Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain

 

CHAPITRE XXIX

Partage définitif de l’empire romain entre les fils de Théodose. Règne d’Arcadius et d’Honorius, Administration de Rufin et de Stilichon. Révolte et défaite de Gildon en Afrique.

 

 

LE génie de Rome expira avec Théodose, le dernier des successeurs d’Auguste et de Constantin qui parut à la tête des armées et dont l’autorité fut universellement reconnue dans toute l’étendue de l’empire. Cependant la jeunesse et l’inexpérience de ses deux fils furent protégées quelque temps par le souvenir de sa gloire et de ses vertus. Après la mort de leur père, Arcadius et Honorius furent reconnus, du consentement de l’univers, légitimes empereurs de l’Orient et de l’Occident. Tous les ordres de l’État, toutes les classes de citoyens, les sénats de l’ancienne et de la nouvelle Rome, le clergé, les magistrats, les soldats et le peuple, prononcèrent avec zèle le serment de fidélité. Arcadius, alors âgé d’environ dix-huit ans, était né en Espagne, dans l’humble habitation d’un simple citoyen ; mais il avait reçu dans le palais de Constantinople une éducation convenable à sa nouvelle fortune : ce fut dans la paix et la magnificence de cette royale demeure qu’il passa entièrement une vie sans gloire ; ce fut de là qu’il sembla régner sur les provinces de la Thrace, de l’Asie-Mineure, de la Syrie et de l’Égypte, depuis le Bas-Danube jusqu’aux confins de la Perse et de l’Éthiopie. Le jeune Honorius, son frère, fut décoré, dans la onzième année de son âge, du titre d’empereur de l’Italie, de l’Afrique, de la Gaule, de l’Espagne et de la Grande-Bretagne ; les troupes qui gardaient les frontières de son empire servaient de barrière ; d’un côté contre les Maures, et de l’autre contre les Calédoniens. Les deux princes partagèrent entre eux la vaste et belliqueuse préfecture de l’Illyrie, les provinces de Norique, de Pannonie et de Dalmatie, appartinrent à l’empire à Occident ; mais les deux grands diocèses de Dacie et de Macédoine, confiés autrefois par Gratien à la valeur de Théodose, furent irrévocablement réunis à l’empire de l’Orient. Les bornes en Europe étaient à peu près celles qui séparent aujourd’hui les Turcs des Allemands. Dans cette division définitive et durable de l’empire romain, on pesa de bonne foi et l’on compensa les différents avantages de territoire, de richesses, de population et de forces militaires. Le sceptre héréditaire des enfants de Théodose semblait leur appartenir par le choix de la nature et le don de leur père. Les généraux et les ministres s’étaient accoutumés à révérer dans les jeunes princes la dignité impériale ; l’exemple dangereux d’une nouvelle élection ne vint point avertir le peuple et les soldats de leurs droits et de leur puissance. Les preuves qu’Arcadius et Honorius donnèrent successivement de leur faiblesse et de leur incapacité, les malheurs multipliés de leur règne, ne suffirent point pour détruire les sentiments de fidélité dont leurs sujets avaient de, bonne heure reçu la profonde empreinte. Plein de respect pour la personne, ou plutôt pour le nom de ses souverains, le peuple chargea également de sa haine les rebelles qui attaquaient l’autorité de son monarque et les ministres qui en abusaient.

Théodose a terni la gloire de son règne par l’élévation de Rufin, odieux favori, à qui dans un siècle de factions civiles et religieuses, tous les partis ont imputé tous les crimes. Poussé par l’avarice et par l’ambition[1], Rufin, né dans un coin obscur de la Gaule[2], quitta son pays natal pour chercher fortune dans la capitale de l’Orient. Le talent naturel d’une élocution facile et hardie[3] lui obtint des succès au barreau, et ces succès le conduisirent naturellement aux premiers emplois de l’État. Il parvint graduellement, par des promotions régulières, à la charge de maître des offices, et dans l’exercice de ses nombreuses fonctions, liées si essentiellement avec tout le système du gouvernement civil, il acquit la confiance d’un souverain qui découvrit en peu de temps sa diligente et sa capacité dans les affaires, et ignora longtemps la fausseté, l’orgueil et l’avidité de  son favori. Il déguisait soigneusement ses vices sous le masque de la plus profonde dissimulation[4], et ses passions étaient toujours au service de celles de son maître, Cependant, dans le massacre odieux de Thessalonique, le barbare Rufin enflamma la colère de Théodose, et n’imita point son repentir. Cet homme qui regardait le reste des humains avec une indifférence dédaigneuse, ne pardonnait jamais la plus faible apparence d’une injure, et en devenant son ennemi on perdait à ses yeux tous les droits que pouvaient avoir acquis des services rendus à l’État. Promotus, maître général de l’infanterie, avait sauvé l’empire en repoussant l’invasion des Ostrogoths, mais il souffrait avec indignation la prééminence d’un rival dont il méprisait le caractère et la profession. Le fougueux soldat, irrité de l’arrogance du favori, s’emporta jusqu’à le frapper au milieu du conseil. On représenta cet acte de violence à l’empereur comme une insulte personnelle, que sa dignité ne lui permettait pas délaisser impunie. Promotus fut instruit de sa disgrâce et de son exil par l’ordre péremptoire qu’il reçut de se retirer sans délai dans un poste militaire sur le Danube. La mort de ce général, quoique tué dans une escarmouche contre les Barbares, a été imputée à la perfidie de Rufin[5]. Le sacrifice d’un héros satisfit sa vengeance, et les honneurs du consulat augmentèrent encore sa vanité ; mais sa puissance lui paraissait imparfaite et précaire, tant que Tatien[6] et son fils Proculus occupaient les préfectures importantes de l’Orient et de Constantinople, et balançaient par leur autorité réunie les prétentions et la faveur du maître des offices. Les deux préfets furent accusés de fraude et de concussion dans l’administration des lois et des finances ; l’empereur pensa que des coupables si importants devaient être jugés par une commission particulière. On nomma plusieurs juges, afin de partager entre eux le crime et le reproche de l’injustice ; mais le droit de prononcer la sentence, fut réservé au président, et ce président était Rufin lui-même. Le père, dépouillé de sa préfecture, fut jeté dans un cachot ; le fils prit la fuite, convaincu que peu de ministres peuvent compter sur le triomphe de leur innocence, quand ils ont pour juge un ennemi personnel ; mais plutôt que de se voir obligé à borner sa vengeance à celle de ses deux victimes qui lui était la moins odieuse, Rufin abaissa l’insolence de son despotisme jusqu’aux artifices les plus vils. On conserva, dans la poursuite du procès une apparence de modération et d’équité, qui donna à Tatien les espérances les plus favorables sur l’événement. Le président augmenta sa confiance par des protestations solennelles et des sermons perfides. Il alla même jusqu’à abuser du nom de l’empereur, et le père infortuné se laissa enfin persuader de rappeler son fils par une lettre particulière. A son arrivée, Proculus fait arrêté, examiné, condamné et décapité dans un des faubourgs de Constantinople, avec une précipitation qui trompa la clémence de l’empereur. Sans aucun respect pour la douleur d’un sénateur consulaire, les barbares juges de Tatien l’obligèrent d’assister au supplice de son fils : il avait lui-même au cou le cordon fatal ; mais au moment où il attendait, où il souhaitait peut-être une prompte mort qui eût terminé tous ses malheurs, on lui permit de traîner les restes de sa vieillesse dans l’exil et dans la pauvreté[7]. La punition des deux préfets peut trouver une excuse peut-être dans les fautes ou les torts de leur conduite ; l’esprit jaloux de l’ambition peut pallier la haine de leur persécuteur ; mais Rufin poussa la vengeance à un excès aussi contraire à la prudence qu’à l’équité, en dégradant la Lycie, leur patrie, du rang de province romaine, en imprimant une tache d’ignominie sur un peuple innocent, et en déclarant les compatriotes de Tatien et de Proculus incapables à jamais d’occuper un emploi avantageux ou honorable dans le gouvernement de l’empire[8]. Le nouveau préfet de l’Orient, car Rufin succéda immédiatement aux honneurs de son rival abattu, ne fut jamais détourné par ses plus criminelles entreprises, des pratiques de dévotion qui passaient alors pour indispensables au salut. Il avait bâti dans un faubourg de Chalcédoine, surnommé le Chêne, une magnifique maison de campagne, à laquelle il joignit pieusement une superbe église, consacrée aux apôtres saint Pierre et saint Paul, et sanctifiée par les prières et la pénitence continuelle d’une communauté de moines. On convoqua un synode nombreux et presque général des évêques de l’Orient, pour célébrer en même temps la dédicace de l’église et le baptême du fondateur. La plus grande pompe régna dans cette double cérémonie ; et lorsque les eaux saintes eurent purifié Rufin de tous les péchés qu’il avait pu commettre jusqu’alors, un vénérable ermite d’Égypte se présenta imprudemment pour la caution d’un ministre plein d’orgueil et d’ambition[9].

