LE DROIT DE SUCCESSION DANS LES LOIS BARBARES

 

PAR ERNEST GLASSON

MEMBRE DE L'INSTITUT, PROFESSEUR À LA FACULTÉ DE DROIT DE PARIS

PARIS - LAROSE ET FORCEL - 1886.

 

 

§ I. — Généralités. Lois des Romains.

Les régimes de succession pratiqués par les Barbares qui s'établirent sur les ruines de l'Empire romain ne sont pas bien connus. Les principes du droit romain et ceux du droit germanique s'étant rencontrés, il en est résulté parfois une véritable lutte, d'autres fois de la confusion. Pour les Romains devenus sujets des Barbares, il ne s'opéra aucun changement sérieux ; les codes promulgués à leur intention consacrèrent le système de succession du droit romain tel qu'il fonctionnait à l'époque de Théodose. Ce n'était plus l'ancien droit de Rome établi avant tout dans des vues purement politiques et sans tenir grand compte des affections de famille et ce n'était pourtant pas encore le droit de Justinien qui, pour déterminer la dévolution dans les successions ab intestat, s'attacha presque uniquement aux liens d'affection naissant de la famille naturelle. Nous sommes en présence d'un système intermédiaire qui commence à donner plus largement satisfaction aux liens du sang et n'ose cependant pas encore détruire complètement l'ancien régime successoral destiné à conserver la famille politique[1]. Ainsi l'édit de Théodoric reconnaît le privilège des agnats sur les cognats, mais il préfère les enfants et les descendants à tous les autres parents[2]. Dans le Papien, la préférence au profit des agnats est également maintenue ; mais entre fils et filles, le partage doit être parfaitement égal[3]. Quant au Bréviaire d'Alaric, il reproduit purement et simplement les constitutions de Constantin et de Théodose[4].

 

§ II. Lois des Barbares. Quel était leur esprit ?

Pour les Barbares, le régime des successions ab intestat est exposé dans les différentes lois qui ont été faites à leur usage. Mais d'où venait ce système et comment s'est-il développé ? Ce sont là deux questions sur lesquelles on est loin de s'entendre. D'après l'opinion la plus généralement répandue, l'ancien système de succession des vieux peuples de la race indo-européenne se serait, par certains côtés, maintenu en Germanie. Ainsi on n'y connaissait pas le testament, ni le partage des biens entre les enfants. En principe et sauf certaines particularités, l'aîné seul héritait ; cela était surtout vrai pour les biens patrimoniaux et les immeubles. Chez certains peuples, le droit d'aînesse s'étendait même sur tous les meubles. Quant aux filles, elles n'héritaient pas de la terre et venaient seulement sur les meubles. Après les invasions, ce système subit d'importantes modifications. Le testament est autorisé sous l'influence de l'Église. Le droit d'aînesse n'existe plus et tous les fils se partagent la succession. Quant à l'exclusion des filles ou des femmes, elle tend à disparaître de plus en plus. Dans cette opinion, la loi qui conserve le mieux le système de l'ancienne coutume est celle des Thuringiens. D'après cette loi, comme dans l'ancienne Germanie, le fils est toujours préféré à la fille, les parents par les mâles aux parents par les femmes ; comme au temps de Tacite, les femmes sont exclues de la terre : l'héritage du défunt, porte la loi des Thuringiens, passe à son fils et non pas à sa fille. S'il n'y a pas de fils, la fille prend l'argent et les esclaves, mais la terre passe aux plus proches parents de la ligne paternelle. S'il n'y a ni fils ni fille, c'est le frère du défunt qui hérite. A défaut de frère, la sœur prend les meubles, mais c'est le plus proche collatéral qui hérite de la terre[5]. Dans cette loi, on le voit, non seulement le fils est préféré à la fille, mais les collatéraux eux-mêmes, de la ligne paternelle, excluent la fille de la terre ; d'une manière plus générale même, les femmes n'héritent presque jamais des immeubles, mais seulement des meubles. D'autres lois barbares consacrent déjà une législation moins rigoureuse pour les femmes : celles-ci ne sont plus complètement exclues de tous les immeubles, mais seulement des biens patrimoniaux. Tel est le système de la loi salique et celui de la loi ripuaire[6]. Bientôt l'exclusion de la fille est supprimée par l'édit de Chilpéric (chap. 3) et par le décret de Childebert (chap. 1)[7]. Certaines lois barbares réalisent même de suite et directement un nouveau progrès : les filles et les femmes peuvent hériter même des biens patrimoniaux ; elles ne sont plus exclues, in infinitum, mais les mâles exercent sur elles un droit de préférence. Ainsi la loi des Burgondes admet la fille à la succession, sans distinction de biens, mais seulement à défaut de fils, et tel semble bien avoir été aussi le système de la loi des Alamans[8]. Dans la loi de Rotharis, la fille ne vient qu'à défaut de fils et encore ne prend-elle pas toute la succession : elle n'a droit qu'à un tiers de l'héritage ; les deux autres tiers sont l'un pour les fils naturels et l'autre pour les collatéraux les plus proches[9]. Quatre-vingts ans plus tard, le roi Luitprand complète cette réforme et décide qu'à défaut de fils, la fille prendra toute la succession à l'exclusion des autres parents[10]. La loi des Saxons admet aussi la fille à la succession à défaut de fils[11]. La tendance des lois barbares a donc toujours eu pour objet d'élargir les droits des filles et 'des femmes dans les successions. L'ancienne préférence au profit des mâles a plus ou moins disparu.

 

§ III. — Réfutation de la doctrine suivant laquelle la préférence au profit des mâles tendait sans cesse à s'atténuer ou même à disparaître.

Tel est l'ensemble d'une doctrine qui compte de nombreux partisans[12]. Elle renferme sans doute une certaine part de vérité, mais des réserves sont nécessaires sur un grand nombre de points et surtout en ce qui touche le développement historique des droits de succession des femmes.

Il est très vrai que les Germains ne connaissaient pas le testament. Tacite est formel sur ce point et ce fut seulement sous l'influence de l'Église que le testament parvint à pénétrer dans le droit barbare. S'il n'avait pas été protégé par les clercs, il aurait probablement rencontré plus de résistance. Le testament était en effet contraire au principe de la propriété de famille. De plus, n'était-il pas étrange que le testament pût enlever la succession à ceux qui auraient été obligés, dans certaines circonstances, de payer le wergeld pour le compte du défunt ? N'était-il pas juste que, grevés de la charge éventuelle de ce paiement, ils eussent aussi droit à sa succession[13] ? Néanmoins sous l'action de l'Église, le testament pénétra assez rapidement dans les mœurs et on ne tarda même pas à s'en servir comme d'un moyen destiné à remédier aux inconvénients que présentait le régime des successions ab intestat.

Quant au droit d'aînesse, nous avons constaté ailleurs qu'il n'existait plus chez les Germains au temps de Tacite, si ce n'est chez les Tenctères[14]. L'historien romain dit formellement qu'en ligne directe descendante, tous les enfants héritent[15]. Le mot liberi est général et comprend aussi bien les filles que les fils, et Tacite a même soin de les qualifier d'héritiers siens pour montrer qu'ils héritent d'eux-mêmes en vertu de la copropriété de famille[16]. Tel était le droit commun des successions. Chez certains peuples seulement, on tenait compte de la nature des biens pour les attribuer à chacun des héritiers, suivant ses aptitudes : c'est ce que Tacite relève pour les Tenctères qui, en outre, avaient conservé le droit d'aînesse. A défaut de descendants, Tacite fait venir les frères, puis les oncles paternels, puis les oncles maternels. Il existait donc dans la ligne collatérale une préférence au profit des parents par les mâles vis-à-vis des parents par les femmes. En second lieu, Tacite ne parle pas des femmes dans la ligne collatérale ; d'où l'on a conclu qu'elles étaient complètement exclues par les mâles, mais c'est déjà là une solution douteuse.

Voyons maintenant ce qu'est devenu ce système de succession dans les lois barbares. Le premier fait qui nous frappe, c'est la diversité : les lois barbares présentent, surtout dans les détails, des divergences très graves et cependant si l'on écarte ces détails, on ne tarde pas à reconnaître que certaines idées générales communes dominent dans toutes ces lois. Il est essentiel aussi de ne pas perdre de vue les différentes époques de rédaction de ces lois qui ont parfois été séparées les unes des autres par plusieurs siècles de distance. Ainsi la loi salique est incontestablement la plus ancienne de celles qui sont parvenues jusqu'à nous, puisqu'elle a peut-être été rédigée sous Clodion et qu'elle a été ensuite révisée par Clovis, en dernier lieu sous Charlemagne. La loi des Ripuaires est du milieu du Ve siècle, tandis que la loi des Bourguignons se rapproche du commencement du VIe siècle, si elle ne lui appartient pas. C'est seulement à la fin de ce vie siècle qu'apparaissent la loi des Visigoths et celle des Alamans ; puis vient au milieu du VIIe siècle la loi lombarde de Rotharis ; au milieu du VIIe, celle des Frisons et enfin sous Charlemagne, au commencement du IXe siècle, la loi des Francs Chamaves, celle des Saxons, celle des Thuringiens, qui clôt la liste en 812[17].

Il est important de ne jamais perdre de vue ces différentes dates, car souvent dans la rédaction d'une loi on avait soin de tenir compte des changements qui s'étaient accomplis dans les mœurs. Mais on ne doit pas non plus croire d'une manière absolue qu'une loi de date plus récente constate aussi nécessairement une évolution dans le droit de succession. Chez certains peuples, en effet, les anciennes coutumes se sont conservées, tout au moins pour partie, avec une telle vivacité, que leurs lois, quoique de rédaction relativement récente, nous font connaître un régime de succession beaucoup plus conforme aux institutions anciennes que ceux des lois antérieures. Il importe aussi de ne jamais oublier le voisinage du droit romain qui fait souvent sentir son influence, soit d'une manière directe, soit par l'intermédiaire de l'Église. Enfin, on ne doit pas perdre de vue qu'au moment des invasions, il n'existait pas chez les Barbares une véritable noblesse constituant une classe spéciale de l'État ; mais cette noblesse s'est rapidement constituée et a eu intérêt alors à s'affermir en donnant une grande fixité aux familles. C'est précisément le concours de toutes ces considérations très diverses qui rend la solution de notre problème si délicate et si difficile.

La loi salique s'occupe des successions dans le titre 59 de l'ancienne rédaction et dans le titre 72 de la loi amendée sous Charlemagne[18]. Ces deux titres portent comme rubrique : l'un De alodis, l'autre De alode. La première question est donc de savoir quel est le sens de ce mot. C'est sans aucun doute un terme d'origine franque, un mot qui appartient à la langue des Francs. On a autrefois prétendu que ce mot était synonyme du latin sors, partage, et qu'il désignait les terres distribuées aux Francs au moment de leur établissement sur notre sol. Cette opinion est, bien entendu, adoptée par presque tous ceux qui se prononcent pour l'établissement des Francs en Gaule par la conquête et qui voient dans ces Francs les ancêtres de la noblesse. Mais de graves objections se présentent de suite à l'esprit : comment a-t-on pu employer déjà, avec ce sens, le mot alod à l'époque de Clodion où aucun partage définitif n'avait été fait ? Comment ce terme se concilie-t-il aussi avec l'objet du titre où il est question, non pas seulement de ces biens, mais de tous ceux qu'une personne laisse à son décès ? Aussi vaut-il mieux adopter une seconde opinion, qui fait venir alodis de al od, signifiant al, tout, et od ou plutôt peut être lod, propriété. Ce terme est alors synonyme de succession, ensemble du patrimoine. C'est bien dans ce sens, en effet, que le mot est pris jusqu'à trois fois par les textes du titre De alode et qu'on le retrouve encore dans d'autres[19].

La loi salique, au titre des successions, De alode, tit. 62 de la lex emendata, est divisée en six paragraphes. Les cinq premiers s'occupent de l'attribution de la succession en général. Le sixième est consacré à un mode particulier de dévolution de certains biens et il a pour objet d'exclure les femmes de ces biens. Les anciens textes de la loi salique ne comprennent que cinq paragraphes, mais le dernier règle aussi un mode spécial de dévolution. Il n'est pas sans intérêt de rapprocher ces deux textes. Le paragraphe 1er de la loi salique, porte : De terra vero nulla in muliere hæreditas non pertinebit, sed ad virilem secum (leg. sexum) qui fratres fuerint tota terra perteneunt. Dans la lex emendata, ce passage est modifié de la manière suivante : De terra vero salica, nulla portio hæreditatis mulieri veniat : sed ad virilem sexum tota terræ hæreditas perveniat. Malgré ce changement de rédaction entre les deux textes, de nombreux auteurs et parmi eux Pardessus, pensent qu'ils posent tous les deux la même règle : il faudrait sous-entendre dans l'ancien texte l'épithète salica. Il importe de préciser dans quelle mesure cette explication est exacte.

En premier lieu, demandons-nous en quoi consiste la terra salica. Ce qui nous paraît certain, c'est que ces mots terra salica ne peuvent pas désigner la totalité de la fortune du défunt, mais au contraire, seulement certains biens. Quels sont alors ces biens ? Dirons-nous que terra salica est tout simplement synonyme de terre et qu'en conséquence les femmes ont toujours été exclues de la succession de toutes les terres, sous Charlemagne comme au temps de Clovis ? Cette interprétation ne saurait être sérieusement défendue, à cause du sens beaucoup trop large qu'il donne au mot terra salica. On ne peut pas considérer comme plus sérieuse l'opinion suivant laquelle la terra salica est celle qui a été attribuée après la conquête aux compagnons de Clovis. La plupart des anciens partisans de la conquête professent cette opinion et il faut reconnaître qu'il n'y aurait pourtant pas contradiction à nier la conquête et à donner ce sens au mot terra salica, car si les compagnons de Clovis se sont établis paisiblement et sans déposséder les Romains, ils n'en ont pas moins obtenu les terres du fisc ; ce seraient ces terres qui auraient pris le nom de terre salive. Mais de quelles terres veut-on parler ? A-t-on en vue les terres données en bénéfice ? Cela est impossible, puisqu'à cette époque les bénéfices n'étaient pas héréditaires et que nos termes sont employés en matière de succession. Il s'agissait alors des terres concédées en pleine propriété et par opposition aux terres romaines. Mais alors il devrait exister aussi en Bourgogne une terra burgundiana ; chez les Visigoths, une terra visigotha, etc. Or, ces terres ne se rencontrent pas, et dans toute la Gaule, au contraire, on emploie le mot salica. D'après une ancienne interprétation, terra salica serait synonyme de seliland et désignerait l'habitation principale du Franc avec les terres et dépendances qui y étaient contiguës et annexées. Il est certain qu'une glose florentine de la loi salique a interprété terra salica par seliland ; mais une traduction n'est pas une explication. Il est encore vrai que le mot sala désigne une habitation dans l'ancien allemand de ce temps[20]. Mais il semble que si l'on avait entendu donner à ce mot ce sens juridique, il aurait dû être adopté par la loi des Ripuaires, car les Francs Saliens et les Francs Ripuaires parlaient le même idiome. Or, la loi des Ripuaires, tout en reproduisant la disposition de la loi salique, parle de terra aviatica au lieu de terra salica.

