Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain

 

Chapitre XXVIII

Destruction totale du paganisme. Introduction du culte des saints et des reliques parmi les chrétiens.

 

 

LA ruine du paganisme dans le siècle de Théodose est peut-être l’exemple unique de l’extinction totale d’une superstition ancienne et généralement adoptée, et on peut la considérer comme un événement remarquable dans l’histoire de l’esprit humain. Les chrétiens, et principalement le clergé, avaient souffert avec impatience les sages délais de Constantin, et la tolérance universelle du premier des Valentiniens. Ils regardaient leur victoire comme imparfaite et peu sûre, tarit qu’on laisserait subsister leurs adversaires. Saint Ambroise et ses confrères employèrent leur influence sur la jeunesse de Gratien et sur la piété de Théodose, à inspirer des maximes de persécution à leurs augustes prosélytes. On établit deux principes spécieux de jurisprudence religieuse, d’où les prélats tirèrent une conclusion sévère et rigoureuse contre tous les sujets de l’empire qui persévéraient encore dans les cérémonies du culte de leurs ancêtres : 1° que les magistrats sont en quelque façon coupables des crimes qu’ils négligent de prévenir ou de punir ; 2° que l’idolâtrie des divinités fabuleuses et des démons est le crime le plus offensant pour la majesté du Créateur. Le clergé s’autorisait des lois de Moïse et de l’histoire des Juifs[1], et les appliquait d’une manière irréfléchie et peut-être erronée au règne plein, de douceur, et à l’empire du christianisme[2]. Il excita, le zèle des empereurs à soutenir leur propre honneur en même temps que celui de la Divinité, et tous les temples du monde romain furent détruits soixante ans après la conversion de Constantin.

Depuis le règne de Numa jusqu’à celui de Gratien, la succession régulière des différents collèges de l’ordre sacerdotal n’avait éprouvé aucune interruption[3]. Quinze pontifes exerçaient leur juridiction suprême sur toutes les personnes et toutes les choses consacrées au servie des dieux ; et leur tribunal sacré décidait toutes les questions auxquelles devait donner lieu perpétuellement ce vague d’opinions religieuses transmises seulement par la tradition. Quinze graves et savants augures examinaient le cours des astres, et dirigeaient par le vol des oiseaux la marche des héros de Rome. Quinze conservateurs des livres sibyllins (nommés d’après leur nombre quindécemvirs), y cherchaient l’histoire de l’avenir, et les consultaient, à ce qu’il paraît, sur tous les événements dont la décision dépendait du hasard. Six vestales dévouaient leur virginité à la garde du feu sacré et des gages inconnus de la durée de Rome, qu’il n’était pas permis à un mortel de contempler[4]. Sept épules préparaient la table des dieux, conduisaient la procession et réglaient les cérémonies de la fête annuelle. On regardait les trois flamens de Jupiter, de Mars et de Quirinus, comme les ministres particuliers des trois plus puissantes divinités d’entre celles qui veillaient sur le destin de Rome et de l’univers. Le roi des sacrifices représentait la personne de Numa et de ses successeurs dans les fonctions religieuses quine pouvaient être exercées que par le, souverain. Les cérémonies ridicules que pratiquaient les confréries des saliens, des lupercales, etc., dans la ferme confiance qu’elles leur obtiendraient la protection des dieux immortels, auraient arraché à tout homme de sens un sourire de mépris. L’établissement de la monarchie et le déplacement du siége de l’empire anéantirent peu à peu l’autorité qu’avaient prise les prêtres romains dans les conseils, mais les lois et les mœurs protégeaient la dignité de leur caractère, et leur personne était toujours sacrée. Dans la capitale, et quelquefois dans les provinces ; ils exerçaient encore, et principalement le collège des pontifes, leur juridiction civile et ecclésiastique. Leurs robes de pourpre, leurs chars brillants et leurs festins somptueux, excitaient l’admiration du peuple. Les terres consacrées et les fonds publics fournissaient abondamment au faste de la prêtrise et à tous les frais du culte religieux. Comme le service des autels n’était point incompatible avec le commandement des armées, les Romains, après leur consulat et leurs triomphes, aspiraient à la place de pontife ou d’augure. Les plus illustres des sénateurs occupaient, dans le quatrième siècle, les sièges de Pompée et de Cicéron ; et l’éclat de leur naissance ajoutait à celui du sacerdoce[5]. Les