Le caractère du vertueux Théodose imposait à son ministre la nécessité de l’hypocrisie, qui détruisait souvent et retenait quelquefois l’abus de la puissance. Rufin se gardait de troubler le sommeil d’un prince indolent, mais encore capable d’exercer les talents et les vertus qui l’avaient élevé à l’empire[10]. L’absence, et bientôt après la mort de ce grand prince, confirmèrent l’autorité absolu de Rufin sur la personne et sur les États d’Arcadius, prince faible et sans expérience, que l’orgueilleux préfet regardait plutôt comme son pupille que comme son souverain. Indifférent pour l’opinion publique, il se livra dès lors à ses passions sans remords et sans résistance ; son cœur avide et pervers était inaccessible aux passions qui auraient pu contribuer à sa propre gloire ou au bonheur des citoyens. L’avarice semble avoir été le besoin dominant de cette âme corrompue[11] : des taxes oppressives, une vénalité scandaleuse, des amendes immodérées, des confiscations injustes, de faux testaments, au moyen desquels il dépouillait de leur héritage les enfants de ses ennemis, ou même de ceux qui n’avaient point mérité sa haine ; enfin tous les moyens, soit généraux, soit particuliers, que petit inventer la rapacité d’un tyran, furent employés pour attirer dans ses mains les richesses de l’Orient ; il vendait publiquement la justice et la faveur dans le palais de Constantinople. L’ambitieux candidat marchandait avec avidité, aux dépens de la meilleure partie de son patrimoine, les honneurs lucratifs d’un gouvernement de province ; la vie et la fortune des malheureux habitants étaient abandonnées au dernier enchérisseur. Pour apaiser les cris du public, on sacrifiait de temps en temps quelque odieux coupable dont le châtiment n’était profitable qu’au préfet, qui devenait son juge après avoir été son complice. Si l’avarice n’était pas la plus aveugle des passions, les motifs de Rufin pourraient exciter notre curiosité ; nous serions peut-être tentés d’examiner dans quelles vues il sacrifiait tous les principes de l’honneur et de l’humanité à l’acquisition d’immenses trésors, qu’il ne pouvait ni dépenser sans extravagance, ni conserver sans danger. Peut-être se flattait-il orgueilleusement de travailler pour sa fille unique ; de la marier à son auguste pupille, et d’en faire l’impératrice de l’Orient. Il est possible que, trompé par de faux calculs, il ne vît dans son avarice que instrument de son ambition, et qu’il eût l’intention de placer sa fortune sur une base solide, indépendante du caprice d’un jeune empereur. Cependant il négligeait maladroitement de se concilier l’amour du peuple et  des soldats, en leur distribuant une partie des richesses qu’il amassait à force de crimes et de travaux. L’extrême parcimonie de Rufin ne lui laissa que le reproché et l’envie d’uni opulence mal acquise. Ceux qui dépendaient de lui le servaient, sans attachement, et la terreur qu’inspirait sa puissance arrêtait seule les entreprises de la haine universelle dont il était l’objet. Le sort de Lucien apprit à tout l’Orient que si Rufin avait perdu une partie de son activité pour les affaires, il était encore infatigable quand il s’agissait de poursuivre sa vengeance. Lucien, fils du préfet Florentius, l’oppresseur de la Gaule et l’ennemi de Julien, avait employé une partie de sa succession, fruit de la rapine et de la corruption, à acheter l’amitié de Rufin et le poste important de comte de l’Orient ; mais le nouveau magistrat, eut l’imprudence de renoncer aux maximes de la cour et du temps, d’offenser son bienfaiteur par le contraste frappant d’une administration équitable et modeste, et de se refuser à un acte d’injustice qui aurait pu devenir profitable à l’oncle de l’empereur. Arcadius se laissa facilement persuader de punir cette insulte supposée, et le préfet de l’Orient résolut d’exécuter en personne l’affreuse vengeance qu’il méditait contre l’ingrat à qui il avait délégué une partie de sa puissance. Rufin partit pour Antioche, parcourut sans s’arrêter l’espace de sept à huit cents milles qui sépare cette ville de Constantinople, arriva au milieu de la nuit, dans la capitale de la Syrie, et répandit une consternation universelle chez un peuple qui ignorait ses desseins, mais qui connaissait son caractère. On traîna le comte de quinze provinces de l’Orient, comme un vil malfaiteur, devant le tribunal arbitraire de Rufin ; malgré les preuves les plus évidentes de son intégrité, et quoiqu’il ne se présenta pas un seul accusateur, Lucien fut condamné, presque sans procédure, à souffrir un supplice cruel et ignominieux. Les ministres du tyran, par l’ordre et en présence de leur maître, le frappèrent sur le cou, à coups redoublés, de longues courroies garnies de plomb à leur extrémité ; et lorsque l’infortuné Lucien tomba sans connaissance sous la main de ses bourreaux, on l’emporta dans une litière bien fermée pour dérober ses derniers gémissements à l’indignation des citoyens. Aussitôt après cette action barbare, seul objet de son voyage, Rufin partit d’Antioche pour retourner à Constantinople, chargé de la haine profonde et des secrètes malédictions d’un peuple tremblant ; et sa diligence fut accélérée par l’espoir de célébrer en arrivant le mariage de sa fille avec l’empereur de l’Orient[12].

Mais Rufin éprouva bientôt qu’un ministre ambitieux et prudent, qui tient un monarque enchaîné par les liens invisibles de l’habitude, ne doit jamais s’en éloigner, et que dans son absence il doit peu compter sur le mérite de ses services, et moins encore sur la faveur d’un prince faible et capricieux. Tandis que le préfet rassasiait à Antioche son implacable vengeance, le grand chambellan Eutrope, à la tête des eunuques favoris, travaillait secrètement à détruire sa puissance, dans le palais de Constantinople. Ils découvrirent qu’Arcadius n’avait point d’inclination pour la fille de Rufin, et que ce n’était point de son aveu qu’elle lui était destinée pour épouse. Ils travaillèrent à lui substituer la belle Eudoxie, fille de Bauto[13], général des Francs. au service de Rome, et qui avait, été élevée, depuis la mort de son père, dans la famille des fils de Promotus. Le jeune empereur, dont la chasteté était encore intacte, grâce aux soins pieux et vigilants d’Arsène[14], son gouverneur, écoutant avec l’émotion du désir les descriptions séduisantes des charmes d’Eudoxie. Son portrait acheva de l’enflammer, et le faible Arcadius sentit la nécessité de cacher ses desseins à un ministre intéressé à les combattre. Peu de jours après l’arrivée de Rufin, la cérémonie du mariage de l’empereur fut annoncée au peuple de Constantinople, qui se préparait à célébrer,  par des acclamations mensongères, les noces de la fille du préfet. Une suite brillante d’eunuques et d’officiers sortit des portes du palais avec toute la pompe de l’hyménée, portant à découvert le diadème, les robes et les ornements précieux destinés à l’impératrice. Les rues où devait passer ce cortège solennel étaient ornées de guirlandes et remplies de spectateurs ; mais, quand il fut vis-à-vis de sa maison des fils de Promotus ; le premier eunuque y entra respectueusement, revêtit la belle Eudoxie de la robe impériale, et la conduisis en triomphe au palais et dans le lit d’Arcadius[15]. Une conspiration tramée contre Rufin avec tant de secret, et exécutée avec un si grand succès, imprima un ridicule indélébile sur le caractère d’un ministre qui s’était laissé tromper dans un poste où la rase et la dissimulation constituent le mérite essentiel. Il vit avec un mélange de crainte et d’indignation la victoire de l’eunuque audacieux qui l’avait supplanté dans la faveur de son maître ; et sa tendresse, ou du moins son orgueil fut blessé de l’affront fait à sa fille, dont l’intérêt était inséparablement lié avec le sien. Au moment où il se flattait de devenir la tige d’une longue suite de monarques, une fille obscure et étrangère, élevée dans la maison de ses implacables ennemis, se trouvait introduite dans le palais et dans le lit de l’empereur. Eudoxie déploya bientôt une supériorité de courage et de génie qui assura son ascendant sur l’esprit d’un époux jeune et épris de ses charmes. Rufin sentit avec effroi que l’empereur serait conduit sans peine à haïr, à craindre et à détruire un sujet puissant qu’il avait outragé ; le souvenir de ses crimes ne lui laissait point l’espoir, de trouver la paix où la sûreté dans la retraite d’une vie privée ; mais il était encore en état de défendre sa dignité, et d’exterminer peut-être tous ses ennemis. Le gouvernement civil et militaire de l’Orient était encore soumis à son autorité absolue, et ses trésors, s’il se déterminait à s’en servir, pouvaient faciliter l’exécution des desseins les plus hardis que l’orgueil, l’ambition et la vengeance, pussent suggérer à la puissance au désespoir. Le caractère de Rufin semblait justifier les imputations de ses ennemis. On l’accusait d’avoir conspiré contre la personne de soif souverain pour s’emparer du trône après sa mort, et d’avoir invité, pour augmenter la confusion publique, les Huns et les Goths à envahir les provinces de l’empire. Le rusé préfet, qui avait passé sa vie dans les intrigues du palais, combattit à armes égales les artifices d’Eutrope son rival ; mais son âme timide fut épouvantée à l’approche menaçante d’un ennemi plus formidable, du grand Stilichon, le général ou  plutôt le maître de l’empire d’Occident[16].

