AMMIEN MARCELLIN, SA VIE ET SON ŒUVRE

 

DEUXIÈME PARTIE. — L'ŒUVRE.

CHAPITRE III. — LES SOURCES (Suite.).

 

 

La deuxième partie de l'œuvre d'Ammien Marcellin nous est parvenue, mais incomplète. Les treize premiers livres qui embrassaient probablement une période d'une trentaine d'années (324 à 353) sont totalement perdus. Quant aux autres, au nombre de dix-huit, bien que mutilés et altérés en certains endroits, ils n'en présentent pas moins un récit des plus complets pour une période de vingt-cinq ans (353 à 378). Les premiers comme les seconds étaient pleins d'événements dont l'auteur avait été ou avait pu être le témoin de faits contemporains. Les sources furent donc les mêmes.

Cette question de sources ne peut avoir ici le même sens et la même portée que dans le chapitre précédent. Il ne s'agit plus, en effet, d'événements anciens qu'il faut recueillir dans les documents du passé, mais de faits tout récents, auxquels l'historien lui - même a été souvent mêlé. Dans ce cas, l'étude des sources est réduite à n'être que la sévère investigation des moyens dont l'auteur s'est servi pour arriver à une exacte connaissance des faits. Le témoignage de l'historien est alors la source que l'on cherche. Il en est ainsi pour Ammien Marcellin. La parole, l'œuvre de cet historien, est la source principale pour tous les événements qui touchent à une bonne partie de l'histoire du quatrième siècle.

C'est Ammien Marcellin lui-même qui nous le dit au commencement du XVe livre, le deuxième de ceux qui nous ont été conservés : Autant que j'ai pu découvrir la vérité, dit-il, j'ai raconté d'après l'ordre des faits tout ce dont j'ai été témoin pendant ma jeunesse ou dont j'ai pu m'assurer en interrogeant ceux qui avaient été mêlés aux événements. Quant à ce qui va suivre, je l'exposerai avec plus de soin encore et selon la mesure de mes forces, sans redouter ces détracteurs qui méprisent un ouvrage parce qu'il leur paraît long[1].

Ses souvenirs personnels, et le témoignage d'autrui, tels sont donc les moyens d'information que l'historien a employés pour écrire l'histoire de son temps. Il en est un troisième, non moins important, et dont l'auteur parle plus loin : ce sont les documents ou papiers officiels de l'empire. Tout ce que je raconterai, dit-il, des campagnes de Julien en Gaule sera, non l'œuvre d'un artificieux mensonge, mais l'expression de la vérité, fondée sur les meilleurs documents : documentis evidentibus fulta[2]. Reprenons en détails ces trois chefs ou sources de renseignements et voyons dans quelle mesure l'historien a dû les mettre en usage.

 

I. — Souvenirs personnels de l'historien.

Les circonstances servirent à souhait Ammien Marcellin et le préparèrent fort bien à être l'historien de son temps. Fils d'un haut fonctionnaire de l'empire, du comte de l'Orient, Ammien Marcellin fut dès son enfance initié aux grandes affaires du jour. C'est au foyer de sa famille qu'il put développer, en écoutant, cet esprit de sagacité et d'observation que la nature lui avait donné, et nouer des relations, des amitiés avec les personnages les plus élevés. Officier de la cour et protecteur domestique à vingt ans, il fut pendant dix «années le compagnon, l'ami dévoué du maître de cavalerie Ursicin et, comme tel, mêlé aux plus graves affaires qui furent confiées à son chef. Engagé plus tard, comme nous l'avons établi, dans la magistrature, et arrivé aux plus hautes fonctions, il resta toute sa vie au courant des choses de la politique, au centre des affaires. Quant vint l'heure du repos, le magistrat n'eut tout d'abord qu'à rappeler ses souvenirs pour être historien, et c'est ce qu'il fit.

Loin de s'isoler, en effet, et de se mettre en dehors des faits, Ammien Marcellin se mêle au récit et déclare franchement la part qu'if a prise aux événements. C'est avec le général Ursicin, son chef, qu'il assiste au jugement des victimes désignées par le César Gallus ; et le jeune officier nous montre Constantine, encore plus violente que le César son époux, soulevant les tapisseries du tribunal pour surveiller et intimider les juges[3]. C'est encore avec Ursicin, qu'à la suite d'odieuses intrigues il est rappelé à la cour, d'Antioche à Milan, pour être gardé à vue, et de là envoyé dans les Gaules, afin d'étouffer dans son principe la révolte du maître de la milice, Sylvain. Son récit prend alors la forme et le ton même des Mémoires, car l'historien nous livre les tristes réflexions qui agitaient Ursicin et son escorte dans cette expédition, où, comme des bestiaires voués à la mort, ils allaient être exposés sans défense aux atteintes d'implacables bêtes féroces : Ut bestiarii objiceremur intractabilibus feris[4]. Des Gaules, Ammien Marcellin est rappelé par l'empereur Constance à Sirmium, afin d'accompagner Ursicin en Orient et de surveiller les agissements de Sapor II, l'infatigable roi des Perses. Il nous raconte les péripéties de cette campagne, la mission secrète qu'il accomplit auprès du satrape Jovinien, ami des Romains, et le rôle qu'il prit à la défense d'Amida, toujours dévoué à son chef jusqu'au jour où les haines des courtisans brisèrent l'épée du général et le rendirent à la vie privée[5]. L'historien ne disparaît pas de. la scène politique avec le maître de cavalerie de l'Orient. Nous le retrouvons plus tard à la cour de Julien, empereur, soit à Constantinople, soit à Antioche, observateur curieux des incidents de chaque jour. Il participe enfin à la célèbre expédition de ce prince en Perse, et il en fait un long récit, narrateur enthousiaste dans la victoire, mais sombre et désespéré dans la retraite et la défaite[6].

Une fois engagé dans les fonctions judiciaires et en résidence dans quelque grande ville de l'Orient — Antioche sans doute — Ammien Marcellin fut beaucoup moins mêlé aux événements de son temps. Dès lors, son intervention personnelle dans le récit devient plus rare ou moins accusée. On voit néanmoins reparaître l'historien de loin en loin, tantôt pour nous dépeindre la terreur qui régnait à Antioche, sous l'empereur Valons, pendant la répression du complot avorté du notaire Théodore : Omnes ea tempestate velut in Cimmeriis tenebris reptabamus paria convivis siculi Dionysii pavitantes[7], tantôt pour nous faire le portrait des avocats de son temps, âpres au gain, flairant un procès comme les chiens de Sparte ou de Crète suivent une piste, vendant jusqu'à leurs bâillements, usant les portes des veuves et des orphelins et prenant le nom d'un auteur pour celui d'un poisson ou d'un ragoût : Ut in illis partibus agens expertus sum[8]. Mais à quoi bon signaler ici tous les faits dont l'auteur a pu être témoin et qu'il a plus tard racontés ? Cela importe peu et le choix d'ailleurs serait impossible. L'historien a pu maintes fois raconter ce qu'il a vu sans faire appel à son témoignage. Ce qui était essentiel pour nous, c'était d'établir qu'Ammien Marcellin, dans la deuxième partie de son histoire, n'avait eu qu'à consulter ses souvenirs de soldat et de magistrat, que son expérience personnelle avait été le premier de ses moyens d'information. Elle fut aussi le meilleur : le témoignage d'un homme instruit, bien informé, au courant des affaires, et, de plus, homme de bien et indépendant, tel que nous le connaissons, est la plus précieuse garantie de la vérité du récit. C'est ce que nous établirons plus loin en parlant de l'esprit de critique de notre historien.

 

II. — Témoignages des contemporains : Euthère, Eupraxius, Symmaque, Prétextat, Hypathius.

Quelles que soient l'action et l'influence d'un homme dans les affaires politiques de son temps, il ne peut tout savoir, être au courant de tout, du moins d'une façon pertinente et détaillée. Aussi tâche-t-il de suppléer à ce défaut de renseignements en ayant recours aux souvenirs des autres. C'est ce que fit Ammien Marcellin. Il nous l'a dit lui-même : perplexe interrogando versatos in medio[9], et ne l'aurait-il pas dit qu'on devine encore aujourd'hui, en le lisant, que bien des pages, traits de mœurs, anecdotes ou récits partiels durent être esquissés ou revus après une conversation. Du reste, par sa naissance, par les fonctions qu'il remplit tour à tour dans l'armée 'et la magistrature, Ammien Marcellin put facilement entrer en relations avec les plus hauts personnages de l'empire.

Parmi les hommes qui furent pour notre historien du plus grand secours, il faut citer avant tous Euthère, chambellan et conseiller intime de Julien. Cet eunuque, qui avait grandi au service des empereurs Constantin et Constant, devint en 355, dans les Gaules, l'homme de confiance du jeune César[10]. Il exerça sur ce prince la plus salutaire influence. C'est lui qui le rappelait à la décence lorsque, même sous les armes, le jeune César se souvenait encore trop des mœurs relâchées de l'Orient[11]. En 356, il fut envoyé à Milan, à la cour de Constance, pour défendre Julien contre les griefs que des intrigants avides et jaloux avaient élevés, afin de rendre ce prince suspect au trop susceptible empereur[12]. Quant la révolte dissimulée de Julien éclata à Paris (360) et que la guerre civile fut imminente entre les deux Augustes, c'est encore Euthère, avec le maître des offices, Pentadius, qui fut chargé par Julien de remettre à Constance les derniers messages officiels. Mais à ces papiers d'État étaient jointes des lettres secrètes, mordantes et injurieuses, qu'Euthère dut remettre à l'empereur, à l'insu de tous, et qui étaient bien peu faites pour amener la conciliation. Ces lettres, Ammien Marcellin déclare qu'il n'a pu les lire et que d'ailleurs il ne convenait pas de les livrer au public : His litteris junctas secretiores alias Constantio offerendas clanculo misit objurgatorias et minaces, quarum seriem nec scrutari licuit, nec, si licuisset, proferre decebat in publicum[13]. Il est certain que Julien, devenu maître de l'empire, prit ses mesures pour faire disparaître toutes les preuves de la comédie qu'il avait jouée, et les auteurs grecs, ses panégyristes, se gardèrent bien d'en parler. Seul, Ammien Marcellin fut assez franc, assez impartial pour ne pas le taire. Mais de qui put-il tenir ces renseignements qui avaient disparu des archives, si ce n'est d'Euthère lui-même ?

