Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain

 

CHAPITRE XLI

Conquêtes de Justinien, en Occident. Caractère et premières campagnes de Bélisaire. Il entre dans le royaume des Vandales, en Afrique, et le soumet. Son triomphe. Guerre des Goths. Il recouvre la Sicile, Naples et Rome. Siège de Rome par les Goths. Leur retraite et leurs pertes. Prise de Ravenne. Gloire de Bélisaire. Sa honte et ses chagrins domestiques.

 

 

LORSQUE, Justinien monta sur le trône, environ cinquante années après la chute de l’empire d’Occident, la domination des. Goths en Europe et des Vandales en Afrique était établie sur des fondements solides, et qu’on pouvait, ce semble, regarder comme légitimes. .Les titres inscrits par les victoires de Rome se trouvaient effacés avec la même justice par le glaive des Barbares ; et le temps, les traités, et des serments de fidélité déjà renouvelés par une seconde et troisième génération de sujets soumis, appuyaient d’une sanction plus respectable les droits de la conquête. L’expérience et le christianisme avaient assez démontré la vanité de ces espérances superstitieuses qui promettaient à Rome, d’après la volonté des dieux ; qu’elle règnerait à jamais sur les nations de la terre, mais ses hommes d’État et ses jurisconsultes, dont les opinions se sont quelquefois .ranimées et propagées dans les écoles, de jurisprudence moderne, soutenaient toujours ces orgueilleuses prétentions d’un empire éternel et indestructible, que ses soldats ne pouvaient plus appuyer. Du moment où Rome avait été dépouillée de la pourpre impériale, les princes de Constantinople avaient pris seuls le sceptre sacré de la monarchie ; ils avaient demandé comme un héritage qui leur appartenait, les provinces subjuguées par les consuls ou possédées par les Césars, et ne s’étaient que faiblement occupés de garantir leurs fidèles sujets de l’Occident contre les progrès de l’hérésie et les invasions des Barbares. L’exécution de ce brillant projet était à quelques égards réservée à Justinien. Les cinq premières années de son règne, il soutint malgré lui une guerre dispendieuse et inutile contre les Perses ; à la fin son ambition triompha de son orgueil, et il paya quatre cent quarante mille livres sterling une trêve passager que les deux nations honorèrent du nom de paix éternelle. Sans crainte du côté de l’Orient, il put alors employer ses forces contre les Vandales, et l’état intérieur de l’Afrique offrait un prétexte honorable ; et promettait de puissants secours aux armes romaines[1].

D’après l’ordre de succession établi par le testament du prince qui fonda le royaume d’Afrique, la couronne avait passé en ligne directe à Hilderic, l’aîné des princes vandales : fils d’un tyran, petit-fils d’un conquérant, il avait été porté par la douceur de son caractère à suivre des maximes de clémence et de paix, et son avènement avait été signalé par un édit salutaire qui rendait deux cents évêques à leurs Églises, et qui permettait de professer librement le symbole de saint Athanase[2]. Mais les catholiques reçurent avec une reconnaissance froide et passagère une grâce qui se trouvait bien au-dessous de leurs prétentions ; et les vertus d’Hilderic blessèrent les préjugés de ses compatriotes. Les prêtres ariens osèrent faire entendre qu’il avait renoncé à sa foi, et les soldats lui reprochèrent plus hautement d’avoir dégénéré du courage de ses ancêtres. On soupçonnait ses ambassadeurs d’une secrète et honteuse négociation à la cour de Byzance ; et son général, qu’on surnommait l’Achille des Vandales[3], perdit une bataille contre les Maures, à peine vêtus et mal disciplinés. Le mécontentement public était enflammé par les intrigues de Gelimer, à qui son âge, sa naissance et sa réputation à la guerre, donnaient un droit apparent à la couronne : il prit, de l’aveu de la nation, les rênes du gouvernement et son malheureux souverain tomba sans résistance du trône dans une prison, où il fut étroitement gardé ; ainsi qu’un de ses plus fidèles conseillers, et son neveu, l’Achille des Vandales, contre lequel s’était déclarée l’opinion publique. Cependant l’indulgence d’Hilderic pour ses sujets catholiques était pour lui une puissante recommandation auprès de Justinien, capable de reconnaître les avantages de la justice et de la tolérance religieuse, lorsqu’elles s’appliquaient à sa propre secte. Il avait eu des rapports avec lui à l’époque où il n’était que le neveu de Justin ; des lettres et des présents avaient fortifié leur liaison, et l’empereur n’abandonna point la cause de la royauté et de l’amitié. Deux ambassades se rendirent successivement auprès de Gelimer, pour l’engager à se repentir de sa trahison, à éviter du moins de provoquer par de nouvelles violences, le ressentiment de Dieu et celui des Romains, à respecter les lois de la parenté et de la succession, et à permettre qu’un vieillard infirme terminât en paix sa carrière sur le trône de Carthage ou dans le palais de Constantinople. Les passions ou peut-être même la prudence de Gelimer ne lui permettaient pas de se rendre à des remontrances faites du ton de la menace et de l’autorité pour justifier son ambition, il prit un langage qu’on ne parlait guère à la cour de Byzance ; il allégua le droit qu’ont les peuples libres de déposer ou de punir le magistrat suprême qui remplit mal les fonctions de la royauté. A la suite de cet inutile tentative, le monarque captif fut traité avec plus de rigueur ; on creva les yeux à son neveu ; et le cruel Vandale, qui se reposait sur sa force et sur l’éloignement, se moqua des vaines menaces et des lents préparatifs de l’empereur. Justinien résolût de délivrer et de venger son ami : Gélimer résolut, de son côté, de garder le pouvoir qu’il usurpait et, selon l’usage des nations civilisées, avant de commencer la guerre, chacun des partis protesta solennellement qu’il désirait sincèrement la paix.

Le bruit d’une guerre d’Afrique, ne satisfit que l’oisive populace de Constantinople que sa pauvreté exemptait des impôts, et dont la lâcheté se voyait rarement exposée aux dangers du service militaire ; mais les citoyens sages, qui jugeaient de l’avenir par le passé, se souvenaient de l’immense perte d’hommes et d’argent qu’avait soufferte l’empire dans l’expédition de Basiliscus. Les troupes rappelées des frontières de Perse, après cinq campagnes laborieuses, craignaient la mer, le climat et les armes d’un ennemi inconnu. Les ministres des finances calculaient, autant qu’ils pouvaient calculer les frais d’une guerre d’Afrique, les taxes qu’ils pouvaient imaginer et percevoir pour satisfaire à des demandes sans bornes ; et tremblaient de payer de leur vie, ou du moins par la perte d’un emploi lucratif, l’insuffisance des résultats de leurs mesures. Jean de Cappadoce, inspiré par ces motifs personnels (car on ne peut le soupçonner du moindre zèle pour le bien public), osa s’opposer, en plein conseil, aux penchants de son maître. Il avoua qu’on ne pouvait trop payer une victoire si importante ; mais il fit sentir avec force les difficultés certaines de cette entreprise et l’incertitude de l’événement. Vous voulez assiéger Carthage, dit le préfet ; par terre ce royaume est éloigné de cent quarante journées ; par mer, une année entière[4] doit s’écouler avant que vous puissiez recevoir des nouvelles de vôtre flotte. Quand l’Afrique serait soumise, pour la garder il faudrait conquérir la Sicile et l’Italie. Le succès vous imposerait de nouveaux travaux, et un seul revers attirerait les Barbares au sein de votre empiré épuisé. Le prince sentit la justesse de cet avis ; et, confondu de cette hardiesse inusitée d’un sujet si respectueux, il aurait peut-être renoncé à la guerre d’Afrique, si une voix qui fit taire les doutes de la profane raison, n’eût ranimé son courage. J’ai eu une vision, s’écria un évêque d’Orient, charlatan et fanatique : empereur, la volonté du ciel est que vous n’abandonniez pas votre sainte entreprise pour la délivrance de l’Église d’Afrique. Le Dieu des batailles marchera devant votre étendard, et dispersera vos ennemis, qui sont les ennemis de son Fils. Justinien put être tenté de croire à une révélation qui arrivait si à propos : ses ministres y furent obligés ; mais la révolte que les partisans d’Hilderic ou de saint Athanase venaient d’exciter sur la frontière de la monarchie vandale, leur donna quelques motifs d’espérance un peu plus raisonnables. L’Africain Pudentius avait instruit en secret la cour de Constantinople de la fidélité qu’il gardait à son souverain ; et quelques troupes qu’on lui envoya suffirent pour remettre la province de Tripoli sous la domination des Romains. Godas, Barbare valeureux, qui commandait en Sardaigne, suspendit le paiement du tribut, refusa d’obéir à l’usurpateur, et donna audience aux émissaires de Justinien, qui le trouvèrent maître de cette île fertile, environné d’une garde nombreuse, et orgueilleusement revêtu des ornements de la royauté. La discorde et la défiance diminuaient les forces des Vandales, tandis que les armées de l’empire étaient animées de l’esprit de Bélisaire, dont le nom héroïque est devenu familier à tous les siècles et à toutes les nations.

Le Scipion Africain de la nouvelle Rome reçût le jour et fut peut-être élevé parmi les paysans de la Thrace[5]. Une naissance illustre, une éducation libérale, l’émulation qui naît de la liberté, avaient contribué à former les vertus des deux Scipion ; tous ces avantages manquèrent à Bélisaire. Le silence de son verbeux secrétaire prouve sans doute, d’une manière suffisante que sa jeunesse ne pût offrir le sujet l’aucun éloge ; il servit, et sûrement avec valeur et avec gloire, dans les gardes de Justinien ; et lorsque son maître monta sur le trône, il fut élevé de ce poste domestique à un commandement militaire. Après une incursion hardie dans la Persarménie, où un collège partagea ses succès, et où l’ennemi arrêta ses progrès, Bélisaire se rendit au poste important de Dara, et c’est là qu’il admit à son service Procope, le fidèle compagnon et le soigneux historien de ses exploits[6]. Le Mirranes de Perse, qui vint à la tête de quarante mille hommes d’élite raser les fortifications de Dara, fixant le jour et l’heure où les citoyens de la ville devaient lui préparer un bain pour se rafraîchir, disait-il, des fatigues de la victoire trouva Dili adversaire, son égal par le nouveau titre de général de l’Orient, son supérieur dans l’art de la guerre ; mais son inférieur dans le nombre et la qualité de ses soldats, qui se bornaient, à vingt-cinq mille Romains ou étrangers relâchés dans leur discipline et humiliés par des défaites récentes. La plaine unie de Dara n’offrant aucun lieu couvert qui pût servir à un stratagème ou cacher une embuscade, Bélisaire plaça le front de ses troupes derrière une large tranchée qui se prolongeait d’abord en lignes perpendiculaires et ensuite en lignes parallèles, pour couvrir les ailes de la cavalerie qui dominaient les flancs et les derrières de l’ennemi. Une charge rapide et une évolution bien combinée de cette cavalerie, au moment où le centre des Romains était ébranlé, détermina la victoire. L’étendard de Perse tomba, les immortels prirent la fuite, l’infanterie jeta ses boucliers, et les vaincus laissèrent huit mille morts sur le champ de bataille. L’année suivante, l’ennemi pénétra en Syrie du côté du désert, et Bélisaire partit de Dara avec vingt mille hommes pour aller au secours de la province. Ses savantes dispositions rendirent vains, durant tout l’été, les projets des ennemis ; il les harcela dans leur retraite. Chaque nuit il occupait le camp qu’ils avaient occupé la veille ; et il se serait assuré la victoire sans effusion de sang, s’il avait pu contenir l’impatience de ses troupes. Cette valeur dont elles s’étaient vantées se montra peu le jour de la bataille : les Arabes chrétiens, par une lâche ou perfide défection découvrirent l’aile droite : les Huns, vieux corps de huit cents guerriers, furent accablés sous le nombre des assaillants ; les Isauriens furent coupés dans leur fuite ; mais l’infanterie romaine demeura inébranlable sur la gauche ; et Bélisaire, descendant lui-même de cheval, fit voir à ses soldats qu’il ne leur restait d’autre ressource que l’intrépidité du désespoir. Ils tournèrent le dos à l’Euphrate et le visage à l’ennemi ; des traits sans nombre vinrent frapper sans effet contre le rempart qu’offraient leurs boucliers serrés ; ils opposèrent une ligne impénétrable de piques aux assauts multipliés de la cavalerie persane et après une très longue résistance, on mit habilement à profit les ombres de la nuit pour embarquer ce qui restait de troupes. Le général persan se retirant en désordre et avec ignominie, eut à rendre un compte sévère de la vie de tant de soldats qu’il avait sacrifiés à un succès inutile. Mais la gloire de Bélisaire ne fut point ternie par une défaite, où seul il avait soustrait ses troupes aux suites de leur témérité. Les approches de la paix le délivrèrent de la garde de la frontière d’Orient, et la manière dont il se conduisit lors de la sédition de Constantinople, l’acquitta complètement envers l’empereur. Lorsque la guerre d’Afrique devint le sujet des entretiens populaires et des délibérations du conseil, chacun des généraux romains craignait plutôt qu’il n’ambitionnait le dangereux honneur de la diriger ; mais lorsque, détériorer par la supériorité du mérite, Justinien eut nommé Bélisaire, leur jalousie fût promptement rallumée par l’applaudissement général qu’excita ce choix de l’empereur. Les habitudes de la cour de Byzance permettent de soupçonner que les droits du héros furent secrètement appuyés des intrigues de sa femme, la belle et adroite Antonina, qui tour à tour obtenait la confiance et encourait la haine de l’impératrice Théodora. Antonina était d’une naissance obscure ; elle descendait d’une famille de conducteurs de char et son inconduite lui mérita les plus honteux reproches. Toutefois elle exerça longtemps un empire absolu sur son illustre époux ; et si elle dédaigna le mérite de la fidélité conjugale, elle donna de grandes preuves d’une mâle affection à l’époux, qu’elle eut le courage de suivre au milieu de toutes les fatigues et de tous les dangers de ses expéditions[7].

Rome allait lutter pour la dernière fois contre Carthage, et les préparatifs de la guerre d’Afrique ne furent pas indignes de cette grande querelle. Les gardes de Bélisaire, qui, selon le pernicieux usage toléré en ce temps-là, faisaient à leur chef un serment de fidélité particulier, composaient l’élite et faisaient l’orgueil de l’armée. Ils étaient tous remarquables par une force et une stature peu communes ; la bonté de leurs chevaux et de leur armure, et une pratique assidue des exercices de la guerre, les mettaient en état d’effectuer tout ce que leur inspirait le courage ; et leur courage était exalté par le sentiment de l’honneur de corps, auquel se joignaient leurs vues particulières d’ambition et de fortune. Quatre cents des plus braves d’entre les Hérules marchaient sous la bannière de l’actif et fidèle Pharas. Leur valeur intraitable se faisait payer plus chèrement que la servile soumission des Grecs et ces Syriens ; et un renfort de six cents Massagètes ou Huns parût si important qu’on employa la fraude et la supercherie pour les engager dans une expédition navale. Cinq mille cavaliers et dix mille fantassins s’embarquèrent à Constantinople ; mais la plupart des soldats d’infanterie levés dans la Thrace et l’Isaurie, le cédait aux cavaliers dont le service était plus général et plus estimé, et les armées de Rome se voyaient alors réduites à placer leur principale confiance dans l’arc des Scythes. Justement jaloux de soutenir la dignité des sujets dont il s’occupe, Procope répond aux critiques de mauvaise humeur, qui ne donnaient le nom de soldats qu’aux guerriers pesamment armés de l’antiquité, et qui observaient avec malice qu’Homère[8] emploie le mot d’archer comme un terme de mépris. On a pu mépriser peut-être, dit-il, ces jeunes gens qui, désarmés, se montraient à pied dans les camps de Troie, et qui, cachés derrière un tombeau ou le bouclier d’un ami, tiraient vers leur poitrine[9] la corde de l’arc, et lançaient d’une main faible un trait sans vigueur ; mais nos archers montent des chevaux qu’ils gouvernent avec une adresse admirable ; un casque et un bouclier défendent leur tête et leurs épaules, une armure de fer couvre leurs jambes, et leur corps est revêtu d’une cotte de mailles. Ils portent un carquois du côté droit, une épée du côté gauche, et lorsqu’ils se trouvent près de l’ennemi, ils savent manier la lance et la javeline. Les arcs dont ils se servent ont de la force et de la pesanteur ; ils les tirent dans toutes les directions possibles, au moment où ils se précipitent, au moment où ils se retirent, en avant, en arrière, en flanc et comme ils rapprochent la corde de l’arc, non pas de la poitrine mais de l’oreille droite, il n’y a qu’une armure bien ferme qui puisse résister à la rapidité et à la violence de leurs traits. Cinq cents navires, manœuvrés par vingt mille matelots de l’Égypte, de la Cilicie et de l’Ionie étaient rassemblés dans le port de Constantinople. Le plus petit de ces bâtiments pouvait être environ du port de trente tonneaux ; et le plus considérable de cinq cents. Le terme moyen donnera, sans enfler le calcul, un résultat de cent mille tonneaux[10] ; le transport était de trente-cinq mille soldats et matelots ; cinq mille chevaux, des armes, des machines, et les munitions de guerre, et une provision d’eau et de vivres poux un voyage qui pouvait durer trois mois. On ne voyait plus dès longtemps ces fières galères qui, dans les premiers, siècles, sillonnaient la Méditerranée de leurs milliers de rames ; et quatre-vingt-douze brigantins légers, à couvert des armes de trait de l’ennemi et menés par deux mille hommes de la plus robuste et de la plus brave jeunesse de Constantinople, escortaient la flotte de Justinien. L’histoire, nomme vingt-deux généraux, dont la plupart se distinguèrent ensuite dans les guerres l’Afrique et d’Italie ; mais Bélisaire seul commandait en chef par mer et par terre, avec un pouvoir aussi absolu que celui de l’empereur. La séparation du service de la marine et du service de terre est tout à la fois l’effet et la cause du progrès qu’ont fait les modernes dans l’art de la navigation et de la guerre maritime.

Dans la septième année du règne de Justinien, et à peu près vers le solstice d’été, la flotte entière, composée de six cents vaisseaux, s’aligna avec une pompe guerrière devant les jardins du palais. Le patriarche donna la bénédiction, l’empereur ses derniers ordres, la trompette de Bélisaire annonça le départ, et chacun, selon ses espérances ou ses désirs, examina avec inquiétude les présages heureux ou défavorables. La flotte relâcha d’abord à Perinthus ou Héraclée, où le général attendit cinq Jours des chevaux de Thracé, don du souverain et présent digne d’un guerrier. Elle traversa ensuite la Propontide, et, au moment où elle s’efforçait de passer le détroit de l’Hellespont, un vent contraire la retint quatre jours à Abydos où Bélisaire donna un exemple remarquable de rigueur et de fermeté. Deux Huns, dans une querelle, suite de l’ivresse, venaient de tuer un de leurs camarades ; ils expirèrent sur un gibet en présence de l’armée. Leurs compatriotes, qui se crurent outragés, récusèrent les serviles lois de l’empire et firent valoir les libres privilèges de la Scythie, où une légère amende expiait les fautes de l’ivrognerie et de la colère. Leurs plaintes étaient spécieuses, leurs clameurs bruyantes, et les Romains auraient souffert sans peine cet exemple du désordre et de l’impunité ; mais l’autorité et l’éloquence de Bélisaire apaisèrent la sédition naissante ; il fit sentir à ses troupes assemblées la nécessité de la justice, l’importance de la discipline, les récompenses de la piété et de la vertu, l’énormité du meurtre qu’on venait de commettre ; et il ajouta que l’ivresse des coupables aggravait leur crime au lieu de l’excuser[11]. Dans cette traversée de l’Hellespont aux côtes du Péloponnèse, que les Grecs, après le siége de Troie, avaient faite en quatre jours[12], la flotte fut guidée par le vaisseau de tête, qu’on reconnaissait le jour à la couleur rouge de ses voiles, et la nuit aux torches qu’il portait au sommet de son grand mât : lorsqu’elle se trouva entre les îles, et qu’elle doubla les caps de Malée et de Ténare, on recommanda aux pilotes de s’appliquer à maintenir un ordre exact et des intervalles réguliers entre ce grand nombre de navires ; le vent étant favorable et ayant peu de force, ils en vinrent à bout ; et les troupes débarquèrent saines et sauves à Méthone, sur la côte de Messénie, où elles se reposèrent quelque temps des fatigues de la mer. Elles éprouvèrent jusqu’où la cupidité, revêtue du pouvoir, peut se jouer de la vie de plusieurs milliers d’hommes qui s’exposent courageusement pour le service de la patrie. D’après les règlements militaires, le pain ou le biscuit des Romains devait passer deux fois au four, et les troupes consentaient volontiers à une diminution du quart pour le déchet de la seconde cuisson. Pour tourner à son profit ce misérable bénéfice et épargner la dépense du bois, le préfet, Jean de Cappadoce, avait ordonné de cuire légèrement la farine au feu des bains de Constantinople ; et lorsqu’on ouvrit les sacs ; on distribua à l’armée une pâte molle et moisie. Une nourriture malsaine, jointe à la chaleur du climat et de la saison, produisit bientôt une maladie épidémique, et donna la mort à cinq cents soldats. Bélisaire rétablit la santé des malades avec du pain frais qu’il se procura à Méthone fit entendre avec courage et indignation les plaintes de la justice et de l’humanité ; l’empereur prêta l’oreille à ses remontrances, loua le général, mais sans punir le ministre. Du port de Méthone, avant d’entreprendre une route de cent lieues sur la mer Ionienne, entreprise qu’ils regardaient comme très périlleuse, les pilotes longèrent la côte occidentale du Péloponnèse jusqu’à l’île de Zacynthus ou de Zanté. Comme il survint un calame, cette traversée employa seize jours ; et sans l’ingénieuse précaution d’Antonina, qui avait conserver de l’eau dans des bouteilles de verre enterrées dans du sable, et placées dans un coin du vaisseau où ne pénétraient pas les rayons du soleil, Bélisaire lui-même eût été exposé à toutes les souffrances d’une soif cruelle. Les troupes trouvèrent enfin un asile hospitalier dans le port de Caucana[13], sur la côte méridionale de Sicile. Les officiers goths, qui gouvernaient l’île au nom de la fille et du petit-fils de Théodoric, obéirent aux ordres imprudents qu’on leur avait donnés, de recevoir les soldats de Justinien comme des amis et des alliés : ils fournirent des provisions en abondance, ils remontèrent la cavalerie[14] ; et Procope, envoyé à Syracuse ne tarda pas à rapporter des détails exacts sur la situation et les desseins des Vandales. Ses rapports déterminèrent Bélisaire à hâter ses opérations, et les vents secondèrent sa prudente impatience. La flotte perdit de vue la Sicile, passa devant l’île de Malte, découvrit les caps de l’Afrique, longea les côtes de cette partie du monde à la faveur d’un fort vent de nord-est ; et enfin jeta l’ancre au promontoire, de Caput-Vada, à environ cinq journées de chemin au sud de Carthage[15].

Si Gelimer eût été instruit de l’approche de l’ennemi ; il aurait différé la conquête de la Sardaigne pour s’occuper de la défense de sa personne et de son royaume. Un détachement de cinq mille soldats et de cent vingt galènes aurait joint ce qui lui restait de forces en Afrique, et le descendant de Genseric aurait pu surprendre et accabler des vaisseaux de transport à qui la pesanteur de leur chargement ôtait les moyens de combattre, et de légers brigantins qui ne semblaient propres qu’à la fuite. Bélisaire sentit une terreur secrète lorsque, durant la traversée, il entendit ses soldats s’encourager l’un l’autre à manifester leurs craintes : ils se disaient qu’une fois sur la côte, ils espéraient maintenir leur honneur ; mais ils ne rougissaient pas d’avouer que, si on les attaquait en mer, ils n’avaient pas assez de courage pour lutter à la fois contre les vents, les flots et les Barbares[16]. Instruit de leurs dispositions, le général saisit la première occasion de les débarquer en Afrique, et il eut la sagesse de rejeter la proposition qu’on avait faite, dans le conseil de guerre, de conduire la flotte et l’armée dans le port de Carthage. Trois mois après le départ de Constantinople, les soldats, les chevaux, des armes et des munitions de guerre, se trouvèrent débarqués en sûreté sur la côte. On laissa cinq hommes à bord de chacun des navires qu’on rangea en demi-cercle : l’armée prit sur la côte un camp qu’on environna d’un fossé et d’un rempart, selon l’ancien usage ; et la découverte d’une source d’eau douce, en venant soulagés la soif des soldats, leur inspira une confiance superstitieuse. Le f lendemain, quelques-uns des jardins des environs ayant été pillés, Bélisaire, après avoir châtié les coupables, saisit cette occasion légère, mais décisive, pour pénétrer ses troupes des principes de l’équité, de la modération et de la bonne politique. Lorsque je me suis chargé, leur dit-il, du soin de subjuguer l’Afrique, j’ai moins compté sur le nombre ou même sur la bravoure de mes troupes ; que sur la disposition amicale des naturels du pays, et la haine immortelle qu’ils portent aux Vandales. Vous pouvez seuls m’ôter ce moyen de succès, si vous continuez à enlever par force ce que vous obtiendriez avec un peu d’argent ; de pareilles violences réconcilieront ces implacables ennemis, et ils formeront une juste et sainte ligue contre nous qui venons envahir leur contrée. Une discipline sévère, dont l’armée elle-même sentit bientôt et reconnut les heureux effets, ajouta une nouvelle force à ces exhortations. Les habitants, au lieu, d’abandonner leurs maisons, et de cacher leur blé fournirent en abondance aux Romains, et à un prix modéré, les provisions qui leur étaient nécessaires ; les officiers civils de la province, laissés dans leurs fonctions, les exercèrent au nom de l’empereur d’Orient ; et le clergé, comme le lui ordonnaient sa conscience et son intérêt, favorisa de tout son pouvoir la cause d’un prince catholique. La petite ville de Sullecte[17], qui se trouvait à une journée du camp, eut l’honneur d’être la première à ouvrir ses portes et à repasser sous la domination de ses anciens souverains, Leptis et Adrumète, villes plus considérables, s’empressèrent, à l’approche de Bélisaire, d’imiter cet exemple de fidélité ; et le général romain s’avança sans trouver de résistance jusqu’à Grasse, palais des rois vandales, situés à cinquante milles de Carthage. Les Romains fatigués jouirent du repos que leur présentaient de frais bocages, des eaux limpides et des fruits délicieux, et lorsque Procope préféra ces jardins à tous ceux qu’il avait vus dans l’Orient et l’Occident, cette préférence ne doit peut-être s’attribuer qu’au goût particulier de l’historien ou à la fatigue qu’il éprouvait alors. En trois générations, la prospérité et la chaleur du climat avaient énervé le robuste courage des Vandales, devenus peu à peu les plus voluptueux des hommes. Leurs maisons de plaisance et leurs jardins, dignes du nom persan de paradis[18] ; leur offraient les jouissances de la fraîcheur et toutes les délices du repos. Chaque jour, en sortant du bain, ces Barbares s’asseyaient à une table où l’on servait avec profusion tous les mets recherchés que fournissaient la terre et la mer. Des broderies d’or couvraient leurs robes de soie flottantes comme celles des Mèdes ; l’amour et la chasse étaient les occupations de leur vie ; à des pantomimes, des courses de char, la musique et les danses de théâtre, amusaient leurs moments de loisir.

