HISTOIRE DES CLASSES PRIVILÉGIÉES DANS LES TEMPS ANCIENS

 

CHAPITRE XIV. — Les Marques symboliques de la Noblesse et les noms de famille dans l’antiquité.

 

 

Notre tâche est presque achevée. Nous avons parcouru l’histoire des Classes nobles et privilégiées chez les peuples de l’antiquité. Nous avons surtout, dans leurs institutions, étudié les formes diverses de ce grand fait qui domine le développement de la civilisation. Il nous reste une dernière question à aborder ; ce n’est pas la moins curieuse, mais c’est peut-être la plus difficile à résoudre. Les Sociétés anciennes n’ont pas connus seulement la noblesse personnelle : l’illustration des héros est héréditaire. Pour leurs descendants, et si les grandes actions créent la noblesse des familles nouvelles, la générosité du sang conserve celle des familles anciennes. Nous avons vu que dans la plupart des sociétés la noblesse ne s’était point séparée du privilège : les descendants des Héros, des conquérants, des fondateurs de l’Etat gardaient la première placé dans la cité ; ils y formaient une classe distinguée de la multitude par des prérogatives politiques religieuses et civiles. Mais cette noblesse avait-elle des marques extérieures ? les familles se distinguaient-elles par des signes héréditaires ? Les Nobles, les Eupatrides, les Patriciens se faisaient-ils reconnaître par des marques interdites au plébéien, à l’homme novocaïne, et analogues à ce que nous appelons aujourd’hui le nom et les armes ?

A cette question les réponses sont bien diverses. Presque tous les écrivains qui dans les temps modernes ont recherché les origines du Blason et des Armoiries diffèrent entre eux sur le jugement qu’ils en portent. Les uns veulent faire remonter la science héraldique jusqu’à la création du monde, les autres prétendent que cette science est toute moderne, sans traditions antérieures ; et entre ces deux extrêmes chacun a son système. Nous apportons à notre tour notre solution, ou plutôt, renonçant d’avance à toute conclusion systématique, nous venons, après tant d’autres, étudier cette question. L’intérêt en a vieilli peut-être, mais pour cela même, en l’absence de toute passion et de tout préjugé, nous avancerons plus sûrement. Pour nous il ne s’agit pas de retrouver au Blason une sorte de généalogie qui le rattache aux institutions primitives du monde. Nous ne nous préoccuperons du Blason et de son Histoire que si nous faisons un jour, l’histoire des temps où il est né. Il s’agit ici de terminer notre étude sur les sociétés anciennes. Sans doute certains faits, certaines institutions nous annoncent, nous font prévoir les faits et les institutions de l’avenir (car rien n’est isolé dans le développement de l’humanité). Mais ce serait en altérer et la valeur et la vérité que de prétendre y retrouver tout ce qui a été plus tard. Les choses humaines ne procèdent pas ainsi ; les progrès en sont lents et réguliers, ils suivent des lois que la liberté même de l’homme ne change pas. Chaque chose a sa raison d’être en son temps ; le reporter en un temps qui n’est pas le siens et prétendre qu’elle y a vécu tout entière, c’est ne pas la connaître ou ne plus la comprendre.

Comme nous l’allons déjà dit et prouvé, ce sont des faits que nous cherchons, et non pas un système. Notre méthode reste la même ; nous avons suivi la marche même de l’humanité ; nous allons revenir sur nos pas et interroger sur la question que nous venons de poser chacune des sociétés qui se sont présentées à nous. Nous recueillerons ainsi tous les faits, que nos devanciers ont déjà connus et d’autres qu’ils ont négligés. Mais au lieu de réunir ensemble les souvenirs variés de tant de peuples et de tant d’histoires, nous replacerons chaque fait en son lieu et en son temps ; au lieu de le juger par comparaison avec ce qui n’existera que deux ou trois mille ans après, nous le jugerons en lui-même ne le comparant qu’à ceux dont il est né ou à ceux qu’il a fait naître. Peut-être arriverons-nous ainsi à apprécier plus exactement des traditions qui, jugées trop à la hâte ou avec trop d’indulgence, ont paru autoriser des assertions condamnées aujourd’hui.

I

L’origine des marques symboliques, dont il est certain que les héros et les peuples même ont fait usagé dès les temps les plus reculés, est toute guerrière. Les signes guerriers que nous nommons maintenant armes ou armoiries, dit Wulson de la Colombière, sont aussi anciens que l’antiquité mesme. Car d’abord que les hommes, poussés de l’ambition et de l’envie, se sont voulu assujettir les uns les autres par la force, et qu’ils se sont assemblés sous un chef, pour attaquer et subjuguer ceux qui ont voulu s’opposer à leurs efforts, il n’y a point de doute que les uns et les autres ont peint des animaux et autres figures hiéroglyphiques dans leurs enseignes ; lesquelles leur ont servi de marques et d’armoiries, qui désignaient particulièrement les qualités et le courage de leur chef ou de leur nation, et qui servaient à le faire honorer, distinguer et reconnoistre par les leurs dans la meslée des combats, pour rallier leurs gens plus facilement. Ainsi nous lisons dans les vieux auteurs qu’il ne se trouve point de héros si ancien qui n’ait porté quelque signe guerrier pour marque de vertu, soit sur son bouclier, soit sur son épée ou sur son enseigne[1].

Il ne faut pas cependant accorder aux témoignages des poètes anciens une authenticité historique, à laquelle ils ne prétendent pas. Le plus souvent ils accordent à leurs héros des ornements de fantaisie ; et ces fictions poétiques prouvent seulement qu’au temps où ils écrivaient l’es casques, les cottes d’armes, les boucliers, les bannières portaient des images semblables, et qu’ils en ont attribué l’usage, à des temps plus reculés. Homère, Euripide, Virgile, Ovide, Stace, Silius Italicus, ont usé ainsi de la même licence que les poètes de la Chevalerie moderne, Dante, l’Arioste, le Tasse, Pétrarque. Mais on se tromperait étrangement en s’appuyant sur ces fictions poétiques pour établir que ces signes symboliques et ces ornements guerriers marquaient la noblesse de ceux qui les portaient, distinguaient les familles, se transmettaient par hérédité, étaient soumis à des lois héraldiques. Il n’y a rien de semblable. Certaines marques peuvent être adoptées par un guerrier pour conserver le souvenir de traditions domestiques, pour rappeler une action d’éclat, ou même pour indiquer son origine et sa naissance. Mais c’est l’usage le moins commun, et ce fait même atteste que tout était laissé à la liberté individuelle. D’autres fois un héros pouvait garder de préférence les insignes, adoptés par son père ou par un de ses aïeux ; mais ce n’était là qu’un acte de piété ou de respect, et non l’exercice d’un droit on d’un privilège. C’était ce que les poètes se plaisaient à prêter aux héros dont ils chantaient les exploits, comme pour leur donner les caractères de la vraie noblesse et montrer d’avance qu’ils n’avaient pas dégénéré de leurs aïeux. Nous en rencontrerons quelques exemples ; ils sont rares et les auteurs anciens eux-mêmes ne semblent les citer que pour en marquer le contraste avec les usages ordinaires.

Ces marques héroïques étaient portées le plus souvent sur les boucliers. C’est la coutume qui a prévalu dans les armoiries modernes. Les escus ou boucliers, dit Wulson de la Colombière, sont par manière de dire le champ où se sèment et fleurissent les marques de nostre vertu et de nostre noblesse. Car il est très certain que les armoiries ont esté mises sur les escus avant qu’on les transportast sur les bannières ou sur les autres lieux où on les pose pour estre considérées. Et mesme elles sont tellement attachées aux escus qu’en quelques lieux qu’elles soient appliquées, elles se voyent toujours sur quelque chose qui représente la forme de l’escu[2].

La forme, la grandeur, le nom du bouclier, varient étalement chez les peuples anciens. Nous n’avons pas à discuter les témoignages contraires des auteurs, ni à nous prononcer entre le bouclier de cuir, le bouclier d’osier ou le bouclier d’airain, entre Scutum, Clypeus, Parma, Ancile, Pelta ou tout autre nom[3]. Le bouclier ancien est tour à tour rond, ovale, en demi-lune, carré ou plus long que large, en forme de porte. La forme ronde, en disque, parait avoir été la plus fréquente[4].

II

Si ce caractère tout guerrier est ce qui distingue d’abord les signes, adoptés par les peuples et les héros de l’antiquité et qui ont pu être assimilés à vos armoiries par un examen trop peu attentif ; nous reconnaissons aussi facilement leur forme symbolique appropriée à l’imagination des premiers âges. Les peuples primitifs se plaisent, à rendre leurs idées par des, images, et, pour exprimer ce qu’ils pensent et ce qu’ils sentent, empruntent au monde extérieur ses formes’ nettes et vives. Les peuples de l’orient ne connaissent guère d’autre langage. N’est-il pas possible que les symboles d’un usage si fréquent aient été interprétés à faux, ou pris à la lettre, lorsqu’il aurait fallu les juger d’après les mœurs et les idées dont ils étaient l’expression ? L’analogie était si facile à établir entre les figures symboliques de ce langage et celles du Blason moderne que cette illusion à séduit beaucoup d’esprits. II a fallu alors retrouver les traces du Blason au-delà même du déluge, et certains savants auraient cru volontiers que la langue héraldique était la première que les hommes eussent connue et parlée. Dans ce système, l’imagination ne pouvait plus s’arrêter. Les hiéroglyphes des Egyptiens et leurs traditions mythologiques n’ont plus fourni que des matériaux à cette science nouvelle ; ces architectes d’Esope ont tenté l’œuvre impossible, dans les airs et sur le vide. Ils ont crû même l’avoir construite, et ont pris pour un édifice durable le fantôme créé par une imagination ingénieuse à se tromper elle-même.

Examinons séparément, comme nous l’avons promis, chaque fait et chaque tradition en suivant l’ordre des temps.

III 

Nulle part l’erreur n’a été plus facile qu’en Égypte ; les hiéroglyphes étaient l’écriture sacrée de la Classe des Prêtres et sans doute aussi de la Classe des Guerriers. Les signes symboliques de cette écriture rappelaient à la fois les qualités humaines, les vertus, les souvenirs historiques ; tous les monuments en étaient couverts. Mais faut-il croire pour cela qu’Osiris, Isis, Anubis, Sésostris avaient des armoiries[5] ? Si Osiris était la personnification humaine du Soleil, s’il avait pour attribut un sceptre surmonté d’un œil ouvert ou d’un aigle, faut-il lui prêter des armoiries fabriquées d’après ces traditions ? Si Isis, dans la mythologie égyptienne, était la personnification de la Lune, faut-il placer le disque de la Lune dans ses armes ? Faut-il de même donner à Anubis un chien passant ? Faut-il couvrir le bouclier de Sésostris de tous les souvenirs héraldiques de ses victoires, parce qu’on sait, d’après le témoignage d’Hérodote[6], que lui-même indiquait par des figures symboliques le courage ou la lâcheté de ses ennemis ? La part d’invention qui reste aux auteurs de ces systèmes, se décèle de suite à un examen sérieux pour accommoder les faits réels aux idées préconçues qui les égarent, ils sont obligés de transporter dans les temps les plus anciens des usages dont la date est connue. Ils attribuent des armoiries aux Patriarches, qui ne connaissaient ni les boucliers, ni la peinture, ni la sculpture. Et ces armoiries sont déjà fondées sur la distinction des couleurs et des métaux, sur l’emploi des signes guerriers, des animaux, de tous les objets de la nature ; elles ont jusqu’à des devises.

Cette fantaisie n’a exclu aucun héros ni aucun peuple de l’antiquité des honneurs posthumes d’une science qu’ils n’avaient pas connue. Wulson de la Colombière, qui a bien reconnu que les figures symboliques portées par les guerriers anciens étaient des signes personnels, et qui ne se transmettaient pas héréditairement, en distingue ainsi les marques et armoiries des peuples : Les Estats, dit-il, les Empires, les Royaumes, les Républiques et les Souverainetés avoient aussi anciennement leurs marques et armoiries qui se conservoient plus longtemps que les précédentes. Mais pourquoi vouloir à tout prix composer une science avec ces traditions simples et naïves, dont l’origine n’a rien de scientifique ? Les tribus, les peuples adoptaient souvent des symboles pour se distinguer de leurs voisins dans la guerre ou dans la paix. C’étaient des signes qui rappelaient leur origine ou quelque fait célèbre de leur histoire ; ordinairement c’étaient les signes déjà portés par le héros auquel chaque peuplade attribuait son origine, Mais il n’y avait dans ces usages rien de régulier, et si des États conservaient ordinairement le même symbole, il arrivait aussi que d’autres en changeaient où en portaient plusieurs à la fois. L’examen de quelques-unes de ces traditions suffit à en montrer le véritable caractère. En les groupant plus méthodiquement que ne l’ont fait les auteurs qu’elles ont égarés, nous resterons fidèle à l’ordre des temps.

