HISTOIRE DE VERCINGÉTORIX

Roi des Arvernes

 

CHAPITRE XI.

 

An de R. 700. - Av. J.-C. 52.

Vercingétorix, ayant perdu la colline de Quiche, et craignant une nouvelle attaque de nuit de la part de César, qui pouvait alors envahir le plateau de Prat, avait resserré sa position[1], afin d’avoir ses troupes plus concentrées et moins de terrain à défendre. Il campait donc sur le second plateau du nord de la montagne, la droite appuyée à son versant oriental, presque à pic en cet endroit, tandis que le centre et la gauche de son armée s’étendaient jusqu’à cette espèce d’isthme qui, vers le sud-ouest, se relie à Gergovia, et que César n’a pas manqué de signaler comme étant à l’autre extrémité de la ville, par rapport à son petit camp, assis sur la colline de Quiche[2]. Derrière, et près des troupes gauloises, était le mur d’enceinte de la place ; et Vercingétorix avait fait élever sur leur front un rempart en pierres sèches, de six pieds de haut, qui parcourait dans la montagne[3] les mômes sinuosités que la Crète de son second plateau. Le général gaulois faisait aussi construire des fortifications sur la colline Julia, qui se rattache à l’isthme dont nous venons de parler ; car si César, déjà maître de Quiche, se fut emparé de cette autre colline, Vercingétorix se serait vu presque aussi enfermé dans la place que si elle eût été entourée d’une ligne de contrevallation. En effet, les Romains, établis aux deux extrémités, est et sud-ouest, de Gergovia, auraient pu mettre obstacle à toutes les sorties des Gaulois hors de leurs camps. Il n’y a qu’à jeter un coup d’œil sur la montagne pour être convaincu de cette vérité.

Vercingétorix pensait, comme Annibal[4], qu’un général ne doit pas combattre inconsidérément ; mais qu’il est coupable de s’en abstenir lorsqu’il croit avoir des chances de succès : il résolut donc de profiter de la prise de la colline de Quiche par César pour l’attirer sur le second plateau de Gergovie, d’où il lui serait facile de le renverser en l’attaquant de front, en flanc et à revers, et en faisant pleuvoir sur ses légions une grêle de traits du haut des murs de la place. Afin d’éveiller l’attention du proconsul par un spectacle nouveau et extraordinaire, il dégarnit de soldats les pentes des plateaux de l’est et du nord de la montagne ; mais il laissa à Theutomatus, roi des Nitiobriges, un bon corps de troupes pour soutenir le premier choc des Romains, si, César osait les lancer à l’assaut par le versant septentrional. Il porta ensuite la plus grande partie de ses forces vers le sud-ouest ; et, se tenant prêt à voler au secours de son lieutenant, Vercingétorix attendit quel serait le résultat de ses manœuvres.

César en ce moment visitait les travaux de son petit camp ; surpris de ne plus apercevoir de troupes sur les rampes du plateau où elles étaient auparavant si nombreuses, qu’à peine en découvrait-on le sel, il en demanda la raison aux transfuges gaulois dont il reçut cette réponse : Que le sommet de la montagne offrait une surface presque unie, et qu’à son extrémité opposée régnait une avenue étroite, et que les environs en étaient couverts de bois. Les transfuges ajoutèrent que Vercingétorix, par les motifs que nous avons rapportés, avait dirigé toute son armée vers la colline qui fait suite à l’avenue, et que, par son ordre, on y construisait des retranchements.