Stilichon a joui, à un plus haut degré que ne semblait le promettre le déclin des arts et du génie, du don divin qu’Achille a obtenu et qu’enviait Alexandre, d’un poète digne de célébrer les actions, des héros. La muse de Claudien[17], dévouée à son service, était toujours prête à couvrir de ridicule et d’infamie Eutrope et Rufin, ses rivaux, ou à peindre sous les couleurs les plus brillantes les victoires et les vertus de son puissant bienfaiteur. Dans l’examen d’une période assez mal fournie de matériaux authentiques, nous sommes forcés d’éclaircir les annales d’Honorius par les satires ou par les panégyriques d’un auteur contemporain ; mais, comme Claudien parait avoir usé amplement des privilèges de poète et de courtisan, nous aurons besoin des lumières de la critique pour réduire le langage de la fiction ou de l’exagération à la simple vérité qu’exige un récit historique. Son silence sur la famille de Stilichon peut être regardé comme une preuve que son protecteur ne pouvait ni ne désirait s’honorer d’une longue suite d’illustres aïeux ; et la légère mention qu’il fait de son père, officier de cavalerie barbare au service de Valens, semble confirmer l’opinion que Stilichon, lui commanda si longtemps les armées romaines, descendait de la race sauvage et perfide des Vandales[18]. Si ce général n’eût pas possédé les avantages de la taille et de la force, toute l’adulation de la poésie n’aurait pas donna au chantre de Stilichon le courage d’affirmer sans crainte, devant des milliers de témoins, qu’il surpassait la taille des demi-dieux de l’antiquité, et que quand il traversait à pas lents les rues de la capitale, le peuple étonné faisait place à un étranger qui, dans la condition d’un simple particulier, présentait la majesté imposante d’un héros. Dès sa plus tendre jeunesse il avait embrassé la profession des armés. Sa valeur et son habileté se firent bientôt remarquer sur le champ de bataille. Les cavaliers et les archers de l’Orient admiraient la supériorité de son adressé ; et, à chaque grade militaire où il fut élevé, le jugement du public prévint et approuva le choix du souverain. Théodose le chargea de la ratification d’un traité avec le roi de Perse. Dans cette ambassade importante il soutint la dignité du nom romain, et, après son retour à Constantinople, il obtint pour récompense l’honneur d’une étroite alliance avec la famille impériale. Le sentiment respectable de l’amitié fraternelle avait engagé Théodose à adopter la fille de son frère Honorius. Une cour adoratrice admirait à l’envi les talents et la beauté de Sérène[19], et Stilichon obtint la préférence sur une foule de rivaux qui se disputaient ambitieusement la main de la princesse et la faveur de son père adoptif[20]. Convaincu que le mari de Sérène demeurerait fidèle aux souverains qui l’avaient rapproche d’eux, Théodose se plut à élever la fortune et à exercer les talents du sage et intrépide Stilichon. Il passa successivement du grade de maître de la cavalerie et de comte des domestiques, au rang distingué de maître général de toute la cavalerie et infanterie de l’empire romain, ou du moins de l’empire d’Occident[21], et ses ennemis avouaient qu’il ne s’était jamais abaissé à vendre à la richesse les récompenses dues au mérite, et à frustrer les soldats de la paye ou des gratifications qu’ils méritaient ou prétendaient avoir réclamer de la libéralité du gouvernement[22]. La valeur et l’habileté dont il donna depuis des preuves dans la défense de l’Italie contre les armées d’Alaric et de Radagaise peuvent paraître confirmer ce que la renommée avait déjà publié de son mérite ; et dans un siècle moins scrupuleux que le nôtre sur les lois de l’honneur ou celles de l’orgueil, les généraux romains purent céder la prééminence du rang à la supériorité reconnue du génie[23]. Stilichon déplora et vengea la mort de Promotus, son rival et son ami ; le massacre de plusieurs milliers de Bastarnes est représenté par le poète comme un sacrifice sanglant que l’Achille romain offrait aux mânes d’un second Patrocle. Les vertus et les victoires de Stilichon éveillèrent la jalousie, et la haine de Rufin ; les artifices, de la calomnie auraient peut-être prévalu, si la tendre et vigilante Sérène n’avait protégé son mari contre ses ennemis personnels tandis qu’il repoussait ceux de l’empire[24]. Théodose ne voulut point abandonner un indigne ministre à l’activité duquel il confiait le gouvernement de son palais et de tout l’Orient ; mais quand il marcha contre Eugène, le sage empereur associa son fidèle général aux travaux glorieux de la guerre civile ; et dans les derniers instants de sa vie, le monarque expirant lui recommanda le soin de ses deux fils et la défense de l’empire[25]. Cette fonction importante n’était point au-dessus des talents ni de l’ambition de Stilichon, et il réclama la régence des deux empires durant la minorité d’Arcadius et d’Honorius[26]. La première démarche de son administration, ou plutôt de son règne, annonça la vigueur et l’activité d’un génie fait pour commander. Il passa les Alpes au cœur de l’hiver, descendit le Rhin depuis le fort de Bâle jusqu’aux frontières de la Batavie, examina l’état des garnisons, arrêta les entreprises des Germains ; et, après avoir établi sur les bords du fleuve une paix honorable et solide, il retourna au palais de Milan[27] avec une rapidité incroyable.  Honorius et sa cour obéissaient au maître général de l’Occident ; et les armées et les provinces de l’Europe reconnaissaient, sans hésiter, une autorité légale exercée au nom de leur jeune souverain. Deux rivaux seulement disputaient les droits de Stilichon et provoquaient sa vengeance. En Afrique, le Maure Gildon soutenait une insolente et dangereuse indépendance et le ministre de Constantinople prétendait exercer sur l’empire et l’empereur d’Orient un pouvoir égal à celui de Stilichon dans l’Occident.

