LA CIVILISATION ÉGÉENNE

LIVRE I. — LA VIE MATÉRIELLE.

CHAPITRE III. — L’ARMEMENT.

 

 

I. — LES ARMES DÉFENSIVES.

Le bouclier. — Pour la chasse comme pour la guerre, le Crétois avait des armes défensives. La principale était un grand bouclier[1]. Nous n’en avons conservé aucun, pas même en partie. C’est que ce grand bouclier n’était pas en métal : il n’eût pas été transportable. Il était en peau et, sur un vase à reliefs, il se termine par un appendice, la queue de l’animal. Si l’on ne se contentait pas de façonner grossièrement une peau quelconque, on tendait une peau de bœuf sur une armature de bois en lui laissant sa forme naturelle. On obtenait ainsi une arme gigantesque, une muraille de peau, qui ne laissait passer que les pieds et la tête. Quand l’épopée grecque célébrait les paladins du vieux temps, elle les montrait, comme le vase crétois, cachés par le bouclier jusqu’au col ; mais on comprend que nul autre qu’Ajax n’ait été de force à manier un panneau à sept peaux de bœuf, plus de 120 kilos.

Les Crétois surent de bonne heure modifier, alléger, embellir la forme rudimentaire du bouclier primitif. Le type le plus en vogue fût le type orbiculaire. En général, il est fortement échancré des deux côtés au milieu : c’est le bouclier bilobé ou bouclier en 8[2]. L’avantage d’une plus grande légèreté entraînait un inconvénient assez grave : la partie étroite du bouclier protégeait moins bien le corps, et c’est pourquoi on voit si souvent les héros de l’Iliade blessés au flanc ou à la cuisse. Un autre type, assez commun, c’est la targe oblongue en demi-cylindre aminci et arqué dans le haut. De longueur variable, elle couvrait le corps jusqu’aux chevilles ou protégeait seulement le torse.

Sauf la targe de petite taille, toutes ces armes étaient trop pesantes pour être portées longtemps du bras gauche. Aux heures de marche, le bouclier était suspendu à un baudrier passé en bandoulière ; il pouvait toujours être saisi à temps par la poignée fixée au centre. Pour faciliter ce mouvement, le guerrier armé de la lance portait le bouclier à droite. Comme l’épée devait être tirée du fourreau par la dextre, elle interdisait l’emploi du bouclier ; à plus forte raison, l’arc. Le bouclier est exclusivement la défense du lancier.

Vers la fin de la période mycénienne, les formes anciennes se réduisent. En même temps, apparaît un type nouveau, beaucoup plus petit et plus léger. Il a la forme d’un cercle légèrement échancré. Sur le vase des guerriers, il est peint alternativement en jaune et en gris bleu, par imitation du cuir et du métal. Même en marche, cet écu rond et bombé reste fixé à l’avant-bras gauche. Dans l’action, l’échancrure est relevée jusqu’au menton, et le bouclier couvre alors le corps du col aux genoux.

Enfin, l’Égéide connaîtra sur le tard un écu entièrement rond et si petit que, malgré un revêtement métallique, il est facile à manier. D’Assyrie, il arrive à Cypre avec la cuirasse, au XIVe siècle, à temps pour faire partie de la panoplie grecque à l’époque homérique.

Il apparaît ainsi glue les héros de l’Iliade portent deux sortes de boucliers : tantôt le grand bouclier de peau pareil à une tour (ήΰτε πύργος), qui enveloppe l’homme (άμφιβρότη) et le couvre jusqu’aux pieds (ποδηνέκης), tantôt un bouclier de métal (χάλκεον), petit et rond. Peu à peu, par une évolution qui s’étend sur toute la période homérique, le premier de ces types disparaît devant l’autre. Sans doute, le bouclier d’Achille est immense, quoique tout entier en métal ; mais l’œuvre du forgeron divin est une création poétique, où des souvenirs confus semblent résumer l’histoire même du bouclier.

Le casque. — Le casque n’était pas d’un usage fréquent en Crète : les athlètes le portaient assez souvent, rarement les chasseurs et les guerriers. Sur le continent, au contraire, le port du casque était usuel, du moins à la guerre. Il était sans doute intolérable dans l’île pour la marche, à cause de la chaleur ; on n’en voyait que les avantages dans les pays plus froids.

D’après certains érudits, le casque mycénien serait toujours en cuir recouvert de plaques métalliques et aurait la forme d’un bonnet ne protégeant pas la face. En réalité, on avait dans l’Égéide des casques de types assez variés.

