NAPOLÉON III INTIME

 

1848-1870

VII. — L'AUTORITÉ.

 

 

L'Empereur règne ; l'opinion gouverne. — Ce que veut le pays en 1852. — Promesse spontanée. — Napoléon III plus libéral que le public. — Comment ses concessions sont accueillies. — Ni victoires, ni liberté. — Confession d'un ancien démolisseur. — Les premières journées. — On tâte l'Empereur. — Napoléon III devant le danger. — L'attentat d'Orsini. — A Besançon. — A Épernay. — A la Maison-Carrée. — Sur les boulevards, en juin 1869. — Grande manifestation, où l'Empereur manifeste seul. — Les élections ; ce qu'en pense Napoléon III. — Gouvernement représentatif. — Gouvernement parlementaire. — Pourquoi l'Empereur s'y résigne. — M. Émile Ollivier. — Comment Napoléon III remplit son nouveau rôle. — Témoignages divers. — Les projets de loi sur l'année.

 

De nos jours, comme au temps de Montaigne, nous nous laissons encore prendre à la piperie des mots ! Ce qui caractérise un gouvernement, ce n'est pas, comme on le croit trop volontiers, son étiquette, mais son esprit ; les institutions sur lesquelles il s'appuie, mais la façon dont il les manie ; la somme de pouvoir qui lui est attribuée, mais l'usage qu'il en fait.

Voulant démontrer que rien n'empêchait la France républicaine de s'allier avec la Russie, M. Ranc disait récemment, avec beaucoup de raison : Le czar est certes un souverain absolu ; mais ce gouvernement autocrate est aussi, et cela n'est peut-être pas assez remarqué, un gouvernement d'opinion. Si maure que soit le czar il faut qu'il sente l'âme du peuple, qu'il y réponde, qu'il soit en communication avec elle. C'était, sans y songer, définir assez exactement le second Empire, même dans sa période autoritaire. Si jamais souverain a senti l'âme du peuplé, a toujours été en communication avec elle, ce fut bien Napoléon III ! Il était sincère, il était vrai, quand de Saint-Quentin il disait aux masses : Ma fibre répond à la vôtre, nous avons les mêmes instincts et les mêmes intérêts. Les instincts démocratiques de l'empereur le poussaient à scruter sans cesse le sentiment des masses, à s'inquiéter sans cesse de leurs besoins. A défaut de l'instinct, l'intérêt le lui eût commandé. Pour un gouvernement qu'un parti a mis au pouvoir, il suffit de donner satisfaction à ce parti[1]. Élu par la population tout entière et responsable devant elle, Napoléon III n'aurait pu se trouver en désaccord avec elle sans perdre son point d'appui, sans compromettre sa popularité, son crédit, même sa couronne. L'Empereur menait la France ; mais l'opinion menait l'empereur. Quelles que soient les secrètes pensées de l'homme qui nous gouverne, — écrivait en 1864 l'auteur du Progrès, — il ne peut rien que par nous ; il n'a jamais rien fait sans voir derrière lui l'opinion de la majorité. Et ce qu'Edmond About disait à cette époque, il aurait pu le répéter jusqu'au dernier jour de l'Empire, si sa conception du progrès ne se fût alors bien modifiée.

Or, après le 2 décembre, — comme après le 18 brumaire[2], — la France ne voulait pas de liberté : elle avait soif d'autorité. Surmenée par quatre années de secousses, elle avait-besoin de repos ; saturée de bavardages, elle avait besoin de silence. Il fallait, pour quelque temps, la mettre au régime : elle–même en sentait la nécessité. C'est pour la guérir que Napoléon III avait réclamé le pouvoir absolu, non pour en jouir. Il n'en voulait user qu'avec modération[3] ; il comptait peu à peu le rendre au pays convalescent. Dès le début de son règne, alors qu'on ne songeait guère à la lui demander, il en faisait spontanément la promesse. Le 31 décembre 1851, le jour même où il avait officiellement reçu les résultats du plébiscite lui conférant ses pleins pouvoirs, il avait dit : Donner satisfaction aux exigences du moment, en créant un système qui reconstitue l'autorité, sans blesser l'égalité, sans fermer aucune voie d'amélioration, c'est jeter les bases du seul édifice capable de supporter plus tard une liberté sage et bienfaisante. Et l'engagement qu'il avait pris, comme président, il le rappelait, comme empereur, dans le message de 1853 : A ceux qui regretteraient qu'une place plus large n'ait pas été faite à la liberté, je répondrais : La liberté n'a jamais aidé à fonder d'édifice politique durable : elle le couronne, quand le temps l'a consolidé.

Celte promesse Napoléon III la tint, — et galamment, hardiment, comme il faisait tout. On a vu certains régimes marcher constamment à reculons et reprendre peu à peu ce qu'ils avaient donné ; on en a vu d'autres céder, de mauvaise grâce, aux menaçantes exigences du sentiment public ; on en vit rarement d'assez désintéressés, d'assez courageux pour devancer l'opinion, pour abandonner des prérogatives qu'ils auraient pu retenir longtemps encore : c'est ce que fit Napoléon III.

De ces diverses étapes, de la dictature à la liberté, la réforme du 24 novembre 1860 fut la première et la plus importante ; car de celle-là, — l'empereur ne se le dissimulait pas, — toutes les autres devaient découler tôt ou tard. Loin de la lui conseiller, les ministres de Napoléon III en avaient très froidement accueilli le projet. Le correspondant parisien de l'Indépendance Belge, donnait à cet égard de curieux détails : Le motu-proprio de l'Empereur, — écrivait-il le 5 décembre 1860, — a retenti comme un coup de tonnerre au sein du conseil, où il n'était connu d'aucun ministre, si ce n'est du comte Walewski... Les paroles prononcées par l'Empereur et la lecture de la série des articles du décret auraient été accueillis au conseil par une véritable stupeur et n'auraient soulevé que des objections... Comme on lui faisait observer qu'il donnait trop ou trop peu, qu'il fallait qu'une porte fût ouverte ou fermée : Eh bien, aurait répondu l'Empereur, elle sera ouverte. Et comme on lui demandait encore ce qu'il ferait dans le cas où, en vertu de ses nouvelles prorogatives, le Corps Législatif se mettait en opposition avec la politique du souverain, où le pays, par de nouvelles élections, semblerait l'approuver : Dans ce cas, aurait répliqué l'Empereur, j'adopterais la politique du pays.

Ce correspondant, dont les informations étaient ordinairement puisées à bonnes sources, était-il, cette fois, bien renseigné ? Il l'était le mieux du monde ; et nous pouvons le prouver, en mettant sous les yeux du lecteur, la lettre que l'Empereur adressait, le 26 novembre, à l'Impératrice, voyageant en Ecosse :

Ma chère Eugénie, as-tu jamais mis le pied dans une fourmilière ? Eh ! bien, voilà l'état dans lequel je suis depuis huit jours. Dès que ma pensée d'opérer quelques changements a été connue, tous les amours-propres se sont mis en mouvement, toutes les répugnances se sont fait jour et c'était toujours un travail de Pénélope. Quand j'ai parlé dans le Conseil des ministres réuni en conseil privé des réformes que je voulais faire, tout le monde y a été opposé comme toujours, Walewski seul m'a soutenu ; et, comme toujours aussi, j'ai suivi ma pensée. Aujourd'hui, je reçois des félicitations de tous les côtés et ceux qui étaient opposés rougissent de leur opposition.

 

Napoléon III, en cette circonstance, avait donc usé de son pouvoir absolu ; mais il s'en était servi, — exemple aussi rare que curieux, — pour le limiter.