IV

Wulson de la Colombière, qui a résumé les recherches et les inventions de ses prédécesseurs, tout en y portant plus de discernement, s’est quelquefois trompé comme eux. Les peuples d’Asie, dit-il, portaient pour armes une grande baleine avec un petit enfant dessus comme à cheval qui la conduisait. Cette fable est peut être la plus bizarre de toutes ; mais encore faudrait-il qu’elle fût vraisemblable. Les peuples d’Asie n’ont jamais formé un seul état ni un seul peuple, et ils, n’ont jamais pu avoir un symbole commun d’une nationalité qui n’existait pas. Chaque peuple, même sous une domination commune, gardait ses souvenirs, ses mœurs, sa langue et même des chefs particuliers. Et les inventeurs de ces armes de l’Asie énumèrent eux-mêmes les armoiries particulières de chaque nation. Les Babyloniens portoient pour armes la colombe représentant la reyne Sémiramis qui, en langage assyrien signifie un oiseau, l’ayant en grande vénération, ou bien aussi trois couronnes sommées de trois éléphants. Les traditions conservées sur Sémiramis nourrie dans le désert par des colombes expliquent mieux le culte des Assyriens pour cet oiseau que l’étymologie empruntée à une langue encore inconnue ; c’était un emblème national[7]. Quant aux trois couronnes et aux trois éléphants, il eût été plus ingénieux et plus naturel de joindre aux éléphants, qui tenaient lieu de cavalerie chez les peuples de l’Orient, ces tours que l’on plaçait sur leur dos et qui étaient de véritables forteresses ; on aurait mieux reconnu l’armée assyrienne[8]. Les couronnes comme signe héraldique sont d’une origine plus moderne. Les Arméniens portoient un bélier ou un lion couronné. Nous admettons volontiers le bélier ou même le lion ; l’origine des signes du Zodiaque est tout orientale ; mais nous craignons bien que la couronne ne soit ici anticipée. Les Cyzicéniens au rapport de Pierius, portoient un lion. Pierius, il parait, ne parle pas de couronne. Les Perses portoient un aigle d’or sur une lance et quelques fois un arc avec son carquois. L’historien Xénophon[9] rapporte en effet que Cyrus marchant contre les Assyriens recommanda à ses guerriers de suivre son étendard qui était une aigle d’or déployée au bout d’une longue pique, et il ajoute : tel est encore aujourd’hui l’étendard des Rois de Perse. Mais le commentateur n’irait-il pas trop loin en voyant dans ce texte l’indication d’armoiries nationales ? Ce n’est là qu’un signe guerrier analogue à ceux de tous les autres peuples : l’aigle des Perses en temps de guerre se plaçait au bout d’une pique et en temps de paix sur le dais au-dessus du trône royal[10]. Les Parthes portoient un cimeterre tenu par un bras dextre eslé. Il aurait été plus conformé à l’histoire de leur donner le carquois qui convient moins aux Perses.

Les armoiries individuelles telles qu’on les a imaginées pour les chefs des mêmes peuples, ne justifient pas mieux un pareil système. Si l’on attribue à Nemrod un bélier, n’est-ce pas simplement l’image biblique qui désigne l’inventeur de la guerre, le premier conquérant. Nous venons devoir pourquoi la colombe était dans les armes de Sémiramis ; on lui attribuait aussi un léopard parce qu’elle avait triomphé d’un de ces animaux. Xénophon dit lui-même en parlant de Cyrus : Tous les guerriers de sa suite étaient armés comme lui ; tous avaient la tunique de pourpre, la cuirasse et le casque d’airain, le panache blanc, un javelot de bois de cormier et une épée. Les armes de Cyrus ne différaient de celles de sa troupe, sur lesquelles on avait appliqué une couleur d’or, que par le poli, qui les rendait brillantes comme un miroir.

On ne parlerait sans doute pas ainsi d’une armée ou de la suite d’un Roi de notre moyen âge est-on fondé à croire que les Mèdes et les Perses avaient des armoiries, et à dire que Philostrate, Xénophon, Quinte-Curce leur en attribuent l’invention. Les Perses, dit Xénophon, ont coutume de mettre des inscriptions sur leurs boucliers. En admettant que ces inscriptions fussent d’un usage ordinaire, faut-il en faire des devises héroïques ? faut-il dire, que les auteurs grecs sont pleins des devises d’Arsace, de Cyrus, de Cambyse, de Darius, de Xerxès ? Les devises, les métaux, les couleurs sont comme l’appareil nécessaire au reste du système, et, faute de les trouver dans l’histoire, on les établit sur des conjectures. Les Chaldéens, les Babyloniens, les Assyriens portent de gueule à un lion d’or, les Mèdes et les Perses d’azur au lion d’argent ; la colombe et l’aigle d’or ont disparu, quoique leur présence fût autorisée par les traditions historiques. Dans l’énumération de Wulson de la Colombière les Mèdes portent trois couronnes. Le système varie avec chaque auteur, mais le but est le même, trouver dans l’antiquité l’origine la plus reculée aux choses de notre temps.

V

Les Hébreux ne pouvaient guère échapper aux conséquences d’un pareil système. La Bible, par ses vives images, offrait une source inépuisable aux suppositions, et aux interprétations héraldiques. Voici d’abord les armes du peuplé lui-même : Les Hébreux portaient un T, qui est la lettré et le signe du salut, laquelle estoit la figure prophétique de la très saincte Trinité et de la mort de Nostre Seigneur sur la croix. Il est douteux au moins que les Hébreux, s’ils avaient adopté cette lettre pour emblème, y aient jamais attaché l’idée de la Trinité, qu’ils ne connaissaient pas, ni l’idée de la croix, que la mort du Christ n’avait pas encore sanctifiée et qui n’éveillait que le souvenir d’un supplice infamant. Pour les armoiries des personnes, ni les patriarches, ni les juges, ni les rois, ni les prophètes, ni les chefs des tribus, ni les guerriers illustres de la nation n’en ont manqué. Tous ont obtenu les mêmes honneurs, et l’étude de leur blason pourrait suffire à un traité de la science héraldique.

L’autorité du Père Ménestrier, dans son livre ingénieux et savant sur l’origine des armoiries, nous aide heureusement à faire justice de ces rêves et de ces imaginations. Selon Favyn, dans le Théâtre d’honneur et de chevalerie, les enfants de Seth et ceux de Caïn, pour se distinguer, auraient pris pour armoiries, les uns des figures de plantes et d’animaux, les autres des figures d’instruments des arts mécaniques. Mais c’est une singulière interprétation du texte de l’Écriture Sainte, qui distingue seulement les mœurs pastorales des enfants de Seth et les mœurs nouvelles des enfants de Caïn, fondateurs des premières villes et inventeurs des arts mécaniques. Segoing, qui ne veut pas remonter au-delà du déluge, attribue aux enfants de Noé l’invention des armoiries, mais il s’appuie pour cela sur le quatrième livre des annales de Ionare, historien grec, et les annales de Ionare ne comprennent que trois livres.

Le discours que Jacob mourant adresse à ses fils, un passage du livre des Nombres sur l’organisation guerrière des tribus, un verset de la vision d’Ezéchiel se prêtaient mieux encore à ces conjectures. Les images par lesquelles la voix prophétique de Jacob dépeint les qualités de ses fils et de leurs descendants ont été prises aussitôt pour des signes héraldiques. Ne sont-ce pas, en effet, les mêmes animaux qui figurent dans le blason moderne ? Le livre des Nombres nous montre les tribus des Hébreux campées séparément autour des enseignes qui rappelaient leur origine[11]. Un commentateur de la vision d’Ézéchiel affirme que les chefs des tribus portaient des marques distinctes, et que c’étaient sans doute les armes de leurs aïeux peintes sur leur étendard[12]. En vérité, les faits que ces textes rappellent ne justifient guère le système pour lequel on les invoque. L’organisation distincte des tribus est le fait commun de l’histoire de tous les peuples orientaux et même de tous les peuples primitifs. Chaque tribu issue d’une famille, en garde les souvenirs, et ses aînés sont en même temps ses chefs politiques, c’est ce que nous avons montré nous-même[13].

Que les tribus aient mis en usage certains signes symboliques pour se faire reconnaître ; que les descendants des douze fils de Jacob, dont la place séparée était marquée d’avance sur la terre promise, aient eu aussi des étendards particuliers et des emblèmes distincts ; qu’ils aient campé isolément comme autant de peuplades d’un même peuple, comme autant de bataillons d’une même armée ; que leurs chefs aient porté des marques qui les désignaient aux yeux et rappelaient leur origine, c’est encore là un fait ordinaire et de l’histoire de tous les peuples. Mais il y a loin de là à donner pour armoiries aux douze tribus les douze signes du zodiaque ou à blasonner selon toutes les règles les étendards de leurs chefs.

On l’a fait pourtant. Les paroles de Jacob acquièrent un sens tout nouveau. C’est lui-même qui distribue en mourant des armoiries à ses fils : Et ils les laissèrent à leur lignée, qui les conserva toujours, puisque, sous leur sens mystique et prophétique, tout le bien et le mal qui leur devait arriver estoit compris.

Jacob dit à Juda : Tu t’es élancé, Juda, comme le lionceau sur ta proie ; dans le repos tu t’es couché comme le lion. Le lion est le signe de la puissance de Juda, qui est la tribu des aînés d’Israël ; le Grand Prêtre et les Rois seront choisis dans son sein ; le Messie y doit naître. Juda a dès lors pour armoiries le lion d’or, et la couleur de l’émeraude portée sur la poitrine du souverain sacrificateur devient le champ de sinople.

Jacob avait dit : Dan sera comme le serpent sur la route. La beauté d’Ephraïm sera celle du taureau premier-né. Issachar sera comme l’âne courageux couché sur la frontière. Gad, toujours aimé, ne cessera de combattre. Siméon et Lévi combattront l’iniquité. Zabulon s’étendra jusqu’aux rivages de la mer. Azer aura d’abondantes récoltes. Nephtali sera comme le cerf élancé ; Benjamin comme le loup avide, Manassé comme le rhinocéros armé de cornes.

Rien de plus simple que de trouver ici des armoiries complètes ; il ne faut que de la crédulité. Dan porte un serpent qui mord le paturon d’un cheval, c’est le symbole de sa prudence et de son adresse ; d’autres lui attribuent un aigle, symbole de la prééminence qu’il partage avec Juda. Les deux opinions se concilient dans une troisième, qui lui attribue un aigle tenant une couleuvre entre ses serres. Une autre enfin lui attribue un écu varié d’argent et de gueules, sur lequel son nom était gravé et figuré. Ephraïm porte d’or à un bœuf de gueules. La noblesse mystique de cet animal le place également au premier rang. L’âne d’Issachar indique qu’il sera asservi à ses frères et leur paiera le tribut ; mais cela s’accorde moins avec les idées orientales sur l’âne, véritable rival du cheval, qu’avec la médiocre renommée du même animal en Europe. Encore faut-il à l’âne courageux du texte authentique substituer l’âne maigre et couché de l’interprétation héraldique. Gad porte un homme armé, Azer des taureaux ou une gerbe d’or, Nephtali un cerf élancé ou quelquefois une biche lassée qui semble se plaindre, Zabulon une ancre ou un vaisseau, Benjamin un loup ravissant, Manassé un rhinocéros, Siméon une épée et selon d’autres des vases, qui, comme instruments des sacrifices, appartiennent plutôt à Lévi. Les avis sont plus variés sur les armes de Ruben. Les uns lui prêtent une tête humaine du naturel tenant une pique, pour indiquer en lui le chef d’une nation, d’autres veulent que cette tête fût d’argent ; d’autres enfin, se souvenant qu’il porta un jour des mandragores à sa mère, en placent dans ses armes. Les émaux tirés des douze pierres du Rational que portait le Grand Prêtre répondaient au nombre des douze tribus, il n’y eut qu’à les partager entre elles pour donner à ces créations ce qui leur manquait encore.

S’il est facile d’expliquer comment les partisans dès cette antiquité imaginaire du blason se sont mépris sur le sens mystique des textes sacrés, il ne l’est pas moins de retrouver la véritable origine des armoiries qu’ils ont prêtées encore plus gratuitement encore à Josué, à Moïse, à Samson, à David, à Judith, à Esther et à tant d’autres. Les souvenirs de l’enfance et de la vie de Moïse ne laissaient que l’embarras du choix. Josué, à qui l’on attribue une tête de lion, avait pourtant plus de droits que Joseph à porter le soleil dans ses armes, et la tête de lion arrachée de gueules aurait mieux convenu à Samson, que l’on réduit au lion ordinaire. David, dont les chants adoucissaient la sombre folie de Saül, reçoit la harpe d’or cordée d’argent et de plus une devise en hébreu. Judas Macchabée, le héros redoutable des guerres contre les rois Syriens, porte le basilic de sable membré et couronné de gueules.

Comme on le voit, pour tout ce qui concerne les armoiries hébraïques, il n’y a pas même de discussion, et il est douteux que les auteurs de ces fantaisies aient pu sincèrement se faire illusion à eux-mêmes. Les textes cités par eux prouvaient contre leur cause, et les faits de l’histoire hébraïque sur lesquels ils se fondaient n’autorisaient en rien leurs conclusions. Du moins l’opinion qui attribué aux Grecs l’invention et le commencement des armoiries s’appuie sur un grand nombre de textes des historiens et des poètes ; des faits, des traditions authentiques excusent l’erreur, et il n’est besoin, pour la détruire, que de ramener l’interprétation à son véritable sens, les faits à leur véritable portée ; la critique ne se bat plus contre des fantômes.

VI

Les poètes de la Grèce n’ont pas cherché sans doute l’exactitude de l’histoire dans les descriptions données par eux des armes de leurs héros. Le plus souvent les emblèmes guerriers appartiennent à la fable comme les personnages eux-mêmes ; mais le soin que ces poètes mettent à décrire les armures symboliques atteste assez que, dans les mœurs des guerriers grecs, c’était l’usage commun d’orner leurs boucliers, leurs cuirasses, leurs casques, de signes, de marques particulières. Rien de plus naturel, rien de plus fréquent chez tous les peuples : soit que ces signes fussent un souvenir de prouesse, soit qu’ils servissent à rappeler l’origine du héros, soit enfin qu’ils n’eussent d’autre motif que d’annoncer son courage et d’inspirer la terreur aux ennemis. C’est ainsi que chez les nations sauvages le guerrier s’efforce de paraître plus terrible en se tatouant le visage ou en se donnant l’extérieur de quelque monstre. Mais, comme nous l’avons dit, ce ne fut qu’une coutume laissée tout entière au caprice des particuliers. Les marques adoptées par chaque héros ne se transmirent jamais héréditairement ; elles n’acquéraient même aucun caractère officiel pour celui qui s’en parait ; elles n’étaient pas toujours les mêmes pour le même homme. Le bouclier d’Agamemnon portait tantôt une tête de lion, tantôt une gorgone ou même des dragons, et celui d’Ulysse un dauphin ou le géant Typhée. C’est ainsi qu’Auguste, fondateur de l’empire romain faisait graver tour à tour sur ses sceaux, ou ses monnaies l’image d’Alexandre, le signe du Capricorne, un globe avec un gouvernail, une ancre avec un dauphin.

En étudiant ces témoignages des poètes et des historiens de l’antiquité grecque, nous reconnaissons bien vite qu’ils ont été dénaturés et défigurés par les apôtres trop enthousiastes de la science héraldique. Le plus simple examen suffit à en faire apprécier la juste valeur.