Le casque du premier type est fait de lanières tressées ; la forme conique qu’il a d’ordinaire est obtenue par une série de cercles disposés horizontalement et reliés par un treillis. Les guerriers fixent volontiers à la pointe une longue houppe. A ce type se ramène un casque assez différent au premier abord et dont on ne connaît pas bien l’origine. Il figure le plus souvent sur des têtes d’ivoire provenant de Mycènes, de Spata, d’Enkomi, et sur des bronzes répandus de la Phénicie à la Crète, de l’Argolide à la Thessalie. Également conique, il est moins haut, surmonté d’un gros bouton recouvert d’une carapace en métal que des cercles divisent en zones, enfin attaché par une large mentonnière faisant office de couvre joues. Les zones de la calotte portaient souvent une garniture en défenses de sanglier. Dans des tombes de guerriers, depuis la Crète jusqu’à la Thessalie, on a trouvé de ces dents taillées et perforées, restes de casques en cuir. Cette espèce de tiare était une pièce d’armure assez efficace.

Mais on fit mieux, le casque à timbre entièrement en métal. Il apparaît à la fin du M. M. II, avec un cimier à longue crinière et des garde-joues[3]. Sur un gobelet du M. R. I[4], il se présente comme un beau spécimen de l’armurerie crétoise : le timbre est composé de lames rivetées ; la lame inférieure, en saillie, forme visière ; le couvre-nuque et le garde-joues donnent à cette pièce une élégance rare et une efficacité parfaite. Avec ou sans couvre joues, le casque protégeait les athlètes. Les guerriers armés de l’arc ou de l’épée ont rarement la tête couverte ; mais les lanciers, munis du bouclier, arborent aussi le heaume à panache flottant. Même quand les soldats ne le portent pas, il étincelle sur la tête de l’officier.

A la fin de la période mycénienne, le casque change, comme le bouclier. Sur le vase des guerriers, il y en a de deux sortes : 1° une calotte basse, collant au crâne, hérissée de pointes qui sont peut-être des poils de bête ; 2° un armet pointu aux deux bords, aplati au milieu, avec un long panache pendant par derrière.

La cuirasse. — Le grand bouclier suffisant à protéger le tronc, la cuirasse fut longtemps inconnue dans la panoplie égéenne. Le casaquin à écailles ou à imbrications qu’on voit sur les monuments crétois est trop large pour servir de cuirasse et n’est, d’ailleurs, porté que par des prêtres ou des fidèles accomplissant un rite. Quant aux lambeaux de grosse toile qu’on a trouvés dans les tombes avec des armes, ils adhéraient à des lames d’épées : ce sont des débris de fourreaux. Une seule fois dans la Crète minoenne apparaît l’image d’une cuirasse : elle est dessinée sur une tablette de Cnosse. Mais il s’agit probablement d’un tribut apporté du dehors[5]. Ce n’est pas la Crète, en effet, c’est Cypre qui la première eut la cuirasse, en même temps que le petit bouclier rond[6], et qui l’introduisit en Égéide. Cypre, qui fit connaître ses cuirasses aux Achéens, en envoyait encore de très belles aux rois du Péloponnèse dans les temps homériques.

Les jambières. — Tant qu’on porta le grand bouclier et les hauts brodequins, on n’eut pas non plus à protéger autrement les jambes. Les jambières ou cnémides semblent inconnues des Crétois. Elles font leur apparition sur le continent. Elles consistent en bandes d’étoffe ou de cuir. Les grands seigneurs les assujettissaient avec des jarretières en métal précieux. Les tombes à fosse renfermaient plusieurs de ces objets en or, et l’un entourait encore les os d’une jambe. Les bandes molletières et les leggings sont ainsi le prototype des jambières métalliques qu’on fabriquait à Cypre à la fin de l’âge du bronze.

II. — LES ARMES OFFENSIVES.

A l’âge de la pierre, les hommes ont partout la fronde et l’arc pour combattre de loin, la hache et le poignard pour combattre de près. Mais, à l’âge du bronze, les Égéens réalisèrent dans l’armement offensif de grands progrès. Tandis que les Égyptiens, peuple pacifique et conservateur, restaient attachés aux plus vieilles traditions de guerre, les Crétois perfectionnèrent la flèche, transformèrent l’épieu à pointe de pierre en de redoutables armes d’escrime et de jet, fabriquèrent les poignards les plus solides du temps et les plus belles épées.

La fronde. — La fronde semble avoir totalement disparu de Crète. Mais les Crétois, aussi bien que les Mycéniens, étaient en relation avec des peuples qui s’en servaient. On a trouvé des balles en pierre et en terre cuite dans presque tous les sites de Macédoine, de Thessalie et de Phocide ; on en a trouvé aussi à Troie, dont deux en bronze, les autres en pierre.

Les flèches. — Les Égéens de l’âge néolithique taillaient des pointes de flèches en silex et en obsidienne, la Crète renonça de bonne heure à la pierre pour cette fabrication ; mais elle y employait depuis longtemps le brome, que la Grèce continentale ignorait encore le métal ou le trouvait trop cher pour y façonner volontiers des armes méprisées.