Durant une marche de dix ou douze jours Bélisaire ne cessa de porter son attention sur des ennemis embusqués, qui à chaque instant, pouvaient fondre sur lui. Un officier de confiance, habile militaire, Jean l’Arménien, conduisait l’avant-garde, composée de trois cents cavaliers, six cents Massagètes, couvraient l’aile gauche à quelque distance : la flotte entière longeait la côte, et perdait rarement de vue l’armée, qui faisait environ douze milles par jour, occupant chaque soir des camps fortifiés ou des villes amies. L’approche des Romains, qui s’avançaient vers Carthage, remplit de trouble et d’effroi l’esprit de Gelimer. Il voulait sagement prolonger la guerre, jusqu’à ce que son frère et ses vétérans fussent revenus de la conquête de la Sardaigne ; il déplorait l’imprévoyante politique de ses ancêtres, qui, en détruisant les fortifications de l’Afrique, ne lui avait laissé que la ressource dangereuse de risquer une bataille aux environs de la capitale. Les cinquante mille Vandales qui avaient subjugué l’Afrique s’étaient multipliés de manière qu’à l’époque de l’invasion de Bélisaire, ils formaient cent soixante mille combattants, non compris les femmes et les enfants ; et tant de guerriers braves et unis entre eux auraient pu écraser, au débarquement, une troupe peu nombreuse et harassée ; mais les partisans du roi captif semblaient plus disposés à écouter les invitations qu’à contrarier les progrès de Bélisaire, et un grand nombre de ces orgueilleux Barbares cachaient leur aversion pour la guerre, sous le prétexte plus honorable de leur haine pour l’usurpateur. Toutefois l’autorité et les promesses de Gelimer rassemblèrent une armée nombreuse, et il concerta ses plans d’une manière assez habile. Il expédia à son frère Ammatas l’ordre de réunir toutes les forces de Carthage, et d’attaquer à dix milles de la ville l’avant-garde des Romains. Gibamond son neveu, qui commandait deux mille cavaliers, eut ordre de fondre sur leur aile gauche tandis que le monarque marchant secrètement de son côté, les prendrait par derrière dans une position qui les priverait du secours et même de la vue de leur flotte. Mais la témérité d’Ammatas lui devint funeste ainsi qu’à son pays : ayant devancé l’heure de l’attaque, il laissa dérrière lui ses compagnons trop lents, et reçut une blessure mortelle, après avoir tué de sa main douze des plus braves soldats ennemis. Sa troupe s’enfuit vers Carthage ; le chemin était jonché de morts dans un espace de dix milles, et on avait peine à comprendre que trois cents Romains eussent massacré, tant de monde. Les six cents Massagètes mirent en déroute, après un léger combat, le corps du neveu de Gelimer, trois fois plus considérable que le leur ; chaque Scythe était animé par l’exemple de son chef, qui, usant du glorieux privilège de sa famille, s’était porté seul en avant pour décocher le premier trait contre l’ennemi. Sur ces entrefaites, Gelimer, ignorant son malheur et égaré au milieu des détours sinueux des collines, dépassa l’armée romaine sans le savoir, et, arriva sur le terrain où venait d’expirer l’imprudent Ammatas. Il pleurât la destinée de son frère et celle de Carthage, et chargea avec l’intrépidité du désespoir les escadrons qui s’avançaient à sa rencontre ; il aurait pu pousser plus loin ses avantages et peut-être décider la victoire en sa faveur, s’il n’eût perdu un temps inestimable à rendre aux morts de pieux, mais vains devoirs. Au milieu de ces tristes soins qui abattaient son curage, la trompette de Bélisaire vint frapper ses oreilles. Le général romain, laissant Antonina et son infanterie dans son camp, s’avançait à la tête de ses gardes et du reste de sa cavalerie, pour rallier ses troupes en désordre et ramener la victoire sous ses drapeaux. Cette bataille irrégulière offrait peu de place aux talents d’un général, mais le roi s’enfuit devant le héros, et les Vandales, qui n’avaient jamais attaqué que des Maures, ne purent résister aux armes et à la discipline des Romains. Gelimer précipita sa fuite vers les déserts de la Numidie ; il eût du moins la consolation d’apprendre bientôt qu’on avait obéi à ses ordres secrets pour l’exécution d’Hilderic et de ceux de ses partisans qu’il tenait en prison. Cet acte de fureur ne fût utile qu’à ses ennemis. La mort d’un prince légitime excita la compassion du peuple ; sa vie aurait embarrassé les Romains victorieux ; et un crime qui ne coûtait rien à la vertu du lieutenant de Justinien, le délivra de la cruelle alternative de perdre son honneur ou à abandonner sa conquête.

Dès que la tranquillité fut rétablie, les divers corps de l’armée romaine instruisirent mutuellement des pertes qu’ils avaient faites, et Bélisaire campa sur le champ de bataille, qu’on a appelé decimus, parce qu’on y trouvait la dixième borne milliaire depuis Carthage. Craignant avec raison les stratagèmes et les ressources de l’ennemi, il marcha le jour suivant en ordre de bataille, et s’arrêta le soir devant les portes de Carthage ; il accorda à ses troupes une nuit de repos, afin qu’au milieu du désordre et des ténèbres la ville ne fût pas exposée à la licence des soldats, ou que ceux-ci ne tombassent point dans les embuscades qui pouvaient y être cachées. Mais comme les craintes de Bélisaire n’étaient jamais que le résultat des calculs d’une raison froide et intrépide, il vit bientôt qu’il pouvait se fier sans danger aux apparences tranquilles et favorables que lui offrait l’aspect de la capitale : des torches innombrables, signes de la joie publique, y brillaient de toutes parts ; on avait ôté la chaîne qui fermait l’entrée du port ; les portes étaient ouvertes, et la reconnaissance du peuple saluait et appelait à grands cris ses libérateurs. On proclama la défaite des Vandales et la liberté de l’Afrique la veille de la fête de saint Cyprien, dans un temps où les églises étaient déjà ornées et illuminées, en l’honneur de ce martyr, dont trois siècles de superstition avaient presque fait la divinité du pays. Les ariens, sentant que leur règne était passé, abandonnèrent le temple aux catholiques, qui, aussitôt qu’ils eurent délivré leur saint des mains des profanes, commencèrent leurs cérémonies religieuses, et proclamèrent hautement le symbole de saint Athanase et la croyance de Justinien. Une heure, une heure terrible avait absolument changé la situation des deux partis. Les Vandales, qui, si peu de temps encore auparavant, se livraient à tous les vices des conquérants, suppliants alors, cherchaient un humble refuge dans le sanctuaire de l’église. Un geôlier épouvanté tirait d’un cachot du palais où ils étaient renfermés, des marchands sujets de l’empereur, et implorait la protection de ses captifs, en leur montrant, par une ouverture de la muraille, les voiles de la flotte romaine. Les navires, après s’être séparés de l’armée, avaient longé la côte avec précaution jusqu’au promontoire d’Hermé, où ils apprirent les premières nouvelles de la victoire de Bélisaire. Les capitaines, fidèles à ses instructions, allaient mouiller à environ vingt milles de Carthage, lorsque d’habiles marins les avertirent des dangers de la côte et des indices d’une tempête. Ignorant toujours la révolution, ils ne voulurent point entreprendre de forcer la chaîne du port, ainsi qu’on le leur proposait ; et le port et le faubourg de Mandracium furent seuls exposés à quelques insultes de la part d’un officier inférieur qui se sépara de ses chefs et agit contre leurs ordres. Le reste de la flotte profita d’un bon vent, et, après avoir atteint l’étroite ouverture de la Goulette[19], jeta l’ancre dans le profond et vaste lac de Tunis, c’est-à-dire à environ cinq milles de la capitale. Aussitôt que Bélisaire fut instruit de son arrivée, il envoya l’ordre de faire descendre à terre sur-le-champ la plus grande partie des mariniers, afin qu’ils vinssent assister à son triomphe, et grossir le nombre des Romains. Avant de leur permettre de passer les portes de Carthage, il les exhorta, dans un discours digne de son caractère et de la circonstance, à ne pas souiller la gloire de leurs armes, à se souvenir que si les Vandales avaient été des tyrans, les Romains les libérateurs de l’Afrique, devaient respecter les naturels du pays comme les sujets volontaires et affectionnés de leur commun maître. Les vainqueurs traversèrent la ville les rangs serrés, et prêts à combattre si l’ennemi se montrait. La police sévère que maintint le général les pénétra du devoir de l’obéissance ; et dans un siècle où l’usage et l’impunité autorisaient l’abus de la conquête, le génie d’un seul homme réprima les passions d’une armée victorieuse. On n’entendit point la voix de la menace, ni celle de la plainte. Le commerce de la ville ne fut point interrompu : tandis que l’Afrique changeait de maître et de gouvernement, les boutiques demeurèrent ouvertes et remplies d’acheteurs ; et lorsqu’on eut placé des gardes nombreuses, les soldats se retirèrent tranquillement dans les maisons qui leur avaient été assignées. Bélisaire occupa le palais et s’assit sur le trône de Genseric. Il reçut et distribua le butin fait sur les Barbares ; il fit grâce de la vie aux Vandales tremblants, et s’efforça de réparer les dommages que le faubourg de Mandracium avait soufferts dans la nuit précédente. Il donna à ses principaux officiers un souper, qui eut l’appareil et la magnificence d’un banquet royal[20]. Les officiers du monarque servirent respectueusement le vainqueur ; mais au milieu de ce festin, où les spectateurs équitables célébraient la fortune et le mérite de Bélisaire, ses envieux flatteurs empoisonnaient secrètement tout ce qui dans ses paroles et dans ses actions pouvait éveiller les soupçons d’un empereur méfiant. Ces spectacles fastueux, qu’on ne doit pas mépriser comme inutiles lorsqu’ils attirent le respect du peuple, employèrent une journée ; mais l’esprit actif de Bélisaire, qui au milieu de l’orgueil du triomphe savait prévoir la possibilité d’une défaite, ne voulait pas que l’empire romain en Afrique dépendit de la fortune des armes ou de la faveur populaire. Les fortifications de Carthage avaient été seules épargnées par les rois des Vandales ; mais durant les quatre-vingt-quinze années de leur domination, leur indolence et leur imprévoyance les avaient laissées tomber en ruines. Un conquérant plus sage répara, avec une incroyable activité, les murs et les fossés de cette ville. Sa libéralité encouragea les ouvriers : soldats, matelots et citoyens se livrèrent à l’envi à ces utiles travaux ; et Gelimer, qui avait craint d’exposer sa personne dans une ville ouverte, y vit, avec étonnement et avec désespoir, s’élever une forteresse imprenable.

Ce monarque infortuné, après la perte de sa capitale, s’attachait à rassembler les débris d’une armée plutôt dispersée que détruite par ses défaites précédentes, et l’espoir du pillage y attira quelques troupes de Maures. De son camp de Bulla, à quatre journées die Carthage, il insulta cette capitale, qu’il priva d’un aqueduc, promit une grande somme pour chaque tête de Romain qu’on lui apporterait, affecta d’épargner les personnes et les biens de ses sujets africains, et négocia en secret avec les sectaires ariens et avec les Huns, alliés des Romains. Dans cette cruelle position, la conquête de la Sardaigne ne servit qu’à augmenter ses douleurs ; car cette expédition inutile lui avait coûté cinq mille de ses plus braves soldats, et il n’éprouva que de la honte et des chagrins en lisant les lettres triomphantes de son fidèle, Zano, qui ne doutait pas que le roi n’eût, à l’exemple de ses aïeux, puni les Romains de leur témérité : Hélas ! mon frère, lui répondit Gelimer, le ciel s’est déclaré contre notre malheureuse nation. Tandis, que vous avez conquis la Sardaigne, nous avons perdu l’Afrique. A peine Bélisaire s’est montré, avec une poignée de soldats, que le courage et la prospérité ont abandonne les Vandales. Gibamond vôtre neveu, Ammatas vôtre frère, ont péri par la perfide lâcheté de leurs troupes. Nos chevaux, nos navires, Carthage elle-même, et toute l’Afrique, sont au pouvoir de l’ennemi. Cependant les Vandales continuent de préférer un repos ignominieux à l’intérêt de leurs femmes, de leurs enfants, de leurs richesses et de leur liberté. Il ne nous reste que les champs de Bulla et l’espoir de notre valeur. Abandonnez la Sardaigne, volez à nôtre secours, venez rétablir notre empire ou mourir avec nous.  Zano fit part aux principaux des Vandales de ces douloureux événements ; mais il eut soin de les cacher aux naturels de l’île. Les troupes, embarquées sur cent vingt galères dans le port de Cagliari, mouillèrent le troisième jour sur les confins de la Mauritanie, et se hâtèrent de joindre, dans le camp de Bulla, les étendards de leur roi. Une profonde tristesse présida à cette entrevue ; les deux héros s’embrassèrent, versèrent des larmes, pleurèrent en silence : on ne fit point de questions sur la victoire en Sardaigne. On ne parla point des désastres de l’Afrique ; ils voyaient toute l’étendue de leurs maux, et l’absence de leurs femmes et de leurs enfants prouvait assez que la mort ou la captivité avait été leur partage. Les instances du roi, l’exemple de Zano, et le danger qui menaçait la monarchie et la religion, réveillèrent enfin les indolents Vandales et réunirent tous les esprits. Tous les guerriers de la nation marchèrent au combat ; et leur nombre augmenta avec une telle rapidité, qu’avant d’arriver à Tricameron, à environ vingt milles de Carthage, ils se vantaient, peut-être avec quelque exagération, de surpasser dix fois en nombre la petite armée des Romains : mais cette armée était commandée par Bélisaire. Certain de la valeur de ses troupes, il se laissa surprendre par les Barbares à une heure où il ne devait pas s’attendre au combat. Les Romains se trouvèrent sous les armes au premier signal ; un ruisseau couvrait leur front ; la cavalerie formait la première ligne que Bélisaire, placé au centre, soutenait à la tête de cinq cents de ses gardes : l’infanterie, postée à quelque distance, composait la seconde ligne ; et l’habile lieutenant de Justinien, surveillant le poste séparé et la fidélité suspecte des Massagètes, qui réservaient en secret leurs secours aux vainqueurs. Procope a rapporté, et le lecteur suppléera aisément les harangues des deux généraux[21], qui, par les arguments les plus analogues à leur situation, cherchèrent à pénétrer leurs soldats de l’importance de la victoire et du mépris de la vie. Zano et les vainqueurs de la Sardaigne occupaient le centre de la ligne ; et si la multitude des Vandales avait montré la même intrépidité, le trône de Genseric serait demeuré solidement affermi. Après avoir lancé leurs javelines et leurs armes de trait, ils tirèrent l’épée, et attendirent les Romains ; la cavalerie de ceux-ci passa trois fois le ruisseau et fut repoussée trois fois. Le combat parut indécis jusqu’à l’instant où Zano reçoit un coup mortel, et où la bannière de Bélisaire fut déployée. Gelimer regagna son camp, les Huns se joignirent aux Romains dans la poursuite des vaincus, et les vainqueurs dépouillèrent les morts. On ne trouva sur le champ de bataille, que cinquante soldats de Bélisaire et huit cents Vandales ; et ce fut ce combat, si peu sanglant, qui fit disparaître une nation et transféra à d’autres souverains l’empire de l’Afrique. Le soir, Bélisaire mena son infanterie à l’attaque du camp, et la fuite honteuse de Gelimer prouve la vanité de ces paroles qu’il avait prononcées peu de temps auparavant, que pour les vaincus la mort est un bonheur, la vie un fardeau, et l’infamie la seule chose à redouter. Son départ fut secret ; mais aussitôt que les Vandales se furent aperçus que leur roi les abandonnait, ils se dispersèrent à la hâte, occupés seulement de leur sûreté personnelle, et oubliant tout ce qui peut être cher et précieux au cœur humain. Les Romains entrèrent sans résistance dans le camp des vaincus ; les ténèbres et la confusion de la nuit prêtèrent leurs voiles aux désordres les plus effrénés. Ils égorgèrent sans pitié tout Vandale qui se présenta devant eux. Les veuves et les filles des vaincus subirent le pouvoir et la brutalité des soldats, dont leur beauté ou leur richesse enflammait la licencieuse cupidité. L’avarice elle-même fût presque rassasiée du pillage de tant de trésors en or et en argent accumulés par le despotisme et par l’économie durant une longue période de prospérité et de paix. Au milieu de cette licence, les troupes même personnellement attachées à Bélisaire oublièrent leur circonspection et leur respect accoutumés. Enivrés de débauche et de rapine, ses soldats parcouraient, seuls ou en petits détachements, les champs voisins, les bois, les rochers et les cavernes capables de recéler encore quelques richesses. Chargés de butin, ils quittaient leurs rangs et erraient sans guide sur le chemin de Carthage ; et si l’ennemi eût osé revenir, il aurait à peine échappé un petit nombre des vainqueurs. Pénétré de la honte et du danger d’un pareil désordre, Bélisaire passa une nuit pénible sur le champ de bataille, théâtre de sa victoire. A la pointe du jour, il arbora son drapeau sur une colline ; il rappela ses gardes et ses vétérans, et rétablit peu à peu dans son camp la soumission et la discipline. Il mettait un égal intérêt à vaincre ceux de ses ennemis qui se défendaient et à sauver ceux qui se montraient soumis. On ne trouva plus de Vandales que dans les églises ils s’étaient réfugiés en suppliants ; il les protégea par son autorité ; et les fit désarmer et renfermer séparément afin qu’ils ne pussent  troubler la paix publique, ni devenir victimes de la vengeance populaire. Après avoir envoyé un léger détachement à la poursuite de Gelimer, le général se porta avec toute son armée à dix journées de là, jusqu’à Hippo-Regius, qui ne possédait plus les reliques de saint Augustin[22]. La saison et la nouvelle certaine que le prince vandale s’était réfugié dans l’inaccessible contrée des Maures, déterminèrent Bélisaire à abandonner une vaine poursuite, et à prendre ses quartiers d’hiver à Carthage, d’où il envoya son principal lieutenant informer l’empereur qu’en trois mois il avait achevé la conquête de l’Afrique.

Bélisaire disait la vérité. Ce qui restait de Vandales abandonna sans résistance ses armes et sa liberté. Les environs de Carthage se soumirent aussitôt que Bélisaire parut, et le bruit de sa victoire subjugua successivement les provinces les plus éloignées. La ville de Tripoli se maintint dans la fidélité qu’elle avait volontairement montrée à l’empereur. La Sardaigne et la Corse se rendirent à un officier qui leur présenta, au lieu d’une épée, la tête du brave Zano ; et les îles de Majorque, de Minorque et d’Ivica, consentirent humblement à demeurer des dépendances du royaume d’Affriquée. Césarée, ville royale, qu’à moins d’une grande exactitude géographique, on pourrait confondre avec la ville actuelle d’Alger, était située à trente journées à l’ouest de Carthage. Les Maures infestaient la route de terre, mais la mer était ouverte, et les Romains en étaient alors les maîtres. Un tribun actif et prudent fut chargé de remonter par mer jusqu’au détroit, et s’empara de Sépem ou Ceuta[23], située en face de Gibraltar, sur la côte d’Afrique. Justinien embellit et fortifia dans la suite ce poste éloigné, flatté à ce qu’il parait de la vaine gloire d’étendre son empire jusqu’aux colonnes d’Hercule. Ce fut au moment où il se disposait à publier les Pandectes des lois romaines, qu’il apprit la nouvelle des succès de Bélisaire ; soit dévotion, soit jalousie, il glorifia la Providence, et n’avoua que par son silence le mérite de son heureux général[24]. Empressé d’abolir la tyrannie spirituelle et temporelle des Vandales, il s’occupa sans délai de relever entièrement l’Église catholique ; il rétablit et augmenta libéralement la juridiction, les richesses et les immunités, qui forment peut-être la partie la plus essentielle de la communion épiscopale ; il supprima le culte des ariens, proscrivit les assemblées des donatistes[25] ; et le synode de Carthage composé de deux cent dix-sept évêques applaudit à la justice de ces saintes représailles[26]. On présume bien que dans une pareille occasion, peu de prélats orthodoxes s’absentèrent ; mais leur petit nombre, comparé au nombre deux ou trois fois plus considérable des évêques des anciens conciles, annonce clairement combien étaient déchus et l’Église et l’État. Tandis que Justinien se montrait le défenseur de la foi, il se flattait que son général victorieux étendrait bientôt sa domination sur toute la partie de l’Afrique qui dépendait de l’empire avant l’invasion des Maures et des Vandales, Bélisaire eut ordre d’établir cinq ducs ou commandants à Tripoli à Leptis, à Cirta, à Césarée et en Sardaigne, et de calculer le nombre de troupes palatines, ou soldats de frontières, nécessaire pour la défense de l’Afrique. On jugea que le royaume des Vandales méritait la présence d’un préfet du prétoire ; quatre consulaires et trois présidents administrèrent sous lui les sept provinces soumises à sa juridiction civile. On fixa minutieusement le nombre des officiers inférieurs, comme secrétaires, messagers ou assistants, on en attribua trois cent quatre-vingt-seize au préfet, et cinquante à chacun de ses subdélégués : on régla rigoureusement leurs salaires et leurs gratifications, fixation qui confirma leurs droits sans prévenir les abus. Ces magistrats purent être à charge au public, mais non pas inutiles, car sous le nouveau gouvernement, qui affectait de faire revivre la liberté et l’équité de la république romaine, les questions subtiles de droit et de possession se multiplièrent sans mesure. L’empereur, voulant au moment de la conquête, tirer de riches contributions des sujets d’Afrique, leur permit de réclamer, même au troisième degré et en ligne collatérale, les maisons et les terres dont les Vandales avaient injustement dépouillé leurs familles. Après le départ de Bélisaire, qui agissait en vertu d’une commission spéciale très étendue, il n’y eut point de général ordinaire de l’Afrique ; mais la charge de préfet du prétoire fut, donnée à un guerrier. Justinien, selon son usage, réunit les pouvoirs civils et militaires en la personne du principal administrateur, et en Afrique ainsi qu’en Italie représentant de l’empereur reçut bientôt le titre d’exarque[27].

