LA CIVILISATION ÉGÉENNE

LIVRE III. — LA VIE RELIGIEUSE.

CHAPITRE IV. — LES CÉRÉMONIES DU CULTE.

 

 

Les cérémonies religieuses et les pratiques rituelles des Préhellènes produisirent une grande et durable impression sur l’esprit des Grecs. Après de longs siècles écoulés, les Crétois disaient que les honneurs accordés aux dieux, les sacrifices et l’initiation aux mystères sont des inventions crétoises et que les autres peuples les leur ont empruntées[1]. Dans ces prétentions exagérées il y a une bonne part de vrai.

Aux exercices du culte présidèrent longtemps des prêtresses. La femme était l’intermédiaire naturelle auprès des divinités dont la plus grande était la femme divinisée. Une multitude de monuments représentent les prêtresses en fonction. Pourtant, il, n’est pas toujours aisé de les distinguer de la déesse qu’elles servent : on pourrait confondre la Déesse aux serpents avec son acolyte  et attribuer un rang divin à des personnages féminins qui tiennent dans chaque main une double hache ou des fleurs[2]. Il faut une comparaison attentive des vêtements, des attitudes, des attributs, pour apercevoir dans certains cas des différences caractéristiques. Ce qui est beaucoup plus difficile encore et généralement impossible, c’est de distinguer les prêtresses des adorantes ou des offrantes, et l’on en est réduit à parler des unes et des autres en même temps.

Certains costumes sont manifestement rituels, et les femmes qui les portent doivent être plus que de simples fidèles. Telle est la jupe-culotte raide et bouffante, en peau mouchetée, terminée en pointe par la queue de l’animal ou par un appendice qui la rappelle : ce vêtement des temps paléolithiques, perpétué par la tradition religieuse, est celui de femmes qui font des libations devant des bipennes, apportent des robes votives ou tiennent le bâton magique[3]. Telle est aussi la robe longue, qui apparaît dans des scènes pareilles. Parfois, c’est une coiffure spéciale, tiare, toque, chapeau rond et plat, qui dénote le caractère sacerdotal de femmes priant, dansant ou présentant les vases sacrés[4]. Mais, le plus souvent, celles qui accomplissent les actes rituels sont habillées à la mode de leur temps. Avec la jupe à volants, elles portent le corsage décolleté, d’autant qu’il a probablement eu à l’origine une valeur mystique. Peut-être même, pour ressembler davantage à la déesse, se montrent-elles à l’occasion nues jusqu’à la taille ; car, s’il arrive que le corsage soit reconnaissable seulement à l’arrêt des manches sur les bras[5], d’autres fois on n’en voit pas trace[6].

Des jeunes filles, toutes petites, se montrent, mais rarement, dans les scènes religieuses. On en voit deux près de la déesse assise sous l’arbre de vie, l’une qui lui offre des fleurs, l’autre qui va lui cueillir des fruits. On en voit deux aussi qui dansent devant un enclos sacré[7].

L’intervention des hommes dans le culte fut tardive, comme l’adjonction d’un dieu à la déesse. Bien que le roi soit devenu le grand-prêtre du taureau, leur rôle dans les cérémonies religieuses resta toujours secondaire. Comme pour se faire pardonner une usurpation et dérouter les esprits malins à qui elle donnait prise, ils revêtaient dans le service divin le costume sacerdotal des femmes[8]. Sur le sarcophage de Haghia Triada, les trois hommes qui s’avancent avec des offrandes dans les bras sont en jupe-culotte mouchetée, le joueur de lyre et le joueur de flûte ont la robe longue[9]. Sur une fresque de Cnosse, des hommes portent une étole par-dessus la robe blanche ; sur une autre, des personnages à peau rouge sont en jupe à votants[10]. Ainsi, la fusion des cultes voués à la déesse et au dieu, fusion qui se manifeste sur un sceau par la double offrande de la bipenne et de la robe[11], met en effet la bipenne aux mains des prêtresses et fait revêtir la robe par leurs acolytes mâles. L’Apollon Citharède, avec son péplos, ne sera qu’une réplique du citharède crétois. Mais, en général, les orants, et même les officiants qui arrachent l’arbre sacré, portent le costume ordinaire, et le casaquin à imbrications est endossé, dans des cas exceptionnels[12]. Ni chez les hommes ni chez les femmes, rien ne donne l’impression d’une caste sacerdotale.