Les peuples qui employaient l’obsidienne pour leurs flèches faisaient venir du dehors la mature nécessaire, trais la façonnaient eux-mêmes. C’est de Mélos qu’étaient expédiées les précieuses lamelles ; pourtant, dans la masse de débris qui encombre les carrières et les ateliers de Phylacopi, on n’a découvert aucun morceau qui ressemble à une pointe de flèche finie ou ébauchée, preuve que l’île n’exportait point d’armes toutes faites. Il y eut donc à peu près partout de multiples tâtonnements ; mais partout on adopta plus ou moins vite un petit nombre de types reconnus.

En Crète, les pointes sont d’abord, en obsidienne ou en silex, d’un type lourd et grossier. Puis vient le type à crocs ou à barbillons, imaginé pour maintenir la flèche dans la blessure. Sur le continent, ce type succède à un autre, qu’il ne fait pas disparaître, le type triangulaire à tige. Dans tout le Péloponnèse, des exemplaires d’un très beau travail montrent la prédominance du type à crocs, en silex et en obsidienne. En Attique, les deux types se balancent, comme les deux matières. Plus au fiord, ils se retrouvent, mais seulement en silex. En Thessalie, le type à tige se maintient pendant tout l’âge néolithique, et le type à crocs n’apparaît pas avant l’âge du bronze, qui correspond au M. R. Ainsi, l’usage du bronze n’a pas fait disparaître les pointes de flèche en pierre, et, plus on s’éloigne de la Crète, plus persiste cette fabrication primitive. Mais, par la durée même de la tradition, les tailleurs d’obsidienne et de silex ont établi un type à crocs aussi remarquable par l’élégance et la finesse que par la puissance de pénétration.

Quand les fondeurs de Crète firent à leur tour des pointes de flèche, ils se bornèrent d’abord à recopier les modèles fournis par les tailleurs de pierre. Cependant, avec les facilité qu’offrait la fonte, ils imaginèrent un type mixte, réunissant les avantages des barbillons, que le métal permettait de faire encore plus acérés, et d’un solide pédoncule qui pouvait se terminer lui-même par deux petits ailerons. Ce type remplaça le type simple à tige et se répandit concurremment avec le type simple à crocs. La sûreté des métallurgistes crétois contraste avec les hésitations dont témoignent les pointes de Phylacopi II et celles de Thèbes. D’ailleurs, sur le continent, la pointe en bronze apparaît tard et ne se répand guère. A Kakovatos, on ne voit qu’une pointe en bronze, pour plus de quarante en silex ; la Thessalie entière ne présente que quelques spécimens en métal.

En imitant leurs modèles en pierre, les bronziers ne donnèrent pas à leurs produits plus de longueur, au contraire. Les pointes en pierre atteignent 55 millimètres de long à Kakovatos, 66 à Dimini. Les pointes en bronze ont une longueur maxima de 4,2 millimètres à Phylacopi, de 56 en Crète et à Thèbes. A cause de leur exiguïté ordinaire, on a quelquefois nié que de pareilles pointes pussent servir à des armes de guerre. Mais, si petite qu’en soit la pointe, la flèche est une arme terrible R !lx mains d’un archer vigoureux. Il n’est pas rare de trouver des os d’homme ou d’animal transperces par des pointes en silex. Les Assyriens, les Parthes et les Scythes faisaient la grande chasse sans autre arme que l’arc. Avec leur pointe aigué, leurs arêtes effilées, les flèches égéennes faisaient des blessures profondes, et, quand on essayait de retirer l’arme de la plaie, les barbillons déchiraient affreusement les chairs. Pour les Crétois comme pour les Mycéniens, l’arc est une arme de chasse et une arme de guerre.

Le dépôt de flèches qu’on a trouvé à Cnosse faisait bien partie d’un magasin militaire. Aux centaines de pointes et aux débris de coures qui en jonchaient le sol se trouvaient mêlées les empreintes de sceaux jadis fixées sur les coffres. Nous sommes là dans la manutention d’un arsenal. Des tablettes nous en font connaître les inventaires. Les unes mentionnent des lots de flèches ; d’autres dénombrent des cornes de bouquetin. L’Iliade nous dit à quoi servaient ces cornes, en racontant comment Pandaros le Lycien se fit faire un arc avec des cornes de chèvre sauvage ; l’Odyssée nous apprend, par l’exemple d’Ulysse tuant les prétendants, ce qu’on pouvait faire d’une pareille arme. Les flèches conservées dans l’arsenal de Cnosse n’étaient donc pas destinées seulement à des chasseurs. Les archers crétois de l’antiquité classique avaient pour ancêtres les Kherétim qui formaient la garde des rois juifs et, bien avant, les soldats de Minos.

La lance et le javelot. — Partout, les hommes ont eu l’idée de fixer une pointe en pierre au bout d’un épieu : ils obtenaient ainsi une arme qu’ils pouvaient lancer à distance ou tenir en main pour combattre de prés.