Les poèmes d’Homère sont le monument le plus ancien de ces traditions, qui exaltaient le courage et les sentiments d’honneur des guerriers. Le chantre de la guerre de Troie et des aventures d’Ulysse dépeint les armures de la plupart de ses héros et les figures gravées sur leurs boucliers. La cuirasse d’Agamemnôn est chargée de trois serpents et son bouclier d’une tête de gorgone. On sait que la description du merveilleux bouclier d’Achille, image de la terre, est celle de tout un monde. Les boucliers dans les figures dont ils étaient ornés comprenaient souvent toute une fable. Dans Virgile, Turnus a sur le sien Io ; Argus, Inachus et son urne ; c’est le drame en peinture. Le bouclier que le dieu Vulcain forge pour Énée, comprend l’histoire de Rome. Q’est ainsi que Dédale, sauvé du labyrinthe et du Minotaure, grave sur les portes d’un temple les scènes qui lui rappellent ses aventures et la perte de son fils Icare. Dans Silius Italicus, le bouclier du gaulois Chryxus porte le siège du Capitole. Sans nul doute, les fictions poétiques d’Homère ne sont inspirées que par l’usage de ces peintures et de ces figures du temps de la guerre de Troie et au moins du temps où vécut le poète. Un écrivain latin, Pline l’Ancien, confirme cette opinion en parlant des boucliers dont on se servit au siège de Troie et sur lesquels étaient gravées des images[14].

Eschyle et Euripide, l’un dans la tragédie des Sept Chefs devant Thèbes, l’autre dans les Phéniciennes, reportent cette coutume à une époque plus reculée encore, au milieu même de l’âge héroïque. Leur témoignage est le plus important de tous ceux que nous avons à examiner et par le nombre et par la valeur des faits.

Les héros nommés par les deux poètes sont presque tous les mêmes, mais les armures et les figures symboliques diffèrent complètement. Chaque peintre a cru pouvoir choisir les images et les signes qui convenaient mieux à son tableau, usant de la liberté que les guerriers eux-mêmes gardaient dans ce choix. Les boucliers d’Eschyle sont ceux que les alliés de Polynice avaient pris pour assiéger Thèbes ; les boucliers d’Euripide sont ceux qu’ils portaient avant le siège. L’imagination de l’un et de l’autre garde ainsi sa libre carrière. Les devises ont aussi un rôle dans cet appareil guerrier, mais elles n’ont pas besoin d’y être le produit d’une science raffinée ; elles y sont plutôt comme la légende naïve qui avertit le spectateur et supplée à l’imperfection du tableau. Ainsi Polynice a sur son bouclier une Thémis, déesse de la justice, qui le tient par la main, avec cette devise : Je te rétablirai. Capanée, dans Eschyle, porte un Prométhée, la torche à la main, avec ces mots : Je réduirai la ville en cendres.

Les autres guerriers, dans Eschyle sont désignés ainsi qu’il suit. Le bouclier de Tydée représente la nuit ; le fond noir est semé d’étoiles d’or et la lune est au milieu. Etéocle, du même nom que le frère de Polynice, porte un soldat qui monte à l’assaut, Adraste une hydre qui enlève les enfants des Thébains, Hippomédon le géant Typhon qui vomit des flammes sur un fond semé de serpents, Hyperbius un Jupiter armé de la foudre, Parthénope le Sphynx qui écrase un Thébain. Dans Euripide, le bouclier de Tydée porte la dépouille d’un lion, celui de Capanée un géant qui secoue la Terre sur ses épaules, celui d’Hippomédon un Argus, celui de Parthénope, Atalante, sa mère, tuant à coups de flèches, le sanglier d’Etolie.

Les traditions de la poésie grecque ne pouvaient manquer de trouver un écho dans Virgile, ce poète qui sut imiter avec génie et rester romain en s’inspirant des œuvres de la Grèce. Les souvenirs de la guerre de Troie trouvent une large place dans ses vers, et la description du bouclier d’Énée rappelle celle du bouclier d’Achille. Un grand nombre de détails semés çà et là rappèlent aussi les images gravées sur les boucliers distinguant les guerriers entre eux et les deux peuples. La bande d’Énée, pour tromper les Grecs, prend les boucliers et les insignes de la troupe d’Androgée. Énée lui-même prend la dépouille éclatante du chef qui vient de périr[15]. Aventinus, issu d’Hercule, porté une hydre sur son bouclier en mémoire de cette origine[16]. Hercule a reçu tour à tour pour symbole l’hydre de Lerne, le lion de Némée ou les autres monstres qu’il avait domptés. Cupavo, fils de Cycnus, dont le nom désigne un cygne, porte des plumes de cygne sur son casque[17].

Il n’y a rien dans ces textes dont l’interprétation puisse fournir plus que ceux des poètes grecs pour assimiler ces signes guerriers aux armoiries modernes ; mais certains commentateurs ont attaché plus d’importance au vers suivant. :

Celsis in puppibus arma Caïci[18].

La ressemblance du mot latin et du mot français à fait toute l’erreur. Les armes de Caïcus ne sont point des armoiries, mais un trophée attaché à la proue du vaisseau[19]. C’est ainsi que Virgile parle ailleurs de la lance d’un héros qui brille sur la proue et s’élève au-dessus du trophée[20]. C’est ainsi qu’il parle des armes troyennes suspendues dans les temples ou aux portes d’une ville nouvelle[21]. Un passage d’Ovide a paru aussi plus concluant qu’il ne le méritait : Égée, roi d’Athènes, reconnaît son fils Thésée à l’épée qu’il avait laissée pour lui être remise

Tum pater in capulo gladii cognovit eburno

Signa sui generis[22].

Mais ici encore l’erreur est dans une traduction à contresens. Égée, pour reconnaître un jour le fils que lui a donné la fille du roi de Trézène, cache sous une pierre énorme une épée que Thésée devra porter lorsqu’il sera assez fort pour soulever la pierre. Cette épée est marquée, si l’on veut, à la garde d’ivoire, de certains signes ; mais ces signes n’ont un sens que pour Égée, qui apprend ainsi que Thésée est son fils ; peut-être même la garde d’ivoire est-elle la seule marque. Mais si la garde de l’épée eût porté ce qu’on appelle les armes du roi d’Athènes, comment Thésée aurait-il ignoré lui-même sa naissance ? Egée l’aurait-il seul reconnut. Egée enfin aurait-il laissé à la fille du Roi de Trézène un signe qui l’aurait trahi lui-même ?

VII

Les témoignages authentiques de l’histoire auraient une valeur bien plus grande que ceux des poètes s’ils permettaient d’affirmer dans un temps précis l’existence d’un usage que les fables épiques attribuent à l’enfance de la Grèce et à la mythologie. Ces textes, en effet, n’ont pas manqué, mais l’interprétation, toujours cherchée avec la même partialité et les mêmes préjugés, a conduit aux mêmes erreurs.

Hérodote attribue aux Cariens, peuple d’origine grecque, le premier usage des armures et des bouchers ornés d’images guerrières. Ce qui est certain, c’est que cet usage à été très vite répandu et est devenu général. Les Grecs attachaient à leur armure certains sentiments que l’on peut comparer à l’honneur des nations modernes. Les jeunes Athéniens, au moment d’être admis dans l’armée, prêtaient le serment suivant dans le temple d’Agraule, fille de Cécrops : Je jure de ne jamais déshonorer mes armes, de ne point abandonner le camarade auprès duquel je serai placé à l’armée ; je combattrai soit seul, soit en troupe pour les autels et pour les foyers[23].

Les Spartiates regardaient comme la plus grande honte pour le guerrier d’avoir perdu son bouclier dans le combat, et mieux valait, disaient-ils, rester mort sur le champ de bataille qu’en revenir désarmé. Les soldats qui avaient survécu à une défaite étaient exclus de l’armée et, l’on sait qu’un des compagnons de Léonidas ne put se consoler de n’avoir pas partagé le sort des trois cents qu’en se faisant tuer à la bataille de Platée. Les Spartiates ne se paraient que pour le combat, et Lycurgue lui-même avait voulu qu’en présence de l’ennemi on rendit moins sévère la loi qui leur interdisait le luxe et les vains ornements. Sans doute ils paraient aussi leurs armes. Plutarque rapporte qu’un Lacédémonien fit peindre sur son bouclier une mouche à peine de grandeur naturelle : Je la montrerai de si près aux ennemis, disait-il, qu’il n’y en aura pas un qui ne la voie[24].

Le même historien rapporte que le guerrier qui tua Lysandre portait un dragon sur son bouclier et que l’oracle avait conseillé à Lysandre de se garder d’un dragon. Alcibiade, dit-il ailleurs, avait un bouclier doré où l’on ne voyait aucun des symboles que les Athéniens y mettaient ordinairement, mais un amour qui portait la foudre. Cette image était sans doute une allusion à la faveur d’Alcibiade et à son goût pour les plaisirs, peut-être même à sa beauté ; il l’avait choisie pour se distinguer, mais ce ne sont pas des armoiries. Les Athéniens portaient ordinairement Minerve, l’olivier ou la chouette consacrée à cette déesse. Mais chaque guerrier pouvait adopter un symbole à sa fantaisie, et c’était une habitude, une sorte de droit pour ceux qui s’étaient déjà illustrés. Le guerrier encore obscur portait un bouclier blanc et uni ; Eschyle et Virgile désignent ainsi Amphiaraüs et Hélénor[25].

Les signes symboliques se plaçaient aussi sur les tombeaux ; on cite ceux d’Epaminondas, de Pyrrhus, d’Anaximène. Cicéron reconnut le tombeau d’Archimède à une sphère gravée sur la pierre. Enfin les mêmes usages subsistaient au temps d’Alexandre le Grand, et nous avons vu combien étaient puissantes à la même époque les distinctions nobiliaires : Aristote conseillait au Roi, son ancien disciple, de reconnaître pour nobles ceux qui excellaient dans quelque art ou exercice et les inventeurs des choses belles et utiles à l’humanité. Mais il ne faut pas croire pour cela que la noblesse eût déjà toute une hiérarchie, ni répéter après Sicile le Hérault qu’Alexandre régla les armoiries, institua les hérauts d’armes[26], et créa les lettres d’anoblissement.

Ces fictions de la poésie et les traditions de l’histoire ne se reconnaissent. guère dans les armoiries grecques inventées par nos écrivains héraldiques. Tous les peuples de la Grèce apparaissent d’abord avec leurs bannières et puis tous les héros avec leurs écus armoriés.

Les Argiens portaient un A comme la capitale lettre de leur nom et aussi quelquefois un renard ou un rat. Quel était donc, entre ces trois signes différents, le véritable symbole national ? Les Athéniens portaient la chouette ou le bœuf. Et que devient l’olivier, cet arbre sacré de l’Acropole, ce don précieux de Minerve à son peuple ! Les Corinthiens un Neptune ou le cheval Pégase. Le dieu Neptune convient bien sans doute à la grande Cité, qui régnait sur deux mers par sa puissante marine ; encore Athènes pouvait-elle le lui disputer, Athènes dotée à sa naissance par Neptune comme par Minerve ; et quant à Pégase sa place n’est pas à Corinthe, située trop loin de l’Hélicon et du Parnasse. Les Lacédémoniens portaient un V, ou un dragon. La lettre V ne convient guère à la bannière d’un peuple grec, dont la langue manque de cette lettre et n’en a que d’analogues dans la prononciation. Pour le dragon, sa présence s’expliquerait mieux à Thèbes, chez les descendants de Cadmus. Les Macédoniens la massue d’Hercule entre deux cornes. Le choix est meilleur ici : les Macédoniens prétendaient en effet descendre d’Hercule et gardaient avec soin les traditions qui pouvaient prouver leur origine grecque. Les Thessaliens un cheval. La Thessalie était en effet dans la mythologie grecque la patrie des Centaures ; et comme elle était la seule des contrées helléniques qui eût de vastes plaines, l’éducation des chevaux fut la source principale de ses richesses ; c’est dans son sein et en Eubée, comme nous l’avons vu, que prévalût l’aristocratie des Hippobotes. Mais donner pour symbole héraldique aux Thessaliens un cheval ou un Centaure, c’est faire de la mythologie hors de saison ou imiter ces cartes géographiques qui représentent les animaux et les productions de chaque lieu ; ce n’est pas là le caractère des armes modernes des villes ou des nations..

Pour les héros de la Grèce, on est allé plus loin ; on ne leur prête pas seulement des animaux symboliques ou d’autres signes ; le blason de chacun est complet ; les métaux et les couleurs y sont en parfaite harmonie ; toutes les lois sont observées.

Les Argonautes, ces indomptables champions de la liberté des mers, sont au premier rang. Les fables de l’âge héroïque réunissent en effet sur le vaisseau Argo tous les héros les plus illustres. Jason porte de gueules, semé de dents, du haut desquelles naissent des hommes armés d’argent, à une toison d’or étendue et mise en pal accordée d’azur. Les dents qui donnent naissance à des hommes armés conviendraient peut-être mieux à Cadmus, qui se contente d’un dragon ; la toison d’or est l’attribut commun des guerriers qui vont la conquérir. Typhis porte de pourpre à un griffon d’argent membré et becqué de gueules tenant en sa griffe dextre la toison d’or. Remarquons que le champ de pourpre rare chez les modernes est prodigué dans ces armoiries imaginaires des anciens. Castor et Pollux portent l’un d’azur, l’autre de gueules à une estoille d’or. Les deux guerriers du vaisseau Argo paraissent ici oubliés pour la double constellation qui portait leurs noms. Hercule porte de pourpre à une hydre à sept têtes d’argent, armée de gueules. Le fils d’Alcmène porte tour à tour les deux dragons étouffés dans son berceau ou le lion couronné tenant une hache d’armes ; encore la hache d’armes est-elle ici maladroitement substituée à la massue. Thésée, en échange, hérite de cet attribut classique d’Hercule et porte de gueules à un minotaure d’or tenant sur son épaule dextre une massue de pourpre. Mais les douze travaux d’Hercule permettaient de choisir, et pour Thésée la défaite du minotaure était son plus glorieux exploit. Telamon porte de pourpre à un lion dragonné d’or. Les anciens connaissaient sans doute, en fait d’animaux mythologiques, la chimère, la biche aux pieds d’airain, le minotaure, l’hydre à sept têtes, le géant aux cent bras[27], le monstre à trois corps[28], et le terrible gardien des enfers[29] ; mais il fallait avoir besoin d’inventer des armoiries pour ajouter à leur mythologie le lion léopardé et surtout le lion dragonné.

