γάρ δύσζηλοι έαΐς έπί παισί τοκήες : ainsi parle le poète archaïsant[78], et les exemples ne lui manquent pas de cette sévérité. Le moins qui puisse arriver à l’infortunée prise en faute, c’est d’être chassée sans espoir de retour : la légende représente Périboia renvoyée de la maison paternelle après sa liaison avec Oineus[79]. Plus souvent elle est menée à la mort : le Codride Hippoménés fait emmurer Leimonê[80]. Dans le cas où l’amour illicite est fécond, avec la mère doit périr le bâtard : Acrisius fait enfermer Danaé avec Persée dans un coffre, qui est lancé à la mer[81]. Le châtiment est tellement sûr, que la malheureuse qui s’y est exposée accouche clandestinement, quand c’est possible, et d’elle-même abandonne son enfant[82]. Les fils relèvent de la même autorité. S’ils commettent un acte qualifié crime par les coutumes familiales, ils sont généralement sauvés de la mort par la répugnance qu’éprouve le père à verser son propre sang ; mais, comme ils ne peuvent payer de ποινή sur une propriété qui appartient à l’offensé lui-même, ils sont presque toujours expulsés du γένος. Le père venge ainsi foule atteinte portée à sa puissance soit en actes soit en paroles. Toxeus enfreint un ordre de son père : qu’il meure ![83] Hèphaistos ose prendre la défense de sa mère contre son père ; il est précipité de l’Olympe[84]. Phyleus se permet de donner raison à un étranger contre son père Augias : c’est un révolté, qui n’a plus qu’à partir au plus vite[85]. En ces temps où la polygamie, le concubinage et le droit arbitraire de répudiation donnaient constamment à des hommes jeunes de jeunes belles-mères, certains adultères qui frisaient l’inceste étaient assez fréquents. Le père offensé par un attentat de ce genre ne pouvait encore qu’envoyer à la mort ou chasser le fils coupable ; Kyknos fait subir l’un de ces traitements à Ténès[86] ; Thésée choisit l’autre pour Hippolyte[87].

L’autorité maritale et paternelle ne se borne pas à venger ses injures. Le chef de famille punit les attentats commis par et sur toute personne soumise à son autorité. L’épouse ou la concubine convaincue de manœuvres homicides contre une rivale ou les enfants d’une rivale doit mourir[88]. Le frère meurtrier d’un frère est chassé. Continuellement les cadets, surtout quand ils ne sont pas de la même mère que l’aîné cherchent à se défaire de celui qui doit devenir leur maître ; ces haines sanguinaires sont châtiées implacablement. Pour satisfaire leur jalousie ou celle de leur mère, Télamon et Pélée tuent leur frère consanguin Phôcos ; Aiacos, leur père, le modèle de la justice et de la piété[89], les expulse tous deux d’Égine[90]. Dans les mêmes circonstances, Pélops renvoie Atrée et Thyestes, en les poursuivant de ses malédictions[91]. La mythologie raconte, nous dit encore Diodore[92], que Boréas eut pour fils Boutès et Lyrcourgos, nés de mères différentes. Boutès, le plus jeune, voulut attenter à la vie de son frère. Il fut pris sur le fait. Pour toute peine, il reçut l’ordre de s’embarquer avec ses complices, pour chercher un autre pays où habiter désormais. Si Diodore trouve la peine peu sévère, c’est qu’il est dupé de la même illusion qui fait trouver douce à Aristote[93] l’atimie athénienne du VIe siècle. La coutume domestique est très dura, au contraire[94]. Et sa règle rigide n’admet pas de circonstances atténuantes. Nulle distinction entre l’acte involontaire et le forfait prémédité. Bellérophon a le malheur de tuer un de ses frères : il va chercher asile chez Proitos[95], comme, au VIe siècle, Admètos va chez Crésus, quand il est banni par son père et privé de tout[96]. Teucros est soupçonné de n’avoir pas fait tout son devoir envers son frère mort : déclaré responsable, il est réduit à fonder malgré lui une colonie lointaine[97]. Armée de pouvoirs redoutables, la juridiction domestique s’exerce sur tous les membres de la famille.

Cette juridiction se fonde sur un droit plus social que naturel : celui qui l’exerce agit plutôt comme chef que comme époux et père. S’il vient à disparaître, son successeur hérite de tous ses pouvoirs. Le plus âgé de la parentèle la plus proche est appelé à la royauté de la maison, πάσα γάρ οίκία βασιλεύται ύπό τοΰ πρεσβυτάτου[98]. C’est ainsi que le fils devient κύριος de sa mure, et le frère de ses sœurs. On sait de quel ton Télémaque renvoie Pénélope dans son appartement et lui déclare que même en l’absence d’Ulysse elle a un maître : τοΰ γάρ κράτος έστ' ένί οίκώ[99]. En vertu du même κράτος, le héros Althaiménès tue sa sœur Apémosynè, une criminelle d’amour[100]. A défaut de descendance directe, le frère se substitue au frère, et son autorité s’étend sur sa belle-sœur veuve et sur ses nièces. Quand Nycteus se tue de désespoir, il charge son frère Lycos de châtier le déshonneur de sa fille Antiopè[101], et la malheureuse, avant d’être réduite à l’esclavage[102], expose ses jumeaux, pour les sauver de leur grand-oncle[103].

Il peut même arriver que le fils ou le frère, en présence d’un père ou d’un frère trop âgé, administre à sa place la communauté familiale et en devienne le juge par anticipation. Il ne semble pas que chez les Grecs, comme chez certaines peuplades primitives[104], ait jamais existé, à l’usage des vieillards, la coutume du parricide légal ou du suicide obligatoire[105] : le πελαργικός νόμος[106], la loi des Pélasges et des cigognes, celle que s’imposèrent les premiers hommes et que pratiquent les animaux mêmes, a toujours obligé le fils à nourrir ses parents décrépits ou infirmes[107] ; il lui a toujours été interdit de les offenser, même en paroles[108] ; il a toujours eu à leur rendre les derniers devoirs[109]. Mais à une époque où le juge était aussi le chef de guerre, quand il n’avait plus la vigueur exigée par sa fonction, il pouvait être renfermé dans une retraite honorable par la déchéance de la puissance paternelle[110]. Dans la mythologie, Ouranos est détrôné par Cronos, et Cronos par Zeus. Les poèmes homériques nous montrent un Nestor et un Priam, mais aussi un Laërte. Le vieux chef, retiré aux champs, cultivant le petit bien qu’il s’est réservé, est incapable de reprendre la direction de la famille : il ne peut que gémir sur l’absence d’Ulysse et la jeunesse de Télémaque ; ou le tient au courant des événements accomplis, on ne te consulte pas[111]. Dans la légende, Oineus est trop âgé pour agir par lui-même. A défaut de son petit-fils Diomèdes, fils du meurtrier Tydeus et héritier de l’incapacité paternelle, il est remplacé de son vivant par son frère Agrios, et, si Diomèdes renverse le nouveau chef, ce n’est pas pour rétablir l’ancien[112] : il installe à sa place son gendre, qui représente le privilège de l’épiclérat[113]. Dans un γένος, le droit de juridiction appartient, avec tous les autres droits religieux ou politiques, moins au mari et au père qu’au βασιλεύς.