Quand les fondeurs de l’Égée produisirent la tête de lance en bronze, ils lui donnèrent la forme d’une lame à nervure médiane terminée par une languette ou percée d’un trou de chaque côté de la nervure. Cette lame était insérée dans une fente de la hampe, soit par la languette que maintenaient des rivets, soit à l’aide de ligatures qui entraient dans les deux trous. Ces deux types nous sont bien connus par des exemplaires d’Amorgos, de Cypre et de la Crète orientale ; au reste, quand on se trouve devant des lames triangulaires à trous de rivetage, on peut souvent se demander si c’étaient des têtes de lance ou des poignards. Il est à croire que le type à rivets était plus ancien que le type à deux trous, d’abord parce que le mode de fixation était plus grossier, ensuite parce qu’il fournit des exemplaires moins longs et plus épais. A Amorgos, en effet, une tête de lance à trois rivets n’a que 45 millimètres de long, rappelant ainsi les prototypes en pierre, et, si une autre du même type atteint une longueur de 25 centimètres avec 8 millimètres d’épaisseur, celles du type à trous n’ont jamais moins de 17cm,4 et arrivent à 31 centimètres de longueur, sans que leur épaisseur dépasse 2 millimètres[7]. Ainsi, la métallurgie substituait ses moyens propres à l’imitation du travail ‘de la pierre.

Mais, plus ou moins tôt, on voulut protéger les extrémités de la hampe bifide et renforcer l’emmanchement de la soie. Sur le continent, on eut l’idée de munir la moitié supérieure de la lame, sur chaque face, jusqu’à la pointe, d’une nervure creuse et de percer la moitié inférieure de deux trous ; on encastrait les segments de la hampe bifide dans les creux des nervures et on fixait la partie plate par des clous. Mais c’est par une autre voie que les Égéens parvinrent au type de la tête de lance à douille. D’abord on martela en rond une large languette sur la hampe[8]. Le progrès consista à fondre d’un jet la lame et une douille fermée de forme conique.

Au ces têtes de lance à douille les armuriers donnaient nue belle taille. Avant la fin du M. M., on avait des types qui mesuraient 28 et même 33 centimètres de long, dont 15 ou 13 pour la lame. On n’allongea guère la lame par la suite : on ne dépassa pas 13 centimètres ½ pour la petite taille et 17 pour la grande ; mais on allongea quelquefois la douille, de façon à obtenir jusqu’à 34 centimètres de longueur totale[9].

Quant aux formes, elles sont très diverses. On peut reconnaître une haute antiquité au type triangulaire : il fait ressembler les têtes de lance aux poignards les plus anciens. On peut également considérer comme très vieux le type à crochets ou à ailerons : il reproduit la forme donnée si souvent aux têtes de flèche. Les beaux spécimens trouvés à Zafer-Papoura[10] se ramènent à trois types : 1° le type long et étroit, très effilé, ou la douille et la larve ont la même largeur, et où la nervure médiane, dans le prolongement de la douille, va jusque vers la pointe ; 2° le type à lame ovale fixée sur une douille un peu plus étroite ; 3° le type à lame foliiforme beaucoup plus large que la douille. C’est sur ce dernier modèle, très répandu à la fin de la période mycénienne, qu’il faut se figurer la lance que portent les héros de l’Iliade, avec sa pointe (αίχμή) fixée sur la hampe en bois de frêne (δόρυ, μελίη) au moyen d’une douille (αύλός) dont le rebord est quelquefois serré par une virole (πόρκης)[11].

Nous n’avons parlé jusqu’ici que de têtes de lance pour la commodité du langage. En réalité, la même pointe pouvait fournir, une arme de main ou une arme de jet, une lance on un javelot. Devant un exemplaire réel, il est généralement impossible de discerner s’il était jeté de loin ou manié de près. Il n’est pas jusqu’aux représentations figurées qui ne laissent pour la plupart cette question indécise ; car le javelot pouvait être très long et servir aux deux usages. Il existe cependant des pointes mesurant de 60 à 85 millimètres, trop grandes pour des flèches et trop petites pour des lances[12] : c’étaient spécialement des pointes de javeline. D’autre part, sur le vase des guerriers, les uns tiennent des piques longues et armées aux deux bouts, qui doivent être des armes d’hast ; les autres brandissent des piques très courtes, comme on brandit les armes de jet. Enfin, détail caractéristique, les fresques de Tirynthe représentent constamment des personnages portant deux piques. C’est ainsi qu’Ulysse et ses partisans, sur le point d’engager la lutte contre les prétendants, ont soin de se pourvoir chacun de deux javelines[13], et que les guerriers ensevelis dans les vieilles tombes d’Athènes ont toujours avec eux des têtes de lance par paires. Pour combattre de près, il n’en aurait pas fallu deux ; mais on ne voulait pas rester désarmé après en avoir fait voler une.