L'un des plus fervents admirateurs de ce régime constitutionnel, de ce gouvernement de la tribune, auquel on rouvrait ainsi la voie, le comte de Carné, avouait que le décret du 24 novembre était l'acte le plus spontané qu'aucun gouvernement ait peut-être jamais fait, que rien ne pourrait en diminuer, dans l'Histoire, ni l'honneur, ni la responsabilité[4], — ce qui ne l'empêchait pas, d'ailleurs, de vouloir aussitôt diminuer lui-même cet honneur, en attribuant la libérale initiative du souverain à un calcul égoïste, au simple désir de glisser sur les bras du Corps législatif l'embarrassante question romaine... Mesquine et injuste interprétation d'une pensée plus haute : on le vit, dès l'année suivante, quand l'Empereur, passant déjà de la première étape à la seconde, renonça, avec la même spontanéité, à un droit qu'avaient exercé tous les régimes précédents, dont M. Thiers avait souvent dit que les gouvernements constitutionnels eux-mêmes ne pouvaient se passer, — le droit d'ouvrir des crédits extraordinaires dans l'intervalle des sessions[5]. Fidèle à mon origine, — disait Napoléon III, le 12 novembre 1861, en accomplissant ce nouveau sacrifice, — je ne puis regarder les prérogatives de la Couronne ni comme un dépôt sacré auquel on ne saurait toucher, ni comme l'héritage de mes pères qu'il faille avant tout transmettre intact à mon fils. Elu du peuple, représentant ses intérêts, j'abandonnerai toujours sans regret toute prérogative inutile au bien public, de même que je conserverai inébranlable dans mes mains tout pouvoir indispensable à la tranquillité et à la prospérité du pays[6].

Louis Blanc, qui avait eu de courtes relations avec le prisonnier de Ham, qui avait reconnu, attesté alors sa droiture, ses sentiments élevés, en voyait dans ces premières réformes une nouvelle preuve ; et — bien que devenu depuis 1848 son ennemi politique, — il avait la loyauté d'en convenir : Céder devant les clameurs d'une multitude soulevée, — écrivait-il, le 17 novembre, au Temps, — peut paraître une faiblesse, quand ce n'est pas un stoïque hommage rendu au droit. Mais comprendre ce qu'a d'excessif le pouvoir dont on est investi et en faire publiquement le sacrifice devant un peuple soumis, au milieu du silence universel, est un acte de prudence et d'intelligence qui n'a certes rien de vulgaire et qui mérite d'être approuvé par ceux dont l'approbation n'a rien de servile.

Plus tard, — par la lettre du 15 janvier 1867, — l'Empereur annonçait sa résolution de soustraire la presse à la tutelle administrative et de rétablir le droit de réunion. Pas plus que les précédentes, cette double réforme n'était arrachée par les clameurs d'une multitude soulevée. Comme les précédentes, elle était de la part du souverain, un sacrifice volontaire ; et ceux dont l'approbation, fort rare, n'avait rien de servile étaient encore obligés de le reconnaître : Le gouvernement, fidèle à ses habitudes, n'a pas voulu se laisser devancer par l'opinion, disait le Temps (25 mars 1868). — La lettre du 19 janvier a été au-devant et non à la suite des aspirations du pays, disait le Journal des Débats (7 mars 1868.)

Peu après, les membres du cabinet, jusqu'alors représentés devant le Corps législatif par des ministres sans portefeuille, y furent envoyés eux-mêmes, pour défendre en personne les actes de leur administration : c'était déjà rétablir, en fait, la responsabilité ministérielle, qui ne devait pas tarder à l'être officiellement : quelques rares journaux d'opposition eurent encore la loyauté d'en convenir.

Mais ces aveux étaient isolés et timides. Les divers groupes associés sous l'étiquette commune d'Union libérale affectaient, en général, de n'attacher nulle importance aux concessions spontanées de la couronne. Pour les plus modérés, c'était une manœuvre d'intérêt dynastique, imposée par les circonstances, dont on n'était tenu de savoir aucun gré. Pour les autres ces réformes étaient simplement un trompe-l'œil ; et ce que le pouvoir osait représenter comme un progrès constituait plutôt un recul. Nous avons les mains pleines de ces affirmations hardies, signées des noms les plus considérables de l'opposition, au Corps législatif ou dans la presse. Nous en citerons quelques-unes seulement, à titre de spécimen. La loi sur les coalitions ? C'est un piège. Les lois sur la presse et les réunions ? Un pas en arrière. L'envoi des ministres à la Chambre ? C'est une concession illusoire ; c'est l'affirmation la plus éclatante du pouvoir personnel ; c'est un stratagème qu'il importe de démasquer ; c'est l'impuissance demandant à l'intrigue le salut du pays. La nation ne doit pas se soucier des libertés qu'elle n'a pas faites elle-même ; l'opinion ne doit se laisser ni décourager par les obstacles ni leurrer par des concessions.

La seule concession que ces adversaires de l'Empire attendissent de lui, c'était, en réalité, de leur céder la place. Tout progrès qui pouvait le faire durer leur devenait odieux et, au lieu de les satisfaire, les irritait. M. Ferry a franchement déclaré, en 1889, qu'il avait combattu vingt ans plus tôt la réorganisation militaire, à seule fin de désarmer le pouvoir impérial. En combattant ses réformes politiques, on poursuivait le même but : on ne voulait lui permettre de se consolider ni au dehors par des succès, ni au dedans par la liberté.

Pour indiquer plus sûrement l'étrange état d'esprit des libéraux, alors coalisés contre l'Empire, nous n'avons qu'à recueillir la confession faite, depuis, par l'un d'eux. Pessard a raconté, avec une absolue sincérité, que, modeste tâcheron de la démolition, il s'employait de son mieux à affaiblir le gouvernement et à le diriger doucement vers sa dernière demeure ; — que pousser à la révolution ce n'est pourtant pas contribuer à la félicité des peuples ; — qu'en y travaillant, ses camarades de l'opposition songeaient plus à satisfaire leurs appétits qu'à assurer le bonheur de la patrie ; qu'ils imitaient avec une canaillerie parfois inconsciente, mais jamais désintéressée les Peaux rouges brûlant une forêt pour cuire leur côtelette. Il le comprenait déjà : J'étais bien forcé de m'avouer à moi-même que l'Empire, tel qu'il était à cette heure, valait cent fois mieux que le régime éventuel en préparation dans les réunions publiques. Mais imposant silence à ses antipathies, il n'avait ni une parole trop sévère pour la démagogie, ni une défaillance dans son combat contre le ministère[7].

A force de semer le vent, ces tâcherons de la démolition finirent par récolter à Paris quelques petites tempêtes. L'Empire, qui depuis 1852 avait su y maintenir l'ordre sans un coup de fusil, y eut, en juin 1869, ses premières journées : rassemblements tumultueux, bris de kiosques et de réverbères, essai de barricades, etc., et, quelques mois plus tard, le 26 octobre, rendez-vous donné sur la place de la Concorde, au peuple, avec l'espoir d'une démonstration menaçante contre le Corps Législatif. On se proposait ainsi de tâter l'Empire, et de l'acculer à des mesures violentes dont on espérait tirer parti. Par sa fermeté, comme par sa modération, l'Empereur sut déjouer ce double calcul.

Ouvrons ici une parenthèse nécessaire. Dès son arrivée au pouvoir, — comme auparavant, — Napoléon III avait montré qu'il n'était pas homme à se laisser intimider par la menace et qu'il affrontait tous les genres de danger avec cet impassible sang-froid, que rien ne parvint jamais à troubler. Lui signaler un péril, c'était lui donner le désir non de le braver, — ce mot indique une nuance d'ostentation que ne comportait pas sa nature, — mais d'aller simplement au-devant de lui. Parmi les nombreux exemples qu'il donna de ce beau et froid courage déjà noté par M. de Tocqueville, nous devons en rappeler quelques-uns et en révéler d'autres.