Par arrêts sommaires ou sentences rendues en la forme, le chef se prononce, non pas en son nom personnel, mais au nom d’un groupe entier. Tous ceux qui dépendent de lui, lui doivent leur concours pour l’œuvre de justice. A vrai dire, quand ils l’assistent, ils remplissent leur devoir, non pas envers un homme, mais envers le γένος qu’il représente. La solidarité familiale le soutient, s’il use de ses θέμιστες pour le bien de la communauté ; mais elle est capable aussi de prévenir ses excès, de remédier à ses faiblesses. La légende d’Oineus, si riche en détails juridiques, nous montre comment le γένος peut empêcher un déni de justice. Tydeus vient de tuer son oncle, ou son frère, ou plusieurs de ses cousins. Oineus ne fait rien, par amour paternel, par débilité sénile, ou parce que son fils s’est borné à le défendre. Alors intervient Agrios. Le chef hésite ; le frère du chef se dresse. Il a derrière lui ses fils, tous ses parents, tous ses Le coupable est contraint de fuir, et il en coûte le pouvoir à son père de ne l’avoir pas châtié[114]. Si l’on pouvait révoquer en doute la signification juridique de cette légende, on n’aurait qu’à se demander pourquoi la loi d’Athènes prescrira au mari de répudier la femme prisa en flagrant délit d’adultère, sous peine d’atimie[115]. Il n’est qui une explication à la genèse de cette loi : tout le γένος, prend part à l’expulsion ou à la dégradation de l’épouse coupable, parce qu’il ne veut pas qu’on altère la pureté de sang, et, au cas où le principal offensé incline au pardon, les autres offensés lui font partager le sort de la criminelle. Le γένος a un droit supérieur à celui du père et du mari.

Il a donc un devoir à remplir, quand un de ses membres en offense un autre. Ce devoir est absolu. Il n’admet ni exception ni prescription. L’indignité légale n’est pas un cas de dispense. Diomèdes, le fils du banni Tydeus, n’a pas de droits dans le γένος paternel ; il n’en est pas moins tenu de venir en aide à son grand-père maltraité : il vient, fait justice et repart[116]. Pas de devoir qui tienne contre le plus sacré des devoirs. La tête qui mérite d’être frappée est une tête vénérée, une tête tendrement chérie ? N’importe. Il faut frapper, même si le coupable est le chef de la famille et le roi, même si l’on est plus proche parent de l’offenseur que de l’offensé. Amphitryon tue dans un mouvement de colère son oncle et beau-père Électryon : sa femme a beau lui pardonner, il est contraint de quitter Argos avec elle et de laisser la royauté à son frère[117]. Epeigeus, roi de Boudeion, se réfugie auprès de Pélée, après le meurtre d’un cousin[118].

Le parricide même peut devenir un acte de haute moralité. Il faut voir dans les chants récents de l’Odyssée ce qu’est la fameuse légende de l’Orestie, quand s’y mêle pour la première fois le récit du parricide. Clytemnestre a aidé au meurtre de son époux[119]. Implacablement pieux, Oreste offre aux mânes paternels le sang de sa mère, puis, tranquille, rend à sa mère les honneurs funèbres[120]. Il est en règle avec sa conscience et avec la coutume : comme κύριος, il a le droit et l’obligation, qu’aurait eus Ménélas, de tuer Clytemnestre ; comme fils, il lui accorde ce que Ménélas lui aurait refusé[121], le repas des morts. Oreste est ainsi le héros idéal qui a su accomplir le chef-d’œuvre de la piété filiale dans un parricide[122]. Au glorieux Oreste s’oppose l’obscur Kytissôros, l’homme des lâches compromissions. Il n’a pas osé, celui-là, se hausser à l’héroïsme des vieux temps. Il avait à venger son père Phrixos sur son grand-père Athamas. Il eut pitié du vieillard, il le sauva : sa descendance en resta flétrie à jamais[123].

Le devoir universel de solidarité crue donc au profit du γένος une justice collective. Si l’on voit parfois la juridiction du chef fonctionner selon certaines formes[124], c’est précisément parce qu’elle est limitée, dominée par la juridiction du groupe. Il fallait, pour ne léser aucun droit, réunir le γένος au complcf. Ife grands conseils de famille devaient siéger dans lest occasions solennelles. Un connaît assez bien ce genre d’assises dans les gentes romaines[125] ; on le constate chez d’autres peuples aryens, Hindous d’autrefois[126] et Ossètes d’aujourd’hui[127] ; on le retrouve même chez les Egyptiens[128], les Chinois[129] et les Malgaches[130]. Il n’y a pas lieu d’en contester l’existence en Grèce.

Les vestiges de cette institution sont faciles à observer dans certaines formalités que nous révèle seulement la période classique, mais dont, l’origine remonte aux temps les plus lointains. La cérémonie des Amphidromia rappelle le droit de vie et de mort qui appartenait jadis au γένος sur chacun de ses membres. Quelques jours après la naissance d’un enfant, le père réunissait autour de son foyer toute la famille. Suivant le Théaitète de Platon[131], le nouveau-né était soumis à une espèce d’épreuve symbolique, après quoi les assistants déclaraient qu’étant d’une bonne constitution et de naissance légitime, il méritait d’être élevé dans la communauté. Certes, dans les maisons athéniennes, les invités ne se rendaient plus à cette fête de famille que pour apporter des cadeaux et banqueter ensemble[132]. Mais il n’en avait pas toujours été de mène. A Sparte, le père n’était pas souverainement libre d’élever son enfant : il devait rapporter dans la Leschè ; là, les anciens de la tribu décidaient Fi le nouveau-né devait être nourri ou jeté aux Apothètes[133]. La fonction exercée par les φυλέται à Sparte explique le rôle joué jadis par les γεννήται en Attique. Quand le père de l’enfant n’était pas le chef du γένος, il devait, avant d’exposer l’enfant ou de l’admettre à vivre sur le bien collectif, consulter le γένος et son chef. L’enfant fut admis à la vie légale par une décision du γένος, avant de l’être par un vote de la phratrie, comme à Athènes[134], ou par un arrêt de la tribu, comme à Sparte[135].

Si la volonté d’un seul ne suffit pas toujours à donner place à un nouveau venu dans ; la communauté familiale, elle ne suffit pas non plus toujours à expulser du groupa une personne qui en fait partie. Le père de famille, surtout s’il n’était pas chef de γένος, ne devait renier son fils qu’après avoir fait ratifier par tous une résolution que tous avaient à respecter. L’initiative d’un individu ne pouvait pas plus diminuer qu’augmenter le nombre des copartageants : άπαντας ή τόν κωλύοντα κρατεΐς, cet adage de droit primitif s’applique à tous les cas[136]. Sans doute on n’oserait pas sans réserve invoquer en ce serra la légende athénienne qui rattache l’institution du tribunal archaïque, la Phréattys, au procès plaidé par Teucros contre son père Télamon[137]. Mais il est tout à fait remarquable que Platon, dans les Lois[138], ait décrit avec la plus grande précision le fonctionnement d’un tribunal de famille dans le cas d’άποκήρυξις. Pour que ce traitement ait une valeur juridique, dit-il, il faut que la renonciation soit faite, non par le père seul, mais par la famille entière... Nul ne pourra retrancher de sa famille l’enfant qu’il a engendré et élevé sans autres formes et sur-le-champ. D’abord il réunira ses parents jusqu’aux cousins[139] et les parents du fils en ligne maternelle jusqu’au même degré ; puis il prononcera l’accusation en leur présence, montrant par quoi est méritée la mise au ban de la famille ; il laissera son fils parier avec la même liberté, pour établir qu’il ne mérite pas un pareil traitement. Si le pire l’emporte et obtient plus de la moitié des suffrages portés par tous les parents, alors il sera permis au père de renoncer au fils ; autrement, non. Platon (cela semble résulter de sa propre déclaration)[140] n’emprunte pas ce tableau à la vie athénienne[141]. Il n’est pas impossible pourtant qu’il ait constaté quelque chose de pareil dans une des cités aristocratiques et conservatrices dont il collectionne avec délices les antiquités. En tout cas, la logique de son système l’entraîne, sinon à recueillir une institution encore connue de son temps, du moins à retrouver une institution disparue. Lui-même observe que, dans le régime social fondé sur la propriété familiale, l’expulsion de la famille est nécessairement la mise au ban de la société et, par suite, a pour condition l’assentiment de la famille entière[142]. Voilà une remarque qui conserve toute sa valeur, si on L’applique au vieux temps : entre les Teucros et les Télamons, la lutte judiciaire avait bien pour théâtre un tribunal de γένος.