L’impartialité que Stilichon voulait montrer dans sa qualité de tuteur des deux monarques, l’engagea à régler un partage égal des armes, des bijoux, des meubles et de la magnifique garde-robe de l’empereur défunt[28] ; mais l’objet le plus important de la succession consistait dans les légions, les cohortes et les escadrons nombreux de Romains et de Barbares que les succès de la guerre civile avaient réunis sous les étendards de Théodose. Les animosités récentes qui enflammaient les uns contre les autres les nombreux soldats tirés de l’Europe et de l’Asie, se turent devant l’autorité d’un seul homme, et la sévère discipline de Stilichon mit les citoyens et leurs possessions à l’abri de la licence et de l’avidité des soldats[29]. Impatient toutefois de débarrasser l’Italie de cette armée formidable qui ne pouvait être utile que sur les frontières de l’empire, il partit se rendre à la juste demande du ministre d’Arcadius, déclara son intention de reconduire en personne les troupes de l’Orient ; et profita habilement des rumeurs d’une incursion des Goths, pour couvrir ses desseins et faciliter sa vengeance personnelle[30]. Le coupable Rufin apprit avec frayeur l’approche d’un guerrier, son rival, dont il avait mérité la haine ; il voyait, avec une terreur toujours croissante, s’écouler le peu de temps qui lui restait  jouir de la vie et de la grandeur. Il essaya, comme dernier moyen de salut, d’interposer l’autorité d’Arcadius. Stilichon, qui paraît avoir dirigé sa marche le long des bords de la mer Adriatique, n’était pas éloigné de la ville de Thessalonique quand il reçut les ordres absolus de l’empereur qui rappelait les troupes de l’Orient, et lui signifiait, à lui en particulier, que s’il avançait plu loin, la cour de Byzance regarderait sa démarche comme un acte d’hostilité. L’obéissance prompte et inattendue du général de l’Occident, fut, dans l’opinion du peuple, un garant de sa fidélité et de sa modération ; mais comme il avait déjà réussi à s’affectionner les troupes de l’Orient, il remit à leur zèle l’exécution du sanglant projet qui pouvait s’accomplir en son absence avec moins de danger peut-être et d’une manière moins odieuse. Stilichon céda le commandement des troupes de l’Orient à Gainas le Goth, dont la fidélité ne lui était point suspecte : il était sûr du moins que l’audacieux Barbare ne serait arrêté dans son entreprise ni par la crainte ni par les remords. Les soldats consentirent facilement à immoler l’ennemi de Stilichon et de Rome ; et l’odieux Rufin était tellement l’objet de la haine générale, que le secret funeste, confié à des milliers de soldats, fut fidèlement gardé durant une longue marche, depuis Thessalonique jusqu’aux portes de Constantinople. Dès qu’ils eurent résolu sa mort, ils ne refusèrent plus de flatter son orgueil. Le préfet ambitieux se laissa persuader que ces puissants auxiliaires se détermineraient peut-être à le décorer du diadème ; et leur multitude indignée reçut, moins comme un don que comme une insulte, les trésors qu’il répandit à regret et trop tard. Les troupes firent halte environ à un mille de la capitale, dans le Champ-de-Mars, et en face du palais d’Hebdomon. L’empereur et son ministre s’avancèrent pour saluer respectueusement, selon l’ancienne coutume la puissance qui soutenait le trône. Tandis que Rufin passait le long des rangs, et déguisait avec soin son arrogance naturelle sous un air d’affabilité, les ailes se serrèrent insensiblement de droite et de gauche, et la victime dévouée se trouva environnée d’un cercle d’ennemis armés. Sans lui laisser le temps de réfléchir sur le danger de sa position, Gainas donna le signal du meurtre : un soldat plus audacieux et plus ardent que les autres plongea son épée dans le cœur du coupable préfet ; Rufin tomba en gémissant, et expira aux pieds du monarque effrayé. Si la douleur d’un moment pouvait expier les crimes de toute une vie, si les horreurs commises sur un corps inanimé pouvaient être un objet de compassion, notre humanité souffrirait peut-être des affreuses circonstances qui suivirent le meurtre de Rufin. Son corps déchiré fut abandonné à la fureur de la populace des deux sexes, qui sortait par bandes de tous les quartiers de Constantinople pour fouler aux pieds le ministre impérieux ; dont, quelques heures auparavant, un signe la faisait trembler. Sa main droite abattue fut portée dans les rues de la capitale, pour demander, par une dérision barbare, des contributions au nom du tyran avaricieux, dont la tête, fichée sur le fer d’une lance, servit de spectacle au public[31]. Dans les maximes sauvages des républiques grecques, sa famille innocente aurait partagé le châtiment de ses crimes la femme et la fille de Rufin y échappèrent par l’influence de la religion ; son sanctuaire leur servit d’asile, et les défendit des outrages d’une populace en fureur. Elles obtinrent la liberté de passer le reste de leur vie dans les exercices de la dévotion chrétienne, et dans la retraite paisible de Jérusalem[32].

Le panégyriste servile de Stilichon applaudit avec une joie féroce à cet acte de barbarie, qui, bien qu’il satisfît peut-être à la justice, n’en violait pas moins les lois de la nature et de la société, profanait la majesté du prince, et renouvelait les exemples dangereux de la licence militaire. En contemplant l’ordre et l’harmonie de l’univers, Claudien s’était convaincu de l’existence d’un Dieu, créateur ; mais le triomphe du vice lui paraissait en contradiction avec la divinité, et le sort de Rufin fût le seul événement qui pût faire cesser les doutes du poète[33]. La mort du préfet, si elle vengea l’honneur de la Providence, contribua peu au bonheur des peuples ; ils apprirent, environ trois mois après, à connaître les maximes de la nouvelle administration, par la publication d’un édit qui confisquait la dépouille entière de Rufin au profit du trésor impérial, et imposait silence, sous peine de punition exemplaire, à toutes les réclamations des victimes de sa tyrannie[34] Stilichon lui-même ne tira point du meurtre de son rival l’avantage qu’il s’en était proposé. Il satisfit sa vengeance, mais son ambition fut trompée. Sous le nom de favori, la faiblesse d’Arcadius avait besoin d’un maître ; mais il préféra naturellement la complaisante bassesse de l’eunuque Eutrope, à qui il donnait sa confiance par habitude, et le génie sévère du général étranger n’inspira au monarque que de la crainte et de l’aversion. Jusqu’au moment où la jalousie de la paissance les divisa, l’épée de Gainas et l’influence d’Eudoxie soutinrent la faveur du grand chambellan ; mais le perfide Goth, devenu maître général de l’Orient, trahit sans hésiter son bienfaiteur, et, employa les troupes qui avaient massacré récemment l’ennemi de Stilichon, à maintenir contre lui l’indépendance du trône de Constantinople Les favoris d’Arcadius fomentèrent une guerre secrète et irréconciliable contre un héros qui aspirait à gouverner et à défendre les deux empires et les deux fils de Théodose. Ils employèrent sans relâche les plus odieux artifices pour lui enlever l’estime du prince, le respect du peuple et l’amitié des Barbares. Des assassins, séduits par l’appât de l’or attentèrent plusieurs fois à la vie de Stilichon : un décret du sénat de Constantinople le déclara l’ennemi de l’État, et confisqua ses vastes possessions dans les provinces de l’Orient. Dans un temps où l’union constante de tous les sujets de l’empire et des secours mutuels pouvaient seuls retarder la ruine du monde romain, Arcadius et Honorius apprirent à leurs sujets à regarder le deux États comme tout à fait étrangers l’un à l’autre, ou même comme ennemis ; à se réjouir mutuellement de leurs calamités réciproques et à traiter comme des alliés fidèles les Barbares qu’ils excitaient à envahir le territoire de leurs compatriotes[35]. Les Italiens affectaient de mépriser les Grecs effémines de Byzance, qui prétendaient imiter l’habillement et usurper la dignité des sénateurs romains[36], et les Grecs, conservaient encore une partie de la haine dédaigneuse que leurs ancêtres policés avaient nourrie si longtemps contre les habitants grossiers de l’Occident. La distinction de deux gouvernements, qui sépara bientôt tout à fait les deux nations, m’autorise à suspendre un moment le cours de l’histoire de Byzance pour suivre sans interruption le règne honteux, mais mémorable, de l’empereur Honorius.