Euthère fut, en effet, pour son temps une merveille. Cet eunuque fut probe et honnête, homme de bon conseil et nullement avare. Après la mort de Julien, il se retira des affaires et vécut à Rome, dans le repos, honoré de l'estime de tous les gens de bien. C'était, semble-t-il, chose rare, car tous ceux de son espèce vivaient isolés, privés de toute considération, cachant leur honte et le souvenir de leurs déprédations au service des princes. Longtemps après, Ammien Marcellin, composant à Rome ses livres d'histoire, dut rencontrer l'ancien Chambellan et ami dé Julien, et ce fut dans les entretiens qu'il eut avec lui qu'il puisa les renseignements qu'il nous donne sur la vie publique et privée du jeune César des Gaules[14]. La mémoire d'Euthère était prodigieuse, nous dit l'historien, immensum quantum memoria vigens[15]. Cet aveu n'est pas sans raison d'être. Il nous révèle qu'à vingt-cinq ou trente ans d'intervalle, le vieux chambellan livrait à l'historien ses souvenirs et l'étonnait encore par l'abondance et la précision de ses renseignements. Il serait difficile de discerner dans l'œuvre d'Ammien Marcellin la part exacte qui reviendrait à Euthère, mais il n'y a pas de témérité à croire que la plupart des détails relatifs à l'administration de Julien en Gaule ont été fournis par lui, et que même le récit des campagnes de ce prince sur le Rhin, et en pays germains, a dû être souvent contrôlé et complété par ce fidèle compagnon du jeune restaurateur des Gaules au quatrième siècle. Ammien Marcellin ne fit, en effet, qu'un court séjour dans ces contrées, de 355 à 357. Rappelé à Sirmium avec son général Ursicin, au mois de juin 357, il ne put assister à aucune des campagnes que le jeune César dirigea de 357 à 360 contre les Francs et les Alamans. Ce fut donc pour lui une bonne fortune que la rencontre à Rome d'un homme comme Euthère, qui avait été à même de tout connaître et dont l'heureuse mémoire n'oubliait rien. Mais cet Euthère avait été l'ami, le confident, le partisan dévoué de Julien. A ce titre, et même à son insu, il peut avoir dépeint son héros à l'historien sous des couleurs plus brillantes que la réalité ; il faudra s'en souvenir en temps et lieu.

Le questeur Eupraxius paraît avoir joué à la cour dé Valentinien Ier le même rôle que celui d'Euthère auprès de Julien : le rôle de conseiller sincère et dévoué. Eupraxius était un Africain, natif de Julia Cæsarea, qui s'éleva par son mérite jusqu'à la haute dignité de questeur[16]. Ammien Marcellin l'avait en très grande estime. Il vante surtout la franche et fière attitude que le questeur sut garder à l'égard de son prince : D'une nature impassible et noble, dit-il, Eupraxius fut toujours le même, pareil à la loi qui, dans tous les cas, tient le même langage[17]. Le ministre s'opiniâtrait même avec une sorte d'ironie dans son rôle de représentant de la justice. Un jour, Valentinien ordonne de mettre à mort les décurions de trois cités : Prenez-garde, observe Eupraxius, ceux que vous condamnez comme coupables, les chrétiens les vénèrent comme des martyrs[18]. De pareils faits n'étaient pas rares, et l'historien en raconte bien d'autres. Ils prouvent qu'Ammien Marcellin avait dû connaître Eupraxius dans l'intimité. Ces relations s'expliquent aisément. Ammien Marcellin passa de l'Orient en Occident vers 378, avons-nous dit plus haut, et occupa dans la magistrature de hautes fonctions. Eupraxius, longtemps questeur du palais de Valentinien, fut préfet de Rome en 375[19]. C'est là qu'ils se rencontrèrent. Tous deux étrangers, mais dignes par l'âme et le caractère des plus vieux Romains, ils ne purent que s'estimer et s'aimer. C'est à ces relations que nous devons plusieurs chapitres des plus intéressants sur l'esprit, les mœurs et le caractère de Valentinien[20]. Ammien Marcellin, ayant vécu en Orient pendant tout ce règne, ne pouvait connaître un prince qui guerroya constamment sur les frontières des barbares, sur les bords du Rhin ou du Danube. Eupraxius, au contraire, fut constamment au service de Valentinien, d'abord comme secrétaire et puis comme questeur du palais. Il partagea la vie intime du prince et fut le témoin de la plupart de ses actes. Son témoignage est celui d'un homme honnête et bien informé. Ammien Marcellin s'est fait le fidèle écho des longs entretiens qu'il eut avec Eupraxius. Il se défend même d'avoir recherché à dessein les traits de férocité et les bizarreries de caractère d'un empereur si recommandable d'ailleurs par sa valeur militaire et son amour de l'intérêt public[21]. Aussi, c'est avec une poignante tristesse que l'on voit ce prince plein de bonnes intentions, mais plus violent que ferme, lutter au dehors contre les barbares et au dedans contre les embarras d'une administration usée. Sa féroce énergie ne put rendre à l'empire la vie, pas plus que les expédients d'un empirique aux abois ne peuvent sauver un mourant.

Ammien Marcellin eut des rapports familiers avec le chambellan Euthère et le questeur Eupraxius ; mais il paraît avoir entretenu avec les Symmaque, Prétextat et Nicomaque, des relations où le respect allait au moins de pair avec l'amitié. C'étaient des hommes instruits, intelligents, d'une grande modération de caractère, d'une plus grande autorité, les derniers représentants de la vieille aristocratie païenne de Rome. Ils étaient encore, au quatrième siècle, sous des empereurs chrétiens, les vrais chefs du Sénat, et ils se passaient de père en fils, comme de droit héréditaire, les plus hautes charges de l'empire.

Symmaque, père de l'orateur-épistolier de ce nom, fut préfet de Rome en 365, consul subrogé en 376, et honoré de plusieurs dignités sacerdotales. Le premier, il donnait son avis au Sénat, et comme tel il fut souvent chargé, au nom de son ordre, de missions auprès des empereurs. Ces derniers respectèrent sa dignité. Gratien et Valentinien II lui firent élever une statue à Rome, et Valens fit de même à Constantinople. Il vivait encore après 382[22]. Ammien Marcellin parle de lui avec un sentiment de respectueuse admiration : Symmachus inter prœcipua nominandus exempla doctrinarum atque modestiœ[23]. Il fait l'éloge de son administration comme préfet de Rome et fait mention du pont que ce dernier fit construire sur le Tibre[24] : ce qui ne l'empêcha point d'être en butte aux haines de la populace et de voir son palais livré aux flammes sur la foi d'une odieuse calomnie. Tous ces détails ne paraissent avoir été livrés à l'historien que dans l'intimité d'un entretien. De fait, Symmaque ne mourut qu'après 382, et Ammien Marcellin était déjà en Occident et sans doute à Rome depuis plusieurs années.

Prétextat n'était pas moins remarquable que Symmaque. Comme lui, il était un des chefs de l'aristocratie romaine. Homme politique, il arriva aux plus hautes fonctions, fut tour à tour questeur, préteur de la ville, correcteur de la Toscane, proconsul d'Achaïe, préfet de Rome, préfet du prétoire d'Italie, etc. Homme de spéculation non moins que d'action, il fut encore philosophe, disciple d'Aristote[25], et comme la philosophie se confondait alors avec la religion païenne dans l'hellénisme, il fut honoré des plus hautes dignités sacerdotales augure, pontife de Vesta, du Soleil, initié à tous les mystères de Bacchus et d'Éleusis, qu'il protégea contre les édits de Valentinien[26]. Il mourut en 385, au moment où Théodose venait de le désigner comme consul pour l'année suivante. Ammien Marcellin parle souvent de lui et toujours dans les termes d'une grande estime[27]. Il rappelle les missions qu'il remplit auprès des princes, son excellente administration comme préfet de Rome lors de l'élection du pape Damase contre le schisme d'Ursin, et même, dans d'autres récits, il fait appel en termes émus au témoignage de cet homme éminent. C'est ainsi que, résumant les nombreuses réformes que fit Julien dans son court séjour à Constantinople dans l'année 362, il ajoute en terminant : Aderat his omnibus Prœtextatus, prœclarœ indolis gravitatisgue priscœ Senator, ex negotio proprio forte repertus apud Constantinopolim[28]. Ce souvenir glissé dans le récit, et que le contexte ne réclamait point, révèle, semble-t-il, l'intimité des relations qui existaient entre ces deux hommes, la déférence que l'historien avait pour le grave sénateur, et donnerait à entendre qu'Ammien Marcellin écrivait ces pages peu de temps après la mort de Prétextat, encore tout plein des regrets de la perte de son ami.

L'historien est plus sobre de renseignements à l'endroit de Flavien Nicomaque ; mais il n'y a pas de témérité à croire qu'il ait été en relations avec lui. Historien et philosophe, Flavien était uni par alliance à la famille des Symmaque[29]. Comme eux et comme Prétextat, il était l'âme de ce groupe de païens illustres qui dominaient le Sénat et s'imposaient aux empereurs chrétiens eux-mêmes. Vicaire d'Afrique en 377, il mit fin, nous dit Ammien Marcellin, aux vexations que le comte Romanus avait fait subir à la province de la Tripolitaine[30]. Le récit d'Ammien s'arrête à l'année 378, et Nicomaque n'était alors qu'au début de sa carrière politique. Aussi son nom ne se présente-t-il plus dans les livres de notre historien ; mais ils se connurent et échangèrent leurs vues politiques. Ammien Marcellin fait l'éloge de l'esprit de justice qui anime l'ex-vicaire d'Afrique ; et le récit exact et circonstancié qu'il fait des souffrances de cette province livrée à un misérable prouve qu'il dut être guidé et éclairé par les indications de celui qui les répara et en tira vengeance.