Pas plus que le pistolet de Pianori, les bombes d'Orsini ne le firent pâlir, ne firent pâlir davantage, — il faut l'ajouter, — celle qui venait d'y être exposée près de lui. Tout se réunissait, cependant, le soir du à janvier 1858, pour ébranler le courage le mieux trempé. Les cent cinquante-six personnes atteintes, dont beaucoup fort grièvement, poussaient des cris ou des gémissements douloureux. Les chevaux affolés faisaient rage. L'explosion avait éteint tous les réverbères sauf un seul. A cette faible lueur, des épées nues brillaient devant la portière de la voiture impériale : celles des officiers de paix, qui avaient instinctivement dégainé. L'Impératrice, ne reconnaissant pas ces derniers, s'écrie : Les poignards maintenant ! Et, au lieu de se rejeter en arrière, elle s'élance sur l'Empereur pour le couvrir de son corps. De sa voiture au perron du théâtre, on veut la soutenir ; elle s'y refuse en s'écriant : Il faut leur montrer que nous avons plus de courage qu'eux. Le sang d'une des victimes a jailli sur sa robe ; on la croit atteinte elle-même ; on l'entoure : Ne vous occupez pas de nous, dit-elle ; c'est notre métier : occupez-vous des blessés. Mérimée, après avoir reproduit ce mot, sans commentaire, dans une lettre adressée à la comtesse de Montijo, ajoute qu'à plusieurs reprises il s'était ému des insuffisantes précautions prises par les souverains pour leur sûreté personnelle, mais que l'Impératrice lui avait répondu : Si nous pensions à cela, nous ne dormirions pas. Le mieux est de n'y pas songer et de se fier à la Providence[8]. Quant à l'Empereur, — dont un éclat de bombe avait traversé le chapeau, — il entrait dans sa loge avec sa physionomie accoutumée, et par un salut grave, mais sans apparente émotion, il répondait aux acclamations prolongées du public. Le prince Napoléon, ayant quitté le Palais-Royal, — où l'on devait, ce soir-là, représenter Quittes pour la peur, petite pièce d'Alfred de Vigny, — pour venir féliciter son cousin, celui-ci lui disait, en souriant : Va retrouver tes invités et fais jouer ta comédie : elle est de circonstance. Mais les détails de cette dramatique soirée furent alors trop connus pour qu'on les ait complètement oubliés. Les suivants le sont moins.

Le premier voyage du Prince-Président dans l'Est l'avait amené à Besançon, où se trouvait un groupe de révolutionnaires ardents. Avant d'assister à la fête officielle du théâtre, il devait paraître un instant à un bal populaire, donné dans une salle de médiocre grandeur, à laquelle on arrivait par un long et étroit couloir. On le prévient que la bande démagogique s'y trouvera, pour l'accueillir par des clameurs séditieuses, — si ce n'est pis, — et qu'il commettrait la plus grande imprudence en s'y rendant. Il s'y rend néanmoins, suivi de quelques personnes de sa maison et du général de Castellane. A peine est-il dans la salle que la bande l'entoure, le serrant de près, lui criant à tue-tête : Amnistie ! amnistie ! Les officiers de sa suite, jouent énergiquement des coudes et le général Castellane met la main à son épée. Le Prince, dégagé par eux, fend le flot houleux, va vers l'estrade des musiciens, y monte et regardant bien en face les manifestants, il leur crie : Taisez-vous ! L'amnistie, je vous la donnerai, quand vous l'aurez méritée. Après quoi, il traverse de nouveau cette foule domptée, pour ainsi dire, par son énergie, et se dirige, sans hâter le pas, vers la rue, où le public, informé déjà de cette scène émouvante, l'applaudit chaleureusement.

A Alexandrie, pendant la guerre de 1859, Napoléon III, accompagné de plusieurs officiers de sa maison, — dont l'un nous l'a raconté, — examine les positions de l'armée. A quelques pas de lui se trouvent deux correspondants de journaux étrangers, qui lui ont voué une haine mortelle, qui le disent bien haut, et qu'on a signalés comme des énergumènes, capables de tout, à M. Hirvoix, chef de la police impériale. Celui-ci, voyant qu'ils cherchent à s'approcher, veut les tenir à distance. L'Empereur, l'écartant doucement, va lui-même vers les deux énergumènes, cause pendant quelques minutes avec eux, et, en les quittant, en reçoit les plus respectueux saluts.

Peu de temps après, il doit se rendre au camp de Châlons. Le Directeur de la sûreté, — c'est de lui que nous le tenons, — reçoit un rapport, le prévenant que les ateliers de la gare d'Epernay, travaillés par la propagande révolutionnaire, sont animés des plus inquiétantes dispositions. On engage vivement l'Empereur à brûler cette station dangereuse. L'Empereur s'y refuse : arrivé à Épernay, il descend de wagon, va droit aux ateliers, les parcourt, adresse la parole aux ouvriers, qui, d'abord hésitants, finissent par l'acclamer ; puis, d'une allure aussi tranquille que s'il sortait de son cabinet de travail, il regagne lentement son train.

L'année suivante, le hasard nous permit de constater, de nos yeux, ce calme imperturbable de Napoléon III, au milieu de l'émotion générale causée par sa crânerie. C'était au mois .de septembre 1860, en Algérie. Du haut d'un tertre qui dominait la plaine de la Maison-Carrée, — et sur lequel nous nous trouvions nous-même, en simple touriste, à une distance assez faible pour le bien observer, — l'Empereur venait d'assister à une grande fantasia, exécutée par six mille Arabes ou Kabyles de diverses tribus. La fantasia terminée, les Arabes défilèrent devant l'Empereur, vers qui montait, pour lui baiser la main, une petite députation de chaque tribu. Une députation kabyle devait succéder aux autres ; mais tous les Kabyles voulurent suivre leurs chefs et se lancèrent, en poussant des cris de forcenés, vers la tente impériale : — à la suite d'une révolte, on leur avait fait quelques prisonniers, dont ils réclamaient impérieusement la liberté. Le cordon de zouaves qui se tenait devant la tente croisait déjà la baïonnette pour repousser cette multitude armée, d'un si menaçant aspect, quand nous entendîmes l'Empereur dire doucement : Zouaves ! retirez-vous. Le flot s'élança brusquement ; Napoléon III en fut entouré ; les vociférations redoublèrent, traduites à l'Empereur, par un interprète, qui traduisait ensuite ses réponses. Pendant ce colloque assez long, nous éprouvions un sentiment d'angoisse partagé par tous les assistants. Seul Napoléon III ne semblait ni ému, ni même surpris de cette scène saisissante. Il était absolument tel qu'on le voyait se promenant au bois de Boulogne, ou assistant à un bal des Tuileries.

Les meneurs de l'opposition se demandaient, en 1869, si l'Empereur était, resté le même qu'autrefois ; si l'âge, la maladie, certains mécomptes de sa politique n'avaient pas usé son ancienne énergie ; si, à force de persévérance et d'audace, ils ne parviendraient pas à la surprendre. Au lieu d'attribuer ses concessions successives à un mobile généreux, à un désintéressement qu'ils jugeaient invraisemblable, ils se plaisaient à y voir un symptôme de découragement et de faiblesse : ils furent bientôt détrompés.

L'effervescence factice qui, au commencement de juin, venait d'agiter Paris pendant quelques jours, durait encore quand l'Empereur et l'Impératrice sortirent des Tuileries, dans une voiture attelée à la Daumont, sans aucune escorte, pour parcourir la rue de Rivoli, le boulevard de Sébastopol et les grands boulevards, jusqu'à la rue de la Paix. Entourés, pressés par la foule, les chevaux ne pouvaient marcher qu'au pas. Mais cette foule, qui touchait presque les souverains, n'avait rien d'hostile. Une telle preuve de courageuse confiance l'avait, au contraire, séduite ; et, à plusieurs reprises, notamment sur le boulevard Montmartre, en face du Café de Suède, l'Empereur et l'Impératrice furent l'objet d'une véritable ovation ; — et les troubles cessèrent aussitôt.