quinze prêtres qui composaient le collège des pontifes jouissaient d’un rang d’autant plus distingué, qu’ils étaient censés les compagnons du souverain ; et les empereurs chrétiens daignaient encore accepter la robe de pontife suprême et les ornements attachés à cette dignité ; mais lorsque Gratien monta sur le trône, ce prince, plus scrupuleux ou plus éclairé, rejeta sévèrement ces profanes symboles[6], appliqua les revenus des prêtres et des vestales au service de l’État ou de l’Église, abolit leurs honneurs et leurs privilèges, et détruisit tout l’édifice de la superstition romaine, consacrée par l’opinion et les habitudes de onze siècles. Le paganisme était encore la religion constitutionnelle du sénat : la statue et l’autel de la Victoire ornaient encore le temple dans lequel, il s’assemblait[7]. On y voyait cette déesse sous la forme d’une femme majestueuse, placée debout sur un globe, vêtue d’une robe flottante, les ailes déployées, le bras tendu, et tenant à la main une couronne de lauriers[8]. Les sénateurs faisaient serment sur son autel d’obéir aux lois de l’empereur et de l’empire ; et, dans toutes les délibérations publiques, ils commençaient leur présenter une offrande de vin et d’encens à la déesse de la Victoire[9]. La suppression de cet ancien monument était le seul outrage que Constance eût fait éprouver à la superstition des Romains. Julien rétablit l’autel de la Victoire, Valentinien le toléra, et le zèle de Gratien[10] le fit disparaître pour la seconde fois ; mais l’empereur laissa subsister les statues des dieux offerts à la- vénération publique : quatre cent vingt-quatre temples ou chapelles ouvertes dans les différents quartiers de Rome à la dévotion du peuple, offensaient la délicatesse des chrétiens par l’odeur des sacrifices de l’idolâtrie[11].

Mais les chrétiens ne composaient à Rome qu’une faible partie du sénat[12], et ils ne pouvaient déclarer que par leur absence leur opposition aux actes profanes mais légaux de la majorité païenne. Le fanatisme ranima pour un instant, dans cette compagnie, les dernières étincelles de la liberté mourante. Elle vota et fit successivement partir pour la cour impériale[13] quatre députations respectables ; chargées de représenter les griefs des prêtres et du sénat, et de solliciter la restauration de l’autel de la Victoire. Symmaque, sénateur riche et éloquent, fût chargé de cette commission importante[14]. Il réunissait aux caractères sacrés de pontife et d’augure les dignités civiles de proconsul : d’Afrique et de préfet de Rome. Symmaque était enflammé du zèle le plus ardent pour la cause du paganisme expirant, et ses pieux adversaires déploraient l’usage qu’il faisait de son génie et l’inutilité de ses vertus morales[15]. L’orateur, dont la requête à Valentinien existe encore, sentait la difficulté et le danger de son entreprise. Il évite avec soin toutes les réflexions qui auraient pu offenser la religion de son souverain ; il déclare humblement que les prières et les instances sont ses seules armes, et argumente avec adresse moins en philosophe qu’en rhéteur. Symmaque tâche de séduire l’imagination du jeune monarque par l’étalage pompeux des attributs de la victoire. Il insinue que la confiscation des revenus consacrés au service des autels est indigne de son caractère noble et généreux ; et soutient que les sacrifices des Romains perdraient leur force et leur influence s’ils ne se célébraient plus aux dépens et au nom de la république. L’orateur se sert même du scepticisme pour excuser la superstition. Le mystère incompréhensible de l’univers élude, dit-il, la curiosité des faibles humains, et on peut déférer à l’empire de l’habitude dans les occasions où la raison n’est d’aucun secours. L’attachement de toutes les nations pour les opinions consacrées par une longue suite de siècles, paraît dicté par les règles de la prudence. Si ces siècles ont été couronnés de gloire et de prospérité, si la dévotion des peuples a obtenu des dieux les faveurs qu’ils sollicitaient sur leurs autels, tout engage à persister dans des pratiques salutaires, et à éviter les dangers inconnus que pourraient attirer d’imprudentes innovations. Les preuves tirées de l’ancienneté et du succès étaient singulièrement en faveur de la religion de Numa ; en introduisant sur la scène Rome elle-même ou le génie céleste qui présidait à sa conservation, Symmaque le fait parler ainsi devant le tribunal des empereurs : Très excellents princes, dit la matrone vénérable, pères de la patrie, ayez