Les enfants des Argonautes Jason et Hypsipile portaient, dit-on, l’image du vaisseau Argo sur leurs épées ; mais ce témoignage suffit-il pour affirmer qu’il existait chez les Grecs des armoiries héréditaires ? Il faudrait au moins attribuer aux enfants des Argonautes les mêmes symboles qu’à leurs pères et montrer ensuite que les petits-fils en héritèrent.

La collection des armoiries de la guerre de Troie., n’est pas moins curieuse. Les Grecs et les Troyens y sont pêle-mêle et partagent les mêmes honneurs[30]. Priam porte de gueules à un lion d’or, Anchise d’or à un demi-vol de pourpre ; Anthénor d’azur à une tête humaine d’argent, Diomède d’argent d’un paon d’azur œillé d’or, Hector d’or à un lion de gueules assis sur une chaise de pourpre, armé et lampassé d’argent, Agamemnon à la tête de lion ou de léopard, Ulysse à un dauphin ; Paris d’argent au chef d’or[31]. Ajoutez enfin Epaminondas avec un dragon, Antiochus avec un lion tenant un caducée, Pyrrhus avec un sphinx, Seleucus avec un taureau, Adraste avec des serpents entrelacés, Alexandre avec un lion de gueules armé et lampassé d’azur. On attribue encore à Alexandre une victoire, le cheval Bucéphale, un loup ou un bélier ; mais nous savons quelle est la variété des systèmes et la fécondité d’imaginations différentes. Ce qui est plus certain, c’est que les Macédoniens portaient sur leurs enseignes l’image d’une chèvre, en souvenir du troupeau de chèvres qui avait guidé Caranus, fils d’Hercule, et le père de leur nation.

Nous arrivons aux Romains.

VIII

Deux faits nouveaux, chez les Romains, la transmission héréditaire des noms de famille et le droit d’images, viennent éclairer la question que nous étudions. C’est sur ces deux faits que se portera tout notre intérêt. Contentons-nous de signaler en passant les curiosités héraldiques prêtées aux Romains par certains auteurs sur le modèle renouvelé des armoiries grecques que nous venons de passer, en revue.

Les symboles de la nationalité romaine ont d’abord été travestis en armes régulières, mais avec l’incertitude et la variété dont nous avons déjà vu plus d’un exemple : Les Romains portaient une louve, quelquefois des vautours, tantôt un minotaure, un cheval ou un sanglier, parce que ces trois animaux sont le symbole de la guerre. La présence de la louve, qui nourrit Romulus et Remus, s’explique ici par les légendes naïves de l’enfance de Rome ; les vautours jouèrent aussi un grand rôle dans les présages qui décidèrent lequel des deux frères donnerait un nom à la Ville Eternelle. Le cheval appartenait plutôt aux traditions de Carthage : une tête de cheval avait été trouvée dans les fondations de la ville naissante de Didon[32]. Le minotaure, le sanglier ont un caractère plus vague encore, et nous renvoyons volontiers l’un aux Crétois, l’autre aux Arcadiens, dont le pays donna naissance au célèbre sanglier d’Erymanthe ; encore les Etoliens pourraient-ils se réclamer du sanglier de Calydon.

Les Romains ont aussi pris un globe ou sphère pour montrer que toutes les nations de la terre étaient sujettes à leur domination. Les Romains ont enfin retenu l’aigle pour leur principale enseigne. Aussi étaient ces nobles oiseaux réputés comme les génies et gardiens tutélaires de leur Empire. Nul doute que les aigles n’avaient été comme le symbole de la puissance romaine, mais faut-il ajouter : Les Romains choisirent entre toutes leurs enseignes l’aigle d’or en champ de gueules pour la plus haute et mystérieuse marque de leur puissance sur toutes les nations[33].

Nous avons vu que les traditions de famille, qui créent la noblesse, n’ont eu sur les mœurs d’aucun peuple plus d’empire que sur les mœurs des Romains. Aussi a-t-il été plus facile que partout ailleurs de trouver chez eux des témoignages et des faits qui peuvent faire illusion. Les emblèmes héroïques des guerriers, les fictions des poètes, les signes gardés dans les familles pour marquer leur descendance, tout ce qui tient au culte pieux des ancêtres, les récompenses militaires portées avec un légitime orgueil par le simple légionnaire comme par le général, offraient une abondante matière à nos auteurs de systèmes héraldiques.

Passons d’abord en revue la galerie de ces héros de Rome. Latinus, qui donne son nom au Latium, descend de Phœbus, le dieu du soleil, et sa tête est entourée de douze rayons d’or. Mais ce symbole que lui porte le poète Virgile constitue-t-il un blason ? La question n’est pas résolue par une simple affirmation[34]. Sabinus, le père des Sabins, et le souverain des coteaux où mûrit la vigne italienne, porte les insignes du vigneron et la serpe recourbée ; ce ne sont pas encore là des armoiries[35]. Le Troyen Enée, dont le mariage avec Lavinie, fille du roi Latinus, doit donner naissance au Peuple romain, porte à la poupe de son navire des lions de Phrygie et l’image du mont Ida[36]. Nous avons déjà vu que chez les Grecs c’était l’usage d’orner ainsi les navires de signes symboliques : les Troyens avaient les mêmes mœurs, et Virgile attribue ici poétiquement au vaisseau d’Énée les images qui rappellent la patrie perdue et regrettée. Les compagnons d’Énée, ancêtres des plus illustres familles romaines, et ceux de Turnus, son rival, ont aussi leurs insignes. Mincius, qui doit donner son nom au Mincio, porte l’emblème des fleuves, le roseau[37]. Les fondateurs de Nomentum, de Gabies, de Fidènes portent la couronne de chêne[38]. Romulus, le fondateur de Rome, porte une peau de louve en mémoire de la louve qui l’a nourri[39]. Numa porté un rameau d’olivier, symbole de son règne pacifique[40].

Mais la présence de ces marques symboliques s’explique assez par les usages et les mœurs des anciens : s’il est facile de s’en servir pour composer des armoiries, il est aussi facile de reconnaître l’anachronisme de ce blason imaginaire.

Au sortir de l’âge héroïque des Romains, lorsque les traditions, encore enveloppées dans les symboles de la fable, eurent fait place à l’histoire, les souvenirs plus authentiques de la nation et des familles prêtaient cependant encore quelque vraisemblance à des conjectures analogues. Et ce qu’il y a de plus séduisant dans ces armoiries romaines, c’est que l’origine en est toute militaire : elles sont conquises par le courage ; elles rappellent ou de grandes victoires ou un dévouement généreux. Le jeune Manlius tue dans un combat singulier un Gaulois d’une taille gigantesque ; le collier sanglant qu’il arrache au vaincu devient pour lui un insigne glorieux et la cause d’un surnom dont héritent ses descendants[41]. Valerius, dans un duel semblable, est secouru par un corbeau qui se place sur son casque et qui effraie son adversaire ; le vainqueur prend pour insigne l’oiseau auquel il doit sa victoire et en reçoit un nouveau nom[42]. Calpurnius Flamma, pour avoir sauvé une armée romaine par un dévouement pareil à celui de Léonidas, reçoit du Consul une couronne de gazon[43]. Duilius, vainqueur d’une flotte carthaginoise, se voit élever une colonne rostrale sur le Forum, et chaque soir est reconduit à sa maison à la lueur des flambeaux et au son des flûtes. Cœcilius Metellus repousse des éléphants d’une armée carthaginoise : les médailles de la gens Cœcilia, portent en mémoire de ce fait l’effigie d’un éléphant. Catulus Luctantius, vainqueur des Cimbres, fait porter dans sa maison le taureau que ce peuple avait pour enseigne, et sa famille conserve ce trophée.

C’est exagérer singulièrement la valeur de ces traditions de gloire domestique que les convertir en armoiries régulières. Les insignes acquis par la valeur d’un guerrier n’étaient nullement héréditaires en faveur de ses descendants ; l’usage romain se bornait à conserver aux images des ancêtres, dont nous parlerons tout à l’heure, les insignes, les décorations, les récompenses guerrières dont chacun d’eux avait été revêtu ; les héritiers de leur nom et de leur gloire, ne portaient pas eux-mêmes ces marques d’honneur toutes personnelles ; ils ne portaient que celles qu’ils avaient obtenues par leur propre courage. On cru cependant trouver quelques exemples contraires. Caïus, dit Suétone, enleva aux plus nobles les marques antiques de leur famille, à Torquatus le collier, à Cincinnatus, les boucles de cheveux, à Pompée le surnom de Grand. Rien ne prouve que le décret de Caligula n’ait pas été dirigé seulement contre les images des aïeux de Torquatus et de Cincinnatus. Mais du reste quand même les héritiers de ces noms glorieux auraient adopté volontairement des marques qui rappelaient leur naissance, cela ne constituait pas des armoiries. Horace, en rappelant que les Tisons descendaient de Numa[44], ne leur donne pas pour marque particulière le laurier que Virgile attribue à leur aïeul, et en flattant la vanité de Mécène, issu du sang des Rois étrusques ; il ne lui donne pas la grenouille pour emblème. Il fallait pour cela les étymologistes ingénieux, qui ont trouvé la grenouille dans le nom primitif des Etrusques Rasenœ. Les Corvinus portèrent sans doute des casques surmontés d’un corbeau ; et c’était peut-être un casque pareil que Valerius lui-même avait adopté selon les usages guerriers de son temps ; cela explique la fable historique. Le poète de la Décadence romaine, Silius Italicus, ne manque pas de nous montrer un Corvinus dans cet appareil, qui témoigne de sa race[45]. Pompée avait, dit-on, sur le cachet que l’on rapporta à César un lion tenant une épée, ses descendants ne paraissent avoir gardé que son surnom. Mais, si rien n’est plus légitime que cet attachement pieux des familles à la gloire de leur héros ou même la fierté qu’elle leur inspire, rien ne ressemble ici aux usages tout spéciaux de l’art héraldique. Quant à l’hérédité des noms, nous savons qu’elle date des Romains et nous en donnerons bien d’autres exemples.

Cependant, ces premiers témoignages ne suffisant pas à convaincre tout le monde, on a bien voulu reculer jusqu’au temps des Empereurs l’établissement des armoiries chez les Romains : Quelques-uns attribuent l’origine des armoiries au règne d’Auguste, premier Empereur roman. Telle est l’opinion du père Monet, dans son livre sur l’origine des armoiries gauloises. Mais en vérité, le père Monet s’est laissé convaincre bien facilement.

Auguste, en fondant l’Empire, crût ne pouvoir mieux assurer son œuvre qu’en l’appuyant sur une armée permanente et régulière ; il fit inscrire sur le bouclier de chaque légionnaire la marque de la légion à laquelle il appartenait et du rang qu’il y tenait. C’était le meilleur moyen pour maintenir la discipline et pour piquer d’honneur le soldat qui perdait son bouclier sur le champ de bataille. Mais peut-on dire pour cela qu’Auguste et ses successeurs donnèrent des armoiries à leurs légions et à leurs soldats ? Ce n’étaient que des marques distinctives pour la légion et pour le légionnaire, et les images des boucliers ne variaient pour chacun qu’en changeant de légion. Rien de plus contraire à la multiplicité confuse des armoiries individuelles du Moyen-âge que cette régularité qui a reparu seulement au XVIIe siècle dans l’institution des uniformes militaires.

Les Empereurs romains attachèrent aussi la plus grande importance à l’établissement d’une hiérarchie sociale fondée sur les distinctions nobiliaires mais ils ne songèrent pas et ils ne pouvaient pas songer à instituer les armoiries pour l’appareil, pour la représentation extérieure de cette hiérarchie. Nous avons montré le véritable caractère de ces institutions des derniers temps de l’Empire.

Les distinctions disciplinaires n’étaient pas nouvelles d’ailleurs dans la légion romaine. Selon le témoignage de Tite-Live, de Varron, de Végèce, chaque manipule avait eu de bonne heure un étendard particulier et un porte-étendard[46]. Un faisceau de foin placé à l’extrémité d’une perche était à l’origine l’enseigne d’un manipule ; plus tard ce fut une lance surmontée d’une petite figure en bois, quelquefois d’une main, et au-dessous d’un petit bouclier d’argent ou d’or sur lequel était représentée quelque divinité guerrière, Mars ou Minerve. Après la destruction de la République on y mit l’image des Empereurs et même de leurs favoris, et ces étendards devinrent l’objet d’un véritable culte[47]. On nommait vexillum l’étendard de la cavalerie : c’était une pièce carrée de drap attachée à l’extrémité d’une lance ; mais cette distinction de vexillum et de signum, n’était pas rigoureuse[48]. La perte de l’étendard était une honte pour la cohorte et surtout pour le porte-étendard, qui souvent était mis à mort[49]. Quelquefois pour animer les soldats, on jetait les étendards des manipules au milieu de l’armée ennemie et il fallait les reconquérir. La Légion avait aussi son étendard : avant Marius c’étaient des images d’animaux divers placées au bout d’une lance ; après Marius ce fut une aigle d’argent, les ailes étendues, tenant quelquefois dans ses serres un foudre surmonté de l’image d’un petit temple[50]. L’étendard de la Légion était porté d’abord devant le premier manipule ; depuis Marius ou le plaça dans la première ligne ordinairement près du général, à peu près au centre de l’armée.

Les récompenses militaires sont aussi un des plus anciens usages des Romains. La couronne civique était la plus glorieuse, on la décernait à celui qui avait sauvé un citoyen ; elle était faite de feuilles de chêne ; celui qui l’avait reçue la portait au théâtre et se plaçait auprès des sénateurs, qui se levaient par respect à son arrivée. On suspendit une couronne civique entre deux lauriers à la porte du palais d’Auguste. Les guerriers qui avaient les premiers franchi un rempart, une muraille, abordé un navire ennemi, gagné une victoire navale recevaient des couronnes diverses. La couronne obsidionale décernée à celui qui avait délivré une armée assiégée, quoiqu’elle fut de simple gazon, était, avec la couronne civique, préférée à tous les honneurs militaires[51].