César, ne doutant plus que les Éduens ne soient sur le point de lui déclarer la guerre, et pensant qu’il en résultera un soulèvement général de la Gaule, abandonne entièrement l’idée d’assiéger régulièrement la ville, et prend la résolution de l’emporter par un audacieux coup de main : d’autant, plus fondé dans l’espérance de réussir, qu’il semble y être invité par la négligence apparente avec laquelle se garde son adversaire. Son projet arrêté, il ne perd pas de temps pour le mettre à exécution : au milieu de la nuit suivante, il fait sortir de son camp un grand nombre d’escadrons de cavalerie, et leur ordonne de manœuvrer plus bruyamment que d’habitude autour des quartiers occupés par Vercingétorix. Au point du jour, il envoie vers ces mêmes collines[5] de longues files de bagages, beaucoup de mulets, dépouillés de leurs harnachements, et montés parleurs conducteurs, auxquels il donne des casques, afin qu’ils ressemblent à des soldats ; il leur adjoint quelques cavaliers qui doivent battre le terrain en tout sens, et au loin, pour faire parade de plus de forces ; et assigne à ces divers détachements un mémo point de réunion, où ils ont l’ordre de se rendre par de longs détours. Quoique les Commentaires se taisent à cet égard, il est évident que ces différents corps de troupes se réunirent en vue de la colline Julia que faisait fortifier Vercingétorix. Enfin, une légion, dans le but d’augmenter les inquiétudes de ce général, sortit d’un des camps romains et se dirigea aussi vers cette hauteur. Mais lorsque la légion se fut un peu avancée, César la fit arrêter et embusquer dans des bas-fonds, alors couverts de bois, probablement à l’endroit où s’élève aujourd’hui le village de Romagnat.

Vercingétorix, voyant César dupe des piéges qu’il lui tend, feint de prendre au sérieux toutes ses démonstrations, et s’empresse de diriger le reste de ses troupes vers le point menacé ; mais ostensiblement, et de manière que des camps romains[6] on pût découvrir leur mouvement. Le roi Theutomatus et le corps qu’il commandait restèrent cachés derrière le rempart en pierres sèches, prêts à recevoir l’attaque du proconsul par le versant du nord, attaque dont il n’était plus permis de douter, puisqu’il ne faisait de démonstrations, au sud-ouest, qu’avec de la cavalerie et des muletiers, impuissants contre les rochers à pic qui supportaient les murs de Gergovia. La légion embusquée dans les bas-fonds, aux environs du village de Romagnat, ne dut causer aucune inquiétude aux Gaulois, attendu que la place, pourvu qu’elle fût défendue, n’avait pas plus à craindre d’être emportée par de l’infanterie quo par de la cavalerie, à moins qu’on n’en fit le siége en règle.

Les hommes de génie, égarés par la passion, sont sujets aux mêmes erreurs de jugement que les esprits vulgaires ces imprudences multipliées d’un adversaire dont César nous a signalé plusieurs fois l’activité et l’extrême vigilance[7] auraient dû lui être suspectes, dans un moment surtout où il s’agissait pour Vercingétorix du salut de sa ville natale, l’âme de toute la ligue gauloise, et lorsqu’il savait parfaitement que le proconsul pouvait concentrer ses cinq autres légions dans son petit camp, éloigné seulement de huit cents mètres[8] de Gergovia, et de bien moins encore du second plateau de la montagne.

César avait emporté Avaricum par surprise, et par la faute de l’officier qui y commandait. Il se flatta d’obtenir le môme succès contre Vercingétorix, mais il se trompa étrangement. Persévérant néanmoins dans son projet, et croyant les camps[9] des Gaulois entièrement dégarnis, il fait couvrir les ornements utilitaires, les armes et cacher les drapeaux de ses troupes, afin que leurs mouvements ne soient pas remarqués de la place ; puis il les fait défiler, par petits détachements, du grand dans le petit camp. Le théâtre des événements, que nous allons décrire, n’embrasse pas plus d’un kilomètre carré de terrain ; et il fallait qu’il en fût ainsi, afin que les réserves pussent soutenir à tempe les trois légions et les dix mille Éduens qui allaient escalader Gergovia, par son versant du nord.