Toutefois la conquête de l’Afrique demeurait imparfaite jusqu’au moment où Gelimer serait livré mort ou vif aux Romains. Ce prince, inquiet du sort de ses armes, avait ordonné secrètement de conduire une partie de son trésor en Espagne, et il espérait trouver un sûr asile à la cour du roi des Visigoths ; mais son projet fut renversé par le hasard, par la perfidie des siens et l’infatigable poursuite de ses ennemis, qui ne lui permirent pas de rembarquer, et qui chassèrent ce monarque infortuné, jusqu’à Papua[28], montagne inaccessible de l’intérieur de la Numidie, où il se retira avec un petit nombre de fidèles compagnons. Il y fut aussitôt assiégé par Pharas, dont la véracité et la tempérance ont obtenu d’autant plus d’éloges, que ces qualités se trouvaient plus rarement chez les Hérules, les plus corrompus des Barbares. Pharas, après avoir vainement essayé d’escalader la montagne, tentative qui lui coûta cent dix soldats, résolut de continuer le siége durant l’hiver, et d’attendre l’effet de la misère et de la faim sur l’esprit du roi vandale. De toutes les habitudes au plaisir, de toutes les jouissances que s’empressaient de fournir à ses désirs la richesse et l’industrie, ce prince avait passé à la pauvreté des Maures[29], supportable, seulement à des hommes qui ne connaissaient pas de condition plus heureuse. Ils couchaient pêle-mêle avec leurs femmes, leurs enfants, leur bétail, et dans des huttes faites de boue et de claies, qui emprisonnaient la fumée et ne recevaient point de jour. De sales vêtements les couvraient à peine ; ils ne connaissaient ni l’usage du gain ni celui du vin ; des espèces de gâteaux composés d’avoine ou d’orge, et demi-cuits sous la cendre, formaient la nourriture que ces sauvages affamés dévoraient à peine préparée. C’était assez pour accabler les forces de Gelimer des rigueurs d’un genre de vie si étrange et si nouveau pour lui, mais ses souffrances étaient rendues plus grandes par le souvenir de sa grandeur passée, l’insolence journalière de ses protecteurs, et par les justes craintes qu’il ressentait que la légèreté des Maures et l’appât d’une récompense ne les engageassent à trahir les droits de l’hospitalité. Pharas qui connaissait sa situation, lui écrivit une lettre dictée par l’humanité et la bienveillance. Comme vous, lui mandait le chef des Hérules, je suis un Barbare sans lettres ; mais je sais dire ce qu’inspirent le bon sens et un cœur honnête. Pourquoi voulez-vous persister dans une opiniâtreté désespérée ? pourquoi voulez-vous vous perdre, et perdre avec vous votre famille et votre nation ? Votre résistance est-elle fondée sur l’amour de la liberté et sur la haine de l’esclavage ? Hélas ! mon cher Gelimer, n’êtes-vous pas le plus malheureux des esclaves, et l’esclave de la vile nation des Maures ? Ne vaudrait-il pas mieux vivre à Constantinople dans la pauvreté et la servitude, que de régner en monarque absolu sur la montagne de Papua ? Regardez-vous comme honteux d’être le  sujet de Justinien ? Bélisaire est son sujet ; et moi, dont la naissante n’est pas inférieure à la vôtre, je ne rougis pas, d’obéir à d’empereur romain. Ce monarque généreux vous accordera de riches domaines, une place au sénat, et la dignité de patrice : telles sont ses favorables intentions, et vous pouvez compter en toute sûreté sur la parole de Bélisaire. Tant que le ciel nous condamne à souffrir, la patienté est une vertu ; mais c’est un aveugle et stupide désespoir que de rejeter la délivrance qui nous est offerte. — Je ne suis pas insensible, lui répondit le roi des Vandales, à la justesse et à la douceur de vos conseils ; mais je ne puis me résoudre à devenir l’esclave d’un injuste ennemi qui a mérité mon implacable haine. Je ne l’avais jamais offensé par mes paroles ni par mes actions, et cependant il a envoyé contre moi, je ne sais d’où, un certain Bélisaire qui m’a précipité du trône dans cet abîme de misère. Justinien est homme, il est prince, ne craint-il pas un pareil revers de fortune ? Je ne puis en dire davantage, le chagrin me suffoque. Envoyez-moi, je vous supplie, envoyez-moi, mon cher Pharas une lyre[30], une éponge et un pain. Pharas apprit de messager de Gelimer le motif de ces trois singulières demandes : depuis longtemps le roi d’Afrique n’avait pas goûté de pain ; ses yeux étaient incommodés d’une fluxion, suite de ses fatigues ou de ses larmes continuelles ; et, pour adoucir ses tristes journées, il voulait chanter ses malheurs sur la lyre. Pharas fût ému de pitié, et il envoya les présents singuliers qui lui étaient demandés. Cependant son humanité même lui fit redoubler de vigilance afin de déterminer son prisonnier à adopter une résolution avantageuse aux Romains et salutaire à lui-même. La nécessité et la raison triomphèrent à la fin de l’opiniâtreté de Gelimer ; un envoyé de Bélisaire lui confirma au nom de l’empereur, les promesses de sûreté personnelle et d’un traitement honorable. Le roi des Vandales descendit de sa montagne. La première entrevue publique eut lieu dans un des faubourgs de Carthage ; et lorsque le prince captif aborda son vainqueur, il poussa un éclat de rire. La foule put croire que les chagrins avaient altéré la raison de Gelimer ; mais les observateurs habiles jugèrent que, par une gaîté si déplacée dans sa triste situation, il voulait faire connaître, combien les scènes passagères des grandeurs humaines méritent peu de nous occuper sérieusement[31].

On put bientôt après justifier ce mépris par un exemple de cette autre vérité non moins commune, que la flatterie s’attache au pouvoir, et l’envie au mérite supérieur. Les chefs de l’armée romaine osèrent être jaloux d’un héros. Ils assuraient avec perfidie, dans leurs dépêches particulières, que le conquérant de l’Afrique, fier de sa réputation et de l’attachement public songeait à monter sur le trône des Vandales. Justinien prêta trop patiemment l’oreille à ces accusations, et le silence qu’il garda fut un effet de ses soupçons plutôt que de sa confiance. On laissa, il est vrai, au choix de Bélisaire, l’alternative honorable de demeurer en Afrique ou de revenir dans la capitale ; mais, d’après des lettres interceptées et ce qu’il savait du caractère de l’empereur, il sentit qu’il devait renoncer à la vie, ou arborer l’étendard de la révolte, ou enfin confondre ses ennemis par sa présence et sa soumission. L’innocence et le courage déterminèrent son choix ; il fit précipitamment embarquer ses gardes, ses captifs et ses trésors ; et sa navigation fût si heureuse, qu’il arriva à Constantinople avant qu’on sût certainement qu’il avait quitté le port de Carthage. Une loyauté si franche dissipa les soupçons de Justinien ; la reconnaissance publique fit taire et irrita l’envie, et un troisième vainqueur d’Afrique obtint les honneurs du triomphe, cérémonie que la ville de Constantin n’avait jamais vue, et que l’ancienne Rome, depuis le règne de Tibère, avait réservée aux heureuses armes des Césars[32]. Le cortége triomphal sortit du palais de Bélisaire, traversa les principales rues et se rendit à l’Hippodrome. Cette mémorable journée sembla punir les offenses de Genseric, et expier la honte des Romains. On y déploya toute la richesse des nations, les trophées d’un luxe guerrier et celle de la mollesse, de riches armures, des trônes d’or, et les chars de parade qui avaient servi à la reine des Vandales ; la vaisselle massive du banquet royal, des pierres précieuses sans nombre, des statues et des vases d’une forme élégante, un trésor plus solide en pièces d’or et les ornements sacrés du temple juif, qu’après de si longs voyages on déposa respectueusement dans l’église chrétienne de Jérusalem. Une longue file de nobles Vandales venait ensuite déployant à regret leur haute stature et leur mâle contenance. Gelimer s’avançait à pas lents, revêtu d’une robe de pourpre, en gardant toujours la majesté d’un roi. Il ne laissât pas échapper une larme, ne fit pas entendre un soupir. Son orgueil et sa piété tirèrent quelque consolation de ces paroles de Salomon[33], qu’il répéta souvent : Vanité ! vanité ! tout est vanité. Au lieu de se montrer sur un char de triomphe traîné par quatre chevaux ou par quatre éléphants, le modeste vainqueur marchait à pied à la tête de ses braves compagnons : sa prudence l’avait peut-être engagé à refuser un honneur trop éclatant pour un sujet, et sa grande âme pouvait dédaigner un char si souvent souillé par les plus vils tyrans. Ce glorieux cortégé entra dans l’Hippodrome, fut salué par les acclamations du sénat et du peuple, et s’arrêta devant le trône sur lequel Justinien et Théodora attendaient l’hommage du roi captif et du héros victorieux. Bélisaire et Gelimer firent l’adoration accoutumée ; en se prosternant ils touchèrent avec respect le piédestal d’un prince qui n’avait jamais tiré l’épée, et d’une prostituée qui avait dansé sur le théâtre. Il fallut une légère violence pour venir à bout de l’opiniâtre fierté du petit-fils de Genseric ; et son vainqueur, quoique habitué à la servitude, put sentir son âme se révolter en secret. Il fut sur-le-champ déclaré consul pour l’année suivante, et le jour de son inauguration ressembla à un second triomphe : des captifs vandales portèrent sa chaise curule sur leurs épaules, et des coupés d’or, de riches ceintures, fruit des dépouilles de la guerre, furent jetées avec profusion au milieu de la populace.

Mais la plus noble récompense de Bélisaire fut la fidélité avec laquelle on exécuta le traité sur lequel il avait engagé son honneur au roi des Vandales. Les scrupules religieux de Gelimer, attaché à l’hérésie d’Arius, se trouvant incompatibles avec la dignité de sénateur et de patricien, l’empereur lui donna un vaste domaine dans la province de Galatie où le monarque détrôné se retira avec sa famille et ses amis, et où il trouva la paix, l’abondance, et peut-être le contentement[34]. On eut pour les filles, d’Hilderic les égards et la tendresse qu’on devait à leur âge et à leur malheur ; Justinien et Théodoric se chargèrent de l’honneur d’élever et d’enrichir les descendantes du grand Théodose. Les plus grands des jeunes Vandales formèrent cinq escadrons de cavalerie qui adoptèrent le nom de leur bienfaiteur, et qui, dans les guerres de Perse, soutinrent la gloire de leurs aïeux. Mais ces exceptions en petit nombre, et déterminées en faveur de la naissante et du courage, ne suffisent pas pour éclairer le sort d’une nation qui avant l’expédition si courte et si peu meurtrière de Bélisaire, comptait plus de six cent mille personnes. Il est vraisemblable qu’après l’exil de leur roi et de leur noblesse, les restes de la peuplade payèrent leur sûreté du sacrifice de leur caractère, de leur religion et de leur langue, et que leur postérité dégénérée se mêla insensiblement dans la foule obscure des sujets d’Afrique. Toutefois un voyageur de nos jours a trouvé au centre des peuplades maures le teint blanc et la longue chevelure d’une race du Nord[35] ; et l’on croyait jadis que les plus courageux ces Vandales, cherchant à se soustraire au pouvoir ou même à la connaissance des Romains, avaient trouvé une liberté solitaire sur les côtes de l’océan Atlantique[36]. L’Afrique, où ils avaient régné, devint leur prison ; ils ne pouvaient plus ni espérer ni désirer de retourner sur les bords de l’Elbe, où leurs compatriotes, moins entreprenants, erraient encore au milieu de leurs forêts. Il était impossible aux lâches d’affronter les mers inconnues et les Barbares qui se présentaient devant eux : ceux qui avaient du cœur ne pouvaient se résoudre à porter dans leur patrie leur misère et leur honte, à se mettre dans le cas de faire la description de ces royaumes qu’ils avaient perdus, et de réclamer une portion du modeste héritage auquel ils avaient renoncé presque tous dans des temps plus heureux[37]. Les Vandales habitent aujourd’hui plusieurs bourgades populeuses de la Lusace entre l’Elbe et l’Oder ; ils y conservent leur langage, leurs coutumes et la pureté de leur sang ; ils portent à regret le joug des Saxons et des Prussiens, et ils obéissent avec une fidélité secrète et volontaire au descendant de leurs anciens rois, que son vêtement et l’état actuel de sa fortune confondent avec le dernier de ses vassaux[38]. Le nom et la situation de cette peuplade malheureuse sembleraient annoncer qu’elle a la même origine que les conquérants de l’Afrique ; mais son dialecte esclavon donne lieu de la regarder comme le dernier reste de colonies qui succédèrent aux Vandales originaires, déjà dispersés ou détruits au temps de Procope[39].

Si Bélisaire se fût laissé aller à quelque incertitude sur ce que lui prescrivait son devoir, il aurait pu alléguer, contre l’empereur lui-même, l’indispensable nécessité d’arracher l’Afrique à un ennemi plus barbare que les Vandales. L’origine des Maures est enveloppée de ténèbres ; ils ignoraient l’usage de l’alphabet[40]. On ne peut fixer d’une manière précise les bornes de leur pays ; une immense contrée était ouverte aux bergers de la Libye ; les saisons et les pâturages réglaient leurs mouvements ; et leurs cabanes grossières, le petit nombre de leurs meubles, ne leur coûtaient pas plus de peine à transporter que leurs armes, leurs familles, les moutons, les bœufs et les chameaux, qui composaient leurs richesses[41]. Tant que la puissance romaine donna des lois en Afrique, ils se tinrent à une distance respectueuse de Carthage et de la côte de la mer ; sous le faible règne des Vandales, ils s’emparèrent des villes de la Numidie ; ils occupèrent les bords de la mer depuis Tanger jusqu’à Césarée, et ils s’établirent impunément au milieu de la fertile province de Byzacium. L’armée redoutable et la conduite adroite de Bélisaire assurèrent la neutralité des princes maures, dont la vanité aspirait à recevoir de l’empereur les insignes de la royauté[42]. Ils furent étonnés de la rapidité de ses succès et tremblèrent devant leur vainqueur ; mais l’approche de son départ fit cesser les craintes de ces peuples superstitieux et sauvages. La multitude de leurs femmes les rendit indifférents à la sûreté de ceux de leurs enfants que les Romains détenaient en otages ; et lorsque Bélisaire quitta le port de Carthage, il entendit les cris des habitants de la province, et il vit presque les flammes des édifices que brûlaient les Maures. Toutefois il persista dans sa résolution ; seulement il laissa une partie de ses gardes pour renforcer les garnisons trop faibles, et il donna le commandement de l’Afrique à l’eunuque Salomon[43], qui ne se montra pas indigne de remplacer Bélisaire. L’ennemi, lors de sa première invasion, surprit et coupa quelques détachements commandés par deux officiers de mérite ; mais Salomon rassembla sur-le-champ ses troupes ; il partit de Carthage, et, pénétrant dans l’intérieur du pays, livrât deux grandes batailles où il tua soixante mille Barbares. Les Maures comptaient sur leur nombre, sur leur agilité et sur leurs montagnes inaccessibles ; on dit que l’aspect et l’odeur de leurs chameaux jetèrent quelque confusion dans la cavalerie romaine[44] ; mais lorsqu’on lui eut ordonné de mettre pied à terre ; elle se moqua de ce vain obstacle ; et dès que les escadrons eurent gravi les collines, l’armure éclatante et les évolutions régulières des Romains éblouirent la troupe désordonnée et presque nue des Maures, et la prédiction de leurs prophétesses, qui annonçait que les Maures seraient défaits par un ennemi sans barbe, fut accomplie à plusieurs reprises. L’eunuque victorieux se porta à treize journées de Carthage, afin d’assiéger le mont Aurasius[45], qu’on regardait comme la citadelle et en même temps le jardin de la Numidie. Cette chaîne de collines, qui est une branche de l’Atlas, offre, dans une circonférence de cent vingt milles, une rare variété de sol et de climats. Les vallées intermédiaires et les plaines élevées offrent de riches pâturages, des ruisseaux qui ne tarissent jamais, et des fruits d’un goût délicieux et d’une grosseur peu commune. Les ruines de Lambesa, cité romaine qui allait été le poste d’une légion et avait contenu dans ses murs quarante mille habitants, ornent cette belle solitude. Le temple ionique d’Esculape est environné de huttes des Maures, et on voit paître des troupeaux au milieu d’un amphithéâtre que dominent des colonnes d’ordre corinthien. Au-dessus du niveau de la montagne, s’élève à pic un rocher où les princes africains avaient retiré leurs femmes et leurs trésors ; et c’est un proverbe familier chez les Arabes, qu’il faut être en état de manger du feu pour oser attaquer la cime escarpée et les farouches habitants du mont Aurasius. L’eunuque Salomon forma deux fois ce hardi projet ; la première, il se retira avec quelque perte ; la seconde, sa patience et ses munitions étant presque épuisées, il eût été forcé de se retirer encore, s’il n’eût cédé à la valeur impétueuse de ses troupes, qui, au grand étonnement des Maures, escaladèrent hardiment la montagne, le camp des ennemis, et arrivèrent au sommet du rocher Géminien. On éleva une citadelle pour garder cette conquête importante et rappeler aux Barbares leur défaite. Salomon, qui continua sa marche à l’occident, réunit à l’empire romain la province de la Mauritanie-Sitifi, qui s’en trouvait détachée dès- longtemps. La guerre des Maures dura plusieurs années, après le départ de Bélisaire ; mais les lauriers qu’il laissa cueillir à son fidèle lieutenant doivent être regardés, comme une suite de sa victoire.

Les fautes passées, qui corrigent quelquefois un individu parvenu à un âge mûr, sont rarement utiles aux générations qui se succèdent les unes aux autres. Les nations de l’antiquité, peu occupées de se secourir mutuellement, avaient été successivement vaincues et asservies par les Romains. Instruits par cette terrible leçon, les Barbares de l’Occident auraient dû se confédérer, et, par des plans calculés à propos, arrêter l’ambition sans bornes de Justinien. La même erreur se renouvela et produisit les mêmes conséquences ; les Goths de l’Italie et ceux de l’Espagne, sans songer au danger dont ils étaient menacés, virent avec indifférence, ou plutôt avec joie, la rapide destruction de l’empire vandale. Après l’extinction de la famille royale, Theudès, chef brave et puissant, était monté sur le trône d’Espagne, qu’il avait gouverné d’abord au nom de Théodoric et du prince son petit-fils. Les Visigoths assiégèrent sous ses ordres la forteresse de Ceuta, sur la côte d’Afrique ; mais tandis qu’ils passaient tranquillement dans la dévotion le jour du repos institué par l’Église, une sortie de la garnison vint troubler la pieuse sécurité de leur camp[46], et le roi lui-même ne se débarrassa qu’avec beaucoup de peines et de dangers des mains d’un ennemi sacrilège. Bientôt son orgueil et son ressentiment purent être satisfaits par une ambassade suppliante de l’infortune Gélimer, qui, dans sa détresse, implorait les secours du monarque espagnol ; mais, au lieu de sacrifier ces indignes passions à la générosité et à la prudence, Theudès amusa les envoyés de Gelimer jusqu’au moment où il fut secrètement instruit de la perte de Carthage, ; et alors il les renvoya, leur conseillant, en termes équivoques et méprisants, d’aller s’informer au vrai, dans leur pays, de la situation des Vandales[47]. La longue durée de la guerre d’Italie différa le châtiment des Visigoths, et Theudès mourut sans avoir goûté les fruits de sa fausse politique. Après sa mort, le sceptre d’Espagne donna lieu à une guerre civile. Le compétiteur le plus faible sollicita la protection de Justinien, et son ambition le détermina à souscrire un traité d’alliance funeste à l’indépendance et au bonheur de son pays. Il reçut dans plusieurs villes des côtes de l’Océan et de la Méditerranée des troupes romaines qui refusèrent ensuite d’évacuer les places qu’on leur avait remises, à ce qu’il paraîtrait, à titre de sûreté ou d’hypothèque ; et comme elles tiraient des provisions d’Afrique, elles se maintinrent dans ces postes imprenables, d’où l’on pouvait fomenter les troubles civils et religieux qui s’élevaient parmi les Barbares. Soixante-dix ans s’écoulèrent avant qu’on put arracher cette cruelle épine du sein de la monarchie ; et tant que l’empereur conserva quelques-unes de ces possessions inutiles autant qu’éloignées, sa vanité put compter l’Espagne au nombre de ses provinces, et le successeur d’Alaric au rang de ses vassaux[48].

L’erreur des Goths qui régnaient en Italie, était encore moins excusable que celle des Goths de l’Espagne, et leur châtiment fut plus immédiat et plus terrible. Entraînés par la vengeance, ils fournirent à leur ennemi le plus dangereux le moyen de détruire le plus précieux de leurs alliés. Une sœur du grand Théodoric avait épousé Thrasimond, roi d’Afrique[49] : les Vandales obtinrent, par ce mariage, la forteresse de Lilybée en Sicile[50]. Amalafrida se rendit auprès de Thrasimond, accompagnée de mille nobles, et de cinq mille soldats goths, qui signalèrent leur valeur dans les guerres des Maures. Ces auxiliaires mirent à trop haut prix leurs services, que les Vandales négligèrent peut-être ; ils virent avec jalousie le pays où ils se trouvaient, et les conquérants leur inspirèrent du dédain. Les Vandales prévinrent, par un massacre, l’exécution d’une conspiration réelle ou prétendue : les Goths furent opprimés. Amalafrida fut réduite en captivité ; et, sa mort secrète, arrivée bientôt après, excita de violents soupçons. On chargea la plume éloquente de Cassiodore de reprocher à la cour vandale cette infraction cruelle de toutes les lois de la société : mais tant que l’Afrique était défendue par la mer et que les Goths n’avaient point de marine ; on pouvait se rire impunément de la vengeance qu’il annonçait au nom de son souverain. Dans l’aveuglement de leur douleur et de leur indignation, les Goths se réjouirent de l’approche des Romains ; ils approvisionnèrent la flotte de Bélisaire dans les ports de la Sicile ; et bientôt, surpris d’un si prompt succès, ils apprirent avec satisfaction ou avec crainte que ce général les avait vengés au delà de leur espoir, et peut-être de leurs désirs. L’empereur devait le royaume d’Afrique à leur amitié ; et ils pouvaient se croire des titres pour rentrer en possession d’un stérile rocher, séparé depuis si peu de temps de leur empire, comme présent de mariage. Ils furent bientôt détrompés par l’impérieuse missive de Bélisaire, qui leur causa de tardifs, et inutiles regrets. La ville et le promontoire de Lilybée, disait le général romain, appartenaient aux Vandales, et je les réclame par droit de conquête. Votre soumission peut mériter les bonnes grâces de l’empereur. Vôtre obstination excitera son déplaisir, et allumera une guerre qui ne se terminera que par vôtre ruine. Si vous nous forcez à reprendre les armes ; nous ne combattrons pas seulement pour reconquérir une ville, mais pour vous dépouiller de toutes les provinces que vous avez enlevées injustement à leur légitime souverain. Une nation de deux cent mille guerriers aurait du sourire de la vaine menace de Justinien et de son lieutenant ; mais un esprit de discorde et de mécontentement régnait en Italie et les Goths ne supportaient qu’avec répugnance la honte d’être gouvernés par une femme[51].

La naissance d’Amalasonthe, régente et reine d’Italie[52], unissait les deux familles les plus illustres parmi les Barbares. Sa mère, sœur de Clovis, descendait des rois chevelus de la race mérovingienne[53], et la race souveraine des Amali avait reçu, à la onzième génération, un nouvel éclat du père d’Amalasonthe, le grand Théodoric, dont le mérite aurait anobli une extraction plébéienne. Sa fille était, par son sexe, exclue du trône des Goths ; mais la vigilante tendresse du monarque pour sa famille et pour son peuple découvrit le dernier héritier de la ligne royale, dont les ancêtres s’étaient réfugiés en Espagne ; et l’heureux Eutharic se vit élevé tout à coup au rang de consul et de prince. Il jouit peu des charmes d’Amalasonthe et de l’espoir d’une si belle succession, et celle-ci se trouva, après la mort de son mari et de son père, tutrice de son fils Athalaric, et régente du royaume d’Italie. Elle était alors âgée de vingt-huit ans, et sa beauté, ainsi que son esprit, avaient acquis toute leur perfection. Ses charmes, que la jalouse Théodora croyait dignes de disputer la conquête d’un empereur, étaient relevés par une raison forte, de l’activité et du courage. L’éducation et l’expérience avaient perfectionné ses talents ; ses études philosophiques ne lui avaient inspiré aucune vanité ; et quoi qu’elle sût également s’exprimer avec facilité et avec élégance en grec, en latin et dans la langue des Goths, elle savait au milieu de ses conseils, garder un silence prudent et impénétrable. En imitant les vertus de Théodoric, elle ramena la prospérité de son règne, en même temps qu’elle s’efforçait, avec un soin pieux, d’expier les fautes et d’effacer le souvenir moins glorieux des dernières année de vie. Elle rendit aux enfants de Boèce et de Symmaque le patrimoine de leurs aïeux. Sa douceur fut telle, qu’elle, ne consentit jamais à infliger aucune peine corporelle ou aucune amende aux Romains soumis aux lois de son empire : cette princesse méprisa généreusement les clameurs des Goths, qui, après quarante années, regardaient toujours les Italiens comme leurs esclaves ou comme leurs ennemis. Son heureuse administration fut dirigée par la sagesse de Cassiodore, et célébrée par son éloquence ; elle rechercha, elle mérita l’amitié de l’empereur et les royaumes de l’Europe respectaient, dans la paix et dans la guerre, la majesté du trône des Goths ; mais son bonheur à venir et celui de l’Italie dépendaient de l’éducation de son fils, destiné par sa naissance à remplir les fonctions diverses et presque incompatibles de chef d’un camp barbare, et de premier magistrat d’une nation civilisée. Dès l’âge de dix ans[54], Athalaric fut instruit avec soin dans les arts et les sciences de nécessité et d’agrément qui pouvaient convenir à un prince romain ; et trois Goths recommandables par leur mérite furent chargés d’inspirer à leur jeune roi les sentiments de l’honneur et de la vertu : mais lorsqu’un élève ne sent pas le prix des leçons de ses maîtres, il prend en aversion les gênes qu’ils lui imposent ; et la sollicitude d’Amalasonthe, que la tendresse rendait inquiète et sévère, aigrit le caractère indomptable de son fils et de ses sujets. Au milieu d’une fête solennelle, qui avait rassemblé les Goths dans le palais de Ravenne, le jeune prince se sauva de l’appartement de sa mère, en versant des larmes d’orgueil et de colère, et se plaignant d’un coup qu’il venait d’en recevoir comme châtiment de son opiniâtre désobéissance. Les Barbares s’indignèrent de l’affront fait à leur monarque ; ils accusèrent la régente de conspirer contre sa vie et sa couronne, et demandèrent avec hauteur qu’on arrachât le petit-fils de Théodoric à la lâche discipline des femmes et des pédants, et qu’on l’élevât comme un brave Goth, dans la société de ses égaux, et la glorieuse ignorance de ses ancêtres. Ces bruyantes clameurs, qu’on représentait comme la voix de la nation, forcèrent Amalasonthe à renoncer à ses principes et à ses désirs les plus chers. Le roi d’Italie fut abandonné au vin, aux femmes et à des amusements grossiers ; et le mépris que laissa éclater ce prince ingrat fit assez connaître les funestes desseins de ses favoris et des ennemis de sa mère. Amalasonthe, environnée d’ennemis domestiques, entama une négociation secrète avec l’empereur Justinien, qui lui promit de la recevoir dans sa cour d’une manière amicale ; elle avait déjà déposé à Dyrrachium, en Épire, un trésor de quatre-vingt mille marcs d’or. Il eût été heureux, pour sa gloire et pour sa sûreté, qu’elle se fût tranquillement éloignée d’une faction de Barbares pour jouir à Constantinople de la paix et d’un asile honorable : mais elle se laissa enflammer par l’ambition et la vengeance ; et tandis que ses vaisseaux mouillaient dans le port, elle attendait le succès d’un crime que ses passions lui présentaient comme un acte de justice. Sous le prétexte de donner un emploi de confiance à trois des mécontents les plus dangereux, elle les avait relégués séparément sur les frontières de l’Italie ; ses émissaires secrets les assassinèrent : la mort de ces Goths d’extraction noble la rendit maîtresse absolue dans le palais de Ravenne, et justement odieuse à un peuple libre. Elle avait déploré les désordres de son fils, et elle pleura bientôt sa mort. L’intempérante d’Athalaric termina sa carrière à seize ans : sa mère se vit privée alors de soutien, et sans autorité légale. Au lieu de se soumettre aux lois de son pays, où l’on regardait comme une maxime fondamentale que la succession ne peut jamais tomber de lance en quenouille, la fille de Théodoric conçut l’impraticable dessein de partager avec un de ses cousins les marques de la royauté, en se réservant réellement toute l’autorité. Celui-ci reçut la proposition d’Amalasonthe avec un profond respect et une feinte reconnaissance, et l’éloquent Cassiodore annonça au sénat et à l’empereur, qu’Amalasonthe et Théodat étaient montés sur le trône d’Italie. Fils d’une sœur de Théodoric, Théodat n’avait par sa naissance qu’un titre imparfait. Un des motifs du choix d’Amalasonthe fût le mépris qu’il lui inspirait par son avarice et sa pusillanimité, qui lui avaient fait perdre l’amour des Italiens et l’estime des Barbares : mais Théodat s’indigna de ce mépris qu’il méritait ; Amalasonthe avait réprimé et lui avait reproché les vexations qu’il exerçait contre les Toscans ses voisins ; et les principaux d’entre les Goths, unis par des torts et un ressentiment communs contre la reine, tâchèrent d’aiguillonner son caractère timide. Les lettres de félicitation étaient à peine expédiées, qu’on emprisonna la reine d’Italie dans une petite île du lac Bolsena[55], où, après une captivité de peu de durée, elle fut étranglée dans le bain par ordre ou de l’aveu du nouveau monarque, qui apprit à ses sujets factieux à verser le sang de leurs souverains.