Nous avons dans l’Iliade, sans qu’on s’en soit jamais douté, un exemple de querelle entre père et fils avec intervention collective du γένος. C’est dans l’histoire de Phoinix[143]. Pour venger sa mère, il avait séduit la concubine de son père Amyntor. Bien qu’il eût commis le crime imputé à Hippolyte et Ténias, il ne fut pas puni sur-le-champ comme eux. Amyntor se borna d’abord à lancer contre le coupable les plus terribles imprécations. Phoinix eut même le temps de méditer un parricide, puis de se raviser et de songer à fuir une maison désormais détestée. Alors arrivèrent en grand nombre les άνεψιοί et les έται : pendant neuf jours ils restèrent, faisant rôtir force brebis, bœufs et porcs, buvant le vin à pleines coupes. Ces grandes réceptions sont les préliminaires indispensables des cérémonies et des actes officiels dans la satiété homérique : naissances[144], mariages[145], funérailles[146], tous les événements importants qui rapprochent les membres du γένος sont des prétextes à bombance ; la simple acquisition d’une propriété duit être consacrée par un sacrifice et un festin[147]. Sans doute, tous ses parents montent la garde autour de Phoinix de peur qu’il ne s’échappe. Mais ce n’est pas pour cela qu’ils sont venus : ifs ne pouvaient lins deviner sa secrète pensée. Ils sont venus sur convocation, Le seul homme qui ait pu les appeler, c’est celui qui les héberge. Il ne les a pas appelés pour empêcher son fils de partir ; car ce père cruellement offensé persiste dans son ressentiment[148]. Comme Thésée, il a maudit son fils ; s’il ne le bannit pas, comme Thésée, c’est qu’il a besoin d’obtenir le consentement du γένος[149].

Chaque fois qu’il se produit une attaque du dehors ou du dedans, les gens du γένος s’assemblent pour aviser. De ce conseil peut Sortir tantôt une guerre ou un compromis, tantôt une dérision quasi-judiciaire. Athènes a toujours connu ce genre de conseil dans des cas où une famille était provoquée par une autre. La loi de Dracon exigeait qu’une transaction, pour être valable, fût acceptée par tous les intéressés, c’est-à-dire par les pères, frères et fils, ou, à défaut de ces personnes, par les parents jusqu’au degré de cousin[150] : il fallait bien se réunir pour constater qu’il y avait unanimité ou non. Mais avant Dracon le γένος délibérait au complet ; il s’imposait de lui-même la règle du liberum veto ; il statuait sur la conduite de ses membres. Pindare[151] nous présente une scène légendaire qui est bien curieuse, lorsqu’on la place entre l’épisode homérique de Phoinix et la loi de Dracon. Le moment est venu où il va être demandé raison à Pélias de sa conduite envers son frère Aison. Au fils de l’offensé, Jason, viennent se joindre ses deux frères, Phérès et Amythaon, et seps neveux. Admètos et Mélampous. Ou observe le même cérémonial dans le palais d’Aison que dans celui d’Amyntor : durant cinq jours et cinq nuits ce ne sont que franches lippées. Mais le sixième jour, le héros prit la parole, gravement, devant ses parents et du commencement à la fin, leur exposa tout. Ils se déclarèrent prêts à le suivre. On voit suffisamment par là que la solidarité du γένος a également son efficacité quand l’offenseur est ou n’est pas un parent de l’offensé.

Dans la civilisation primitive, l’union de la famille ne se fait pas seulement contre les étrangers. Elle n’est pas un accident momentané dans la vie sociale ; elle en est le fond permanent, le principe nécessaire. La solidarité du γένος agit spontanément, avec une infaillible sûreté, comme une force naturelle, comme un instinct vital. L’ennemi extérieur, elle le détruit, à moins de le réduire à l’impuissance ; l’ennemi intérieur, elle le détruit encore, à moine de l’expulser. Loin d’être impossible, la répression des crimes commis par un parent contre un parent est plus certaine et plus sévère que la réparation des dommages causés par une famille à une autre. Si l’offenseur n’appartient pas au même groupe l’offensé, il peut encore espérer dans certains cas d’être soutenu par les siens ; s’il est parent du la victime, ses auxiliaires naturels deviennent ses ennemis. Seul, il a contre lui l’univers. Et il ne peut pas apaiser ceux qui le poursuivent, en payant une composition : il ne possède rien qui ne soit à eux[152]. Ici donc le crime fixe irrévocablement le sort du criminel. Le plus souvent, il n’essaye pas de lutter contre l’inévitable ; il fuit. Il n’attend pas la coalition des bras armés ; celle des consciences suffit. Interprète de la δήμου φήμις, la voix du γένος se fait écouter parce que la justice du γένος saurait se faire obéir[153].

 

 

 



[1] D’Arbois de Jubainville, qui a peut être exprimé avec le plus de force une opinion assez courante, n’a pas hésité à écrire : Il n’y avait pour le fils que deux châtiments à craindre ; 1° la haine de son père qui, quoique défunt, avait conservé la seconde vie qu’ont tous les morts et qui pouvait, sous ferme de revenant, troubler le sommeil du meurtrier ; 2° l’exécration publique. (La civil. des Celtes et celle de l’épopée hom., p. 313 ; cf. Pâri-cidas, p. 408).

[2] Voir Thonissen, I, p. 20. 116-118, 124-125, II, 262-264 ; Smith, Eurly Arabia, p. 22-23, 38 ; Rel. of the Semites, p. 254, 399 ; Kovalewsky, p. 311-320, 346 ss., 352 ss., 385 ; Steinmetz, II, p. 153-176, surtout p. 162 ss. Cf. Procksch, p. 4 ss., 30 ; Dareste, Ét. d’hist. du dr., p. 150 ; G. Tarde, L’idée de culp., dans la Revue des deux Mondes, 1891, t. CV, p. 872-873. Il y a une régie qu’on ne saurait avoir trop présente à l’esprit dans les recherches sur le droit primitif ; c’est celle que Kovalewsky, p. 197, a formulée en ces termes : Il ne faut pas partir de ce principe que l’impunité de certains actes suppose en elle-même le droit de les commettre.

[3] Odyssée, IX, 114.

[4] La θέμις devient ainsi chez les Hellènes ce qu’est cher les Romains, selon la lumineuse idée de Sumner Maine, le jus gentium, qu’on opposait avec raison au jus civile, mais qu’on fondait à sort sur la naturalis ratio. Thémis est la déesse de tous les γένη, comme Fas est la déesse commune des gentes dans le droit fécial (Tite-Live, I, 32).

[5] Voir M. Bréal, Mém. sur l’orig. des mots fas, jus et lex, dans les Mém. de l’Ac. des inscr., XXXII, II (1891), p. 3.