de la compassion et du respect pour cet âge où je suis parvenue sans que ma piété ait souvent aucun refroidissement. Puisque je n’ai pas lieu de m’en repentir, laissez-moi continuer des pratiques que je révère ; puisque je sais née libre laissez-moi jouir de mes institutions domestiques. Ma religion a soumis l’univers, à mon empire. Mes pieuses cérémonies ont chassé Annibal de mes portes et les Gaulois du Capitole. Ferez-vous à ma vieillesse cette cruelle injure ? Je ne connais point le système que vous me proposez ; mais je sais qu’en voulant corriger la vieillesse, on entreprend une tâche ingrate et peu glorieuse[16]. Les terreurs du peuple suppléèrent à ce que l’orateur avait discrètement supprimé, et les païens imputèrent unanimement à l’établissement de la religion de Constantin tous les maux qui affligeaient ou menaçaient l’empire.

La résistance ferme et adroite de l’archevêque de Milan détruisit les espérances de Symmaque, et prémunit les empereurs contre la trompeuse éloquence de l’avocat de Rome. Dans cette controverse, saint Ambroise daigne emprunter le langage de la philosophie, et demande avec mépris pourquoi il serait nécessaire d’attribuer à un être invisible et imaginaire des victoires suffisamment expliquées par le courage et la discipline des légions. Il relève avec raison le ridicule d’un respect aveugle pour les institutions de l’antiquité, qui tend à décourager le progrès des arts, et à replonger la race humaine dans son ancienne barbarie. S’élevant ensuite peu à peu à un style plus haut et plus théologique, il prononce que le christianisme est la doctrine unique du salut et de la vérité et que tous les autres cultes conduisent leurs prosélytes à travers les sentiers de l’erreur, dans l’abîme de la perdition éternelle[17]. Ces arguments, prononcés par un prélat favori, furent suffisants pour empêcher la restauration des autels de la Victoire ; mais ils eurent encore bien plus d’énergie et d’influence dans la bouche, d’un conquérant, et Théodose traîna les dieux de l’antiquité en triomphe après son char[18]. Dans une assemblée complète du sénat, l’empereur proposa, selon les anciennes formes de la république, cette importante question de la religion du Christ ou de celle de Jupiter, laquelle devait être désormais la religion des Romains ? La crainte et l’espoir inspirés par la présence du monarque détruisirent la liberté des suffrages qu’il affectait d’accorder ; et l’exil récent de Symmaque avertissait ses confrères qu’il serait dangereux de contrarier la volonté du souverain. Jupiter fut condamné par une majorité considérable, et il est étonnant que quelques-uns des membres du sénat aient eu l’audace de déclamer dans leurs discours ou dans leurs suffrages l’attachement qu’ils conservaient pour une divinité proscrite par l’empereur[19]. On ne peut attribuer la conversion précipitée du sénat qu’à une impulsion surnaturelle ou à des motifs d’intérêt personnel ; et une partie de ces prosélytes forcés laissa voir dans toutes les circonstances favorables une disposition secrète à dépouiller le masque odieux de la dissimulation : mais ils se confirmèrent dans la nouvelle religion à mesure que la destruction de l’ancienne parut plus inévitable. Ils cédèrent à l’autorité de l’empereur, à l’usage des temps et aux sollicitations de leurs femmes et de leurs enfants, dont le clergé de Rome et les moines de l’Orient gouvernaient la conscience[20]. Presque toute la noblesse imita l’exemple édifiant de la famille Anicienne ; les Bassi, les Paulini et les Gracques, embrassèrent la religion chrétienne. Les flambeaux de l’univers, la vénérable assemblée des Catons, telles sont les magnifiques expressions de Prudence, se hâtaient de quitter leurs habits pontificaux, de se dépouiller de la peau du vieux serpent, pour se revêtir de la robe blanche de l’innocence baptismale, et humilier l’orgueil des faisceaux consulaires sur la tombe des martyrs[21]. Les citoyens qui subsistaient du fruit de leur industrie, la populace qui vivait de la libéralité publique, remplirent les églises de Latran et du Vatican d’une foule inépuisable de zélés convertis. Le consentement général des Romains[22] ratifia les décrets du sénat, qui proscrivaient le culte des idoles ; la magnificence du Capitole s’obscurcit, et les temples déserts furent abandonnés à la ruine et au mépris[23]. Rome se soumit au joug de l’Évangile, et son exemple entraîna les provinces conquises qui n’avaient pas encore perdu tout respect pour son nom et pour son autorité.