Justinien voyait avec joie les dissensions des Goths ; la médiation dont il se chargea en qualité d’allier cachait et favorisait les vues ambitieuses du conquérant. Ses ambassadeurs, dans leur audience publique, demandèrent la forteresse de Lilybée, dix Barbares fugitifs, et un dédommagement pour le pillage d’une petite ville sur la frontière d’Illyrie ; mais ils négocièrent en secret avec Théodat pour l’engager à livrer la province de Toscane, et ils exhortaient Amalasonthe à se tirer de péril et d’embarras par une cession volontaire du royaume d’Italie. La reine captive se vit réduite à signer malgré elle une lettre servile et mensongère : mais l’aveu des sénateurs romains envoyés à Constantinople, fit connaître à l’empereur la situation déplorable où elle se trouvait ; et Justinien, par l’organe d’un nouvel ambassadeur, intercéda puissamment pour sa vie et sa liberté. Toutefois des instructions secrètes ordonnaient à ce ministre de servir la cruelle jalousie de Théodora ; qui craignait la présence et les charmes d’une rivale[56] : il hâta, par des paroles artificieuses et équivoques, l’exécution d’un crime si utile aux Romains[57], donna, en apprenant la mort de la reine, tous les signes de la douleur et de l’indignation, et annonça au nom de son maître une guerre immortelle contre ses perfides assassins. En Italie aussi bien qu’en Afrique, le crime d’un usurpateur semblait justifier l’agression de Justinien ; mais les troupes qu’il rassembla n’auraient pas suffi pour le renversement d’une puissante monarchie, si le nom, le courage et la conduite d’un héros, ne les eussent en quelque sorte multipliées. Une nombreuse troupe choisie de gardes à cheval, et armés de lances et de boucliers, était attachée à la personne de Bélisaire ; deux cents Huns, trois cents Maures et quatre mille confédérés, formaient sa cavalerie, et, il n’avait en infanterie que trois mille Isauriens. Prenant la même route que dans sa première expédition, le consul jeta l’ancre devant Catane, ville de Sicile, afin d’examiner la force de l’île, et de décider s’il essaierait de la conquérir, ou s’il continuerait paisiblement son voyage vers la côte d’Afrique. Il y trouva une terre fertile et un peuple ami. Malgré la décadence de l’agriculture, la Sicile approvisionnait toujours les greniers de Rome : ses cultivateurs n’étaient point assujettis aux quartiers militaires ; et les Goths, qui avaient confié la défense de l’île à ses habitants, eurent quelque raison de les accuser d’infidélité et d’ingratitude. En effet les Siciliens, au lieu de solliciter et d’attendre les secours du roi d’Italie, obéirent avec joie à la première sommation de l’ennemi ; et cette province, le premier fruit des guerres puniques, se trouva réunie à l’empire romain, après en avoir été séparée longtemps[58]. Palerme, défendue par une garnison de Goths, opposa seule de la résistance ; mais elle fut bientôt prise par un singulier moyen. Bélisaire introduisit ses vaisseaux dans la partie du havre la plus voisine de la ville. Ses chaloupes, hissées au sommet de ses mâts de hune, furent remplies d’archers qui, de cette position élevée, dominaient les remparts de la place. A la fin de cette heureuse campagne, qui avait coûté si peu de peine, il entra en triomphe dans Syracuse, à la tête de ses troupes, le dernier jour de son consulat, qu’il terminait ainsi d’une manière bien glorieuse, et il distribua au peuple des médailles d’or. Il passa l’hiver dans le palais des anciens rois, au milieu des ruines d’une cité grecque qui s’était étendue autrefois à une circonférence de vingt-deux milles[59] : mais au printemps, vers les fêtes de Pâques, une révolte dangereuse en Afrique interrompit le cours de ses desseins. Carthage, où il débarqua tout à coup avec mille de ses gardes, fut sauvée par sa présence. Deux mille soldats d’une fidélité suspecte revinrent sous le drapeau de leur ancien général ; et, se mettant en route au même instant, il fit plus de cinquante milles pour chercher un ennemi qu’il affectait de plaindre et de mépriser. Huit mille rebelles, tremblants à son approche, furent mis en déroute à la première charge par l’habileté de leur maître ; et une ignoble victoire aurait rétabli la paix en Afrique, si Bélisaire n’eût pas été rappelé précipitamment en Sicile pour y apaiser une révolte qui s’était élevée dans son camp[60]. Le désordre et la désobéissance étaient la maladie de cette époque ; les talents du commandement et les vertus de l’obéissance n’existaient plus que dans le seul Bélisaire.

Quoique Théodat descendît d’une race de héros, il ignorait l’art de la guerre, et il craignait les dangers. Quoiqu’il eût étudié les écrits de Platon et de Cicéron, la philosophie n’avait pas eu le pouvoir de purifier son cœur des passions les plus basses, l’avarice et la peur. L’ingratitude et un assassinat l’avaient élevé sur le trône : à la première menace de l’ennemi, il avilit sa majesté et celle de sa nation, qui déjà dédaignait cet indigne souverain. Effrayé par l’exemple récent de Gelimer, il se voyait déjà chargé de chaînes et traîné au milieu de Constantinople : l’éloquence de Pierre, envoyé de l’empereur, accroissait la terreur qu’inspirait Bélisaire ; et cet audacieux et adroit ambassadeur lui persuada de signer une convention trop ignominieuse pour devenir le fondement d’une paix durable. On stipula que, dans les acclamations du peuple romain, le nom de l’empereur précéderait toujours celui du roi des Goths, et que toutes les fois qu’on élèverait à Théodat une statue en bronze ou en marbre, la divine image de Justinien serait placée à sa droite. Le roi d’Italie, qui jusqu’alors avait nommé les sénateurs fut réduit à solliciter les honneurs du sénat ; on déclarât que, sans l’aveu de l’empereur, il ne pourrait faire exécuter un arrêt de mort ou de confiscation contre un prêtre ou un sénateur. Le faible monarque renonça à la Sicile ; il promit d’offrir chaque année, pour marque de sa dépendance, une couronne d’or du poids de trois cents livres ; il promit, de plus, de fournir, à la réquisition de son souverain, trois mille auxiliaires au service de l’empire. Après un pareil succès, l’agent de Justinien, satisfait de ces extraordinaires concessions, s’empressa de retourner à Constantinople ; mais à peine était-il arrivé sur le territoire d’Albe[61], qu’il fut rappelé par l’inquiétude de Théodat, et le dialogue qui eût lieu entre le roi et l’ambassadeur mérite d’être conservé dans toute sa simplicité. Pensez-vous que l’empereur ratifie le traité ?Peut-être. — S’il ne veut pas le ratifier, qu’en arrivera-t-il ?La guerre. — Une pareille guerre serait-elle juste et raisonnable ?Assurément, chacun agirait d’après son caractère. — Que voulez- vous dire ?Vous êtes philosophe, et Justinien est empereur des Romains : il siérait mal à un disciple de Platon de verser le sang des hommes pour sa querellé particulière ; le successeur d’Auguste soutiendrait ses droits et recouvrerait par les armes les anciennes provinces de son empire. Ce raisonnement pouvait ne pas convaincre, mais il suffisait pour alarmer et subjuguer la faiblesse de Théodat ; et il ne tarda pas à déclarer que pour une misérable pension de quarante-huit mille livrés sterling, il résignerait le royaume des Goths et des Italiens, et se livrerait, le reste de ses jours, aux innocents plaisirs de la philosophie et de l’agriculture. Il confia les deux traités à l’ambassadeur ; après avoir pris la vaine précaution de lui faire promettre, sous serment, à ne montrer le second que lorsqu’on aurait rejeté le premier. Il est aise de prévoir, ce qui arriva. Justinien demanda et accepta l’abdication du roi des Goths. Son infatigable émissaire revint de Constantinople à Ravenne avec d’amples instructions. Une belle épître, qui louait la sagesse et la générosité du roi philosophe, accorda la pension : on promit tous les honneurs dont pourrait jouir un sujet et un catholique, et on renvoya sagement l’exécution définitive du traité au moment où il serait appuyé par la présence et l’autorité de Bélisaire. Mais sur ces entrefaites, deux généraux romains, qui étaient entrés dans la province de Dalmatie, furent battus et massacrés par les Goths. L’aveugle et lâche désespoir de Théodat fit place à une présomption qui lui devint funeste[62] ; il osa menacer et traiter avec mépris l’ambassadeur de Justinien, qui, réclama les paroles données, demanda le serment des sujets, et soutint fièrement l’inviolable privilège de son caractère. La marche de Bélisaire dissipa cet accès et ces chimères de l’orgueil ; et la réduction de la Sicile ayant employé la première campagne[63], Procope fixe l’invasion de l’Italie à la seconde année de la guerre des Goths[64].

Bélisaire, après avoir laissé des garnisons suffisantes à Palerme et à Syracuse, embarqua ses soldats à Messine, et les débarqua sans résistance à Reggio, sur le bord opposé. Un prince goth, qui avait épousé la fille de Théodat, gardait cette entrée de l’Italie, à la tête d’une armée ; mais il imita sans scrupule un souverain qui manquait à ses engagements publics et particuliers. Le perfide Ebermor passa avec ses troupes dans le camp des Romains, et on l’envoya à Byzance jouir des serviles honneurs de la cour[65]. La flotte et l’armée avancèrent jusqu’à Naples, sans se perdre presque jamais de vue pendant une route de près de trois cents milles sur le rivage de la mer. Les peuples du Bruttium, de la Lucanie et de la Campanie, qui abhorraient le nom et la religion des Goths, favorisèrent les Romains, sous prétexte que leurs murailles ruinées ne pouvaient se défendre ; les soldats payaient exactement les abondantes provisions qui leur étaient fournies, et la curiosité seule interrompit les paisibles travaux du laboureur ou de l’artisan. Naples, qui est devenue une grande capitale très peuplée, avait gardé longtemps la langue et les mœurs d’une colonie grecque[66] ; et le choix de Virgile avait donné de la réputation à cette agréable retraite, où les amants du repos et de l’étude allaient respirer loin du bruit, de la fumée et de la pénible opulence de Rome[67]. Aussitôt que la place fut investie par mer et par terre ; Bélisaire reçut les députés du peuple, qui lui conseillèrent de ne pas s’occuper d’une conquête indigne de ses armes, d’attaquer le roi des Goths en bataille rangée,et après la victoire, de réclamer, comme souverain de Rome, la fidélité des villes qui en dépendaient : Lorsque je traite avec mes ennemis, répondit le général romain avec un sourire dédaigneux, je suis plus accoutumé à donner qu’à recevoir des conseils : au reste je tiens d’une main la ruine de Naples, et de l’autre, la paix et la liberté telles que je les ai accordées à la Sicile. La crainte des délais l’engagea à proposer les conditions les plus avantageuses. Son honneur en était le garant ; mais deux factions divisaient Naples : l’esprit de la démocratie grecque y était encore exalté par les discours des orateurs, qui représentaient aux citoyens, avec beaucoup d’énergie et quelque vérité, que les Goths puniraient leur défection, et que Bélisaire lui-même estimerait leur loyauté et leur valeur. Leurs délibérations toutefois n’étaient pas complètement libres : huit cents Barbares, dont les femmes et les enfants étaient retenus à Ravenne, comme gages de leur fidélité, dominaient dans la ville ; et les Juifs, riches et en grand nombre, résistaient avec le désespoir du fanatisme à la domination intolérante de Justinien. Naples, même à une époque beaucoup plus récente[68], n’offrait pas plus de deux mille trois cent soixante-trois pas de circonférence[69] ; des précipices et la mer défendaient les fortifications : lorsque l’ennemi était maître des aqueducs, des puits et des fontaines fournissaient de l’eau, et la place avait assez de provisions pour mettre à bout la patience des assiégeants. Un siège de vingt jours épuisa presque celle de Bélisaire ; il s’accoutumait à l’idée mortifiante d’abandonner le siège, afin de pouvoir marcher, avant l’hiver, contre Rome et le roi des Goths ; mais il fut tiré d’embarras par la curiosité audacieuse d’un Isaurien, qui, ayant reconnu le canal desséché d’un aqueduc, rapporta qu’on pouvait s’y frayer un passage et introduire dans le centre de la place une file de soldats armés. On travailla secrètement à l’ouverture ; et lorsqu’elle fut achevée, le général, plein d’humanité, voulut, au risque de faire soupçonner son secret, avertir encore une fois les assiégés du danger qui les menaçait. Ses remontrances n’étant pas écoutées, quatre cents Romains pénétrèrent dans l’aqueduc au milieu des ténèbres de la nuit ; à l’aide d’une corde attachée à un olivier, ils arrivèrent dans la maison ou le jardin d’une femme qui vivait seule ; ils firent sonner leurs trompettes, surprirent les sentinelles, et firent entrer leurs camarades, qui escaladèrent les murs de tous les côtés et enfoncèrent les portes de la ville. Par une suite du droit de la guerre, on commit tous les crimes que punit la justice dans l’état ordinaire de la société ; les Huns se distinguèrent par leurs cruautés et leurs sacrilèges ; et Bélisaire fut le seul qui se montra dans les rues et les églises pour diminuer les malheurs dont il avait menacé les habitants. L’or et l’argent, s’écria-t-il, à diverses reprises, vous appartiennent à juste titre comme une récompense de votre valeur ; mais épargnez les habitants ; ils sont chrétiens, ils sont soumis, ils sont vos concitoyens. Rendez les enfants à leurs pères, les femmes à leurs maris, et que votre générosité leur apprenne de quels amis ils se sont obstinément privés. Les vertus et l’autorité du conquérant sauvèrent la ville[70], et lorsque les Napolitains revinrent chez eux, ils éprouvèrent quelque consolation à retrouver les trésors qu’ils avaient cachés. Les Barbares qui composaient la garnison entrèrent au service de l’empereur. La Pouille et la Calabre, délivrées de l’odieuse présence des Goths, reconnurent son empire ; et l’historien de Bélisaire a soin de décrire les dents du sanglier de Calydon ; qu’on montrait encore à Bénévent[71].

Les citoyens et la fidèle garnison de Naples avaient attendu vainement, leur délivrance d’un prince qui parut spectateur inactif et presque indifférent de leur ruine. Théodat se renferma dans les murs de Rome ; sa cavalerie s’était portée quarante milles en avant se la voie Appienne, et campait au milieu des marais Pontins, qu’un canal de dix-neuf milles de longueur avait récemment desséchés et convertis en excellents pâturages[72] ; mais les principales forces des Goths se trouvaient répandues dans la Dalmatie, la Vénétie et la Gaule ; et leur faible monarque fut consterné par un présage funeste qui semblait annoncer la chute de son empire[73]. Les plus vils esclaves savent s’élever contre le crime ou la faiblesse d’un maître tombé dans l’infortune. Oisifs dans leur camp, des Barbares qui sentaient leurs privilèges et leur puissance, scrutèrent avec rigueur le caractère de Théodat ; ils le déclarèrent indigne de sa race, de sa nation et de son trône ; et Vitigès, leur général, qui avait signalé sa valeur dans les guerres d’Illyrie, fut proclamé sur le bouclier avec des applaudissements unanimes. À la première nouvelle de cette révolution, Théodat prit la fuite pour échapper à la justice de ses sujets ; mais il était poursuivi par la vengeance d’un individu. Un Goth, qu’il avait outragé dans ses amours, l’atteignit sur la voie Flaminienne, et, sans égard pour les cris efféminés de son roi, le massacra au moment où le prince se prosternait, dit Procope, comme une victime au pied des autels. Le choix du peuple est le titre le meilleur et le plus pur qu’on puisse avoir pour le gouverner ; mais telle est la prévention de tous les siècles, que Vitigès désirait vivement de retourner à Ravenne, afin d’obtenir, en forçait la fille d’Amalasonthe à l’épouser malgré elle, quelque faible apparence d’un droit héréditaire. On tint sur-le-champ un conseil national, et le nouveau monarque obtint du courage impatient de ses soldats de se soumettre à un parti humiliant, mais dont la mauvaise conduite de son prédécesseur faisait une indispensable mesure de prudence. Les Goths consentirent à se retirer devant un ennemi victorieux, à différer jusqu’au printemps les opérations d’une guerre offensive, à réunir leurs forces dispersées, à abandonner leurs possessions lointaines, et à livrer Rome elle-même à la fidélité de ses habitants, On y laissa quatre mille hommes commandés par Leuderis, guerrier avancé en âge. Une si faible garnison pouvait seconder le zèle des Romains ; mais elle était hors d’état de résister à leur volonté. Saisis d’un accès de fanatisme religieux et patriotique, ils s’écrièrent avec fureur qu’on ne devait plus voir l’arianisme triomphant, ou même toléré auprès du trône apostolique ; que les sauvages du Nord ne devaient pas fouler aux pieds le tombeau des Césars ; et, sans songer que l’Italie allait devenir une province de l’empire de Constantinople, ils proclamèrent d’une voie enthousiaste le rétablissement d’un empereur romain, comme une nouvelle époque de liberté et de bonheur. Les députés du pape et du clergé, du sénat et du peuple, invitèrent le lieutenant de Justinien à venir recevoir leur serment volontaire de fidélité, et à entrer dans leur ville, dont les portes seraient ouvertes pour le recevoir. Bélisaire, après avoir fortifié ses nouvelles conquêtes, Naples et Cumes, s’avança d’environ vingt milles sur les bords du Vulturne : il contempla les restes de la grandeur de Capoue, et s’arrêta au point de jonction des voies Latine et Appienne. Apres neuf siècles d’un passage continuel, ce dernier chemin, ouvrage du censeur Appius, conservait encore sa première beauté ; on n’eût pas découvert un défaut dans les grandes pierres polies et fermement unies qui assuraient la durée de cette route étroite, mais admirable par sa solidité[74]. Bélisaire toutefois préféra la voie Latine, qui, plus éloignée de la mer et des marais, se prolongeait au pied des montagnes, sur un espace de cent vingt milles. Ses ennemis avaient disparu au moment ou il entrait dans Rome par la porte Asinaire, la garnison s’éloignait, sans être inquiétée, par la voie Flaminienne ; et, après soixante années de servitude, cette ville fût délivrée du joug des Barbares. Leuderis seul, soit orgueil, soit mécontentement, refusa de suivre les fuyards ; et le général goth, trophée de la victoire, fut envoyé avec les clefs de Rome au pied du trône de l’empereur Justinien[75].

Les premiers jours, qui se trouvaient coïncider avec l’époque des anciennes Saturnales furent consacrés aux félicitations et à la joie publique, et les catholiques se disposèrent à célébrer sans rivaux la naissance de Jésus-Christ. Les Romains purent acquérir dans l’entretien d’un héros quelques notions des vertus que l’Histoire attribuait à leurs aïeux. Ils furent édifiés du respect qu’il montra pour le successeur de saint Pierre, et sa discipline sévère les fit jouir, au milieu de la guerre, de tous les bienfaits de la justice et de la tranquillité. Ils applaudirent au rapide succès de ses armes, qui subjuguèrent le pays des environs, jusqu’à Narni, Pérouse et Spolette ; mais le sénat, le clergé et un peuple sans courage, furent saisis d’effroi en voyant toutes les forces de la monarchie des Goths disposées à les assiéger, et le général décidé à soutenir le siège. Vitigès avait fait ses préparatifs avec activité durant l’hiver. Les Goths, abandonnant leurs habitations rustiques et leurs garnisons éloignées, s’assemblèrent à Ravenne pour la défense de la patrie ; et tel était leur nombre, qu’après avoir envoyé une armée au secours de la Dalmatie, cent cinquante mille combattants marchèrent encore sous l’étendard royal. Vitigès, selon les divers degrés du rang ou du mérite, distribua des armes et des chevaux, des présents et de grandes promesses. Il suivit la voie Flaminienne, ne voulant pas tenter l’inutile conquête de Pérouse et de Spolette, ni le siège de l’imprenable rocher de Narni, et il se trouva bientôt à deux milles de Rome, près du pont Milvius. Une tour le défendait, et Bélisaire avait calculé qu’il faudrait vingt jours pour construire un autre pont ; mais l’épouvante des soldats de la tour, dont les uns prirent la fuite et les autres désertèrent, dérangea ses calculs, et l’exposa lui-même au danger le plus imminent. Il était sorti par la porte Flaminienne, escorté de mille cavaliers, pour marquer une position avantageuse, et reconnaître le camp des Barbares ; il les croyait encore de l’autre côté du Tibre, lorsqu’il se vit tout à coup environné et assailli par leurs innombrables escadrons. Le sort de l’Italie dépendait de ses jours ; et les déserteurs ayant indiqué un cheval bai[76] à tête blanche, qu’il montait dans cette mémorable journée, on entendit retentir de tous côtés ce cri : Visez au cheval bai ! Tous les arcs furent tendus, toutes les javelines furent dirigées contre lui, et des milliers de soldats répétèrent et suivirent cet ordre, dont ils ignoraient le motif. Les plus hardis d’entre les Barbares chargèrent d’une maniéré plus glorieuse avec l’épée et la lance ; et les éloges de l’ennemi ont honoré la mort de Visandus, le porte-étendard[77], qui se tint au premier rang jusqu’au moment où il fut percé de treize coups, peut-être par Bélisaire lui-même. Le général romain était rempli de force d’activité et d’adresse ; il faisait tomber de tous côtés autour de lui des coups pesants et mortels ; ses gardes fidèles imitaient sa valeur et défendaient sa personne ; et les Goths, après avoir laissé mille morts sur le champ de bataille, prirent la fuite devant le héros. La Troupe de Bélisaire voulut imprudemment les poursuivre jusqu’à leur camp ; mais, accablée par le nombre, elle recula d’abord peu à peu, et se retira ensuite à pas précipités sous les portes de la ville : ces portes étaient fermées, et le bruit que Bélisaire avait été tué augmentait la terreur publique. La sueur, la poussière et le sang, le rendaient méconnaissable ; sa voix était rauque et sa force presque épuisée ; mais il conservait sa valeur indomptable, il la communiqua à ses soldats découragés ; et telle fut leur dernière charge, que les Barbares, prenant la fuite à leur tour, crurent qu’une nouvelle armée était sortie de la ville. La porte Flaminienne s’ouvrit pour un véritable triomphe ; toutefois la femme et les amis de Bélisaire ne purent lui persuader de prendre de la nourriture ni du repos, que lorsqu’il eut visité tous les postes et pourvu à la sûreté publique. Aujourd’hui que l’art de la guerre a fait des progrès, on demande ou même on permet rarement au général de déployer la valeur d’un soldat ; et il faut ajouter l’exemple de Bélisaire aux exemples peu communs de Henri IV, de Pyrrhos et d’Alexandre.