[6] Les θέμιστες, viennent de Zeus (Iliade, I, 238 : IX, 98-00) : Thémis est fille d’Ouranos (Hésiode, Théogonie, 133). Les oracles, les songes même sont des θέμιστες (Odyssée, XVI, 403 ; Iliade, II, 73 ; cf. Hypéride, P. Euxénippe, 14) Thémis rend des oracles à Delphes.

[7] Aristote, Politique, III, 9, 7. Cf. Fustel de Coulanges, Cité antique, p. 220 ; Sumner Maine, L’anc. dr., trad., p. 3-9.

[8] Cf. Kovalewsky, p. 312.

[9] Cf. id., p. 321-322.

[10] Tydeus, chassé de Calydôn pour cause de meurtre (Apollodore, I, 8, 5, 3), n’a plus droit ni au patrimoine ni à la royauté d’Oineus. Voilà pourquoi son fils Diomèdes est Argien, c’est-à-dire fait partie du γένος maternel. Lorsqu’il intervient à Calydôn par les armes, il ne songe pas à garder l’héritage d’Oineus pour lui, petit-fils ; il se borne à l’enlever au frère, Agrios, pour le donner par l’intermédiaire du gendre, Andraimrôn, à la fille épiclère, Gorgè, et aux petits-enfants (Id., ibid., 6, 1-2). Pour lui, il se sait incapable de résider à Calydôn, παραμένειν δέ ούκ έφη οί δύνασθαι (Pausanias, II, 25, 2). La Grèce appliquait donc le dicton germanique : La main souillée de sang ne reçoit pas d’héritage. (cf. Wilda, p. 716).

[11] Plutarque, Banquet des sept sages, 19, p. 162 E. Voir plus loin, l. III, ch. V.

[12] Le proscrit, dit un recueil juridique du Daghestan, est une poire sèche qui tombe de l’arbre sans éveiller l’attention de personne (Kovalewsky, La gens et le clan, dans les Ann. de l’Inst. intern. de sociol., VII, 1901, p. 67).

[13] Iliade, IX, 63 ; cf. 648 ; XVI, 59, L’άτίμητος μετανάστης est le réfugié qui a perdu sa valeur d’homme.

[14] Cf. Sumner Maine, Ét. sur l’anc. dr. et la cout. prim., trad., p. 361. L’isgoi, chez les anciens Russes, est  un être rejeté, séparé de la vie (Kovalewsky, p. 324). Chez les Ossètes, les bannis sont des abreks, des sans famille (Id., p. 284). Dans les Gragas, le warqus est à jamais sans patrie et sans toit, sans habitation, sans asile (Wilda, p. 600). Tel est encore le hali des Arabes (Procksch, p. 31-33).

[15] Pausanias, II, 19, 4 ; VI, 9, 2 ; VIII, 2, 6 ; Platon, Rép., VIII, p. 564 D ; cf. Schömann-Galuski, II, p. 312 ; G. van Lannep, De jure asyli, Amstel., 1838, p. 24 ; R. de Block, Le loup dans les myth. de la Gr. et de l’It. anc., dans la Rev. de l’instr.. publ. en Belg., XX (1877), p. 227-231. Sur le sens analogue de wargus en Germanie, voir Wilda, p. 396.

[16] Suivant une coutume dont il est question plus loin, la femme adultère est promenée nue chez les Hindous, les Ossètes, les Occidentaux du moyen-âge (Kovalewsky, p. 339 ; Em. H. Rebouis, Cout. de Puymirol, dans la Nouv. rev. hist. de dr. fr. et étr., XI, 1887, p. 297, 312) ; quelquefois elle est revêtue d’une chemise ou d’une jupe (G. B. de Lagrèze, Hist. du dr. dans les Pyr., Paris, 1867, p. 313-316). Il en est de même du débiteur (Kohler, Shakesp., p. 49). Dans la loi Salique (tit. LVIII, De chrene cruda), le meurtrier insolvable, pour sortir de sa famille, saute par-dessus la haie en chemise et nu-pieds. Voir encore Beaumanoir, Cout. Du Beauv., LIV, 6, éd. Beugnot, II, p. 313.

[17] Platon, Lois, IX, p. 854 D.

[18] Tzetz., Chiliad., V, 736.

[19] Sur le παρατιλμός et la ραφανίδωσις, voir Suidas, s. v. ραφανίς et μοιχός ; Hesychius, s. v. Λαχιάδαι ; Schol. d’Aristophane, Plut., 168 ; Nuées, 1083.

[20] On verra plus loin la coutume de Lépréos (Héraclide de Pont, fr. 14, dans les F. H. G., II, p. 217). Le meilleur commentaire qu’on en puisse donner, c’est la loi de Vestrogothis sur la femme adultère : Elle est exclue du bo..... dans ses habits de tous les jours (Livre du mariage, VI, éd. Beauchet, p. 194).

[21] A Kymê et en Pisidie, la coutume n’est maintenue sans modification (Plutarque, Quest. gr., 2, p. 291 E ; Nicolas de Damas, dans Stobée, Floril., XLIV, 41 = F. H. G., III, p. 462, fr. 130, 3 ; Hesychius,s. v. όνοβάτιδες). Elle est encore très reconnaissable à Lépréos (Héraclide de Pont, l. c.) et même à Athènes (Eschine, C. Tim., 183 ; Démosthène, C. Neair., 80).

[22] Xénophon, Helléniques, III, 3, 11 (Sparte).

[23] Platon, l. c.

[24] Diodore, XII, 12, 2 (loi de Charondas à Thourioi) ; cf. Dareste, Nouv. ét., p. 23.

[25] De même que les Agrionia d’Orchomène mettent en scène la poursuite de meurtrier par le vengeur du sang (Plut., Quest. gr., 38, p. 299 E-F), les Thargèlia d’Athènes et d’Ionie, ces fêtes où les deux φαρμακοί fuyaient par toute la ville, accablés d’avanies, ont bien pu représenter, avant que la Grèce connût l’idée de purification, la poursuite des criminels chassés d’un γένος. On peut même dire que c’est la promenade ignominieuse des adultères qui est reproduite : les victimes sont au nombre de deux, un homme et une femme, et certain traitement subi par l’homme (Tzetz., l. c.) rappelle celui qui est infligé en maints pays au complice de l’adultère, puni par où il a péché.

[26] Xénophon, l. c.

[27] Helladios, dans Photius, Bibl., p. 534.

[28] Istros, τά Άπόλλωνος έπιφάνεια, I, dans Harpocration, s. v. Φαρμακός (F. G. H., I, p. 422, fr. 33) ; cf. A. Mommsen, Feste der St. Ath. im Alt., p. 473 ; Töpffer, Beitr., p. 130 ss. Même rite dans une fête d’Abdère, d’après Ovide, Ibis, 449-470 et le Schol.

[29] Apollodore, II, 5, 11, 10.

[30] Elien, De nat. Anim., XII, 34.

[31] Dans le pays de Galles, on donnait à la poursuite du criminel tout l’appareil de la chasse : on sonnait du cor, on lançait les chiens (Walter, p. 442). Cf. Xénophon, Anabase, V, 7, 24 (comparaison avec le sanglier et le cerf).

[32] Xénophon, l. c., 21 ; Aristophane, Nuées, 1508 ; Acharniens, 281-282.

[33] Chez les Ossètes, il arrive que les parents du mari outragé frappent les coupables à mort (Kovalewsky, p. 338 ss.).