Lance ou javelot, l’arme des Égéens n’a jamais les dimensions qu’on mentionne plus tard. Quand les poèmes homériques qualifient une lance de longue, de gigantesque, nous savons ce qu’il en est par les armes d’Hector et d’Ajax : l’une mesure onze coudées (5 mètres) ; l’autre, le double. On croirait à une exagération poétique, si les Chalybes, d’après Xénophon, n’avaient pas manié des lances de 15 coudées ou 6m,00, et si la sarisse des Macédoniens n’avait pas mesuré au moins 4m,30 et peut-être 6m,50. Rien de comparable chez les Crétois et les Mycéniens. Sur les monuments figurés, ici hampe des guerriers est, en général, un peu plus petite ou un peu plus grande que l’homme qui la porte : elle a donc de 1m,55 à 1m,80. Toutefois, pour la chasse au lion ou au sanglier, on se sert de hampes qui sont bien plus longues que la taille humaine et doivent dépasser 2 mètres[14].

Qu’ils aient la pique longue ou se contentent de la courte, guerriers et chasseurs portent le bouclier ou en sont dépourvus, sans qu’on voie la raison de cette différence. Même variété dans la façon dont les hommes en marche portent leurs armes.

Le poignard. — Encore qu’il soit souvent difficile de distinguer les pointes de lance et les poignards, il est certain que la civilisation néolithique avait atteint la perfection dans l’art de tailler une arme d’estoc à double tranchant. La métallurgie mérita de beaux modèles qu’elle n’eut qu’à recopier. Les premiers poignards en métal furent fondus en cuivre. En Crète, ils proviennent du M. A. II, mais sont déjà d’un type perfectionné qui remonte plus haut[15]. La lame de ce temps est courte et plate ; une base large et sans soie, percée de trous de rivets, lui donne la forme isocèle. Pour les exemplaires les plus anciens, la longueur varie entre 6 centimètres et 12cm,4 ; la largeur maxima entre 2cm,8 et 5cm,3[16]. A la fin du M. M, les métallurgistes crétois obtiennent déjà une taille plus redoutable : 15cm,4 à Mochlos, 18 centimètres à Vasiliki, 20 centimètres dans la grotte d’Arkalokhori. De cette grotte proviennent même des lames bien plus longues, mais tellement étroites et minces qu’on n’y peut voir que des simulacres votifs, modèles pour les armuriers de l’avenir[17]. Sans quitter la Crète orientale, nous retrouvons le poignard triangulaire au M. M. I sur les figurines de Petsofa. Attaché par devant à la ceinture presque horizontalement, il a la longueur de l’avant-bras main fermée, dont presque la moitié pour le manche. La lame, à nervure médiane, est très large à la base. La poignée, maintenue par deux gros rivets, quelquefois enjolivée de dessins figurant un décor ciselé ou incrusté, se termine par un pommeau à forme de bouton. Voilà la perfection du type que l’âge du cuivre transmit à l’âge du bronze.

Malgré les progrès accomplis, les métallurgistes de Crète n’avaient alors aucune supériorité. Le poignard triangulaire en cuivre existe dans les Cyclades. Amorgos avait même des lames de 24 centimètres[18]. A Cypre[19], l’évolution avait été si rapide, que le type primitif n’y apparaît déjà plus dans !es couches les plus anciennes. Il est remplacé par des types nouveaux : d’abord, la lame progressivement allongée s’inséra dans le manche par une soie ; puis, une forte hampe se rabattit sur l’extrémité du manche par un crochet, les épaules de la lame s’arrondirent, et l’on eut le poignard en feuille de saule, le poignard cypriote par excellence. A Troie II, on arrive à fondre assez tôt des poignards très divers[20]. Bref, les armuriers de Crète ne surpassaient pas ceux des Cyclades vers la fin du M. A., et, lorsqu’ils disposent du bronze, ils restèrent de longs siècles encore sans l’emporter sur ceux de Cypre et de Troie. Mais, tandis que les autres Égéens laisseront tomber leur armurerie dans le marasme, que la Troade ne produira jamais rien qui ressemble à une épée et que le chef-d’œuvre des Cypriotes, une arme de 47 centimètres, mérite à peine ce nom, on va voir à quelle perfection atteindront les Crétois.

Ce ne fut pas sans d’interminables tâtonnements. Les progrès sont lents, mais continue. On s’en aperçoit dès le M. M. I. Il suffit de comparer au poignard des figurines de Petsofa celui que porte un personnage gravé sur un ivoire contemporain : l’arme est plus longue, avec une poignée réduite au minimum ; elle est mince d’un bout à l’autre ; à cause de sa longueur, elle est portée au côté. Effectivement d’après les exemplaires conservé, la lame s’allonge et s’amincît pour se terminer par une pointe très effilée, sans s’élargir ou même en se rétrécissant à la base : elle prend ainsi un aspect plus élégant et perd le contour triangulaire. A Mochlos, le type nouveau présente aussitôt, sur une largeur maxima de 5 centimètres, une longueur de 22 cm,5. A Haghia Triada, il est représenté par des exemplaires avec ou sans soie : l’un d’eux a une longueur tantale de 25cm,5, dont 22 pour la lame[21]. A ce moment un poignard effilé d’Amorgos a exactement la même longueur que les exemplaires de Mochlos et de Haghia Triada et la même largeur à la base que le dernier, 3cm,5[22]. Mais déjà le palais de Phaistos renfermait une matrice de fondeur d’où sortaient des lames, larges de 4 centimètres à la base et longues de 31cm,5[23]. Au M. M. I, on avait donc fortement allongé le poignard triangulaire en l’amincissant ; aux M.M. II et III[24], on multiplia, on diversifia les formes, on imagina même des rudiments d’ailettes légèrement frettées, mais sans dépasser la longueur révélée par le moule de Phaistos.