C'est ce qui décide M. Pardessus à repousser cette explication. Nous croyons cependant qu'on peut l'adopter avec quelques modifications et la concilier avec les termes de la loi des Ripuaires. Cette disposition de la loi salique a évidemment en vue les immeubles de famille. C'est par ce motif qu'elle exclut les filles et les femmes ; si elles pouvaient venir à ces biens, ceux-ci sortiraient souvent de la famille, car les femmes changent de famille par leur mariage. Tel est précisément le résultat que veut éviter la loi salique. Il s'agit avant tout d'en préserver l'habitation de la famille et les terres qui l'entourent. C'est même à ces seuls biens que pense le législateur. D'après les anciennes coutumes que rapporte le texte primitif de la loi salique, le seliland, c'est-à-dire l'habitation et les terres qui en dépendent, sont les seuls immeubles susceptibles d'une véritable propriété privée, et par conséquent de transmission par succession. Dire que les femmes sont exclues de la terre ou qu'elles n'héritent pas du seliland, c'est employer deux formules synonymes. On voit par là en quel sens restreint doit être entendue à l'origine l'exclusion des femmes de la terre. Après l'établissement des Francs en Gaule, toute terre devient en principe susceptible de propriété privée, mais on n'applique la préférence des mâles qu'à la terra aviatica dans la loi des Ripuaires, parce qu'en effet cette terre est seule le vrai bien de famille. Il n'en est pas moins vrai que toute terre pouvant devenir aviatica, l'exclusion des femmes est déjà plus large que dans la loi salique, bien que les termes de cette loi semblent plus généraux et ceux de la loi des Ripuaires plus restrictifs. La lex emendata adopte le système de la loi des Ripuaires, et terra salica y est employé comme synonyme de terra aviatica.

Il existait donc pour certains biens une préférence au profit des hommes sur les femmes. Celles-ci étaient même peut-être parfois complètement exclues. C'est ici le lieu de nous expliquer sur l'origine, l'étendue et la durée de ce droit de préférence ou même d'exclusion au profit des mâles.

On a soutenu que, déjà au temps de Tacite chez les Germains, les femmes comme les ascendants, n'avaient aucun droit de succession. Il est certain que Tacite ne parle pas spécialement des femmes. Il semble cependant qu'elles aient hérité en ligne directe, car nous avons vu que la succession allait d'abord aux liberi sans distinction de sexe. L'exclusion aurait seulement existé en ligne collatérale. Tacite est même si laconique, qu'à vrai dire, il est impossible de savoir s'il s'agit d'une exclusion ou seulement d'un droit de préférence[21]. Il est assez probable que le droit successoral variait fréquemment chez les tribus germaines. Tacite s'est borné à nous rapporter le droit commun et à révéler une particularité chez les Tenctères, mais il en existait encore d'autres et quelques-unes ont dû étendre leur reflet jusque dans les lois barbares et même en plein moyen âge. Plus une coutume se prolonge au travers des siècles, plus ceux qui sont à la recherche de son point de départ peuvent affirmer qu'il est lointain et se perd même parfois dans la nuit des temps. Or il semble bien que d'après les antiques usages de la Germanie, on ait attribué dans la succession, les biens, d'après les convenances et les aptitudes de chacun. Ne voyons-nous pas les Tenctères donner les chevaux, non pas à l'aîné, mais au fils qui était le plus apte à la guerre, probablement parce que chez ce peuple la cavalerie était l'arme de préférence[22] ? Plus tard, la loi des Burgondes et celle des Thuringiens qui, malgré sa rédaction un peu récente, paraît avoir conservé parfois de vieux usages, attribuent certains biens aux femmes, à l'exclusion des hommes qui n'en sauraient tirer aucun profit[23]. Ce sont, en général, les bijoux, les étoffes et autres ornements du corps. De même les armes de guerre et de chasse doivent, d'après la coutume des Thuringiens, revenir aux héritiers mâles seuls[24]. Ces attributions étaient si conformes aux mœurs, qu'on les retrouve encore en plein moyen âge, notamment dans les Miroirs de Saxe et de Souabe, dans les statuts de l'Allemagne et des Pays-Bas et même, mais beaucoup plus rarement, jusque dans nos anciennes coutumes[25].

Ces textes confirment et développent, dans une certaine mesure, le passage de Tacite : Les filles viennent bien en concours avec les fils, mais chez certains peuples, peut-être même chez la plupart, on donne à chacun ce qui lui convient le mieux. D'ailleurs, il n'est pas question des femmes en ligne collatérale. Quant au silence de Tacite à propos de la terre, il s'explique par le peu de valeur qu'elle offrait à cette époque. Mais les mêmes raisons qui avaient fait observer un certain procédé pour le partage des meubles, conduisait à attribuer l'habitation au fils continuateur de la famille et d'une manière plus générale les terres aux mâles plus capables de les cultiver.

Après l'établissement des Barbares sur le sol de l'Empire, leurs lois reproduisirent les variétés qui existaient déjà auparavant et les accentuèrent même davantage. On peut toutefois ramener à quatre, les principaux systèmes qui furent observés. Trois, parmi eux, sous l'influence manifeste des mœurs germaniques, accordent une préférence plus ou moins étendue aux hommes sur les femmes.

 

§ IV. — Divers systèmes des lois barbares.

Le premier système est celui de la loi des Visigoths qui fait venir également à la succession les fils et les filles sans aucune distinction de biens[26]. C'est peut-être le système rapporté par Tacite. On affirme cependant avec plus de certitude qu'il a été surtout adopté par les Visigoths sous l'influence du droit romain. Il n'est pas possible de nier cette influence ; elle se manifeste jusque dans les motifs donnés par la loi des Visigoths pour expliquer cette égalité et qui ne manquent pas d'une certaine élévation tout à fait inconnue dans les textes des lois barbares : quos propinquitas naturæ consociat hæreditariæ successionis ordo non dividat. Mais tout en reconnaissant l'action du droit romain, il faut bien admettre aussi que si ce système d'égalité parfaite avait été en contradiction avec les mœurs et les usages des Barbares, il n'aurait pas aussi facilement passé dans la loi des Visigoths.

D'ailleurs, le second système, celui du droit franc, contenu dans la loi salique, et dans celle des Ripuaires, consacre aussi l'égalité entre les hommes et les femmes pour toute la succession, sauf une importante exception, celle qui concerne le seliland ; celle-ci est réservée aux mâles. Les femmes supportent donc déjà une grave et importante restriction.

Dans le troisième système, les filles du défunt sont encore moins bien traitées. Tandis que le droit franc les admet en concours avec les fils, sauf exception pour la terra aviatica, ces diverses lois, toutes d'une époque postérieure, admettent l'exclusion des filles par les fils ; mais d'ailleurs les filles priment les parents collatéraux[27].

Enfin, en dernier lieu, la loi des Thuringiens, dont la rédaction est aussi la plus récente, se montre d'une sévérité toute particulière vis-à-vis des filles. Le fils exclut toujours la fille. Le défunt laisse-t-il seulement une fille, celle-ci acquiert pecuniam et mancipia, c'est-à-dire les meubles et les esclaves qui ne sont pas attachés à la terre, mais les immeubles sont au collatéral le plus rapproché dans la ligne paternelle. S'il n'existe pas de descendants, la sœur du défunt prend les meubles ; les immeubles continuent à être attribués au collatéral le plus proche de la ligne paternelle. A défaut de sœur, c'est la mère qui vient, mais seulement pour les meubles. Après elle, toute la succession est attribuée, meubles et immeubles, au collatéral le plus proche par les mâles et ainsi jusqu'au cinquième degré. C'est seulement à défaut des collatéraux jusqu'au cinquième degré, que la fille peut enfin hériter de la terre de son père et alors, comme dit le texte, la succession passe de la lance au fuseau. S'agit-il de la succession d'une femme, le fils prend la terre, les meubles et tous les esclaves. La fille n'a droit qu'aux meubles de nature à servir aux femmes. Mais à défaut de fils, la fille vient à la succession de sa mère pour les meubles et les mancipia ; puis la sœur, etc. Quant à la terre, elle est aussi, jusqu'au cinquième degré, pour le collatéral le plus proche par les mâles[28].

C'était seulement à défaut de collatéral au cinquième degré que la fille venait à la succession et acquérait les immeubles comme les meubles.

On voit qu'en suivant l'ordre de date de la rédaction des lois barbares, nous constatons une tendance marquée à accentuer sans cesse la préférence au profit des mâles. Notre conclusion est ainsi en sens contraire et en sens inverse de celles qu'adoptent certains auteurs en étudiant ces lois, sans tenir compte des époques où elles ont été écrites et en s'inspirant seulement des conjectures pour distinguer ce qui est ancien de ce qui est nouveau. Par ce second procédé, on est allé parfois même jusqu'à dire que l'exclusion des filles de la terre a disparu de très bonne heure, et on cite à l'appui un édit de Chilpéric (chap. 3) et le décret de Childebert (chap. 3)[29]. Nous verrons bientôt comment on peut expliquer ces textes ; mais relevons d'abord combien il devient difficile, sinon impossible, de comprendre le passage de la loi salique excluant les femmes de la terre salique dans le texte révisé sous Charlemagne. Tout au plus pourrait-on dire qu'on a conservé dans la lex emendata, le système de succession autrefois consacré par la loi salique à titre purement historique. On rencontre, en effet, d'autres dispositions de cette nature. Certains textes abrogés, même de très bonne heure, par exemple ceux qui concernent la chrene cruda, abrogée en 595, ont cependant été conservés dans la suite. Mais cette explication ne saurait être satisfaisante pour le titre consacré aux successions. Qu'on ait maintenu dans la loi salique des dispositions tombées en désuétude ou même abrogées, mais non remplacées, cela se conçoit encore. Il est plus difficile de comprendre qu'on ait pu y conserver un régime de succession depuis longtemps abrogé par des lois antérieures. Mais ce n'est pas tout : si l'on compare les plus anciens textes de la loi salique à celui de la lex emendata, on constate que le titre De alode, relatif aux successions, n'a pas été purement et simplement copié sur l'ancien texte dans la révision faite au temps de Charlemagne. On s'est attaché à le modifier et à le compléter. Les commissaires de Charlemagne n'auraient certainement pas procédé de cette manière s'il s'était agi d'un texte tombé en désuétude ou abrogé ; ne le supprimant pas, ils l'auraient, par respect de la tradition, conservé tel qu'il existait. On ne remanie pas des textes qui ne comportent plus aucune application pratique.

De ce qui précède il résulte : qu'au temps de Clovis les filles et les femmes n'héritaient pas de la terre, qu'au temps de Charlemagne elles n'héritent pas davantage de la terra salica. A l'origine, la femme ne peut pas acquérir une terre par succession ; c'est ce que se bornent à déclarer les anciens textes ; mais on se rappelle qu'à cette époque certaines terres seules sont susceptibles de propriété privée. Le législateur a certainement emprunté cette loi à une vieille coutume germanique. Mais cette coutume n'était pas générale, puisque Tacite fait venir les fils et les filles en concours ; tout au moins faudrait-il soutenir qu'elle s'est établie entre l'époque de Tacite et celle des invasions ; ce serait une pure conjecture. Ce qui est certain, qu'au temps de Clodion, où la loi fut peut-être rédigée et au temps de Clovis, où elle fut certainement révisée, le régime de la terre n'était pas encore bien établi. N'attacherait-on, comme autrefois, d'importance qu'à l'habitation et à la terre environnante ? Les autres terres resteraient-elles plus ou moins communes ? Quelles seraient définitivement ces terres ? Autant de problèmes qu'il était impossible de résoudre au temps de Clodion. Mais grâce à la civilisation romaine, et aussi à la force de la monarchie franque, l'ordre ne tarda pas s'établir dans une certaine mesure et déjà la loi Ripuaire, beaucoup plus nette, emploie des termes précis pour exclure les filles et les femmes de la terra aviatica, c'est-à-dire des immeubles provenant de succession. Le terme est assez clair pour s'expliquer de lui-même et c'est aussi avec ce sens qu'il est employé dans les formules[30]. On s'explique sans difficulté cette persistance de l'exclusion des filles et des femmes pour les immeubles de famille. C'est sous l'influence de l'aristocratie des Leudes que se maintinrent ces rigueurs envers les filles. Ces nobles étaient restés fidèles aux anciennes coutumes, à la transmission d'après la loi salique qui assurait en effet la conservation des familles. Othon de Frésinge écrivait encore au r siècle : Les plus nobles des Francs qui sont appelés salici usent encore de la loi salique ; salica lege nobilissimi Francorum, qui sali dicuntur, adhuc utuntur[31]. Cet attachement des nobles à l'ancienne coutume franque est déjà constaté par l'édit de Chilpéric[32]. Il s'est maintenu au travers des siècles et lorsqu'on l'a bien constaté, on ne s'étonne plus alors de rencontrer dans la lex emendata une disposition qui exclut les femmes de la terra aviatica.

 

§ V. — L'exclusion des femmes dans la Loi salique.

C'est toutefois une question très délicate que celle de savoir si dans la loi salique l'exclusion des femmes, relativement à la terre, est absolue ou si elle est admise seulement à égalité de degré. En d'autres termes, les hommes excluent-ils complètement les femmes, de telle sorte que celles-ci viendraient seulement à. défaut d'héritier mâle jusqu'au dernier degré, ou, au contraire, les hommes ne l'emportent-ils qu'à égalité de degré, de telle sorte par exemple que les filles seraient primées par les fils, mais qu'elles viendraient à défaut de fils ? Les lois barbares répondent très diversement à cette question. La loi des Burgondes et celle des Alamans ne prononcent l'exclusion des femmes qu'à égalité de degré ; ainsi la fille vient immédiatement après le fils et avant tous les collatéraux mâles[33]. Dans la loi des Lombards, la fille est exclue par le fils légitime, mais elle concourt avec le fils naturel et les collatéraux : la succession se divise en trois tiers, le premier pour les filles, le second pour les fils naturels, le troisième pour les collatéraux les plus proches[34]. Toutefois quatre-vingts ans plus tard, Luitprand appela à défaut de fils les filles à l'exclusion de tous autres[35].

Au contraire, la loi des Ripuaires semble bien dire, en termes absolus, que les femmes, même les filles du défunt, héritent des biens patrimoniaux seulement à défaut de parents mâles, même les plus éloignés. Cette loi porte en effet : aussi longtemps qu'il existe des héritiers du sexe mâle, la femme n'hérite pas des biens patrimoniaux[36].

Quel est, de ces deux systèmes, celui qu'a consacré la loi salique ?

On discute vivement sur le point de savoir si les mâles excluent les femmes seulement à leur degré, comme le prétend M. Pardessus[37], ou si, au contraire, l'exclusion n'est pas complète jusqu'au cinquième degré, qui est le degré successible le plus éloigné. Suivant certains auteurs, dans les anciens textes de la loi salique, le mâle n'exclut la femme qu'à son degré. Aussi ces textes portent-ils que le fils exclut la fille, le frère exclut la sœur, sans contenir aucune disposition générale[38]. Au contraire, la lex emendata dit dans des termes absolus : De terra vero salica nulla portio hæreditatis mulieri veniat, sed ad virilem sexum tota terre hereditas, perveniat[39]. Il n'est plus question de fils, ni de frère. Comment expliquer cette modification, si ce n'est en disant que la préférence consacrée par les premiers textes au profit des hommes s'est accentuée ? Autrefois les femmes n'étaient exclues qu'à égalité de degré ; maintenant elles sont exclues d'une manière absolue.