[34] Cf. Kovalewsky, p. 312, 350 ss.

[35] La chasse de la femme adultère ou de la fille séduite se retrouve dans l’Inde (Vasishtha, XXI, 55, 1-5, trad. G. Bühler, dans les Sacred Books of the East, XIV, p. 109-110 ; cf. Schrader. Reallex., p. 157), en Germanie (Tacite, De mor. Germ., 19 ; Boniface, Mon. Moguntina, éd. Jaffé, p. 172 ; Loi de Vestrogothie, l. c. ; cf. Grimm, p. 450 ; Wilda, p. 910 ss. ; Michelet, p. 306-307), dans la France du moyen-âge (Du Gange, s. v. Troiare, VI, p. 1317 ; G.-B. de Lagrèze, op. cit., p. 313-316 ; Em. H. Rébouis, Cout. de Clermont-dessus, dans la Nouv. rev. hist. de dr. fr. et étr., V, 1881, p. 75, 95, n. 83 ; Cout. de Puymirol, ibid., XI, 1867, p. 2197, 312 ; F. Pasquier, Cout. de Saint-Bauzeil, ibid., V, 1881, p. 530), chez les Ossètes (Kovalewsky, p. 338-340), au Cambodge (Leclère, p. 203 ss., 384), chez les Peaux-Rouges (Letourneau, Evol. jur., p. 37). Elle se faisait encore en 1836 dans les villages d’Angleterre (Michelet, p. 306) ; elle se fait encore aujourd’hui en Russie, comme en témoigne une nouvelle de Max. Gorki.

[36] Kohler, op. cit., p. 48 ss.

[37] Plutarque, Quest. Gr., 2, p. 291 E ; cf. Hesychius, s. v. όνοβάτιδες. On assied l’adultère sur un âne chez beaucoup de peuples, les Ossètes, par exemple ; on l’assied sur un singe, chez les Hindous (cf. Kovalewsky, p. 338).

[38] Loi de Gortyne, XI, 12-13.

[39] Héraclide de Pont, l. c.

[40] Odyssée, VIII, 218 ss.

[41] Xénophon, l. c.

[42] Helladios, l. c., donne à ces colliers de figues noires et blanches un sens cathartique. C’est une explication tenue après coup.

[43] Diodore, XII, 12, 2.

[44] Nicolas de Damas, l. c. A Gortyne, le μοιχός est couronné de laine (Elien, Hist. var., XII, 12).

[45] Cf. Michelet, p. 312 ; Kohler, l. c., p. 48-49.

[46] Leclère, p. 503-204, 207, 384. Chez les Ossètes, le parricide excommunié porte un baudrier de cailloux ronds. Chez les Babyloniens, le mari qui chassait de sa maison la femme adultère lui attachait un signe sur la poitrine (Dareste, Hammourabi, p. 348).

[47] Voir Hild, art. Hieroduli, dans le Dict. des ant., p. 174, n. 9, 11, et fig. 3834 ; Saglio, art. Calathus, ibid., fig. 1003.

[48] Hild, l. c., p. 172, a montré que la hiérodulie est une forme adoucie des sacrifices humains. Servus, servatus. Prométhée délivré lie sa tête d’une couronne d’osier (cf. H. Weil, Ét. sur le drame ant., p. 78-79).

[49] Les Locriennes, devenues hiérodules en expiation d’un crime, vivent presque nues (Plutarque, Des delais de la veng. div., 12, p. 557 D) : la description des auteurs est illustrée par les monuments figurés (voir Saglio, art. Brattea, dans le Dict. des ant., fig. 877), On voit à quelles lointaines origines remonte le cérémonial actuel de la dégradation militaire, quand on lit dans la loi de Charondas que les déserteurs et les réfractaires étaient exposés en habits de femme (Diodore, XII, 16, 1).

[50] On ne saurait objecter le rapprochement que nous avons établi entre les άτιμοι et les hiérodules : ils sont, les uns et les autres, à la fois sacrés et maudits.

[51] Eschine, C. Tim., 183 ; cf. (Démosthène), C. Néair., 194. Voir Beauchet, I, p. 242. Les rhéteurs parlent de lois interdisant aux courtisanes de porter des vêtements dorés et une couronne d’or (voir les textes dans Meursius, I, 5 ; Meier, p. 29-30).

[52] Plutarque, Solon, 29. L’exposition du débiteur est encore certifiée par Timée, Lex. de Platon, p. 203.

[53] Probl. Rhet., c. 38 ; cf. 24. Voir Meursius, l. c. ; Meier, l. c. ; Meier Schömann-Lipsius, p. 406, n. 601 ; Beauchet, I, p. 242 ; II, p. 418.

[54] Sur le suicide en droit grec, Voir Waschmuth, II, I, p. 181, n. 234 ; Becker Göll, III, p. 161 ss. ; Thonissen., p. 254-255 ; Meier Schömann-Lipsius, p. 381 ; Thalheim, p. 51 ; Geiger, Der Selbstmord im kl. Alt., diss. in. Augsb., 1888, p, 59-63 ; Durckheim, Le suicide, p. 373-374.

[55] Philostrate, Héroïques, XIII, 7 ; cf. Welcker, Ep. Cykl., II, p. 298.

[56] Aristote, Morale à Nicomède, V, 11, 2-3.

[57] Dion Chrysostome, LXIV, 3, p. 592, éd. Reiske.

[58] Aristote, dans Zénob., Prov., VI, 17 : (Plut.), Prov. Alex., 47, p. 1262. La même loi existait peut-être à Sparte (cf. Hérodote, IX, 71).

[59] Eschine, C. Ctésiphon, 244 ; cf. Josèphe, Bell. Jud., III, 8, 5, H. Hager, dans le Journ. of philol., VIII (1877), p. 12, voit dans la coutume athénienne un adoucissement à la coutume générale des grecs. J’y verrais plutôt un μασχαλισμός contre les sortilèges du trépassé.

[60] Platon, Lois, IX, p. 873 C-D ; cf. Al. Chiappelli, Del suicidio nei dialoghi platonici, Roma, 1885. Le passage de Platon trouve un commentaire inattendu dans la coutume ossète (Kovalewsky, p. 327).

[61] Artémidore, Onirocr., I, 4.

[62] Plutarque, l. c.

[63] Voir Kohler, Ueb. die Blutrache der Australneger, dans la Zeitschr. f. vergl. Rechtwiss., VII (1887), p. 383.

[64] A Rome aussi le droit pontifical refuse la sépulture à ceux qui se sont donné la mort, et la législation pénale sévit contre eux (cf. Walter, trad. Picquet-Damesme, p. 60 ; Siben, p. 34-40). On voit à quelles origines remontent la règle de l’Église chrétienne et les dispositions qui sont restées si longtemps en usage chez les peuples les plus civilisés. Les lois sont furieuses en Europe, dit Montesquieu (Lettres pers., 70), contre ceux qui se tuent eux-mêmes. On les fait mourir, pour ainsi dire, une seconde fois. Ils sont traînés indignement par les rues, on les note d’infamie, on confisque leurs biens. Le curieux travail de Julien Brégeault sur les Procès contre les cadavres dans l’ancien droit, Paris, 1880, ne montre pas suffisamment la persistance de ces vieilles coutumes. Il faut lire l’Ordonnance pour l’instruction des procédures criminelles en Corse, publiée en 1768, au titre XXI, intitulé De la manière de faire le procès au cadavre ou à la mémoire d’un défunt.

[65] Odyssée, I, 397 ; cf. 402.