La majesté du peuple-roi, dit Pline, n’eût jamais de couronne plus honorable que celle de gazon : c’était la plus belle récompense de  la gloire. Celles qui étaient ornées d’or et de pierreries, les couronnes vallaire, murale, rostrale, civique, triomphale, furent toujours moins estimées ; elles en sont à une grande distance. Les autres étaient données par un seul homme ; les chefs et les généraux les ont accordées à leurs soldats et quelquefois à leurs collègues ; le Sénat, délivré des soins de la guerre et le peuple, jouissant des douceurs de la paix les ont décernées dans les triomphes. Celle de gazon ne se donna que dans une situation désespérée ; nul ne l’obtint que d’une armée entière sauvée par sa valeur. Les généraux donnaient les autres ; celle-là seule était donnée au général par les soldats. On formait cette couronne de gazon vert cueilli dans le lieu où l’on avait sauvé les assiégés. Car présenter de l’herbe au vainqueur était chez les anciens l’aveu le plus solennel de la victoire, c’était céder tout à la fois et la terre qui nourrit et le droit d’y être inhumé ; cet usage subsiste encore chez les Germains[52].

La couronne obsidionale fut obtenue deux fois par, Decius Mus ; Sicius Dentatus, Fabius Cunctator ; Calpurnius Famma, Pétricius Atinas, simple centurion, Sylla, dans la guerre des Marses, Scipions Emilien, Auguste, sont les seuls noms illustrés par cette belle récompense[53]. La lance sans fer, la bannière, les caparaçons de chevaux, les colliers, les bracelets, les parures de casques, les chaînes, les agrafes, étaient les prix élevés réservés au courage. On les portait dans les assemblées et aux jeux publics ; les dépouilles prises sur l’ennemi étaient suspendues à la porte ou dans la partie la plus apparente de la maison. On appelait dépouilles opimes celles qui avaient été conquises par le général romain sur le général ennemi, en combat singulier. L’histoire a conservé les trois noms illustrés par cette victoire, Romulus, Cornelius Cossus, Claudius Marcellus. Enfin le plus grand honneur militaire des Romains était le triomphe décerné au général victorieux par le Sénat et quelquefois par le peuple : c’était la marche solennelle de l’Imperator traversant la ville, avec toute son armée, avec les captifs et les dépouilles ennemies pour se rendre au Capitole : toutes les rues étaient jonchées de fleurs et l’encens brûlait sur les autels. Le triomphateur était vêtu d’une robe de pourpre brodée d’or et couronné de lauriers, tenant dans la main un sceptre d’ivoire surmonté d’un aigle, le visage peint de vermillon comme la statue de Jupiter aux jours de fête[54].   

Les armoiries romaines imaginées pour l’époque impériale appartiennent comme les armoiries grecques à la fantaisie. Jules César, qui a préparé l’œuvre d’Auguste, porte d’or à un aigle du même, à deux têtes de sable, becqué, diadémé et membré de gueules. Ces armes de César semblent avouer naïvement leur origine toute moderne : l’aigle à deux têtes, c’est l’insigne impérial de nos jours ; et le diadème fut-il jamais placé sur la tête de l’aigle de Rome, même après César ? César, qui faillit perdre sa popularité, parce qu’Antoine lui offrit une couronne et quoiqu’il l’eût repoussée, pourrait-il couronner aussi l’aigle, qui n’était pas encore le symbole de l’Empire ? Il aurait été au moins plus sage d’attribuer à César des armoiries qui auraient montré en lui le descendant de Vénus. Auguste reçoit pour attribut un sphinx ; à moins que l’on n’ait voulu par cette image peindre le génie dissimulé du fondateur de l’Empire, mieux valait lui attribuer comme Virgile l’étoile de César[55] ; l’historien Suétone prête son témoignage à la fiction du poète[56]. Vespasien porte une tête de Méduse, mais ce souvenir mythologique ne fait guère que rappeler la peur qui saisit le lâche Vitellius à l’arrivée de son rival. Les boucliers n’étaient donc pas même d’un usage constant. Les médailles de Dioclétien et de Maximien représentent un lion tenant un foudre dans sa gueule. Mais cette image ne diffère en rien des signes symboliques connus et employés par les anciens ; ces deux princes avaient pris les surnoms de Jupiter et d’Hercule ; leurs gardes portaient les noms de Joviens et d’Herculiens et avaient sans doute des marques distinctives ; ces marques n’étaient pas des armoiries, à moins qu’il ne plaise de leur donner un nom qui ne réponde ni à leur origine ni à leur nature.

Il nous semble que si certains antiquaires se sont ainsi égarés dans leurs recherches, la véritable cause de leurs erreurs est dans ce préjugé que si les institutions aristocratiques et nobiliaires sont de tous les temps et de tous les peuples, elles ont dû avoir également dans tous les temps et chez tous les peuples, les mêmes signes extérieurs. La réfutation d’une idée aussi fausse est dans la distinction exacte des temps et des mœurs, nous croyons l’avoir établie par des faits et par une discussion impartiale. Mais en même temps que les institutions humaines varient ainsi, selon les siècles et selon les sociétés, il y a dans leur marche une suite, une sorte de raison commune qui en fait l’unité ; elles se développent, elles se complètent, elles s’achèvent avec le temps. Plus on avance, dans l’ordre des siècles plus il est facile de saisir et de constater ce progrès où le présent contient toujours les germes de l’avenir.

Ainsi nous avons trouvé dans l’histoire de l’aristocratie romaine quelque chose de plus que dans la Grèce et dans l’Orient ; de même que la Grèce est la transition de l’Orient à l’Europe, l’Empire romain est la transition de l’antiquité à l’âge moderne. Dans l’étude des distinctions extérieures de la noblesse romaine nous retrouvons encore ce caractère : Rome possède la première les noms héréditaires dans les familles, et le droit d’images donne à la noblesse une représentation brillante et solennelle. Ce sont les deux faits dont il nous reste à parler.

IX

Le droit d’images chez les Romains est sans contredit l’institution qui se rapproche le plus dans l’antiquité, par son origine, son caractère et son but, des armoiries modernes. Ce que nous allons essayer d’en dire, en consultant les monuments les plus anciens, est la meilleure réponse que nous puissions opposer aux prétentions des systèmes dont nous avons fait justice.

Les citoyens qui avaient exercé des magistratures curules telles que celles de consul, de préteur, de censeur ou d’édile curule, et ceux dont les ancêtres avaient été revêtus de ces fonctions, étaient appelés nobiles. Ils jouissaient du droit d’images, Jus Imaginum, usage qui devait sa naissance moins à la vanité qu’à ce culte pieux des ancêtres dont nous avons déjà parlé. Les patriciens l’avaient possédé seuls tant qu’ils avaient gardé la possession exclusive des magistratures curules ; les plébéiens commencèrent à en jouir également des qu’ils purent parvenir à toutes les dignités de la république.

Le droit d’images autorisait le citoyen revêtu, d’une magistrature curule à se faire représenter avec ses insignes. Les images étaient des bustes en cire et coloriés. Sur la base étaient inscrits les titres et les honneurs, qui avaient été décernés à ceux qu’elles représentaient et les exploits par lesquels ils s’étaient illustrés. Elles étaient exposées dans l’atrium de la maison et enfermées dans des bottes de bois dont on ne les retirait que pour les circonstances solennelles. Dans les funérailles on les portait, avec tous les insignes de leurs dignités devant le char du défunt ; c’était une sorte d’hommage que les ancêtres rendaient à leur descendant[57]. On suspendait dans la même pièce les marques de distinction obtenues et les dépouilles gagnées sur l’ennemi. Ces monuments étaient sacrés et si la maison était vendue l’acheteur n’y pouvait toucher. La présence de ces images dans l’atrium était disait-on un avertissement à la génération vivante d’imiter ses pères. Bien souvent, dit Salluste, j’ai entendu raconter que P. Scipion, Q. Maximus et d’autres personnages illustres de notre cité avaient coutume de dire qu’à la vue des images de leurs aïeux leur âme s’enflammait de la plus vive ardeur pour la vertu. Sans doute la cire, une simple figure, n’avait pas seule tant de puissance mais le souvenir des exploits de leurs ancêtres allumait dans ces cœurs généreux une flamme qui ne s’éteignait que lorsque leur courage avait conquis la même renommée et la même gloire[58].

Telle est la vraie pensée de Salluste ; et celle que nous avons émise nous-même. Il ne justifie pas plus que nous le descendant indigné des héros, surtout lorsqu’il le gourmande par la rude éloquence de Marius : Ses ancêtres lui ont laissé des richesses, des images, des souvenirs illustres. Mais ils ne lui ont pas laissé et ils ne pouvaient pas lui laisser leur vertu[59].

Lorsqu’un Consul venait d’être élu il couronnait de lauriers les images de ses ancêtres. Assez souvent les familles qui comptaient ainsi une nombreuse suite d’aïeux en faisaient sculpter les images sur des médailles, que l’on attachait par ordre de généalogie aux rameaux d’un arbre peint sur la muraille. La considération, la noblesse d’une famille semblait augmenter avec le nombre des bustes ou des médailles. Certaines gentes faisaient ainsi remonter leur origine au delà même de la fondation de Rome, et comme depuis tant de siècles la liste généalogique n’avait pas toujours été conservée exactement ; il trouvait des lacunes que l’on comblait en mettant un Dieu partout où il manquait un homme[60]. Et ce n’était pas là un acte de vanité, mais bien plutôt une sorte d’hommage aux dieux qui avaient conservé la famille et n’en avaient pas laissé interrompre les générations. Aussi quelquefois l’arbre généalogique était exposé dans un temple ou une basilique. Appius Claudius, consul l’an 259, avait donné le premier cet exemple, en plaçant dans le temple de Bellone les images de ses ancêtres sculptées sur des boucliers d’argent. Æmilius fit de même dans la basilique Emilia qu’il avait bâtie[61].

Que l’on ait abusé de ces usages et que la vanité ait fait son profit de ce qu’elle pouvait dérober aux traditions légitimes de gloire et de noblesse, il n’y a pas lieu de s’en étonner. Mais il n’est pas juste de faire retomber sur ces traditions et ces usages les reproches qui n’appartiennent qu’aux abus qu’on en a faits. Les exemples n’étaient pas plus rares à Rome qu’ailleurs, et du temps de Salluste ou de Marius que du nôtre, de cette vanité qui allait jusqu’a se créer une généalogie toute entière, jusqu’à anoblir des plébéiens en faisant naître des hommes d’une origine obscure dans une famille illustre du même nom. On plaçait de fastueuses, inscriptions sous des portraits de famille, on prêtait à ses ancêtres des consulats et des triomphes pour attirer sur son nom, par ces ambitieuses supercheries, le lustre des belles actions et des grandes dignités[62]. Ces mensonges, qu’aucune loi ne réprimait avaient lieu particulièrement dans les éloges prononcés publiquement aux funérailles des personnes des deux sexes. Ces discours conservés dans les familles altéraient les monuments historiques et jetaient les annales publiques dans la plus grande confusion en attribuant des exploits imaginaires à des hommes inconnus ou en transportant d’une famille à l’autre des traditions véritables.

C’est surtout à cette noblesse .usurpée qu’il faut attribuer l’orgueil qui repoussait les hommes non veaux et les considérait presque comme des affranchis. L’homme nouveau en effet conservait toujours une sorte de tache originelle, et la nouveauté ne cessait qu’à la génération suivante[63]. L’homme nouveau fondait la noblesse de sa famille. Ma noblesse est nouvelle, dit Marius, et commence avec moi, mais certes il vaut mieux la créer que la corrompre après l’avoir reçue en héritage.

X

Dans l’histoire des institutions aristocratiques de l’humanité, l’étude des noms propres acquiert une importance particulière. S’il est vrai que certaines tribus sauvages peuvent se passer de noms propres pour distinguer les individus et les familles, cette ignorance d’un usage commun à tous les peuples civilisés n’est pas la preuve la moins significative de leur Barbarie. Dans les sociétés régulières, où la noblesse est détenue presque aussitôt un des éléments de civilisation, les noms propres sont devenus à leur tour un des signes les plus éclatants de la noblesse. C’est le nom du héros qui rappelle et qui partage pour ainsi dire la gloire du héros lui-même ; c’est ce nom encore que les descendants du héros proclament avec orgueil et qu’ils s’efforcent de représenter à la mémoire des hommes par les noms qu’ils prennent eux-mêmes. Enfin lorsque l’éducation des peuples s’est faite par l’expérience, on voit tour à tour la sagesse et l’instinct, les législations et les mœurs changer les noms propres en noms de famille et bientôt en établir l’hérédité. Tel est le fait que nous atteignons en arrivant aux Romains. Et qu’on ne croie pas d’ailleurs que l’hérédité des noms est enfantée par la vanité nobiliaire : c’est un fait qui appartient à la civilisation générale : Mieux que tout autre monument, dit Eusèbe Salverte, les noms héréditaires conservent le souvenir des ancêtres, souvenir pieux et utile à la morale : ils imposent ou doivent rappeler aux fils la nécessité de se rendre dignes de leurs pères. Ici, ils préservent de la confusion les rangs établis dans la société. Là ils donnent à la loi la faculté terrible de punir doublement un coupable en flétrissant d’avance en lui sa postérité[64].

L’hérédité des noms à donc été un progrès sur les usages qui l’avaient précédé ; mais ce progrès avait été lentement préparé. Nous avons déjà remarqué plus d’une fois la coutume observée chez la plupart des peuples anciens de joindre aux noms individuels une appellation qui rappelait la naissance de ceux qui les portaient. Dans la formation des langues le nom patronymique, qui se suffisait pour ainsi dire à lui-même, devint déjà le signe d’un premier progrès ; mais l’emploi en était naturellement borné à une génération, et il ne fut même jamais bien régulier.