Tout lui paraissant favorable à son dessein, le proconsul lance ses légions, sur Gergovia, et ordonne, en même temps, aux dix mille Éduens de monter aussi à l’assaut par un autre chemin plus à droite[10], afin d’arrêter les troupes de Vercingétorix au passage lorsqu’elles se porteront au secours de la ville. D’après les Commentaires, il y avait douze cents pas de la plaine et du commencement de la montagne au mur d’enceinte de la place, mais en ligne directe[11] ; et comme pour adoucir les pentes on était obligé de les aborder obliquement, l’espace à parcourir en était naturellement augmenté. Par plaine, il faut entendre le vallon qui sépare Quiche de Gergovia. César ne le traversa pas, et suivi de la XIe légion, qu’il affectionnait particulièrement, à cause de sa rare bravoure, il alla prendre position sur les collines de la Genère qui courent, du sud au nord, perpendiculairement à Gergovia ; parce que de là seulement il lui était facile d’accompagner du regard le mouvement de ses troupes jusqu’au second plateau de la montagne. Il pouvait même, sur quelques points, découvrir la crête des rochers qui supportaient les murailles de la ville.

Les légions qui donnaient l’assaut parvinrent rapidement au rempart en pierres sèches[12], élevé sur le front des camps gaulois, et te franchirent immédiatement. Mais, aussitôt après, Theutomatus[13], qui était resté à la garde du second plateau de Gergovia, les chargea vigoureusement dans la confusion occasionnée par leur ascension rapide. Les généraux romains, s’apercevant alors de l’embuscade où ils étaient tombés, rétablirent immédiatement l’ordre parmi leurs troupes, les formèrent en ligne de bataille, et de part et d’autre on déploya la plus grande énergie. Mais Vercingétorix, déjà prévenu par ses sentinelles cachées dans les plis du terrain de la montagne, de la marche des légions, revient ventre à terre avec sa cavalerie et se jette sur leur flanc droit[14] ; son infanterie le suit au pas de course ; et, à mesure qu’elle arrive, il lui fait doubler et prolonger les rangs de Theutomatus adossé au mur d’enceinte de la place[15]. On s’attaque alors corps à corps, et le combat devient terrible. Vercingétorix dirige des troupes sur les flancs des lieutenants de César, et les légions romaines, enveloppées de tous côtés, sont renversées des hauteurs et s’enfuient en désordre, poursuivies, l’épée dans les reins, par les Gaulois ; car, sur un pareil terrain, aucun ralliement n’était possible.

Mais, tout en donnant l’essor aux hardiesses de son génie, César était en garde contre l’inconstance de la fortune : en voyant reparaître ses troupes sur le second plateau de Gergovia, il comprit que l’assaut était manqué, et tremblant d’avance pour les siens, il envoya au commandant de la XIIIe légion, T. Sextius, qui gardait le petit camp, l’ordre d’accourir et de prendre position au pied de la montagne, de manière que, si les Romains étaient forcés de céder le terrain, il menaçât le flanc droit des troupes gauloises, et les forçât à ralentir leur poursuite. Le proconsul et la Xe légion se portèrent un peu en avant du lieu où ils s’étaient d’abord arrêtés, et T. Sextius s’établit sur les collines de la Génère[16], la gauche au vallon que signale César, dont l’étendue, selon lui, empêcha ses soldats d’entendre le son des clairons qui sonnaient la retraite[17]. Dans cette situation, les deux légions romaines formaient en quelque sorte l’équerre ; un de ses côtés, marqué par la Xe, faisait front vers la montagne, et l’autre, occupé par la XIIIe, lui était perpendiculaire. T. Sextius dut disposer un certain nombre de cohortes dans le vallon, et en arrière de sa gauche, face à Gergovia, sur le prolongement de ce même vallon, afin de ne pas être tourné. Bientôt le torrent des fuyards romains, suivis de près par leurs adversaires, roula comme une avalanche du haut de la montagne et se rapprocha de la Xe légion commandée par César en personne[18].