Le plus fréquent des actes rituels, c’est l’adoration. Malgré les progrès de leur art, les Crétois n’ont jamais représenté leurs divinités, comme les Égyptiens du temps et les Grecs de l’avenir, par de grandes statues. Ils n’avaient que de petites idoles, qui étaient presque immuablement d’un type grossier. La plupart ne mesurent que quelques centimètres. Aussi s’est-on demandé si les idoles étaient de véritables images de culte, et non pas de simples ex-voto, si la Crête n’en resta pas toujours au stade des cultes aniconiques[13]. Mais on peut tenir pour certain que les figurines de déesse trouvées en place dans les sanctuaires domestiques, avec des doubles haches et des cornes de consécration, étaient là pour recevoir les hommages, les offrandes et les libations. Dès lors, on est surprît de voir constamment représenter dans les scènes religieuses une déesse de taille humaine. Imagerie mythologique ? Non, il s’agît bien de fêtes célébrées en plein air et où les hommes s’approchent de la divinité. D’où vient cette contradiction ? Il n’y a qu’une explication possible. Si dans les cultes privés on faisait ses dévotions devant de petites idoles, dans le culte public le rôle de la déesse, était joué par une, femme. C’est la grande-prêtresse qui prend place sur le siège divin, qui s’assied au pied de l’arbre sacré, qui se dresse sur la cime de la montagne, pour recevoir les adorations et les Mandes de ses acolytes et des fidèles. Voilà bien pourquoi il est si souvent malaisé de distinguer la déesse et les prêtresses dans les cérémonies religieuses.

Le geste de bénédiction est celui qui convient aux êtres pleins de l’esprit divin et désireux de le faire passer en ces corps humains ; le geste d’adoration est celui des prêtresses qualifiées pour le faire descendre du ciel sous La forme de la déesse au du dieu, ou des simples fidèles qui s’apprêtent à le recevoir. Le premier de ces gestes est toujours le même : les deux bras sont levés, et la main droite, doigts écartés, étend la paume de toute sa largeur. Le second présente des variétés assez remarquables. En général, une des deux mains se porte à la hauteur du front, souvent sur les yeux, comme pour éviter l’éclat d’une lumière trop vive, d’une apparition éblouissante et capable d’aveugler. Souvent le bras resté libre est ramené sur la poitrine, pour imiter ou provoquer le geste divin de la fécondation[14]. Quelquefois les deux mains se lèvent, en un geste de prière et de supplication qui doit inciter la divinité au geste de bienfaisance et de salut[15] ou protéger les deux yeux contre la clarté qu’on appelle et qu’on redoute[16]. Quelquefois même elles se portent ensemble sur la poitrine, et la signification de ce geste est précisée par une statuette d’homme où la main droite touche la poitrine et la gauche descend plus bas par devant[17].

Les cérémonies religieuses commençaient probablement par des purifications. Aux jours ordinaires, on se contentait sans doute de simples aspersions, on se trempait les mains d’eau bénite : c’est à quoi devaient servir certains brocs à long bec, surtout ceux à double tubulure[18], et un bon nombre des vases marqués d’emblèmes sacrés ; c’est à quoi servaient, à Cnosse, les brocs placés à l’entrée de la petite chapelle. Aux jours de fête, on se rendait dans les salles de lustration : on descendait dans un petit bassin en pierre ; on en sortait digne de paraître devant la déesse. L’accomplissement du rite devait avoir une solennité particulière dans la Salle du trône, quand le maître venait y assister avec les prêtresses assises à ses côtés sur des banquettes basses. Dans certains cas, la purification semble avoir été faite par onction ; car on ne voit pas seulement de belles aiguières alentour des bassins, mais aussi des alabastres jadis remplis d’huile ou d’onguent.