A notre avis, déjà dans les anciens textes de la loi salique, les femmes sont exclues de la terre non pas seulement à égalité de degré, mais d'une manière absolue, c'est-à-dire tant qu'il existe des mâles à un degré successible quelconque. Seulement ce système d'exclusion se précise ensuite en se limitant à la terra salica. Mais il se maintient avec une remarquable énergie sous l'influence de la noblesse, et au temps de Charlemagne il est tellement conforme à l'esprit de l'empire nouveau qu'on songe à l'étendre à certains pays ou à le consolider dans d'autres. Aussi, retrouvons-nous ce système dans la loi des Thuringiens dont la rédaction date de l'époque où fut promulguée la lex emendata[40].

Ce qui prouve bien encore que l'exclusion complète des femmes était conforme à l'esprit du temps, c'est que Charlemagne a voulu, par un capitulaire, que les dispositions de la loi salique sur les successions fussent désormais appliquées aussi en Lombardie[41]. On voit que nous ne sommes pas en présence d'une disposition tombée en désuétude, mais au contraire d'une loi dont la disposition tend à s'élargir.

Pour soutenir que la loi salique a entendu exclure les femmes seulement à égalité de degré, on a invoqué l'édit de Chilpéric qui, en effet, appelle formellement les filles à défaut de fils et avant les collatéraux[42]. Mais nous ferons observer que ce texte est tout spécial et concerne seulement ceux qui vicinos habent, c'est-à-dire les personnes qui vivent dans une sorte de communauté agraire. Or il nous semble que si un édit de Chilpéric a été nécessaire pour établir cet ordre de succession, c'est que le droit commun de la loi salique était tout à fait différent. Les mâles excluent complètement les femmes et non pas seulement à égalité de degré. Cette interprétation est bien confirmée par les anciens textes qui sont absolus. Dans tous les cas, même en admettant que ce système ait été ensuite abrogé par l'édit de Chilpéric, ce que nous ne croyons pas exact, il faudrait bien reconnaître qu'il a été ensuite restauré, car la loi salique amendée le consacre formellement.

 

§ VI. — L'édit de Chilpéric et le décret de Childebert II.

Au point où nous en sommes parvenus, l'édit de Chilpéric qui fait, dit-on, disparaître toute différence, quant au sexe, en matière de succession, ne saurait plus nous embarrasser. Un maître éminent soutient cependant que l'édit de Chilpéric et le décret de Childebert, ont fait disparaître l'exclusion des filles à l'égard de la terre[43]. L'édit de Chilpéric porte dans son chapitre III :

Simili modo placuit atque convenit, ut si quicumque vicinos habens aut filios aut alias post obitum suum superstitutus fuerit, quamdiu fui advixerint, terra habeant, sicut et lex saliea habet. Et si subito filios defuncti fuerint, filia simili modo accipiant terras ipsas, sicut et filii si vivi fuissent aut habuissent. Et si moritur, frater alter superstitutus fuerit frater terras accipiant, non vicini. Et subito frater moriens frater non derelinquerit supertitem, tunc non ad terra ipsa accedat possidenda[44].

Ce texte contient plusieurs solutions importantes. Il nous apprend qu'à l'avenir les femmes ne seront plus exclues de la terre que par les parents du même degré. Il est donc permis d'en conclure qu'auparavant et sous l'empire de la loi salique, les femmes étaient complètement exclues de la terre. Ainsi les filles viendront à défaut de fils et avant les frères du défunt ; de même les sœurs hériteront à défaut de frères. Mais on remarquera que cette modification concerne seulement certaines personnes et n'a pas un caractère général. Il s'agit seulement de ceux qui vicinos habent, c'est-à-dire des personnes appartenant à une communauté agraire. Lé mot vicini est, à la vérité, souvent employé, dans les textes de l'époque, comme synonyme de parents, mais il ne saurait avoir ici ce sens et désigne bien certainement les membres de la communauté agraire. Comment veut-on entendre autrement la partie du texte où il est dit : et si moritur, frater alter superstitutus fuerit, frater terras accipiat, non vicini. Avant l'édit de Chilpéric, à défaut, de fils du défunt, la terre retournait aux autres membres de la communauté. Chilpéric modifie cette règle : les filles viendront après les fils, puis les frères, puis les sœurs, mais il semble bien qu'à défaut de ces parents rapprochés, les vicini, c'est-à-dire la communauté agraire, viennent à la succession. Cet édit de Chilpéric ne modifie donc pas le système de la loi salique : il établit bien plutôt un nouveau régime spécial de succession à la place d'un ancien régime spécial pour les terres de ceux qui appartiennent à une communauté d'habitants. On comprend aussi que, pour ces terres, les filles et les sœurs soient admises à défaut de fils ou de frères. Il ne s'agit pas en effet de maintenir des biens dans une famille, mais de les conserver dans une communauté, et cette circonstance que ces terres sont acquises à des filles ou à des sœurs par succession, ne les empêche pas de conserver leur nature de terre de communauté agraire.

Quant à l'édit de Childebert Il, il vise directement la représentation et ne peut être invoqué dans notre question qu'a titre d'argument. Il porte dans son paragraphe 1 :

Ita, Deo propitiante, Antonaco Kalendas Marcias anno vicesimo regni nostri convenit, ut nepotes ex filio vel ex filia ad aviaticas res cum avunculos vel amitas sic venirent, tamquam si pater aut mater vivi fuissent. De illis tamen nepotis istud placuit observare qui de filio vel filia nascuntur, non qui de fratre.

Ce texte, on le voit, admet la représentation au profit des petits-fils qui viendront en concours sur la terra aviatica avec leurs oncles ou leurs tantes qui sont les fils ou filles du défunt. Mais il ne résulte nullement de cette loi que les filles soient venues en concours avec les fils. Tout ce qu'on pourrait prétendre, c'est qu'elles étaient appelées après les fils ou, en d'autres termes, que l'exclusion des femmes n'était pas absolue, elle existait seulement à égalité de degré. Dans ce système, cet édit avait dérogé à la loi Ripuaire qui prononçait l'exclusion absolue des femmes et non pas seulement à égalité de degré. On sait en effet que Childebert était roi d'Austrasie et que la loi des Ripuaires dominait dans son royaume. Mais, à notre avis, sur ce point de l'exclusion totale ou partielle des femmes, le décret de Childebert II n'entend pas innover. Il constate seulement la loi en vigueur pour la compléter ensuite par l'admission de la représentation. Quoi qu'il en soit, que la loi Ripuaire ait prononcé l'exclusion absolue des femmes et qu'il y ait été dérogé par l'édit de Childebert ou que cet édit ait respecté le système de la loi Ripuaire, qu'on discute même sur ce système de la loi Ripuaire pour savoir s'il exclut complètement la femme ou à égalité de degré seulement, tout cela est étranger à notre question, celle de savoir si les femmes étaient écartées d'une manière absolue de la terre dans la loi salique. Notre texte ne peut être invoqué dans aucun sens. Au point de vue de la représentation, et à ce point de vue seulement, le décret de Childebert II introduit une importante innovation. Il permet au petit-fils né de fils ou de filles de venir en concours, avec de leurs oncles ou leurs tantes. Mais il ne résulte nullement là que les fils et filles du défunt aient été appelés en concours : les petits-fils concouraient avec les filles lorsque celles-ci venaient à la succession, c'est-à-dire à défaut de fils. On aurait adopté une formule tout à fait différente s'il s'était agi de permettre aux filles de venir en concours avec les fils. Mais l'insuffisance des termes du décret peut faire naître des doutes sur d'autres points : la représentation n'était-elle admise qu'au profit des petits-fils ou bien existait-elle également en faveur des petites-filles ? En admettant l'affirmative, ne faudrait-il pas supposer tout au moins que les petites-filles venaient par représentation, seulement à défaut de petits-fils ? Les petits-fils d'une fille prédécédée ne pouvaient-ils pas au contraire venir en concours avec les fils du défunt, bien que ceux-ci eussent exclu leur mère ? C'est ce qui fut plus tard admis pour les fiefs et l'on comprendrait en effet ce concours puisque la cause d'exclusion, c'est-à-dire le sexe féminin, n'existait plus.

Ce qui semble certain, c'est que ce décret de Childebert II, destiné à modifier sur un seul point la loi ripuaire, est resté sans influence sur le système de succession de la loi salique. Il n'a peut-être pas été observé dans les pays pour lesquels il avait été fait. Dans tous les cas, il ne s'est jamais étendu à tout l'empire franc. Mais un certain nombre de formules semblent bien indiquer qu'il tomba de bonne heure en désuétude, soit à cause de son insuffisance qui laissait place à une foule de controverses, soit précisément parce qu'il ne devait s'appliquer que sur certains territoires de l'Empire. II ne faut pas non plus oublier que ce système de la représentation était absolument contraire aux usages germaniques. D'après ces usages, on s'en souvient, l'ordre de la parenté est représenté par une série de cercles qui s'agrandissent successivement. Dans chaque ordre, l'auteur commun et après lui le parent le plus rapproché de la source commune, excluaient tous les autres membres et par exemple dans la première parenté, les enfants du premier degré excluaient les petits-enfants. Le droit de représentation était une dérogation à ces usages. Il ne semble pas qu'il ait été, tout au moins au début, populaire parmi les Barbares. Aussi ne fut-il pas admis en général par les lois germaniques, si ce n'est par la loi des Burgondes (tit. 78). Ce fut seulement l'influence du droit romain qui fit connaître et comprendre le système de la représentation. L'Église le favorisa et il s'introduisit dans les formules. Nous en possédons plusieurs où nous voyons un aïeul rappeler ses petits-fils dans son testament. En d'autres termes, le testateur fit ce que la loi ne faisait pas : il admit les petits-fils d'un enfant prédécédé en concours avec leurs oncles, fils du testateur. Or ces formules sont postérieures au décret de Childebert II. Ce décret ne fut donc pas observé ; autrement il aurait été inutile de rédiger des testaments pour créer un droit de représentation déjà consacré par la loi. Les formules nous apprennent très nettement que ce droit de représentation n'existait pas dans la loi et il n'est pas inutile de rappeler que parmi ces formules il en est une qui vient de Marculfe qui composa son recueil sur le territoire des Francs Ripuaires[45].

 

§ VII. — Règles de la succession à la terre salique entre cohéritiers.

Les mâles héritaient donc seuls de la terre salique ; les femmes ne venaient, même les filles du défunt, qu'à défaut de parents mâles au degré le plus éloigné. D'ailleurs, sauf cette particularité, la dévolution de la terre salique se faisait de la même manière que celle des autres biens. Ainsi on appelait les parents dans le même ordre ; le plus proche en degré excluait le plus éloigné. La représentation était inconnue. Le droit d'aînesse ayant certainement disparu au moment des invasions, la terre salique se partageait entre tous les héritiers du même degré : elle était essentiellement divisible comme le royaume lui-même. Mais dans la ligne collatérale, lorsqu'il existait des parents mâles de la ligne paternelle et des parents mâles de la ligne maternelle, comment la terre salique se partageait-elle entre eux ? Appliquait-on déjà le système qui fut autrefois usité dans nos coutumes : paterna paternis materna maternis ? Ou bien les terres se divisaient-elles en deux moities, l'une pour la ligne paternelle, l'autre pour la ligne maternelle, comme le décident les Novelles de Justinien et notre Code civil pour l'ensemble de la succession ? Ou encore les collatéraux de la ligne paternelle passaient-ils à égalité de degré, avant ceux de la ligne maternelle ? Ou enfin tous les collatéraux du même degré partageaient-ils également entre eux sans qu'on s'occupât de la ligne à laquelle ils appartenaient ? On en est réduit à des conjectures. A notre avis, le système le plus probable est le premier. D'abord on le retrouve dans nos coutumes qui ont bien pu l'emprunter au droit antérieur. Ensuite c'est celui qui assure le mieux la conservation des biens dans les familles. En effet, la division des biens en propres ou acquêts, si importante dans notre ancien droit coutumier, surtout au point de vue des successions, remonte bien certainement au droit barbare. Dès le cinquième siècle et dans les suivants, les chartes des ventes, des donations, des testaments, distinguent soigneusement les biens d'après leur provenance : les uns sont des bona comparata, acquisita, en un mot des acquêts, les autres proviennent de alode[46] de hæreditate paternica, maternica ; ce sont des bona aviatica. On ne les appelle pas encore des propres, parce que le mot propria, proprium avait un sens général et désignait à cette époque toute chose dont on était propriétaire à un titre quelconque[47]. C'est plus tard seulement, sous la troisième race, qu'on se décida à prendre le mot propre dans un sens différent et plus restreint, celui de nos coutumes et par opposition à acquêt.

On sait que nos anciens auteurs ont souvent prétendu que la dévolution de la couronne de France devait s'opérer suivant les règles établies pour la terre salique[48]. L'assimilation de la couronne de France à la terra salica était vraie en ce sens que, sous la première race, cette couronne était considérée comme une terre patrimoniale, soumise dans une certaine mesure, au droit privé des successions. Ainsi les femmes en étaient exclues et elle se partageait entre les mâles, comme l'histoire nous en donne de nombreux exemples. Mais sous plusieurs rapports, la couronne de France était soumise à des règles propres qui, toutes, avaient pour objet d'exclure complètement les femmes. Il fut admis que les femmes ne pourraient jamais hériter de la couronne, même à défaut d'héritier mâle au degré le plus éloigné. La couronne, comme on disait autrefois, ne devait jamais tomber en quenouille, tandis qu'à défaut d'héritier mâle, les femmes héritaient de la terre salique. On a même vu que suivant certains auteurs, les femmes n'étaient exclues par les hommes qu'à égalité de degré et c'est ce que décidait aussi la loi des Visigoths pour la couronne. Il est au contraire certain qu'en France, l'exclusion des femmes était complète. Childebert n'ayant que des filles, reconnut que son royaume devait passer à ses collatéraux mâles[49]. Ce n'est pas tout, nous verrons que si la loi salique refusait la terre héréditaire aux filles, il était cependant permis au testateur de corriger cette loi et d'appeler ses filles à la terra aviatica par acte de dernière volonté. Au contraire, jamais aucun roi ne prétendit qu'il eût le droit d'attribuer par testament la couronne à l'une de ses filles. Enfin si la loi salique appelait seulement les parents mâles, du moins les faisait-elle venir sans rechercher s'ils descendaient par les hommes ou par les femmes. Ainsi les fils de la fille héritaient de la terre salique en concours avec les fils du fils, tandis qu'ils n'auraient pas eu droit à la couronne de France : on excluait de cette couronne le mâle descendant par une femme, comme cela fut solennellement jugé en faveur de Philippe le Long et de Philippe de Valois. Sous la troisième race, le principe de la primogéniture vint compléter les règles de la dévolution à la couronne, en consacrant en même temps une nouvelle dérogation à la loi salique qui admettait le partage.

 

§ VIII. — Le droit commun de la loi salique.

La loi salique contient, avons-nous dit, deux ordres de dévolution des biens dans les successions. Il existe une règle générale de succession, s'appliquant en principe à tous les biens ; puis ensuite et en second lieu, une dévolution spéciale pour certains biens, terra d'après certains manuscrits, terra salica d'après d'autres, comme aussi dans la lex emendata, terra aviatica dans la loi des Ripuaires. Il est possible que pendant un certain temps cette dévolution spéciale ait concerné toutes les terres, mais il semble bien que, de très bonne heure, elle se soit limitée à la terra salica, ou aviatica, c'est-à-dire aux immeubles que le défunt avait lui-même acquis par succession. Nous avons vu à qui est attribuée cette succession de la terre héréditaire. Occupons-nous maintenant de la règle générale des successions, comprenant tous les biens meubles ou immeubles, sauf la terra salica.