Mais il ne parvint qu’à ralentir un instant la furie gauloise ; obligé de reculer à son tour, il découvrit le front de la XIIIe légion qui, chargeant aussitôt le flanc droit des troupes ennemies, modéra leur impétuosité. Pendant ce temps les fuyards des légions en déroute, s’échappant parles ailes ou par les intervalles de celles qui soutenaient le choc des Gaulois se rallièrent sur le plateau de Prat, et présentèrent de nouveau le combat à Vercingétorix. Niais ce général, ne jugeant pas à propos de l’accepter, ramena ses troupes du pied de la colline derrière leurs retranchements[19]. L’illustre évêque de Clermont[20], saint Sidoine Apollinaire, qui écrivait dans le cinquième siècle, sans doute sur des mémoires depuis longtemps perdus, affirme, au contraire, que les régions romaines furent poursuivies à outrance et ne s’arrêtèrent que dans leurs camps. Si l’on en croit César, l’attaque de Gergovia ne lui coûta que quarante-six centurions et près de sept cents soldats.

Plutarque ne fait pas mention de ce siège et dit que César perdit son épée[21] au combat où, avant le siège d’Alésia, la cavalerie gauloise fut mise en déroute par l’armée romaine. Cette épée, du temps de l’auteur grec, se voyait encore suspendue dans un temple de l’Arvernie. Plutarque s’est probablement trompé : puisque ce trophée fut enlevé par les Arvernes, il dut tomber entre leurs mains au siège de Gergovia. César, en effet, y dirigea lui-même les mouvements de la Xe légion et se trouva par conséquent dans la mêlée ; tandis que, au combat qui précéda le siège d’Alésia, le général en chef de la cavalerie de Vercingétorix ayant eu la témérité d’attaquer quatre-vingt mille Romains avec quinze mille cavaliers seulement, la victoire ne pouvait pas âtre incertaine. Or le proconsul ne s’engageait personnellement que lorsque, comme à la bataille de la Sambre, à Gergovia, à Dyrrachium ou à Munda, son, armée était sur le point d’être mise en déroute.

Quoiqu’il en soit, le lendemain il jugea à propos de réunir ses vétérans et de leur adresser une harangue pour raffermir leur courage ébranlé par l’insuccès de la dernière affaire. Ce discours, qui n’est certainement pas celui qu’il prononça devant ses légions, a été inséré par lui dans ses Commentaires, afin de dissimuler les causes de sa défaite aux yeux de la postérité. Tantôt il y blâme ses soldats de leur indiscipline prétendue et de s’être laissé emporter trop loin par l’amour de la gloire ou par l’espérance d’un riche butin, malgré sa défense et les ordres de leurs officiers : et tantôt il admire leur intrépidité, que ni la hauteur de la montagne, ni les murailles de la ville n’ont pu arrêter. Cette allocution terminée, César, ne voulant pas que ses soldats attribuassent à la valeur de l’ennemi une victoire dont il n’était redevable qu’à la force de sa position, fit sortir son armée de ses camps, la rangea dans un emplacement convenable et présenta la bataille à Vercingétorix qui se garda bien de l’accepter. Par quelle raison, en effet, aurait-il abandonné un plan de compagne défensif qui lui réussissait si bien, pour compromettre, dans une action générale, le sort de sa patrie ; dans un moment surtout où le moindre échec, éprouvé par lui, aurait empêché les peuples gaulois qui ne faisaient pas encore partie de la Confédération, de se déclarer en sa faveur. Il n’y eut donc qu’une légère escarmouche de cavalerie, où César remporta l’avantage. Le lendemain même manœuvre de sa part et même succès ; et comme Vercingétorix persistait à ne pas descendre des hauteurs qu’il occupait[22], le général romain leva son camp le troisième jour, et en trois marches il atteignit l’Allier[23], refit le pont et franchit la rivière, en fugitif, à l’endroit où il l’avait précédemment traversée en vainqueur. Vercingétorix satisfait d’avoir forcé son adversaire à s’éloigner de Gergovia, ne jugea pas à propos de le poursuivre : car il n’était plus besoin de bataille pour rendre la liberté à la Gaule, lorsque son ennemi, près d’y perdre tous ses alliés, allait être contraint par leur défection, œuvre des habiles négociations de Vercingétorix, de rentrer dans la Province romaine.

 

 

 



[1] Atque inferiore omni spatio vacuo relicto (Galli) superiorem partem collis usque ad murum oppidi densissimis castris compleverant (Com. de Bell. Gal., lib. VII, c. XLVI). César ne considère le massif de Gergovie supérieur à Quiche ou au plateau de Prat, que comme une colline, et il appelle aussi de ce nom les différents plateaux de Gergovia.