Il n'est pas moins utile qu'intéressant de connaître les hommes qui furent en relations avec notre historien : c'est un moyen d'arriver à des sources de renseignements, et par là d'en déterminer l'esprit et le caractère. Symmaque, Prétextat, Nicomaque étaient des hommes du monde, d'une probité égale à leur haute intelligence, des hommes politiques élevés aux plus hautes charges de l'empire, presque toujours mêlés aux affaires de leur temps. D'eux-mêmes ou par leurs amis, ils furent bien au courant des événements du jour et en eurent une sûre et claire intelligence. Par eux, Ammien Marcellin ne put être que fort bien renseigné. Cette source d'informations était une des meilleures auxquelles l'historien pût puiser. Était-elle pourtant complètement sûre et suffisante ?

Quelle que fût l'honnêteté et l'intelligence de Symmaque, de Prétextat et de Nicomaque, ils n'en étaient pas moins des hommes de parti, ayant des préjugés, des préventions. Ils étaient les chefs de cette aristocratie païenne de Rome qui, tout en protestant de sa soumission au nouvel ordre des choses, n'en gardaient pas moins, sous des empereurs chrétiens, un léger esprit d'opposition qui se trahissait : en politique, par la fidélité aux souvenirs de l'antiquité romaine et à la mémoire de Julien ; en religion, par un complet dévouement au culte des dieux rajeunis par l'hellénisme ; en littérature, par l'amour des belles-lettres et l'étude des chefs-d'œuvre de la Grèce et de Rome. C'est à ces divers titres que Macrobe, qui vivait peu de temps après, fit de ces païens illustres les principaux interlocuteurs de ses Dialogues. Pour lui, comme pour. ses contemporains, ces trois noms résumaient tout ce que la Rome antique avait aimé et porté à un si haut degré de splendeur, tout ce que la Rome nouvelle tenait en suspicion, minait et sapait tous les jours pour le renverser. La parole de ces fonctionnaires est donc le témoignage d'hommes probes, instruits et bien informés, mais encore celui de païens, légèrement frondeurs, mécontents, ancrés dans les souvenirs du passé et fermés aux idées du jour, aux espérances de l'avenir ; jaloux d'ailleurs et même ennemis des hommes nouveaux, des chrétiens, que les circonstances faisaient leurs rivaux dans les conseils des princes et dans les hautes dignités de l'empire. Leur pensée, leur jugement, surtout dans les questions religieuses, et à l'égard de certains personnages qui ne sont pas de leur camp, ne peut être accepté que sous condition et doit être prudemment contrôlé ; nous nous en souviendrons quand nous ferons la critique de l'œuvre de notre historien.

C'est de l'estime, de l'admiration qu'éprouvait Ammien Marcellin en parlant des Symmaque, des Prétextat, etc. C'est la plus vive amitié qu'il témoigne en nommant le consulaire Hypathius. Ce dernier était le frère d'Eusébie, femme de l'empereur Constance, et fut consul en 359 avec son frère Eusèbe. En 371, il se trouvait à Antioche et faillit être compromis dans le fameux complot du notaire Théodore, grâce aux attaques du délateur Héliodore. Ammien Marcellin rappelle ce fait avec un accent où l'on retrouve toutes les alarmes de l'amitié, et le fait suivre de l'éloge de son cher Hypathius : Inter quos omnes ex adolescentia virtutum pulchritudine commendabilis poster Hypathius prœminebat, vir quieti placidique consilii, honestatem lenium morum velut ad perpendiculum librans, qui et majorum claritudini gloriœ fuit, et ipse posteritatem mirandis actibus prœfecturœ geminœ decoravit[31]. A la suite de ces faits, Hypathius quitta l'Orient et vint à Rome, où il fut préfet de la ville en 379 et préfet du prétoire d'Italie en 382. Ammien Marcellin ne tarda pas à le suivre, à passer en Occident, où il occupa comme Hypathius de hautes fonctions. Ils vécurent ensemble, à Rome, dans le commerce d'une noble amitié., et c'est à ces relations que nous devons sans doute le récit de toutes les intrigues qui agitèrent la cour du faible et vaniteux Constance, le secret de tous les conseils qui furent tenus dans le Consistoire sacré. Hypathius, comme beau-frère de l'empereur, avait ses entrées dans le palais et les confidences de l'impératrice sa sœur. L'historien parle souvent d'Eusébie, fait son éloge, vante son humanité et la beauté de son âme égale à celle du corps[32]. Toutefois, ce n'est pas le traitement indigne qu'elle fit subir à Hélène, femme de Julien, qui prouverait sa vertu[33]. Il n'est pas facile de dire quelle fut la nature des relations de Julien et d'Eusébie et quel fut le secret de l'intérêt qu'elle lui porta. Ammien Marcellin assurément ne l'ignora pas, mais il n'a pas jugé bon de le dire. L'historien peut avoir été indulgent pour la sœur, en souvenir du frère, son ami Hypathius. Ce dernier était-il chrétien ? C'est probable, car Eusébie, sa sœur, était d'une famille chrétienne. Mais le christianisme de la plupart des hommes politiques du quatrième siècle était beaucoup plus une garantie, un titre de recommandation qu'une conviction de l'âme. Dans tous les cas, il ne paraît pas, comme nous le verrons plus loin, que l'influence du chrétien Hypathius ait compensé celle des chefs de l'aristocratie païenne, des Symmaque et des Prétextat.

 

III. — Documents officiels : Actes diurnaux, éphémérides des princes.

Les souvenirs personnels de l'auteur, ses relations, ses entretiens avec des hommes considérables, instruits, hauts fonctionnaires de l'empire, furent pour notre historien les principaux moyens d'informations et de contrôle. Mais il ne faut pas oublier qu'Ammien Marcellin écrivit son histoire de vingt à vingt-cinq ans après les événements. Est-il dès lors permis de croire qu'à cette distance lui ou ses amis ont pu se rappeler les faits au point de les décrire ensuite avec l'abondance de détails d'un homme qui note au jour le jour ce qu'il fait ou dont il est témoin ? Cette supposition n'est pas vraisemblable, et l'historien dut s'aider de tous les documents officiels ou privés qu'il put avoir sous la main.

C.-C.-G. Heyne a cru reconnaître dans les Libri Rerum Gestarum les caractères des mémoires[34]. Ces mémoires, si vraiment mémoires il y a eu, n'ont pas été écrits par notre auteur. Ammien Marcellin, qui a soin de nous indiquer en plusieurs endroits avec quels soins il s'est enquis des faits et a recherché la vérité, n'eût pas manqué de nous le dire. En outre, Ammien Marcellin n'a pu être témoin de tous les événements qu'il raconte. Il n'a pu se trouver simultanément, par exemple, à la cour du roi Para en Arménie, en Afrique dans les villes de la Tripolitaine, et en Bretagne avec le père de Théodose repoussant les barbares du Nord. Il est même probable que, durant sa vie de soldat, le brillant protecteur domestique n'eut guère le temps ni la pensée de consigner le récit des faits dont il était témoin. Ce n'est que plus tard, et nous l'avons dit plus haut, qu'Ammien Marcellin, rendu à la vie privée, songea à occuper ses loisirs en écrivant son histoire, monument qui devait faire suite à l'œuvre de Tacite et combler dans les annales de Rome une lacune de près de trois cents ans. Pour l'histoire du passé, il eut recours aux historiens grecs les plus graves, les plus complets. Pour l'histoire de son temps, il s'inspira de ses souvenirs, de ceux de ses amis ; mais, en outre, il dut s'entourer de tous les documents écrits, officiels ou privés, existant déjà les remanier et les disposer de manière à en former le corps même de son histoire.

Ces documents ne lui firent point défaut. L'esprit positif et pratique, la manie de la réglementation propre au génie romain survécut à tous les désastres, grandit et se développa même à mesure que sa puissance déclinait. Au quatrième siècle, depuis les réformes administratives d'Aurélien, de Dioclétien et de Constantin, tout ce qui avait trait à la vie publique des Romains était noté et enregistré. Les actes des princes étaient recueillis au jour le jour dans les Éphémérides ou Regesta principum. Chaque haut fonctionnaire, préfet de la ville, préfet du prétoire ou vicaire, avait ses bureaux (scrinia), était entouré d'une quantité d'employés (officiales), chargés de mettre en ordre les rôles des affaires civiles ou criminelles qui étaient de leur ressort. Tout notaire chargé d'une mission quelconque en province, tout général envoyé en campagne était tenu de faire un rapport, lequel était discuté en conseil impérial, approuvé ou blâmé. Là une multitude de scribes, dits agentes, notarii, etc., étaient placés sous la direction de chefs de bureaux (magistri a libellis, a studiis, a cognitionibus, ab epistolis, a memoria), lesquels relevaient du magister officiorum et du quæstor sacri palatii, les plus hauts dignitaires de l'empire[35].