Comme dans toutes les religions, le rite essentiel était le sacrifice sanglant. Un grand nombre de, sites ont conservé jusqu’à nos jours les restes des victimes immolées au IIIe et au IIe millénaire. Au sommet du Iouktas, sur la roche où le culte se célébrait en plein air comme autour du bâtiment qui fut plus tard le lieu sain4 dans la grotte de Psychro, sur la terrasse de Petsofa, dans une habitation de Palaicastro, partout on a trouvé dans d’épaisses couches de matières carbonisées, pêle-mêle avec des reliques votives et des boules à prières, des cornes ou des os de bœufs, dit chèvres, de brebis et de porcs[19]. Les artistes représentent l’immolation du verrat[20], mais plus volontiers celle du taureau. De même qu’en Égypte Hathor et Apis se révélaient par des marques infaillibles, des figures dessinées sur la tête ou sur le corps, en Crète on réservait spécialement aux honneurs de la double hache les bêtes qui portaient sur le 1’ront ou sur les joues le signe de la croix, du bouclier ou de l’étoile[21]. Une intaille montre l’animal étendu sur la table de sacrifice, la langue pendante, un poignard planté dans la nuque[22] : c’est la scène même qui est peinte sur le sarcophage de Haghia Triada. Le grand plateau à offrandes de Phaistos semble indiquer, par le nombre de bœufs qui figurent à trois des quatre angles et sur deux bords, que dans les grandes occasions out sacrifiait trois, six et jusqu’à neuf taureaux[23].

Par raison d’économie, mais aussi pour rappeler le souvenir et perpétuer l’effet du sacrifice, le taureau était fréquemment offert en effigie. On fabriquait à l’usage des fidèles des taureaux en argile peinte. Les potiers avaient même des moules pour les produire par quantités[24]. Substitut de la bête vivante, la figurine se bornait même souvent à une protome, à une tête[25]. C’était l’hécatombe au rabais. Mais la question de dépense n’entrait plus en jeu, quand on consacrait à la déesse ou aux morts des statuettes de taureaux en bronze[26]. La ferveur religieuse explique seule la présence dans les tombes de têtes en stéatite qui sont d’un art parfait. Une admirable tête martelée dans une lame d’argent, aux oreilles, aux cornes et au mufle dorés, au front constellé d’une rosace d’or, a été ensevelie dans une tombe à fosse de Mycènes, avec une cinquantaine de têtes plus petites découpées dans des plaquettes d’or[27] : holocauste offert pour l’éternité aux divinités protectrices des morts, à l’imitation des sacrifices qui accumulaient d’année en année, autour de l’autel bâti sur le sépulcre même, les os et les cornes des victimes[28].

Bien plus souvent que les sacrifices sanglants, avaient lieu les oblations non sanglantes. Le sarcophage de Haghia Triada représente en même temps que l’immolation du taureau, l’offrande des fruits. C’est à cet usage que servaient, dans les lieux saints ou au pied des piliers sacrés, les tables et les trépieds bas en argile grossière. Le broyeur à grains, qui accompagnait la grande table de Phaistos indique ce qu’on y mettait d’ordinaire. Comme les chapelles étaient petites et Petites les idoles, la vaisselle rituelle se composait souvent de tout petits godets ou de coquillages peints ; on en a trouvé des centaines dans maints sanctuaires et jusque dans la sacristie de Cnosse. Que fallait-il de plus pour offrir quelques grains de céréales ? Les prémices étant de plusieurs sortes, on imagina de fixer sur une base circulaire une série de récipients minuscules, un pour chaque sorte : ce type de vase multiple, qui était déjà en usage au M. A. et qui est resté chez les Grecs jusqu’à nos jours, s’appelle kernos[29]. On combina même le kernos avec la table à offrandes, en faisant adhérer les récipients à une base plate[30].

Les libations et les Lustrations étaient des pratiques constantes. Elles se faisaient de différentes manières et avec des liquides différents. L’arrosage des arbres et des plants sacrés est souvent exécuté, sur les sceaux et les gemmes, par des démons qui s’avancent en file, l’aiguière à la main[31]. On communiait avec la déesse sous Les espèces du vin, et on lui offrait peut-être une boisson faite avec de l’orge. Si, comme il est possible, les vases sacrés à triple récipient contenaient trois liquides, ce devaient être, de même qu’aux temps homériques, de l’eau, du vin et de l’hydromel. Quand la prêtresse avait préparé le breuvage sacré, elle en versait sans doute dans les calices des assistants à l’aide des cuillers rituelles[32] ; le reste était pour la divinité. Pour la servir, on avait des tables à libations qui se distinguent des tables à offrandes par la matière, de la pierre au lieu d’argile, et par des cuvettes assez larges, et profondes, au nombre d’une, deux ou trois[33].