[2] Constabat inter omnes, quod jam ipse Cæsar per exploratores cognoverat, dorsum esse ejus jugi prope æquum, sed hunc silvestrem et angustum, qua esset aditus ad alteram partem oppidi (Com. de Bell. Gal., lib. VII, c. XLIV). C’est de son petit camp que César s’exprime ainsi ; donc Quiche et l’avenue étroite, placée à l’extrémité opposée de Gergovie, servent à déterminer réciproquement leur position.

[3] A medio fere colle in longitudinem, ut natura montis ferebat. Presque au milieu de la colline, et dans sa longueur, ainsi que la nature de la montagne le comportait. Puisque la colline fait partie de la montagne, c’est donc un des plateaux de Gergovie (Com. de Bell. Gal., lib. VII, c. XLVI). Les expressions : A medio fere colle, s’expliquent aussi parfaitement, puisque les extrémités du second plateau de Gergovia, du côté du nord, sont plus rapprochées des rochers qui supportaient le mur d’enceinte de la place que du pied de la montagne, par rapport à Quiche ou au plateau de Prat.

[4] Polybe, liv. III, c. XIV.

[5] Collibus circumvehi jubet : La colline Julia et celles qui la suivent. Nouvelle Indication pour déterminer la position du petit camp des Romains, puisqu’il faut qu’à l’autre extrémité de la ville, par rapport à ce camp, il y ait plusieurs collines. Com. de Bell. Gal., lib. VII, c XLV.

[6] La vue de César d’aucun côté ne pouvait porter sur le second plateau de Gergovie. Vercingétorix, soit par la ville, soit par le plateau, aurait, s’il l’eût voulu, dérobé la marche de ses colonnes au général romain ; mais Il affecte, au contraire, de les lui montrer pour lui faire croire qu’il redoutait réellement une attaque vers le sud-ouest.

[7] Com. de Bell. Gal., lib. VII, c. IV, c. XVI, c. XVIII, c. XXXV.

[8] César dit douze cents pas qui, réduits en pas militaires ou de deux pieds, font huit cents mètres, distance exacte de Quiche au sommet de Gergovia : (Opidi murus, etc., MCC passus aberat : Com. de Bell. Gal., lib. VII, c. XLVI).

[9] César prétend qu’il avait vu les camps des Gaulois entièrement abandonnés ; mais nous avons déjà fait observer que, dans quelque endroit qu’il se fût placé, sa vue ne pouvait porter sur le second plateau de la montagne (Vacua castra hostium Cæsar conspicatus, etc. Com. de Bell. Gal., lib. VII, c. XLV).

[10] His rebus expositis signum dat et ab dextra parte alio ascensu eodem tempore Æduos mittit (Com. de Bell. Gal., lib. VII, c. XLV) ; et Manus distinendæ causa, etc. (Id., id., c. L.)

[11] César ici se trahit lui-même : puisqu’il avait calculé la distance du pied de la montagne au mur d’enceinte de Gergovia, ce mur, et non le rempart de six pieds qui le précédait, devait être le but assigné à ses soldats. Quant aux pas, il faut, nous l’avons déjà dit, les évaluer en pas militaires, ou le texte qui les indique en chiffres romains est altéré. On voit, dans Végèce, que les Romains marchaient au pas cadencé, et ce pas, pour être uniforme, doit nécessairement avoir une longueur déterminée (Végèce, liv. I, c. IX).

[12] Si le point de départ des légions eût été Orcet ou ma Roche-Blanche, seraient-elles arrivées au mur en pierres sèches aussi rapidement que le dit César (milites dato signo celeriter ad munitionem perveniunt, etc. Com. de Bell. Gal., lib. VII, c. XLVI) ? On retrouve des débris de cette muraille sur les pentes et dans les bas-fonds du second plateau du nord de la montagne. Les paysans, pour en débarrasser le sol, propre à la culture, en ont formé de petits murs qui suivent la direction de l’ancien retranchement des Gaulois, ou qui servent à borner les héritages.