A partir du M. R., les armuriers de Crète vont donner à leurs types une variété toujours nouvelle et, tout en continuant à fournir des stylets de taille ordinaire, produire des dagues de plus en plus longues. — A Gournia[25], les laines à forme effilée, à forme de feuille ovale ou à forme de langue n’ont pas plus de 17cm,8, 20cm,6 ou 22 centimètres de long ; mais un type triangulaire à nervure large et plate, avec trois gros rivets à l’ancienne mode, montre des résultats remarquables — un exemplaire à soie courte, large de 6 centimètres à la base, est long de 35cm,3 ; un autre, large de 6cm,5, atteint une longueur de 36cm,7, que la soie détruite porterait bien à 42 centimètres. — Avec la même diversité de formes, les armes trouvées dans le cimetière de Zafer-Papoura arrivent à dépasser les dimensions assignables à une simple dague. Sans elles, les résultats obtenus à Cnosse par l’armurerie ne seraient connus que par les poignards figurés sur une tablette, poignards qui passent du type triangulaire à la forme en feuille losangée par la forme intermédiaire en « fer de lance[26]. Mais les quatre exemplaires de Zafer-Papoura[27], par leur forme et par leur taille, résument toute l’histoire du poignard en Crête. Le premier, qui rappelle la vieille forme du M. A., n’a que 19cm,2 sur une base de 5 centimètres. Le deuxième, dont la lame, concave au milieu et convexe aux extrémités, est ornée sur chaque bord d’un triple filet en creux, a 23 centimètres de long, dont 6cm,5, pour la poignée. Le troisième, du type subtriangulaire, est pourvu d’une poignée longue de 8cm,8, bordée d’un frettement métallique et terminée par un gros bouton ; il a une longueur totale de 37 centimètres. Le quatrième, enfin, est quelque chose de tout à fait nouveau : des ailerons rabattus sur la lame forment la garde d’une poignée longue de 8 centimètres, plaquée d’ivoire, solidement rivetée et terminée par un large pommeau conique ; la longueur totale, cette fois, est de 42 centimètres.

L’épée. — Cependant, pour percer un adversaire couvert par un énorme bouclier, une dague, même une dague pareille, ne suffisait pas. Il fallait, pour pointer par-dessus la targe, une arme d’estoc, longue, à la lame renforcée par le renflement de la nervure, aux tranchants affilés, à la pointe aiguë, à la poignée juste assez longue pour être bien en main et assez solide pour résister à l’ébranlement des coups assénés : il fallait l’épée. Cypre, on l’a vu, donnait à ses dagues une belle longueur de 47 centimètres. C’est peu, on va le voir, en comparaison de ce que présentent depuis la fin du M. M. III Mycènes et la Crète. Nous allons utiliser ici, en la modifiant sur certains points, la chronologie des glaives créto-mycéniens, telle que l’ont établie Evans et Déchelette[28]. Nous distinguerons sept types. Les deux premiers sont ceux ou l’épée n’apparaît encore que comme une dague très évoluée :

1° Le type à lame très effilée, à épaules arrondies, à soie mince et courte avec petits rivets, à poignée séparée de solidité douteuse ;

2° Le type similaire, mais à lame moins effilée, à base plus large, à épaules largement renflées, à hampe longue, large et plate avec gros rivet,

fin combina ces deux types en rendant à la lame toute sa minceur, mais en accentuant les protubérances des épaules de façon à en faire une sorte de garde ; par là on obtînt :

3° Le type à saillies arrondies et perpendiculaires, en forme de croix.

Au lieu de se détacher perpendiculairement, ces saillies pouvaient être étirées obliquement ; on eut ainsi :

4° Le type à ailettes relevées en forme de cornes ;

5° Le même type plus développé, sous forme de crocs rabattus vers la lame.

Enfin deux types sont sans rapport étroit avec les précédents et se retrouvent fréquemment dans une bonne partie de l’Europe :

6° Le type à soie plate, avec rebords frettés pour maintenir les plaques de la poignée et les épaules arrondies ;

7° Le type court à soie plate, avec frettement sur les bords de la poignée, le pommeau plat triangulaire et la base de la lame triangulaire.