Le prudent Stilichon, au lieu de persister à contraindre l’inclination du prince et des peuples qui rejetaient son gouvernement, abandonna sagement Arcadius à ses indignes favoris ; et sa répugnance à entraîner les deux empires dans une guerre civile prouva la modération d’un ministre, qui avait signalé si souvent sa valeur et ses talents militaires. Mais si Stilichon eût souffert plus longtemps la révolte d’Afrique, il aurait exposé la capitale et la majesté de l’empereur d’Occident à tomber sous l’insolente et capricieuse domination d’un Maure rebelle. Gildon[37], frère du tyran Firmus, avait obtenu et conservé, pour récompense de sa fidélité apparente, l’immense patrimoine dont la rébellion de son frère avait privé sa famille. Ses longs et utiles services dans les armées de Rome l’élevèrent à la dignité de comte militaire. La politique bornée de la cour de Théodose, avait adopté le dangereux principe de soutenir un gouvernement légal par l’influence d’une famille puissante, et le frère de Firmus obtint le commandement de l’Afrique. L’ambitieux Gildon usurpa bientôt l’administration arbitraire et absolue de la justice et des finances, et se maintint pendant douze ans dans la possession d’une autorité dont on ne pouvait le dépouiller sans courir les risques d’une guerre civile. Durant ces douze années, les provinces de l’Afrique gémirent sous la puissance d’un tyran qui semblait réunir l’indifférence d’un étranger au ressentiment particulier, suite des factions civiles. L’usage du poison remplaçait souvent les formes de la loi ; et lorsque les convives tremblants que Gildon invitait à sa table osaient annoncer leur crainte, ce soupçon insolent excitait sa fureur, et les ministres de la mort accouraient à sa voix. Gildon se livrait alternativement à son avarice et à sa lubricité[38], et si ses jours étaient l’effroi des riches, ses nuits n’étaient pas moins fatales au repos et à l’honneur des pères et des maris. Les plus belles de leurs femmes et de leurs filles, après avoir rassasié les désirs du tyran, étaient abandonnées à la brutalité d’une troupe féroce de Barbares et d’assassins pris parmi les races noires et basanées que nourrissait le désert, et regardés par Gildon comme les uniques soutiens de son trône. Durant la guerre civile entre Eugène et Théodose, le comte, ou plutôt le souverain de l’Afrique, conserva une neutralité hautaine et suspecte, refusa également aux deux partis tout secours de troupes et de vaisseaux, attendit les décisions de la fortune, et réserva pour le vainqueur ses vaines protestations de fidélité. De telles protestations n’auraient pas suffi au possesseur de l’empire romain ; mais Théodose mourut. La faiblesse et la discorde de ses fils confirmèrent la puissance du Maure, qui daigna prouver sa modération en s’abstenant de prendre le diadème, et en continuant de fournir à Rome le tribut ou plutôt le subside ordinaire de grains. Dans tous les partages de l’empire, les cinq provinces de l’Afrique avaient toujours appartenu à l’Occident, et Gildon avait consenti à gouverner ce vaste pays au nom d’Honorius ; mais la connaissance qu’il avait du caractère et des desseins de Stilichon, l’engagea bientôt à adresser son hommage à un souverain plus faible et plus éloigné. Les ministres d’Arcadius embrassèrent la cause d’un rebelle perfide ; et l’espérance illusoire d’ajouter les nombreuses villes de l’Afrique à l’empire de l’Orient, les engagea dans une entreprise injuste qu’ils n’étaient point en état de soutenir par les armes[39].

Stilichon, après avoir fait une réponse ferme et décisive aux prétentions de la cour de Byzance, accusa solennellement le tyran de l’Afrique devant le tribunal qui  jugeait précédemment les rois et les nations du monde entier ; l’image de la république, oubliée depuis longtemps, reparut sous le règne d’Honorius. L’empereur présenta au sénat un détail long et circonstancié des plaintes des provinces et des crimes de Gildon, et requit les membres de cette vénérable assemblée de prononcer la sentence du rebelle. Leur suffrage unanime le déclara ennemi de la république, et le décret du sénat consacra, par une sanction légitime, les armes des Romains[40]. Un peuple qui se souvenait encore que ses ancêtres avaient été les maîtres du monde, aurait sans doute applaudi avec un sentiment d’orgueil à cette représentation de ses anciens privilèges, s’il n’eût pas été accoutumé depuis longtemps à préférer une subsistance assurée à des visions passagères de grandeur et de liberté ; cette subsistance dépendait des moissons de l’Afrique, et il était évident que le signal de la guerre serait aussi celui de la famine. Le préfet Symmaque, qui présidait aux délibérations du sénat, fit observer au ministre qu’aussitôt que le Maure vindicatif aurait défendu l’exportation des grains, la tranquillité et peut-être la sûreté de la capitale seraient menacées des fureurs d’une multitude turbulente et affamée[41]. La prudence de Stilichon conçut et exécuta sans délai le moyen le plus propre à tranquilliser le peuple de Rome. Il fit acheter dans les provinces intérieures de la Gaule une grande quantité de grains, auxquels on fit descendre le cours rapide du Rhône, et une navigation facile les conduisit du Rhône dans le Tibre. Durant toute la guerre d’Afrique, les greniers de Rome furent toujours pleins ; sa dignité fut délivrée d’une dépendance humiliante[42], et le spectacle d’une heureuse abondance dissipa l’inquiétude de ses nombreux habitants.

Stilichon confia la cause de Rome et la guerre d’Afrique à un général actif et animé du désir de venger sur le tyran des injures personnelles. L’esprit de discorde qui régnait dans la maison de Nabal avait excité une querelle violente entre deux de ses fils, Gildon et Macezel[43]. L’usurpateur avait poursuivi avec une fureur implacable la vie de son frère puîné, dont il redoutait le courage et les talents ; Mascezel, sans défense contre un pouvoir supérieur, avait cherché un refuge à la cour de Milan, d’où il apprit bientôt la mort de ses deux jeunes enfants, que leur oncle avait impitoyablement massacrés. L’affliction paternelle fut suspendue par la soif de la vengeance. Le vigilant Stilichon rassemblait déjà les forces maritimes et militaires de l’Occident, résolu, si Gildon se montrait en état de soutenir et de balancer la fortune, de marcher contre lui en personne. Mais, comme l’Italie exigeait sa présence, comme il était dangereux de dégarnir les frontières, il jugea plus à propos que Mascezel tentât d’abord cette entreprise hasardeuse, à la, tête d’un corps choisi de vétérans gaulois qui avaient servi sous les étendards d’Eugène. Ces troupes, que l’on exhorta à prouver au monde qu’elles savaient aussi bien renverser le trône d’un usurpateur que le défendre, étaient composées des légions Jovienne, Herculienne et Augustienne, des auxiliaires Nerviens, des soldats qui portaient pour symbole un lion sur leurs drapeaux, et des troupes distinguées par des noms de fortunée et d’invincible. Mais telle était la formation de ces différents corps ou la difficulté de les recruter, que ces sept troupes, d’un rang et d’une réputation distinguée dans les armées romaines[44], ne montaient qu’à cinq mille hommes effectifs[45]. Les galères et les bâtiments de transport, sortirent par un temps orageux du port de Pise en Toscane, et gouvernèrent sur l’île de Capraria, qui avait pris ce nom des chèvres sauvages, ses premiers habitants, et était occupée alors par une nouvelle colonie d’un aspect sauvage et bizarre. Toute l’île, dit un ingénieux voyageur de ce siècle, est remplie ou plutôt souillée par des hommes qui fuient la clarté du jour. Ils prennent le nom de moines ou de solitaires, parce qu’ils vivent seuls et ne veulent point de témoins de leurs fictions. Ils rejettent les richesses dans la crainte de les perdre, et, pour éviter de devenir malheureux, ils se livrent volontairement à la misère. Quel comble d’extravagance et d’absurdité, de craindre les maux de cette vie sans savoir en goûter les jouissances ! Ou cette humeur mélancolique est l’effet d’une maladie, ou les remords de leurs crimes obligent ces malheureux à exercer sur eux-mêmes les châtiments que la main de la justice inflige aux esclaves fugitifs[46].

Tel était le mépris d’un magistrat profane pour les moines de Capraria, révérés par le pieux Mascezel comme les serviteurs chéris du Tout-Puissant[47]. Quelques-uns d’eux se laissèrent persuader par ses instances de monter sur ses vaisseaux ; et l’on observe, à la louange du général romain, qu’il passait les jours et les nuits à prier, à jeûner et à chanter des psaumes. Le dévot général, qui, avec un pareil renfort, semblait compter sur la victoire, évita les rochers de la Corse, longea les côtes orientales de la Sardaigne, et mit ses vaisseaux en sûreté contre la violence des vents du sud en jetant l’ancre dans le port vaste et sûr de Cagliari, à la distance de cent quarante milles des côtes de l’Afrique[48].