En droit germanique, la parenté s'appelle generatio, ou parentella, c'est-à-dire parenthèse. Cette dernière expression est surtout vraie de la parenté collatérale qui forme une double parenthèse vis-à-vis de la souche principale[50]. L'ordre des parentés peut être représenté par un système de cercles qui vont en s'agrandissant. Le premier degré comprend le défunt et ceux qui en descendent directement, c'est-à-dire ses enfants, petits-enfants, etc. Le second cercle ou degré renferme tous ceux qui descendent avec le défunt de la source la plus proche, c'est-à-dire de son père ou de sa mère ; elle comprend par conséquent le père, la mère du défunt, ses frères et sœurs et leurs descendants. Le troisième degré prend son point de départ dans le grand-père et la grand'mère du défunt et il embrasse tous ceux qui en descendent ; puis vient, d'après la même méthode le quatrième degré et enfin le cinquième qui est en général celui où les effets de la parenté s'arrêtent dans les lois barbares. On remarquera que cette manière de compter la parenté est tout à fait différente de celle que consacrait le droit romain, mais elle se rapproche du système adopté par le droit canonique. Chez les Romains, pour déterminer le degré de parenté entre deux collatéraux, on part de l'un pour remonter d'abord à leur auteur commun et descendre ensuite de cet auteur commun à l'autre collatéral. Ainsi deux cousins-germains sont au sixième degré. La loi canonique part du collatéral le plus éloigné pour remonter à l'auteur commun, mais elle s'en tient là et ce système est aussi celui des lois barbares. Avec ce procédé, deux cousins-germains sont au troisième degré[51].

La loi salique appelle en première ligne à la succession, c'est-à-dire à l'ensemble des biens autres que la terra salies, tous les enfants, fils ou filles. C'est ce que décidait déjà le droit germanique, comme nous l'apprend Tacite. Le texte porte : si quis moriens filios non dimiserit. Mais il est admis que, dans la langue latine le mot filii comprend les deux sexes toutes les fois qu'il n'est pas accompagné d'expressions destinées à le restreindre aux mâles[52]. La loi des Visigoths admettait aussi la vocation simultanée des fils et des filles, sans même établir aucune restriction comme le font les lois des Francs pour la terre salique. Nous avons déjà dit que cette égalité parfaite a peut-être été consacrée par la loi des Visigoths sous l'influence du droit romain[53]. Les autres lois barbares, en effet, ne mettent pas en général les fils et les filles complètement sur la même ligne ; mais cependant il importe de ne pas exagérer ces inégalités. Ainsi dans la loi des Burgondes, les filles ne viennent à la succession de leur père qu'à défaut de fils[54]. Dans la succession de la mère, les filles sont également exclues par les fils sur les immeubles, mais, de leur côté, par réciprocité, les filles excluent les fils sur la succession mobilière de leur mère[55]. En outre, dans la loi des Burgondes, lorsque le fils est prédécédé et que ses propres fils viennent par représentation, la fille prend un quart de la succession paternelle ; elle a droit à la moitié si le fils prédécédé n'a laissé que des filles (tit. 75). Chez les Lombards, les fils aussi excluent les filles. Mais si celles-ci ont été mariées, elles conservent leur dot, et si elles ne sont pas mariées, elles restent à la charge de leur frère[56]. Les lois des Alamans et celles des Bavarois ne font également venir les filles qu'à défaut de fils et ne leur reconnaissent aucun droit de succession exclusive sur les meubles de leur mère[57]. Quant à la loi des Thuringiens, elle admet en même temps les fils et les filles, mais sur des biens différents. Dans la succession paternelle, les fils obtiennent les immeubles ; les filles ont droit aux meubles et aux mancipia, c'est-à-dire aux esclaves qui ne sont pas attachés à la terre. Dans la succession maternelle, les fils obtiennent tout le patrimoine, meubles et immeubles ; les filles sont réduites aux habits, bijoux et ornements de leur mère[58]. Rappelons que cette loi des Thuringiens exclut, même à défaut de fils, les filles des immeubles, tant qu'il y a des collatéraux jusqu'au cinquième degré. Il est d'autant plus important de relever ces particularités qui distinguent dans certaines lois barbares la succession du père de celle de la mère, qu'on ne les rencontre pas dans la loi des Francs ni dans celle des Ripuaires. Nous en conclurons que chez ces peuples, les règles de succession étaient les mêmes, qu'il s'agit du père ou de la mère, que le de cujus fût un homme ou une femme[59]. On remarquera aussi qu'il n'y a, dans la loi salique, ni même dans aucune des autres lois barbares, pas la moindre trace du droit d'aînesse, bien qu'il apparaisse encore dans Tacite chez quelques peuplades germaniques[60]. On sait d'ailleurs que ce droit d'aînesse n'était même pas admis pour la succession au trône.

Le fils posthume a droit à la succession, pourvu qu'il naisse vivant et viable : c'est ce que nous apprend un capitulaire pour la loi des Alamans ; mais cette disposition semble avoir été d'une application générale[61]. Les lois barbares ne relèvent jamais si les fils et les filles en concours seront nés du même mariage ou d'unions différentes. Les fils ou les filles viennent donc ensemble, même s'ils sont nés de mariages successifs. Mais, peut-être sous l'influence du droit romain et du droit canonique, la loi salique ne reconnaît aucun droit de succession aux enfants nés de mariages prohibés[62]. Les enfants naturels n'avaient pas non plus de droits de succession. Les lois barbares sont presque toutes unanimes sur ce point. Dans le droit lombard seul, les filii naturales viennent en concours avec les filii legitimi, mais pour une part moindre[63]. Il n'est pas impossible que le père ait pu rendre son enfant naturel apte à hériter au moyen de l'adoption[64].

Le droit de représentation ne fut pas admis par les lois barbares, si ce n'est par celle des Burgondes[65]. Un décret de Childebert II, du 29 février 596[66], voulut, on s'en souvient, l'introduire au profit des petits-fils, dans la ligne directe et en prenant soin d'ajouter que cette représentation n'aurait pas lieu dans la ligne collatérale, pas même au profit des fils de frères prédécédés. Mais il semble que cet édit de Chilpéric, destiné à modifier sur ce point la loi des Ripuaires[67], tomba rapidement en désuétude, soit à cause des obscurités ou insuffisances de son texte, soit qu'il heurtât d'une manière trop absolue les usages de certaines familles, soit précisément parce qu'il ne concernait pas tout l'empire franc. Ce qui est certain, c'est que des formules de testament nous montrent souvent un aïeul appelant à sa succession les petits-fils d'un fils prédécédé en concours avec les autres fils. Ces dispositions testamentaires n'auraient pas été nécessaires si le décret de Childebert II,  sur le droit de représentation, avait été observé[68].

A défaut de fils, les petits-fils venaient à la succession. Partageaient-ils par tête ou par souche ? La question était très controversée et fort diversement résolue dans nos anciennes coutumes. Mais le doute ne semble pas possible du temps de la loi salique : une législation qui ne connaît pas le système de la représentation ne peut pas non plus connaître celui du partage par souche. La succession se divisait donc également entre tous les petits-fils et les petits-fils d'un même fils pouvaient ainsi obtenir dans la succession de leur aïeul, à eux tous, une part plus forte que celle à laquelle aurait eu droit leur père s'il avait survécu. Un seul texte de la loi salique, celui qu'Hérold a publié, a prévu notre question, il se prononce pour le partage per capita et non per stirpes ?[69]

A défaut de descendants, la loi salique fait venir les parents : Si quis mortuus fuerit et filios non demiserit, si mater sua superfuerit, ipsa in hœreditatem succedat (tit. 19, § 1)[70]. La lex emendata est plus complète et elle porte : Si quis homo mortuus fuerit et filios non dimiserit, si pater aut mater superfuerint, ipsi in hæreditate succedant. La loi salique appelle donc à défaut de descendants, le père et la mère. C'est une importante modification au système des successions tel qu'il existait en Germanie d'après Tacite. L'historien romain ne faisait jamais venir les ascendants. A défaut de descendants, la succession passait aux collatéraux et cette exclusion des ascendants, même des père et mère, a laissé des traces dans d'autres lois barbares. Ainsi d'après la loi des Burgondes, la mère est exclue par la sœur du défunt ; mais si le fils n'a laissé ni frères ni sœurs, la succession se partage en deux moitiés, l'une pour la mère, l'autre pour les collatéraux. La même loi nous apprend que le père n'hérite même pas des biens par lui donnés à son fils prédécédé sans enfants[71].

La loi salique consacre donc une grave innovation sur l'ancien droit germanique en créant la classe des ascendants. Mais il faut bien le remarquer, cette classe est très limitée : elle ne comprend que le père et la mère. Les autres ascendants ne viennent donc jamais, ni directement, ni bien entendu par représentation, car si la loi salique exclut la représentation dans là ligne descendante, à. plus forte raison ne l'admet-elle pas dans la ligne ascendante. Il y a plus : les anciens textes de la loi salique ne parlent que de la mère et semblent aussi exclure le père. C'est seulement la loi amendée qui les mentionne tous deux. Comment expliquer ce changement ? On en est réduit à des conjectures. Dira-t-on qu'originairement les Francs avaient adopté sur ce point un système tout particulier ? S'agit-il d'un souvenir des époques préhistoriques qui fondaient la famille sur la mère ? Ou bien encore les femmes étant exclues de la succession immobilière, se proposait-on dans certains cas et par compensation de leur accorder une préférence sur la succession mobilière ? Peut-être encore l'ancien droit voulait-il que la préférence des mâles sur les femmes fût absolue et s'appliquât même aux successions mobilières. Pour constater qu'on abrogeait cette vieille coutume, on aurait mentionné le droit de succession de la mère et il n'aurait rien été dû du père, parce qu'il aurait été, pour ainsi dire, d'évidence. Ce qui semble certain, c'est qu'il s'est opéré en cette matière une véritable transformation : les père et mère exclus de la succession au temps de Tacite, y sont appelés à défaut de descendants, non-seulement dans les lois salique et ripuaire, mais dans presque toutes les lois barbares, sauf parfois certains avantages accordés au père sur la mère[72]. Dans la loi salique, il semble bien que le père et la mère héritent ensemble et avec une égalité parfaite. Pater aut mater signifient le père et la mère[73].

A défaut de père et de mère, ce sont les frères et sœurs qui héritent en concours. Sur ce point, l'ancien texte de la loi salique est parfaitement d'accord avec la lex emendata[74]. C'est aussi le système de la loi des Ripuaires[75]. D'ailleurs, il ne peut pas être question de représentation en ligne collatérale ; le décret de Childebert II, qui admet la représentation en ligne directe descendante, a soin de l'exclure formellement dans la ligne collatérale[76].

Si nous supposons maintenant le défunt mort sans descendants, sans ascendants, sans frères ni sœurs, à quelles personnes la succession sera-t-elle dévolue ? La loi des Ripuaires répond (tit. 56, § 3) : à l'oncle et à la tante.

Elle admet même ensemble les oncles et les tantes paternels avec les oncles et tantes maternels. Les anciens textes de la loi salique ne parlent que de la tante maternelle soror matris[77]. Au contraire, la lex emendata mentionne d'abord les sorores patris, ensuite et seulement à leur défaut, les sorores matris (tit. 62, §§ 3 et 4). On remarquera que sur un point ces textes concordent : ils ne parlent pas des oncles. Est-ce à dire qu'il faille les exclure ? A notre avis la question est la même que pour les textes qui parlent seulement du droit de succession de la mère sans rien dire de celui du père. Elle soulève les mêmes doutes et doit être tranchée de la même manière : mais on le remarquera, la lex emendata offre une variante très remarquable. Elle met les sorores patris en première ligne, par préférence aux sorores matris, tandis que dans tous les autres textes, les sorores matris sont mises en première ligne et qu'à leur défaut seulement viennent les sorores patris : si hæ non exstiterint, sorores patris. Il faut sans hésiter admettre un changement dans la législation. A l'époque de la rédaction de la loi salique, on avait encore subi l'influence de ces vieilles coutumes qui préféraient, tout au moins en ligne collatérale, la parenté par les femmes à la parenté par les hommes. Dans la lex emendata, ce système jusqu'alors conservé seulement pour le degré des oncles et des tantes, est considéré comme une anomalie et on le fait disparaître. En conséquence, les tantes et a fortiori les oncles paternels viennent d'abord et en concours à la succession ; à leur défaut seulement sont appelés les oncles et les tantes maternels[78].

A défaut des oncles et des tantes paternels ou maternels, viennent les collatéraux plus éloignés. Mais ces collatéraux, tous les textes de la loi salique semblent les appeler en bloc ; tout au moins ils ne les mentionnent que d'une manière vague et générale. Sur un seul point on constate une divergence importante. Certains textes appellent les plus proches parents ex patre, ex paterno genere, ex paterna generatione, tandis que d'autres font venir les plus proches des deux branches, de illis generationibus proximiores. Le texte de la lex emendata préfère la première version. Ces changements de rédaction impliquent bien certainement aussi un changement dans le droit. On a commencé par appeler les collatéraux les plus proches d'après leur degré, sans distinguer entre la ligne paternelle et la ligne maternelle. Puis ensuite il n'a plus été question que de la ligne paternelle, l'autre ligne a été exclue. C'est une conséquence des mœurs qui tendaient sans cesse à fortifier davantage la parenté par les mâles et à assurer la conservation des biens dans les familles.

Nous avons vu à quel degré s'arrêtent les successions en ligne collatérale. Le titre 46, § 2 de la loi salique limite au sixième degré la capacité pour percevoir le reipus. Chez les Ripuaires, il n'y avait plus d'héritiers au delà du cinquième degré. La loi des Bavarois étend le droit successoral jusqu'au septième ; mais il n'en est pas qui aille plus loin, et pendant tout le moyen âge, en Allemagne, les limites du droit de succession ont varié, d'après les Miroirs, du sixième au septième degré[79].

A défaut de parents au degré successible et de testament, la succession est dévolue au fisc[80].

 

§ IX. — Les successions des affranchis.