Dans les sociétés primitives, les noms personnels sont ordinairement unis aux nom paternel par le titre de la filiation : chaque individu aime à rappeler ainsi non seulement le nom de son père, mais celui de son aïeul, celui d’un ancêtre illustre, celui de la tribu à laquelle il appartient, surtout si cette tribu descend d’un héros national. Ainsi font les Arabes pour qui la conservation des généalogies est une sorte de culte. Ainsi firent sans doute les Indiens, les Egyptiens, et tous les peuples orientaux soumis au régime des castes. Cette première forme de l’hérédité des traditions domestiques, et des situations sociales conservait la hiérarchie sacrée des familles. Les Hébreux, qui imposaient aux enfants à leur naissance un nom arbitraire et que l’on pouvait même changer plus tard, y joignaient toujours un nom généalogique ; souvent même ils donnaient au nouveau-né le nom qu’avait porté son aïeul ou un de ses parents. C’est par là que se perpétuait dans les familles le souvenir des ancêtres en remontant jusqu’au chef de la tribu[65]. Chez les Assyriens, chez les Perses, chez les Phéniciens, peuples voisins de la Palestine, les noms individuels semblent toujours de même chercher l’illustration héréditaire par leur union au nom généalogique[66] ; et l’on ne se contente pas dédire : Nemrod, fils de Chus, Assur, fils de Sem ; Ninus, fils de Belus ; Cyrus, fils de Cambyse ; Cambyse, fils de Cyrus ; Darius, fils d’Hystaspe, Xerxès, fils de Darius ; Cadmus, fils d’Agénor ; Hiram, fils d’Abibal. Un grand nombre de noms sont évidemment formés d’un nom paternel ou d’un nom illustré par les ancêtres en y ajoutant une terminaison patronymique. Ninyas est le fils de Ninus, Sardanapale est le fils de Phul ; Bèlesis, Assar-Haddon, Artaxerxés rappellent les noms de Belus, d’Assur, de Xerxès ; Mérodac-Baladan, Mardo-Kempad, Sennachérib, Salmanazar, Teglath-Phalazar, Saosduchéus, Chignaladan, Nabopolassar, Evilmerodach, Nériglissor, Nabuchodonosor, Nabonid ont sans doute le même caractère. Certains noms paraissent même avoir été comme transmis héréditairement ou réservés à certaines familles : on trouve trois fois le nom de Ben-Habab dans la dynastie des rois Syriens[67]. Le nom d’Atys passe à toute une dynastie de rois Lydiens. La Phénicie a plusieurs rois du nom d’Ithobal. A Carthage deux grandes factions sont désignées par de véritables noms de familles, qui appartiennent à leurs chefs, les Barcas et les Hannons et dans la première les noms d’Amilcar, de Bomilcar, d’Annibal, d’Asdrubal sont comme héréditaires[68].

XI

Chez les peuples grecs, les noms propres restèrent également, individuels ; mais on y retrouve aussi les coutumes qui en préparaient la transmission héréditaire. Dans les temps héroïques, le guerrier, en se nommant lui-même, rappelait toujours le nom de son père et souvent récitait toute sa généalogie qui remontait toujours à quelque Dieu. Le citoyen d’Athènes, dans les actes publics, inscrivait avec son nom ceux de son père, de son aïeul, de sa tribu, du dème auquel il appartenait. Souvent le nom patronymique était seul énoncé : on disait Atridès, Pelidès, Laertiadé, pour désigner Agamemnon, Achille, Ulysse, Alcidès pour désigner Hercule, petits-fils d’Alcée[69] ; et il n’est pas probable que ces noms appartiennent uniquement à la fantaisie des poètes. On a pu considérer les noms d’Héraclides, de Cécropides, d’Alcméonides, d’Eumolpides comme de véritables noms de familles ; il aurait fallu dire seulement qu’en se transmettant, comme un héritage ils n’étaient pas devenus noms individuels, et, qu’ils avaient même, en quelque sorte perdu leur caractère de noms propres. Tous les peuples de la Grèce portaient des noms formés ainsi du nom de chaque héros, auquel ils attribuaient leur origine. Souvent même le nom du fils est formé directement du nom paternel : Hégésandridas, Hiéronyme, sont les fils d’Hégésander et d’Hiéron. C’est l’usage commun pour les filles : Chryséïs, Briséïs ont pour -pères Chrysès et Brisès. Enfin parmi les descendants d’Alexandre, les noms de Ptolémée, de Séleucus, d’Antiochus deviennent une sorte de titre héréditaire ; les noms de Lagides et de Séleucides désignent les dynasties d’Egypte et de Syrie, qui descendent de Ptolémée Lagus et de Séleucus, comme les Arsacides d’Arsace, les Sassanides de Sassan. Le respect traditionnel des noms n’était pris nouveau pour la race grecque : il y avait longtemps qu’Athènes avait interdit de donner à des esclaves, les noms d’Harmoclius et d’Aristogiton, les deux héros de sa liberté naissante.

Hérodote parle d’un usage des Lyciens, qui l’a frappé par sa singularité. Les Lyciens, dit-il, suivent en partie les siol de la Crète et en partie celles de Carie. Ils en ont cependant une qui leur est tout à fait particulière et qui ne s’accorde avec aucune de celles des autres hommes : ils prennent en effet le nom de leur mère au lieu de celui de leur père. Si l’on demande à un Lycien de quelle famille il est, il fait la généalogie de sa mère et des aïeules de sa mère. Si une femme du pays épouse un esclave, ses enfants sont réputés nobles. Si, au contraire, un citoyen, celui même du rang le plus distingué, se marie à une étrangère ou prend une concubine, ses enfants sont exclus des honneurs[70].

XII

Il était réservé aux Romains de donner aux anciens le premier exemple des noms héréditaires : car cet honneur doit leur rester, bien que la curiosité moderne ait assuré aux Chinois le droit de le réclamer par privilège d’antiquité. Les Chinois ont en effet employé les noms héréditaires d’un temps immémorial : mais cet usage, qui parait avoir, dès l’origine, fait partie de leur civilisation, est resté sans influence extérieure comme leur civilisation elle-même[71]. Le monde moderne doit l’hérédité des noms propres aux Romains ; les Romains en étaient sans doute redevables aux Etrusques ; on n’a pas encore songé à dire que les Etrusques, l’avaient empruntée aux Chinois[72]. Dans la Chine, en effet, le nom de famille est celui de la ligne paternelle ; il se transmet aux fils et aux filles ; la loi ne permet de le changer qu’en passant par l’adoption dans une famille étrangère. Chaque membre d’une même famille adopte un surnom pour se distinguer, et peut porter en outre des titres honorifiques, qui sont conférés par l’Empereur. Le nom de famille est toujours exprimé avant les autres ; il appartient à une certaine classe de noms propres tous tirés d’un poème sacré que l’on attribue à l’Empereur Yas ; il n’est permis à personne de créer un nom nouveau[73]. Le Japon a emprunté les noms de famille à la Chine : le père peut y priver de son nom l’enfant coupable, et cette condamnation est une sorte de mort civile. Il n’est permis à personne de porter le même nom ou le même surnom que l’Empereur régnant. Ajoutons en passant que le législateur de la Chine, qui a établi ou consacré l’institution des noms héréditaires, n’a pas voulu pourtant qu’elle servit à établir une noblesse privilégiée : le fils du mandarin, le descendant même des Empereurs avec ses titres honorifiques, reste l’égal de l’homme le plus obscur, s’il n’obtient pas par lui-même des titres et des places. Les distinctions héréditaires les plus éminentes s’arrêtent à la dixième génération. La reconnaissance publique n’a fait exception qu’en faveur de la postérité de Confucius, l’auteur de cette législation, qui étonne le monde depuis tant de siècles.

Ainsi donc, cette institution par laquelle la Chine a devancé le reste de l’humanité, n’avait été que préparée par les peuples plus voisins de l’Europe qui, précèdent la domination de Rome. Rome en recueillit l’héritage et le compléta pour le transmettre aux temps, modernes.

Un auteur célèbre, qui consacra une partie de sa vie à recomposer l’histoire du siècle le plus curieux des annales romaines, le président des Brosses a apprécié dans quelques pages savantes et éloquentes les avantages que Rome retira de l’hérédité des noms de famille ; nous ne pouvons mieux faire que de lui emprunter quelques lignes :

La forme des noms propres a beaucoup varié dans tous les temps et dans tous les pays. Chaque nation à là-dessus ses usages particuliers : autant de peuples, autant de manières d’imposer les noms personnels. On a vu des peuples attribuer à des colonies, à des races, à des tribus, à des dynasties, à des familles en général le nom collectif du premier auteur. Mais les Romains ont les premiers, de notre connaissance, pris l’usage constant, par eux transmis aux nations modernes, qui le conservent, de continuer le nom propre et personnel du père, comme tel aussi à tous les enfants de l’un et l’autre sexe, à toute sa postérité par mâles. Ainsi les noms de famille sont devenus, des pères aux enfants, héréditaires et distinctifs, au lieu que l’usage avait été jusqu’alors de donner un nom particulier à chaque personne de la même descendance. Cette nouvelle méthode, au premier coup d’œil indifférente et sans conséquence, influa prodigieusement, comme elle a continué de faire aussi chez les nations modernes, sur les habitudes et sur la façon de penser d’un peuple, dont le caractère fut ne rapporter toutes ses vues, ses actions, sa religion même et ses rites pratiques à sa grandeur nationale, à son utilité publique, à ses besoins domestiques. La succession nominale en fixant et perpétuant sur ce nom continué dans la même famille la gloire des personnages illustres et des bons citoyens, avait l’effet naturel d’inspirer à leurs descendants une noble émulation. En incorporant la gloire de l’État à la gloire des noms héréditaires ; elle joignait l’ardeur du patriotisme de race à celle du patriotisme national.

Aussi, voyons-nous les Romains plus enclins qu’aucune autre nation à parler sans cesse de leur nom, à se prévaloir de leur renommée acquise, à déprimer les hommes nouveaux dont le nom n’était pas encore célèbre, autant que ceux-ci étaient ardents, à élever le leur et à tacher de le mettre en honneur. Ainsi cette vanité du nom, d’accord avec la politique de l’État, portait sans cesse leurs mouvements à des entreprises fortes et hardies, tendant à élever, illustrer et enrichir ce nom et cette maison ; tentatives qui, pendant plusieurs siècles, fournirent toujours à l’accroissement de la grandeur de leur patrie, et à sa gloire[74].

L’usage primitif des peuples parait avoir été de ne donner à chaque personne qu’un seul nom pour la désigner individuellement. Mais nous avons vu qu’il était aussi d’un usage fréquent de désigner les personnes par le nom patronymique. Ces deux coutumes se retrouvent d’abord chez les Romains. Au rapport de Varron, dans les commencements, ils ne portaient qu’un seul nom comme les Latins leurs ancêtres. Ces noms personnels désignaient le plus souvent quelque qualité de la personne ; les noms de Romulus et de Remus indiquaient la force, Faustulus, l’heureuse fortune ; Évandre, la bonté ; Numitor et Numa, la vie pastorale, et la plupart étaient d’origine grecque. Les noms patronymiques répondaient encore mieux aux mœurs de Rome, où l’honneur de pouvoir nommer son père était le premier que réclamaient les Patriciens[75] ; mais l’hérédité du nom de famille adoptée par eux en modifia l’usage. Le nom patronymique avant eux ne pouvait être formé que sur les noms toujours différents de chaque chef de famille, et il fallait qu’il changeât à chaque génération. Agamemnon est le fils d’Atrée, Ulysse, le fils de Laërte, mais Oreste et Télémaque ne peuvent avoir leurs noms, rappelant leur naissance, que des noms formés sur ceux d’Agamemnon et d’Ulysse. On cite quelques exceptions : Hercule fils d’Amphytrion, qui avait pris le nom d’Alcide, emprunté à celui de son grand-père Alcée, donne plus tard le nom d’Alcée au fils né de son union avec la reine Omphale. Mais cela ne sert qu’à mieux prouver qu’avant les Romains le choix des noms, comme celui des marques distinctives et des symboles, était laissé à la volonté, au caprice de chacun. Chez les Romains, ce fût le nom du premier auteur connu de la race qui devint le nom de famille héréditaire, et la terminaison ius, empruntée sans doute au grec ύίος, fils, le distingua des autres noms[76]. Ce signe caractéristique put servir à reconnaître sans équivoque le nom véritable de toute personne au milieu de trois ou quatre autres noms[77]. Les traditions qui créent la noblesse domestique trouvaient dans cet usage une garantie et une nouvelle consécration[78].

En fait, l’usage commun se réduisait à trois noms, et dans les proverbes populaires les trois noms désignaient l’homme libre, le citoyen[79]. Les Esclaves affranchis complétaient ce nombre ordinairement en prenant le prénom et le nom de leur ancien maître[80] : ainsi fit Marcus Tullius Tiro, l’affranchi de Cicéron. Lorsque les étrangers étaient admis dans la Cité, ils prenaient aussi le nom de celui qui les y avait fait entrer[81]. C’était un des liens qui unissaient le client au patron et qui faisaient de lui un des membres de la gens.

Les noms durent avoir chez les Romains une importance plus grande que chez les autres peuples ; ils étaient en quelque sorte revêtus d’un caractère officiel ; n’étant pas suggérés par un simple caprice, ils avaient comme une valeur légale. C’est pour cela qu’on a pu croire que le jeune Romain ne prenait ou ne recevait un nom, que le même jour où il était revêtu de la prétexte, insigne de la jeunesse. Mais si l’on en croit l’historien savant et consciencieux des Antiquités romaines, le nouveau-né recevait un nom huit jours après sa naissance[82] et à la suite d’une purification religieuse, dans la même cérémonie où le père attachait au front de l’enfant une bulle d’or et souvent même de cuir qui était le symbole de l’origine libre[83]. Ce nom donné à l’enfant nouveau-né par sa famille ne pouvait être que ce que nous appelons le prénom ; car les autres noms étaient héréditaires ou ne pouvaient être obtenus que bien plus tard par des exploits personnels. Le nom de famille appartenait à l’enfant par cela seul qu’il était reconnu légitime.