Un Anglais, témoin de cette scène, en avait gardé une vive impression. Alceste, — c'est-à-dire Hippolyte Castille, — ayant causé avec lui, reproduisait, dans le petit pamphlet hebdomadaire qu'il publiait alors, le mot par lequel se résumait cette impression ; Louis-Napoléon est un parfait gentleman, un véritable dandy ; et comme ce mot semblait étonner son interlocuteur, l'Anglais le lui expliquait ainsi : Vous ne saisissez pas ma pensée. Vous ne savez pas ce que nous entendons par dandysme. Un dandy n'est pas chez nous, comme ici, un monsieur parfaitement habillé et de manières distinguées... C'est l'homme impassible d'Horace, l'homme qui garde son sang-froid dans toutes les circonstances, et qui ne s'étonne de rien, ne s'émeut de rien. L'Empereur et l'Impératrice ont tous deux ce que je me permettrais de nommer le dandysme monarchique.

Les amateurs de troubles, les professionnels de l'émeute avaient compris ce muet avertissement ; ils sentaient que, pour s'être volontairement ouverte, la main de Napoléon III n'était pas affaiblie. Aussi, quand, six mois plus tard, on les convoqua, comme nous l'avons déjà dit, pour faire, autour de l'Obélisque, une manifestation colossale, personne ne répondit à l'appel ; — personne sauf l'Empereur, qui apparut sur la terrasse du bord de l'eau, la canne à la men, accompagné d'un de ses aides de camp. Il n'y eut pour l'y voir que quelques passants, quelques curieux ; et le seul cri qui retentit alors, sur la place de la Concorde, fut celui de Vive l'Empereur !

Si l'Impératrice n'avait pas paru, ce jour-là, auprès de lui, c'est qu'elle était allée en Égypte pour assister à l'inauguration du canal de Suez ; — car, en affrontant un danger quelconque, Napoléon III croyait sincèrement accomplir un acte si simple, remplir une obligation si naturelle de sa charge, et il savait si bien que l'Impératrice pensait à cet égard comme lui, qu'en partant pour une de ces expéditions hardies, il lui proposait de l'accompagner, — du même ton que s'il se fût agi d'aller aux courses de Longchamps.

Napoléon III avait donc, en 1869, comme en 1852, l'énergie nécessaire pour refouler, s'il l'eût voulu, non seulement les agitateurs de la rue, mais les politiciens qui les poussaient. Il n'aurait eu qu'à les prendre au mot, en leur disant : Vous prétendez que mes concessions sont illusoires, qu'elles ne réalisent aucun progrès, si ce n'est en arrière ? Eh ! bien, soyez satisfaits : je les retire. Et il est fort probable que le public, agacé, même inquiété par les récentes tentatives de désordre, lui eût, encore une fois, donné raison. Mais il n'était pas homme à se laisser ainsi troubler. Il s'était tracé une ligne de conduite : attristé non découragé par la façon dont on l'en remerciait, il voulait continuer à la suivre ; avec quelle sincérité, nous allons le faire voir.

Les élections venaient d'augmenter au Corps Législatif les forces de l'opposition. Dans une note qui ne fut pas publiée, qui ne devait pas l'être, qu'il avait simplement écrite pour donner à ses idées une formule précise, l'Empereur analysait le caractère de cette manifestation du suffrage universel, les indications qu'il devait lui-même en tirer. Il constatait une tendance à peu près générale des candidats, des électeurs, à suivre, derrière lui, le mouvement libéral, qu'il avait inauguré ; sur certains points, des tendances plus radicales, et même un réveil de l'esprit révolutionnaire. Puis il ajoutait :

Quel est le moyen de sortir de cette situation ?... C'est d'attendre que, dans le pays, les passions se calment ; que, dans la Chambre, les opinions se tassent, que la majorité se forme et s'accentue. Il faut que le gouvernement dise franchement qu'il accepte toutes les réformes qui peuvent, sans désarmer le pouvoir, élargir les franchises et le contrôle du Corps Législatif, mais qu'il n'ira pas jusqu'à provoquer l'anéantissement des bases de la Constitution qu'un plébiscite peut seul modifier[9]. Il faut qu'il déclare qu'il entend s'associer sincèrement aux désirs, aux sentiments de la majorité de la Chambre et ne prendre d'initiative que celle qui serait d'avance acceptée par cette majorité...

Agir ainsi est-ce rétablir le gouvernement parlementaire ? Nullement. C'est agir d'après le bon sens. Quelle que soit la forme du gouvernement, celui-ci est toujours forcé de conformer ses vues à l'opinion publique ; et il n'y a que deux moyens pour y parvenir : c'est d'être d'accord avec la majorité de la Chambre, ou d'en appeler au suffrage populaire. La majorité est libérale : que le gouvernement le soit donc, tant que la société ne sera pas en danger, et que le pouvoir, sauvegarde de cette société, ne sera pas ébranlé.

 

La note indiquait les premières réformes à faire : plus de facilités pour les interpellations et le droit d'amendement, ratification des traités de commerce par la Chambre, prérogatives des conseils généraux étendues, constitution d'un jury spécial pour la presse, modification du Conseil municipal de Paris, suppression de l'incompatibilité entre le mandat législatif et les fonctions ministérielles, l'Empereur devant choisir librement ses ministres, mais la Chambre Indiquant par ses votes ceux qui ont sa confiance.

Napoléon III était donc d'une entière bonne foi, quand, aux membres du nouveau Corps Législatif il disait : L'ordre, j'en réponds : aidez-moi, Messieurs, à fonder la liberté. Par la nouvelle étape qu'il avait fixée lui-même, il voulait se rapprocher encore un peu plus du but indiqué, le jour où il avait reçu la couronne, et vers lequel il avait constamment marché ; il ne désespérait pas de fonder peu à peu la liberté sur une base solide.

Mais la nouvelle majorité, craignant de passer pour réactionnaire, accélérait déjà son mouvement. Une pétition signée par 446 de ses membres, demandait bientôt à l'Empereur de doubler l'étape ; et l'Empereur la doubla, en présentant le sénatus-consulte du 10 septembre, en vertu duquel le Corps Législatif partageait avec lui l'initiative des lois ; en vertu duquel les ministres, ne dépendant que de l'Empereur, devenaient pourtant responsables etc. C'était, sinon le gouvernement parlementaire, du moins le gouvernement représentatif dans son intégrité. Et le Journal des Débats en convenait : Si le mot décisif n'est pas dit, la chose est faite... Si, avec de tels moyens, la Chambre n'exerce pas sur le ministère une action aussi réelle et aussi efficace que nos anciennes assemblées, ce sera sa faute.

On prétendait que l'Impératrice était assez opposée à cette transformation politique et qu'elle s'efforçait d'en détourner l'Empereur. On se trompait, parait-il : les personnages politiques qui inaugurèrent la république athénienne, en fouillant les tiroirs des Tuileries, ont bien voulu nous en fournir la preuve. Dans une lettre publiée par leurs soins et que l'Impératrice adressait du Caire, à l'empereur, nous lisons en effet : Je pense, malgré tout, qu'il ne faut pas se décourager et marcher dans la voie que tu as ouverte.