Quant aux successions des affranchis, elles sont soumises à des règles spéciales. On sait qu'il y a lieu de distinguer entre les affranchis selon la loi romaine et les affranchis selon la loi salique. Les premiers sont soumis à la loi romaine, probablement même au point de vue des successions. Quant aux affranchis selon la loi salique, aucun texte de cette loi ne nous apprend comment est réglée leur succession. D'après la loi des Ripuaires, l'affranchi placé sous le mundeburde du roi a pour héritiers ses enfants et, à défaut d'enfants, le fisc[81]. L'esclave sorti, de sa condition et devenu libre n'avait en effet pas de famille devant la loi civile et il était tout naturel qu'à défaut d'enfants le fisc prît sa succession. Lorsque le mundeburde sur un affranchi appartenait à l'Église, celle-ci, selon le droit des Ripuaires, avait droit à la succession de cet affranchi décédé sans enfants[82]. On en a conclu que le patron avait droit à la succession de son affranchi mort sans postérité lorsqu'il s'était réservé le mundeburde sur cet affranchi ; mais aucun texte ne confirme cette conjecture[83]. On a aussi prétendu que le droit des Ripuaires était celui de la loi salique. Mais cette nouvelle conjecture paraît démentie par certains textes. Il résulte d'une formule parvenue jusqu'à nous que les affranchis soumis à la loi salique avaient nécessairement le fisc pour héritier ab intestat, même s'ils laissaient des enfants. Pour prévenir ce résultat, ces affranchis prenaient la précaution de remettre, de leur vivant, leurs biens à des tiers qui étaient chargés de les restituer aux enfants de ces affranchis lorsque ceux-ci mouraient intestat. Mais en fait, ces tiers étaient souvent de mauvaise foi et gardaient ces biens au lieu de les rendre. Pour se mettre à l'abri de ce danger, certains affranchis obtenaient de l'empereur un bénéfice en vertu duquel ils avaient leurs enfants comme héritiers ab intestat[84]. Ce fait prouve bien manifestement que d'après la loi salique les affranchis n'avaient jamais d'autre héritier que le fisc. Il n'est pas inutile non plus de rappeler que, fort souvent, la loi des Ripuaires a eu pour objet de relever des particularités qui s'éloignaient du droit salique. Si cette loi a eu soin de dire que les enfants d'un affranchi sont ses héritiers, c'est peut-être précisément parce que le droit des Saliens consacrait une règle contraire.

Le fisc, c'est-à-dire le roi, venait à la succession d'un affranchi, soit en vertu du mundeburde, soit parce que ces biens étaient considérés comme vacants. Cette distinction n'est pourtant pas sans intérêt. En effet, lorsque le mundeburde n'appartient pas au roi, le fisc ne vient alors prendre les biens comme vacants qu'à défaut du patron au profit duquel existe le mundeburde, en supposant, contrairement à notre avis, que cette réserve lui ait conféré un droit de succession.

Quant au droit de succession qui ne dérive pas de la parenté ou de l'affranchissement, on ne peut guère relever que dans certaines lois barbares un droit de succession au profit du mari sur les biens de sa femme[85]. Par réciprocité, la loi des Visigoths admet aussi un droit de succession au profit de la femme sur les biens de son mari[86].

 

§ X. — Règles de la succession de droit commun entre héritiers.

Lorsque plusieurs héritiers étaient appelés à la succession, il y avait lieu de procéder au partage entre eux. La loi salique ne parle pas de ce partage, mais plusieurs formules nous en donnent des exemples. Ces partages pouvaient se faire à l'amiable, et dans ce cas, on en dressait autant de copies qu'il y avait de copartageants[87]. Parfois les cohéritiers ne pouvaient pas s'entendre et alors ils s'adressaient à la juridiction dont ils relevaient. Une formule de Marculfe nous montre deux cohéritiers qui s'adressent au roi pour procéder au partage et le prince donne mandat à un personnage illustre de faire ce partage[88]. Il est probable que si la difficulté s'était présentée entre personnes relevant du comte, celui-ci aurait été saisi de la contestation.

La succession comprenait naturellement tous les biens du défunt et toutes ses dettes. Seulement, s'il existait des bona aviatica, les choses se passaient comme s'il s'était agi de deux successions différentes. La loi des Thuringiens met dans la succession de la terre là vengeance du meurtre d'un parent et le prix de ce meurtre[89]. Il est bien possible qu'il en ait été de même dans la loi salique. Tout ce que nous savons, c'est que d'après le titre 60 de cette loi, l'homme qui se retire de la parenté renonce à la fois à la faida, à la compositio et à l'hæreditas.

On ignore d'ailleurs si chez les Saliens celui qui ne voulait pas prendre la succession devait renoncer à toute la parenté ou s'il lui suffisait de renoncer à la succession. La première solution paraît plus probable, mais il semble bien que la seconde était seule admise par la loi des Ripuaires, car cette loi ne contient pas de titre sur la renonciation à la parenté, pas plus que sur la chrene cruda[90]. Elle nous apprend, en outre, que tout héritier autre que les fils ou les filles du défunt, qui a appréhendé la succession, fût-ce seulement jusqu'à concurrence d'un sou, est tenu de toutes les dettes[91].

Les principes relatifs à l'obligation de l'héritier de payer les dettes du défunt, étaient très variés dans le droit barbare. La loi des Ripuaires voulait que l'héritier fût tenu des dettes sans limite, qu'il s'agît de l'héritier ab intestat ou de l'héritier testamentaire institué à défaut de descendants[92]. Mais les autres lois préfèrent en général décider que si le passif dépasse l'actif, l'héritier peut se libérer de toute obligation en faisant cession des biens de la succession[93]. Nous ne possédons pas de renseignements précis sur le droit salien. On ne sait pas en particulier si celui qui héritait de la terre salique devait contribuer au paiement des dettes avec l'héritier ordinaire.

La négative semble préférable. En effet, nous verrons que les immeubles étaient insaisissables, même entre les mains du débiteur. Dès lors on ne voit pas comment le créancier aurait pu se faire payer par l'héritier des immeubles, à moins de donner action sur les meubles propres de l'héritier. Ce qui est certain, c'est qu'au moyen âge, en France, dans nos coutumes et même en Angleterre jusqu'en 1833, l'héritier des immeubles n'était pas tenu des dettes[94]. Mais ce principe avait-il été emprunté au droit féodal ou ne remontait-il pas plutôt à d'anciens usages germaniques ? Cette seconde conjecture paraît la plus vraisemblable.

Il semble plus certain que déjà, dans ces temps reculés, l'héritier est de plein droit saisi de la succession sans qu'aucun acte d'acceptation fût nécessaire. Il est saisi légalement et possède de plein droit tous les biens du défunt sans qu'aucun acte spécial de possession ou autre lui soit imposé[95]. De là est venu en Allemagne le proverbe : Der Todt erbt den Lebendigen, le mort saisit le vif[96].

 

§ XI. — Dérogations au droit commun des successions par la volonté du roi.

Les principes ordinaires sur la dévolution des successions étaient quelquefois écartés par des décisions ou ordres du roi. Les particuliers s'adressaient au roi ou à l'empereur pour obtenir, à leur profit, une dérogation au droit commun. Il semble même qu'on ait abusé de ces demandes et que le pouvoir royal ait cherché lui-même à se mettre en garde contre ces actes de faiblesse. Un édit de 560 défendit aux juges de tenir compte de ces præceptiones qui dérogeaient au droit commun des successions et l'édit de Clotaire II de 615 (chap. 8), renouvela cette interdiction. Mais il est douteux que ces prescriptions aient jamais été rigoureusement observées. Dans tous les cas, il semble bien que le prince ait toujours pu déroger au droit commun des successions lorsqu'il le faisait à ses propres dépens. Par exemple, il accordait à un affranchi le droit d'avoir ses enfants comme héritiers ; par cette décision, l'empereur ne nuisait qu'aux intérêts du fisc[97].

 

§ XII. — Dérogations provenant de la volonté directe des particuliers. - Testaments.

Les particuliers pouvaient d'ailleurs déroger eux-mêmes au droit commun des successions par le moyen des libéralités. Nous avons vu que chez les Germains le testament était complètement inconnu. Tacite est formel à cet égard. Mais le testament s'introduisit très rapidement parmi les Barbares sous l'influence du droit romain et surtout sous celle de l'Eglise. Celle-ci s'attache à répandre les testaments qui devinrent pour elle une source de profits considérables. Elle se servit même des armes spirituelles pour assurer l'exécution des dispositions de dernière volonté faites en sa faveur. On le lui a même assez souvent reproché[98]. De nombreux conciles frappèrent de l'excommunication les héritiers qui n'exécutaient pas les dispositions testamentaires faites au profit d'une église, d'un monastère ou d'un pontife[99].

La loi salique, celle des Ripuaires, celle des Lombards, ne mentionnent pas le testament ; mais il est question dans la loi salique d'une véritable institution d'héritier entre-vifs. Les lois des Saxons et celles des Frisons semblent conserver l'ancien principe dans toute sa pureté : elles ne parlent pas d'institution d'héritier, pas plus sous forme d'acte entre-vifs que par testament. Toutefois les libéralités par acte de dernière volonté apparaissent déjà dans les lois des Alamans, des Bavarois et des Burgondes. Quant à la loi des Visigoths, c'est elle, on le sait, qui a le plus directement subi l'influence du droit romain et de l'Église. Aussi le testament y fonctionne-t-il tel que l'avait consacré le droit romain[100]. Il ne faut pas oublier que par suite de l'adoption du système des lois personnelles, le testament ne cessa jamais d'être en usage parmi les Romains, c'est-à-dire les Gaulois. Ainsi le Bréviaire d'Alaric parle à chaque instant des testaments. II en est également question dans le Papien (tit. 45). L'édit de Théodoric permet le testament non seulement aux sujets romains, mais encore aux Barbares[101]. Aussi n'est-il pas téméraire de conjecturer que les testaments restèrent très fréquents dans le midi de la Gaule, comme on en a de nombreux exemples dès le cinquième siècle et qu'ils ne cessèrent même pas d'être en usage au nord de la Loire[102]. Les recueils de formules nous donnent de nombreux exemples de testaments[103]. Ces formules nous montrent bien que ces testaments ont été introduits sous l'influence du droit romain et de l'Église ; le plus souvent elles font allusion à des libéralités faites à l'Église. Au temps de Charlemagne, le testament était devenu d'un usage si fréquent par toute la France, que le moine Alcuin voulant définir le jour de la mort dans une conférence avec l'un des fils de l'empereur, l'appela, la confirmation des testaments[104].

Le testament offrait en effet l'avantage d'être un acte essentiellement révocable. Il pouvait contenir des institutions d'héritier, des exhérédations et des libéralités à titre de particulier[105]. On avait en outre l'habitude d'y rappeler les libéralités entre-vifs et les testaments qu'on avait faits autrefois, comme pour les confirmer[106]. Enfin il contenait des formules d'imprécation contre ceux qui ne s'y seraient pas soumis[107].

Il semble qu'il ait existé deux formes principales du testament : on pouvait manifester ses dernières volontés en suivant la forme romaine ou en les adaptant aux modes de transmission du droit germanique. Dans le premier cas, le testament était dressé en présence d'un certain nombre de témoins qui le signaient avec le testateur ; assez souvent la rédaction se faisait dans une église ou devant les autorités municipales[108]. Dans le second cas, le testateur rédigeait ses dernières volontés par écrit et ensuite il livrait fictivement son patrimoine per cartulam sive per festucam atque per andelangum[109].

Il ne faudrait pas voir dans cette forme du testament une application de l'affatomie ou adoption in hæredem. Le testament était une institution romaine à laquelle on avait appliqué les formes germaniques. L'affatomie était une institution germanique pour le fond et pour la forme. Elle avait pour objet d'instituer un héritier par acte entre-vifs. Les princes recouraient parfois à cette solennité pour choisir leurs successeurs. Mais en pareil cas, cette institution d'héritier se faisait encore avec plus de pompe que d'habitude ; elle avait lieu par les armes. Gontran adopta Childebert son neveu, en lui donnant solennellement un javelot[110]. Théodoric roi des Ostrogoths, choisit de la même manière comme successeur Odoacre, roi des Hérules[111].

Quant à l'adoption in hæredem faite par un simple particulier, la loi salique nous donne une description complète et curieuse de ce contrat dans le titre 48, intitulé De affatomiæ. Le tunginus, porte ce texte, ou le centenier indique l'assemblée de justice, et y parait tenant le bouclier. — Le donataire jette un rameau dans le sein de celui qu'il veut gratifier, et en le jetant ainsi, il déclare combien il veut donner de sa fortune. — Le donataire se rend dans l'habitation du donateur ; il y reçoit trois hôtes, et en présence de témoins il prend possession de tout ce qui lui a été donné. — Plus tard en présence du roi ou dans un mall légitime, il rend (par le jet du rameau) la chose au donateur ; et, avant l'expiration des douze mois, celui qui a été désigné pour héritier doit encore, en assemblée judiciaire, recevoir la branche dans son sein, sans qu'il y ait ni plus ni moins dans la seconde donation. Si un jour il y a contestation, trois témoins assermentés doivent dire qu'ils ont assisté au mail indiqué par le chef ; qu'ils ont vu cet homme, qui a donné sa fortune, jeter le rameau dans le sein de celui qu'il avait choisi : ils doivent nommer celui qui a jeté sa fortune dans le sein de l'élu ; ils doivent nommer également celui qui a reçu la branche, et que le donateur a appelé son héritier, et hæredem appellavit. — Trois autres témoins assermentés doivent dire que le donataire a demeuré dans la maison du donateur, qu'il y a réuni trois hôtes, qu'ils ont mangé à sa table, et qu'en leur présence ils lui ont rendu grâce. — Enfin trois témoins encore doivent déclarer, sous serment, que dans le mall légitime ou devant le roi, l'homme qui avait reçu le rameau en assemblée publique l'avait en présence de tous jeté dans le sein de celui qu'il avait appelé héritier. Et toutes ces choses doivent être ainsi affirmées par neuf témoins.

On le voit, il s'agit bien d'une institution d'héritier par contrat. Elle se fait solennellement, en présence du roi ou du comte ou du centenier (sous Charlemagne, d'un missus dominicus) et d'un certain nombre de témoins. L'institué entre en possession effective de l'hérédité, mais il la rend ensuite au testateur. Le mot affatomie employé pour désigner cette institution d'héritier entre-vifs a beaucoup exercé la sagacité des philologues : il semble bien signifier tradition solennelle[112]. On rencontre dans le droit lombard une institution tout à fait semblable, de rebus suis judicare[113] ; elle consiste à andegawere ou à rigavere, c'est-à-dire à mettre d'une manière solennelle la succession entre les mains de l'héritier conventionnel qui l'accepte devant le juge et en présence de témoins[114]. Cette libéralité porte aussi le nom de thinx dans les lois lombardes qui, sur ce point, présentent de nombreuses analogies avec les dispositions des lois salique et ripuaire consacrées à l'affatomie. Aussi a-t-on parfois complété celles-ci par celles-là. Par exemple, la loi des Ripuaires et la loi lombarde ne permettent l'institution d'héritier entre-vifs qu'aux personnes sans enfants ; tel était bien probablement aussi le droit salien[115]. Les lois lombardes interdisent à celui qui a institué un héritier par contrat de disposer de son patrimoine aux dépens de cet héritier. Il ne peut plus aliéner qu'en cas de nécessité et même alors il doit au préalable offrir le bien à son héritier conventionnel[116]. Mais d'un autre côté, cependant, le disposant peut retirer le bénéfice de la libéralité à l'institué si celui-ci se met dans un cas où il est permis d'exhéréder son descendant[117]. D'ailleurs, l'institué n'entre en possession définitive qu'à la mort du disposant et il est alors tenu des dettes comme tout autre héritier[118].

Il ne faut pas confondre avec cette affatomie l'adoption in filium. Il s'agissait là d'une adoption ordinaire, empruntée au droit romain ; il n'en est pas question dans les lois barbares, mais seulement dans certaines formules et peut-être cette adoption, tout au moins à l'origine, était-elle à l'usage exclusif des Romains[119]. Elle exigeait le consentement du père naturel et celui de l'adopté. On la faisait en présence de la curie. L'adopté entrait dans la famille de l'adoptant qui était tenu à son égard des devoirs du père, sous peine d'être déclaré déchu du bénéfice du contrat.