Après avoir éprouvé, pour la première fois et d’une manière si fâcheuse, à quels ennemis ils avaient affaire, les Goths passèrent le Tibre et formèrent le siège de Rome, qui dura plus d’une année. Quelque étendue que l’imagination ait pu donnée à la ville de Rome, sa circonférence, mesurée avec exactitude, était de douze milles trois cent quarante cinq pas  ; et si l’on excepte le côté du Vatican, où elle s’est étendue par la suite cette circonférence a toujours été là même depuis le triomphe d’Aurélien jusqu’au règne paisible, et obscur de ses derniers papes[78] : mais aux jours de sa grandeur, tous les quartiers étaient pleins d’édifices et d’habitants ; et les faubourgs populeux qui se prolongeaient sur les bords des chemins publics, formaient autant de rayons qui partaient d’un centre commun. L’adversité, avait alors fait disparaître les ornements accessoires, et avait laissé nue et déserte une grande partie des sept collines. Rome pouvait fournir trente mille combattants[79], et quoiqu’ils ne fussent ni disciplinés ni exercés, la plupart d’entre eux, endurcis aux maux de la pauvreté étaient en état de porter les armes pour la défense de leur pays et de leur religion. La prudence de Bélisaire ne négligea pas cette importante ressource : le zèle et l’activité du peuple soulageaient ses soldats ; tandis qu’ils dormaient ou se reposaient, les habitants montaient la garde ou travaillaient : il accepta le service volontaire des plus braves et des plus indigents des jeunes Romains ; et les compagnies bourgeoises remplirent souvent des postes d’où l’on avait tiré les soldats pour des services plus importants. Mais il comptait principalement sur les vétérans qui avaient combattu sous lui dans les guerres de Perse et d’Afrique ; et quoique cette brave troupe fût réduite à cinq mille hommes, il résolut, avec des forces si peu considérables, de défendre un cercle de douze milles contre une armée de cent cinquante mille Barbares. Il construisit ou répara les murs de Rome, où l’on distingue encore les matériaux de l’ancienne architecture[80], et des fortifications environnèrent toute la ville, si l’on en excepte un espace qu’on distingue encore entre la porte Pincia et la porte Flaminia ; et que les préjugés des Goths et des Romains laissèrent sous la garde de l’apôtre saint Pierre[81]. Les créneaux ou les bastions présentaient des angles aigus ; un fossé large et profond défendait le pied du rempart, et les archers qui garnissaient les créneaux tiraient des secours de plusieurs machinés de guerre, telles que la baliste, arc énorme qui lançait des corps très lourds, et des onagres, ou ânes sauvages, lesquels, à la manière de la fronde, jetaient des pierres et des boulets d’une grosseur prodigieuse[82]. Une chaîne fermait le Tibre ; les arceaux des aqueducs furent bouchés, et le môle ou sépulcre d’Adrien servit pour la première fois de citadelle[83]. Ce respectable édifice, qui contenait la cendre des Antonins, offrait une tour ronde, élevée, sur une base quadrangulaire ; il était couvert de marbre blanc de Paros, et orné de statues des dieux et des héros ; et l’amateur des arts apprendra avec douleur que les chefs-d’œuvre de Praxitèle ou de Lysippe furent arrachés de leurs piédestaux et jetés sur les assiégeants[84]. Bélisaire donna à chacun de ses lieutenants la garde d’une porte, et prit la sage précaution de leur ordonner expressément quelle que fût l’alarme, de se tenir fermes à défendre leurs postes respectifs, et de se confier à leur général pour la sûreté de Rome. L’armée redoutable des Goths ne suffisait pas pour embrasser toute la circonférence de cette ville : ils n’investirent que sept des quatorze portes, depuis la porte de Préneste jusqu’à la voie Flaminienne, et Vitigès forma six camps, dont chacun était fortifié d’un fossé et d’un rempart. Il établit ensuite, du côté du Tibre qui est vers la Toscane un septième camp, au milieu du terrain ou du cirque du Vatican ; il voulait avec celui-ci dominer le pont de Milvius et le cours du Tibre ; mais il n’approcha qu’avec dévotion de l’église de Saint-Pierre, et tout le temps du siège de Rome, la résidence des saints apôtres fut respectée par un ennemi chrétien. Dans les siècles de victoire, toutes les fois que le sénat de Rome ordonnait la conquête d’un pays éloigné, le consul, pour annoncer la guerre, ouvrait solennellement les portes du temple de Janus[85]. Les hostilités se passant sous les murs de la ville, un pareil avis devenait superflu ; et cette cérémonie était tombée par l’établissement d’une  nouvelle religion. Le temple d’airain de Janus était encore débout dans le Forum ; son étendue était occupée tout entière par la statue du dieu représenté sous une figure humaine de cinq coudées de hauteur, ayant deux visages, l’un tourné vers l’orient et l’autre vers l’occident. Ses doubles portes étaient aussi d’airain, et par les vains efforts qui furent faits pour les mouvoir sur leurs gonds rouillés, on apprit avec scandale que quelques Romains demeuraient attachés à la superstition de leurs aïeux.

Les assiégeants employèrent dix-huit jours à se procurer toutes les machines d’attaque qu’avaient inventées les anciens. Ils préparèrent des fascines pour remplir les fossés, et des échelles pour monter sur les murs : les plus gros arbres de la forêt fournirent le bois de quatre béliers ; leur tête était armée de fer ; ils étaient suspendus par des cordes et cinquante hommes les faisaient agir. Des tours élevées marchaient sur des roues ou des cylindres, et formaient une plate-forme spacieuse, au niveau du rempart. Le matin du dix-neuvième jour les Goths firent une attaque générale, depuis la porte de Préneste jusqu’au Vatican ; sept de leurs colonnes s’avancèrent à l’assaut, précédées de leurs machines ; et les Romains qui garnissaient le rempart, entendirent avec trouble et avec inquiétude les joyeuses assurances de leur général. Dès que l’ennemi approcha à fossé, Bélisaire lança le premier trait ; et telle était sa force et son adresse, qu’il perça d’outre en outre celui des chefs des Barbares qui se trouvait le plus en avant. Un cri d’applaudissement et de victoire retentit le long de la muraille. Il tira un second trait qui eut le même succès, et qui fût suivi des mêmes acclamations. Il ordonna ensuite aux archers de tirer sur les attelages de bœufs, qui à l’instant furent couverts de mortelles blessures : les tours qu’ils portaient devinrent immobiles, sans qu’on pût s’en servir ; et un seul instant suffit pour déconcerter les laborieux projets du roi des Goths. Vitigès, toutefois, pour détourner l’attention de l’ennemi, continua ou feignit de continuer l’assaut du côté de la porte Salarienne, tandis que ses principales forces attaquaient, avec plus d’ardeur, la porte de Preneste et le sépulcre d’Adrien, placés à trois milles l’un de l’autre. Près de la porte de Préneste, le double mur du vivarium[86] se trouvait peu élevé ou rompu, et les fortifications du môle d’Adrien étaient faiblement gardées : l’espoir de la victoire et du butin animait les Goths ; et si un seul poste eût cédé, les Romains et Rome elle-même étaient perdus. Cette journée si périlleuse fut la plus glorieuse de la vie de Bélisaire. Au milieu du tumulte et de l’effroi général, il ne perdit pas un moment de vue le plan de l’attaque et de la défense, observa toutes les vicissitudes de l’assaut, calcula tous les avantages possibles, se porta dans tous les endroits où il y avait du péril, et ses ordres calmes et décisifs donnaient du courage à ses soldats. On se battit opiniâtrement depuis le matin jusqu’au soir : les Goths furent repoussés de toutes parts ; et si le mérite du général n’eût pas contrebalancé la disproportion qui se trouvait entre le nombre des assaillants et celui des assiégés, chaque Romain eût pu se glorifier d’avoir vaincu trente barbares. Les chefs des Goths avouèrent que cette action meurtrière avait coûté la vie à trente mille de leurs soldats, et il y en eut un pareil nombre de blessés. Lorsqu’ils avaient commencé l’attaque, dans cette foule tumultueuse, aucun des traits des Romains n’avait pu tomber sans effet ; et quand ils se retirèrent, la populace de la ville se rejoignit aux vainqueurs et chargea sans danger le dos des fuyards. Bélisaire au même instant sortir des portes ; ses soldats, en chantant son nom et sa victoire, réduisirent en cendres les machines de l’ennemi. La perte et la consternation des Goths furent telles, que depuis cette journée le siége de Rome dégénéra en un languissant et ennuyeux blocus : ils étaient harcelés sans cesse par le général romain, qui, dans ses fréquentes escarmouches, tua plus de cinq mille de leurs plus valeureux soldats. Leur cavalerie ne savait point se servir de l’arc, leurs archers servaient à pied ; et leurs forces ainsi divisées ne pouvaient lutter contre leurs adversaires, dont les lances et les traits étaient également formidables de près où de loin. L’habileté de Bélisaire profitait de toutes les occasions favorables ; et comme il choisissait les positions et les moments, qu’il pressait la charge[87] ou faisait sonner la retraite, les escadrons qu’il détachait manquaient rarement de succès. Ces petits avantages remplissaient d’une ardeur impatiente les soldats et le peuple, qui commençaient à sentir les maux d’un siège, et à ne plus craindre les périls d’une action générale. Chaque plébéien se croyait un héros ; et l’infanterie, qu’on rejetait de la ligne de bataille depuis la décadence de la discipline, aspirait aux anciens honneurs de la légion romaine. Bélisaire loua la valeur de ses troupes désapprouva leur présomption, céda à leurs clameurs, et prépara les moyens, de réparer une défaite que lui seul avait le courage de regarder comme possible. Les Romains eurent le dessus dans le quartier du Vatican, et s’ils n’avaient perdu dans le pillage du camp des instants irréparables, ils se seraient emparés du pont Milvius, et auraient attaqué les derrières de l’armée des Goths. Bélisaire s’avançait de l’autre côté du Tibre, sortant des portes Pincienne et Salarienne ; mais le petit nombre de Ses troupes, qui peut-être n’excédait pas quatre mille hommes, se trouvait comme perdu dans une plaine spacieuse : elles furent environnées et accablées par des corps frais qui venaient relever sans cesse les rangs des Barbares qu’on mettait en déroute. Les braves chefs de son infanterie n’étaient pas encore formés à la victoire, ils surent mourir ; la retraite, faite avec précipitation, fût couverte par la prudence du général, et les vainqueurs reculèrent d’effroi à la vue des guerriers qui garnissaient le rempart. Cette défaite ne nuisit point à la réputation de Bélisaire, et la vaine confiance des Goths ne fut pas moins utile à ses desseins que le repentir et la modestie des troupes romaines.

Du moment, où Bélisaire avait résolu de soutenir un siège, il avait cherché, par des soins assidus, à garantir Rome de la famine, plus terrible que les armes des Goths. Il fit venir de la Sicile un secours extraordinaire de grains ; il enleva, pour le service de la capitale, les récoltés de la Campanie et de la Toscane ; et la puissante raison de la sûreté publique le força d’attenter à la propriété particulière. Il était facile de prévoir que l’ennemi s’emparerait des aqueducs : bientôt les moulins à eau furent arrêtés ; mais on établit sur le courant de la rivière de gros navires auxquels on adapta des meules de moulin. Son lit fut ensuite embarrassé de troncs d’arbres et souillé de cadavres ; toutefois les précautions de Bélisaire furent si heureuses, que les eaux du Tibre continuèrent à tenir les moulins en activité et à fournir une boisson aux habitants ; les puits étaient une ressource pour les quartiers éloignés, et une ville assiégée pouvait souffrir sans impatience la privation des bains publics. Une partie considérable de Rome, celle qui s’étend depuis la porte de Préneste jusqu’à l’église de Saint-Paul, ne fut jamais investie par les Goths ; l’activité des Maures réprima leurs excursions : la navigation du Tibre, la voie Latine, les voies Appienne et Ostienne demeuraient libres ; on introduisit par là dans la place du bétail et des grains ; et c’est par là que se retirèrent ceux des habitants qui cherchèrent à asile dans la Campanie ou la Sicile ; Bélisaire, voulant se débarrasser d’une multitude qui ne servait qu’à affamer la place, fit sortir les femmes, les enfants et les esclaves ; il ordonna à ses soldats de renvoyer toutes les personnes des deux sexes qui se trouvaient à leur suite, et déclara qu’on leur donnerait en nature la moitié de leur ration., et le reste en argent. Du moment où les Goths eurent occupé deux postes importants situés aux environs des murs, la détresse qui en fut la suite, justifia bien sa prévoyance. La perte du port, ou, comme on l’appelle maintenant, de la ville de Porto, le priva des ressources du pays qui était à la droite du Tibre, et lui enleva la meilleure communication qu’il eût avec la mer. Il vit avec douleur et avec colère que s’il eût pu se priver de trois cents hommes pour les y envoyer, une si faible troupe aurait suffi pour défendre les imprenables fortifications de cette place. A sept milles de la capitale, entre la voie Latine et la voie Appienne, deux aqueducs principaux qui se croisaient et se croisaient une seconde fois à quelque distance du premier point d’intersection, renfermaient un espace défendu par leurs arceaux solides et élevés[88], où Vitigès établit un camp de sept mille Goths, afin d’intercepter les convois de la Sicile et de la Campanie. Les magasins de Rome s’épuisèrent insensiblement ; le pays d’alentour avait été dévasté par le feu et la flamme ; et la quantité peu considérable de provisions qu’on obtenait par des courses faites à la hâte, servait de récompense à la valeur et était achetée par les riches ; le fourrage ne manqua jamais aux chevaux ; ni le pain aux soldats ; mais, dans les derniers mois du siège, le peuple fut exposé à tous les maux de la disette ; il eut à supporter une nourriture malsaine[89] et des maladies contagieuses. Bélisaire eut pitié des souffrances des Romains, mais il avait prévu et il surveilla avec soin l’incertitude de leur fidélité et les progrès de leur mécontentement. L’adversité avait éveillé les Romains de leurs rêves de grandeur et de liberté, et leur avait fait sentir cette humiliante vérité, qu’il était à peu près indifférent à leur bonheur que le nom de leur maître vint de la langue des Goths ou de celle des Latins. Le lieutenant de Justinien écouta leurs justes plaintes, mais il rejeta avec dédain l’idée d’une fuite ou d’une capitulation ; il réprima les clameurs qui lui demandaient une bataille ; il les amusa, et leur annonça que bientôt ils recevraient des secours ; et il eut soin de se prémunir contre les effets de leur désespoir ou de leur perfidie. Il changeait deux fois par mois les officiers à qui la garde des portes était confiée ; il multiplia les patrouilles, les mots du guet, les fanaux et la musique, pour découvrir tout ce qui se passait, sur les rempart ; il plaça au-delà du fossé des gardes avancées, et la vigilance d’un grand nombre de chiens suppléa à la fidélité plus douteuse des hémines. On intercepta une lettre où l’on assurait le roi des Goths qu’on ouvrirait secrètement à ses troupes la porte Asinaire, voisine de l’église de Saint-Jean-de-Latran. Plusieurs sénateurs, convaincus ou soupçonnés de trahison, furent bannis, et le pape Silvère eut ordre d’aller répondre au représentant de son souverain à son quartier général palais Pincius[90]. Les ecclésiastiques qui suivirent leur évêque furent retenus dans le premier ou le second appartement[91], et le pape seul fut admis à l’audience de Bélisaire. Le vainqueur de Rome et de Carthage était modestement assis aux pieds d’Antonina, couchée sur un lit magnifique : le général se tut ; mais son impérieuse épouse chargea le pontife de reproches et de menaces. Accusé par des témoins dignes de foi et par sa propre signature, le successeur de saint Pierre fut dépouillé de ses ornements pontificaux, revêtu d’un habit de moine ; on l’exila dans un coin de l’Orient, et on le fit partir tout de suite. Le clergé de Rome procéda, par l’ordre de l’empereur, au choix d’un nouvel évêque ; et après qu’on eut invoqué solennellement le Saint-Esprit, on élut le diacre Vigile ; qui avait payé le trône pontifical au prix de deux cents livres d’or. Le profit, et par conséquent le crime de cette simonie, fut imputé à Bélisaire ; mais le héros obéissait aux volontés de sa femme ; Antonina servait les passions de l’impératrice, et Théodora prodigua des trésors, dans la vaine espérance d’obtenir un pape opposé, ou indifférent au concile de Chalcédoine[92].

Bélisaire instruisit l’empereur de ses victoires, de ses dangers et de sa résolution. Selon vos ordres, lui dit-il, nous sommes entrés dans le pays des Goths, et nous avons soumis à votre empire la Sicile, la Campanie et la ville de Rome ; mais la perte de ces avantages serait plus déshonorante que leur acquisition n’a été glorieuse. Jusqu’ici nous avons triomphé de la multitude des Barbares ; mais leur multitude peut à la fin l’emporter. La victoire est un bienfait du ciel ; mais la réputation des rois et des généraux dépend du succès ou de la mauvaise réussite de leurs desseins. Permettez-moi de vous parler avec liberté : si vous voulez que nous vivions, envoyer-nous des subsistances ; si vous voulez que nous soyons vainqueurs, envoyez-nous des armes, des chevaux et des hommes. Les Romains nous ont reçus comme des amis et des libérateurs ; mais telle est notre détresse, que leur confiance les perdra, ou que nous serrons les victimes de leur perfidie et de leur haine. Quant à moi, ma vie est dévouée à votre service ; c’est à vous de voir si dans cette position ma mort contribuera à la gloire, et à la prospérité de votre règne. Ce règne aurait peut-être joui de la même prospérité, quand le paisible souverain de l’Orient se fût abstenu de la conquête de l’Afrique et de l’Italie ; mais comme Justinien aspirait à la renommée, il fit quelques faibles et languissants efforts pour secourir et sauver son général victorieux ; celui-ci reçut un renfort de seize cents Esclavons et Huns, conduits par Martin et Valérien ; ils s’étaient reposés durant tout l’hiver dans les havres de la Grèce, en sorte que les hommes ni les chevaux ne se ressentaient nullement de la fatigue d’un voyage maritime, et que ces troupes se distinguèrent par leur valeur dans la première sortie contre les assiégeants. Vers le solstice d’été, Euthalius débarqua à Terracine avec de grandes sommes d’argent destinées à la solde des troupes. Il s’avança avec précaution le long de la voie Appienne ; et ce convoi entra à Rome par la porte Capène[93], tandis que Bélisaire tournait d’un autre côté l’attention des Goths, par une escarmouche poussée avec vigueur et avec succès. Le général sut ménager habilement et ces secours arrivés si à propos et l’opinion que l’on pouvait en avoir, il ranima le courage ou du moins l’espoir des soldats et du peuple. L’historien Procope fût chargé de l’importante mission d’aller rassembler les troupes et les vivres que la Campanie pouvait fournir, ou qu’avait envoyés Constantinople : le secrétaire de Bélisaire fut bientôt suivi d’Antonina elle-même[94], qui traversa hardiment les postes : de. Ve nemi, et revint bientôt ramenant à son époux et à la ville assiégée les secours arrivés de l’Orient. Des navires qui postaient trois mille Isauriens, mouillèrent dans la baie de Naples et ensuite à Ostie. Plus de deux mille chevaux, dont une partie était de Thrace, débarquèrent à Tarente ; et après avoir joint cinq cents soldats de la Campanie, et un convoi de voitures chargées de vin et de farine, ils suivirent la voie Appienne, depuis Capoue, jusqu’aux environs de Rome. Les forces qui arrivaient par terre et par mer se réunirent à l’embouchure du Tibre. Antonina assembla un conseil de guerre ; il y fut décidé qu’à force de voiles et de rames, on remonterait la rivière ; les Goths ne voulurent point les attaquer, de peur de troubler la négociation à laquelle Bélisaire s’était artificieusement prêté. Ils se laissèrent persuader que ce qu’ils voyaient était seulement l’avant-garde d’une grande flotte et d’une grande armée qui couvraient déjà la mer Ionienne et les plaines de la Campanie, et leur erreur se fortifia par la fierté du général romain au moment où il donna audience aux envoyés de Vitigès. Après un discours spécieux, dans lequel ils soutinrent la justice de leur cause, ils dirent que, par amour de la paix, ils étaient disposés à renoncer à la Sicile. L’empereur n’est pas moins généreux, leur répondit son lieutenant avec un sourire de dédain, en reconnaissance de ce que vous cédez une chose que vous ne possédez plus, il vous offre une ancienne province de l’empire ; il abandonne aux Goths la souveraineté de l’île de la Bretagne. Bélisaire rejeta avec la même fermeté et le même dédain le tribut qu’on lui offrit ; mais il permit aux ambassadeurs goths d’aller apprendre leur sort de la bouche de Justinien lui-même, et il consentit, avec une répugnance simulée, à une trêve de trois mois, depuis le solstice d’hiver jusqu’à l’équinoxe du printemps. Il y aurait eu de l’imprudence à trop compter sur les serments ou les otages des Barbares ; mais la supériorité que se sentait Bélisaire se manifesta dans la manière dont il distribua ses troupes. Dès que la peur ou la faim eut déterminé les Goths à évacuer Alba, Porto et Centum-Cellæ, il y envoya tout de suite des garnisons : celles de Narni, de Spolette et de Pérouse, furent renforcées, et les sept camps de l’ennemi éprouvèrent bientôt toutes les misères d’un siège. Les prières et le pèlerinage de Datius, évêque de Milan, ne furent pas sans effet, et il obtint mille Thraces ou Isauriens, qu’il envoya aux rebelles de la Ligurie, contre l’arien qui les tyrannisait. En même temps, Jean le Sanguinaire[95], neveu de Vitalien, fut détaché avec deux mille cavaliers d’élite, d’abord à Alba, sur le lac Fucin, et ensuite vers les frontières du Picentin, sur la mer Adriatique. C’est dans cette province, lui dit Bélisaire, que les Goths ont retiré leurs familles et leurs trésors ; sans y mettre de garde et sans soupçonner le danger. Sans doute ils violeront la trêve ; qu’ils sentent vos coups avant d’être instruits de vos mouvements. Épargnez les Italiens, ne laissez sur vos derrières aucune place fortifiée dont les dispositions nous soient défavorables ; et réservez fidèlement le butin, afin qu’il soit partagé d’une manière égale. Il ne serait pas raisonnable, ajouta-t-il en riant, que tandis que nous nous fatiguons à détruire les frelons, nos camarades, plus heureux prissent tout le miel.

Toute la nation des Ostrogoths, réunie pour le siège de Rome, s’y était presque entièrement consumée. S’il faut ajouter foi au rapport d’un témoignage éclairé, un tiers au moins de cette immense armée fut détruit dans les combats multipliés qui se donnèrent sous les murs de la place. Il paraît qu’alors le déclin de l’agriculture et de la population contribuait déjà à la mauvaise qualité de l’air durant l’été, et que la licence des Barbares et les dispositions peu amicales des naturels du pays aggravaient les maux de la famine et de la peste. Tandis que Vitigès luttait contre la fortune, tandis qu’il hésitait entre la honte et sa ruine totale, des alarmes personnelles vinrent hâter sa retraite. Des messagers tremblants vinrent lui apprendre que Jean le Sanguinaire répandait la dévastation, de l’Apennin à la mer Adriatique ; que la riche dépouille et les innombrables captifs du Picentin avaient été renfermés dans l’enceinte des fortifications de Rimini, que ce redoutable chef avait battu son oncle, insulté sa capitale, et corrompu, à l’aide d’une correspondance secrète, la fidélité de sa femme, l’impérieuse fille d’Amalasonthe. Toutefois, avant de s’éloigner de Rome, Vitigès fit son dernier effort pour s’en emparer, soit d’assaut ou par surprise. Il découvrit un secret passage dans un des aqueducs ; deux citoyens du Vatican, séduits par ses présents, promirent d’enivrer les gardes de la porte Aurélienne ; il médita une attaque contre les murs situés au-delà du Tibre, dans un endroit qui n’était pas défendu par des tours ; et les Barbares s’avancèrent avec des torches et des échelles vers la porte Pincienne. Mais ses projets furent déjoués par l’intrépide vigilance de Bélisaire et de ses braves vétérans, qui, dans les moments les plus périlleux, ne donnèrent pas un regret à l’absence de leurs compagnons ; et les Goths, n’ayant plus ni vivres ni espoir, demandèrent à grands cris qu’on les laissât partir avant que la trêve fût expirée et que la cavalerie romaine fût réunie. Une année et neuf jours après le commencement du siége, cette armée des Goths, peu de temps auparavant nombreuse et triomphante, brûla ses tentes et repassa en désordre le pont Milvius. Cette retraite fut pour eux l’occasion d’un nouveau désastre. Attaqués et pressés dans cet étroit passage, ils furent en foule précipités dans le Tibre, soit par leur frayeur ou par les coups de l’ennemi ; et le général romain, sortant par la porte Pincienne, rendit la fuite honteuse et meurtrière. Cette troupe de malades et de soldats abattus s’éloigna lentement en se traînant sur la voie Flaminienne, d’où elle fut forcée de s’écarter quelquefois de peur de tomber au milieu des garnisons qui défendaient le grand chemin de Rimini et de Ravenne. Au reste, cette armée en fuite était encore si redoutable, que Vitigès en détacha dix mille hommes pour la défense des villes qu’il avait le plus d’intérêt à conserver, et qu’il ordonna à Uraias, son neveu, d’aller avec le même nombre d’hommes châtier la ville rebelle de Milan ; ensuite, à la tête du reste de ses troupes, il assiégea Rimini, qui n’était éloignée que de trente-trois milles de la capitale des Goths. Un faible rempart et un fossé peu profond, seules fortifications de cette place, furent défendus par l’habileté et la valeur de Jean le Sanguinaire, qui partagea le danger et la fatigue du dernier des soldats, et déploya, sur un théâtre moins éclatant, toutes les qualités militaires de son général. Il rendit inutiles les tours et les machines des Barbares ; il repoussa leurs attaques ; et le siégé, converti en un blocus, réduisit la garnison aux dernières extrémités de la famine, mais il laissa aux forces romaines le temps de se réunir et d’arriver : une flotte qui avait surpris Ancône, longea la côte de l’Adriatique, et porta des secours à la ville assiégée. L’eunuque Narsès débarqua dans le Picentin avec deux mille Hérules et cinq mille hommes des plus braves troupes de l’Orient. On força les rochers de l’Apennin ; dix mille vétérans tournèrent les montagnes, sous les ordres de Bélisaire en personne ; et une nouvelle armée brillante dans son camp d’une multitude de feux, apparut tout à coup s’avançant le long de la voie Flaminienne. Les Goths, saisis d’étonnement et de désespoir, levèrent le siége de Rimini ; ils abandonnèrent leurs tentes, leurs drapeaux et leurs chefs ; et Vitigès, qui donna ou suivit l’exemple de la fuite, ne s’arrêta que lorsqu’il se crut en sûreté dans les murs et les marais de Ravenne.