Gildon avait mis sur pied, pour repousser l’invasion, toutes les forces de cette province. Il avait tâché de s’assurer par des dons et par des promesses la fidélité suspecte des soldats romains, en même temps qu’il attirait sous ses drapeaux les tribus éloignées de la Gétulie et de l’Éthiopie. Après avoir passé en revue une armée de soixante-dix mille hommes, l’orgueilleux usurpateur se vantait, avec une folle présomption qui est presque toujours l’avant-coureur d’un revers, que sa nombreuse cavalerie foulerait aux pieds la petite troupe de Mascezel, et ensevelirait dans un nuage de sable brûlant ces soldats tirés des froides régions de la Gaule et de la Germanie[49]. Mais le Maure qui commandait les légions d’Honorius connaissait trop bien le caractère et les usages de ses compatriotes pour craindre une multitude confuse de Barbares presque nus, dont le bras gauche, au lieu de bouclier, n’était couvert que d’un manteau, qui se trouvaient totalement désarmés dès qu’ils avaient lancé le javelot qu’ils portaient dans leur main droite, et dont les chevaux n’avaient jamais appris à supporter le frein ni à suivre les mouvements de la bride. Il campa avec ses cinq mille vétérans devant la nombreuse armée de ses ennemis ; et après avoir laissé reposer ses soldats pendant trois jours, il donna le signal d’une bataille générale[50]. Mascezel s’étant avancé au-devant de ses légions pour offrir le pardon et la paix, rencontra un porte-étendard des Africains qui refusa de se soumettre à lui. Le général le frappa sur le bras de son épée, la force du coup abaissa le bras et l’étendard, et cet acte de soumission imaginaire fut imité à l’instant par tous les porte-drapeaux de la ligne. Les cohortes mal affectionnées proclamèrent aussitôt le nom de leur souverain légitime. Les Barbares, surpris de la défection des troupes romaines, prirent la fuite en désordre, et se dispersèrent selon leur coutume. Mascezel obtint une victoire facile, complète, et presque sans effusion de sang[51]. L’usurpateur s’échappa du champ de bataille, gagna le bord de la mer, et se jeta dans un petit vaisseau, espérant atteindre en sûreté un port allié de l’empire d’Orient ; mais l’opiniâtreté du vent contraire le repoussa dans le port de la ville de Tabraca[52], qui s’était soumise, avec le reste de la province, à la domination d’Honorius et à l’autorité de son lieutenant. Les habitants, pour prouver leur repentir et leur fidélité, saisirent Gildon et le jetèrent dans un cachot mais son désespoir lui sauva le tourment insupportable d’être conduit en la présence d’un frère victorieux et mortellement offensé[53]. Les esclaves et les dépouilles furent déposés aux pieds de l’empereur. Stilichon, dont la modération ne se faisait jamais mieux admirer que dans la prospérité, voulut encore suivre les lois de la république, et en référa au sénat et au peuple romain du jugement des principaux criminels[54]. L’instruction de leur procès fût publique et solennelle ; mais les juges, dans l’exercice de cette juridiction précaire et tombée en désuétude, se montrèrent impatients de punir les magistrats d’Afrique qui avaient privé le peuple romain de sa subsistance. La province riche et coupable éprouva toute la rigueur des ministres impériaux, qui trouvaient un avantage personnel à multiplier les complices de Gildon ; et si un édit d’Honorius sembla vouloir imposer silence aux délateurs, dix ans après, l’empereur en publia un autre qui ordonnait de continuer et de renouveler les poursuites contre les crimes, commis dans le temps de la révolte générale[55]. Ceux des adhérents de l’usurpateur qui échappèrent à la première fureur des soldats et à celle des juges, apprirent sans doute avec satisfaction le destin funeste de son frère, qui ne put jamais obtenir le pardon du service signalé qu’il avait rendu à l’État. Après avoir terminé dans un seul hiver une guerre importante, Mascezel fut reçu à la cour de Milan avec des applaudissements bruyants, une feinte reconnaissance à une secrète jalousie[56] ; sa mort, peut-être l’effet d’un accident, a été imputée à la perfidie de Stilichon. En traversant un pont, le prince maure, qui accompagnait le maître général de l’Occident, fut tout à coup renversé de son cheval dans la rivière. Un sourire perfide et cruel qu’on entrevit sur le visage de Stilichon arrêta l’empressement de ceux qui se préparaient à le secourir, et tandis qu’ils balançaient, l’infortuné Mascezel perdit la vie[57].

Les réjouissances de la victoire d’Afrique se trouvèrent heureusement liées à celles du mariage de l’empereur Honorius avec Marie, sa cousine et la fille de Stilichon ; et cette alliance illustre et convenable sembla donner au ministre les droits d’un père à la soumission de son auguste pupille. La muse de Claudien ne garda point le silence dans cette circonstance glorieuse[58] : il chanta avec vivacité, sur différents tons, le bonheur des époux couronnés, et la gloire d’un héros auteur de leur union et soutien de leur trône. Les fables de l’ancienne Grèce, qui avaient presque entièrement cessé d’être les objets d’une croyance religieuse, furent sauvées de l’oubli par le génie de la poésie et dans le tableau du Verger de Cypris, siége de l’Amour et de l’Harmonie, dans la marche de Vénus sur les ondes où elle a pris naissance, et dans la douceur de l’influence qu’elle vient répandre sur la cour de Milan, tous les siècles reconnaîtront les sentiments naturels du cœur, le langage plein de justesse et de grâces que leur prête la fiction allégorique. Mais l’impatience amoureuse que Claudien suppose au jeune monarque[59] excitait probablement le sourire des courtisans ; et la beauté de son épouse (en admettant qu’elle fût, belle) n’avait pas beaucoup à craindre ou à espérer de la passion d’Honorius, qui n’était encore que dans sa quatorzième année. Sérène, mère de son épouse, parvint, par adresse ou par persuasion, à différer la consommation du mariage. Marie mourut vierge dix ans après ses noces ; et la froideur ou la faiblesse de la constitution de l’empereur contribua sans doute à conserver sa chasteté[60]. Ses sujets, qui étudiaient soigneusement le caractère de leur jeune souverain, découvrirent qu’Honorius sans passions était par conséquent sans talents, et que sa disposition faible et languissante le rendait également incapable de remplir les devoirs de son rang et de jouir des plaisirs de son âge. Dans les premières années de sa jeunesse, il avait acquis quelque adresse dans les exercices de l’arc et du cheval ; mais il renonça bientôt à ces fatigantes occupations. Le soin et la nourriture d’une basse-cour devint la principale affaire du monarque de l’Occident[61], qui remit dans les mains fermes et habiles de Stilichon les rênes de son gouvernement. L’expérience fournie par l’histoire de sa vie autorise à soupçonner que ce prince, né sous la pourpre, reçut une plus mauvaise éducation que le dernier paysan de ses États, et que son ambitieux ministre le laissa parvenir à l’âge viril sans essayer d’exciter son courage ou d’éclairer son jugement[62]. Les prédécesseurs d’Honorius avaient coutume d’animer la valeur des légions par leur exemple, ou au moins par leur présence ; les dates de leurs lois attestent qu’ils parcouraient avec activité toutes les provinces du monde romain ; mais le fils de Théodose passa ce temps de sommeil qu’on a appelé sa vie, captif dans son palais, étranger dans son pays, spectateur patient et presque indifférent de la ruine de son empire, qui fut attaqué à différentes reprises, et enfin renversé par les efforts des Barbares. Dans le cours d’un règne de vingt-huit ans, très fécond en grands événements, il sera rarement nécessaire de nommer l’empereur Honorius.

 

 

 



[1] Alecton, envieuse de la félicité publiques convoque un synode infernal ; Mégère lui, recommande Rufin son pupille, qu’elle excité à exercer toute sa noirceur, etc. ; mais il y a autant de différence entre la verve de Claudien et celle de Virgile, qu’entre les caractères de Turnus et de Rufin.

[2] Tillemont, Hist. des Emper., t. V, p. 770. Il est évident, quoique de Marca paraisse honteux de son compatriote, que Rufin est né à Éluse, capitale de la Novempopulanie, et à présent petit village de Gascogne. D’Anville, Notice de l’ancienne Gaule, p. 289.

[3] Philostorgius, l. XI, c. 3 ; et les Dissertations de Godefroy, p 440.

[4] Un passage de Suidas peint sa profonde dissimulation : βαθυγνωμων αυθρωπος και κρυψινος.

[5] Zosime, l. IV, p. 272, 273.

[6] Zosime, qui raconte la chute de Tatien et de son fils (l. IV, p. 273, 274), assure leur innocence, et même son témoignage suffit pour l’emporter sur les accusations de leurs ennemis (Cod. Theodos., t. IV, p. 489), qui prétendent que ces deux préfets avaient opprimé les curies. La liaison de Tatien avec les ariens dans sa préfecture d’Égypte (A. D. 373) dispose Tillemont à le croire coupable de tous les crimes. Hist. des Empereurs, t. V, p. 360 ; Mém. ecclés., t. VI, p. 589.

[7] . . . . . . . . . . Juvenum rorantia colla

Ante patrum vultus stricta cecidere securi.