Enfin, paraissaient à Rome, et régulièrement ; les Actes du Sénat et du Peuple, plus connus sous les titres d'Acta diurna ou Diaria, enregistrant au jour le jour tout ce qui arrivait de notable dans l'empire, depuis les décrets des princes et les délibérations, du Sénat jusqu'aux mille bruits que colportait dans les rues la crédulité populaire. On peut croire qu'avec une telle organisation les moindres actes de l'administration impériale étaient consignés, et qu'il fut facile à notre historien, ancien magistrat et homme de travail, de les retrouver et de les consulter. C'est ce qu'il fit en s'établissant à Rome dans les dernières années de sa vie pour composer ses livres d'histoire. Là, il trouvait tous les documents de l'empire enfouis dans les vastes bibliothèques ulpienne, tibérienne, etc., au nombre de vingt-neuf, dit Julius Victor. Est-il possible maintenant, dans l'œuvre si complexe de notre historien, de distinguer les documents originaux, d'en apprécier la valeur et le caractère ? Il serait téméraire de l'affirmer, mais un coup d'œil jeté sur ses livres ne sera pas, croyons-nous, inutile.

Si l'on remarque l'ordre dans lequel Ammien Marcellin a distribué les matières de ses livres, l'on voit que généralement il a suivi l'ordre chronologique. Il procède, comme Tacite, année par année, qu'il désigne par les noms des consuls, embrassant ainsi successivement les faits les plus divers. Il passe tour à tour de l'Orient en Occident, des confins de la Bretagne aux sommets du Taurus, des bords du Rhin aux rivages de l'Afrique ; mêlant, par exemple, au récit de l'expédition de Théodose contre les Bretons, celui de la préfecture d'Ampélius à Rome, et de la campagne de Valentinien contre les Saxons[36]. Par contre, il revient à trois différentes reprises sur les interminables démêlés de Sapor et de Valens, au sujet de l'Arménie, parce que ces événements se présentèrent à des temps différents[37]. Cet ordre peu systématique était évidemment l'ordre suivi dans les Actes diurnaux qui offraient, au jour le jour, un ensemble des faits arrivés sur les divers points de l'empire. Il est donc juste de supposer qu'Ammien Marcellin s'inspira tout d'abord de la lecture de ces documents. De plus, ces actes présentaient à première vue une connaissance des temps qui n'était pas moins précieuse par la richesse et la variété des renseignements que par la sûreté des informations. Collectionnés en recueils et rangés dans l'ordre de succession des princes, ils étaient déposés dans les bibliothèques et mis à la disposition de tout homme d'étude. Ils constituaient ainsi la première source documentaire pour tout écrivain qui s'avisait de composer des biographies ou des livres d'histoire. Suétone, Tacite, Dion Cassius les citent souvent ou même s'en servent pour contrôler les récits des autres historiens. Marius Maximus paraît leur avoir emprunté toutes les données pour l'histoire des Césars du deuxième siècle. Les auteurs de l'Histoire Auguste, et surtout Vopiscus, le plus sérieux de tous, les mentionnent ou même les découpent en les copiant. Est-il dès lors invraisemblable de croire qu'Ammien Marcellin ait eu tout d'abord la pensée de recourir à ces documents[38] ? Tout, bien au contraire, nous porte à l'admettre, et l'ordre de la composition et l'examen des matières contenues dans ces livres ; il est même possible de distinguer ce qui a pu être directement extrait de ces Actes.

Servius, dans ses Commentaires, nous dit des Annales et partant des Actes diurnaux, car on les désignait ainsi, que ces Actes comprenaient tous les événements mémorables jour par jour[39]. Or, ce mot de mémorables, il faut l'entendre dans son sens le plus large, depuis les Actes de l'autorité publique jusqu'aux mille riens absurdes, vraies ou fausses nouvelles apportées par les oisifs aux pieds de la tribune aux rostres, subrostrani[40]. Pline trouvait dans ces pièces mention faite d'une pluie de briques en l'an 701, tandis que Dion Cassius y étudiait les rapports des généraux faits au Sénat et au peuple[41]. Célius, écrivant à Cicéron, leur empruntait le récit des intrigues des comices, des procès du jour et d'aventures scandaleuses — adultères et divorces — tandis qu'Asconius Pedianus s'en servait pour rétablir les vraies circonstances du meurtre de Clodius[42]. Tels étaient les Actes diurnaux à la fin de la République et dans les premiers temps de l'empire : pleins de vérités et de mensonges, de faits sérieux et absurdes, fidèles échos de tout ce qui se disait dans le moment. Tels étaient-ils encore à la fin du quatrième siècle, non moins importants ni plus sérieux, quand ils servaient d'unique aliment à tous les oisifs de Rome et de l'empire. C'est ce que prouvent d'ailleurs les livres d'Ammien Marcellin.

C'est, en effet, à cette source que l'historien dut emprunter ces mille récits, menus propos, frivoles ou ridicules, qui sont plus d'une vieille femme que d'un grave écrivain. Le peuple romain, nous dit-il, rassemblé dans le grand Cirque, au moment où l'usurpateur Sylvain était surpris et massacré sur les bords du Rhin, s'écrie d'une seule voix : Sylvanus devictus est ![43] En Gaule, à l'instant où Julien nommé César entrait à Vienne, au milieu des félicitations des Gaulois qui voyaient déjà dans le jeune prince un sauveur, une vieille femme aveugle annonce que ce prince sera le restaurateur du paganisme[44]. Ailleurs, c'est un âne qui monte sur le tribunal d'un juge prédisant ainsi l'étonnante fortune d'un Terentius, qui de boulanger devint correcteur de la province Tuscia[45]. Ce sont encore les balais du Sénat qui fleurissent et annoncent l'avènement à de hautes fonctions d'hommes grossiers et féroces[46]. Enfin, c'est la naissance de quelque monstre, l'indication de quelque remède absurde, de quelque maléfice ou incantation ridicule, et mille riens de ce genre dont l'historien émaille ses récits, sans trop y ajouter foi, sans doute pour faire œuvre d'art, pour détendre l'attention de ses auditeurs dans les lectures publiques. Or, ces futilités, un homme grave tel qu'Ammien Marcellin n'a pu les inventer. Il a pu les répéter après les avoir entendues, et, comme il écrivait de vingt à vingt-cinq ans après les événements, il a dû surtout les emprunter aux Actes diurnaux qui, à cette distance, lui transmettaient l'écho de tous les bruits et rumeurs populaires.

Il faut encore rapporter à ces Actes tous ces on dit que l'historien présente sous une forme conditionnée, les distinguant ainsi des récits authentiques fondés sur de solides témoignages. S'il parle des démêlés du pape Libère avec l'empereur Constance, au sujet de la déposition de l'évêque Athanase, il reproduira les vagues rumeurs du peuple, transmises par les Actes, et il fera de ce saint un vulgaire ambitieux, un sorcier, ut prodidere rumores assidu[47]. C'étaient encore les bruits de la rue, et sans doute aussi les insinuations des partisans de Julien, qui accusaient Constance d'être de connivence avec les rois des peuplades germaines, Vadomaire et Gundomade, afin de susciter des embarras à Julien révolté : Si famœ solius admittenda est fides[48], ajoute l'historien, et bien d'autres récits de ce genre que l'auteur mentionne avec de pareilles restrictions. On peut encore renvoyer aux Actes, sans crainte de se tromper, tous les récits d'incendies, de tremblements de terre, d'inondations, qui, par une tradition antique et religieuse, étaient fidèlement consignés dans ce recueil[49]. L'historien ne se contentait pas de reproduire sèchement ces faits. Afin de relever les matières et de les rendre dignes de l'histoire, il ajoutait des discussions théoriques sur les causes de ces phénomènes, discussions qu'il copiait dans les manuels théologiques et philosophiques du temps.

Il y a plus que des vagues rumeurs, des accidents et des faits isolés à attribuer à cette source de renseignements. Des chapitres entiers, et des plus intéressants, paraissent avoir été écrits après une lecture de ces Actes. Tels sont les chapitres où l'auteur décrit les mœurs des Romains[50]. Sans doute, il faut faire la part de l'observation personnelle dans les nombreuses et piquantes saillies que l'historien nous livre au sujet de ses contemporains. Il faut encore mettre de côté les rapprochements qu'il fait entre les fades prétentions des Romains du quatrième siècle et l'austère simplicité des ancêtres : fruits d'une érudition mal digérée et du pédantisme littéraire du temps. Mais il n'en est pas moins vrai que la plupart des détails et des traits de mœurs que l'historien nous donne sur la vie licencieuse et frivole de ses contemporains ont été suggérés par une lecture suivie des Actes diurnaux. L'auteur déclare, au commencement d'un de ces chapitres (liv. XIV, ch. VI), qu'il va nous retracer, non l'état des mœurs si dégénérées de son temps, mais rechercher les causes d'une telle corruption : Et quoniam mirari posse quosdam peregrinos existimo... quamobrem... nihil prœter seditiones narratur et tabernas et vilitates harem similes alias, summatim causas perstringam. Évidemment, cet aveu est une précaution oratoire d'un historien jaloux de relever par une idée générale la vulgarité des détails ; mais cette idée, cet aveu n'a pu se présenter à son esprit qu'après une lecture des Actes de ce temps, si prolixes en incidents de ce genre. D'ailleurs, Ammien Marcellin vécut peu à Rome ; c'est sur les champs de bataille et en Orient qu'il passa la plus grande partie de sa vie. Il ne vint à Rome qu'en 380, après les événements qu'il raconte ; encore même s'y considéra-t-il comme étranger, et, comme tel, essuya-t-il bien des refus et des mépris de la part de cette nouvelle aristocratie, venue des provinces pleine de morgue et sans valeur. Aussi était-il naturel qu'il cherchât dans les Actes diurnaux les renseignements dont il avait besoin.