Tous ces types se trouvent à Mycènes. Les deux premiers sont fréquents dans les plus vieilles tombes de l’Acropole. Le type cruciforme se rencontre avec le type à soie courte, avant de se mêler au type cornu. Du type cornu, qui l’emporte, dérive tardivement le type à crocs. Enfin les deux types à frette métallique apparaissent quand va finir la civilisation mycénienne. — Tandis que le type 1 n’est encore représenté que par une dague de 37cm,5, le type 2 atteint déjà la longueur de 77cm,5 et même de 85 centimètres[29]. Les trois types de la belle époque conservent de grandes dimensions, de 50 à 66 centimètres[30]. La décadence ne se laisse pas encore voir dans l’épée longue du type 6[31]. Mais le type triangulaire de la dernière période ne marque pas seulement une régression vers la forme primitive du poignard, il revient à la longueur de 37cm,5[32].

En Crête, on voit la fabrication de l’épée passer par les mêmes phases et produire des résultats encore plus remarquables. Au M. R. I, les Crétois connaissaient les deux types sans garde. Ils restèrent fidèles au plus ancien longtemps après l’avoir perfectionné, puisqu’une épée de ce type, longue de 53 centimètres, a été enfermée dans la même tombe qu’une épée du type cornu. Quant au deuxième type, il est représenté par des exemplaires dont l’un devait bien avoir 70 centimètres[33]. On le reconnaît aussi sur un vase à reliefs, d’une longueur qui dépasse nettement la moitié de la taille humaine. Mais les Crétois ne s’attardèrent pas à fabriquer une arme dont la garde était insuffisante. Aux M. R. Il et III, la vogue fut au type cruciforme. Il servait à exécuter les épées courtes : les exemplaires de Zafer-Papoura ont de 59 à 63 centimètres. En même temps, l’armurerie crétoise se montrait incomparable par le parti qu’elle sut tirer du type cornu. Avec ses ailettes relevées, cette forme convenait mieux que toute autre à couvrir et à emboîter la main qui avait à s’escrimer avec une lourde rapière[34]. Les deux épées du type cornu qu’on a trouvées à Zafer-Papoura en compagnie d’épées courtes mesurent, l’une 91cm,3, l’autre 95cm,5. Voilà des chefs-d’œuvre où apparaît magnifiquement. la supériorité des métallurgistes qui travaillaient pour le maître de Cnosse. Leur art ne pourra plus que déchoir.

Entre les glaives de Mycènes et ceux de Crète, qu’ils soient longs ou courts le rapport est certain, évident. Comment l’expliquer ? Tant que les Crétois n’eurent besoin de s’armer que pour naviguer en toute sécurité, ils ne se soucièrent point d’avoir des rapières qui les auraient plutôt embarrassés ; de bons poignards, de fortes dagues, des épées courtes suffisaient et valaient mieux. Mais, à partir du moment où les Minoens eurent des vassaux et des clients sur le confinent septentrional, il fallut lez munir d’un glaive qui leur assurât la supériorité dans tes combats sur terre et leur permit de tenir en respect les peuplades du Nord. Si la rapière parait à Mycènes plusieurs siècles avant qu’on la retrouve à Gnose, rien ne dit pourtant qu’elle fat fabriquée en Argolide avant de l’être en Crète. La continuité même des améliorations apportées aux plus anciens types témoigne d’une évolution régulière, rectiligne ; d’autre part, le synchronisme de cette évolution à Mycènes et en Crète depuis le M. M. III est si frappant, si complet, qu’il faut admettre une fabrication unique, au moins à l’origine. Que Mycènes ait pu louer un râle pareil, c’est invraisemblable. Aucun indice ne permet de voir en Argolide un centre métallurgique de premier ordre, et les armes dont s’enorgueillissaient ses chefs sont enrichies d’ornements qui ne sont point du pays. Au contraire, toute la décoration des dagues et des épées, qu’elles aient été découvertes sur le continent ou dans l’île, est empruntée aux procédés les plus authentiques et aux plus purs motifs de l’art minoen. On ne peut même pas trouver étrange qu’aucune rapière n’ait été mise au jour en Crète qui soit antérieure au M. R. III, puisqu’à défaut d’un spécimen réel, l’image au moins apparaît dès le M. R. I. Il est très significatif, par contre, que les tombes de Zafer-Papoura aient reçu des rapières, et les plus belles de toutes, aussitôt après la conquête de l’île par les. Achéens : c’était encore Cnosse qui travaillait pour les gens de Mycènes.

Le succès des épées de bronze crétoises est attesté dans tous les pays du monde préhistorique. On les importa et bientôt on les imita partout. En Palestine, à Gézer, on a trouvé avec des poteries égéennes une épée du type cornu. A Rhodes, ce sont des épées du type cruciforme[35]. En Occident, le glaive égéen du type le plus ancien se maintint assez longtemps pour servir à la fabrication des rapières, témoin le beau spécimen découvert à Massolivieri[36]. Les modèles égéens parvinrent même au fond du continent. Mais, aux temps de la décadence crétoise, tous les peuples fabriquèrent des épées à frettement métallique. Le type à épaules arrondies, n’a pas seulement servi de modèle aux premières épées en fer qu’aient forgées les Grecs ; il est encore très répandu en Égypte, dans toute la péninsule des Balkans, en Hongrie, dans toute l’Italie[37]. Le type à lance triangulaire, le dernier qu’ait connu l’âge du bronze en Crète et à Mycènes, apparaît à Carpathos, à Corinthe, à Athènes, à Thèbes, à Dodone, et il est signalé lui aussi de l’Égypte à l’Italie, où il se transmit à la métallurgie du fer[38]. Il est donc difficile de rien affirmer sur l’origine des types imaginés vers la fin de l’âge mycénien ; ils certifient, en tout cas, que la supériorité jadis incontestée de la Crète était périmée.