Le contrat d'affatomie pouvait être passé entre époux. Souvent deux conjoints s'instituaient héritiers réciproques soit en cette forme, soit sous celle d'un testament ordinaire. Mais lorsque l'affatomie intervenait dans ces circonstances, de plein droit l'époux survivant n'acquérait que l'usufruit de la fortune du prédécédé et celle-ci retournait ensuite aux héritiers naturels à la mort du survivant. Ce qui était de droit commun entre époux, était également permis entre toutes autres personnes qui s'instituaient réciproquement héritières, mais il fallait alors une stipulation formelle pour que le droit du survivant fût limité à un usufruit[120].

On trouve dans le droit des Burgondes une disposition qui paraît leur avoir été propre. Le père, par un acte entre-vifs, partageait sa succession entre lui et ses enfants. Mais il fallait que les parts fussent égales entre les descendants. Par l'effet de ce partage, les fils acquéraient plus de droits que les héritiers présomptifs, car ils obtenaient directement leur part et pouvaient en disposer librement. Il s'agissait donc, comme nous dirions aujourd'hui, d'un véritable partage d'ascendant entre-vifs. Mais en vertu de cet acte, le père acquérait le droit de disposer librement de la part qu'il s'était réservée. Ses enfants ne pouvaient pas, après sa mort, critiquer les libéralités qu'il avait faites sur ces biens. Il paraît que des contrats de ce genre intervenaient souvent entre des fils et leur père lorsque celui-ci voulait se remarier ; il avait alors les enfants du second lit pour seuls héritiers de la part qu'il s'était réservée[121].

 

§ XIII. — Donations.

Quant aux donations entre-vifs, elles étaient très fréquentes à cette époque, mais elles n'exigent aucune mention particulière. Elles se faisaient dans la forme des contrats ou des translations de propriété et pouvaient porter aussi bien sur des immeubles que sur des meubles. Fort souvent le donateur d'immeubles se réservait l'usufruit, sa vie durant, et alors il conservait ordinairement les biens à titre de précaire ou de bénéfice.

Il va sans dire que les Romains continuaient à faire des donations, suivant les formes de leur droit, notamment en présence de témoins et par insinuation ; les Barbares faisaient des donations per chartam sive per festucam atque per andelangum[122]. Suivant les usages du temps, les actes de donation étaient accompagnés de clauses pénales rigoureuses et de menaces d'excommunication contre ceux qui ne les respecteraient pas[123].

 

§ XIV. — Causes des libéralités testamentaires ou entre vifs.

Il va sans dire que chez les Francs les libéralités testamentaires ou entre-vifs étaient faites, comme chez tous les peuples, par les motifs les plus divers. Mais il n'est pas sans intérêt de relever ceux qui touchent directement aux institutions du temps. Le plus souvent les donations et les legs avaient lieu sous l'influence de l'Église, pro peccatis nostris, pro redemptione animarum, etc. Cette cause reparaît à chaque instant dans tous les recueils de formules et dans les testaments de l'époque parvenus jusqu'à nous.

D'autres fois, la libéralité a pour objet de déroger à la succession ab intestat, parce qu'elle est considérée comme contraire aux affections naturelles. Ainsi nous savons par une célèbre formule de Marculfe, que parfois un père appelait sa fille en concours avec ses fils sur la terre salique ; cette formule qualifie l'exclusion de la fille de diuturna sed impia consuetudo[124]. De même d'autres fois le père sachant que d'après la loi des successions ab intestat, les petits-fils d'un fils (ou d'une fille) prédécédé, ne pourront pas venir par représentation de leur père, en concours avec ses autres fils, institue ses petits-fils pour les appeler à sa succession[125]. Dans ces deux cas, comme on le voit, la libéralité a pour objet un véritable rappel à succession. De même encore, par l'usage des donations et des testaments, les époux réparaient l'oubli des lois civiles qui n'admettaient pas de droits de succession entre mari et femme. Dans d'autres circonstances, la libéralité avait pour objet d'assurer la conservation des biens dans les familles. Ainsi la loi lombarde de Rotharis ne se borne pas à décider que les filles sont exclues par les fils ; elle ajoute en outre que toute fille dotée est, par cela même, exclue de la succession paternelle, de telle sorte que la succession se partagera seulement entre les filles non mariées restées in casa patris[126]. Les autres lois barbares sont muettes sur cette question, mais on verra plus tard le droit coutumier prononcer l'exclusion de la succession paternelle contre les filles dotées.

Dans d'autres circonstances, la libéralité entre-vifs ou testamentaire a pour objet d'attribuer à un héritier, pour une cause ou pour une autre, et par exemple à raison de services rendus, une part supérieure à celle que lui reconnaît la loi ; les libéralités par préciput rentrent évidemment dans cette catégorie[127] et les formules nous en donnent quelques exemples, soit directs, soit indirects. Une formule de Marculfe nous apprend que le père a le droit de déclarer, dans une donation faite à l'un de ses enfants, qu'elle aura lieu extra partem[128]. Dans la formule où un aïeul rappelle ses petits-fils d'un fils prédécédé à sa succession, pour les faire venir en concours avec ses autres fils, il déclare qu'ils devront imputer, sur leur part héréditaire, ce que leur mère avait autrefois reçu de lui[129]. Quelques textes de loi nous parlent même d'un véritable préciput légal ou, en d'autres termes, de libéralités dispensées du rapport. Ainsi, d'après le titre 14 des Capita extravagantia de la loi salique, lorsqu'un père donne quelqu'objet à sa fille en la mariant, celle-ci peut plus tard venir à sa succession, tout en laissant les objets de cette libéralité extra partem. Il en était de même de la libéralité faite par un père à son fils dans la fête de famille qu'on appelait la coupe des cheveux, capillatoriæ. Il est probable que ces libéralités étaient peu importantes ; elles dépendaient de la fortune du père et comme elles étaient faites à presque tous les enfants, elles ne rompaient pas à vrai dire l'égalité entre eux.

Mais cette faculté de disposer à titre gratuit au profit de quelques-uns des héritiers, ou même au profit d'étrangers, comportait-elle des limites[130] ? Fort souvent, les auteurs ont été portés à admettre, d'une manière générale, l'existence d'une réserve chez les Barbares au profit de certains héritiers, le plus souvent au profit des descendants. Pour éviter toute chance de confusion et d'erreur, il est essentiel de distinguer entre les lois des Romains et celles des Barbares, puis de mettre à part, parmi ces dernières, celles qui ont été faites à l'usage des Romains. Il est évident qu'à l'époque où les Germains ne connaissaient pas le testament, toute la succession était par cela même indisponible à cause de mort. Elle était nécessairement réservée aux héritiers ab intestat. C'était le système absolument inverse de celui qu'avait proclamé la loi des Douze Tables dans cette formule célèbre : Uti paterfamilias super pecunia tutelave legassit, ita jus esto. Mais dans la suite, sous l'influence des jurisconsultes, cette liberté absolue de tester fut restreinte : certains parents eurent droit à une légitime et toutes les fois qu'on ne la leur avait pas accordée, ils pouvaient attaquer le testament à l'aide de la querela inofficiosi testamenti, s'ils n'avaient aucun autre moyen de venir à la succession. Ces parents légitimaires étaient les descendants, les ascendants, les frères et sœurs, mais ces derniers seulement si on leur avait préféré des personnes viles.

Il va sans dire que les Romains restèrent soumis à cette loi, à moins qu'il n'y eût été dérogé par un des codes faits à leur usage. Le Papien, tit. 1er, permit au testateur de disposer des trois quarts de sa fortune ; mais le surplus dut être réservé à ses descendants ; c'est la légitime que l'on appelle Falcidie dans les lois de cette époque. L'Édit de Théodoric et le Bréviaire d'Alaric veulent aussi que les testaments soient nuls si les descendants n'ont pas reçu leur quarte falcidie. Ils accordent aussi à la mère omise la querela inofficiosi testamenti ; mais les frères et sœurs en sont privés[131]. On remarquera que dans ces lois romaines des Barbares, les applications de la réserve ont été sérieusement restreintes. Ces modifications ont été très probablement introduites sous l'influence des clercs : la réserve était une gêne apportée à la liberté des testaments et c'était surtout l'Église qui profitait de cette liberté.

On ne s'explique pas autrement un second fait qui, au premier abord, peut paraître extraordinaire. Il semble qu'en acceptant le testament, les Barbares auraient dû l'adopter avec les restrictions que comportait déjà en droit romain la liberté de disposer. Cela eût été d'autant plus naturel, que ces restrictions étaient conformes au principe de la copropriété familiale et qu'elles assuraient la conservation des biens dans les familles. Il n'en est cependant rien et les lois barbares ont passé d'un régime absolu d'indisponibilité à un régime souvent absolu de liberté. Auparavant l'absence de testament faisait de la succession tout entière une véritable réserve ; désormais cette réserve disparut presque complètement. Ce changement s'est bien certainement accompli, lui aussi, sous l'influence de l'Église : celle-ci a fait adopter le testament, mais elle a eu le soin d'en écarter les dispositions qui limitaient la liberté testamentaire, parce qu'elles étaient de nature à empêcher un grand nombre de libéralités à son profit.

Elle ne parvint cependant pas à faire adopter par certaines lois la liberté absolue de disposer aux dépens des enfants. Il ne fut plus question de légitime au profit des ascendants, au profit des frères et sœurs, mais dans certaines lois le défunt dut toujours laisser une partie de sa fortune à ses descendants. C'est qu'en effet, sur ce point, les usages germaniques étaient, dans une certaine mesure, conformes aux lois romaines ; l'Église essaya peut-être de combattre les uns et les autres, mais en général elle ne put pas triompher. Exhéréder entièrement ses enfants, c'eût été, par cela même, prendre un étranger pour héritier. Or, entre-vifs, cette institution d'héritier sous forme d'adoption, affatomie, n'était permise qu'aux personnes sans enfants ; c'est ce que dit formellement la loi des Ripuaires (tit. 48) et ce que suppose la loi salique (tit. 46). Était-il possible de permettre par testament ce qui était interdit entre-vifs ? Sans doute les libéralités testamentaires étaient autorisées et c'était déjà beaucoup, mais sous la restriction qu'elles ne pourraient pas écarter les descendants de la succession.

Cependant l'Église parvint, dans certaines lois, à supprimer ou tout au moins à restreindre, la légitime des enfants, lorsqu'il s'agissait de libéralités faites à son profit. La loi des Visigoths est celle qui a le plus directement subi l'influence romaine. Elle proclame la liberté testamentaire pour celui qui n'a pas de descendants ; s'il y a des enfants, le père peut disposer d'un tiers en faveur de l'un d'eux (meliorare filium) et en outre, d'un cinquième en faveur d'un étranger ou de l'Église[132]. Toutefois le père a le droit d'exhéréder complètement son descendant indigne de lui succéder, comme il peut aussi le rappeler à succession s'il est venu à résipiscence[133]. D'ailleurs la loi des Visigoths n'établit aucune faveur spéciale au profit du fisc.

Lei lois lombardes s'occupent avec beaucoup de détails des libéralités préciputaires qui peuvent être faites au profit d'un descendant. Un fils peut obtenir à ce titre une seconde part. Le même avantage est permis au profit de la fille s'il n'y a pas de fils et en outre, les filles non mariées peuvent être appelées à un quart des biens concurremment avec les enfants mâles[134]. Quant à la quotité disponible au profit des étrangers, elle n'est fixée que pour le cas où le défunt laisse des filles : elle est des deux tiers en présence d'une seule fille et d'une moitié en présence de deux[135]. La loi garde le silence pour le cas où il existerait des fils. Il semble bien dès lors que toute la fortune leur soit réservée. Ce qui est certain, c'est qu'il n'y a, pas plus que dans la loi des Visigoths ; d'autres réservataires que les descendants. Comme celle-ci, la loi lombarde de Rotharis permet aussi d'exhéréder les enfants indignes de succéder[136]. Mais les lois lombardes sont bien plus favorables à l'Église que celles des Visigoths : elles ordonnent aux héritiers de respecter les dons faits aux loca venerabilia sans aucune restriction. Il semble bien dès lors, que la réserve n'existait pas au profit des descendants vis-à-vis de l'Église[137].

La loi des Burgondes porte que si un père a donné tous ses biens à un étranger, sans laisser à ses enfants la portio debita, la libéralité est nulle pour le tout. Mais la loi ajoutant que le père peut donner librement ses acquêts, on admet généralement que la réserve porte seulement sur les biens de famille[138]. Dans tous les cas, il est certain que le droit de donner les acquêts est illimité au profit de l'Église[139]. D'ailleurs, la loi bourguignonne ne dit rien de l'exhérédation. Le même silence est gardé par la plupart des lois germaniques ; la loi des Alamans seule permet l'exhérédation contre l'enfant qui s'est rendu indigne de sa famille. Cette même loi a soin de n'établir aucune limite aux libéralités faites en faveur des églises. En pareil cas donc, l'enfant peut être exhérédé sans cause légitime[140]. La même faveur reparaît dans la loi des Saxons. Cette loi interdit le testament et sous ce rapport, on peut dire qu'elle a, mieux que toute autre, conservé les vieilles traditions germaniques. La défense du testament entraîne tout naturellement l'impossibilité d'exhéréder ; mais, par exception, la loi des Saxons permet le testament et autorise formellement l'exhérédation des enfants si la libéralité est faite en faveur du roi ou de l'Église[141].

De toutes les lois barbares, celle des Saliens et celle des Ripuaires sont peut-être les plus incomplètes sur ces questions. Elles ne contiennent aucune disposition relative aux libéralités pieuses ; elles ne disent rien de l'exhérédation. La loi salique est même muette sur le droit des enfants à une réserve. Elle ne parle même pas de testament. La loi des Ripuaires contient seule deux dispositions précises : la première interdit, comme nous l'avons vu, l'adoption in hæredem à ceux qui ont des enfants ; la seconde fixe la réserve des enfants à une légitime minima de douze sous[142]. M. Pardessus conjecture que cette réserve a été plus tard augmentée, mais il ne peut citer aucun texte en sa faveur. Le silence de la loi salique ouvre encore plus largement la porte aux conjectures. Il n'est pas possible de soutenir que les Francs saliens soient restés étrangers aux testaments ; mais lorsqu'ils l'ont adopté, ont-ils continué à considérer la succession comme une réserve au profit des descendants, de sorte que le testament aurait été seulement permis à défaut d'enfants ? Ou bien se sont-ils prononcés pour la liberté absolue de tester ? Ou enfin avait-on admis au profit des enfants la légitime du droit romain ? Il est impossible de donner une solution certaine. Sans doute, quelques chartes ou formules parlent de dispositions portant sur tous les biens, mais il est possible qu'elles aient été faites par des personnes sans enfants. D'autres formules mentionnent la Falcidie dans des termes assez vagues, mais n'ont-elles pas été écrites pour des Romains et non pour des Francs[143] ? Ce qui est certain, c'est que dans les actes de donations faites à des étrangers ou à des églises, le gratifiant avait le soin d'insérer des clauses pénales pour en garantir l'exécution. Mais ces clauses pénales n'avaient pas pour objet, comme on l'a dit parfois à tort, d'obliger les héritiers à respecter les lois sur la réserve, encore moins d'autoriser le donateur à les violer. Elles étaient insérées dans les donations comme dans tous les autres contrats, par un pur effet de l'usage et étaient dirigées aussi bien contre le donateur lui-même que contre ses héritiers[144].