Pour se faire une idée du ton et de l'esprit qui inspirait ces Actes diurnaux, il suffit de relire le chapitre dixième du livre XVIe qui, sûrement, a été extrait de ces pièces. C'est la description de l'entrée triomphale de l'empereur Constance à Rome, en l'année 357. Aucun détail n'est omis : le point de départ, l'ordonnance du cortège, l'attitude du prince, roide et inflexible sur son char, courbant la tête quand il passe sous les arcs des portes de la ville, ses visites au Forum, au Sénat, au théâtre de Pompée, à l'Odeum, au Stade, ses réflexions enthousiastes et les réponses pessimistes d'Hormisdas, — ce Perse découronné, réfugié dans l'empire, — tout est minutieusement décrit, jusqu'aux costumes des soldats qui escortaient le char. Tout est noté, jour par jour, avec la fidélité d'un reporter moderne. Et cependant Ammien Marcellin ne fut pas témoin de ce triomphe ridicule : il était en ce moment en Gaule, dans l'escorte d'Ursicin. Aurait-il été présent à ce spectacle qu'il n'eût pu en rappeler tous les incidents, car il écrivit prés de trente ans après, et tout autre témoin oculaire eût été dans les mêmes conditions. Où donc notre historien a-t-il pu trouver une description si nette, si détaillée, de l'entrée de Constance, de son séjour à Rome, si ce n'est dans les Actes diurnaux, si friands de pareilles fêtes et de tels incidents ? La collection de tels documents dut être en ces circonstances d'un grand intérêt, car elle inspira à notre auteur des pages fort remarquables par l'originalité de la pensée et l'amère ironie du sentiment. On y trouve dépeint sur le vif ce peuple romain qui, par souvenir de son antique royauté, ne montre aucun empressement autour de l'empereur qui lui rend visite, tandis que le prince, aux jeux du Cirque, a des égards et de la déférence pour les caprices de ce peuple-roi déchu et tombé en enfance. Ce sont deux puissances qui paraissent s'entendre et se respecter mutuellement : celle du passé et celle du présent. On y trouve aussi décrite pour la première fois cette admiration qu'inspire la vue des monuments de Rome, et depuis lors si souvent éprouvée et reproduite ; la Ville-Éternelle était déjà visitée et admirée comme un musée plein de souvenirs et de ruines antiques.

C'est encore évidemment à cette source — les Acta diurna — qu'il faut attribuer les détails relatifs à l'érection de l'obélisque que Constance fit apporter à Rome, en souvenir du voyage qu'il venait de faire en cette ville[51], ainsi que les courtes notices que l'auteur consacre à tous les préfets de Rome qui se sont succédé de l'an 353 à 374. Il est probable que l'historien avait parlé de tous les préfets de cette ville, surtout depuis les temps de Constantin jusqu'à l'année 378 où se termine son récit. Mais les treize premiers livres sont perdus, et ce n'est pas sans vraisemblance que beaucoup d'érudits ont supposé entre le dernier et l'avant-dernier livre actuel une grande lacune, un livre entier peut-être, où se trouvaient insérées les notices des préfets, de 374 à 378[52].

Quoi qu'il en soit, ces notices qui interrompent de loin en loin le récit de l'historien sont du plus vif intérêt. Elles ont l'avantage de nous rappeler que Rome existe encore puisqu'elle remue, que son Sénat n'est pas complètement mort puisque les balais y fleurissent, que ce peuple-roi respire encore puisqu'il réclame et s'ameute quand les convois de blé apportés de l'Égypte sont en retard ou que le vin est trop cher. Le préfet, président ordinaire du Sénat et chef hiérarchique de tous les autres fonctionnaires impériaux dans Rome, est investi de tous les pouvoirs nécessaires pour assurer la tranquillité de la ville ; Il en est le premier magistrat. Chacun de ces préfets paraît à son tour dans le récit, dépeint avec des couleurs si vives qu'on ne saurait plus oublier sa physionomie. C'est Leontius, prompt et juste dans l'accomplissement des devoirs de sa charge — préfet à poigne, dirions-nous aujourd'hui — saisissant au milieu d'une émeute l'instigateur des troubles et l'arrêtant de sa main[53]. C'est Apronianus qui, ayant perdu un œil en voyage et attribuant cette perte à l'influence des arts occultes, se venge en réprimant sévèrement tous les crimes de sorcellerie et de magie[54]. C'est Symmaque et Prétextat, les chefs reconnus de l'hellénisme, comblés d'éloges par l'historien, et dont nous avons parlé plus haut. Lampadius a la manie de restaurer les monuments, comme Trajan, et d'y inscrire son nom, non plus comme restaurateur, mais comme fondateur. Homme frivole d'ailleurs, ajoute Ammien, qui poussait la vanité jusqu'à se flatter de tousser et de cracher différemment des autres, et qui, méprisant les faveurs de la plèbe, se contentait d'enrichir les pauvres venus de la colline du Vatican[55], — entendez par là les chrétiens.

La fonction principale du préfet de la ville était d'assurer les vivres à cette population énervée et d'apaiser les querelles religieuses toujours prêtes à éclater entre chrétiens et païens. C'est par là seulement qu'on entrevoit la seconde Rome, la Rome des Papes, qui doit survivre à celle des Césars. Néanmoins, l'auteur se garde bien de dire d'un préfet s'il était païen ou chrétien et de prendre parti ouvertement dans ces luttes. A cet endroit, il faut avoir recours aux témoignages de ses contemporains, les auteurs ecclésiastiques, pour avoir l'explication de bien des faits. On découvre alors qu'Ammien Marcellin est plein d'égards pour les chefs avoués du paganisme, tandis qu'il réserve les traits d'une mordante raillerie pour les Lampadius, les Olybrius, les Probus et les Anicius Bassus, qui étaient les chefs des chrétiens. Cette partialité n'était pas voulue, croyons-nous, de la part de l'historien ; elle était plutôt inspirée par la lecture des sources auxquelles il avait emprunté ces notices» sur chacun de ces préfets. Les Actes diurnaux auraient donc conservé jusqu'à la fin du quatrième siècle une forme et un esprit dévoués à l'ancien ordre des choses. En outre, ces mille incidents, tracasseries et émeutes, montrent bien ce qu'était la vie quotidienne des Romains, alors si étrangers à la politique générale de l'empire. Quand on relit dans notre historien les pages consacrées à ces courtes notices, on croit lire les arrêtés et les conflits d'un maire d'une ville de province au dix-neuvième siècle.

Les lettres familières de Cœlius — l'ami et correspondant de Cicéron — mentionnent souvent des procès ; et ces lettres étaient, dit Cicéron, le fidèle écho des Actes diurnaux de ce temps. Les Romains, d'un esprit positif et pratique, n'hésitaient jamais devant une instance pour sauvegarder leurs droits. Il en était probablement de même au quatrième siècle. De fait, les comptes rendus judiciaires occupent dans l'œuvre d'Ammien Marcel lin une place importante. Cette préoccupation de l'historien provenait sans doute de la compétence d'un homme qui, comme magistrat, avait passé de longues années à rendre la justice, de l'abondance et de la variété des documents que lui fournissaient les Actes diurnaux ; mais elle est encore justifiée par les malheurs des temps. La jalouse susceptibilité des princes, l'absence de principe bien reconnu dans l'ordre de succession à l'empire amenaient de continuelles répressions. Le sang ruisselait encore plus dans les prétoires que sur les frontières. On accuse de cruauté les empereurs Constance, Valens, etc., et c'est justice, car ils abusèrent du droit qu'a tout pouvoir, qui se croit légitime, de se défendre. Mais il faut tenir compte aussi des folles prétentions de ces usurpateurs qui ne reculaient devant aucun crime pour arriver au pouvoir. Les complots étaient réels, fréquents, et Ammien Marcellin a l'honnêteté de l'avouer, tout en récriminant contre les répressions exagérées. A l'occasion, Julien, le prince philosophe, n'était pas moins prompt qu'un autre à envoyer un imprudent à la mort[56]. Il faut enfin faire sa part de responsabilité à la sottise populaire. Il suffisait du moindre incident pour fournir un prétexte à toutes les audaces. On croyait à la magie, à la divination, aux oracles, à toutes les superstitions qu'un peuple enfant ou déchu admet sans discernement. Tout était matière à prédiction, et, partant, cause de révolte. On conçoit donc que si les princes furent soupçonneux et cruels, les ambitieux ne furent pas moins téméraires et provocateurs, les peuples sottement crédules et inconstants.

Ammien Marcellin a consacré au récit de ces intrigues, aux comptes rendus de ces jugements des développements considérables : c'est Paul dit la Chaîne, Mercure le comte des Songes, ainsi nommés à cause de leur habileté pour ourdir d'inextricables complots ; c'est le chambellan Eusèbe, un avare ambitieux qui profite du moindre indice pour punir d'exil ou de mort des coupables souvent imaginaires et confisquer leurs biens. C'est le farouche Maximin, son complice le notaire Léon et le féroce Simplicius qui, maîtres de Rome en 368 et 369, comme préfet de l'annone et vicaire, terrorisent cette ville en recherchant les crimes d'adultère et de magie. C'est enfin Héliodore, un médiocre avocat, qui, maître de l'oreille de Valens, et dans le but de réprimer la conspiration du notaire Théodore, se jette comme une bête fauve dans les familles, emplit les prisons et fatigue les bourreaux[57].

Qu'Ammien Marcellin ait eu recours dans tous ces récits à ses souvenirs et à ceux de ses collègues et amis, nul ne peut en douter, il le déclare d'ailleurs lui-même : Et quoniam addici post cruciabiles pœnas vidimus multos.... summatim quia nos penitissima gestorum memoria fugit, quæ recolere possumus, expeditius absolvemus[58]. Mais faut-il croire qu'à vingt ou vingt-cinq ans d'intervalle l'historien ait été ainsi merveilleusement servi par sa mémoire au point de raconter ces faits par le menu et le détail jusqu'à la satiété ? Faut-il croire surtout que là où il n'a point été témoin oculaire, comme dans la répression des crimes d'adultère et de magie à Rome, il s'est contenté de consulter ceux qui avaient été présents ? N'est-il pas vraisemblable qu'il a puisé aux sources, c'est-à-dire aux Actes diurnaux, que nous savons remplis de pareils faits et que l'auteur avait sous la main ?