La piété filiale des empereurs les engageait à procéder avec douceur et prudence à la conversion de la ville éternelle ; mais ils n’eurent pas la même indulgence pour les préjugés des villes des provinces. Le zélé Théodose reprit avec ardeur et exécuta complètement les pieux travaux suspendus plus de vingt ans après la mort de Constance[24]. Tandis que ce prince guerrier combattait encore contre les Goths, moins pour la gloire que pour la sûreté de l’empire, il hasarda d’offenser une grande partie de ses sujets par quelques entreprises qui pouvaient mériter la protection du ciel, mais que ne saurait approuver la prudence humaine. Les succès de ses premiers efforts contre les païens, encouragèrent le pieux empereur à réitérer ses édits de proscription, et à les faire exécuter à la rigueur. Les lois originairement publiées pour les villes de l’Orient, s’étendirent, après la défaite de Maxime, dans toutes les provinces de l’empire d’Occident, et chaque victoire de ce prince orthodoxe fut un nouveau triomphe pour l’Église catholique[25]. Il attaqua la superstition jusque dans ses fondements, en proscrivant l’usage des sacrifices, qu’il déclara criminels et infâmes ; et quoique ses édits condamnassent plus particulièrement la curiosité impie qui examine les entrailles des victimes[26], toutes les interprétations postérieures tendirent à envelopper généralement dans le crime l’acte d’immolation, qui constituait, essentiellement la religion des païens. Les temples étaient principalement destinés à célébrer les sacrifices, et le devoir d’un bon prince était d’ôter à ses sujets la dangereuse tentation de transgresser les lois qu’il avait établies. Théodose chargea par une commission spéciale, d’abord Cynegius, préfet du prétoire de l’Orient, et ensuite les comtes Jovius et Gaudentius, deux officiers d’un rang distingué dans l’empire d’Occident, de fermer les temples, d’enlever ou de détruire tous les instruments de l’idolâtrie, d’abolir les privilèges des prêtres, et de confisquer les terres consacrées, au profit de l’empereur, de l’Église catholique ou de l’armée[27]. On pouvait s’en tenir là et sauver des mains destructrices du fanatisme des édifices magnifiques qui, dépouillés de tout, ne pouvaient plus servir au culte de l’idolâtrie. Une grande partie de ces temples étaient des chefs-d’œuvre de l’architecture grecque, et l’intérêt personnel de l’empereur lui défendait de détruire l’ornement de ses villes, et de diminuer la valeur de ses propriétés. On pouvait laisser subsister ces superbes monuments, comme autant de trophées de la victoire du christianisme. Dans le déclin des arts on les aurait convertis utilement en magasins, en manufactures ou en places d’assemblées publiques. Peut-être lorsque les murs des temples se seraient trouvés suffisamment purifiés par des cérémonies pieuses, le culte du vrai Dieu aurait daigné effacer le souvenir de l’idolâtrie ; mais tant qu’ils subsistaient, les païens se flattaient secrètement que quelque heureuse révolution, qu’un second Julien rétablirait peut-être les autels de leurs dieux ; et les pressantes sollicitations dont ils importunaient le souverain[28], animaient le zèle des réformateurs chrétiens à extirper sans miséricorde les racines de la superstition : Il paraît, par quelques édits des empereurs, qu’ils