Quels pas restait-il à y faire ? Le régime institué par le dernier sénatus-consulte n'était pas tout à fait le régime parlementaire, où la Chambre est souveraine et le chef de l'Etat réduit à exécuter passivement ses ordres. En viendra-t-on là ? Le mot décisif sera-t-il dit ? L'empereur Napoléon III se résignera-t-il à ce changement de rôle ? — demandait alors Renan ; — modifiera-t-il à ce point un programme qui est pour lui non un simple calcul d'ambition, mais une foi, un enthousiasme, la croyance qui explique toute sa vie ? Après avoir aimé jusqu'au fanatisme un idéal qu'il tient pour le seul noble et grand, mais dont la France n'a pas voulu, n'éprouvera-t-il pas un invincible dégoût pour ce régime de paix, d'économie, de petites batailles ministérielles qui s'est toujours présenté à lui comme une image de décadence et qu'il associe au souvenir d'une dynastie tenue de lui en peu d'estime[10].

Non, Napoléon III ne croyait pas beaucoup plus à cette heure qu'autrefois à la vertu des institutions parlementaires. Que ce mécanisme subtil et compliqué fût une anomalie dans un état démocratique, et dans un pays de suffrage universel, il en était fermement convaincu, — comme le sont aujourd'hui beaucoup de ceux qui le réclamaient alors avec le plus d'énergie[11]. Mais la Chambre semblait vouloir franchir le dernier pas qui la séparait de ce régime, et l'opinion, — celle du moins qui se montre, s'agite, et s'impose, — paraissait la pousser. Napoléon III, qui avait tenu jusqu'alors à la devancer, — ne pensait pas avoir le droit de lui résister, même quand, selon lui, elle faisait fausse route[12]. Puisqu'elle voulait essayer encore du gouvernement de la tribune, l'Empereur crut devoir se prêter à cette nouvelle expérience, — en souhaitant le succès plus qu'il ne l'espérait. Il accomplit ce dernier sacrifice, avec une médiocre constance, mais une entière loyauté.

Ce qui le rassurait un peu, le consolait beaucoup, c'était le caractère de l'homme qui allait inaugurer cette expérience. Il avait toujours vu ses actes dénaturés, ses intentions méconnues par une opposition systématique et passionner ; il avait vu accueillir ses concessions les plus méritoires par le sarcasme et même l'injure ; il avait vu enfin la nouvelle génération politique répondre à ses avances, à peu près comme le chien légendaire de Jean de Nivelle à la voix de son maitre ; — et il en avait beaucoup souffert. Seul ou presque seul, M. Emile Ollivier avait compris la sincérité, la générosité de ses efforts pour assurer l'avenir du' pays en conciliant l'ordre et la liberté, pour améliorer la condition matérielle de toutes les classes, surtout de la moins heureuse ; et dans la main loyalement tendue par ce souverain bien intentionné, il avait mis loyalement la sienne. L'Empereur en avait été vivement touché. Il avait voué dès lors au chef du groupe, si peu nombreux, de la gauche dynastique, au futur chef du Cabinet du 2 janvier, une très sincère affection, qu'il se plaisait à manifester hautement et qui ne devait jamais se démentir.

Dans une note que Prévost-Paradol écrivait ou dictait, au mois de juin 1870, en sortant des Tuileries, nous lisons : L'empereur très affable et préoccupé de plaire, conversant librement et naturellement, en homme déchargé, heureux même de courir, après toutes les autres, cette suprême aventure, un peu triste — serait-il gravement malade, comme on en a répandu le bruit ? —, parlant avec sagesse du couronnement de l'édifice, de la presse, des services qu'elle rend en Angleterre... Il déclare qu'il veut la paix : nous ne pouvons affronter la guerre que les mains pleines d'alliances. Son dernier mot : Terminez l'affaire des tarifs et revenez prendre votre place dans le gouvernement. Grand éloge de lord Clarendon... Il a aussi beaucoup de goût pour Ollivier. Prévost-Paradol n'était pas le seul à constater avec quelle correction, quelle bonne grâce Napoléon III acceptait son nouveau rôle de souverain in partibus, — ne faudrait-il pas ajouter infidelium ? — Edmond About l'avait remarqué et dit avant lui, avec ce tour gouailleur qu'il donnait même à ses compliments : Cette grande figure mystérieuse, écrivait-il dès le 13 janvier dans le Soir, apparaît tout à coup éclairée et comme illuminée par la résignation, le dévouement, l'esprit de famille, le sacrifice du présent à l'avenir... Jamais prince n'a touché d'une main aussi respectueuse le mécanisme du gouvernement constitutionnel. Charles-Quint ne remontait pas plus délicatement ses horloges au monastère de Saint-Just. Enfin, deux ans après sa chute, J.-J. Weiss, — qui, secrétaire général d'un ministère, l'avait vu de près, sous ce nouvel aspect, — disait encore dans le Paris-Journal : Napoléon III était bien plus fait par ses instincts naturels pour le rôle de souverain constitutionnel que le roi Louis-Philippe. L'empereur Napoléon III avait l'âme ouverte à tout ce qui était hardi et généreux ; il était patient, résigné, capable de faire abnégation de sa personne. Aussi, lorsqu'une fois son parti fut pris, il pratiqua les institutions libres avec plus de sincérité, ou, si l'on veut, de largeur que Louis-Philippe, prince modéré d'esprit et violent d'humeur, libéral par principe et par position, despote par caractère.

Mais, nous le répétons, avant d'avoir accompli ces divers sacrifices, même au temps de ce qu'on appelait son pouvoir absolu, l'Empereur s'était toujours efforcé de deviner l'opinion moyenne du pays, pour s'en inspirer — en la devançant. Il ne se soucia jamais, jamais il ne se crut le droit de violenter le sentiment public. Rien ne le prouve plus clairement que la façon dont fut traitée, sous son règne, la question capitale de l'organisation de l'armée.

Puisque l'Empereur connaissait si bien le système prussien, puisqu'il le goûtait si fort, puisqu'il avait si justement prédit, dès 1843, que l'Europe entière finirait par l'adopter, — pourquoi ne l'établit-il pas dès qu'il monta sur le trône ? Par une bonne raison : c'est qu'il n'aurait pu l'établir sans faire acte de despote, sans imposer au pays un sacrifice que le pays, n'en comprenant pas la nécessité, n'était guère disposé à subir : il l'avait récemment prouvé.

Au moment de rédiger la constitution de 1848, on avait proposé de supprimer les remplaçants, qui introduisaient. dans l'armée un détestable élément, et de rendre le service militaire obligatoire pour tous les citoyens. Cette proposition souleva des protestations générales et l'Assemblée nationale la repoussa par 663 voix contre 140, — une jolie majorité ! M. Thiers avait contribué, pour une bonne part, à ce résultat, en combattant avec un souverain mépris cette idée saugrenue, en disant : Savez-vous où tout le monde est soldat ? Chez les barbares... Ne nous payons pas de sophismes : c'est le système prussien que vous rêvez plus ou moins complètement. Mais y avez-vous bien pensé ? Ce serait l'abolition de la force publique en France ; notre pays descendrait dans le rang des nations si vous organisiez ainsi son armée. Et, comme M. Thiers savait tout, qu'il avait reçu des confidences de tous les hommes d'État, de tous les généraux du monde, même des défunts, il affirmait qu'à Berlin de savants militaires émettaient des doutes sur la solidité de ce système ; que le Grand Frédéric serait navré pouvait voir ce qu'était devenue sa belle armée, aux mains de ses successeurs.