La monarchie des Goths était alors réduite à ces murs, et à quelques forteresses incapables de se soutenir mutuellement. Les provinces de l’Italie avaient embrassé le parti de l’empereur ; et son armée, parvenue peu à peu au nombre de vingt mille hommes, aurait aisément et rapidement achevé ses conquêtes, si la mésintelligence des généraux n’eut affaibli ses forces invincibles. Avant la fin du siége de Rome, un ordre sanguinaire, imprudent et inexplicable, avait terni la noble réputation de Bélisaire. Presidius, Italien fidèle à l’empereur, fuyant de Ravenne à Rome, avait été brutalement arrêté par Constantin, gouverneur de Spolette, et dépouillé, dans une église où il s’était réfugié, de deux poignards enrichis d’or et de pierreries. Dès que les Goths eurent levé le siège, il se plaignit du vol et de l’insulte : on écouta sa plainte ; le coupable reçut ordre de rendre les deux poignards, et désobéit par fierté ou par avarice. Presidius, aigri par ce délai, ne craignit pas d’arrêter le cheval de Bélisaire au moment où il traversait la place publique, et réclamait avec le courage d’un citoyen la protection des lois romaines. L’honneur du général était engagée : il assembla un conseil de guerre ; il y exposa la désobéissance d’un de ses officiers, et une réplique insolente de Constantin le détermina à appeler ses gardes. Celui-ci, les voyant entrer, jugea qu’il était perdu ; il tira son épée et se précipita sur Bélisaire ; qui par son agilité évita le coup, et fut ensuite protégé par ses amis : on désarma le forcené, on le traîna dans une chambre voisine où il fut exécuté, ou plutôt assassiné, d’après l’ordre arbitraire du général[96]. Cette violence fit oublier le crime de Constantin : on imputât secrètement à la vengeance d’Antonina le désespoir et la mort de ce brave officier ; et ses collègues, coupables des mêmes brigandages, commencèrent à redouter le même sort. L’épouvante causée par les Barbares, suspendit l’effet de leur jalousie et de leur mécontentement ; mais, lorsqu’ils se virent sur le point de triompher des Goths, ils excitèrent un puissant rival, à s’opposer au conquérant de Rome et de l’Afrique. L’eunuque Narsès, du service domestique du palais et de l’administration du revenu privé de l’empereur, était parvenu tout à coup au rang de général ; et ses qualités héroïques, qui, pour le mérite et pour la gloire l’égalèrent ensuite à Bélisaire, ne firent alors qu’embarrasser les opérations de la guerre des Goths. Les chefs de la faction des mécontents attribuèrent à ses conseils le salut de Rimini, et l’exhortèrent à prendre un commandement séparé et indépendant. La lettre de Justinien lui enjoignait, il est vrai, d’obéir au général ; mais elle ajoutait : Autant que cela pourra être avantageux au service public ; et cette dangereuse restriction laissait quelque liberté de jugement au favori prudent qui venait de quitter Constantinople, la présence sacrée et la conversation familière de son souverain. D’après ce droit incertain, Narsès se montra constamment d’une opinion opposée à celle de Bélisaire ; et, après avoir consenti avec répugnance au siége d’Urbin, il abandonna son collègue pendant la nuit, et alla conquérir la province Émilienne. Les farouches et redoutables Hérules lui étaient dévoués[97] ; il entraîna sous ses bannières dix mille Romains ou soldats des peuples confédérés ; chaque mécontent saisit cette occasion de venger les offenses qu’il croyait avoir reçues, et les troupes qui restaient à Bélisaire se trouvaient dispersées depuis les garnisons de la Sicile jusqu’aux côtes de la mer Adriatique. Son habileté et sa constance triomphèrent de tous les obstacles ; il prit Urbin, il entreprit et suivit avec vigueur les siéges de Fèsule, d’Orviète et d’Auximum ; et l’eunuque Narsès fut enfin rappelé aux fonctions domestiques du palais. Toutes les dissensions furent calmées, toutes les oppositions surmontées par la fermeté modérée d’un héros à qui ses ennemis ne pouvaient refuser leur estime, et Bélisaire pénétra son armée de cette salutaire vérité, que les forces de l’État doivent former un seul corps, et être animées d’un même esprit : mais ces moments de discorde laissèrent respirer les Goths ; on perdit une saison précieuse ; Milan fut détruit, et les Francs ravagèrent les provinces septentrionales de l’Italie.

Lorsque Justinien avait formé le projet de la conquête de l’Italie, il avait envoyé des ambassadeurs aux rois des Francs, pour les sommer, au nom des traités et de leur commune religion, de se réunir à lui dans une sainte entreprise contre les ariens. Les Goths, plus pressés par le besoin de secours, voulurent employer des moyens de persuasion plus efficaces : ils essayèrent vainement, par des dons de terres et d’argent, de s’assurer l’amitié ou du moins la neutralité d’une nation légère et perfide[98] ; mais dès que les armes de Bélisaire et la révolte des Italiens eurent ébranlé la monarchie des Goths, Théodebert d’Austrasie, le plus puissant et le plus belliqueux des rois mérovingiens, consentit à les secourir indirectement dans leur détresse. Dix mille Bourguignons, qui depuis peu reconnaissaient ses lois, descendirent des Alpes, sans attendre l’aveu de leur souverain, et se joignirent aux troupes que Vitigès avait envoyées contre les rebelles de Milan. Après un siégé opiniâtre, la capitale de la Ligurie fut réduite par la famine, et la retraite de la garnison romaine fut la seule capitulation qu’elle pût obtenir. Datius, évêque orthodoxe, qui avait entraîné ses compatriotes dans la rébellion[99] et causé ainsi leur ruine, se sauva à la cour de Byzance, où il vécut dans le luxe et les honneurs[100] ; mais le clergé, peut-être arien, de la ville de Milan, fut massacré au pied de ses autels par les défenseurs de la foi catholique. On dit que trois cent mille hommes furent égorgés[101] ; les femmes et les effets les plus précieux furent abandonnés aux Bourguignons, et l’on rasa les maisons ou seulement les murs de Milan. Les Goths, dans les derniers moments de leur existence, se vengèrent du moins en détruisant une ville qui, par sa grandeur et sa richesse, la splendeur de ses édifices et le nombre de ses habitants, ne le cédait qu’à Rome même ; et Bélisaire seul compatit à la destinée des amis fidèles qu’on l’avait forcé d’abandonner. Théodebert, enorgueilli par cette heureuse incursion, revint au printemps de l’année suivante, et fit une invasion dans les plaines de l’Italie, à la tête d’une armée de cent mille Barbares[102]. Ce prince et des soldats d’élite qui lui servaient d’escorte, étaient seuls à cheval, et armés de lances : l’infanterie, sans arcs et sans piques, n’avait qu’un bouclier, une épée et une hache de bataille à deux tranchants, qui, entre leurs mains, portait des coups sûrs et mortels. L’invasion des Francs fit trembler l’Italie ; le prince goth et Bélisaire, qui ignoraient leurs desseins, recherchèrent, chacun de leur côté, l’amitié de ces alliés dangereux. Le petit-fils de Clovis dissimula ses intentions jusqu’au moment où il se fut assuré du passage du Pô, sur le pont de Pavie ; et il les manifesta, en attaquant, presque le même jour, les camps ennemis des Romains et des Goths. Les Goths et les Romains, au lieu de se réunir, s’enfuirent avec une égale précipitation ; la fertile Ligurie et la province Émilienne furent abandonnées à une horde de Barbares indisciplinés, qui, ne songeant ni à s’y établir ni à y faire des conquêtes, se livraient à toute leur fureur. Parmi les villes qu’ils ruinèrent, on cite Gênes, qui n’était pas encore bâtie en marbre ; et il paraît que la mort de plusieurs milliers d’hommes qui périrent selon les lois de la guerre, excita moins d’horreur que le sacrifice de quelques femmes et de quelques enfants impunément, immolés aux dieux dans le camp du roi très chrétien. Si par une triste destinée les maux les plus cruels ne tombaient pas en ces occasions sur les innocents et les malheureux sans appui, on pourrait se réjouir de la détresse des vainqueurs, qui, au milieu des richesses du pays, manquèrent de pain et de vin, et furent réduits à boire l’eau du Pô, et à manger la chair des bêtes alors attaquées d’une maladie contagieuse. La dysenterie enleva un tiers de leur armée ; et les clameurs des sujets de Théodebert, impatient de repasser les Alpes, le disposèrent à écouter avec déférence les conseils remplis d’humanité que lui adressa Bélisaire. Les médailles de la Gaule -perpétuèrent le souvenir de cette guerre si meurtrière et si peu glorieuse ; et Justinien, sans avoir tiré l’épée, prit le titre de vainqueur des Francs., Le roi mérovingien fut blessé de la vanité de l’empereur ; il montra de la pitié sur le malheur des Goths, et leur proposa insidieusement une confédération : la promesse ou la menace de descendre des Alpes à la tête de cinq cent mille hommes donnait du poids à ses propositions. Ses plans de conquête étaient sans bornes, et peut-être chimériques : le roi d’Austrasie menaçait de châtier Justinien, et de se rendre aux portes de Constantinople[103] ; il fut renversé et tué[104] par un taureau sauvage[105], un jour qu’il chassait dans les forêts de la Belgique ou de la Germanie.

Dès que Bélisaire fut délivré de ses ennemis étrangers et domestiques, il employa toutes ses forces à achever la réduction de l’Italie. Il aurait été percé d’un trait au siège d’Osimo, si un de ses gardes, qui perdit une main dans cette occasion, n’eût intercepté le coup mortel. Les quatre mille soldats goths qui défendaient Osimo, ceux de Fésule et des Alpes Cottiennes, furent des derniers qui soutinrent encore leur indépendance ; et leur courageuse résistance mérita l’estime d’un vainqueur dont elle épuisa presque la patience. Il leur refusa prudemment le sauf-conduit qu’ils demandaient pour se rendre à Ravenne ; mais une capitulation honorable leur laissa au moins la moitié de leurs richesses, avec l’alternative de se retirer paisiblement dans leurs domaines ou de passer au service de l’empereur dans ses guerres contre les Perses. La multitude qui obéissait encore à Vitigès, surpassait le nombre des guerriers romains mais ni prières, ni défis, ni le danger de ses plus fidèles sujets, ne purent déterminer le roi des Goths à sortir des fortifications de Ravenne. L’artifice ni la force ne pouvaient rien, à la vérité, contre ces fortifications ; et lorsque Bélisaire eut investi cette capitale, il ne tarda pas à se convaincre que la famine était le seul moyen qui lui restât de dompter l’opiniâtreté des Barbares. Il fit garder soigneusement la mer, le côté de terre et les canaux du Pô ; et sa moralité ne l’empêcha pas d’étendre les droits de la guerre jusqu’à celui d’empoisonner les eaux[106] et de mettre secrètement le feu aux magasins[107] d’une ville assiégée[108]. Tandis qu’il pressait le blocus de Ravenne, il vit avec surprise deux ambassadeurs arriver de Constantinople apportant un traité de paix que Justinien avait imprudemment signé, sans daigner consulter le général à qui il devait ses victoires. Ce traité, par un arrangement honteux et précaire, partageait l’Italie et le trésor des Goths, et laissait au successeur de Théodoric, avec le titre de roi, les provinces situées au-delà du Pô. Les ambassadeurs se hâtèrent avec ardeur d’accomplir une mission si salutaire : Vitigès, presque captif, reçut avec transport l’offre inattendue d’une couronne : les Goths se montrèrent moins sensibles à l’honneur qu’à la faim ; et des chefs romains, qui murmuraient de la durée de la guerre, exprimèrent la plus parfaite soumission aux ordres de l’empereur. Si Bélisaire n’avait eu que le courage d’un soldat, des conseils timides et jaloux auraient arraché le laurier de ses mains ; mais, dans cet instant décisif, il résolut, avec la grandeur d’âme d’un véritable homme d’État, de courir seul le danger, et de recueillir seul la gloire d’une généreuse désobéissance. Ce fut après que chacun de ses officiers eut déclaré par écrit que le siège de Ravenne était impraticable, qu’il rejeta le traité de partage, et déclara sa résolution de conduire Vitigès, chargé de chaînes, aux pieds de Justinien. Les Goths se retirèrent pleins de trouble et de consternation : ce refus péremptoire les privait de la seule signature en laquelle ils pussent avoir quelque confiance, et leur fit craindre avec justice que leur habile ennemi n’eût découvert tous les embarras de leur déplorable situation. Ils comparèrent sa réputation et sa fortune avec la faiblesse de leur malheureux roi ; et cette comparaison leur suggéra un expédient extraordinaire, auquel Vitigès fut obligé de se soumettre avec une apparence de résignation. Le partage signé par l’empereur détruisait la force des Goths, et l’exil flétrissait leur honneur ; ils proposèrent d’abandonner leurs armes, leurs trésors et les fortifications de Ravenne, si Bélisaire voulait abjurer l’autorité de l’empereur, se rendre aux vœux de la nation, et accepter la couronne d’Italie qu’il avait si bien méritée. Quand l’éclat trompeur du diadème  eût été capable de séduire la loyauté d’un sujet aussi fidèle, sa sagesse aurait prévu l’inconstance des Barbares, et son ambition raisonnable aurait préféré l’emploi sûr et glorieux qu’il exerçait au service de l’empereur. Il ne craignit même point les malveillantes interprétations que l’on pouvait donner à la tranquillité et à l’apparente satisfaction avec laquelle il reçut la proposition de trahir son maître. Le lieutenant de Justinien se rendait témoignage de la droiture de ses intentions ; la route obscure et tortueuse dans laquelle il se permit d’entrer, avait pour objet de conduire les Goths à se soumettre volontairement. Au moyen d’une politique adroite, sans s’obliger par aucun serment même par aucune promesse, à l’accomplissement d’un traité qu’il abhorrait en secret, il sut leur persuader qu’il était disposé à se rendre à leurs désirs. Les envoyés des Goths fixèrent le jour où ils devaient livrer Ravenne. Des navires chargés de provisions furent reçus avec joie dans l’intérieur du port : on ouvrit les portes au prétendu roi d’Italie ; et Bélisaire, sens rencontrer, un seul ennemi, traversa en triomphe les rues de cette ville imprenable[109]. Les Romains furent étonnés de leurs succès : ces Goths si nombreux et si robustes, et d’une si haute stature, furent eux-mêmes surpris de leur faiblesse ; leurs femmes, animées d’un courage viril, crachaient au visage de leurs enfants et de leurs maris, en leur reprochant avec amertume de livrer leur empire et leur liberté à ces pygmées du Sud, méprisables par leur petit nombre et par l’exiguïté de leur taille. Avant que les Goths eussent pu revenir de leur première surprise et demander l’accomplissement de leurs douteuses espérances, Bélisaire avait déjà établi sa puissance dans Ravenne de manière à ne plus craindre leur repentir ou leur révolte. Vitigès, qui peut être avait essayé de s’enfuir, fut gardé honorablement dans son palais[110]. On choisit pour le service de l’empereur la fleur des jeunes Goths ; les autres furent renvoyés dans leurs paisibles habitations des provinces méridionales, et une colonie d’Italiens vint remplir la ville dépeuplée. Le reste des villes et des villages de l’Italie n’attendirent pas, pour imiter l’exemple de la capitale, les armes ni même la présence des Romains, les Goths indépendants qui restaient en armes à Pavie et à Vérone, n’aspiraient qu’à devenir les sujets de Bélisaire ; mais son inflexible fidélité n’accepta de serments que ceux qu’on lui prêta comme au représentant de Justinien ; et il ne fut point offensé du discours de leurs députés, qui lui reprochèrent d’aimer mieux être esclave que roi.

Après la seconde victoire de Bélisaire, l’envie recommença à murmurer ; Justinien lui prêta l’oreille, et le héros fut rappelé. Le reste de la guerre des Goths n’était plus digne de sa présence ; un maître plein d’affection était impatient de récompenser ses services et de consulter sa sagesse ; il était le seul capable de défendre l’Orient contre les innombrables armées de la Perse. Bélisaire devina et feignit de ne pas apercevoir les soupçons cachés sous ces prétextes dont on colorait son rappel : il embarqua à Ravenne ses trophées et le butin qu’il avait recueilli, et prouva, par une prompte obéissance, que ce brusque rappel était aussi injuste qu’il aurait pu devenir imprudent. Justinien reçut d’une manière honorable Vitigès et son illustre compagnon ; et comme le roi des Goths consentit à se soumettre au symbole de saint Athanase, il obtint de riches terres en Asie, et le rang de sénateur et de patrice[111]. On put admirer sans danger la force et la stature des jeunes Barbares ; ceux-ci adorèrent la majesté du trône, et promirent de verser leur sang au service de leur bienfaiteur. On déposa dans le palais de Byzance les trésors de la monarchie des Goths ; un sénat adulateur obtint quelquefois la permission de jouir de ce magnifique spectacle, mais il fut soigneusement dérobé aux regards du public ; et le conquérant de l’Italie renonça sans murmures, et peut-être sans regrets, aux honneurs bien mérités d’un second triomphe. Sa gloire, il est vrai, se trouvait élevée au-dessus d’une vaine cérémonie ; et au milieu même d’un siècle de servitude, le respect et l’admiration de son pays supplièrent aux faibles et perfides éloges de la cour. Quelque part qu’il se montrât, soit dans les rues où les lieux publics de Constantinople, Bélisaire attirait et charmait tous les regards. Sa taille élevée et sa physionomie majestueuse remplissaient l’idée qu’on s’était formée d’un héros. Ses manières douces et gracieuses enhardissaient le dernier de ses concitoyens, et la troupe de guerriers qui accompagnait ses pas ne le rendait pas inabordable comme dans un jour de bataille. Il avait à sa solde sept mille cavaliers, d’une beauté et d’une valeur incomparables[112]. Leur bravoure se distinguait dans les combats singuliers ou dans les premiers rangs le jour d’une action ; et les deux partis avouaient qu’au siège de Rome les gardes de Bélisaire avaient triomphé seuls de l’armée des Barbares. Les plus vaillants et les plus fidèles soldats de l’ennemi augmentaient sans cesse le nombre de sa troupe ; et les Vandales, les Maures et les Goths qui devenaient ses heureux captifs, le disputaient à ses guerriers domestiques en attachement pour leur maître. Tout à la fois libéral et juste, il fut aimé des soldats sans perdre l’affection du peuple. Il fournissait de l’argent et les secours de la médecine aux malades et aux blessés, et ses visites affectueuses contribuaient encore à leur guérison d’une manière plus efficace. La perte d’une arme ou d’un cheval était à l’instant réparée par sa générosité : chaque action de valeur était récompensée par le riche et honorable don d’un bracelet ou d’un collier, rendu plus précieux par l’estime de Bélisaire, dont il était la preuve. Il jouissait de l’amour des cultivateurs, qui, à l’ombre de ses drapeaux, vivaient dans la tranquillité et l’abondance. La marche des armées romaines enrichissait un pays au lieu de l’appauvrir ; et telle était la discipline rigoureuse de son camp ; qu’on ne dérobait pas une pomme de dessus l’arbre, et qu’on n’aurait pu découvrir un sentier formé dans un champ de blé. Bélisaire était chaste et sobre ; au milieu de la licence de la vie militaire, personne ne pouvait se vanter de l’avoir vu pris de vin : on lui offrit les plus belles captives de la race des Goths ou de celle des Vandales ; mais il détourna ses regards de leurs charmes, et on ne soupçonna jamais le mari d’Antonina d’avoir manqué à la foi conjugale. Le témoin et l’historien de ses exploits observe qu’au milieu des périls de la guerre, il avait de l’audace sans témérité, et de la lenteur ou de l’impétuosité, selon les besoins du moment ; qu’au dernier terme de la détresse, il savait conserver ou feindre l’espérance, et que dans la fortune la plus prospère, on le voyait simple et modeste. Il égala ou surpassa les anciens maîtres de l’art militaire : la victoire suivit ses armes sur terre et sur mer. Il subjugua l’Afrique, l’Italie et les îles adjacentes ; il conduisit captifs aux pieds de Justinien les successeurs de Genseric et de Théodoric ; il remplit Constantinople des dépouilles de leurs palais, et recouvra en six années la moitié des provinces de l’empire d’Occident. Sa célébrité et son mérite, sa fortune et sa puissance, le rendirent incontestablement le premier des sujets de l’empire romain ; l’envie seule put supposer sa grandeur dangereuse, et l’empereur dut s’applaudir de l’esprit de discernement qui lui avait fait découvrir et employer le génie de Bélisaire.

Dans les triomphes des Romains, un esclave se plaçait derrière le vainqueur, pour le faire souvenir de l’instabilité de la fortune et des faiblesses de la nature humaine. Procope s’est chargé, dans ses Anecdotes, de cette basse et désagréable fonction. Le lecteur généreux peut être tenté de jeter le libelle ; mais l’évidence des faits les fixe dans sa mémoire : il avoue à regret que la réputation et même la vertu de Bélisaire furent souillées par les débauches et la cruauté de sa femme, et que le héros méritait une dénomination qui ne doit pas se trouver sous la plume d’un historien décent. La mère d’Antonina était une prostituée de théâtre[113] ; et son père et son grand-père exerçaient, à Thessalonique et à Constantinople, la vile mais lucrative profession de conducteurs des chars. Elle fut tour à tour, selon les diverses situations de sa fortune, la compagne, l’ennemie, la complaisante et la favorite de l’impératrice Théodora. Les mêmes plaisirs avaient réuni ces deux femmes libertines et ambitieuses. La jalousie du vice les divisa, et enfin des crimes communs les réconcilièrent. Avant son union avec Bélisaire, Antonina avait eu déjà un mari et beaucoup d’amants : Photius, enfant de son premier mariage, se trouva assez âgé pour se distinguer au siège de Naples. Ce ne fut que dans l’automne de sa vie, et au déclin de sa beauté[114], qu’elle se livra à un attachement scandaleux pour un jeune Thrace. Celui-ci, qu’on nommait Théodose, avait été élevé dans l’hérésie d’Eunomius : comme il fut le premier soldat qui s’embarqua pour l’Afrique, son baptême dans cette circonstance et son nom d’un augure favorable parurent en quelque sorte consacrer le voyage, et Bélisaire et Antonina, ses parents spirituels, adoptèrent et reçurent dans leur famille le nouveau prosélyte[115]. Avant d’aborder à la côte d’Afrique, cette sainte alliance avait dégénéré en un amour sensuel ; et Antonina ayant passé bientôt les bornes de la modestie et de la circonspection, le général romain fut le seul à ignorer son déshonneur. Durant son séjour à Carthage, il surprit les deux amants dans une chambre souterraine, seuls, animés et presque nus ; la colère éclata dans ses regards. Je veux, lui dit l’effrontée Antonina, soustraire à la connaissance de l’empereur nos effets les plus précieux, et ce jeune homme m’aidait à les cacher ici. Théodose reprit ses vêtements, et le facile mari consentit à récuser le témoignage de ses propres yeux. Macédonia vint le tirer à Syracuse de cette illusion qu’il se plaisait peut-être à nourrir. Cette femme, qui était au service d’Antonina, après avoir exigé que Bélisaire promît par serment de la protéger, amena deux autres femmes d’Antonina, qui, comme elle, avaient été souvent témoins de ses adultères. Théodose, par sa fuite précipitée en Asie, échappa à la justice d’un mari offensé qui avait déjà donné à un de ses gardes l’ordre de faire périr le coupable ; mais les larmes d’Antonina et ses séductions artificieuses trompèrent la crédulité du héros, et il la crut innocente. Au mépris de son serment, au mépris de sa propre raison, il eut la faiblesse d’abandonner les domestiques fidèles qui avaient osé accuser on révoquer en doute la vertu de sa femme. La vengeance d’une femme coupable est inflexible et sanguinaire ; le ministre de ses cruautés arrêta secrètement l’infortunée Macédonia et les deux autres témoins ; on leur coupa la langue, leur corps fût haché en mille morceaux et jeté dans la mer de Syracuse. Constantin s’avisa de dire qu’il aurait puni une femme adultère plutôt que le jeune homme. Antonina n’oublia jamais ce mot imprudent autant que juste ; et deux ans après, lorsque le désespoir eut armé cet officier contre son général, ce fut elle qui conseilla et hâta sa mort. Elle ne pardonna pas même à l’indignation de Photius son fils ; elle prépara par l’exil de ce fils le rappel de son amant, et Théodose daigna se rendre aux humbles et pressantes invitations du vainqueur de l’Italie. Le jeune favori, gouvernant la maison de Bélisaire, et ayant obtenu des commissions importantes dans la paix et dans la guerre[116], acquit bientôt une fortune de quatre cent mille livres sterling ; et après son retour à Constantinople, la passion d’Antonina conserva la même vivacité. La crainte, la dévotion, peut-être la satiété, inspirèrent à Théodose des pensées plus sérieuses ; il craignit les propos de la capitale, et l’indiscrète ardeur de la femme de Bélisaire : pour éviter ses caresses, il se retira à Éphèse, y fit couper sa chevelure, et embrassa la vie monastique. La nouvelle Ariane montra un désespoir que la mort de son mari aurait à peine justifié. Elle versa des larmes, elle s’arracha les cheveux, elle emplit le palais de ses cris ; elle ne cessait de répéter qu’elle avait perdu le plus cher de ses amis, un ami tendre, fidèle, laborieux. Ses ardentes sollicitations, aidées des prières de Bélisaire, ne purent arracher le moine de sa solitude d’Éphèse. Ce ne fut qu’au départ de ce général pour la guerre de Perse, que Théodose se laissa persuader de revenir à Constantinople, et le court espace qui s’écoula jusqu’au départ d’Antonina pour suivre son mari, fut hardiment consacré à l’amour et au plaisir.