[13] César dit que Theutomatus faisait la méridienne dans sa tente au moment de cette attaque, et qu’il eut bien de la peine à s’échapper, à demi nu et sur son cheval blessé. Mais comment croire que le roi des Nitiobriges dormit lorsque toute l’armée gauloise était sur pied par suite des mouvements menaçants de l’armée romaine ? Il résulte au contraire des événements du combat, que Theutomatus soutint le choc des troupes de César jusqu’à l’arrivée de Vercingétorix.

[14] Si, comme l’affirme César, Vercingétorix n’avait été prévenu de l’attaque qu’au moment où les Romains touchaient au mur d’enceinte de la place, il ne serait pas parvenu assez à temps sur le lieu de l’assaut pour la sauver. De même, si les légions eussent déjà été établies sur le second plateau de la montagne, il aurait été impossible au général gaulois de se former en bataille, ayant à dos les murailles de la ville ; car il est évident qu’une partie des troupes romaines n’avait qu’à faire à droite pour l’en empêcher, pendant que l’autre continuerait l’attaque de Gergovie, où un officier et plusieurs soldats romains, selon les Commentaires, s’étaient introduits en escaladant le rempart. Le conte sur les centurions Fabius et Petreius et sur les femmes gauloises qui jettent de l’argent et des habits aux Romains, a été inventé par le proconsul pour donner plus d’autorité à son récit. Comment s’imaginer, en effet, qu’Il ait pu mentir avec tant d’impudence et sur tant de circonstances à la fois ? César prétend aussi que les Éduens, dont les armes ressemblaient à celles des autres Gaulois, ayant paru tout à coup sur le flanc droit de ses légions, jetèrent l’épouvante dans leurs rangs ; mais cela n’est pas vraisemblable, parce que Ies Éduens, dans ce cas, auraient eu le temps de prendre part à l’action, parce qu’ils ne le firent pas, et que le proconsul ne les accuse pas de trahison. Ce n’est que plus tard que les troupes romaines, entourées de toutes parts (nostri cum undique premerentur, etc. Com. de Bell. Gal., lib. VII, c. LI), furent mises en déroute par les Gaulois. Mais comment Vercingétorix aurait-il pu envelopper les légions romaines si les Éduens eussent déjà couvert leur flanc droit ? L’engagement, quoique très opiniâtre, fut donc très court, puisque les Éduens n’arrivèrent pas assez tôt pour y participer. César s’est surtout efforcé de dissimuler le peu de durée de ce combat, s’il ne l’eût pas prolongée à dessein dans son récit, à l’aide de circonstances dramatiques, il aurait été trop manifeste qu’il s’était laissé attirer dans le piège habilement tendu par son adversaire ; car pour que les troupes romaines aient été si rapidement entourées, il faut, de toute nécessité, que les dispositions pour y parvenir eussent été prises d’avance. Les portes du nord et de l’est de la place devaient vomir des nuées de soldats qui se jetaient sur les flancs et sur les derrières des légions.

[15] L’armée gauloise, dans ce combat, avait à dos les murailles de la ville ; César le dit expressément : Eorum ut quisque (les Gaulois) primus venerat sub muro consistebat, etc. (Com. de Bell. Gal., lib. VII, c. XLVIII).

[16] Comme elles touchent au plateau de Prat, et sont évidemment celles que César veut désigner par ces mots : Locum supertorem (Com. de Bell. Gal., lib. VII, c. LI).

[17] Le proconsul affirme qu’il fit sonner la retraite dès que ses soldats eurent franchi la première fortification de Vercingétorix et qu’ils n’entendirent pas ce signal, à cause du vallon qui les séparait de leur général. Mais rien n’avait empêché César d’ordonner au commandant de la colonne d’attaque d’échelonner, en avançant, des trompettes pour répéter les sonneries. L’excuse du proconsul n’est donc pas admissible. Alors ce fut pour piller les camps gaulois qu’il livra cet assaut ? Mais comment se douter qu’il ait exposé ses troupes à un pareil danger et sur un pareil terrain, où elles pouvaient être anéanties, s’il n’avait en vue que de s’emparer de quelques misérables braies laissées par les Gaulois dans leurs bivouacs ? Tout prouve, au contraire, que dans son désespoir d’être obligé de lever le siège de la ville, il essaya de l’emporter par surprise et qu’il fut battu.