Les prénoms, selon Varron, étaient à peine au nombre de trente, et les plus usités se réduisaient à un nombre bien moindre encore[84]. C’étaient : Lucius, né à la pointe du jour ; Manius, né le matin ; Gaius ou Caïus, qui apporte de la joie ; Cnœus, marqué sur le corps ; Marcus, Quintus, Sextus, nés au mois de mars, de juillet ou d’août[85] ; ces deux derniers désignaient aussi l’ordre de la naissance, comme Primus, Secundus, Tertius, Septimus, Octavus, Nonus, Decimus. C’étaient encore Tiberius, né près du Tibre, Publius, resté orphelin, Spurius d’origine illégitime[86], Servius, conservé dans le sein de sa mère ; Titus, qui fait honneur à ses parents[87] ; Proculus, né loin de son père.

Quelques familles affectaient de porter presque toujours le même prénom[88] ; mais on donnait rarement le même à deux frères ; le prénom du père passait au fils aîné ; le second prenait celui d’un parent du père. Ainsi faisaient les Metellus, même dans leurs branches diverses les Nepos et les Celer. Les Domitius Aenobarbus avaient la même préférence pour les prénoms Lucius et Cneius. Le prénom Appius appartenait exclusivement aux Claudius. Le prénom Servius était devenu propre aux Sulpicius. Dans la gens Manlia, après la trahison de Manlius Capitolinus, on décida qu’à l’avenir personne ne porterait plus le prénom de Marcus[89].

Les filles n’avaient pas de prénom, et il est fort rare de leur trouver d’autre nom que celui de leur famille : Cornelia, Cœcilia, Sempronia, Terentia, Tullia, filles de Cornelius Scipion, de Cœcilius Metellus, de Sempronius Gracchus, de Terentius Varro, de Tullius Cicéro[90]. Elles portaient le nom de famille et jamais le surnom ; c’était l’usage commun en Italie avant les Romains ; on leur donnait quelquefois en famille de petits noms qui leur restaient, comme Tertia, Tertulla, Felicula, Fausta.

Le petit nombre des prénoms et l’usage de n’en donner qu’un seul à chaque personne rendit nécessaires les surnoms. Les surnoms étaient tirés de causes diverses analogues à celles qui ont donné naissance aux noms de famille héréditaires adoptés par les peuples barbares de l’Europe à l’imitation des Romains. Voici les plus connus et leur origine, les circonstances de la naissance : Cæsar, né avec des cheveux ; Posthumus, né après la mort de son père ; Agrippa, né d’un accouchement laborieux ; Cœso, pour lequel on a ouvert le ventre de la mère ; Vopiscus, qui a survécu à son frère jumeau. Les qualités du corps : Scaurus, boiteux de la hanche ; Sura, gras de la jambe ; Strabo, louche ; Cocles, borgne ; Scævola, gaucher ; Plautus, Plancus, pied large ou plat ; Pulcher, beau. ; Ænobarbus, barbe rousse ; Cossus, front ridé ; Glaber, sans poil ; Capito, grosse tête ; Celer, prompt ; Cursor, bon coureur ; Lucullus, gros homme ; Cincinnatus, Cinna, cheveux frisés ; Dentatus, belles dents. La couleur du teint : Albinus Niger, Rufer, Rufinus, Fulvius, Flavius, Aquilius, basané ; Sylla, haut en couleur. Les qualités morales : Cato, prudent ; Nero, vaillant[91] ; Drusus, fort ; Brutus, stupide ; Frugi, sobre ; Nepos, dissipateur ; Gurges, qui engloutit ; Corculum, plein de cœur ; Lepidus, agréable ; Orestes, maniaque[92] ; Cotta, vaillant ; Pins, pieux ; Félix, Faustus, Manus, Maximus, Impériosus, Publicola. La ressemblance avec quelque animal : Gracchus, Catiilus, Corvus, Asellio, Vacca[93]. Le lieu de l’origine : Mecœnas, Collatinus. Le métier, les occupations agricoles Metellus, ouvrier à gages[94] ; Aurifex, orfèvre ; Cicero, pois chiche ; Lentulus, Fabius, lentille et fève ; Ovilius, Bubulcus, Suilius, Porcius, animaux divers. Les goûts et les inclinations : Catilina, friand[95] ; Murœna, lamproie ; Orata, dorade ; Fimbria, porte-frange. Les exploits et les grandes conquêtes : Coriolanus, Torquatus, Corvinus, Capitolinus, Cunctator, Africanus, Macedonicus, Achaïcus, Asiaticus, Creticus, Isauricus, Numidicus.

La différence est moins précise, toutefois entre le surnom et un quatrième nom ajouté quelque fois et qu’on appelait agnomen. L’agnomen était lui-même, dans son origine un véritable surnom qui, après avoir été donné à un individu, pouvait désigner ensuite la famille de ses descendants : on disait Publius Cornelius Lentulus Sura, Quintus Cæcilius Metellus Numidicus ; mais lorsque ce nom était passé en héritage, on supprimait quelquefois le nom proprement dit : Publius Lentulus Sura, Quintus Metellus Numidicus ; l’ancien surnom prenait la place du véritable nom de famille, et l’agnomen celle du cognomen[96].

Enfin, l’adoption qui était très fréquente chez Romains, introduisait souvent une autre espèce de nom : l’adopté prenait le nom de celui qui l’adoptait, mais gardait le sien en le modifiant pour rappeler son origine : Publius Cornelius Scipio Æmilianus, fils de Paul-Émile, Marcus Terentius Varro Luculianus, frère du célèbre Lucullus, de la maison Licinia. On sait que Scipion Emilien ajouta encore à ces noms le surnom d’Africain, et qu’il fallut alors le distinguer du premier Africain par une dernière appellation, Publius Cornelius Scipio Æmilianus Africanus minor ; mais c’était là une exception hors des règles communes. De même le fils adoptif de César, désigné déjà par les noms de Caïus Julius Cæsar Octavianus, prit ou reçut le surnom d’Augustus ; que l’histoire lui a conservé et qui devint le titre privilégié de ses successeurs à l’Empire[97].

Les Romains empruntèrent des Sabins, après le mélange des deux nations, l’usage d’avoir deux noms, le propre et le surnom : du moins Pompilius Numa nous en montre le premier exemple. Ils peuvent aussi avoir pris, soit des Sabins, soit des Etrusques, dont ils ont adopté tant de coutumes, l’usage des noms héréditaires, s’ils ne l’ont eux-mêmes introduit les premiers. Les premières familles où se trouve chez eux un nom constamment héréditaire sont celles des Marcus et des Tarquinius. Le père, l’aïeul et les deux fils du roi Ancus Marcius, Sabins d’origine, portaient le même nom, qui s’est continué dans toutes les branches de la même maison ou qui prétendaient en descendre, les Rex, les Philippus, les Figulus, etc. Le roi Tarquin l’Ancien, était d’Etrurie et d’une famille originaire de Corinthe. Son père s’appelait Démarate ; mais sa postérité retint constamment le nom de Tarquinius. Tarquinia, femme du roi Servius, était sa fille. Tarquin le Superbe était son petit-fils. Sextus Tarquinius, fils de celui-ci ; Tarquinius Aruns, Tarquinius Collatinus, mari de Lucrèce, et plusieurs autres contemporains, de même nom étaient de la même famille[98].

Bientôt les Romains ajoutèrent un troisième nom aux deux premiers. Pour désigner en particulier chaque individu de la même famille, ce fut le prénom, ainsi désigné parce qu’il se plaçait avant les autres. De la sorte, chaque Romain eût ordinairement trois noms, le prénom, qui le désignait personnellement, le nom qui distinguait chaque famille, le surnom qui marquait chaque branche de la même famille[99]. Le surnom distinctif de chaque branche était le plus fréquemment employé pour dénommer le père de famille[100]. Ainsi l’on disait officiellement : Marcus Æmilius Scaurus, Publius Cornelius Sylla, Lucius Sergius Catilina, Marcus Tullius Cicero, Caïus Julius Cæsar. Mais dans le langage ordinaire on se contentait de dire Scaurus, Sylla, Catilina, Cicero, Cæsar.

Les surnoms, en devenant héréditaires, servaient à distinguer les branches d’une même famille ; c’est ainsi que la gens Cornelia comprenait les Sylla, les Scipion, les Lentulus, les Cinna, les Cossus, les Dolabella. Quant aux noms proprement dits qui désignaient les gentes, leur origine était la même ; quelques-uns étaient même tirés des prénoms ou des surnoms comme Marcius, Sextius, Fabius, Tullius ; mais le nombre en était bien plus restreint comme s’ils fussent restés l’apanage des familles les plus nobles et les plus anciennes.

Eusèbe Salverte explique d’une façon ingénieuse comment l’hérédité des surnoms prévalut peu à peu chez les Romains, quoique les surnoms eussent été d’abord tout personnels. Les Sénateurs, choisis successivement par Romulus, Servius Tullius et Brutus, n’avaient, dit-il, transmis le Patriciat qu’à leurs descendants : tous leurs parents étaient restés Plébéiens. Une branche patricienne pouvait donc compter, dans la classe inférieure, plusieurs branches collatérales du même nom[101]. Les Papirius et les Licinius furent constamment divisés en Patriciens et Plébéiens[102]. Après l’admission des Plébéiens à toutes les charges et lorsque l’usage distingua par le titre de nobles les descendants d’un citoyen revêtu d’une magistrature curule, la distinction des nobles et des non nobles s’étendit à un plus grand nombre de familles. Comment alors se faire reconnaître ? Comment éviter une confusion que la communauté du nom de famille semblait rendre inévitable ? La nécessité de prévenir un danger si alarmant pour l’orgueil s’accrut de jour en jour.

Les étrangers admis dans la Cité y conservèrent leurs noms formés suivant le même système que les noms romains ou les modifièrent conformément à ce système. L’usage s’établit pour les nouveaux citoyens de prendre le nom et souvent le prénom de leur patron, et de garder pour surnom leur nom propre national. Il en fut de même pour les affranchis.

Ainsi des noms, jadis propres aux premières familles de Rome, se retrouvèrent dans toutes les classes et jusque dans la lie de la société ; et grâce aux affranchissements et aux conquêtes, les provinces et la capitale furent peuplées de Cornelius, de Julius, de Fabius, de Claudius. Pour que l’on risquât de confondre non seulement le noble et le non noble, le Patricien et le Plébéien, mais le petit-fils d’un étranger, d’un prolétaire, d’un esclave et le descendant de l’un des fondateurs de la République, que fallait-il désormais ? le laps de quelques lustres et quelques vicissitudes de la fortune. Le surnom attaché à l’individu, et que l’on ne transmettait ni aux clients, ni à l’affranchi, devint alors le signe distinctif par excellence. De concert avec l’orgueil, l’habitude faisait que l’on n’appelait guère un affranchi que par son surnom, son ancien nom d’esclave, ce n’était que quand on voulait le flatter et le traiter sur le pied d’égalité qu’on lui adressait son prénom. Le surnom d’un nouveau citoyen, rappelant communément son nom national, servait aussi à le faire reconnaître, et par une raison analogue, c’était un signe d’amitié intime et de considération de n’interpeller un citoyen romain que par son surnom[103].

Les diverses branches patriciennes d’une famille affectèrent d’abord un ou deux surnoms avec une continuité propre à les rendre héréditaires ; soit afin de se distinguer entre elles, soit pour ne pas être confondues avec les branches plébéiennes du même nom[104]. Celles-ci, à leur tour, dès qu’elles eurent été illustrées par les charges curules, adoptèrent des distinctions conformes à cette noblesse acquise par de grands services. Enfin, par crainte d’être confondues avec les hommes nouveaux, les étrangers, les affranchis, les familles de l’ordre équestre, adoptèrent le même usage. Ajoutons cependant que de nouveaux surnoms continuèrent d’être donnés ou acquis, et que les anciens eux-mêmes ne furent jamais la propriété exclusive des familles où le temps et la gloire en avaient consacré l’hérédité[105]. Ce fut la limite que les mœurs opposèrent à ce désir instinctif que montraient les vieilles familles de conserver les traditions de leur noblesse par la transmission héréditaire des noms.

 

FIN DE L’OUVRAGE.

 

 

 



[1] Wulson de la Colombière, chap. I.

[2] Wulson de la Colombière, chap. II.

[3] Varron donne ainsi l’étymologie de Scutum : a sectura, ut scutum, quod minute confectum sit tabellis. Isidore dit : ab exculiendo ictus. Peut-être Scutum vient-il du mot σκύτος emprunté à la langue celtique et qui yeut dire cuir. Le bouclier était ordinairement recouvert d’une peau de bœuf. Clypeum vestire juvenco (Stace.) Le bouclier d’Ajax en avait sept. Les boucliers d’osier, gerræ, crates, étaient plus légers.

[4] Virgile compare l’œil du Cyclope Polyphème à un Bouclier Argien ou au disque de la Lune. Le bouclier d’Achille est l’image du disque de la Terre dans les idées géographiques du temps d’Homère. Le mot grec άσπις est emprunté à l’image d’un serpent replié en rond.

[5] Diodore de Sicile parle des signes distinctifs que portaient Anubis et Macédon, fils d’Osiris. Mais Bara a singulièrement exagéré l’importance de ce témoignage.

[6] Hérodote, livre II.

[7] Alba Palœstino sancta columba Syro. Tib., Elég., I, 7.

[8] On sait d’ailleurs que Sémiramis n’avait pas d’éléphants dans son armée et que, dans son expédition contre les Indes, elle eut recours pour en tenir lieu à une ruse de guerre qui nous fait sourire aujourd’hui. Elle habilla des chameaux avec des peaux d’éléphants. Hérodote, liv. I.

[9] Cyropédie, liv. VII.

[10] Michel Baudier, historiographe du Roi Louis XII, Histoire inédite de l’empire des Perses, Bibliothèque nationale : manuscrit n° 1434. — Philostrate, Elog. de Thémistocle. Xénophon, liv. I, Cyropédie.

[11] Liv. I, ch. 2. Les tribus Juives.

[12] Les Nombres, ch. II. Singuli per turmas signa atque vexilla et domos cognationum suarum castrametabantur. Une autre version est plus explicite : Singuli juxta vexillum suum in signis domus patrum suorum castrametabantur.

[13] Prado s’exprime ainsi : Enim vero singuli duces tribuum propria gestabant insignia, parentum scilicet stemmata in vexillis depicta.