Partisan du service obligatoire, le général Lamoricière ministre de la guerre n'avait osé le soutenir, parce qu'il savait que l'Assemblée y était résolument hostile et que nos mœurs ne pourraient encore le supporter. Mais, au nom d'une commission, dont faisaient partie les généraux Cavaignac, Bedeau, Lafontaine, le colonel Charras, et à laquelle le maréchal Bugeaud avait adressé son adhésion chaleureuse, — il proposait, peu après, une transaction : l'ancien système de remplacement, dont nul ne contestait les vices, serait aboli ; tout citoyen pourrait se libérer du service militaire, en payant une prime à l'État ; et dans la Caisse de dotation de l'armée ainsi remplie, l'État trouverait les ressources nécessaires pour assurer un pécule aux appelés, pour favoriser les engagements et réengagements. L'Assemblée nationale s'étant séparée sans le discuter, ce nouveau projet disparut, comme tant d'autres, dans les oubliettes parlementaires.

L'Empereur alla l'y chercher pour en faire la loi de 1855 sur l'exonération et la Caisse de dotation de l'armée ; — et, cette fantaisie césarienne fut violemment attaquée par l'opposition, qui en avait tout à fait oublié l'origine... Napoléon III, à cette époque, pouvait-il faire davantage et imposer, — si nécessaire qu'il le jugeât, — un système contre lequel une assemblée presque entière et l'opinion publique venaient de se prononcer avec tant d'énergie ? Il lui aurait fallu, tout au moins, le concours d'un ministre de la guerre et l'agrément du corps Législatif. Or, si empressés à lui obéir que parussent alors les ministres et les députés, ils n'auraient pas poussé la complaisance aussi loin : l'Empereur, après les avoir plusieurs fois tillés à ce sujet, en acquit la certitude.

Contraint de renoncer, pour le moment, à ce système, il voulut, — non sans provoquer des réclamations à la Chambre et des protestations au dehors, — s'en rapprocher autant qu'il lui était permis. Il fit porter le contingent annuel de 80 à 100.000 hommes, en justifiant ainsi celle mesure : D'après le système que j'ai adopté et auquel j'attache une grande importance, les deux tiers environ de ces conscrits ne resteront que deux ans sous les drapeaux et formeront ensuite une réserve, qui fournira au pays, dès la première apparition du danger, une armée de 600.000 hommes exercés[13].

La guerre d'Italie, malgré ses glorieux résultats, ayant confirmé les idées du prisonnier de Ham sur l'insuffisance de notre établissement militaire, et tous les chefs de l'innée paraissant éclairés par cette expérience, l'Empereur crut pouvoir faire une nouvelle tentative en ce sens. Elle échoua, comme les précédentes, et pour les mêmes raisons. Napoléon III l'a raconté lui-même dans une brochure publiée, en 1871, sous un autre nom que le sien, mais qu'il avait dictée[14]. Et ce n'est pas tout ! La Chambre, émancipée par le décret du 24 novembre, ne rêva bientôt plus qu'économies ; les ministres ne songèrent plus qu'à lui montrer leur bonne volonté : la commission du budget, à force d'insistance, obtint, en 1865, une réduction des cadres, qui allait de nouveau affaiblir notre armée, — à la veille d'une crise où nous aurions eu grand besoin d'être forts.

Cette crise de 1866 a-t-elle ouvert enfin les yeux ?... Elle n'a pas ouvert du moins ceux du ministre de la guerre, le maréchal Randon, continuant à affirmer que nous sommes en mesure de faire face à toutes les éventualités. L'Empereur, ne partageant pas son optimisme, le remplace par le maréchal Niel : on connaît la suite.

On la connaît... vaguement. Les adversaires de l'Empire affectent même de l'avoir complètement oubliée, pour pouvoir attribuer au maréchal Niel tout le mérite des mesures dont l'adoption, de leur aveu, nous eût sauvés. Rappelez-vous, — disait le général Chanzy, à la tribune de Versailles, — ce qui s'est passé en 1868, lorsqu'un homme dont personne ici né niera la perspicacité et le patriotisme est venu présenter un projet de loi militaire. Ce projet, si sérieusement étudié, si bien adapté aux nécessités du moment, a été combattu, amoindri ; et vous savez ce qu'il est devenu. Le prudent exemple donné par le général Chanzy a été soigneusement suivi ; il l'est encore tous les jours. Pour être indirect et détourné, cet hommage à Napoléon III n'en est pas moins précieux. Car, louer la clairvoyance et le patriotisme du ministre, c'est louer le patriotisme et la clairvoyance du souverain, qui l'avait spécialement choisi pour réaliser ses vues, pour préparer la grande réforme militaire dont il lui avait lui-même indiqué les bases.

Cette réforme n'entraînait pas le service obligatoire, comme Napoléon III l'eût voulu, comme, cette fois encore, il en avait émis l'idée : pourquoi ? Parce que les ministres commençaient à discuter et comptaient moins avec sa volonté qu'avec les exigences de l'opinion ; ils avaient déclaré à l'Empereur que les députés, soucieux avant tout de l'esprit des populations et de leur réélection, ne consentiraient jamais à sanctionner une mesure aussi impopulaire. L'empereur dut se résigner et transiger[15], c'est-à-dire se contenter d'un projet moins radical, qui, sans se modeler sur l'organisation prussienne, s'en rapprochait. Et ce n'est pas un ami de Napoléon III, — du moins de Napoléon III détrôné — qui parle ainsi ; c'est un écrivain, fort brillant d'ailleurs, qui depuis 1870, l'a peu ménagé, et dont l'ingénieuse malveillance va se trahir quelques lignes plus loin. Constatant que le gouvernement impérial dut retirer son premier projet devant la vive opposition du public, il lui reproche, en effet, d'avoir usé ses forces et son temps à transiger avec une opinion publique mobile et nerveuse, qui poussait inconsciemment à la guerre et qui cependant se révoltait à l'idée des sacrifices qu'elle imposerait, — sans songer qu'à ce public mobile, nerveux, inconscient il eût peut-être dû réserver son blâme.

Même s'il n'eût pas voulu transiger avec l'opinion, s'il eût voulu lui tenir tête, et se comporter en monarque absolu, Napoléon III l'aurait-il pu réellement, quand, à la tête de cette opinion récalcitrante, on voyait les hommes les plus importants, et réputés les plus compétents des divers partis ? Aurait-il pu faire accepter au pays un pareil sacrifice, quand, de tous côtés, on lui répétait que ce sacrifice était inutile ; quand M. Thiers lui affirmait que la loi de 1832 suffirait à tous les besoins ; quand le général Changarnier lui affirmait qu'avec 300.000 combattants, fusil ou sabre en main, nous n'avions rien à craindre de la Prusse, dont les armées se fondraient d'elles-mêmes après une campagne de quelque durée ; quand M. le prince de Joinville lui affirmait que, pour battre cette armée, nous n'avions nul besoin de prendre ces mesures de défense nationale dont notre pays s'est si fort ému[16] ; — quand tous les journaux, tous les candidats d'opposition lui tenaient le même langage et l'accentuaient. Ne cherchant pas à multiplier ici les noms propres, nous citerons une seule circulaire électorale de cette époque, celle du duc Decazes : Deux partis sont en présence : celui de la loi militaire, des budgets en déficit, etc. Demandez-lui compte des lourds contingents qui épuisent l'agriculture... L'autre parti demande le désarmement, moins de casernes et plus d'écoles, etc. Nous pourrions en citer cent pareilles ; car pour tous les opposants, de droite et de gauche, la critique des lois militaires était le thème favori, celui qu'ils estimaient le plus productif.

Il aurait donc fallu que l'Empereur tint résolument tête à ce torrent d'opposition, de protestations, non seulement pour y résister, mais pour le remonter, qu'au pays acceptant avec tant de peine un demi-sacrifice il imposât le sacrifice complet ?

C'est par la force brutale qu'il aurait dû l'imposer ; car le Journal des Débats n'hésitait pas à le menacer, s'il persévérait, d'une insurrection. C'est, disait-il, la plus grande entreprise qui ait jamais été faite contre la liberté des individus... Les mœurs qui savent toujours résister, résisteraient à une mauvaise loi, dussent-elles employer de mauvais moyens.