Une catégorie extrêmement nombreuse de vases pouvait être employée soit à la distribution de la boisson bénite, soit à l’aspersion des lieux saints : ce sont les vases à fond percé ou rhytons[34]. La forme la plus simple est celle du cornet ou de l’entonnoir. Répandue dans l’Égée dès le M. M., elle était surtout en vogue au M. R., époque des beaux spécimens en terre cuite peinte et en pierre. Mais, pour que le rhyton eût un caractère encore plus sacré, on lui donna la forme Plastique d’un être divin, en le munissant toutefois d’une anse et en y perçant un trou assez grand pour l’emplissage et un moindre pour l’écoulement. Quelquefois, mais rarement, le rhyton figure la déesse même, la déesse féconde qui se presse les seins pour en faire jaillir la vie, la déesse sur le point d’être mère[35]. Le plus souvent il représente un animal sacré. Il prend surtout la forme du taureau. C’est d’abord le corps tout entier[36], avec un orifice sur la nuque ou sur le dos, orifice qui devait être généralement bouché par un manche de bipenne, et une petite perforation dans la bouche[37]. La tradition religieuse, perpétuée par la pratique du moulage, conserva toujours à ces figurines des formes raides, que le pinceau recouvrait parfois d’un filet symbolique[38] ; c’est par exception que le taureau en pied cesse d’être archaïque et emprunte un bel aspect à l’art naturaliste. Mais, à partir du M. M. II, on résume généralement le corps par la tête. Le rhyton de ce type avait un double avantage : il pouvait être posé à plat sur la partie postérieure, ou suspendu par l’anse, et il se prêtait admirablement à l’expression esthétique. Même en terre cuite, si le vieux modèle ne disparut pas[39], on en créa de nouveaux, d’une facture excellente, qui se répandirent en Crète, en Cypre et à Rhodes[40]. Mais on en voulut d’une matière plus solide et plus précieuse. De là ces superbes têtes en stéatite ou en argent avec placage d’or et incrustations de nacre et de cristal de roche, chefs-d’œuvre destinés aux palais et aux tombes princières et qui donnent une étonnante impression de vie[41]. Toutes ces pièces, les plus magnifiques et les plus communes, sont toujours perforées sur le crâne et aux naseaux ou aux lèvres.

Cette abondance des rhytons à forme de taureau donne à réfléchir. Sans doute le taureau n’est pas le seul animal figuré par les vases sacrés : il y en a aussi à forme de porc, de cheval, de chien, de colombe, de cerf, de triton[42] ; enfin les belles têtes de lionne en simili-marbre ou en or qu’on a trouvées dans les lieux saints de Cnosse et de Delphes et dans une tombe de Mycènes sont également évidées et ont une ouverture entre les yeux ou à la nuque et un trou à la lèvre inférieure[43]. Mais, puisque le taureau était pour les Crétois la victime de choix, le simulacre du taureau devait le représenter aussi complètement que possible : il était donc rempli de sang ou au moins de vin, substitut du sang. Le sarcophage de Haghia Triada nous montre, d’un côté, une prêtresse versant un liquide rouge, de l’autre, le sacrifice d’un taurillon : il est bien possible que le liquide provienne de l’animal immolé. En tout cas, le rhyton, contenu et contenant, est la figuration de l’être sacré qui se transfuse dans les adorateurs communiant avec lui.

Pour honorer la déesse ou pour écarter les démons on brûlait de l’encens[44]. La pompe des cérémonies religieuses comportait également de la musique sacrée. La prêtresse appelait ou annonçait la divinité au son de la conque[45] ; des joueurs de lyre et de double flûte exécutaient des hymnes, tandis que s’accomplissaient les rites du sacrifice et de la libation ; le sistre égyptien donnait la mesure à des chœurs d’hommes. Peut-être aussi certaines clochettes en terre cuite, dont l’emploi n’est pas déterminé[46], marquaient-elles les phases du service divin.

Aux sacrifices et aux libations accomplis en commun les particuliers joignaient des offrandes individuelles[47]. Ils y inscrivaient quelquefois des dédicaces[48]. Tous les lieux saints étaient remplis de ces ex-voto. Quand on ne pouvait plus les exposer, on les ensevelissait pieusement dans des caches souterraines. Ce sont ces trésors de sacristie qui, avec les dépôts funéraires, nous font le mieux connaître les idées religieuses des peuples égéens. On y plaçait tous les objets que nous avons déjà vus passer sous nos yeux : simulacres de chapelles, d’autels et de colonnes, cornes de consécration et bipennes, vases et figurines de toute espèce, images d’animaux, de fruits et de fleurs, panneaux de pierre ou de bronze où était peinte ou gravée une cérémonie du culte. Les hommes apportaient de préférence des armes ou des barques ; les femmes consacraient à la déesse, pour augmenter sa puissance fécondante et la leur, des vêtements réel ou imités en faïence ou en ivoire ; robes somptueuses, des ceintures d’un type traditionnel, et surtout des nœuds symboliques, qui prenaient la vertu magique du pilier, du taureau, de la double hache ou du bouclier, pour la communiquer à celles qui, l’ajoutaient à leur costume[49].