[14] Pline, H. N., I, 35, 3.

[15] Æneide, II, 389.

[16] Æneide, VII.

[17] Æneide, X.

[18] Virgile, Æneide, VIII.

[19] Flaccus, I, 404. — Comm. de Servius.

[20] Æneide, VIII, 248.

[21] Æneide, III.

[22] Ovide, Métamorphoses, VII.

[23] Pollux, VIII, 9.

[24] Plutarque, Laconiq.

[25] Amphiaraüs ne voulait pas être reconnu. Hélénor était fils d’une esclave et du roi de Lydie ; sa mère l’avait envoyé secrètement au secours de Troie.

Ense levis nudo parmâque inglorius alba. Æneide, IX, 548.

[26] Sicile le Hérault, Les couleurs du Blason.

[27] Briarée.

[28] Géryon.

[29] Cerbère.

[30] Nous verrons plus tard les armoiries des Chevaliers chrétiens dans les croisades imitées par les Sarrasins, au moins dans les fictions des poètes.

[31] Au teint blond, à la chevelure blonde.

[32] Æneide, I, 443.

[33] Wulson de la Colombière, ch. I.

[34] Æneide, XII, 160. Les Incas en Amérique avaient la même origine dans les traditions nationales.

[35] Æneide, VII, 178.

[36] Æneide, X, 162.

[37] Æneide, X, 203.

[38] Æneide, VI, 771.

[39] Æneide, VI, 275.

[40] Æneide, VI.

[41] Suétone rapporte qu’un jour Auguste donna au chevalier C. Nonius Asprenas un collier d’or et le droit de transmettre à ses descendants le surnom de Torquatus : c’était pour le consoler, d’une chute de cheval. Ainsi étaient avilis les souvenirs glorieux de la république. Auguste, 43.

[42] On expliquait par un fait analogue le surnom de Fabius Buteo.

[43] Pline, XXII, 3.

[44] Horace, Ep. ad. Pisones.

[45] Silius Italicus, V.

[46] Tite-Live, VIII, 8. Varron, IV, 16. Végèce, II, 13.

[47] Ovide, Fastes, III, 117. Pline, XXXIII 3. Hérodien, IV. 7. — Tacite, Ann., I, 39. 43. Hist., I, 41. IV, 63. — Suétone, Tibère, 48. Caïus, 14. Vitellius, 2. — Végète, II, 6. Ammien, XXV, 10. Luc., I, 374.

[48] Vexillum désignait aussi le drapeau rouge que l’on déployait pour donner le signal du combat.

[49] Ovide, Fastes, III, 114. César, de. B. G., IV, 23. V. 29. Tite-Live, II, 59.

[50] Pline, X, 4. Dion, XL, 18, 18.

[51] Tite-Live, VII, 31. Pline, XXII, 4, 5, 6.

[52] Pline, XXII, 4. Nous avons vu déjà que la terre, et l’eau étaient les signes de dépendance chez les Perses. Nous verrons la motte de gazon jouer un rôle important dans l’investiture féodale, et Pline nous montré ici quelle était l’antiquité de ce usage chez les Romains.

[53] Pline, H. N., 5.

[54] L’ovation était un triomphe plus simple lorsque la victoire avait été moins importante ou moins difficile.

[55] Æneide, VII.

[56] Une comète, qui se levait vers la onzième heure, brilla durant sept jours de suite, et l'on crut que c'était l'âme de César reçue dans le ciel. C'est pour cette raison qu'il est représenté avec une étoile au-dessus de la tête. Suétone, Jules César, 88.

[57] XXXV, 2. Polybe, VI, 51. Juvénal, Sat., VIII. 69. Salluste, Jugurtha, 85. Tite-Live, III, 58. Ovide, Am., I, 8, 63.

[58] Salluste, Jugurtha, 4.

[59] Salluste, Jugurtha, 85.

[60] Valère Maxime. Sénèque. Pline.

[61] Pline. Macrobe.

[62] Cicéron, Brutus, 16.

[63] Cicéron, après avoir été consul, s’appelait encore lui-même homo per se cognitus. Le noble, avons nous dit, est l’homme connu par ses ancêtres. Une tradition pourtant faisait remonter la famille du célèbre orateur à un roi des Volsques. — Plutarque, Cicéron, 1.

[64] EUSÈBE SALVERTE, Essai historique et philosophique sur les noms d’hommes, de peuples et de lieux, 1524. — Un assez grand nombre de savants s’étaient déjà occupés des noms propres. — OTTIUS, de nominibus propriis, Zurich, 1671 — COURT de GÉBELIN, dissertation sur les noms de familles. — PASSERI, de nominibus, prœnominibus, cognominibus Etruscorum. NOËL, essai historique sur les noms propres chez les peuples anciens et modernes. POINSINET de SIVAY, origine des premières sociétés. ATHUSIUS, politica methodica digesta.

[65] Les noms propres étaient en très petit nombre chez les Hébreux ; les noms généalogiques empochaient de confondre les individus désignés par les mêmes noms. Les noms arbitraires, tirés de quelque circonstance ou de quelque présage, avaient la même raison ; on les prodiguaient d’ailleurs inutilement : Moïse répondait à sept autres noms. Après la dispersion, les Juifs parurent préférer les noms les plus célèbres et comme les plus sacrés de leur histoire, Abraham, Isaac, Aaron, Moïse, etc. Une législation récente leur a imposé l’hérédité des noms.

[66] Chez les Perses, un grand nombre de noms, par la syllabe asp, qui en Zend signifié cheval, rappelaient une origine guerrière ; Gustaspe ; Hystaspe, Amaraspe, etc. On cite les trois ancêtres de Zoroastre : Porochasp, Hetchedasp, Peterasp. — Vie de Zoroastre, Zend-Avesta, l. 2e p. 8. Les Perses, dit Hérodote, ont quelque chose de singulier qu’ils ne connaissent pas eux-mêmes, mais qui ne nous a point échappé. Leurs noms, qui sont empruntés ou des qualités du corps ou de la dignité des personnes, se terminent par la lettre que les Doriens appellent San et les Ioniens Sigma ; et si vous y faites attention, vous trouverez que les noms des Perses finissent tous de la même manière, sans en excepter un seul. Hérodote, Liv. I.

[67] Ben, en arabe, marque la filiation ou la descendance.

[68] Barca était le surnom donné au grand Amilcar. C’est aussi le nom d’une région de l’Afrique.

[69] Ce nom patronymique d’Hercule formé, du nom de l’aïeul semble une dérogation à l’usage ordinaire. La tradition mythologique faisait d’Hercule le fils de Jupiter. Est-ce pour cela qu’il ne prit point le nom de son père Amphytrion ? ou l’usage permettait-il en Grèce comme en Palestine de prendre le nom de l’aïeul ? Certains peuples sauvages, les Caraïbes, les habitants du Kamschatka, donnent à l’enfant le nom d’un aïeul, qu’ils croient faire ainsi revivre en lui.

[70] Hérodote, Clio, Liv. I, 163.

[71] Cet usage ne se retrouve pas même chez les peuples les plus voisins de la Chine, excepté au Japon. Les Lapons, les Samoièdes, les Bouractes, les Ostiaks, les Baschkirs ont eu aussi des noms de famille. Faut-il en faire remonter l’origine jusqu’aux Chinois ? — On a trouvé en Arménie deux familles, dont le nom était héréditaire, les Orpelians et les Mamigonéans : on sait qu’elles étaient d’origine chinoise. — J. Saint-Martin, Mém. hist. et géogr. sur l’Arménie.

[72] Passeri a retrouvé dans les inscriptions étrusques les noms suivants : — prénoms : Aulus, Lucius, Manius, Marcus, Publius, etc. ; — noms : Annius, Antonius, Cestius, Cilnius, Helvius, Lœius, Mulius, Horatius, Petronius, Pompopius, Publilius, Salvius, Trebonius, Licius, Titius, Vibius ; — surnoms : Grarcus, Gallus, Macer, Metellus, Papus, Rufus, Severus, et l’agnomen Trebonianus. — On retrouve égaiement des noms de famille chez les Samnites : Caïus et Herennius sont les prénoms des deux Pontius. — Le chef des Albains s’appelle Carus Cluilius, celui des Sabins Titus Tatius. — Le nom de Sylvius était donné aux rois d’Albe de temps immémorial. — Les Romains, dit Varron, avant de se mêler aux Sabins n’avaient qu’un seul nom.

[73] Le nombre en est de mille tout au plus. Trigault, Voy. en Chine. — Les surnoms sont au contraire variés et sans nombre : chacun en reçoit un à sa naissance, un autre en commençant ses études, un autre à l’âge viril, puis d’autres encore selon diverses circonstances.

[74] Le Président des Brosses, Hist. de la Rép. Rom. — Salluste. — Introduction.

[75] Patricii, qui patrem ciere possint.

[76] Certains noms se formèrent du titre des dignités paternelles : Flaminius, fils d’un Flamen, Pontificius, fils d’un pontife. Sigon., de nom. rom.

[77] Les noms Peducœus, Annœus, Poppœus s’écrivaient à l’origine Peducaius, Annaius, Poppaius. C’est l’orthographe la plus usitée dans les inscriptions. Norbanus et Cœcina, qu’on a cités comme noms de famille sont des surnoms : Cn. Junius Norbanus, A. Licinius Cœcina, M. Octavius Cœcina.

[78] Les noms déjà terminés en ius en formèrent d’autres par l’addition d’une consonne intermédiaire : Publius, Publilius. Manius, Manilius. Servius, Servilius, Lucius, Lucilius. Caïus, Cælius, (Cailius). Quintius, Quintilius, Sextius, Sextilius. Genncius, Genucilius. Cœcius, Cæcilius. Titius, Titinius. Gratius, Grtlidius, etc.

[79] Juvénal, V, 20.

[80] Souvent ils gardaient le nom de leur nation.

[81] Cicéron, Fam., XIII, 35, 36.

[82] Le 8e jour pour les filles, le 9e pour les fils. Sext. Pomp. Festus. Lustrici dies.

[83] Le nom de famille était inscrit sur les tombeaux d’enfants, même âgés seulement de quelques jours. Gruter. Grœvius. Inscript.

[84] Un assez grand nombre usités à l’origine tombèrent en désuétude parce qu’on ne pouvait pas les écrire en abrégé sans confusion. On préféra ceux qu’une lettre ou deux indiquaient suffisamment.

[85] Martius, Quintilis, Sextilis.

[86] Le nom de Spurius, selon Eusèbe Salverte, venait plutôt du mot grec u7mer , semeur et appartenait aux habitudes agricoles des premiers Romains. Une famille patricienne n’aurait pas gardé un nom rappelant la bâtardise. L’erreur est venue de ce que les lettres S. p. désignaient également ce prénom et sine patre. Plutarque, Quæst. rom., 103.

[87] Valère Maxime, L. 10. Epit.

[88] Nous retrouverons des exemples de cet usage, dans les grandes maisons de la noblesse moderne. A Rome, pour éviter toute contusion, on indiquait souvent la différence d’âge par les termes de senior et junior.

[89] Tite-Live VI. 20. Les Claudius renoncèrent de même au prénom de Lucius, flétri par deux de leurs parents. Suétone, Tibère, 1.

[90] Le nom d’une femme pouvait devenir légalement l’origine d’un agnomen pour ses fils si cette condition avait été stipulée dans, le mariage. On proposa ainsi que Tibère prit un nom dérivé du nom de Livie, sa mère. Vespasien devait son nom à sa mère Vespasia, femme de Flavius ; et donna lui-même à son second fils Domitien le nom de sa femme Domitia. Chez les Lyciens et les Xanthiens, selon Hérodote (I, 163), la mère seule transmettait aux enfants son nom et l’ingénuité. C’est ainsi qu’au Pérou était réglée la succession au trône.

[91] C’est un mot Sabin.

[92] C’était une branche de la gens Aurelia.

[93] Lentulus reçut, dit-on, le Surnom de Spinther à cause de sa ressemblance avec le comédien de ce nom. Valère Maxime, IX, 14.

[94] Metallo conductus, porte-faix.

[95] Eusèbe Salverte pense que ce surnom venait plutôt de Calilus, bourg voisin de Tibur, nommé dans Horace : Mœnia Catili., Odes, I, 18, 2. Mais la quantité de la première syllabe varie dans les deux mots. On cite un autre Catilina qui avait écrit sur l’art militaire. Lydus, de Mag. reip. rom., I, 37.

[96] Sigonius.

[97] Octave avait d’abord été appelé Thurinus du nom de Thurium où son père s’était illustré et où son bisaïeul avait, disait-on, été marchand de cordes. Suétone, 2 et 7. Il adopta ensuite le surnom de Cœpias.

[98] Des Brosses, Id. ibid.

[99] Quelques Romains illustres n’ont pas le cognomen, comme Caïus Marius, Sertorius et L. Mummius. C’étaient sans doute des hommes nouveaux, qui ne comptaient pas encore de citoyen parmi leurs dieux. D’autres, comme Perpenna, ne sont connus que par leur surnom. Mummius n’eut de surnom qu’après la prise de Corinthe : on l’appela Achaïeus. Il fut le premier des hommes nouveau honoré d’un surnom de ce genre. Velleius Paterculus, I. Plutarque, Marius et Sertor.

[100] De même de nos jours on porte plus ordinairement le nom de terre que le nom de baptême ou le nom de famille. Des Brosses.

[101] Il en fut de même à Venise pour les Navagieri, les Mini, les Nani après 1297.

[102] Cicéron, Ep. ad Fam., IX, 21.

[103] Eus. Salverte, § 25.

[104] Cicéron, Brutus, 16 : Genera etiam falsa et a plebe transitiones, cum homines humiliores in alienum ejusdem nominis infunderetur genus....

[105] La loi ne prit jamais à Rome les surnoms sous sa garantie. Comme ils désignaient presque tous des qualités, ils pouvaient être appliqués à toutes les personnes dans les mêmes conditions. On trouve ainsi dans les fastes de Rome et dans les inscriptions un Manlius Cincinnatus, un Quinctius Capitolinus, un C. Aurunceius Cotta, un P. Canidius Crassus, un Sallustius Lucullus, un Calpurnius Sénèque, un Capronius Cicero.