adoptèrent des sentiments moins violents[29] ; mais ce fut avec une froideur et une indifférence qui les rendirent inutiles, et n’opposèrent qu’une barrière, impuissante contre ce torrent d’enthousiasme et d’avidité dont les chefs spirituels de l’Église, dirigeaient ou plutôt excitaient la furie. Saint Martin, évêque de Tours[30], parcourait la Gaule à la tête de ses moines, et détruisait les idoles, les temples et les arbres consacrés, dans toute l’étendue de son vaste diocèse. En Syrie, l’excellent, le divin évêque Marcellus[31], ainsi que l’appelle Théodoret, animé d’un zèle apostolique, résolut de raser tous les temples du diocèse d’Apamée. La solidité de celui de Jupiter, et l’art avec lequel il était construit, résistèrent d’abord aux attaques de Marcellus. Ce temple, situé sur une éminence, avait quatre façades, soutenues chacune par quinze colonnes massives, de seize pieds de circonférence, et toutes les pierres qui les composaient étaient fortement agrafées ensemble avec du fer et du plomb. Inutilement essaya-t-on contre cette construction les outils les plus forts et les plus tranchants ; il fallut miner les fondements des colonnes, qui s’écroulèrent enfin lorsque le feu eut consumé les étançons qui avaient servi à soutenir le travail de la mine. Les difficultés de cette entreprise sont décrites sous l’allégorie d’un malin démon, qui, ne pouvant en empêcher le succès, tâchait du moins de le retarder. Fier de cette victoire Marcellus se mit lui-même en campagne contre les puissances des ténèbres, suivi d’une bande nombreuse de soldats et de gladiateurs réunis sous la bannière épiscopale ; il attaqua successivement les temples répandus dans les villages et dans les campagnes du diocèse d’Apamée. Dans les occasions où la résistance annonçait du danger, le champion de la foi, qu’une jambe défectueuse empêchait également de fuir et de combattre, se plaçait hors de la portée des traits ; mais cette précaution fut la cause de sa perte : des paysans en fureur le surprirent et le massacrèrent, et le synode de la province prononça, sans hésiter, que le pieux Marcellus avait sacrifié sa vie au service de la foi. Les moines se précipitaient impétueusement et en tumulte hors du désert pour signaler leur zèle en faveur d’une semblable cause. Ils méritèrent la haine des païens, et tous ne furent point exempts du reproche d’avarice et d’intempérance. Ces pieux destructeurs satisfaisaient l’une en pillant les ennemis de leur religion, et l’autre aux dépens des insensés qui admiraient leurs vêtements en lambeaux, leurs chants lugubres et leur pâleur artificielle[32]. Le goût, la prudence la crainte ou la vénalité de quelques gouverneurs de provinces, sauvèrent un petit nombre de temples. Celui de la Vénus céleste, à Carthage, formait une enceinte d’environ deux milles de circonférence ; on eut le bon esprit d’en faire une église[33],  et une consécration semblable a conservé le dôme majestueux du Panthéon de Rome[34]. Mais dans presque toutes les provinces du monde romain, une armée de fanatiques, sans discipline comme sans autorité, assaillaient les paisibles habitants, et les ruines des plus beaux monuments de l’antiquité attestent encore les ravages de ces barbares, qui avaient seuls le loisir et la volonté d’exécuter des destructions si pénibles.