Outre les cérémonies quotidiennes, les Crétois en célébraient un grand nombre avec solennité. Leur calendrier liturgique était richement pourvu de fêtes spéciales. Nous assistons à l’épiphanie de la déesse, du dieu, même des fruits et de la bipenne[50]. On fêtait la floraison du printemps, la capture du taureau, la récolte des olives, le dépérissement des arbres en hiver. Quelques-unes de ces fêtes étaient accompagnées de jeux ; nous en parlerons plus loin. D’autres donnaient lieu à. des processions. Les femmes défilaient avec des coffrets, des vases des fleurs ; les, jeunes gens passaient devant l’édicule sacré tenant une coupe à bras tendu-, les hommes marchaient deux à deux, la fourche sur l’épaule, au son des hymnes lancés à plein gosier[51]. Certains jours, la déesse est portée dans un de ces palanquins dont les simulacres en, terre cuite se conservaient dans les sanctuaires[52], et, quand la sedia gestatoria était posée à terre, elle, toujours assise, regardait s’avancer La longue file des prêtres en robe blanche ou des servants déguisés en démons[53]. Pour provoquer l’extase religieuse et accroître, l’efficace des puissances divines, on recourait à des danses variées. Celles de Cnosse restèrent célèbres en Grèce. Les fresques, les reliefs, les intailles nous montrent quelle est leur importance dans le culte. On danse devant l’arbuste sacré, surtout au moment de l’arracher ; on danse devant la déesse assise ; on danse pour prendre sa vertu au bâton magique ; on danse pour évoquer la divinité, faire sortir de terre le serpent et pousser les fleurs[54]. Seul ou par groupes, hommes et femmes, on danse, tantôt avec noblesse, tantôt avec des mouvements vifs, orgiastiques, d’une frénésie qui dénote la possession, mais sans fureur sauvage et sans indécence.

Tout ce qu’on sait du culte crétois est résumé dans deux des tableaux tracés sur le monument que nous avons mentionné à maintes reprises, le sarcophage de Haghia Triada[55]. — Un des panneaux représente les deux sortes de sacrifice. Sur un fond bleu, le sacrifice sanglant. Le taureau est couché sur une table, les pattes attachées, le corps pris dans une corde rouge liée en croix, la gorge au-dessus d’un seau où coule son sang. Deux veaux accroupis sous la table a1tendent leur tour, cependant qu’un aulète en robe longue, cheveux et voiles flottants, rythme la marche des femmes qui, deux à deux, s’avancent en procession vers la victime, les bras étendus et les doigts allongés. Sur un fond blanc, le sacrifice non sanglant. La scène se passe devant un enclos d’arbres sacrés, que précèdent un édicule couvert de cornes, une longue hampe où s’emmanche une bipenne surmontée d’un oiseau, un autel sur lequel sont posés un plateau à offrandes et une aiguière, enfin une corbeille remplie de fruits et suspendue en l’air. La prêtresse en jupe mouchetée à queue et corsage décolleté, a les bras baissés et tendus vers l’autel. — L’autre panneau est également divisé en deux parties qui font pendant. A gauche, les préparatifs de la libation. Entre deux troncs barbelés que consacrent les bipennes et les oiseaux, sur les socles des poteaux, est posée une grande urne où la prêtresse vide un canthare ; une hiérodoule en robe longue et coiffée de fleurs ou de plumes lui en apporte deux autres aux bouts d’un joug ; par derrière, un joueur de cithare fait vibrer ses sept cordes. A droite, l’offrande aux trépassés. Debout entre un arbre et l’édicule placé sur sa tombe, le mort regarde les offrants qui, en jupe à queue, lui apportent une barque votive et deux veaux.

Suivons-les ; voyons, après le culte des divinités, le culte des morts.

 

 

 



[1] DIODORE, V, 79.

[2] ARW, 1904, 146, fig. 27-8.

[3] JHS, XXII, 78, fig. 5 ; MA, XIII, 39, fig. 33.