Sans doute, l'historien aurait pu recourir encore aux Actes judiciaires, comptes rendus minutieux des procès recueillis par tout un personnel de greffiers, exceptores ou ταχυγράφοι, et déposés dans les archives des tribunaux, tabularia publica. Mais, outre que ce travail eût été fort long et souvent inutile, Ammien Marcellin donne clairement à entendre qu'il ne l'a point fait. Dans un passage, il prévient ses lecteurs, — ou ses auditeurs, car il lisait ses livres d'histoire devant les lettrés de Rome, — qu'ils ne retrouveront pas dans ces pages tous les détails des cruelles recherches ordonnées par Maximin et ses satellites, car, ajoute-t-il, tout n'est pas digne d'être raconté, et d'ailleurs, si cela eût été nécessaire, les instructions des procès contenues dans les archives judiciaires, tabulariis publicis, n'y auraient pas suffi, vu la violence des troubles de ce temps et la fureur avec laquelle tout était mêlé et confondu[59]. L'historien avoue donc qu'il n'a pas eu recours à ces pièces ; et de fait, rien dans le récit, qui n'est qu'un résumé malgré ses longueurs, ne rappelle l'ordonnance des procès-verbaux, tandis que mille détails, tels que les raisons de la réserve continue de Maximin avant sa promotion comme préfet[60], rappellent les on dit de la rue et le ton des Actes diurnaux.

Les Actes du Sénat et du peuple contenaient plus que des récits frivoles et des bavardages de rue, plus que des satires de mœurs et des portraits de fonctionnaires, plus que des récits d'accidents et des comptes rendus judiciaires ; ils renfermaient encore les décrets officiels des princes et des magistrats, les rapports, résumés en peu de mots sans doute, des campagnes entreprises par les empereurs ou les généraux de l'empire. A ce point de vue, l'autorité des Actes diurnaux était grande, puisque Dion, écrivant ses livres d'histoire, contrôlait les récits de ses devanciers par ceux des Actes du même temps, ou déclarait, en le regrettant, que les Actes, sous la dictature de César, avaient été falsifiés[61] ; et Vopiscus, dans ses vies d'Aurélien, de Probus et de Tacite, s'en réfère constamment à ces Actes pleins de documents officiels[62]. Ces décrets, rapports et comptes rendus officiels étaient adressés directement aux villes par la chancellerie impériale, et l'on peut croire que Rome, comme capitale de l'empire, avait la primeur de telles communications. Une des formes les plus employées, quand le prince faisait part d'une campagne heureusement terminée ou d'une victoire remportée sur l'ennemi, était celle des laureatœ litterœ. Ces lettres, apportées par des messagers officiels, notarii ou agentes, étaient lues publiquement au théâtre, en présence des magistrats de la ville, au milieu du plus profond silence, et conservées ensuite dans les archives de la cité[63]. A Rome, elles étaient insérées dans les Actes publics, organe officiel de l'empire. C'est là qu'Ammien Marcellin les retrouva pour les discuter et les juger. Après avoir fait le récit de la fameuse victoire de Strasbourg (Argentoratum), remportée par Julien sur sept rois allemands ligués ensemble (août 357), l'historien parle de la suffisance de l'empereur Constance qui, dans les lettres officielles, laureatœ litterœ, s'attribuait sans pudeur les victoires de Julien ou de tout autre général remportées sur les barbares. Ammien Marcellin raille sans pitié les prétentions de ce prince longtemps heureux dans les guerres civiles, mais toujours malheureux devant les barbares : Constantius, edictis propositis adroganter satis multa mentiebatur se solum, cum gestis non adfuisset, et dimicasse et vicisse et supplices reges gentium erexisse aliquoties scribens... exstant denique ejus edicta in tabulariis principis publicis condita ; et plus loin : nulla ejus (victoris) mentione per textum longissimum facta laureatas litteras ad provinciarum damna mittebat, se inter primotes versatum cum odiosa sui jactatione significans[64]. Ce ton de raillerie révèle les sentiments que l'historien professait à l'égard de Constance. Aurelius Victor, plus indulgent pour la vanité impériale, ne voit dans ces lettres qu'un usage pratiqué de tout temps. Auguste ne s'attribuait-il pas les victoires de Tibère ? Et d'ailleurs un prince qui combine un plan et le donne ensuite à exécuter n'a-t-il pas le droit de revendiquer une part de la victoire ? Julien fut, il est vrai, un valeureux soldat, mais le plan de campagne avait été dressé dans le cabinet du prince, comme le dit Ammien Marcellin lui-même[65], et Constance se croyait vainqueur par les armes de Julien. Quoi qu'il en soit, l'insistance de l'historien et d'Aurelius Victor sur ce fait prouve qu'il était alors discuté et qu'il obligea notre auteur à fournir ses preuves : ce sont les Actes officiels, reproduits certainement par les Actes diurnaux, lesquels Actes classés et rangés par règnes des princes étaient renfermés dans les bibliothèques publiques de Rome[66].

Il est bien d'autres passages où l'auteur fait directement allusion aux pièces officielles de l'empire[67] ; mais il en est d'autres encore où, bien qu'il n'en soit fait aucune mention, on devine que l'historien n'a guère fait que transcrire les données qu'il avait sous la main. Tels sont en général les récits des campagnes auxquelles Ammien Marcellin ne fut pas présent et pour lesquelles il n'eut pas de documents spéciaux, comme nous le verrons pour d'autres. Qu'on relise, par exemple, les récits de la campagne de Valens contre les Goths, de Théodose le père contre les Bretons, de Valentinien sur le Rhin[68], etc., il est facile de voir que l'auteur n'a pas eu recours à des documents de longue étendue ; que, faute de renseignements, il a dû se contenter des maigres indications consignées dans les Actes. Tout est raconté sobrement, à différents endroits, année par année, à la manière des Actes. L'historien paraît avoir transcrit une note officielle, en se permettant à peine, ici ou là quelque appréciation personnelle.

Après les Actes du Sénat et du peuple, il est une autre source de renseignements de même nature et de mêmes caractères, ou peu s'en faut, que notre auteur paraît avoir abordée : ce sont les Actes privés de la maison des empereurs, dits Éphémérides ou Regesta principum. Le rédacteur officiel de ces Actes, homme important dans la chancellerie impériale, portait le titre de ab Actis, ou a memoria Augusti, souvent mentionné dans les inscriptions. Ces éphémérides ou registres étaient collectionnés dans les diverses bibliothèques de Rome : Ulpia, Tiberiana, Porticus porphyreticœ, etc., et sont souvent cités par les auteurs de l'Histoire Auguste, et notamment par Vopiscus[69]. Plus discret, et sans doute à l'imitation des grands historiens de Rome qu'il se proposait de continuer, Ammien Marcellin ne nous a pas livré toutes ces indications, mais il est facile de reconnaître dans ses livres plusieurs récits qui sont évidemment empruntés à ces Actes. Tels sont en particulier les comptes rendus des délibérations intimes des membres de la famille impériale ou des grands dignitaires dans le Sacré-Consistoire. L'historien nous fait vraiment assister aux conseils de l'empereur Constance délibérant avec les siens sur le rappel du César Gallus, devenu par trop compromettant par sa féroce inconduite ; sur les moyens de réprimer la prétendue usurpation du maître de la milice Sylvain ; sur les avantages de l'adoption de Julien, comme César, pour l'opposer aux invasions des barbares de la Germanie[70]. Ailleurs, on reconnaît la même source au ton du récit qui a le décousu et la sobre sécheresse d'un procès-verbal : Dans ce même temps, le notaire Gaudence....  et un certain Julien.... furent mis à mort. Artémius, qui avait été duc de l'Égypte, périt aussi dans les supplices, les Alexandrins l'ayant chargé des plus grands crimes. Marcellus, fils d'un ancien maître de cavalerie et d'infanterie du même nom, accusé d'avoir aspiré à l'empire, eut le même sort. Romanus et Vincentius, tribuns de la première et de la seconde compagnie des scutaires, furent bannis pour avoir été convaincus de projets ambitieux[71]. C'est le ton et la manière des Éphémérides. L'historien s'est contenté de transcrire ces notes officielles, se bornant à indiquer à la suite des noms de chaque individu les charges qu'il avait remplies. On ne peut dire ici qu'Ammien Marcellin mentionnait en passant des souvenirs personnels, car il écrivait près de trente ans plus tard. C'est l'ordre chronologique des faits insérés dans ces pièces officielles qui a pu l'amener à les reproduire. Il ne serait même pas impossible de retrouver, du moins par conjecture, les noms des auteurs de ces actes : ce serait le chambellan Euthère pour le règne de Julien et le questeur Eupraxius pour celui de Valentinien, car l'historien vante la prodigieuse mémoire de l'un et la familiarité dont jouissait le second auprès de son prince, qu'il ramenait parfois à la raison.

Quoi qu'il en soit, on peut affirmer que la trame du récit est en général empruntée aux pièces officielles de l'époque, soit aux Actes du Sénat et du Peuple, soit aux Éphémérides des princes. La nécessité pour l'historien, écrivant longtemps après les événements, de recourir des documents, et la facilité d'aborder ces derniers, ne le démontrent pas moins que l'ordre de la composition, qui est chronologique, et la nature des choses racontées qui sont des plus variées, embrassant tout, depuis les mille riens colportés dans les rues de Rome jusqu'aux décrets des princes et le compte rendu des expéditions militaires. On comprend dès lors les divers jugements qui ont été portés sur l'œuvre de notre historien. G. Heyne retrouvait dans ces récits tous les caractères des mémoires, tandis que M. de Broglie a pu prétendre qu'Ammien Marcellin voyait tout du cabinet des princes[72]. Tout cela est fort juste et ne se contredit point. Les Actes diurnaux, offrant au jour le jour le récit des événements signalés dans les provinces de l'empire, ne pouvaient que revêtir la forme de mémoires, et comme ils reproduisaient les actes et décrets des princes, ils étaient l'écho des délibérations impériales. A ce double point de vue, l'histoire d'Ammien Marcellin devait présenter ce double caractère.