[66] Odyssée, IX, 114-115 ; cf. Platon, Lois, III, p. 680 C ; Aristote, Politique, I, 1, 7.

[67] Iliade, XV, 17-21 ; cf. Platon, Lois, IX. p. 872 B, 882 A-B ; Diodore, IV, 43, 3 ; Plaute, Asin., 301-304 ; Térence, Phorm., 230 ; Eun., 1020. Voir J Girard, p. 48. C’est une peine qui subsiste pour les femmes chez les Macédoniens (Quinte-Curce, VIII, 8, 1). Elle est aussi usitée dans l’Inde (cf. Zimmer, p. 181 ; Jolly, p. 130) et à Rome (Tite-Live, I, 26 ; II, 5, 36, 41 ; V, 27 ; XXII, 57 ; XXVIII, 11, 24 ; Sénèque, De clem., I, 14). Voir Von Ihering, Vorgesth. der Indoeurop., trad., p. 72 ; Schrader, Reallex., p. 834-835. De la justice familiale, la peine du fouet a passé plus tard dans la justice infernale (voir Dieterich, p. 203-204).

[68] Pausanias, VIII, 12, 6.

[69] Voir, pour les Indo-Européens en général, Bernhöft, p. 211 ss., 239 ss. ; Bücheler-Zitelmann, p. 103 ; Schrader, op. cit., p. 156 ; Wilda, p. 823 ; Kovalewsky, p. 338 (cf. Post, Bausteine, I, p. 141 ; Anfänge, p. 201 ss. ; Geschlechtsgenoss., p. 84, 133 ss., 157). Dans une certaine légende, Ulysse tue Pénélope infidèle (Apollodore, Epit., VII, 39), de même que dans l’Odyssée il fait pendre ses servantes (XXII, 443-445 ; cf. XIX, 91 ss.). Atrée précipite Aéropè dans les flots (Soph., dans le Scol. d’Euripide, Or., 812). Cf. Apollodore, III, 10, 3, 9 (Coronis tuée par Apollon).

[70] Odyssée, VIII, 344 ss. ; Apollodore, l. c., 38.

[71] Odyssée, VIII, 318.

[72] Le principe est très clairement exprimé par Rivier, Précis du dr. de famille, Paris, 1891, p. 53, n. 2 : Ce n’est point parce qu’il les a engendrés que le père est maître de ses enfants, mais parce qu’il est le maître de leur mère, et que l’enfant, d’où qu’il provienne, doit lui appartenir comme le croît appartient au maître de la génisse et la récolte au propriétaire du champ. Voir, pour les Indo-Européens en général, Schrader, op. cit., p. 216 ss. ; G. Cornil, p. 417-485, surtout p. 420-421 ; pour la Grèce, Wachsmuth, I, p. 433, n. 18 ; Fustel de Coulanges, Cité antique, p. 98 s. ; Guiraud, p. 51.

[73] Le droit du père sur les nouveau-nés est universellement reconnu. Voir Schrader, Sprachvergl. und Urgesch., p. 563-564 ; Reallex., p. 51-53 ; Hearn, p. 92-93 ; Von Ihering, op. cit., p. 52 ss. ; 379 ; Post, Geschlechtsgenoss., p. 135-142 ; Bausteine, I, p. 326-327 ; Westermarck, trad., p. 296.299 ; Zimmer, p. 318-320 ; Grimm, p. 455. Pour la Grèce légendaire, je renvoie aux articles Expositio et Juranticidium, dans le Dict. des ant., p. 9300, 489. Voir surtout les légendes de Zeus (Hésiode, Théogonie, 453 ss.), de Poseidon (Pausanias, VIII, 8, 2), d’Œdipe (Euripide, Suppl., 25-27 ; Sophocle, Œdipe roi, 1174 ; Diodore, IV, 64, 1 ; Apollodore, III, 3, 7, 3), de Pâris (Apollodore, III, 12, 5, 6), d’Atalante (Id., III, 9, 2, 2).

[74] Cf. Plutarque, De def. orac., 14, p. 417 D.

[75] Apollodore, I, 9, 1, 4 ; Pausanias, I, 44, 7-8 ; IX, 34, 5 ; Eustache, ad Iliade, VII, 86, p. 667 ; Schol. d’Aristophane, Nuées, 257 ; Hérodote, VII, 197.

[76] Apollodore, II, 4, 3, 4.

[77] Hellan., dans le Schol. de l’Iliade, XX, 146 (F. H. G., I, p. 64, fr. 136). Voir aussi la légende messénienne d’Aristodèmos et de sa fille (Pausanias, IV, 9, 5 et 7), la légende athénienne des Léontides (id., I, 5, 2), la légende arcadienne de Lycaon immolant son fils Nyctimos (Tzetz, ad Lyc., 482) ou son petit-fils Arcas (Eratosthène, Cataster., 8 ; Hyg. Pocf. astr., II, 4), etc.

[78] Apollonius de Rhodes, IV, 1089-1095.

[79] Apollodore, I, 8, 4-5 ; cf. Diodore, IV, 35, f ; (Plut.), Prov. alex., 5, p. 1252. Tel est aussi le sort d’Arnè, fille d’Aiolos (Diodore, IV, 67, 4) et de Psophis, fille d’Eryx (Pausanias, VIII, 24, 2).

[80] Voir les récits relatifs au Παρ' ϊππον καί κόραν dans Eschine, C. Tim., 182. p. 26 ; Héraclide du Pont, fragm. I, 3 (F. H. G., II, n. 208) ; Nicolas de Damas, fragm. 51 (Ibid., III, p. 386). Autres exemples : Aéropè (Soph., Aj., 1295-1397 et le Schol.), Augé (Pausanias, VIII, 48, 7 ; Diodore, IV, 33, 8 ; Alcidamas, Ulysse, 4) ; Rhoiô (Diodore, V, 62, 1), Phronimè (Hérodote, IV, 154). Antiopè fuit pour éviter un pire destin (Apollodore, III, 5, 5). Aiolos aurait tué sa fille Polymèlè sans l’intervention de son fils (Parthen., Erot., II, 2). Echétos crève les yeux à sa fille et la jette dans un cachot (Apollonius de Rhodes, IV, 1092-1095).

[81] Apollodore, II, 4, 1, 3. On racontait la même fable sur Sémélé et Dionysos (Pausanias, III, 24, 3). On la racontait aussi sur Augè et Téléphos (Id., VIII, 4, 9) ; dans une autre version, Aléos ordonne qu’un expose l’enfant et qu’on tue la mère (Apollodore, II, 7, 4, 1-3 ; III, 9, 1, 4-5). Voir encore la légende de Ménalippè et de ses enfants jumeaux dans Hyg., Fab., 186, celle de Phialô et d’Aichmagoras dans Pausanias, VIII, 12, 3.

[82] C’est l’histoire de Coronis et Asclèpios (Pausanias, II, 29, 4), de Tyrô et ses jumeaux (Apollodore, I, 9, 8, 1), de Chionè et Eumolpos (Id., III, 15, 4, 1), de Créouse et Ion (Euripide, Ion, 14-18). Voir encore les légendes d’Augè (Pausanias, VIII, 48, 7), de Psamathè (Id., I, 43, 7) et de Ménalippè (version suivie par Euripide, d’après Denys d’Hal., Rhcf., VIII, 10 ; IX, 11, et Grégoire de Corinthe, dans Walz, Rhcf. gr., VII, p. 1313).

[83] Apollodore, I, 8, 1, i1 Voir aussi l’aventure de Molpadia et Parthénos (Id., IV, 62, 3).