[4] MA, l. c., 40, fig. 34 ; ARW, l. c.

[5] XIII, fig. 53, 57-8.

[6] XIII, fig. 25, 59 ; MA, XIV, 40, fig. 34 ; LXVII, pl. XVI, 5.

[7] MA, XIII, 13, fig. 37.

[8] Cf. REICHEL, JŒI, 1908, 252 ss.

[9] Cf. MA, XIII, 41, fig. 35.

[10] BSA, VII, 20.

[11] Ibid., VIII, 102, fig. 59.

[12] Cf. MA, l. c.

[13] KARO, l. c., 139, 142, 155.

[14] JHS, XXII, 78, fig. 11 ; MA, XIV, 739, fig. 37 ; BSA, VI, pl. X, 10.

[15] LXVII, fig. 440 ; XIII, fig. 57, 6 ; MA, XIII, 42, fig. 36 ; XIV, 578, fig. 51.

[16] LX, I, pl. XXVI, 3.

[17] XXI, pl. XXXVII.

[18] Cf. XX, fig. 48, 50.

[19] Ibid., 157 ss., 627 ss. ; BSA, VI, 96-7 ; XI, 287.

[20] LXVII, fig. 428, 15.

[21] Cf. POTTIER, BCH, 1907, 241-2 ; EVANS, XX, 513 ss. Voir XVIII, fig. 70, 87 ; LXVII, fig. 398.

[22] XVII, fig. 99.

[23] MA, XIV, pl. XXXVI ; cf. LXVII, fig. 534-6.

[24] LXXXI, 24.

[25] XL, pl. XI, 19 ; cf. XXXIX, 153 ; LXVII, 820.

[26] LI, I, pl. XXXIX, 12-25 ; MA, XIII, 71 ; XIV, 748.

[27] LXVII, fig. 398-9.

[28] Ibid., 570-1, fig. 102-4.

[29] DAWKINS, BSA, X, 221 ss. ; XANTHOUDIDIS, ibid., XII, 9 ss. ; cf. XI, fig. 80 ; ΑΔ, IV, 76-7, fig. 21, 3.

[30] LI, pl. XI.

[31] Cf. XI, 346 ss.

[32] XX, 622 ss.

[33] BSA, VII, 114, fig. 50, pl. XI ; MA, XIV, 471-3, fig. 77-9.

[34] J. DE MOT, RA, 1904, II, 201 ss. ; KARO, JAI, 1911, 249-70 ; EVANS, XVIII, 79-94.

[35] LXXXII, fig. 34 ; XL, pl. X, 11 ; cf. BSA, IX, 369, fig. 1.

[36] DE MOT, l. c., 220 ; KARO, l. c., 262-3 ; EVANS, l. c., 89-1911 ; XX, fig. 13.

[37] Parmi les plus vieux spécimens de ce type se trouvent ceux qui présentent des acrobates accrochés aux cornes (XX, fig. 137 a-d).

[38] LXXXI, 23-4.

[39] REG, 1907, 260.

[40] KARO, l. c., 259-62 ; EVANS, XVIII, 88-9 ; voir XL, 60, pl. I, XI, 20.

[41] XVIII, fig. 70, 83, 87-90 ; KARO, l. c., 251-2.

[42] KARO, l. c., 262-5.

[43] Cf. id., ibid., 253-6 ; DE MOT, l. c., 214-6 ; EVANS, l. c., 85.

[44] XX, 568 ; cf. XVI, 13 ; ΑΔ, IV, 76-7, fig. 21, 3 ; XXXVIII, 35-8.

[45] XIII, fig. 25 ; cf. XX, 581.

[46] Cf. XX, 175.

[47] Cf. HOGARTH, ER, l. c., 146 ss. ; DUSSAUD, XI, 396-7.

[48] XX, fig. 461-72.

[49] Cf. XX, fig. 308-12.

[50] Cf. JHS, XXII, 78, fig. 5.

[51] Cf. BSA, IX, 129, fig. 85.

[52] XX, fig. 166.

[53] BSA, VII, 19-20 ; ΑΔ, II, 14-5, fig. 1.

[54] XX, fig. 470 ; MA, XIV, 577, fig. 50 ; JHS, XXII, 77, fig. 2 ; MA, XIII, 39, fig. 33 ; LXVII, fig. 431, 1.

[55] MA, XIX, pl. I, II.