[18] Hanc (la Xe région commandée par César) rursùs XIII legionis cohortes exceperunt, etc. Donc la Xe légion fut repoussée comme les autres, puisqu’elles se rallièrent toutes que sur le plateau de Prat : Ubi primum planitiem attigerunt, infestis contra hostes signis constiterunt (Com. de Bell. Gal., liv. VII, c. LI). C’est la topographie et les mouvements des deux armées qui doivent déterminer le sens de l’adverbe rursùs qui, dans le cas dont il s’agit, signifie d’un autre côté (le flanc gauche de la Xe légion) et non en arrière.

[19] Ab radicibus collis. Les expressions de César sont très vraies, car les Gaulois n’avaient que la moitié de la colline totale à remonter pour revenir derrière leur rempart en pierres sèches. D’ailleurs, le proconsul appelle parfois montagne la même hauteur qu’il a, quatre lignes auparavant, nommée collis et jugum. On en trouvera un exemple dans la description de son ordre de bataille contre les Helvétiens (Com. de Bell. Gal., lib. I, c. XXIV). C’est donc une nouvelle preuve que le massif de Gergovie, supérieur an plateau de Prat, n’est qu’une colline aux yeux de César. Il ne se sert du mot montagne que lorsqu’il opère la reconnaissance de la place, et en décrit la situation sur une hauteur composée de plusieurs collines. Il est vrai que, après son échec, dans sa harangue à ses soldats et par exception unique, le générai romain désigne sous le nom de montagne la partie de Gergovie que ses soldats gravirent pendant l’assaut. Mais qui ne voit qu’il ne s’exprime ainsi que par analogie, et surtout pour exalter la valeur de ses légions et atténuer dans leur esprit la grandeur de tout défaite, en en rejetant la responsabilité sur la hauteur et l’aspérité de la montagne. (altitudo montis, lib. VIII, c. LII).

[20] Cum colle repnisus Gergobiæ, miles easiris vix restitit ipsis (Sidoine Apollinaire, carm. 7, v. 150).

[21] Plutarque, Vie de César, c. XXIX.

[22] César devait alors avoir évacué la colline de Quiche, et Vercingétorix, ne redoutant plus que de cette position sa cavalerie fut prise en flanc et à revers par les Romains, engagea de nouvelles escarmouches contre celle de César. Le généralissime gaulois pouvait s’être rangé sur le plateau de Prat et le proconsul s’être mis en bataille en avant des retranchements de son grand camp ; ou Vercingétorix, maître encore une fois de la colline de Quiche, livrait ces combats de cavalerie dans la plaine de Sarliève. Dans l’un ou l’autre cas, comme nous l’avons dit, la retraite des cavaliers gaulois était assurée. Toutefois, il est plus probable que ces escarmouches avaient lieu dans le pré du camp, parce que, du plateau de Prat, il était plus facile à Vercingétorix de les surveiller.

[23] César dut franchir l’Allier à dix-sept ou vingt lieues de Gergovie, eu deux jours et demi de marche ; car il lui fallut bien la moitié d’un jour pour rétablir le pont et y faire défiler son armée et ses bagages. Le proconsul n’ayant donné aucun renseignement topographique sur l’endroit où le passage s’opéra, il est impossible de le déterminer d’une manière précise. Néanmoins, Varenne est trop éloigné pour qu’Il y ait traversé l’Allier. Ailleurs, les marches qu’il exécute le long de la rivière, au commencement de son opération offensive contre la capitale des Arvernes, ne permettent pas de le supposer : il ne voyagea que de jour, et dut traverser l’Allier à Vichy ou dans les environs.