Mais si notre auteur se fût borné à reproduire ces renseignements, à coordonner ces pièces officielles sans faire œuvre de critique, sans choix ni discernement, il n'eût été qu'un médiocre copiste, un vulgaire compilateur à la façon des Marius Maximus, Fabius Marcellinus, Gargilius Martialis, Capitolin et Lampride, que Vopiscus était si jaloux d'imiter[73]. Tous ces anecdotiers, écrivains de courte haleine, à la recherche du piquant et de l'extraordinaire bien plus que du vrai, étaient souverainement méprisés par Ammien Marcellin[74]. Plus large et plus élevée était sa conception de l'histoire qu'il voulait pleine et entière, tout en n'insistant que sur les faits importants, et avant tout conforme à la vérité[75]. Tout autres étaient ses modèles, les Tite-Live et les Tacite, qu'il se proposait d'imiter et de continuer. Il a fait œuvre sienne par un travail personnel, que nous apprécierons plus loin, soit en choisissant les documents, en les interprétant et les complétant par son grand bon sens et sa haute expérience, soit en ayant recours à des travaux partiels, à des discussions sur tels ou tels faits déjà racontés : ce que nous allons essayer de reconnaître.

 

IV. — Récits partiels.

S'il est vrai qu'Ammien Marcellin a généralement suivi l'ordre chronologique en indiquant les années par les noms des consuls, cet ordre n'est pas tellement rigoureux qu'il ne s'en écarte jamais. Quelquefois, en effet, il l'abandonne pour suivre l'ordre des faits et raconter en entier une campagne militaire ou un événement important. Et cela, nous dit-il, afin de ne pas engendrer la confusion par le mélange de récits trop dissemblables[76]. Tels sont, par exemple, les récits de l'usurpation de Sylvain dans les Gaules, du siège d'Amida, de la révolte de Procope, des exactions du comte Romanus dans la Tripolitaine, de la campagne de Théodose, le père de l'empereur de ce nom, contre Firmus le roi des Maures, etc. Les raisons que donne l'historien pour changer de méthode sont excellentes, et l'on ne peut que regretter qu'il n'ait pas plus souvent adopté cet ordre dans des récits qui le demandaient aux mêmes titres. Ainsi, pourquoi a-t-il raconté en peu de mots, et à diverses reprises, la campagne de ce même Théodose dans la Bretagne[77] ? Assurément, ce n'est pas que cette expédition ait été sans importance. Les barbares de la Calédonie avaient surpris les garnisons romaines et mis la province à feu et à sang. Deux généraux, Sévère et Jovin, envoyés successivement pour rétablir l'ordre, durent se retirer devant l'ennemi. Enfin, Théodose, dux efficacissimus rerum, réussit, après beaucoup d'efforts et de prudence, à chasser les barbares et à rendre la confiance aux populations effarées. Cette campagne fit tellement honneur à Théodose, que lorsque éclata peu après la révolte de Firmus en Afrique, en 373, il fut tout naturellement désigné au choix de l'empereur Valentinien Ier pour la réprimer. Pourquoi donc l'historien a-t-il raconté cette dernière campagne dans un récit fort long et suivi, tandis qu'il n'a fait qu'esquisser la première à deux ou trois reprises ? Cette observation est importante, car elle se présente plusieurs fois à la lecture de notre auteur, et la réponse à faire peut donner le secret de sa manière de composer.

Évidemment Ammien Marcellin a passé légèrement sur le récit de la campagne de Théodose en Bretagne, parce qu'il n'a eu sous la main que les maigres et sèches données d'une note officielle parue dans les Actes publics. Dès lors, il a dû se borner à rappeler les faits principaux de cette campagne, à consigner les résultats connus de tout le monde. Quant à l'expédition de ce général en Afrique, il dut avoir le récit minutieux et détaillé de toute la campagne fait par quelque officier de l'armée ou par Théodose lui-même. Cette hypothèse n'a rien d'invraisemblable. Il était dans les habitudes des généraux romains de faire aux empereurs un rapport de l'expédition qui leur avait été confiée. Parfois même, si la campagne entreprise avait été importante ou avait donné lieu à des discussions, le général reprenait en sous-œuvre son rapport, lui donnait de plus vastes proportions et le publiait. C'est ainsi que le Périple d'Arrien autour du Pont-Euxin n'est que l'ampliation du rapport d'une mission accomplie par ce général et adressé à l'empereur Hadrien[78]. Théodose, une fois maître de l'Afrique, se conforma-t-il à cet usage ? Tout porte à le croire, d'autant plus qu'il avait à se justifier d'une sévère mesure de discipline prise contre des troupes infidèles : il avait fait massacrer toute une cohorte des soldats-archers qui avaient favorisé la révolte de Firmus[79]. Quoi qu'il en soit, il parait certain qu'Ammien Marcellin eut sous la main un récit de cette campagne des plus développés. L'abondance des détails et la précision des renseignements sont telles que ce document ne peut avoir été que l'œuvre d'un témoin oculaire. Ce fut une bonne fortune pour notre historien qui, travaillant sur d'excellentes données, leur emprunta des qualités qui lui font trop souvent défaut, quand il est abandonné à lui-même : la netteté et la concision. Il comble d'éloges Théodose, qu'il compare aux vieux généraux Corbulon et Lusius. En vieux soldat, ami de la discipline, il n'hésite pas à prendre parti dans le débat qui avait soulevé l'opinion et à donner raison au général[80]. Il est regrettable que le récit de notre historien nous soit parvenu incomplet et mutilé. Toutefois, il est encore facile de suivre les opérations de Théodose sur cette terre africaine, qui est devenue nôtre. Après la conquête de l'Algérie, un officier français, ami des lettres, Nau de Champlouis, a contrôlé le récit d'Ammien Marcellin dans toutes les marches des troupes et l'a trouvé exact[81].

Le récit de la campagne de Théodose en Afrique n'est pas le seul qui laisse supposer dans l'histoire de notre auteur un document antérieur d'une grande portée. On pourrait en dire autant de bien d'autres qui par leur étendue, l'enchaînement rigoureux des faits et la fermeté du coup de main, font contraste dans l'œuvre un peu brouillée de notre auteur et s'en détachent. Tel est, en particulier, le récit des exactions du comte Romanus dans la Tripolitaine. Cet officier, à la fois juge, administrateur et soldat, selon les habitudes romaines qui confondaient tous les pouvoirs, livre aux barbares la province qu'il doit protéger, parce qu'il ne peut la rançonner à son gré, intercepte ou prévient les dénonciations faites à l'empereur Valentinien, corrompt les ministres chargés par ce prince d'une enquête, amène enfin les sujets opprimés eux-mêmes à se déjuger et à désavouer leurs défenseurs[82]. Ce récit plein d'intérêt, qui met à nu tout ce qu'il y avait de souffrances dans les provinces de l'empire au quatrième siècle, de despotisme et de tyrannie dans certains magistrats, d'impuissance même dans le pouvoir impérial le plus sévère et le plus vigilant, se termine par cette phrase bien significative. Ces événements furent suivis d'un rapport qui exposa les faits avec la plus grande exactitude et auquel il n'a été rien répondu : hœc acta secuta est relatio gestorum pandens plenissimam fidem ad quam nihil responsum est[83]. Évidemment, ce rapport fut entre les mains de notre historien ; il en contrôla les assertions et il reconnaît qu'elles ne furent pas contredites par d'autres récits. On saisit ainsi sur le vif la manière dont Ammien Marcellin composait ses récits. Elle consistait à suivre patiemment, année par année, les événements consignés dans les Actes diurnaux, sauf à s'interrompre pour insérer des récits développés de faits auxquels il avait été présent, des rapports partiels émanés de la chancellerie impériale ou publiés par leurs auteurs.

Les souvenirs personnels d'Ammien Marcellin et de ceux qu'il put consulter comme témoins oculaires, les renseignements si variés contenus dans les Actes du Sénat et du peuple, les travaux particuliers déjà existants sur tel ou tel fait : telles furent, semble-t-il, les sources de notre auteur pour les livres qui traitent de l'histoire de son temps. Dès lors, et sans trop préjuger du travail d'assimilation et de remaniement qu'il fera subir à son œuvre comme écrivain et comme critique, on peut déjà entrevoir quels seront les caractères d'une œuvre ainsi composée : une œuvre de prix, de valeur, par la sûreté des informations, mais une œuvre mal proportionnée ; aux récits tantôt très écourtés, tantôt très développés, selon la pauvreté ou l'abondance des documents ; les uns mieux conduits et plus soutenus que les autres, selon la valeur du récit préexistant ; une œuvre pleine de matériaux pour l'histoire, mais qui n'est pas elle-même de l'histoire achevée, parce qu'elle manquera d'unité de ton et de proportion.

 

 

 



[1] Ammien Marc., XV, 1, 1.

[2] Ammien Marc., XVI, 1, 3.

[3] Ammien Marc., XIV, 9, 3.

[4] Ammien Marc., XV, 5, 23.

[5] Ammien Marc., XVI, 10, 21 ; XVIII, 6, 20 ; XIX, 1-8 ; XX, 2, 1.

[6] Ammien Marc., XXIV, 6, 14 ; XXV, 1, 1 ; XXV, 7.

[7] Ammien Marc., XXIX, 2, 4.

[8] Ammien Marc., XXX, 4.

[9] Ammien Marc., XV, 1, 1.

[10] Ammien Marc., XVI, 7, 5.

[11] Ammien Marc., XVI, 7, 6. Cet aveu de l'historien prouve que la vertu du César philosophe n'était pas si sévère que le disent les historiens modernes, beaucoup trop favorables à ce prince.