 

 

 



[1] Voir REICHEL, LXVIII ; HELBIG, JŒI, 9, 1-70, fig. 14 ; Von LICHTENBERG, XLIX, 74-7 ; AD. REINACH, RHR, 1909, II, 161 ss., 309 ss. ; 1910, I, 97 ss.

[2] BSA, III, 77, fig. 41.

[3] XX, fig. 227 b, 228 m, 229 c ; cf. fig. 228 l, 229 b ; LXXXI, pl. I, 1 ; III, 11.

[4] XVIII, 27, fig. 37 b.

[5] XVII, fig. 42.

[6] XXXVII, fig. 80.

[7] AM, 1886, p. 21 ss., n° 7 ; DE RIDDER, Bronzes de la Soc. arch. d’Ath., 97, n° 491, 494.

[8] Voir LXXXII, fig. 45, XX, 10-12 ; LXVII, fig. 552 ; XL, pl. IV, 48.

[9] XVI, fig. 56-7, 113.

[10] Ibid., fig. 113.

[11] Voir CUQ, DA, Hasta, 34.

[12] XVIII, 6, fig. a-c ; 15, n° 3 e ; BSA., VI, 110, fig. 42, n° 2, 4, 8, 11.

[13] Odyssée, XXII, 101 ss., 251 ss., 272 ss.

[14] XX, fig. 541 a.

[15] EVANS, XX, 68.

[16] MIL, XXI, V, fig. 24, pl. X ; LXXXII, fig. 12.

[17] Ibid., fig. 44 ; XL, 49 ; BSA, XIX, 45, fig. 8, n° 4, 8, 20.

[18] AM, 1886, 23, 26, 38, Beilage I, 6 ; 1891, 48, fig. 3, 4 ; Έφ., 1898, pl. XII, 8 ; LXXXV, 2211 ; Έφ., 1899, 121, pl. X, 43.

[19] Voir MYRES, LXI ; DUSSAUD, XI, 259-64, fig. 185.

[20] X, 421, n° 1, 3 ; 329 ; 344-5, fig. 262-4.

[21] LXXXII, fig. 45, XI, 22 ; MA, XLV, pl. XLVI, 11, 7.

[22] Έφ., 1898, 189, pl. XLI, 8.

[23] MA, l. c., 467, 469-70, fig. 76 a.

[24] XL, pl. XI-IV, 6, 8-10 ; XIII, 68-70, fig. 64.

[25] Ibid., pl. IV, 49-61.

[26] BSA, VIII, 94, fig. 54.

[27] ) XVI, 62 c, 86 a, 95 e, 14 s.

[28] XVI, 495 ss. ; VIII, II, I, 212 ss.

[29] Έφ., 1897, 1066 pl. VII, 3 ; LXXII, fig. 445 a, 448. Une épée de Kakovatos, de premier type, mesure 92 cm. (AM, 1909, 298-9, fig. 14).

[30] Έφ., 1897, pl. VIII, 1, 2, 5 ; 1891, pl. II, 5.

[31] Ibid., 1897, pl. VIII, 8 ; VIII, II, I, fig. 65, 8.

[32] Έφ., l. c., 4.

[33] XVIII, 4, fig. 7, 8.

[34] Puisque les guerriers crétois et mycéniens disposaient à la fois de l’épée courte et de l’épée longue, on peut se demander quel usage spécial ils en faisaient. La rencontre de l’une et de l’autre dans les mêmes tombes a fait supposer (BURROWS, VI, 88) que les guerriers se servaient de la rapière pour attaquer et de l’épée courte pour parer, comme les duellistes de notre XVIe siècle. Une autre hypothèse (AD. REINACH, DA, Pugio, 763) fait de l’épée courte une dague de miséricorde employée pour achever les blessés. Mais jamais, dans aucune scène de combat, en n’aperçoit deux glaives aux mains ou à la ceinture d’un combattant. En réalité, quand la famille d’un guerrier enfermait dans sa tombe plusieurs armes, tel, par exempte, une épée avec une lance ou avec des flèches, elle voulait que, mort, il fût aussi richement pourvu qu’il l’avait été vivant ; elle n’avait nullement l’idée qu’il manierait toutes les pièces de sa panoplie simultanément.

[35] XVI, 497, note d ; cf. XXX, pl. D, 11, 13 ; WORSAN, MAN, 1880, 131.

[36] XVI, 497-8.

[37] Ibid., 501-2.

[38] Ibid. ; VIII, II, I, 113.