La législation des capitulaires est également fort incomplète sur ce sujet. Nous savons seulement, par un capitulaire, que si des enfants se plaignent d'avoir été injustement exhérédés par leur père ou par leur mère, ils doivent être entendus et protégés par le juge[145]. Un autre nous apprend que si un héritier ne respecte pas les volontés du testateur, il doit être privé de la succession comme indigne[146].

On a aussi soutenu que certains biens, plus particulièrement les biens de famille, sont indisponibles dans l'intérêt de la perpétuité de la famille. Les auteurs les plus considérables ont pensé que le chef de famille ne peut pas valablement aliéner, d'une manière quelconque, entre-vifs, à titre onéreux ou gratuit, par vente, échange ou donation, sans le consentement ou tout au moins le concours de ses enfants et, à leur défaut, de ses plus proches parents[147]. Mais cette opinion nous paraît inexacte. Il n'est pas, en effet, un seul texte de loi germanique qui parle de cette nécessité du consentement des héritiers présomptifs, même pour l'aliénation des propres. Les textes extraits de formules, de chartes, de diplômes, qui parlent de la présence des héritiers, sont très vagues et peuvent s'entendre d'une assistance destinée seulement à donner plus de solennité à l'aliénation et à en assurer la preuve dans l'avenir[148]. Un seul texte est formel, c'est celui de la loi saxonne : l'aliénation de l'hæreditas n'est permise qu'en cas de nécessité absolue et même en pareil cas, il faut commencer par l'offrir au plus proche parent ; sur son refus au tuteur et à leur défaut seulement, la vente est permise au profit d'une personne quelconque[149].

De ce qui précède, il résulte qu'on ne trouve pas dans le droit germanique ni dans les lois barbares, quoi qu'on ait dit, l'origine certaine du retrait lignager, ni celle des réserves coutumières. Les lois barbares ne contiennent aucune trace de ce droit de préemption des parents qui apparaît seulement au XIe siècle. Il n'y a rien non plus de semblable à la réserve coutumière. On la rapprocherait à tort de la légitime dont parlent la plupart des lois barbares, au profit des descendants, sur toute la succession de leur père ou mère. La réserve coutumière, en effet, ne portait que sur les propres et existait au profit de tous les lignagers. Elle était fondée sur le désir de conserver les biens dans les familles, tandis que la légitime des lois barbares avait pour objet d'assurer le sort des enfants. Ce fait prouve bien que la notion de la copropriété de famille s'était sensiblement affaiblie dans les derniers temps qui suivirent les invasions, et c'est seulement sous l'influence d'une noblesse toute nouvelle qu'elle reparut avec une grande énergie au temps de la décadence des Mérovingiens[150].

 

FIN DE L'OUVRAGE

 

 

 



[1] Édit de Théodoric, chap. 23.

[2] On trouvera dans tous les auteurs qui ont écrit sur le droit romain, l'exposé des différents régimes de succession ab intestat qui ont été en vigueur chez les Romains. Voyez notamment Accarias, Précis de droit romain, II, p. 1 et suivantes.

[3] Tit. 10, §§ 1 et 9.

[4] Voyez à cet égard, Boissonnade, Histoire de la réserve héréditaire, p. 115 et suivantes.

[5] Lex Angliorum et Werinorum, tit. 6, dans Pertz, Leges, V, p. 123.

[6] Loi salique, tit. 59 ; Loi des Ripuaires, t. 56, § 4.

[7] Borétius, Capitularia, p. 8 et 15.

[8] Loi des Burgondes, tit. 14, dans Pertz, Leges, III, p. 538 ; — Loi des Alamans, tit. 51.

[9] Loi de Rotharis, §§ 158 et 159.

[10] Loi de Luitprand, I, 1.

[11] Loi des Saxons, tit. 7.

[12] Ce système parait titre accepté aussi par M. Fustel de Coulanges dans ses Recherches sur quelques problèmes d'histoire, p. 233.

[13] Il semble qu'il soit resté une trace de cette idée ancienne dans la loi des Thuringiens qui porte, tit. 6, § 5 : La vengeance du meurtre d'un parent, le prix de ce meurtre et la terre échoient au même héritier. — De même dans la loi salique, tit. 60, l'homme qui se retire de la parenté renonce à la fois à la faida, à la compositio et à l'hæreditas.

[14] Voyez nos Observations sur la famille et la propriété chez les Germains.

[15] Tacite, Germanie, § 20 : Hæredes tamen successoresque sui cuique liberi : et nullum testamentum. Si liberi non sunt, proximus gradus in possessione fratres, patrui, avunculi.

[16] Même en admettant que sui se rapporte à cuique et non à hæredes, le sens de la phrase n'est pas sérieusement modifié ; Tacite ne donne plus alors aux enfants la qualité d'héritiers siens, mais cette circonstance est sans importance puisqu'on admet d'ailleurs la copropriété de famille chez les Germains.

[17] Dates de rédaction ou de révision des lois barbares.

Loi salique. — Clodion ; Clovis ; Charlemagne (année 763).

Loi des Ripuaires. — Charlemagne, 455-526 ? — Clotaire. — Dagobert Ier, 628-638.

Loi des Bourguignons. — 470 à 516. — Sigismond, 518 à 524.

Loi romaine des Bourguignons. Sous Gondebaud entre 506 et 532.

Loi romaine des Visigoths. — Alaric II, 484 à 507.

Loi des Visigoths. — Sous Récared, 586 à 601. — Chindeswind, 642. — Receswinde, 649 à 672.

Loi des Alamans, 580. — Clotaire II, 613 à 632. — Dagobert Ier, 628 à 638. — Lantfried, 730. — Charlemagne.

Loi des Bavarois. — Clotaire II et Dagobert Ier. — Childebert ler et Clotaire II. — Tassilon II.

Loi lombarde. — De Rotharis, 643 ; de Luitprand, 713 à 735 ; de Ratchis, 745 et 746 — Athaulf, 750 et 755. — Grimoald, 868.

Loi des Frisons. — Entre 734 et 785. — Charlemagne, 785 et 802.

Loi des Saxons. — Charlemagne, 802.

Loi des Francs Chamaves. — Charlemagne, 802.

Loi des Thuringes. — Charlemagne, 812

[18] Voyez Pardessus, Loi salique, p. 33 et 318.

[19] Voyez notamment Marculfe, liv. II, form. 10 et 14. De même on lit dans le tit. 2, chap. I, § 3 de la loi des Bavarois : Ut nullus alodem aut vitam perdat sine capitali crimine, et la suite du texte explique bien notre mot, car elle porte : Et exinde probattu, tunc in ducis sit potestate et vita ipsius et omnes res ejus et patrimonium.

[20] Voyez par exemple Diplomata, 2e édit., t. II, p. 284 et 333.

[21] Qu'il ne puisse pas être question de droit de succession au profit des ascendants chez les Germains, cela s'explique assez facilement. Avec le système de la copropriété de famille, ce droit de succession s'ouvrirait bien rarement. D'un autre côté, le droit successoral des Germains s'inspire de la confraternité des armes et a pour objet de donner la fortune à celui qui peut le mieux la défendre. Or tel n'est pas le cas des ascendants ; aussi leur exclusion continue-t-elle à être très générale dans les lois barbares. H est vrai qu'un édit de Rotharis, roi des Lombards, admet les frères et sœurs en concours avec les ascendants ; mais un édit de Chilpéric Ier, plus conforme à l'esprit du droit antérieur, rappelle que les jeunes doivent toujours être préférés aux vieux.

[22] Tacite, Germanie, § 32.

[23] Loi des Burgondes, t. LI, § 3 : Ornementa quoque et vestimenta matrimonialia ad filius absque ullo fratrum consortio pertinebunt. — Loi des Thuringiens, tit. VI, § 6 : Mater moriens filio terram, mancipia, pecuniam dimittat, filiæ vero spolia colli, id est mureras, nuscas, monilia, inaures, vestes, armillas, vel quidquid ornamenti proprii videbatur habuisse. — Ibid., tit. VII, § 6 : Qui ornementa muliebria, quod rheda dicunt, abstulerit...

Nous verrons que si la loi des Thuringiens conserve les anciens usages pour ces biens sans importance, au contraire quant au régime de la terre, elle est tout à fait pénétrée par l'esprit du droit de Charlemagne.

[24] Loi des Thuringiens, tit. VI, § 5.

[25] Voyez Miroir de Saxe, liv. I, tit. 27, § 1. — Miroir de Souabe, chap. 267. — Rechtsbuch de Dithmar, chap. 221 et 222. — On lit dans l'article 568 de notre Coutume de Bretagne : Les harnois de guerre ne chéent en partage, et doivent demeurer à l'hoir principal des nobles, et l'eslite des chevaux avec leurs harnois. La Coutume du Bourbonnais contient une disposition analogue (301).

[26] Loi des Visigoths, liv. IV, tit. 2, chap. I. et suivants. Ainsi on lit notamment : Si pater vel mater intestati discesserint, tunc sorores cum fratrihus in omni parentum facultate, absque alio objectu, æquali divisione succedant.

[27] Loi des Alamans, liv. II, chap. 94 et Loi de Lothaire, chap. 57, §§ 1 et 2 ; Lois des Bavarois, tit. 14, chap. 8, § 4 ; chap. 9, §§ 1 et 3 ; Loi des Bourguignons, tit. 1, §§ 2 et 3 ; tit. 14, § 63 ; tit. 75, tit. 88 ; Loi de Luitprand, chap. 102.

[28] Voici le texte même de la loi des Thuringiens ; il est essentiel de le rapporter à cause de son importance. I : De alodibus : 1. Hæreditatem defuncti filius, non filia suscipiat. 2. Si filium non habuit qui defunctus est, ad filiam pecunia et mancipia, terra vero ad proximum paternæ generationis consanguineum pertineat. 3. Si autem nec filiam non habuit, soror ejus pecuniam et mancipia, terram proximus paternæ generationis accipiat. 4. Si autem nec filium nec filiam neque sororem habuit sed matrem tantum susperstitem reliquit, quod filia set soror debuerat mater suscipiat, id est pecuniam et mancipia. 5. Quodsi nec filium nec filiam nec sororem aut matrem dimisit superstites, proximus qui fierit paternæ generationis hæres ex toto succedat, tam in pecunia atque mancipiis quota in terra. 6. Ad quemcumque hæreditas terræ pervenit, ad ilium vestis bellica, id est lorica, et ultio proxima et solutio leudis debet pertinere. 7. Mater moriens filio terram, mancipia, pecuniam dimittat, filiæ vero spolia colli, id est murenas, nuxas, monilia, inaures, vestes, armillas vel quiquid ornamenti proprii videbatur habuisse. 8. Si nec filium nec filiam habuerit, sororem vero habuerit, sorori pecuniam et mancipia, proximo vero paterni generis terram relinquat. 9. Usque ad quintam generationem paterna generatio succedat ; post quintam autem filia ex toto, sive de patrie sive mattis parte, in hæreditatem succedat, et tunc demum hæreditas ad jusum e lancea transeat.

[29] Voyez notamment Fustel de Coulanges, Recherches sur quelques problèmes d'histoire, p. 245. On trouvera ces deux textes dans Borétius, Capitularia, p. 8 et 15.

[30] Marculfe, liv. II, form. 12.

[31] Voyez Chronique de Frésinge, IV, 32, dans Dom Bouquet.

[32] Chap. 10 : De illo vero et convenit singulis, de terras istas qui si adveniunt ut leodis, qui patri nostri fuerunt, consuetudinem quam habuerunt de hac re, inter se conservare dabeant.

[33] Loi des Burgondes, tit. 14, dans Pertz, Leges, III, p. 538. Loi des Alamans, lit. 57.

[34] Loi de Rotharis, chap. 158 et 159.

[35] Loi de Luitprand, tit. 1, § 1.

[36] Loi des Ripuaires, tit. 56, § 4.

[37] Loi salique, p. 717.

[38] Voici ce qu'on lit dans l'édition d'Hérold, tit. 62, § 6 : De terra vero salica in mulierem nulla portio hæreditatis transit, sed hoc virilis sexus accurit, hoc est filii in ipsa hæreditate succedunt. De même, dans l'édition de Merkel, tit. 59, § 4 : De terra vero nulla in muliere hæreditas est, sed ad virilem sexum, qui fratres fuerint tota terra pertineat.

[39] Voyez Pardessus, Loi salique, p. 318.

[40] Quant à la loi des Ripuaires, le tit. 56, De alodibus, laisse place au doute. Certaines éditions portent : Sed dum virilis sexus exstiterit, femina in hæreditatem aviaticam non succedat. D'autres éditions portent : Sed cum, etc. Ce dernier terme semble limiter l'exclusion des femmes seulement à égalité de degré, tandis que la première formule parait consacrer une exclusion absolue.

[41] Capitul. Lombard de 813, cap. 1, dans Pertz, Leges, I, p. 191.

[42] Voyez Borétius, Capitularia, p. 8. M. Pardessus, Loi salique, 14e dissertation, p. 717, se prononce en faveur de cette opinion, sans toutefois citer, comme argument, l'édit de Chilpéric, qui n'était pas encore édité.

[43] Voir Fustel de Coulanges, Recherches sur quelques problèmes d'histoire, p. 245.

[44] Borétius, Capitularia, p. 8. Voir un commentaire de ce texte par Gierke dans la Zeitschrift für Rechtsgeschichte, t. XII, p. 430.

[45] Marculfe, liv. II,  Formule 10 ; Sirmond, Formule 22 ; Lindenbrog, Formule 55 ; Rozière, Formules 133 et suivantes, p. 170. — Constatons quelques traces du droit de représentation dans les lois lombardes de Grimoald, chap. 5 et dans la loi des Saxons, § 46.

[46] On sait que ce terme est synonyme de succession.

[47] Voyez, par exemple, loi salique, tit. 43, § 7. Grégoire de Tours, liv. 9, § 38. Cf. Ducange, v° Proprium.

[48] Foncemagne a consacré la plus grande partie d'un travail, qu'il a inséré dans les anciens Mémoires de l'Académie des Inscriptions, t. VIII, p. 490 et suivantes, à combattre cette opinion.

[49] Voyez Agathias, dans Bouquet, t. II, p. 71.

[50] On remarquera que, dans notre tableau, nous donnons nécessairement l'indication de tous les parents, sans nous occuper encore de la question de savoir quels sont ceux qui viennent à la succession ; ainsi nous parlons des ascendants qui cependant, pour la plupart, ne sont pas héritiers.

[51] Nos anciennes coutumes admettaient, en matière de succession, la computation germanique et limitaient la dévolution au sixième degré. Les rédacteurs du Code civil ont préféré la computation romaine, mais en arrêtant le droit de succession au douzième degré, ils n'ont pas étendu ce droit, car on aura remarqué que deux degrés de la computation romaine valent un degré de la computation germanique.

[52] On en a une preuve décisive dans le paragraphe 16 du titre 14 de la loi salique qui, à propos de l'interdiction des mariages entre proches parents, décide qu'en cas de violation de cette prohibition, si ceux qui ont contracté ces mariages prohibés filios habuerint, pro legitimis non habeantur. Dans ce texte, le mot filii désigne bien les fils et les filles.

[53] Loi des Visigoths, liv. IV, tit. 2, §§ 1 et 9.