[12] Ammien Marc., XVI, 7, 2.

[13] Ammien Marc., XX, 8, 18. Ces lettres secrètes prouvent évidemment que Julien ne voulait point la paix offerte par les lettres officielles.

[14] Ammien Marc., XVI, 5, tout entier.

[15] Ammien Marc., XVI, 7, 5.

[16] Le quæstor sacri palatii était une espèce de chancelier n'ayant de commun avec l'ancien questeur de la République que le nom. Il présidait, en l'absence de l'empereur, le Sacré-Consistoire. (V. Notitia dignitatum, pour l'Orient, ch. XI ; pour l'Occident, ch. IX ; Bouché-Leclercq, Manuel des Institutions romaines, p. 153.)

[17] Ammien Marc., XXVII, 6, 14.

[18] Ammien Marc., XXVII, 7, 6.

[19] Symmaque, Lettres, X, 45.

[20] Ammien Marc., XXVII, 7 ; XXVIII, I, 21 ; XXIX, 3 ; XXX, 7, 8 et 9.

[21] Ammien Marc., XXIX, 3, 9.

[22] Symmaque, Lettres, II. — Ammien Marc., XXI, 12, 24. — V. Duruy, Hist. des Romains, VII, 324. — De Broglie, L'Église et l'Empire romain, dans la préface et t. III, p. 133. — Ces faits prouvent que les premiers empereurs chrétiens, par conviction ou par esprit politique, furent très modérés à l'égard des païens. Ils durent souvent, au nom de la morale et de leur sécurité, interdire les opérations magiques et les sacrifices qui en dépendaient. Mais les païens n'en furent pas moins indistinctement admis à toutes les charges pendant tout ce quatrième siècle Le premier décret qui les proscrit est de 416. (Cod. Théod., XVI, 10, 21.)

[23] Ammien Marc., XXVII, 3, 3.

[24] Ammien Marc., XXVII, 3, 3 ; et à ce sujet, article de T. Mommsen, Zur Kritik Ammians. — Hermes, XV, 2, p. 244, 1880.

[25] Teuffel, Hist. de la littér. rom., III, p. 186. Pour le titre de corrector, voir C. Jullian : De la Réforme provinciale attribuée à Dioclétien.

[26] Zosime, IV, 3. — Eunape, Vies des sophistes.

[27] Ammien Marc., XXVIII, I, 21 ; XXVII, 9, 8. — G. Meyer, Symmachi Relationes, 10.

[28] Ammien Marc., XXII, 7, 6. Prétextat était alors proconsul d'Achaïe. A raison de leur vieille renommée, l'Afrique carthaginoise, la Grèce et l'Asie étaient administrées par des proconsuls. Ces derniers rendaient compte directement à l'empereur, tandis que las prœsides étaient sous la surveillance des vicaires. (Duruy, VII, 39.)

[29] Orelli, 1188. L'inscription fait de ce Flavianus Nicomachus un historien très savant : historicus disertissimus. On lui attribue encore un livre intitulé : De Vestigiis philosophorum. Ce Nicomaque ayant pris part, en 395, à la révolte d'Arbogast et d'Eugène, disparut on ne sait comment après les premières hostilités. (Teuffel, III, 182.)

[30] Ammien Marc., XXVIII, 6, 28.

[31] Ammien Marc., XXIX, 2, 12-16.

[32] Ammien Marc., XV, 2, 8, et XXI, 6, 4.

[33] Ammien Marc., XVI, 10, 18.

[34] C.-C.-G. Heyne, Opuscula academica, t. VI, Censura ingenii Ammiani Marcellini.

[35] Friedlænder, De eis qui primis duobus sœculis a rationibus, ab epistolis, a libellis romanorum imperatorum fuerunt, 1860. — C. Jullian, De la réforme provinciale. — Bouché-Leclercq, Manuel des Instit. romaines.

[36] Ammien Marc., XXVIII, ch. III, IV, V.

[37] Ammien Marc., XXVII, 12 ; XXX, 1 ; XXX, 2, 1.

[38] J.-V. Le Clerc, Des journaux chez les Romains. — Malgré ses savantes recherches, M. Le Clerc n'a pu arriver à déterminer dans quelles conditions se faisaient ces publications. — Tacite, Annales, XVI, 22 ; XV, 74 ; XII, 69. — Suétone, Domitien, 13. — Vopiscus, Aurélien, 13-14. — Tacitus, 4, 15.

[39] Servius, ad En., I, 373. — V. Le Clerc, p.126.

[40] Cicéron, Lett. famil., VIII, 1.

[41] Pline, II, 57. — Dion, LIII, 19.

[42] Cicéron, Lett. famil., VIII, 3, 4, 14, 12, 7 ; Ascon. ad orat. pro Milone.

[43] Ammien Marc., XV, 5, 34.

[44] Ammien Marc., XV, 8, 22.

[45] Ammien Marc., XXVII, 3, 2.

[46] Ammien Marc., XXVIII, 1, 42.

[47] Ammien Marc., XV, 7, 7.

[48] Ammien Marc., XV, 3, 4.

[49] Ammien Marc., XVII, 7, 5 ; XXII, 13, 5 ; XXVI, 10, 15.

[50] Ammien Marc., XIV, 6, et XXVIII, 4.

[51] Ammien Marc., XVII, Ammien Marcellin se trouvait alors en Orient avec Ursicin pour surveiller les agissements de Sapor. Certainement, il ne put assister à Rome à cette difficile opération.

[52] Leontius (354). Ammien Marc., XV, 71. — Junius Bassus (358). Ibid., XVI, 11, 5. — Tertullus (359). Ibid., XIX, 10, 1. — Maximus (361). Ibid., XXI, 12, 2k. — Apronianus (363). Ibid., XXVI, 3, 1. — Symmachus (365). Ibid., XXVII, 3, 3. — Lampadius (366). Ibid., XXVII, 3, 5. — Vicentius (367). Ibid., XXVII, 3, 11. — Prétextat (368). Ibid., XXVII, 9, 8. — Olybrius (369). Ibid., XXVIII, 4, 1. — Ampelius (371). Ibid., XXVIII, 4, 3. — Claudius (374). Ibid., XXIX., 6, 17. — Léotard, De Præfectura urbana quarto post Christum natum seculo, 1873.

[53] Ammien Marc., XV, 7, 4.

[54] Ammien Marc., XXVI, 3, 3.

[55] Ammien Marc., XXVII, 3, 5. Les pauvres se pressaient aux abords du tombeau des saints Apôtres, afin de recevoir l'aumône des pèlerins. (V. Procope, dans les Anecdotes, saint Paulin, dans la Lettre à Alethius.)

[56] Ammien Marc., XXII, 11, 2 : Marcelli ex magistro equitum et peditum filius ut injectans imperio manus publica deletus est morte.

[57] Ammien Marc., XV, 3, 4. ; XXVIII, 1, 2 ; XXIX, 1, 5.

[58] Ammien Marc., XXIX, 1, 24.

[59] Ammien Marc., XXVIII, 1, 15.

[60] Ammien Marc., XXVIII, 1, 7.

[61] V. Le Clerc, Des journaux chez les Rom., p. 256.

[62] Vopiscus, Aurélien, 13, 14 ; Probus, 11 ; Tacite, 4, 15.

[63] Ces lettres étaient parfois très longues, textum longissimum, dit Ammien Marcellin, et onéreuses pour les provinces, car les cités devaient répondre à ces lettres par de riches présents : Decernuntur nova munera, novœ indictiones ; decernunt potentes, quod solvant pauperes ; decernit gratia divitum quod pendat turba miserorum, Salvien, liv. V.

[64] Ammien Marc., XVI, 12, 69.

[65] Ammien Marc, XVI, 11, 3.

[66] Vopiscus, Aurélien.

[67] Ammien Marc., XXII, II, II, et XX, 9, 6.

[68] Ammien Marc., XXVII, 5 ; XXVII, 8, 3, et XXVIII, 3.

[69] F. Vopiscus, Aurélien, I ; Probus, II. — Lampride, Alexandre Sévère, 30.

[70] Ammien Marc., XIV, 11, 1 ; XV, 5, 18 ; XV, 8, 2.

[71] Ammien Marc., XXII, 11, 1.

[72] C.-C.-G. Heyne, Opuscula Academica, t. VI. — De Broglie, L'Église et l'Empire romain au quatrième siècle. — Julien, t. II.

[73] F. Vopiscus, Probus, II.

[74] Ammien Marc., XXVIII, 4, 14.

[75] Ammien Marc., XV, 1, 1 ; XXVIII, 1, 15 ; XXXI, 16, 9, et passim.

[76] Ammien Marc., XXIX, 5, 1.

[77] Ammien Marc., XXVII, 8, 3 et XXVIII, 3.

[78] Arrien avait dû écrire d'abord son rapport officiel en latin, qui était la langue exigée, puis il le remania en le développant et le publia en grec, qui était sa langue maternelle. C'est celui que nous avons.

[79] Ammien Marc., XXIX, 5, 22.

[80] Cette exécution sommaire de toute une cohorte de soldats dut exciter de profondes haines contre Théodose. On s'est souvent demandé comment, à la mort de Valentinien Ier, ce soldat fut sacrifié par Gratien et périt misérablement ; il est naturel de l'attribuer à ces haines. Les ennemis eu général profitèrent de l'avènement du jeune prince pour se venger. Il est impossible qu'Ammien Marcellin n'ait pas parlé, dans la suite, de la mort de ce général, et c'est un argument de plus pour supposer une grande lacune, un livre entier peut-être, comme nous l'avons déjà dit, entre le XXXe et le XXXIe.

[81] Cité par M. de Broglie, l'Église et l'Empire romain au quatrième siècle, t. V, p. 274, note.

[82] Ammien Marc., XXVIII, 6.

[83] Ammien Marc., XXVIII, 6, 28.