[84] Iliade, I, 590 ; XV, 23 ; Apollodore, I, 3, 5.

[85] Pausanias, V, 1, 10 ; Apollodore, II, 5, 5, 5 ; Diodore, IV, 33, 4.

[86] Diodore, V, 83, 4 ; Pausanias, X, 14, 2-3 ; Tzetz., ad Lyc., 232 s. ; Schol. de l’Iliade, I, 38 ; Apollodore, Epit., III, 24.

[87] Euripide, Hipp., 893, 973-975, 1051-1056, 1055 ; cf. 1042-1044. Dans les mêmes circonstances, Phineus inflige à ses fils des peines corporelles (Diodore, IV, 43, 3-4). — Les codes antiques de l’Orient reconnaissent au père le droit de chasser son fils dans ce cas (Dareste, Hammourabi, p. 587 ; Lévitique, XVIII, 8, 29).

[88] Apollodore, I, 9, 2, 1 ; Pausanias, I, 44, 7 ; Schol. de l’Iliade, VII, 96 (Ino) ; Apollodore, Epit., III, 25 ; Tzetz., ad Lyc., 252 as. (Philonomé). Diogène Laërce, I, 94 (concubines de Périandre).

[89] Apollodore, III, 12, 6, 10.

[90] Alcmaionis, dans le Schol. d’Euripide, Andr., 687 (Kinkel, Epic. gr. fragm., I, fr. 76) ; Pausanias, II, 29, 9-10 ; X, 30. 4 ; Apollodore, l. c., 12 ; Anton. Liber., XXXVIII, 2 ; Diodore, IV, 72, 6-7.

[91] Hellan., dans le Schol. de l’Iliade, II, 105 (F. H. G., I, p. 50, fr. 42) ; Thucydide, I, 9 ; Pausanias, VI, 20, 7.

[92] V. 80, 2. Voir aussi dans Diodore, V, 57, 2, l’exil des Héliades après le meurtre de leur frère Ténagès.

[93] Constitution des Athéniens, 16.

[94] Le père chasse son fils en Grèce, comme en Herzégovine il le tue (Miklosich, p. 147).

[95] Apollodore, II, 3, 1, 1.

[96] Hérodote, I, 35.

[97] Pausanias, I, 28, 11 ; VIII, 15, 7.

[98] Aristote, Politique, I, 1, 7.

[99] Odyssée, I, 356-359 ; XXI, 350-353. Ailleurs (Iliade, VI, 490-493), ces vers sont précisément placés dans la bouche d’un mari.

[100] Apollodore, III, 2, 1, 5. Cf. Bardésanès, dans Eusèbe, Prép. év., VI, 10 (Arménie).

[101] Apollodore, III, 5, 5, 6 ; Pausanias, II, 6, 2 ; Euripide, dans Hyg., Fab., 8. Lycos devient, par la mort de Nycteus, κύριος d’Antiopè. De là l’erreur du Proclus qui, en résumant les Chants Cypriens dans sa Chrestomathie (Kinkel, Epic. gr. fragm., I, p. 18) fait d’elle la fille de Lycos.

[102] Apollodore, l. c., 7 et 9.

[103] Id., ibid., 8 ; Pausanias, I, 38, 9.

[104] Cf. Grimm, p, 486 ss. ; Michelet, p. 427-432 ; Leist, Alt-ar. Jus civ., I, p. 184 ; Schrader, Sprachvergl. und Urgesch., p. 548 ; Reallex., p. 36-39 ; Rhode, Der gr. Roman, p. 230, n. 1 ; d’Arbois de Jubainville, La civil. des celtes et cette de l’épopée hom., p, 313 ; Geiger, Der Selbsmord in klaas. Att., p. 61-62. Les documents rassemblés par l’anthropologie sont innombrables : voir, par exemple, Kahler, Die Rechte der Urvölker Nordamerikas, dans la Zeitschr. f. vergl. Rechtwiss., XII (1897), p. 369-370 ; Durkheim, Le suicide, p. 234-235 ; Jean N. Smirnov, Les popul. finnoises du bassin de la Volga et de la Kama, trad. P. Boyer, Paris, 1898, p. 352-353 ; Sainéan, L’état act. des ét. de Folklore, dans la Rev. de synth. hist., IV (1902), p. 153-154.

[105] Les Grecs se sont toujours distingués des autres Aryens par l’amour filial et le respect de la vieillesse : comparez von Ihering, Vorgesch. der Indoeur., trad., p. 54, et Nägelsbach-Autenrieth, p. 228. On a souvent tiré des conclusions téméraires de certains textes relatifs à des suicides à Céos, à Massilie et à Athènes : c’est ce que fait encore Schrader, Reallex., p. 36. Je me suis longuement expliqué sur la filiation des documents et la date récente des faits dans le Dict. des ant., à l’art, Kôneion, p. 862-863.

[106] Aristophane, Oiseaux, 1353-1359 et le Schol. ; Hesychius, Suidas, s. v. Πελαργικοί νόμοι et άντιπελαγεΐν ; cf. Aristote, Hist. des anim., IX, 13 (14) ; Pline, X, 23 ; Quint., Inst. or., VII, 6, 5.

[107] C’est ce qui s’appelle θρέπτρα άποδιδόναι (Iliade, IV, 478 ; XVII, 302 ; Hésiode, Œuvres et jours, 168). Le fils doit aussi loger ses parents (Odyssée, II, 130).

[108] Hésiode, op. cit., 185-186, 331-332.

[109] Odyssée, III, 309-310 (cf. IV, 547) ; Pausanias, II, 25, 2.

[110] Cf. Von Ihering, op. cit., p. 50.

[111] Odyssée, I, 189 ss. ; XI, 184 as. ; XV, 353 ss. ; voir surtout XVI, 137 ss., 309 ; XXIV, 205 ss. (cf. IV, 737 ss.), Comparez l’inquiétude d’Achille sur le sort de Pélée (Odyssée, XI, 494 ss.). D’après d’Arbois de Jubainville, op. cit., p. 311-312, l’Iliade et l’Odyssée présenteraient deux conceptions différentes de la puissance paternelle. Au début (cas de Priam), cette puissance ne s’éteindrait pas, comme à Rome, en Gaule et en Irlande ; plus tard (cas de Laërte), la majorité du fils entraînerait son émancipation, comme chez les Athéniens, les Gallois et les Germains. Mais l’émancipation du fils n’explique pas la déchéance du père.

[112] Ce dénouement a semblé plus moral à Euripide, dans la tragédie perdue dont Oineus était le héros (Schol. d’Aristophane, Ach., 418 ; cf. Anton. Liber., XXXVIII, 1) ; mais on sait les libertés qu’Euripide prend avec la légende.

[113] Apollodore, I, 8, 6, 1-2. Pausanias, II, 25, 2 ; cf. Bethe, Theb. Beldenlieder, p. 130-134.

[114] Apollodore, I, 8, 5, 3 - 8, t ; cf. Diodore, IV, 135, 2 ; Phérék., dans le Schol. de l’Iliade, XIV, 120 (F. H. G., I, p. 91, fr. 83) ; Euripide, Suppl., 148. La même explication convient peut-être au cas d’Héraclès s’exilant de Calydôn après le meurtre de son beau-frère Eunomos, malgré le pardon du père, qui est le même Oineus (Apollodore, II, 7, 6, 3-4). La Bible présente un cas analogue ; un frère a tué son frère ; la famille de la victime cherche à la venger, à défaut du père défunt (Rois, II, 14, 4-11).