Un philosophe peut regarder en pitié et pardonner dans une femme des faiblesses dont il ne reçoit aucun dommage réel ; mais on doit mépriser le mari qui ressent les débauches de son épouse et qui les endure. Antonina avait pour son fils une haine implacable, et jusque dans le camp situé au-delà du Tigre, le brave Photius[117] était exposé à des persécutions secrètes. Poussé à bout par ses injures personnelles et par le déshonneur de sa famille, il oublia à son tour les sentiments de la nature, et révéla à Bélisaire la turpitude d’une femme qui manquait à tous ses devoirs de mère et d’épouse. La surprise et l’indignation que témoigna le général romain semblent prouver qu’il avait été de bonne foi jusqu’alors : il embrassa les genoux du fils d’Antonina, il le conjura de se souvenir de ses devoirs plutôt que de sa naissance, et ils jurèrent sur les autels de se venger et de se soutenir mutuellement. L’absence ébranlait l’empire d’Antonina sur l’esprit de son époux, et lorsqu’elle se présenta devant lui à son retour des confins de la Perse, celui-ci dans les premiers mouvements d’une colère passagère, la fit arrêter et menaça sa vie. Photius était plus déterminé à punir, et naturellement moins prompt à pardonner : il se réfugia à Éphèse ; il arracha d’un eunuque qui avait la confiance de sa mère l’aveu complet de ses débauches ; il fit saisir Théodose, et ses richesses dans l’église de Saint-Jean l’apôtre, et, bien décidé à le faire mourir, il le relégua dans une forteresse isolée de la Cilicie. Un pareil attentat contre la justice publique ne pouvait demeurer impuni. La cause d’Antonina fut embrassée par l’impératrice, dont elle avait mérité la faveur en perdant un préfet, et en faisant exiler et assassiner un pape. Bélisaire fut rappelé à la fin de la campagne, et, selon son usage, il obéit à l’ordre de l’empereur. Son esprit n’était point disposé à la rébellion ; si son obéissance était contraire aux inspirations de l’honneur, elle se trouvait analogue au vœu de son cœur ; et lorsqu’il embrassa sa femme par l’ordre et peut-être sous les yeux de l’impératrice, ce tendre époux ne voulait plus que pardonner ou obtenir son pardon. La bonté de Théodora réservait à son ancienne compagne une faveur encore plus précieuse. J’ai trouvé, lui dit-elle, ma chère patricienne, une perle d’un prix inestimable aucun mortel jusqu’ici ne l’a vue ; mais je réserve à mon amie la vue et la possession de ce joyau précieux.  Dès qu’elle eut excité la curiosité et l’impatience d’Antonina, la porte d’une chambre à coucher s’ouvrit, et la femme de Bélisaire y vit son amant, dont les soins des eunuques avaient découvert la prison. Muette d’abord de plaisir et d’étonnement, elle fit éclater ensuite par des exclamations passionnées, sa reconnaissance et sa joie ; elle s’écria que Théodora était sa bienfaitrice et son sauveur. Le moine d’Éphèse goûta dans le palais toutes les délices du plaisir et de l’ambition ; mais au lieu de prendre, comme on le lui avait promis, le commandement des armées, il expira dans les premières fatigues d’une entrevue amoureuse. Les douleurs d’Antonina ne purent être adoucies que par les souffrances de son fils. Un jeune homme d’un rang consulaire, et d’une constitution faible, fut puni sans être entendu, comme un malfaiteur et un esclave ; mais telle fut son intrépidité, que, sous le fer des bourreaux et pendant la torture, il ne viola point la foi qu’il avait jurée à Bélisaire. Après cette infructueuse cruauté, Photius fut traîné dans les prisons souterraines d’Antonina, où, tandis que sa mère se réjouissait avec l’impératrice, il était absolument privé de la clarté du jour. Il se sauva deux fois, et les deux églises les plus respectées de Constantinople, celles de Sainte-Sophie et de la Vierge, lui servirent d’asiles ; mais ses tyrans étaient aussi insensibles à la religion qu’à la pitié, et l’infortuné jeune homme fut arraché deux fois du pied des autels, au milieu des cris du clergé et du peuple, et reconduit dans son cachot. Sa troisième tentative réussit mieux. Après trois ans de captivité, le prophète Zacharie, ou quelque protecteur terrestre, lui indiqua les moyens de se sauver : il échappa aux espions, et aux gardes de l’impératrice, atteignit le Saint-Sépulcre de Jérusalem, où il se fit moine ; et après la mort de Justinien, l’abbé Photius fut employé a réconcilier et à régler les Églises de l’Égypte. Le fils d’Antonina souffrit tout ce que peut inventer la haine d’un ennemi, et, son patient époux s’imposa à lui-même le tourment plus cruel encore de violer sa promesse et d’abandonner son ami.

La campagne suivante, il fut encore chargé de la guerre contre les Perses. Il sauva l’Orient, mais il offensa Théodora, et peut-être l’empereur lui-même. La maladie de Justinien avait donné lieu au bruit de sa mort, et le général romain, croyant que l’empereur ne vivait plus, parla avec la liberté d’un citoyen et d’un soldat. Buzès, son collègue, qui partageait ses sentiments, perdit ses emplois, sa liberté et sa santé, par suite des persécutions de l’impératrice. Si la disgrâce de Bélisaire fut moins éclatante, il le dut au respect qu’il inspirait, et au crédit de sa femme, qui pouvait vouloir humilier son mari, mais non pas perdre entièrement le compagnon de sa fortune. On chercha même un prétexte à son rappel ; on prétendait que, dans l’état fâcheux où se trouvaient les affaires de l’Italie il suffisait, pour les rétablir, de la seule présence de son vainqueur ; mais dès qu’il fut aux portes de Constantinople seuil et sans défense, on dépêcha dans l’Orient des commissaires qui eurent ordre de saisir ses trésors ; et de chercher les moyens de le montrer criminel. On distribua à différents chefs de l’armée les gardes et, es vétérans attachés à sa personne Mes- eunuques eux-mêmes osèrent entrer en partage de ses guerriers. Lorsqu’il traversa les rues de la capitale avec une suite peu nombreuse et de peu d’apparence, cet état d’abandon excita l’étonnement et la compassion du peuple. Justinien et Théodora le reçurent avec une froide ingratitude, les serviles courtisans avec insolence et avec mépris ; et le soir il regagna en tremblant son palais désert. Une indisposition feinte ou véritable retenait Antonina dans son appartement ; elle se retira avec un dédaigneux silence sous le portique voisin de sa chambre, tandis que Bélisaire se jeta sur son lit, ou dans une agonie de douleur et de crainte, il attendit la mort qu’il avait si souvent bravée sous les murs de Rome. Longtemps après le coucher du soleil, on lui annonça un message de l’impératrice. Il ouvrit avec frayeur la lettre qui contenait son arrêt. Vous ne pouvez ignorer, lui écrivait Théodora, combien vous avez mérité mon déplaisir. Je suis sensible aux services que m’a rendus Antonina. C’est en considération de son mérite et de ses sollicitations que je vous accorde la vie, et que je vous permets de garder une partie de vos trésors, qu’il serait juste de confisquer au profit de l’État : témoignez de la reconnaissance à qui vous en devez, et qu’elle ne se montre pas par de vaines paroles, mais dans toute la conduite du reste de votre vie. Pourrai-je croire, pourrai-je décrire, ce qu’on rapporte des transports du héros au moment où il reçut cet ignominieux pardon ? On dit qu’il se prosterna devant sa femme, qu’il baisa les pieds de son sauveur, et Jura d’être à jamais l’esclave soumis et reconnaissant d’Antonina. On leva sur sa fortune une amende de cent vingt mille livres sterling, et il accepta le commandement de la guerre d’Italie, avec le titre de comte ou de maître des écuries du prince. A son départ de Constantinople, ses amis et même le peuple furent persuadés qu’une fois en liberté il ferait éclater ses véritables sentiments, et qu’il sacrifierait à sa juste vengeance sa femme, Théodora, et peut-être l’empereur. On se trompait dans ces conjectures, et sa patience, sa loyauté infatigables, parurent toujours au-dessous ou au-dessus du caractère d’un HOMME[118].

 

 

 



[1] Procope a raconté avec ordre, et d’une manière élégante, la guerre des Vandales (l. I, c. 9-25 ; l. II, c. 1-13). Je serais heureux si dans le cours de cette histoire j’avais toujours un pareil guide. Après avoir lu avec soin le texte grec en entier, j’ai droit de prononcer qu’il ne faut pas trop se fier aux versions latine et française de Grotius et du président Cousin. Cependant on a donné beaucoup d’éloges à M. Cousin, et Grotius était le premier savant d’un siècle très versé dans l’ancienne littérature.

[2] Voyez Ruinart (Hist. persec. Vandal., c. 12, p. 589). La meilleure des autorités qu’il cite est celle de la Vie de saint Fulgence, composée par un de ses disciples, copiée en grande partie dans les Annales de Baronius, et imprimée dans plusieurs recueils considérables. Catalog. Biblioth. Bunaviænæ, t. I, vol. II, p. 1258.

[3] Quelle qualité de l’esprit ou du corps fit donner le nom d’Achille au général des Vandales ? Fut-ce à cause de son activité, de sa beauté ou de sa valeur ? Et en quelle langue les Vandales avaient-ils lu Homère ? Le poète grec avait-il été traduit dans la langue de ces Barbares ? Les Latins avaient quatre versions de l’Iliade (Fabricius, t. I, l. II, c. 3, p. 297). Toutefois il paraît, en dépit des éloges de Sénèque (Consol., c. 27), qu’ils ont été plus heureux dans l’imitation que dans la traduction des poètes grecs. Au reste, le nom d’Achille pouvait être célèbre et populaire même chez les Barbares qui ne savaient pas lire.

[4] Une année ! quelle absurde exagération ! La conquête de l’Afrique peut-être fixée à l’an 533, le 14 septembre. Justinien la vante dans la préface de ses Institutes, qui furent publiées le 21 novembre de la même année. Ce calcul pourrait s’appliquer avec plus de justesse, à la distance de nos possessions dans l’Inde, et comprenant le voyage et le retour.

[5] Procope, Vandales, l. I, c. 11, Alem., Not. ad Anecd., p. 5. Un Italien n’éprouvera aucune répugnance à rejeter les prétentions germaniques de Giphanius et de Velserus, qui veulent réclamer Bélisaire ; mais je ne trouve dans aucune liste civile ou ecclésiastique des provinces et des villes, cette Germania ou métropole de Thrace.

[6] Procope a raconté fidèlement et en grand détail les deux premières campagnes de Bélisaire dans la guerre de Perse. Persic., l. 1, c. 12-18.

[7] Voyez la naissante et le caractère d’Antonina dans les Anecdotes, c. 1, et les Notes d’Aleman., p. 3.

[8] Voyez la Préface de Procope. Ceux qui dédaignent les archers, peuvent citer les reproches de Diomède (Iliade, Δ 385, etc.) et le permittere vulnera ventis de Lucain (VIII, 384). Toutefois les Romains ne pouvaient mépriser les traits des Parthes ; et au siège de Troie, Pandarus, Pâris et Teucer, percèrent avec l’arc ces fiers guerriers qui leur reprochaient d’avoir la faiblesse des femmes et des enfants.

[9] Iliade, Δ 123. Que ce tableau a de précision, de justesse et de beauté ! Je vois les attitudes de l’archer, le son aigu de la corde frappe mes oreilles.

[10] Procope semble fixer les dimensions des navires les plus grands à cinquante mille médimnes ou trois mille tonneaux (puisque le médimne pesait cent soixante livres romaines ou cent vingt livres, avoir du poids). J’ai adopté une interprétation plus raisonnable, en supposant que cet écrivain, dans son style attique, a voulu désigner le modius légal et populaire, qui était la sixième partie du médimne. (Hoopers, Ancient Measures, p. 152, etc.) Une erreur contraire et bien plus étrange s’est glissée dans une oraison de Dinarque (contra Demostenem, in Reiske Orator. græc., t. IV, part., II, p. 34) ; en réduisant le nombre des vaisseaux de cinq cents à cinquante, et en traduisant μεδιμνοι par mines ou livres, le Président Cousin donne généreusement cinq cents tonneaux à toute la flotte impériale. Je voudrais savoir s’il avait jamais réfléchi.

[11] J’ai trouvé dans le cours de mes lectures un législateur grec qui infligeait une double peine aux crimes qu’on commettait pendant l’ivresse ; mais on paraît convenir aujourd’hui que c’était une loi politique plutôt qu’une loi morale.

[12] Les Grecs firent même ce voyage en trois jours ; et ils jetèrent l’ancre le premier soir à l’île de Ténédos, voisine de Troie ; ils arrivèrent à Lesbos le second jour ; le troisième, au promontoire d’Eubée, et le quatrième à Argos (Homère, Odyssée, I, 130-183 ; Wood’s Essay an Homer, p. 40-46.) Un corsaire qui avait appareillé de l’Hellespont, arriva au port de Sparte en trois jours. Xénophon., Hellen., l. II, c. 1.

[13] Caucana, près de Camarina, est au moins à cinquante milles (trois cent cinquante ou quatre cents stades) de Syracuse. Cluvier, Siciliæ antiqua, p. 191.

[14] Procope, Gothic., l. I, c. 3. Tibi tollit hinnitum apta quadrigis equa. Il s’agit des pâturages de Grosphus, en Sicile. (Horat., carm. II, 16.) Acragas..... magnanimum quondam generator equorum. (Virgile, Énéid., III, 704.) Les chevaux de Théron, dont Pindare a immortalisé les victoires, étaient nés dans ce pays.

[15] Le Caput-Vada de Procope, où Justinien fonda ensuite une ville (de Ædific., l. VI, c. 6), est le promontoire d’Amon, de Strabon, le Brachodes de Ptolémée, le Capaudia des modernes, et forme une bande longue et étroite qui se prolonge dans la mer. Shaw’s Travels, p. 111.

[16] Un centurion de Marc-Antoine témoigna, quoique d’un ton plus courageux, la même aversion pour la mer et les combats maritimes. Voyez Plutarque, in Antonio, p. 1730, édit. de H. Étienne.

[17] Sullecte est peut-être la Turris Annibalis, vieil édifice qui est encore aujourd’hui aussi grand que la tour de Londres. La marche de Bélisaire vers Leptis, Adrumetum, etc., tire beaucoup de jour de la campagne de César (Hirtius, de Bell. Afric., avec l’analyse de Guichardt), ainsi que des Voyages de Shaw (p. 105-113) dans cette même contrée.

[18] Le Jardin royal d’Ispahan peut donner une idée de ces Paradis, dont le nom et l’usage nous sont venus de la Perse. (Voyage d’Olearius, p. 774.) Voyez aussi leur modèle le plus parfait dans les romans grecs, Longus, Pastor., l. IV, p. 99-101 ; Achille Tatius, l. I, p. 22, 23.

[19] La mer, la terre, les rivières, toutes les parties des environs de Carthage sont presque aussi changées que le peuvent être les travaux des hommes. On ne distingue plus aujourd’hui du continent l’isthme sur lequel était bâtie la ville ; le havre est une plaine desséchée, et le lac ou stagnum n’offre plus qu’un marais coupé par un courant d’eau de six ou sept pieds de profondeur. Voyez d’Anville, Géogr. Anc., t. III, p. 82 ; Shaw’s Travels, p. 7-84 ; Marmol, Description de l’Afrique, t. II, p. 465 ; et de Thou, LVIII, 12, t. III, p. 334.

[20] Du nom de la ville de Delphes un trépied avait reçu, soit en grec, soit en latin, le nom de delphicum, et par une analogie facile à concevoir, le même nom, soit à Rome, à Constantinople ou à Carthage, fut appliqué à la salle du banquet royal. Procope, Vandal., l. I, c. 21 ; Ducange, Gloss. græc., p. 277. Δελφικον, ad Alexiad., p. 412.

[21] Ces harangues font toujours connaître l’esprit du temps ; et quelquefois celui des acteurs. J’en ai resserré le sens, et j’ai rejeté les déclamations.

[22] Les évêques d’Afrique, lors de leur exil en Sardaigne (A. D. 500), avaient emporté les reliques à saint Augustin. On croyait au huitième siècle que Luitprand, roi des Lombards, avait transporté (A. D. 721) ces reliques de la Sardaigne à Pavie. En 1695, les augustins de Pavie trouvèrent un caveau en ruines, un tombeau de marbre, un coffre d’argent, un linceul de soie, des ossements, du sang, etc., et peut-être l’inscription portant le nom d’Agostino en lettres gothiques ; mais la raison et l’envie ont contesté cette découverte. Baronius, Annal., A. D. 725, n° 2-9 ; Tillemont, Mém. ecclés., t. XIII, p. 944 ; Montfaucon, Diar. italic., p. 26 30. Muratori (Antiq. Ital. Medii Ævi, t. V, Dissent. 58, p. 9), qui avait composé un traité sur cet objet avant le décret de l’évêque de Pavie et du pape Benoît XIII.

[23] Τα της πολιτειας προοιμια. C’est ainsi que s’exprime Procope (de Ædific., l. VI, c. 7). Ceuta, ruinée depuis par les Portugais, offrait, sous la domination plus prospère des Arabes, beaucoup de noblesse et un grand nombre de palais, une agriculture et des manufactures florissantes. L’Afrique de Marmol, t. II, p. 236.

[24] Voyez les deuxième et troisième préambules au Digeste ou aux Pandectes, publiés A. D. 533 ; 16.déc. Justinien ou, plutôt Bélisaire, avait de justes titres au surnom de Vandalicus, et d’Africanus ; celui de Gothicus était prématuré ; et celui de Francicus faux et insultant pour une grande nation.

[25] Voyez les actes originaux dans Baronius, A. D. 535, n° 21-54. L’empereur s’applaudit de sa clémence envers les hérétiques, cum sufficiat eis vivere.

[26] Dupin (Géogr. sacr. Afric., p. 59 ; ad Optat. Milev) observe et déplore cette diminution d’évêques. Dans les temps florissants de l’Église, il avait indiqué six cent quatre-vingt-dix évêchés ; mais quelque peu étendus que l’on puisse supposer ces diocèses, vraisemblablement ils n’ont jamais existé simultanément.

[27] Les lois que publia Justinien, sur l’Afrique, sont éclaircies par son biographe allemand. Cod., l. I, t. 27 ; Novell. 36, 37, 131 ; vit. Justian., p. 349-377.

[28] D’Anville (t. III, p. 92 de la Géographie ancienne, et Tabul. imp. Rom. Occident.) place le mont Papua près de Hippo-Regius et de la mer ; mais cette position ne s’accorde ni avec cette longue poursuite au-delà de Hippo ni avec ces paroles de Procope (l. II, c. 4) : Ευ τοις Νουμιδιας εσχατοις.

[29] Shaw (Travels, p. 220) dédit avec exactitude les mœurs des Bédouins et des Kabyles. On voit par la langue de ces derniers qu’ils forment le reste d’une peuplade maure ; mais combien ils sont changés ! quels progrès a faits la civilisation parmi ces sauvages modernes ! Ils ont des vivres en abondance, et le pain est commun chez eux.

[30] Procope dit une lyre ; une harpe aurait été un instrument plus national. Venantius Fortunatus s’exprime ainsi, en parlant des instruments de musique : Romanusque lyra ubi plaudat, Barbarus harpa.

[31] Hérodote décrit heureusement les bizarres effets du chagrin dans un autre prince captif : je veux parler de Psammeticus d’Égypte, à qui de petits malheurs arrachèrent des larmes, tandis qu’il ne parut point ému d’autres malheurs bien plus grands (l. III, c. 14). Bélisaire pouvait étudier son rôle dans l’entrevue de Paul-Émile et de Persée ; mais il est probable qu’il n’avait jamais lu Tite-Live ou Plutarque, et sa générosité n’avait pas besoin de leçons.

[32] Le titre d’imperator ayant perdu le sens militaire que lui donnèrent les premiers Romains, et le christianisme ayant aboli les auspices romains (voyez La Bletterie, Mém. de l’Acad., t. XXI, p. 302-332), on pouvait avec moins d’inconséquence accorder le triomphe à un général particulier.

[33] On doute encore si l’Ecclésiaste est vraiment un ouvrage de Salomon, ou si c’est, comme le poème de Prior, un écrit vieux et moral, composé d’après le repentir de ce roi des Juifs et sous son nom, dans des temps postérieurs : Grotius, qui avait du savoir et une grande liberté d’esprit, adopte la seconde opinion (Opp. theolog., t. I, p. 258), et en effet l’Ecclésiaste et les Proverbes offrent une grande étendue de pensées, et plus d’expérience qu’on ne peut en attribuer à un Juif ou à un roi.

[34] Dans le Bélisaire de M. Marmontel, le roi et le conquérant de l’Afrique soupent et causent ensemble sans se reconnaître. C’est une faute de ce roman de supposer que non seulement le héros, mais encore tous ceux qui l’avaient si bien vu et si bien connu, eussent perdu les yeux et la mémoire.

[35] Shaw, p. 59. Cependant comme Procope (l. II, c. 13) parle d’une peuplade du mont Atlas, dont on remarquait déjà la peau blanche et les cheveux jaunes, ce phénomène, qu’on retrouve dans les Andes du Pérou (Buffon, t. III, p. 504) peut être attribué à l’élévation du sol et à la température de l’air.

[36] Le géographe de Ravenne (l. III, c, II, p. 129, 130, 131, Paris, 1688) décrit la Mauritania Gaditana (en face de Cadix), ubi gens Vandalorum, a Belisario  devicta in Africa, fugit, et nunquam comparuit.

[37] Une seule voix avait protesté et Genseric avait renvoyé sans une réponse formelle les Vandales de la Germanie ; mais ceux de l’Afrique se moquèrent de sa prudence, et affectèrent de mépriser la pauvreté des forêts de leur patrie. Procope, Vandal., l. I, c. 22.

[38] Tollius, qui tenait ces détails de la bouche du grand électeur (en 1687), décrit la royauté secrète et l’esprit de rébellion des Vandales du Brandebourg, qui pouvaient armer cinq ou six mille soldats, et qui s’étaient procuré du canon, etc. (Itinerar. Hungar., p. 42, apud Dubos, Hist. de la Monarch. franç., t. I, p. 182, 183.) On peut suspecter avec raison la véracité, non pas du grand électeur, mais de Tollius.

[39] Procope (l. I, c. 22) était à cet égard dans une ignorance complète. Sous le règne de Dagobert (A. D. 630), les tribus esclavonnes des Sorbi et des Venedi étaient déjà établies sur les frontières de la Thuringe. Mascou, Hist. des Germains, l. XV, 3, 4, 5.

[40] Salluste nous peint les Maures comme l’armée d’Hercule (de Bell. Jugurth., c. 18), et Procope (Vandal., l. II, c. 10) comme les descendants des Cananéens qui prirent la fuite devant le brigand Josué (ληστης). Il cite deux colonnes avec une inscription phénicienne. Je crois aux colonnes, je doute de l’inscription, et je rejette la généalogie.

[41] Virgile (Géorgiques, III, 339) et Pomponius Mela (I, 8) décrivent la vie errante des pasteurs africains qui ressemble à celle des Arabes et des Tartares ; et Shaw (p. 222) est l’écrivain qui commente le mieux le poète et le géographe.

[42] On donnait en ces occasions un sceptre une couronne ou un chapeau, un manteau blanc, une tunique et des souliers, chargés de figures, le tout orné d’or et d’argent. Ces métaux précieux n’étaient pas moins bien reçus pour être frappés en monnaie. Procope, Vandal., l. I, c. 25.

[43] Voyez les détails sur le gouvernement d’Afrique et les exploits militaires de Salomon, dans Procope (Vandal., l. II, c. 10, 1, 12, 19, 20). Cet eunuque fut rappelé, et on lui rendit ensuite le commandement de l’Afrique ; il remporta sa dernière victoire la treizième année du règne de Justinien, A. D. 539. Un accident de son enfance l’avait rendu eunuque (l. I, c. 2). Les autres généraux romains étaient amplement pourvus de barbe (l. II, c. 8).

[44] Les anciens parlent de cette antipathie naturelle du cheval pour le chameau. (Xénophon, Cyropédie, l. VI, p. 438 ; l. VII, p. 483-492, édit. de Hutchinson ; Polyen., Stratag., VII, 6 ; Pline, Hist. nat., VIII, 26 ; Ælien, de Nat. anim., l. III, c. 7.) Mais l’expérience de chaque jour prouve le contraire, et les meilleurs juges sur cette matière, les Orientaux, se moquent de cette observation. Voyage d’Olearius, page 553.

[45] La première description du mont Aurasius se trouve dans Procope (Vandal., l. II, c. 13, de Ædific., l. VI, c. 7). On peut la comparer avec ce qu’en disent Leo Africanus (dell’ Africa, part. V, in Ramusio, t. I fol. 77 recto), Marmol (t. II, p. 430) et Shaw, (p. 56-59).