Des ressources limitées qu'il avait obtenues, Napoléon III voulait tirer du moins tout le parti possible, en cherchant dans la nouvelle organisation les meilleurs moyens de faciliter une prompte mobilisation. Après avoir consacré à l'étude de ce difficile problème plusieurs mois de travail assidu, il rédigea un volumineux mémoire, où les multiples questions dont il se compose étaient examinées jusqu'au plus infime détail ; et, le 4 janvier 1868, il le remit au maréchal Niel. Mais l'exécution de tous ces projets allait rencontrer de nouveaux obstacles à la Chambre, où les députés cherchaient à reprendre en détail ce qu'ils n'avaient osé refuser en bloc, réduisant, par ce continuel marchandage, le pauvre maréchal Niel au découragement, à l'impuissance.

L'opposition n'étant pas alors assez nombreuse au Corps Législatif pour y imposer matériellement ses volontés, est-il injuste, comme on l'a prétendu, de lui attribuer cet avortement ? Non ! car si elle était la minorité, elle entraînait la majorité en cherchant à la rendre impopulaire[17]. Et, en se laissant influencer par cette préoccupation personnelle, la majorité pouvait croire sincèrement qu'elle cédait à un mobile plus' désintéressé ; qu'en s'efforçant de réduire les charges militaires, et à maintenir ainsi l'accord entre les masses électorales et le pouvoir, elle servait, avec sa propre cause, celle du gouvernement, celle du pays. Si l'opposition n'avait pas la majorité numérique elle en disposait manifestement.

Non contente d'attaquer au Corps Législatif les projets officiels, elle s'efforçait d'en détruire l'effet dans le pays, dans l'armée même, en énervant par tous les moyens — articles de journaux, brochures, romans, discours de réunions publiques, — l'esprit militaire et ce qu'elle nommait l'obéissance passive c'est-à-dire la discipline[18].

Dans cette lutte inégale Napoléon III ne se laissa pourtant pas décourager. Jusqu'à la dernière heure, jusqu'à la dernière minute, il combattit pied à pied, pour éclairer l'opinion, pour conjurer la catastrophe où nous entraînait l'égoïsme des uns, l'aveuglement du plus grand nombre. Il fit traduire et publier par des journaux parisiens les statistiques allemandes indiquant, avec précision, les forces de la Prusse. Il rédigea lui-même et fit adresser, par le ministère de l'Intérieur, aux journaux de la province, un article intitulé To be or not to be, où, — comme ce titre l'indiquait, — il faisait sentir qu'affaiblir notre armée au lieu de la fortifier, c'était mettre en jeu le salut, l'existence même du pays ; — et l'opposition trouvant exorbitante, scandaleuse cette intervention peu dissimulée du gouvernement dans les polémiques de la presse, s'en plaignait vivement. Enfin, pendant la dernière session du corps Législatif, deux mois avant la guerre, en mai 1870, l'Empereur, usant de la seule arme qui lui restât, écrivait encore et faisait distribuer au Palais-Bourbon la note intitulée Une mauvaise économie, où il adressait un suprême et vain appel au patriotisme des députés de tous les partis[19].

Napoléon III n'avait donc que trop raison, quand il disait, à Wilhelmshöhe : On a prétendu que j'étais le mettre absolu en France. L'histoire rejettera ce mensonge comme tant d'autres. Jamais ni une constitution ni des lois n'ont plus lié les mains à un souverain que n'ont fait à moi les intrigues des partis. Ce sont elles qui ont rendu mon pouvoir presque impuissant, elles qui m'ont empêché d'exécuter les meilleures réformes[20].

Qui devait avoir finalement raison de cette impuissance ? Un gouvernement constitutionnel, soutenu, éclairé par des délibérations d'une intelligente assemblée ? Pas précisément : un souverain qui, pour réorganiser son armée, avait/ rencontré, lui aussi, le mauvais vouloir d'un parlement, mais avait passé outre, s'était voté à lui tout seul son budget, militaire, enfin, — ce que Napoléon III ne voulut jamais faire, — avait gouverné, pendant quatre ans, en véritable_ autocrate. Et, — causant en 1871, dans un petit salon de l'Hôtel de France, A Bordeaux, avec M. Paul Dhormoys, qui nous l'a appris, — M. Thiers déclarait bravement que c'était la seule façon d'agir ; qu'un pouvoir absolu, n'ayant pas besoin de demander aux Chambres des crédits dont la discussion révèle ses projets, peut seul bien mener les choses militaires ; que pour avoir une armée redoutable, il faut.... un despote ![21]

Il semble donc que la responsabilité de chacun, à cette phase cruelle de notre histoire, était bien nettement déterminée ; qu'après la catastrophe de 1870, justifiant trop les tentatives répétées, les efforts persévérants de l'Empereur, condamnant trop ceux qui les avaient paralysés, — nul ne pouvait s'y tromper ?... Eh bien, si ! l'on s'y trompa, ou l'on feignit de s'y tromper. Parmi les hommes dont nous venions de payer si chèrement l'erreur, un seul eut le courage du repentir[22]. Les autres, tous les autres, firent leur mea culpa sur la poitrine de Napoléon III. Loin de se reprocher d'avoir sommé le gouvernement impérial de retirer son projet de 1866, en le menaçant des barricades, le Journal des Débats disait : Les rapports de M. Stoffel, malgré leur remarquable lucidité, n'ont pas dessillé des yeux qui n'ont pas voulu voir ; — et ce n'était pas des yeux de l'opposition qu'il parlait, mais bien des yeux de l'Empereur ! Le seul aveugle, le seul ignorant, le seul imprévoyant, c'était Napoléon III. En vain la vigilante opposition lui avait signalé le péril imminent : elle n'avait pu secouer sa torpeur. Et ce n'étaient point d'obscurs pamphlétaires qui racontaient ainsi l'histoire de la veille. C'étaient d'éminents parlementaires, tels que Saint Marc-Girardin, — disant en 1872 à la tribune : Comment tant d'avis n'ont-ils pas décidé le chef de l'Etat à s'organiser pour une guerre qui ne pouvait être évitée, en s'y préparant avec persévérance ? C'étaient d'austères philosophes comme Littré, écrivant encore, huit ans après : Pour comble et pour suprême caractère de l'incapacité césarienne, l'armée tomba au-dessous des armées rivales, en dépit de tous les avertissements.

Enfin, de ces douloureux événements se dégageait une leçon salutaire, — et, pour certains, cette leçon valait bien deux provinces, — c'est qu'un peuple est perdu quand il se livre aux mains d'un maitre[23].

Toujours et partout la passion politique s'est assez peu souciée d'être équitable ; mais nous doutons que, — jamais et nulle part, — elle ait commis une aussi flagrante injustice !

 

 

 



[1] J.-J. Weiss, toujours indépendant, même après s'être rallié à la République, avouait que c'était là pour elle un écueil : Un monarque disait-il, fort élevé au-dessus des appétits et des compétitions de groupes, fait naturellement leur part, selon les besoins changeants, à la masse mobile des intérêts contradictoires.

La grande faiblesse du gouvernement républicain, c'est que la République, quand elle n'est pas un gouvernement de classe et de caste, est purement un gouvernement de majorité... Or, une majorité, surtout si elle est intelligente, résolue, est portée, par ses qualités mêmes, à forcer la part qu'elle se sent moralement et politiquement tenue de faire aux intérêts de parti ; elle leur sacrifie, elle sacrifie à de simples cabales les intérêts de l'État.

[2] Les Français, qui avalent passionnément aimé la liberté en 1789, ne l'aimaient plus en 1799. Après lui avoir prêté mille charmes imaginaires, ils ne voyaient même plus ses qualités réelles ; ils n'étaient sensibles qu'a ses gènes et à ses périls. (TOCQUEVILLE, Fragments inédits.)