Ibat grandævus nato moriente superstes

Post trabeas exsul. In Rufin., I, 248.

Les Faits de Zozime expliquent les allusions de Claudien ; mais ses traducteurs classiques n’avaient aucune connaissance du quatrième siècle. J’ai trouvé le fatal cordon avec le secours de Tillemont, dans un sermon de saint Asterius d’Amasée.

[8] Cette loi odieuse est rapportée et révoquée par Arcadius (A. D. 396) dans le Code de Théodose (l. IX, tit. 38, leg. 9). Le sens, tel que Claudien l’explique (in Rufin, I, 234) et Godefroy (t. III, p. 279), est parfaitement clair.

. . . . . . . . . . . . . . . Exscindere cives

Funditus, et nomen gentil delere laborat.

Les doutes de Pagi et de Tillemont ne peuvent naître que de leur zèle pour la gloire de Théodose.

[9] Ammonius... Rufinum propriis manibus suscepit sacro fonte mundatum. Voyez Rosweyde, Vitæ Patrum, p. 947. Sozomène (l. VIII, c. 17) parle de l’église et du monastère ; et Tillemont (Mémoires ecclésiastiques, IX, p. 593) cité ce synode dans lequel saint Grégoire de Nice joue un grand rôle.

[10] Montesquieu (Esprit des Lois, l. XII, c. 12) fait l’éloge d’une des lois de Théodose adressée au préfet Rufin (l. IX, tit. 4, leg. unic.), dont le but est de ralentir les poursuites intentées pour cause de discours attentatoires à la religion ou à la majesté du prince. Une loi tyrannique prouve toujours l’existence de la tyrannie ; mais, un édit louable peut ne contenir que les protestations spécieuses et les vœux inutiles du prince, ou de ses ministres. Cette triste réflexion pourrait être, je le crains bien, une sûre règle de critique.

[11] . . . . . . . . . . Fluctibus auri.

Expleri ille calor nequit 

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Congestœ cumulantur opes, orbisque rapinas,

Accipit una domus. . . . . . . . . .

Ce caractère (Claudien, in Rufin, 1, 84=220) est confirmé par saint Jérôme, témoin désintéressé (dedecus, insatiabilis avaritiœ, t. I, ad Heliodor., p. 20), par Zozime (l. V, p. 286) et par Suidas, qui a copié l’histoire d’Eunape.

[12] . . . . . . . . . . . . . . . Cætera segnis ;

Ad facinus velox ; penitus regione remotas

Impiger, ire vias.

L’allusion de Claudien (in Rufin., I, 241) est encore expliquée par le récit circonstancié de Zozime, l. V, p. 288, 289.     

[13] Zozime (l. IV, p. 243) loue la valeur, la prudence et l’intégrité de Bauto. Voyez Tillemont, Histoire des Empereurs, t. V, p 771.

[14] Arsène s’échappa du palais de Constantinople, et vécut cinquante-cinq ans, de la maniéré la plus austère, dans les monastères de l’Égypte. (Voyez Tillemont, Mém. ecclés., t. XIV, p. 676-702 ; et Fleury, Hist. ecclés., t. V, p. 1, etc.) Mais le dernier, à défaut de matériaux plus authentiques, accorde trop de confiance à la légende de Métaphraste.

[15] Cette histoire (Zozime, l. V, p. 390) prouve que les cérémonies nuptiales de l’antiquité se pratiquaient encore sans idolâtrie chez les chrétiens d’Orient. On conduisait de force l’épousée de la maison de ses parents à celle de son mari. Nos usages exigent avec moins de délicatesse le consentement public de la jeune fille.

[16] Zozime, l. V, p. 290 ; Orose, l. VII, c. 37 ; et la Chronique de Marcellin. Claudien (in Rufin., II, 7-100) peint très énergiquement la détresse et les crimes du préfet.

[17] Stilichon sert toujours on directement ou indirectement de texte à Claudien. On trouve dans le poème de son premier consulat l’histoire de sa jeunesse et de sa vie privée, assez vaguement racontée, 35-140.

[18] Vandalorum, imbellis, avaræ, perfidœ et dolosœ gentis, genere editus. Orose, l. VII, c. 38. Saint Jérôme (t. I, ad Gerontiam, p. 93) l’appelle un demi-barbare.

[19] Claudien a fait, dans un poème incomplet, un portrait brillant, et peut-être flatté, de la princesse Sérène. Cette nièce favorite de Théodose était née, ainsi que sa sœur Thermantia, en Espagne, d’où elles furent conduites honorablement, dès leur tendre jeunesse dans le palais de Constantinople.

[20] On ne peut pas bien décider si cette adoption fut faite légalement, ou si elle n’est que métaphorique. Voyez Ducange, Fam. byzant., p. 75. Une ancienne inscription donne à Stilichon le titre singulier de progener divi Theodosii.

[21] Claudien (Laus Serenœ, 190-193) exprime en langage poétique le dilectus equorum et le gemino mox idem culmine duxit agmina. L’inscription ajoute : Comte des domestiques, poste important, qu’au faîte de la grandeur la prudence aurait dû peut-être engager Stilichon à conserver.

[22] Les beaux vers de Claudien (in. I cons. Stilich., II, 113) sont une preuve du génie de l’auteur ; mais l’intégrité invariable de Stilichon dans l’administration militaire, est bien mieux constatée parle témoignage que Zozime semble donner malgré lui. Voyez l. V, p. 345.

[23] . . . . . . . . . . . . . . . Si bellica moles

Ingrueret, quamvis annis et jure minori,

Cedere grandœvos equitum peditumque magistros

Adspiceres . . . . . . . . .

CLAUDIEN, Laus Seren., p. 196, etc.

Un général moderne regarderait leur soumission, ou comme un héroïsme patriotique, ou, comme une bassesse méprisable.

[24] Comparez le poème sur le premier consulat (I, 95-115) avec la Laus Serenœ (227-237), où ce morceau est malheureusement interrompu : on y aperçoit aisément la haine invétérée de Rufin.

[25] . . . . . . . . . . Quem fratribus ipse

Discedens, clypeum defensoremque dedisti.

Cependant la nomination (IV cons. Honor., 432) ne fut point publique, et peut en conséquence paraître douteuse (III cons. Honor., 142), cunetos discedere.... jubet. Zozime et Suidas donnent également à Stilichon et à Rufin le titre de επιτροποι, tuteurs ou procurateurs.

[26] La loi romaine distingue deux minorités : l’une cesse à l’âge de quatorze ans, et l’autre à vingt-cinq. La première était sujette à obéir personnellement à un tuteur ou gardien de la personne ; l’autre n’avait qu’un curateur ou sauvegarde de la fortune (Heinec., Antiq. rom. ad jurisp. pertin., l. I, tit. 22, 23, p. 218-232), mais ces idées légales ne furent jamais adoptées exactement dans la constitution d’une monarchie élective.

[27] Voyez Claudien (I cons. Stilich., I, 188-242) ; mais il faut qu’il se décide à accorder plus de quinze jours pour aller et revenir de Milan à Leyde, et de Leyde à Milan.

[28] Premier cons. Stilich., 2, 88-94. Non seulement les habillements et les diadèmes du défunt empereur, mais ses casques, cuirasses, épées, baudriers, etc., étaient tous enrichis de perles, de diamants et d’émeraudes.

[29] . . . . . . . . . . . . . . . Tantoque remoto,

Principe, mutatas orbis non sensit habenas.

Ce bel éloge (I cons. Stilich., I, 149) peut être justifié par les craintes de l’empereur mourant (de Bell. Gildon., 292-301), et par la paix et le bon ordre qui régnèrent après sa mort (I cons. Stilich., I, 150-168).

[30] La marche de Stilichon et la mort de Rufin sont décrites par Claudien (in Rufin., l. II, 101-,453), Zozime (l. V, p. 296, 297), Sozomène (l. VIII, c. 1), Philostorgius, (l. XI, c. 3, et Godefroy, p. 441), et la Chronique de Marcellin.

[31] La dissection de Rufin, dont Claudien s’acquitte avec le sang-froid barbare d’un anatomiste (in Rufin., II, 405-415), est aussi rapportée par Zozime et saint Jérôme (t. I, p. 26).