Dans cette scène de dévastation générale, le spectateur peut distinguer les ruines du fameux temple de Sérapis à Alexandrie[35]. Sérapis ne parait pas être du nombre des dieux ou des monstres enfantés par la fertile superstition des Égyptiens[36]. Le premier des Ptolémées avait reçu en songe l’ordre d’apporter ce mystérieux étranger de la côte du Pont, où les habitants de Sinope l’adoraient depuis longtemps, mais son règne et ses attributs étaient si obscurs, que l’on disputa longtemps pour savoir s’il représenterait la brillante lumière du jour ou le monarque ténébreux des régions souterraines[37]. Les Égyptiens, inviolablement attachés à la religion de leurs ancêtres, refusèrent d’admettre dans l’enceinte de leur ville cette divinité étrangère[38] ; mais les prêtres dociles, séduits par la libéralité de Ptolémée, se soumirent sans résistance au pouvoir de la divinité du Pont. On lui fit une généalogie honorable et nationale, et cet heureux usurpateur prit sa place sur le trône et dans le lit d’Osiris[39], le mari d’Isis et le monarque céleste de l’Égypte. Alexandrie, qui était particulièrement sous sa protection, se fit gloire du nom de la ville de Sérapis. Son temple[40], qui, pour l’orgueil et la magnificence, le disputait au Capitole, s’élevait, sur le vaste sommet d’une montagne artificielle qui dominait toute la ville. On montait cent marches pour y arriver, et la cavité intérieure, soutenue fortement par un grand nombre d’arches, formait différentes voûtes et des appartements souterrains. Un portique quadrangulaire environnait les bâtiments consacrés ; la magnificence des salles et des statues déployait le triomphe des arts, et la fameuse bibliothèque d’Alexandrie, sortie de ses cendres avec une nouvelle splendeur, recélait les trésors de l’érudition ancienne[41]. Quoique les édits de Théodose eussent déjà défendu sévèrement toute espèce de sacrifices, on les tolérait encore dans le temple de Sérapis, et on donnait imprudemment pour motif de cette singulière indulgence les terreurs superstitieuses des chrétiens. Ils semblaient craindre eux-mêmes d’abolir des cérémonies anciennes qui pouvaient seules assurer les inondations régulières du Nil, les moissons de l’Égypte, et la subsistance de Constantinople[42].

Un homme audacieux et pervers[43], l’ennemi perpétuel de la paix et de la vertu, dont les mains se souillaient alternativement d’or et de sang, Théophile occupait alors le siége archiépiscopal d’Alexandrie[44]. Les honneurs du dieu Sérapis excitèrent sa pieuse indignation ; et les insultes qu’il fit à l’ancienne chapelle de Bacchus, avertirent les païens de l’entreprise plus importante qu’il méditait. Dans la tumultueuse cité d’Alexandrie, le sujet le plus léger suffisait pour donner lieu à une guerre civile. Les adorateurs de Sérapis, fort inférieurs en nombre, et en force à leurs adversaires, prirent les armes à l’instigation du philosophe Olympius[45], qui les exhortait à mourir pour la défense des autels de leurs dieux. Ces païens fanatiques se retranchèrent dans le temple ou plutôt dans la forteresse de Sérapis, repoussèrent les assiégeants par d’audacieuses sorties, par une défense vigoureuse, et jouirent au moins dans leur désespoir de la consolation d’exercer sur leurs prisonniers chrétiens les plus horribles cruautés. Les efforts prudents des magistrats obtinrent enfin une trêve jusqu’au moment où les ordres de Théodose auraient décidé du destin de Sérapis. Les deux partis s’assemblèrent sans armes dans la place principale de la ville, on l’on lut à haute voix le mandat de l’empereur. Des que la sentence de destruction fut prononcée contre les idoles d’Alexandrie, les chrétiens firent entendre un cri de joie et de triomphe, tandis que, gardant un profond silence, les malheureux païens, dont la fureur s’était changée en consternation, se retirèrent précipitamment pour échapper, par la fuite ou par leur obscurité, aux effets du ressentiment de leurs, ennemis, Théophile exécuta la démolition du temple, sans autre difficulté que celles que lui opposèrent le poids et la solidité des matériaux ; mais cet obstacle insurmontable obligea l’archevêque à laisser subsister les fondements, et à se contenter d’avoir fait du bâtiment un vaste amas de ruines. On en déblaya dans la suite une partie, pour construire sur le terrain une église en l’honneur des saints martyrs. La précieuse bibliothèque