[46] Isidore, Chron., p. 722, édit. Grotius ; Mariana, Hist. Hispan., l. V, c. 8, p. 173. Toutefois, selon Isidore, le siége de Ceuta et la mort de Theudès eurent lieu (A. Æ. H. 586, A. D. 548) et la place était défendue non par les Vandales, mais par les Romains.

[47] Procope, Vandal., l. I, c. 24.

[48] Voyez la Chronique originale d’Isidore, et les cinquième et sixième livres de l’Histoire d’Espagne par Mariana. Après la réunion des Visigoths à l’Église catholique, Suintila, leur roi, chassa enfin les Romains de l’Espagne, A. D. 621-626.

[49] Voyez des détails sur le mariage et la mort d’Amalafrida dans Procope (Vandal., l. I, c. 8 9) ; et dans Cassiodore (Variar., IX, 1), les instances de Théodoric. Comparez les écrivains avec la chronique de Victor Tunnunensis.

[50] Lilybée fût bâtie parles Carthaginois (quatre-vingt-quinzième olympiade, ann. 4), et dans la première guerre punique, la force de sa position, et son havre excellent la rendirent une place importante pour les deux nations belligérantes.

[51] Comparez les divers passages de Procope (Vandal., l. II c. 5 ; Goth., l. I, c. 3).

[52] Voyez sur le règne et le caractère d’Amalasonthe, Procope, Gothic., l. I, c. 2, 3, 4, et les Anecdotes, c. 16, avec les notes d’Alemannus ; Cassiodore, Variar., VIII, IX, X et XI, I ; et Jornandès, de Reb. get., c. 59 ; et de Successione regnorum, in Muratori, t. I, p. 241.

[53] Le mariage de Théodoric et d’Audeflède, sœur de Clovis, peut être placé à l’année 495, peu de temps après la conquête de l’Italie. (Du Buat, Hist. des Peuples, etc., t. IV, p. 213.) Les noces d’Eutharic et d’Amalasonthe furent célébrées en 515. Cassiodore, in Chron., p. 453.

[54] Procope dit qu’à la mort de Théodoric, Athalaric, son petit-fils, avait à peu près huit ans. Cassiodore, dont l’autorité est ici d’un grand poids, lui donne avec raison deux années de plus, infantulum adhuc vix decennem.

[55] Le lac nommé aujourd’hui Bolsena était alors appelé Vulsiniensis ou Tarquiniensis, du nom de deux villes de l’Étrurie qui se trouvaient dans ses environs. Il est environné de rochers blanchâtres ; il est plein de poissons, et on voit sur ses bords un grand nombre d’oiseaux : Pline le jeune (épist. 2, 96) parle de deux îles boisées qui flottaient sur ses eaux. Si c’est une fable, que les anciens étaient crédules ! et si le fait est vrai, que les modernes sont négligents ! Au reste, depuis le temps de Pline, ces deux îles ont pu être fixées par de nouveaux atterrissements.

[56] Amalasonthe n’existait de plus lorsque ce nouvel ambassadeur, Pierre de Thessalonique, arriva en Italie ; il n’a donc pu contribuer secrètement à sa mort. Mais, dit M. de Sainte-Croix, il n’est pas hors de vraisemblance que Théodora soit entrée dans quelque intrigue criminelle avec Gudeline ; car cette femme de Théodat lui écrivit pour implorer sa protection, en l’assurant de toute la confiance qu’elle et son mari avaient toujours mise en ses anciennes promesses. (Cassiodore, Variar., l. X, c. 20, 21.) Voyez sur Amalasonthe et les auteurs de sa mort, une excellente dissertation de M. de Sainte-Croix dans les Archives littéraires, rédigées par M. Vanderbourg, n° 50, t. XVII, p. 216. (Note de l’Éditeur.)

[57] Au reste, Procope discrédite lui-même son témoignage (Anecdotes, l. XVI), en avouant qu’il n’a pas dit la vérité dans son histoire publique. Voyez les lettres de la reine Gudeline, à l’impératrice Théodora (Var., X, 20, 21, 23), avec le savant commentaire de du Buat (l. X, p. 177-185), et observer l’expression suspecte de illa persona.

[58] Comparez, sur la conquête de la Sicile, la narration de Procope avec les plaintes de Tatila (Gothic., l. I, c. 5 ; l. III, c. 16.) La reine des Goths avait donné récemment des secours à cette île ingrate. Var., IX, 10, 11.

[59] On trouve une description de l’ancienne étendue et de l’ancienne magnificence des cinq quartiers de Syracuse, dans Cicéron (in Verrem, actio 2, l. IV, c. 52, 53), Strabon (l. VI, p. 415) et d’Orville (Sicula, t. II, p. 174-202). L’enceinte de la nouvelle ville, rebâtie par Auguste, était fort resserrée du côté de l’île.

[60] Procope (Vandal., l. II, c. 15) parle si clairement du retour de Bélisaire en Sicile (p. 146, édit. Hoeschelii), que je suis étonné de l’étrange méprise et des reproches d’un savant critique sur cet objet. Œuvres de La Mothe-le-Vayer, t. VIII, p. 162, 163.

[61] L’ancienne ville d’Albe fut détruite dans les premiers temps de Rome. Sur son terrain, ou dans ses environs, on a vu successivement ; 1° la maison de campagne de Pompée, etc. ; 2° un camp des cohortes prétoriennes ; 3° la ville moderne et épiscopale d’Albanum ou Albano. Procope, Goth., l. II c. 4 ; Cluvier, Ital. antiq., t. II, p. 914.

[62] Une sibylle se hâta de prononcer. Africa capta, MUNDUS cum nato peritit, oracle d’une ambiguïté effrayante (Goth., l. I, c. 7), qui a été publié en caractères inconnus, par Opsopæus. Le père Maltrer avait promis un commentaire ; mais il n’a rempli aucune de ses promesses.

[63] Procope, dans sa chronologie, qu’il a imitée à quelques égards de Thucydide, commence au printemps les années de Justinien et de la guerre des Goths ; et sa première époque tombe au 1er avril 535, et non pas 536, comme le disent les Annales de Baronius (Pagi, Crit., p. 555), suivi par Muratori et les éditeurs de Sigonius : toutefois nous ne pouvons concilier les dates de Procope avec ses propres écrits, ni avec la Chronique de Marcellin.

[64] Procope (l. I, c. 5-29 ; l. II, c. 1-30 ; l. III, c. 1) raconte la première guerre des Goths jusqu’à la captivité de Vitigès. J’y ai ajouté quelques faits que j’ai tirés de Sigonius (Opp., t. I, de Imp. Occident., l. XVII, XVIII) et de Muratori (Ann. de Italia, t. V).

[65] Jornandès, de Reb. getic., c. 60, p. 702, édit. Grot. ; et t. I, p. 221 ; Muratori, de Success. reg., p. 241.

[66] Néron, dit Tacite (Ann., XV, 35), Neapolim quasi urbem grœcam delegit. Cent cinquante ans après, au temps de Septime-Sévère, Philostrate donne des éloges à l’hellénisme des Napolitains. Icon., liv. I, page 763, édit. Olear.

[67] Virgile, Horace, Silius Italicus et Stace, célèbrent le repos de Naples. (Cluvier, Ital. antiq., l. IV, p. 1149, 1150.) Il nous reste une agréable épître de Stace. (Sylves, l. III, 5, p. 94-98, édit. de Markland), où il entreprend la difficile tâche d’arracher sa femme aux plaisirs de Rome pour la conduire dans cette paisible retraite.

[68] C’est la mesure que trouva Roger Ier après la conquête de Naples (A. D. 1139), dont il fit la capitale de son nouveau royaume. (Giannone, Istoria civile, t. II, p. 169.) Cette ville, la troisième de l’Europe chrétienne, a aujourd’hui plus de douze milles de circonférence (Jul. Cæs. Capaccii. Hist. Neapol., l. I, p. 47), et elle contient plus d’habitants (trois cent cinquante mille) dans un espace donné, qu’aucun autre lieu du monde connu.

[69] Il ne s’agit pas ici de pas géométriques, mais de pas communs de vingt-deux pouces de France. (D’Anville, Mesures itinéraires, p. 7, 8.) Les deux mille trois cent soixante-trois ne font pas un mille d’Angleterre.

[70] Bélisaire fut réprimandé par le pape Sylvestre à l’occasion du massacre. Il repeupla Naples, et établit des colonies de captifs africains dans la Sicile, la Calabre et la Pouille. Hist. Miscell., l. XVI, in Murat., t. I, p. 106, 107.

[71] Bénévent fut bâti par Diomède, neveu de Méléagre. (Cluvier, t. II, p. 1195, 1196.) La chasse du sanglier de Calydon offre un tableau de la vie sauvage. (Ovide, Métamorphoses, l. VIII.) Trente ou quarante héros se liguaient contre un cochon ; et ces brutes animaux (je ne parle pas du cochon) se querellaient avec une femme pour la hure.

[72] Cluvier (t. II, p. 1007) confond le Decennovium avec la rivière Ufens ; ce qui est un peu étrange. C’était, dans la vérité, un canal de dix-neuf milles, depuis le Forum Appii jusqu’à Terracine et sur lequel Horace s’était embarqué la nuit Le Decennovium dont parlent Lucain, Dion Cassius et Cassiodore, a été successivement ruine, rétabli et entièrement détruit. Analyse de l’Italie, p. 185, etc.

[73] Un Juif avait satisfait sa haine et son mépris pour tous les chrétiens sans distinction de sectes, en resserrant dans un lieu fort étroit des bandes de cochons de dix chacune, et en les numérotant sous les noms de Goths, de Grecs et de Romains. Presque tous les cochons de la première bande furent trouvés morts, presque tous ceux de la seconde étaient en vie ; la moitié de ceux de la troisième moururent ; les cinq autres perdirent leurs soies ; et ce grossier emblème n’exprimait pas mal ce qui arriva.

[74] Bergier (Hist. des grands chemins des Romains, t. I, p. 221-228., 440-444) examine la structure et les matériaux de cette route ; et d’Anville (Analyse de l’Italie, p. 209-213) détermine sa direction.

[75] La suite des événements, plutôt que le texte corrompu ou interpolé de Procope, fait connaître que Bélisaire reprit Rome l’an 536. Evagrius (l. IV, c. 19) indique le mois de décembre et on peut supposer que ce fut le 10, d’après le témoignage de Nicephorius Callistus (l. 17, c. 13), écrivain d’ailleurs assez peu exact. Je dois ces remarques aux recherches et à la pénétration de Pagi (t. II, p. 559, 560).

[76] Un cheval bai ou roux était appelé φαλιος par les Grecs, balan par les Barbares, et spadix par les Romains. Honesti spadices, dit Virgile (Géorgiques, l. III, 72, avec les observations de Martin et de Heyne). Σπαδιξ ou βαιον signifient une branche de palmier, dont le nom φοινιξ est synonyme de roux. Aulu-Gelle, II, 26.

[77] Je suppose que le terme de βανδαλαριος n’est pas un nom d’homme, mais le nom de l’emploi de porte-étendard ; il paraît venir de bandum (vexillum) mot barbare adopté par les Grecs et par les Romains. Paul Diacre, l. I, c. 20, p. 760. Grotius, Nomina gothica, p. 55 ; Ducange, Gloss. Latin., t. I, p. 539, 540.

[78] M. d’Anville a donné dans les Mémoires de l’Académie des Inscriptions (année 1756, t. III, p. 198-236), un plan de Rome sur une échelle plus petite, mais beaucoup plus exacte, que celle du plan qu’il avait tracé en 1738 pour l’Histoire de Rollin. Il avait profité des leçons de l’expérience, et au lieu de la topographie de Rossi, il s’était servi de la nouvelle et excellente carte de Nolli. L’ancienne mesure de treize milles que donne Pline, doit être réduite à huit. Il est plus aisé d’altérer un texte que d’éloigner des collines ou des édifices.

[79] En 1709, Labat (Voyages en Italie, t. III, p. 218) comptait à Rome cent trente-huit mille cinq cent soixante-huit âmes chrétiennes, et en outre huit à dix mille Juifs, apparemment sans âmes. En 1163, la population de Rome était de plus de cent soixante mille âmes.

[80] L’œil exact de Nardini y distinguait les tumultuarie opere di Belisario. Roma antica, l. I, c. 8, p. 31.

[81] L’ouverture et l’inclinaison qu’observa Procope, dans la partie supérieure de la muraille (Goth., l. I, c. 3), se voient encore aujourd’hui. Donat., Roma vetus, l. I, c. 17, p. 53, 54.

[82] Juste Lipse (Opp., t. III, Polior., l. III) ne connaissait pas ce passage clair et frappant de Procope (Goth., l. I, c. 21). Cette machine de guerre était appelée οναγρος, l’âne sauvage, a calcitrando. (Henri Etienne, Thesaur. Linguœ grœc., t. II, p. 1340, 1341 ; t. III, p. 877.) J’en ai vu un modèle imaginé et exécuté par le général Melville, qui imite ou surpasse l’art de l’antiquité.

[83] La description par Procope (l. I, c. 25) de ce mausolée ou de ce môle, est la première et la meilleure de toutes celles que l’on a faites. La hauteur au-dessus des murs σχεδον ες λιθου βολην, sur le grand plan de Nolli ; les côtés ont deux cent soixante pieds anglais.

[84] Praxitèle excellait dans les faunes, et celui d’Athènes était son chef-d’œuvre. On en trouve aujourd’hui à Rome plus de trente. Lorsque le fossé de Saint-Ange fut nettoyé, sous Urbain VIII, les ouvriers découvrirent le Faune endormi du palais Barberini ; mais cette belle statue avait perdu une jambe, une cuisse et le bras droit. Winkelman, Hist. de l’Art, t. II, p. 52, 53 ; t. III, p. 265.

[85] La description que fait Procope du temple de Janus, divinité du Latium, est la meilleure. (Heyne, Excurs. V ad l. VII Æneid.) Au temps de Romulus et de Numa, c’était une des portes de la ville. (Nardini, p. 13, 256, 329.) Virgile a décrit l’ouverture du temple de Janus en poète et en antiquaire.

[86] Le vivarium était une enceinte formée dans un angle du nouveau mur, pour y renfermer des bêtes sauvages. (Procope, Goth., l. I, c. 23.) On le distingue dans Nardini (l. IV, c. 2, p. 159, 160), et dans le grand plan de Rome qu’a publié Nolli.

[87] Consultez, sur la trompette romaine et ses diverses notes, Lipse (de Militia romana Opp., tome III, liv. 4, dialogue X, p. 125-I29). Procope proposa de distinguer la charge par la trompette d’airain de la cavalerie, et la retraite par la trompette de cuir e de bois léger de l’infanterie, et Bélisaire adopta cette méthode. Goth., l. II, c. 23.

[88] Procope (Goths, l. II, c. 3) a oublié de nommer les aqueducs, et rien dans les écrits de Frontinus Fabretti et Eschinard (de Aquis, et de Agro romano), ni dans les cartes de Lameti et de Cingolani, n’annonce clairement cette double intersection placée à cette distance de Rome. On trouve à sept ou huit milles de Rome (à cinquante stades), sur le chemin d’Albano ; entre la voie Latine et la voie Appienne, les restes d’un aqueduc, probablement le Septimien, qui se prolonge sur une étendue de six cent trente pas, et dont les arceaux ont vingt-cinq pieds de hauteur (υψηλω εσαγαν).

[89] Ils firent des saucissons, αλλατας, avec de la chair de mulet, qui durent être malsains si les mulets étaient morts de la maladie contagieuse ; car, du reste, on dit que les fameux saucissons de Bologne sont de chair d’âne. Voyages de Labat, t. II, p. 218.

[90] Le nom du palais, de la colline et de la porte adjacente, venait du sénateur Pincius. Des restes de temples et d’églises sont aujourd’hui dispersés dans le jardin des minimes de la Trinité du Mont. Nardini, l. IV, c. 7, p. 19 ; Eschinard, p. 209, 210 : voyez aussi le vieux plan de Buffalino et le grand plan de Nolli. Bélisaire avait établi son quartier entre la porte Pinciez et la porte Salaria. Procope, Goth., l. I, c. 15.

[91] Le primum et le secundum velum paraissent indiquer que, même durant le siége, Bélisaire représentait l’empereur, et faisait observer l’orgueilleux cérémonial du palais de Byzance.

[92] Procope rapporte cet acte de sacrilège malgré lui et en peu de mots (Goth., l. I, c. 25). La narration de Liberatus (Breviarium, c. 22) et d’Anastase (de Vit. Pont., page 39) est détaillée, mais remplie de passion. Écoutez les anathèmes du cardinal Baronius (A. D. 536, n° 123 ; A. D. 538, n° 4-20) : Portentum, facinus omni execratione dignum.

[93] L’ancienne porte de Capène avait été reculée par Aurélien jusqu’à la porte moderne de Saint-Sébastien, ou près de là. (Voyez le plan de Nolli.) Ce remarquable emplacement avait été consacré par le bocage d’Égérie, le souvenir de Numa, des arcs de triomphe, les sépulcres des Scipions, des Metellus, etc.

[94] Les expressions de Procope présentent un sens défavorable (Goth., l. II, c. 4), cependant il parle d’une femme.

[95] Anastase (p. 40) a conservé cette épithète de sanguinarius, qui pourrait faire honneur à un tigre.

[96] Ce fait est raconté dans l’Histoire publique (Goth., l. II, c. 8) avec bienveillance ou circonspection, et dans les Anecdotes (c. 7) avec malveillance ou avec plus de liberté. Marcellin, ou plutôt son continuateur (in Chron.), jette sur le meurtre de Constantin un soupçon de préméditation. Il avait rendu des services utiles à Rome et à Spolette. (Procope, Goths, l. I, c. 7-14.) Aleman le confond avec Constantianus, comes stabuli.

[97] Ils refusèrent de servir après son départ ; ils vendirent aux Goths les captifs et le bétail qu’ils possédaient, et ils jurèrent de ne jamais les combattre. Il y a dans Procope une digression curieuse sur les mœurs et les aventures de cette nation errante, dont une partie se porta finalement dans Thulé et la Scandinavie. Goth., l. II, c. 14, 15.

[98] Ce reproche de perfidie (Procope, Goth., l. II, c. 25) blesse La Mothe-le-Vayer (t. VIII, p. 163-165). On dirait, d’après ses critiques, qu’il n’avait pas lu l’historien grec.

[99] Baronius loue la trahison de Datius, et justifie les évêques catholiques : Qui ne sub heretico principe degant, omnem lapidem movent. Précaution vraiment utile ! Muratori, plus raisonnable (Ann. d’Italie, t. V, 54), laisse entrevoir qu’il les regarde comme des parjures, et il blâme du moins l’imprudence de Datius.

[100] Saint Datius fut plus heureux contre les démons que contre les Barbares. Il voyagea avec une suite nombreuse, et il occupa à Corinthe une grande maison. Baronius, A. D. 538, n° 89 ; A. D. 539, n° 20.

[101] Μυριαδες τριακοντα. (Voyez Procope, l. II, c. 7, 21.) Au reste, une population aussi nombreuse parait incroyable. Milan, quoique la seconde ou la troisième ville de l’Italie, n’aura pas à se plaindre si nous retranchons un zéro du texte. Milan et Gênes se relevèrent en moins de trente ans : Paul Diacre, de Gest. Langobard., l. II, c. 38.

[102] Outre Procope, trop disposé peut-être en faveur des Romains, voyez les Chroniques de Marius et de Marcellin ; Jornandès, in Success. reg. in Muratori, t. I, p. 241 ; et saint Grégoire de Tours, l. III, c. 32., in t. II des Historiens de France. Saint Grégoire suppose que Bélisaire fût battu ; et Aimoin (de Gest. Francor., l. II, c. 23, in t. II, p. 59) dit qu’il fut tué par les Francs.

[103] Agathias, l. I, p. 14, 15. Quand il serait venu à bout de séduire ou de subjuguer les Gépides où les Lombards de la Pannonie, l’historien grec est persuadé qu’il aurait péri dans la Thrace.

[104] Théodebert ayant lancé sa pique au taureau, l’animal renversa un arbre sur la tête du roi : il mourut le même jour. Tel est le récit d’Agathias ; mais les historiens originaux de France (t. II, p. 202, 403, 558, 667) disent qu’il mourut d’une fièvre.

[105] Sans me perdre dans la multitude des diverses espèces et des différents noms, l’auroch, l’urus, le bison, le bubalus, le banasus, le buffle etc. (Buffon, Hist. nat., t. XI, et Supplément, t. III, VI), il est sûr qu’au sixième siècle on chassait dans les grandes forêts des Vosges et des Ardennes une espèce sauvage de bêtes à cornes d’une grande taille. Saint Grégoire de Tours, t. II, l. X, c. 10, p. 369.

[106] Durant le siège d’Auximum il s’efforça d’abord de détruire un vieil aqueduc, et il jeta ensuite dans les eaux 1° des cadavres, 2° des herbes malfaisantes, et 3° de la chaux vive, que les anciens nommaient τιτανος, dit Procope (l. II, c. 29), et que les modernes appellent ασβεστος. Toutefois ces deux mots sont employés comme synonymes dans Galien, Dioscorides et Lucien. H. Étienne, Thésaur. ling. græc., p. 748.

[107] Les Goths soupçonnèrent Mathasuintha d’avoir contribué à cet incendie, qui fut peut-être l’effet de la foudre.

[108] Dans la rigueur philosophique, il paraît contradictoire de borner les droits de la guerre. Grotius lui-même se perd dans la vaine distinction entre le jus naturæ et le jus gentium, entre le poison et l’infection. Il met d’un côté de la balance les passages d’Homère (Odyssée, A. D. 259, etc.) et de Florus (l. II, c. 20, n°7, ult.), de l’autre les exemples de Solon (Pausanias, l. X, c. 37) et de Bélisaire. Voyez son ouvrage (de Jure belli et pacis, l. III., c. 42, s. 15, 16, 17, et dans la version de Barbeyrac, t. II, p. 257, etc.). Au reste, je comprends les avantages et la validité d’une convention tacite ou expresse, qui interdirait réciproquement certaines méthodes d’hostilité. Voyez le serment amphictyonique dans Eschine, de falsa Legatione.

[109] Bélisaire entra dans Ravenne non pas en l’année 540, mais à la fin de 539. Pagi (t. II, 569) est rectifié sur ce point par Muratori (Ann. d’Italia, t. V, p. 62), qui prouve, d’après un acte original sur papyrus (Antiq. Italiœ medii œvi, tome II, dissert. 32, p. 997-1009 ; Maffei, Istoria diplom., p. 155-160), qu’avant le 3 janvier 540, la paix et une libre communication étaient rétablies entre Ravenne et Faenza.

[110] Vitigès fut arrêté par Jean le Sanguinaire ; mais on lui fit dans la basilique de Julius le serment ou la promesse solennelle de respecter sa vie. (Hist. Miscell., l. XVII, in Muratori, t. I, p. 107.) Le récit d’Anastase est obscur, mais vraisemblable (in Vit. Pont., p. 40). Mascou (Hist. des Germains, XII, 21) parle, d’après Montfaucon, d’un bouclier votif qui représente la captivité de Vitigès, et qui est aujourd’hui dans le cabinet de M. Landi, à Rome.

[111] Vitigès vécut deux ans à Constantinople, et imperatoris in affectu convictus (ou conjunctus), rebus excessit humanis. Mathasuintha, sa veuve, en épousant le patricien Germanus, de qui elle eut, Germanus le Jeune, unit le sang de la famille Anicienne et de celle des Amali. Jornandès, c. 60, p. 221, in Muratori, t. I.

[112] Procope, Goth., l. III, c. 1. Aimoin, moine français du onzième siècle, qui s’était procuré sur Bélisaire quelques détails authentiques qu’il a défigurés, parle en son nom de douze mille pueri ou esclaves, quos propriis alimus stipendiis, et en outre de dix-huit mille soldats. Historiens de France, t. III, de Gest. Francor., t. III, c. 6, p. 48.

[113] Aleman, avec tous ses soins, a ajouté peu de chose aux quatre premiers chapitres des Anecdotes, qui sont les plus curieux. Une partie de ces étranges Anecdotes peut être vraie, parce qu’elle est probable : une autre partie est peut-être vraie, parce qu’elle est improbable. Procope a dû savoir les premières par lui-même, et les dernières sont telles, qu’on a peine à concevoir qu’il ait pu les inventer.

[114] Procope insinue (Anecdotes, c. 4) que lorsque Bélisaire revint en Italie (A. D. 543), Antonina avait soixante ans. Ne peut-on pas, par une interprétation forcée, mais plus polie, rapporter cet âge de soixante ans à l’époque où Procope écrivait, en 559, qui s’accorderait encore avec la virilité de Photius (Goth., l. I, c. 10), en 536 ?

[115] Rapprochez la guerre des Vandales (l. I, c. 12) des Anecdotes (c. 1) et d’Aleman. (p. 2, 3). Léon le Philosophe fit revivre cette adoption baptismale.

[116] Au mois de novembre 537, Photius arrêta le pape. (Liberat. Brev., c. 22 ; Pagi, t. II, p. 552.) Vers la fin de l’année 539, Bélisaire donna à Théodose, τον τη οικια τη αυτου εφεστωτα, une commission, importante et lucrative à Ravenne.

[117] Théophane (Chronograph., p. 204) lui donne le nom de Photinus, beau-fils de Bélisaire ; et il est copié par l’Historia Miscella et par Anastase.

[118] Le continuateur de la Chronique de Marcellin donne en peu de mots décents la substance des Anecdotes : Belisarius de Oriente evocatus, in offensam periculumque incurrens grave, et invidiæ subjacens, rursus remittitur in Italiam (page 54).