[54] Loi des Burgondes, tit. XIV, § 1. Le paragraphe 5 apporte toutefois une exception. La fille entrée dans un couvent hérite avec ses frères, mais prend une part moins forte.

[55] Tit. LIII, § 3. Les paragraphes 5 et 6 décident même que si une de ces filles meurt sans enfants, la part qu'elle a recueillie dans la succession de sa mère passe à ses autres sœurs, à l'exclusion des frères.

[56] Loi de Rotharis, chap. 181 ; Loi de Luitprand, chap. 3.

[57] Loi des Alamans, tit. 54 et 88 ; Loi des Bavarois, tit. 14, chap. 9 et 10.

[58] Loi des Thuringiens, tit. 6, chap. 1 et 6.

[59] D'ailleurs le texte de la loi salique (tit. 62, § 1), emploie la formule générale : Si quis moriens et la loi Ripuaire dit également (tit. 56, § 1) : Si quis defunctus fuerit.

[60] Germanie, § 32.

[61] Il y a toutefois dans ce capitulaire des dispositions particulières qui nous décident à le rapporter. Lex Alam., Karol. 92 : Si quit mulier, quæ hæreditatem paternam habet, post scriptum prægnans peperit puerum, et in ipsa hora mortua fuerit et infans vivus remanserit aliquanto spatio net unius horæ, ut possit aperire oculus et videre culmen domus et quatuor parietes, et postea defunctus fuerit : hæreditas materna ad patrem ejus pertineat. Eo tamen si testes habet pater ejus, qui vidissent illum infantem oculus aperire et potuisset culmen domus videre et quatuor parieter : tunc pater ejus habeat licentiam cum lege defendere. Sin autem aliter, cujus est proprietas ipse conquirat.

[62] Loi salique, tit. 14, § 16.

[63] Loi de Rotharis, chap. 154, 155, 168, 171 ; Loi de Luitprand, chap. 57 et 156.

[64] Voyez les Form. 54 et 55 de l'appendice de Marculfe qui peut-être n'appartiennent pas à des Francs, car elles ont été rédigées secundum legem romanam.

[65] Loi des Burgondes, tit. 1, § 2 ; tit. 51, § 3 ; tit. 75 ; tit. 78. — Voyez Loi Lombarde de Grimoald, chap. 5 ; Loi des Saxons, § 46.

[66] Borétius, Caputularia, p. 15.

[67] Chilpéric II était en effet roi d'Austrasie.

[68] Marculfe, liv. II, Form. 10 ; Sirmond, Form. 22 ; Lindenbrog, Form. 55 ; Rozière, Form. 133 et suivantes, p. 170.

[69] Loi salique, tit. 62, § 6.

[70] Loi salique, 1er texte de Pardessus.

[71] Loi des Burgondes, tit. 53 et 78.

[72] Voyez par exemple Loi des Visigoths, IV, 2, § 6. Loi des Frisons, XIX, 2. Loi des Alamans, 92. Loi de Rotharis, chap. 170. Loi des Burgondes, chap. 51.

[73] La conjonction sut est souvent employée à cette époque comme synonyme de et, ainsi que cela résulte de nombreux textes. Voyez Pardessus, Loi salique, 14e dissertation, p. 701. D'ailleurs, le tit. 56, § 1 de la Loi des Ripuaires, dit formellement et.

[74] Voyez Loi salique, 1er texte, tit. 59, § 2, dans Pardessus, p. 33 et lex emendata, tit. 72, § 2, p. 318.

[75] Tit. 56, § 2. Voyez aussi Loi des Visigoths, IV, 2, § 8. Loi des Burgondes, XIV, 2, 14, 51, 53, 75, 78. Loi de Rotharis, chap. 158, 159, 160. Loi de Luitprand, chap. 3, 4, 14.

[76] Borétius, Capitularia, p. 15. Toutefois en Allemagne, la représentation fut permise d'assez bonne heure en ligne directe et même en ligne collatérale. Cette question de la représentation au profit des petits-fils s'étant présentée législativement au Xe siècle, l'empereur la fit résoudre au moyen d'un combat judiciaire et le champion de la représentation l'ayant emporté, celle-ci tut admise, tandis qu'en France, au mue siècle, Beaumanoir hésitait encore très sérieusement à se prononcer en sa faveur. Quant à la représentation en ligne collatérale, elle ne fut autorisée que plus tard en Allemagne, sous l'influence du droit romain, d'abord dans les statuts municipaux, et ensuite dans la législation impériale.

[77] Voyez Loi salique, 1er texte, tit. 59, § 3 dans Pardessus, p. 33.

[78] Cette préférence au profit de la parenté maternelle est attestée par Tacite dans sa Germanie pour les neveux et la lex emendata en conserve elle-même une dernière trace dans le titre consacré au reipus où elle laisse subsister l'ancien usage de donner la préférence aux enfants des sœurs sur les enfants des frères.

[79] Loi salique, tit. 44 ; Loi des Ripuaires, tit. 56, § 3 ; Loi des Bavarois, XIX, 9, 4 ; Loi de Rotharis, chap. 153.

[80] Voyez Pardessus, Loi salique, Dissert. 14, p. 704.

[81] Loi des Ripuaires, tit. 57, § 1.

[82] Loi des Ripuaires, tit. 58, § 4.

[83] Le seul texte invoqué est celui de la loi des Ripuaires qui accorde en pareille circonstance des droits de succession à l'Église ; mais il est possible que ce texte ait consacré une faveur et non le droit commun. Dans tous les cas, si le patron a joui de droits de succession sur son affranchi en vertu du mundeburde, il n'en est pas moins certain que de bonne heure ces droits ont disparu, à mesure que se sont effacées les différences qui séparaient les serfs des affranchis et des ingénus. Voyez notamment capitulaire de 803, cap. 10, Pertz, Leges, I, 118.

[84] Rozière, Form. 121, p. 150.

[85] Loi de Rotharis, § 184, 186, 200 ; Loi de Luitprand, §§ 14, 32, 57, 130, 149 ; Loi des Visigoths, liv. IV, tit. 2, § 11.

[86] Loi des Visigoths, liv. IV, tit. 2, § 11.

[87] Voyez Marculfe, liv. II, Form. 14 et appendice, Form. 19 ; Sirmond, Form. 25 ; Mabillon, form. 54 ; Rozière, Form. 122 et s., p. 152 et s. ; Diplomata, 2e édit., t. I, p. 135 et t. II, p. 9.

[88] Marculfe, liv. I, Form. 20. Une charte de 628 contient la confirmation par le roi d'un partage entre héritiers. Diplomata, 2e édit., t. II, p. 2.

[89] Loi des Thuringiens, tit. 6, § 5.

[90] Il est important de constater que plusieurs titres de la loi salique manquent dans la loi des Ripuaires. Cette absence prouve bien qu'il s'agissait d'institutions tombées en désuétude ou repoussées par les Ripuaires. Ces titres de la loi salique qu'on ne retrouve pas dans la loi des Ripuaires sont les suivants : tit. 46, De reipus ; tit. 48, De migrantibus et tit. 47, De eo qui villam alienam occupaverit ; tit. 61, De Chrene cruda ; tit. 63, De eo qui se de parentilia tollere vult. Le titre 70, De eo qui filiam alienam quæsierit et se extraxerit est absent aussi, mais cette dernière disposition a été ajoutée à la loi salique par la révision de Charlemagne.

[91] Loi des Ripuaires, tit. 67, § 1.

[92] Loi des Ripuaires, tit. 67, § 1.

[93] Loi des Burgondes, tit. 65, § 1 ; Loi des Visigoths, V, 6, 6 ; Loi lombarde de Luitprand, VI, 4.

[94] Voyez notamment Touraine, art. 310 ; Anjou, 237 ; Maine, 252 ; Nivernais, tit. 34, art. 4 ; Senlis, art. 141 ; Bourbonnais, 316 ; Mantes, 71 ; Melun, 267 ; Amiens, 90 et 91.

[95] Voyez la loi salique, tit. 60 et la loi des Alamans de Charlemagne, tit. 92.

[96] Voyez Philippe, dans la Zeitschrift für geschichtiche Rechtswissenschaft, VII, p. 1 et suivantes. Reyscher, dans la Zeitschrift für deutschen Recht, V, p. 205.

[97] Rozière, Form.

[98] Voyez sur ce point des détails dans Boissonnade, Histoire de la réserve héréditaire, p. 193 et suivantes.

[99] Concile de Vaizon (Vasense), année 442, canon IV, dans Labbe, t. p. III, p. 1457. Concile d'Orléans (Aurelianense), année 541, canon XIV et XIX, t. V, p. 384. Concile de Reims (Remense), années 625, 630 ; canon X, t. V, p. 1691.

[100] Le mot testamentum ne se trouve pas dans la loi salique. La loi des Ripuaires emploie ce mot, mais comme synonyme d'acte écrit. Voyez par ex. les titres 59, 60 et 67. Au contraire, dans la loi des Burgondes, et dans celle des Bavarois, il s'agit bien sous le nom de testament, de libéralité par acte de dernière volonté. Loi des Burgondes, tit. 43 et 60 ; Loi des Bavarois, tit. 14, § 3. Les lois lombardes admettent bien le principe du testament, mais évitent le mot, peut-être bien à dessein. Loi de Luitprand, liv. I, chap. 6 ; liv. VI, chap. 101.

[101] Chap. 28 et 32.

[102] Voyez à cet égard Savigny, Histoire du droit romain au moyen âge, VI, chap. 9, § 38.

[103] Voyez Rozière, Formules 128 et suivantes, p. 159 et suivantes. — Voyez Grégoire de Tours, liv. IV, § 52. Voyez par exemple dans Rozière, la Formule 197, p. 234.

[104] Guizot, Histoire de la civilisation en France, 22e leçon.

[105] Voyez par exemple Rozière, Form. 129, p. 163.

[106] Rozière, Form. 128, p. 159.

[107] Rozière, Form. 129, p. 163.

[108] Rozière, Form. 128 et suivantes, p. 159.

[109] Rozière, Form. 138, p. 170.

[110] Grégoire de Tours, liv. VII, § 33.

[111] Cassiodore, Epist., IV, 2. — Voir dans les anciens Mémoires de l'Académie des Inscriptions (1747, Hist., t. XXI) une dissertation de M. d'Egly sur l'adoption par les armes.

[112] Voyez à cet égard pour les détails, Pardessus, Loi salique, p. 616 et suivantes ; Rozière, Formules, p. 171 ; Zöpfl, Deutsche Rechtsgeschichte, § 87.

[113] Voyez Luitprand, chap. 5, 101, 102.

[114] Lois de Rotharis, chap. 22i ; Loi lombarde de Charlemagne, chap. 106.

[115] Loi des Ripuaires, tit. 48 ; Loi de Rotharis, chap. 71.

[116] Loi de Rotharis, chap. 173.

[117] Loi de Rotharis, chap. 174.

[118] Loi de Rotharis, chap. 174.

[119] Voyez Rozière, form. 115, 116, 118.

[120] Loi des Ripuaires, tit. 49. Marculfe, liv. I, Form. 7 et 17. D'après la Loi des Bavarois, t. XIV, 9, 3, la veuve survivante acquiert, en vertu d'un pareil contrat, la pleine propriété de la fortune de son mari, mais à la condition de ne pas se remarier.

[121] Lois des Burgondes, tit. I, § 2 ; tit. 24, § 5 ; tit. 51, §§ 1 et 2.

[122] Rozière, Form. 160, p. 209 et Form. 172, p. 220.

[123] Rozière, Form. 160 et s., 172, 169 et s., p. 238.

[124] Marculfe, liv. II, Form. 12 ; Rozière, Form. 136, p. 174.

[125] Marculfe, liv. II, Form. 10 ; Sirmond, Form. 22 ; Lindenbrog, Form. 55 ; Rozière, Form. 131, 132, 133, 134.

[126] Lois de Rotharis, chap. 153 et 181. La loi de Luitprand ne faisait pas cette distinction, et admettait toutes les filles à défaut de fils, sans rechercher si elles étaient ou non mariées on dotées. Loi de Luitprand, liv. I, chap. 1 et 2.

[127] V. Loi de Luitprand, chap. 113 ; Form. de Marculfe, liv. II, Form. 11.

[128] Marculfe, liv. II, form. 11.

[129] Marculfe, liv. II, form. 10 et form. 35 de l'appendice ; Bignon, form. 9 ; Sirmond, form. 22 ; Lindenbrog, form. 57 ; Mabillon, form. 36.

[130] Voyez sur cette question : Zimmerle, Stammgutssystem ; Lewis, De origine facultatis hæredibus in jure germanico concessæ prohibendi alienationem rerum immobilium, Berol., 1852. Voyez un article de Scheider dans la Zeitschrift für Rechtsgeschichte, IX, p. 410. C. Fipper, Das Beispruchsrecht nach altsächsicchen Recht., Breslau, 1879.

[131] Édit de Théodoric, tit. X, § 5 à 7.

[132] Loi des Visigoths, liv. IV, tit. 2, § 20, et liv. 4, tit. 5, § 1.

[133] Loi des Visigoths, liv. IV, tit. 5, § 1.

[134] Loi de Luitprand, liv. VI, chap. 46 et 60.

[135] Loi de Luitprand, liv. VI, chap. II.

[136] Loi de Rotharis, chap. 166 et suivants. Cf. Loi de Luitprand, liv. I, chap. 5.

[137] Loi de Luitprand, liv. VI, chap. 72.

[138] Loi des Burgondes, tit. 51.

[139] Loi des Burgondes, tit. 1, § 1.

[140] Loi des Alamans, tit. 1, §§ 1 et 2.

[141] Loi des Saxons, tit. 16, § 2.

[142] Loi des Ripuaires, tit. 59, § 9.

[143] Rozière, Form. 128 et 147.

[144] Voyez par exemple de Rozière, Form. 167, 172, 199, 201 et suivantes.

[145] Anségise, liv. II, chap. 31.

[146] Anségise, liv. VII, chap. 320.

[147] Voyez Pardessus, Loi salique, p. 721. — Klimrath, t. I, p. 380-383. — Le Huërou, Histoire des institutions carolingiennes, p. 55. — Laboulaye, De la propriété foncière en Occident, p. 172 et Condition des femmes, p. 104-105.

[148] Voyez les textes dans les auteurs précités. Il faut aussi écarter les textes où il s'agit manifestement de la réserve dont nous avons parlé plus haut et nullement de la question qui nous occupe en ce moment. Voyez par exemple Loi des Bavarois, I, 1 ; Loi des Ripuaires, tit. 48.

[149] Loi des Saxons, tit. LXII : Nulli liceat traditionem hæreditatis suæ facere præter ad Ecclesiam vel regi ut heredem suum exhæredem faciat, nisi forte famis necessitate conclus ut ab illo qui hos acceperit sustentetur mancipia liceat illi dare ac vendere. Tit. LXIV : Liber homo qui sub tutela nobilis cujuslibet erat qui jam in exilium missus est, si hæreditatem suam necessitate coactus vendere voluerit, offerat eam primo proxinto suo ; si ille eam emere noluerit, offerat, tutori suo vel ei qui tunc a rege super ipsis res constitutus est ; si nec ille voluerit, vendet eam cuicumque libuerit.

[150] Dans le Miroir de Saxe, lorsqu'un propriétaire aliène sans le consentement de son héritier, celui-ci a le droit d'agir en restitution du vivant même de l'aliénateur. Miroir de Saxe, liv. I, tit. 52, § 1.