d’Alexandrie fût pillée et détruite, et près de vingt ans après, les cases vides excitaient le regret et l’indignation de ceux chez qui les préjugés religieux n’avaient pas tout à fait obscurci le bon sens[46]. Les œuvres du génie des anciens, dont un si grand nombre sont irrévocablement perdues, auraient pu être exceptées de la ruine de l’idolâtrie, pour l’amusement et pour l’instruction de la postérité. Le zèle ou l’avarice du prélat[47] auraient dû se trouver satisfaits des riches dépouilles qui furent le prix de sa victoire. Tandis que l’on fondait avec soin les vases et les effigies d’or et d’argent, et que l’on voyait les objets moins précieux brisés avec mépris et dispersés dans les rues, Théophile travaillait à faire connaître les fraudes et les vices des ministres des idoles, leur adresse à se servir de la pierre d’aimant, leurs méthodes sécrètes d’introduire une créature humaine dans une statue creusée en dedans, et l’abus criminel qu’ils faisaient de la confiance des époux pieux et des femmes crédules[48]. Ces accusations sont trop conformes à l’esprit astucieux et intéressé de la superstition pour ne pas mériter quelque degré de croyance ; mais il faut se méfier de ce même esprit quand il s’efforce d’insulter et de calomnier son ennemi vaincu ; et on doit réfléchir qu’il est bien plus facile d’inventer une histoire scandaleuse que de pratiquer longtemps une fraude avec succès. La statue colossale de Sérapis[49] fut enveloppée dans la ruine de son temple et de sa religion. Un grand nombre de plaques, de différents métaux joints ensemble, composaient la figure majestueuse de la divinité, qui touchait des deux côtés aux murs du sanctuaire, Sérapis, assis et un sceptre à la main, ressemblait beaucoup aux représentations ordinaires de Jupiter, dont il n’était distingué que par le panier ou boisseau placé sur sa tête, et par la figure emblématique du monstre qu’il portait dans sa main droite ; ce monstre offrait le corps et la tête d’un serpent qui se partageait en trois queues, terminées chacune par une tête, l’une de chien, l’autre de lion, et la troisième de loup. On affirmait avec confiance que, si la main d’un mortel impie osait insulter à la majesté du dieu, le ciel et la terre rentreraient à l’instant dans le chaos. Un soldat intrépide, animé par le zèle, et muni de sa hache d’armes, monta à l’échelle, et les chrétiens eux-mêmes n’étaient pas sans inquiétude sur l’événement du combat[50]. Le soldat frappa un coup violent sur la joue de Sérapis, elle tomba à terre ; le tonnerre ne gronda point, les cieux et la terre conservèrent leur ordre et leur tranquillité. Le soldat victorieux continua de frapper ; l’énorme idole fut renversée et mise en pièces et ses membres furent ignominieusement traînés dans les rues d’Alexandrie. Sa carcasse, mutilée, fut brûlée dans l’amphithéâtre, aux acclamations de la populace ; et un grand nombre de citoyens donnèrent l’impuissance, reconnue de leur dieu tutélaire pour le motif de leur conversion. Les religions qui offrent au peuple un objet de culte matériel et visible, ont l’avantage de s’adapter à la nature des sens et de les familiariser avec les idées religieuses ; mais cet avantage est contrebalancé par les accidents divers et inévitables auxquels est exposée la foi de l’idolâtre. Il est presque impossible qu’il puisse conserver, dans toutes les situations d’esprit, un respect implicite pour les idoles ou les reliques que le tact et la vue ne sauraient distinguer des productions les plus ordinaires de l’art ou de la nature ; et si, au moment du danger, leur vertu secrète et miraculeuse est impuissante pour leur propre conservation, l’adorateur détrompé méprise les vaines excuses des prêtres, et l’objet de son ancienne superstition, ainsi que la folie qui l’y attachait, deviennent avec raison le sujet de ses railleries[51]. Après la destruction de Sérapis, les païens espérèrent quelque temps que le Nil refuserait son influence bienfaisante aux impies dominateurs de l’Égypte : un retard extraordinaire de l’inondation semblait annoncer la colère de la divinité du fleuve ; mais ce délai fut compensé par la crue rapide des eaux ; elles s’élevèrent même tout à coup à une si grande hauteur, que le parti mécontent se flatta d’être vengé par un déluge, jusqu’au moment où la rivière se réduisit paisiblement au degré ordinaire des seize coudées nécessaires à la fertilité[52].