[32] Le païen Zozime fait mention du sanctuaire et du pèlerinage. La sœur de Rufin, Sylvania, qui passa sa vie à Jérusalem, est célèbre dans l’histoire monastique. 1° La studieuse vierge avait, lu avec attention et plusieurs fois les Commentaires de la Bible, Origène, saint Grégoire, saint Basile, etc., jusqu’au nombre de cinq millions de lignes ; 2° à l’âge de soixante ans, elle pouvait se vanter de n’avoir jamais lavé ses mains, son visage, ni aucune partie de son corps, excepté le bout de ses doigts pour recevoir la communion. Voyez Vitæ Patrum, p. 779-977.

[33] Voyez le superbe exorde de sa satire contre Rufin, que le sceptique Bayle a soigneusement discutée, Dictionnaire critique, RUFIN, note e.

[34] Voyez Cod. Théodos., L IX, tit. 42, leg. 14, 15. Les nouveaux ministres voulaient, dans l’inconséquence de leur avarice, se saisir des dépouilles de leurs prédécesseurs, et pourvoir en même temps, pour l’avenir, à leur propre sûreté.

[35] Voyez Claudien (I cons. Stilich., l. I, 275-292-296 ; l. II, 83) ; et Zozime. (l. V, p, 302).

[36] Le consulat de l’eunuque Eutrope fait faire à Claudien une réflexion sur l’avilissement de la nation :

. . . . . . . . . Plaudentem cerne senatum,

Et Byzantinos proceres, Graiosque Quirites.

O patribus plebes, ô digni consule patres !

Les premiers symptômes de jalousie et de schisme entre l’ancienne et la nouvelle Rome, entre les Grecs et les Latins, méritent l’attention d’un observateur.

[37] Claudien peut avoir exagéré les vices de Gildon ; mais son extraction mauresque, ses actions connues et les plaintes de saint Augustin, justifient en quelque façon les invectives du poète Baronius (Ann. ecclés., A. D. 398, n° 35-56) a traité de la révolte de l’Afrique avec autant d’intelligence que d’érudition.

[38] Instat territilis vivis, morientibus hœres,

Virginibus raptor, thalamis obscœnus adulter.

Nulla quies : oritur prœda cessante libido,

Divitibusque dies, et nox metuenda maritis.

. . . . . . . . . . Mauris clarissima quœque

Fastidita datur . . . . . . . . . .

Baronius condamne l’incontinence de Gildon avec d’autant plus de sévérité, que sa femme et sa fille étaient des exemples de chasteté. Les empereurs sévirent, par une de leurs lois, contre les adultères des soldats africains.

[39] Inque tuam sortem numerosas transtulit orbes.

Claudien (de Bell. Gildon., 232-324) a parlé avec une circonspection politique des intrigues de la cour de Byzance, rapportées aussi par Zozime (l. V, p. 302).

[40] Symmaque a décrit les formes judiciaires du sénat ; et Claudien (I cons. Stilich., l. I, 325, etc.) semble être animé de l’esprit d’un Romain.

[41] Claudien emploie éloquemment les plaintes de Symmaque dans un discours de la divinité tutélaire de Rome, devant le trône de Jupiter. De Bell. Gildon, 28-128.

[42] Voyez Claudien, in Eutrop., l. I, 401, etc. ; I consul. Stilich., l. I, 306), etc. ; II cons. Stilich., 91, etc.

[43] Il était d’un âgé mûr, puisqu’il avait précédemment servi (A. D., 373) contre son frère Firmus (Ammien, XXIX, 5). Claudien, qui connaissait l’esprit de la cour de Milan, appuie plus sur les torts de Mascezel que sur son mérite (de Bell. Gildon., 389-414). Cette guerre mauresque n’était digne ni d’Honorius ni de Stilichon, etc.

[44] Claudien, de Bell. Gildon, 415-423. La nouvelle discipline leur permettait de se servir indifféremment des noms de legio, cohors, manipulus. Voyez la Notitia imperii, s. 38-40.

[45] Orose (l. VII, c. 36, p. 565) met dans ce récit l’expression du doute (ut aiunt), ce qui est peu conforme au δυναμεις αδρας de Zozime (l. V, p. 303). Cependant Claudien, après un peu de déclamation relative aux soldats de Cadmus, avoue naïvement que Stilichon n’envoya qu’une faible armée, de peur que le rebelle ne prît la fuite, ne timere timeas (I cons. Stilich., l. L, 314, etc.).

[46] Claudien, Rutil. Numatian. Itiner., I, 439-448. Ensuite (515-526) il fait mention d’un pieux insensé dans l’île de Gorgone. Choqué de ces remarques profanes, le commentateur Barthius appelle Rutilius et ses complices rabiosi canes diaboli. Tillemont (Mém. ecclés., t. XII, p. 471) observe, avec plus de modération, que le poète incrédule donne un éloge en croyant faire une satire.

[47] Orose, l. VII, c. 36, p. 564. Saint Augustin fait l’éloge de deux de ces saints sauvages de l’île des Chèvres (epist. 81) apud Tillemont, Mém. ecclés., t. XIII, p. 317 ; et Baronius, Annal. ecclés., A.. D. 398, n° 51.

[48] Ici se termine le premier livre de la guerre de Gildon. Le reste du poème de Claudien a été perdu, et nous ignorons où et comment l’armée a abordé en Afrique.

[49] Orose est le seul garant de la vérité de ce récit, Claudien (I cons. Stilich., l.  I, p. 345-355) donne un grand détail de la présomption de Gildon et de la multitude de Barbares qu’il avait sous ses drapeaux.

[50] Saint Ambroise, mort environ un an auparavant, révéla, dans une vision, le temps et le lieu de la victoire. Mascezel raconta depuis son rêve à saint Paulin, premier biographe du saint, et par qui il peut facilement être venu à la connaissance d’Orose.

[51] Zozime (V, p. 303.) suppose un combat opiniâtre ; mais le récit d’Orose parait contenir un fait réel, déguisé sous l’apparence d’un miracle.

[52] Tabraca était située entre les deux Hippone. (Cellarius, t. II, part. II, p. 112 ; d’Anville, t. III, p. 84.) Orose a nommé clairement le champ de bataille ; mais notre ignorance ne nous permet pas d’en fixer la situation précise.

[53] La mort de Gildon est rapportée par Claudien (I cons. Stilich., v. 35), et par Zozime et Orose, ses meilleurs interprètes.

[54] Claudien (II cons. Stilich., 99-119) donne les détails de leur procès. Tremuit quos Africa nuper, cernunt rostra reos ; et il applaudit au rétablissement de l’ancienne constitution. C’est ici qu’il place cette sentence si familière aux partisans du despotisme :

. . . . . . . . . . Nunquam libertas gratior extat

Quam sub rege pio . . . . . . . . . .

Mais la liberté qui dépend de la piété d’un roi n’en mérite pas le nom.

[55] Voyez le Code Théodosien, l. IX, tit. 39, leg. 3 ; tit. 40, leg. 19.

[56] Stilichon, qui prétendait avoir eu également part aux victoires de Théodose et à celles de son fils, assure, en particulier, que l’Afrique fut recouvrée par la sagesse de ses conseils. Voyez l’inscription citée par Baronius.

[57] J’ai adouci le récit de Zozime, qui, rendu dans toute sa simplicité, paraîtrait presque incroyable (l. v, p. 303). Orose voue le général à une damnation éternelle (p. 538), pour avoir violé les droits sacrés du sanctuaire.

[58] Claudien, en qualité de poète lauréat, composa avec soin un épithalame sérieux de trois cent quarante vers, outre quelques vers fescennins fort gais, qui furent chantés sur un ton plus libre la première nuit du mariage.

[59] . . . . . . . . . . Calet obvius ire

Jam princeps, tardumque cupit discedere solem.

Nobilis haud alius sonipes.

De Nuptiis Honor. et Mariœ, 287 ; et plus librement dans les vers fescennins, 112-126 :

Dices, ô quoties ! hoc mihi dulcius

Quam flavos decies vincere Sarmatas.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Tum victor madido prosilias toro,

Nocturni referens vulnera prælii.

[60] Voyez. Zozime, l. V, p. 333.

[61] Procope, de Bell. Goth., l. I, c. 2. J’ai peint la conduite générale d’Honorius, sans adopter le conte singulier et très peu probable que fait l’historien grec.

[62] Les leçons de Théodose, ou plutôt de Claudien (IV cons. Honor., 214-418), pourraient faire un excellent traité d’éducation pour le prince futur d’une nation grande et libre. Il était fort au-dessus d’Honorius et de ses sujets dégénérés.