En 1800, dix ans après la Révolution, personne ne voulait plus de liberté. (THIERS, Histoire du Consulat et de l'Empire.)

[3] L'Empereur possède au plus haut degré deus qualités souveraines : la bonté et la douceur. S'il n'en eut pas été essentiellement doué, nous eussions eu, le lendemain du 2 décembre 1851, le despotisme et le despote, tandis que nous avons eu la tyrannie sans le tyran. (ÉMILE DE GIDARDIN, 3 septembre 1888.)

[4] L'Europe et le Second Empire, p. 117.

[5] Dans une s'aire partie de cet ouvrage, on lit encore : Le grand acte du 24 novembre a devancé plutôt qu'il n'a suivi le réveil de l'opinion publique ; et si nous attendons encore le couronnement de l'édifice, il est Juste de s'en prendre d l'altitude du pays plaida qu'aux résistances du pouvoir.

[6] On ne saurait nier l'élévation et la noblesse de ce langage. L'Empereur faisait un sacrifice considérable : monarque absolu, il renonçait à un droit qu'en France on n'a jamais contesté, aux souverains constitutionnels... La réforme accomplie par le sénatus-consulte du 31 décembre 1861 ne fut appréciée à sa juste valeur que par les hommes qui donnaient aux questions de finances une attention spéciale : elle ne cédait pas en importance aux mesures de l'année précédente. Elle donnait au Corps législatif, sur les finances publiques, un pouvoir que les assemblées antérieures n'avaient pas possédé dans la même plénitude. (CUCHEVAL-CLARIGNY, Histoire de la Constitution de 1852, p. 105, 107.)

[7] HECTOR PESSARD, Mes Petits Papiers, pp. 282 et suivantes.

[8] AUGUSTIN FILON, Mérimée et ses amis, p. 236.

[9] Quand, l'année suivante, Napoléon III tint à faire ratifier la nouvelle Constitution par le suffrage universel, les parlementaires en furent scandalisés : c'était un retour offensif du césarisme : trois d'entre eux, qui faisaient partie du Cabinet, le quittèrent pour ne pas ratifier un tel acte. Il était bien naturel pourtant. Napoléon III avait pris fort au sérieux la volonté nationale, le pacte passé entre le peuple et lui, le 20 décembre 1852 : il ne se croyait donc pas le droit de donner au pays, sans son assentiment, des institutions si différentes de celles qu'il lui avait annoncées. Ayant reçu un dépôt, le rendant, il voulait obtenir décharge. Mais les parlementaires, qui subissaient le suffrage universel en le méprisant, pour qui la souveraineté nationale était un fait regrettable et non un principe, ne pouvaient comprendre un tel scrupule.

[10] Revue des Deux-Mondes, 1er novembre 1869.

[11] Ce que quelques-uns osent dire tout haut, combien d'autres en conviennent dans l'intimité ! Gambetta lui-même, causant, vers la fin de sa vie, avec un de nos amis, lui disait : Eh ! sans doute, l'Empire était un grand gouvernement... au début ! Sa première période avait été superbe. Mais ensuite l'Empereur avait lâché les rênes : tout devait aller à la dérive !

[12] Rien n'est plus noble que de conserver sur le trône des convictions professées dans la captivité. Mais il existe pour le second Empire un principe supérieur même à la fidélité aux convictions personnelles, c'est le devoir de s'incliner devant la volonté nationale. L'histoire rendra à l'empereur Napoléon III la justice qu'il e constamment professé ce principe-là et qu'il n'a jamais hésité dans l'accomplissement de ce devoir lorsque le vœu du pays lui a paru évident. (Comte DE CARNÉ, L'Europe et le Second Empire, p. 148.)

[13] Message du 16 février 1857.

[14] Plusieurs projets de réforme furent discutés pendant les années qui suivirent la paix de Villafranca, dans les conseils de l'Empereur ; mais le souverain se persuada promptement que ni les différents ministres, ni les chambres ne le seconderaient pour faire admettre les seuls principes sur lesquels repose solidement le système des forces nationales d'un grand pays. Ainsi le service obligatoire, l'endivisionnement des régiments, la création de corps d'armée permanents furent autant de questions que l'Empereur se vit contraint d'abandonner. (Les Forces militaires de la France en 1870, par le Comte DE LA CHAPELLE.)

[15] G. ROTHAN, L'Affaire du Luxembourg, p. 103.

[16] Revue des Deux-Mondes, 15 février 1868, article non signé, mais généralement attribué au prince.

[17] Pour l'intimider plus sûrement, deux publicistes bien connus du parti républicain lançaient une brochure de propagande contre les lois militaires, où on lisait : Comme il est juste de déterminer la part de responsabilité qui revient à chacun, nous publions à la fin de cet opuscule les résultats du scrutin au Corps législatif. Nous avons classé les votes par circonscriptions électorales, afin de faciliter les recherches des électeurs. L'ennemi signalé au mépris du suffrage universel, c'était le député qui avait voulu encaserner la nation.

[18] Aussi, — a dit éloquemment M. Cornély, dans le Gaulois, — quand le Prussien survint, l'armée active avait-elle l'infériorité du nombre. La mobile n'était pas organisée et les chassepots manquaient. Or, l'armée était inférieure en nombre parce que l'opposition ne permettait pas qu'on augmentât les contingents. La mobile n'était pas organisée parce que l'opposition avait entravé son organisation. Les chassepots manquaient parce que l'opposition avait refusé les crédits et intimidé par ses cris gouvernement et majorité.

[19] Dans cette note, Napoléon III, après avoir déploré l'aveuglement de ces esprits à courte vue, qui, pour se donner un vernis de popularité, ne craignent pas de désorganiser notre armée, ajoutait : Les réductions opérées en 1865 désorganisèrent nos forces, sans procurer d'économies notables. Elles nous obligèrent à prendre une autre attitude que celle qui nous aurait peut-être convenu. Mais il est des hommes auxquels l'expérience n'apprend rien !

[20] Wilhelmshöhe, par A. MELS, p. 113.

[21] Or, à ce moment-là, il y avait en Europe, deux peuples qui allaient s'éteindre. A la tête de l'un de ces peuples il y avait un homme, qui possédait un prestige et une puissance en quelque sorte surhumains. C'était Napoléon III. Il eut peur des criailleries de quelques douzaines d'avocats et des articles d'une poignée de journalistes et il se laissa mater par eux... Et, tandis que la France, représentée par ces avocats et ces journalistes, prenait son empereur, le couchait sur ses genoux et lui arrachait un à un les montants de sa couronne, Guillaume, lui, prenait son peuple, et, comme une nourrice fait d'un nourrisson, le fessait et le forçait à avaler l'autorité ; il fouaillait les parlements, les dissolvait, percevait les impôts sans vote préalable, etc. J. CONÉLY, le Gaulois, 1887.

[22] Défendant Gaston Crémieux devant le conseil de guerre de Marseille, M. Clément Laurier s'écriait : Nous avons, pendant quinze ans, attaqué l'armée ; nous nous sommes moqués d'elle sur tous les rythmes et sur tous les tons. Nous avons eu la prétention de distribuer le ridicule et, devant In granule Europe, nous avons reçu le mépris. Nous avons raillé la patrie en disant que c'était un poteau gardé par un douanier. Nous avons aussi raillé l'armée. Je vous en demande pardon en mon nom et au nom de mon parti.

[23] Cette leçon doit nous enseigner l'intérêt qu'a la nation à ne jamais abandonner à aucun maitre le soin de ses affaires et de sa politique. (Vte. DE RAINNEVILLE, Rapport à l'Assemblée nationale.)