[115] (Démosthène), C. Néair., 87. Voir, ers droit comparé, Wilda, p. 843 ; Kovalewsky, p. 331.

[116] Pausanias, II, 25, 2 ; Apollodore, I, 8, 6, 2.

[117] Hésiode, Boucl. d’Héracl., 1-14, Euripide, Rér. fur., 15-17.

[118] Iliade, XVI, 571-574.

[119] Odyssée, III, 235 (interpolation) ; IV, 92 ; XI, 410, 427-434, 439, 444, 453, XXIV, 97, 199 ss. ; cf. Pindare, Pythiques, XI, 17-22 ; Eschyle, Ag., 1107 ss., 1374 ss. ; Choéph., 423 ss., 888, 1028 ; Eum., 625 ss. ; Soph., El., 97 ss., 525 ss. ; Euripide, Or., 25, 407 ss.

[120] Odyssée, III, 309-310 ; cf. IV, 547.

[121] Odyssée, III, 258-261. Clytemnestre non plus n’avait pas rendu les derniers devoirs à Agamemnon (XI, 426 ; cf. Eschyle, Choéph., 430 ss.).

[122] Odyssée, I, 30, 298-302 ; III, 199-203.

[123] Hérodote, VII, 197. La légende d’Œdipe tient une place intermédiaire. Etéocle et Polynice chassent leur père ; mais ils n’osent pas porter la main sur lui. Et pourtant ils sont poursuivis jusqu’à la mort par son imprécation et son Erinys (Eschyle, Sept, 70, 791 ; Euripide, Suppl., 150).

[124] Voyez les jugements de Télamon par Aiacos (Pausanias, I, 28, 11 ; VIII, 15, 7) et de Teucros par Télamon (II, 29, 10).

[125] Voir les textes dans Rein, Privatr. d. Römer, p. 415, 483 ; cf. Fustel de Coulanges, Cité antique, p. 104 ; P. F. Girard, L’org. jud, de Rome au temps des rois, dans la Nouv. Rev. hist, de dr. fr. et étr., XXV (1901), p. 83-84.

[126] Thonissen, II, p. 20.

[127] Cf. Tarde, L’idée de culp., dans la Revue des Deux-Mondes, 1891, t. CV, p. 872.

[128] Thonissen, II, p. 116-118.

[129] Cf. Tarde, l. c.

[130] Dareste, Nouv. ét., p. 339. Voir sur cette institution Post, Grundlagen, p. 138.

[131] P. 160 E-161 A.

[132] Lex. Rhcf., dans Bekker, Anecd. gr., I, p. 237, 26 ; Aristophane, Oiseaux, 491, 922 ; Euboulos, dans Athénée, II, 70, p. 63 C ; XV, 7, p. 668 D (Kock, Fragm. com., II, p. 214, 165) ; Ephippos, ibid., IX, 10, p. 370 C-D (Kock, p. 251) ; Euripide, El., 1126 ; cf. Hermann-Blümner, p. 282-283.

[133] Plutarque, Lycurgue, 16 ; cf. l’art. Expositio, dans le Dict. des ant., p. 937.

[134] Cf. Beauchet, I, p. 343-346.

[135] L’explication juridique que nous proposons pour la cérémonie des Amphidromia laisse ouverte la question de la formalité rituelle dont elle est accompagnée : elle se concilie très bien, par exemple, avec les interprétations données par S. Reinach, L’Emphidromie, dans l’Anthropologie, 1899, p. 663.670, et dans les Comptes rendus de l’Ac. des Inscrip., 1809, p. 308.

[136] I. J. G., n° XXI, l. 14. C’est la règle, dans le régime patriarcal, que les résolutions importantes soient prises à l’unanimité. Il en est ainsi quand le clan procède à une adoption ou à une exclusion (Kovalewsky, L’org. del clan nel Daghestan, dans la Riv. it. di social, 1898, p. 295 ss.), ou quand la famille autorise le retour à un parent meurtrier d’un parent (Id., Cout. contemp. et loi anc., p. 320).

[137] Pausanias, I, 48, 11. Ce procès a pu être inventé après coup pour expliquer les formes usitées à la Phréattys, comme aussi la légende a pu se répandre dès les débuts de l’ère historique, à un moment où les γένη, conservaient le souvenir ou présentaient encore des exemples de semblables jugements.

[138] XI, p. 929 A-C ; cf. Dareste, Sc. du dr. en Gr., p. 126.

[139] Il s’agit des cousins issus de germains d’après d’autres passages, p. 871 D, p. 876 D.

[140] P. 928 B.

[141] Cependant Caillemer, p. 23, admet qu’en droit attique l’abdication devait être précédée d’une délibération d’un conseil de famille. Voir Beauchet, II, p. 136, 138.

[142] P. 928 E. Ce n’est pas une fois par hasard que Platon demande la réunion du conseil de famille. Si un homme sous enfants est banni ou condamné à mort, les parents de la ligne masculine et de la ligne féminine μεχρί άνεψιών παίδων s’assemblent pour instituer un héritier (IX, p, 977 D. 878 A), Ailleurs, le conseil siége comme tribunal, et c’est encore pour s’interposer entre le père et le fils : dans le cas de blessures faites par le frère au frère, les parents délibèrent sur la peine à infliger, et, en cas de désaccord, l’avis des parents en ligne paternelle l’emporte sur celui des parents en ligne maternelle (p. 879 D). La Logique de Platon est confirmée par le droit comparé. A Madagascar, par exempte, le père ne peut plus renier ou chasser son enfant sans faire ratifier sa décision par le tribunal de la famille (Dareste, Nouv. ét., p. 339).

[143] Iliade, IX, 448-477.

[144] Voir ce que nous venons de dire des Amphidromia.

[145] Iliade, XVIII, 491 ; XIX, 299 ; Odyssée, I, 220 ; IV, 3 ; XI, 415 ; hymne à Aphr., 121.

[146] Iliade, XXIII, 29 ss. ; XXIV, 665, 801-804 ; Odyssée, III, 309-310 (cf. IV, 547).

[147] Iliade, XI, 706-707 ; Hésiode, Œuvres et jours, 345-347.

[148] Voir surtout le vers 463.

[149] Dans ce cas, où le père et le fils s‘accordent sur la nécessité de se séparer à jamais, le conseil du γένος intervient pour la conciliation ; il s’érigerait en tribunal, dans le cas où le fils ferait opposition.

[150] I. J. G., n° XXI, l. 13-16 ; (Démosthène), C. Macart., 57.

[151] Pythiques, IV, 124-135.

[152] Le meurtre d’un parent est inexpiable matériellement ; mais il est oiseux d’attribuer à la θέμις primitive une théorie des circonstances aggravantes (cf. Schömann-Galuski, I, p. 37 ; Buchholz, II, I, p. 78).

[153] Ce qui a retenu le bras de Phoinix, c’est la δήμου φάτις, la perspective d’une vie infâme, la crainte d’être appelé parricide (Iliade, IX, 460-461). On a voulu conclure de là que le parricide dans les temps homériques n’était pas punissable (Leist, Alt-ar, Jus civ., I, p. 184 n. ; d’Arbois de Jubainville, La civil. des Celtes et celle de l’épop. de hom., p. 314). Mais croit-on que les nombreux έται καί άναψιοί rassemblés à ce moment dans la demeure d’Amyntor seraient restés inactifs ? Ces outrages dont la pensée a empêché le crime, ce sont ceux que le parricide aurait subie sur la terre d’exil, quelque part μετ' Άχαιοΐσιν.