Les temples de l’empire romain étaient déserts ou abattus ; mais l’ingénieuse superstition des païens tachait à éluder les lois sévères par lesquelles Théodose avait défendu toutes sortes de sacrifices. Les habitants de la campagne, dont la conduite était moins exposée aux regards de la curiosité malveillante, déguisaient leurs assemblées religieuses sous l’apparence d’assemblées de plaisirs. Aux jours de fêtes solennelles, ils se réunissaient en grand nombre sous le feuillage épais des arbres consacrés ; ils tuaient et rôtissaient des bœufs et des brebis ; des hymnes chantés en l’honneur de leurs divinités sanctifiaient cette champêtre réjouissance ; mais comme on ne faisait d’offrande d’aucune partie des animaux, comme il n’y avait ni autel pour recevoir le sang des victimes, ni oblations préliminaires de gâteaux salés, et que la cérémonie finale des libations était soigneusement supprimée, ils se prétendaient à l’abri de tout reproche et des peines portées contre ceux qui participeraient aux sacrifices défendus par la loi : mais quoi qu’on pût penser de la vérité des faits ou de la solidité des distinctions alléguées en leur faveur[53], le dernier édit de Théodose anéantit la ressource de ces vains subterfuges, et porta un coup mortel aux superstitions du paganisme. Cette loi prohibitive s’exprime dans les termes les plus clairs et les plus absolus[54]. C’est notre plaisir, et notre volonté, dit l’empereur[55], de défendre à tous nos sujets, soit magistrats ou citoyens, depuis la première classe jusqu’à la dernière inclusivement, d’immoler désormais, soit dans une ville, soit dans tout autre endroit, aucune victime innocente en l’honneur d’une idole inanimée. L’acte du sacrifice et la pratique de la divination par les entrailles des victimes sont déclarés, quel qu’en soit le motif, des crimes de haute trahison contre l’État, qui ne peuvent s’expier que par la mort du coupable. On abolit celles des cérémonies païennes qui pouvaient paraître moins cruelles et moins odieuses, comme injurieuses à l’honneur de la seule et véritable religion. L’édit défend nommément les luminaires, les guirlandes, les encensements, les libations de vin, et comprend dans l’arrêt de proscription jusqu’au culte des génies domestiques et des dieux pénates. Celui qui se rendait coupable de quelqu’une de ces cérémonies profanes, perdait la propriété de la maison ou du terrain où elle avait été exécutée ; et si, pour éluder la confiscation, il faisait de la propriété, d’un autre le théâtre de son impiété, l’édit le condamnait à payer sur-le-champ une amende de vingt-cinq livres d’or, environ mille livres sterling. Il punissait par la même amende la connivence des ennemis secrets de la religion, qui se rendaient coupables de négligence dans le devoir qui leur était imposé, selon la différence de leur situation, de révéler ou de punir le crime de l’idolâtrie. Tel était l’esprit persécuteur des lois de Théodose, que ses fils et ses petits-fils exercèrent souvent, avec rigueur et avec les applaudissements unanimes du monde chrétien[56].

Sous les règnes sanguinaires de Dèce et de Dioclétien, le christianisme avait été proscrit comme ne révolte contre l’ancienne religion et le culte héréditaire de l’empire. L’union inséparable de l’Église catholique et la rapidité de ses conquêtes appuyaient en quelque sorte les injustes soupçons qui la représentaient comme une faction dangereuse et criminelle : mais les empereurs chrétiens qui violèrent les lois de l’Évangile et de l’humanité, ne pouvaient alléguer ni l’excuse de la crainte ni celle de l’ignorance. La faiblesse et la folie du paganisme étaient prouvées par l’expérience de plusieurs siècles ; les lumières de la raison et de la foi avaient déjà démontré à la plus grande partie du genre humain l’impuissance et le ridicule des idoles ; et on pouvait accorder sans inquiétude aux gestes de cette secte expirante la permission de suivre en paix et dans l’obscurité les coutumes religieuses de leurs ancêtres. Si les païens eussent été animés par le zèle indomptable qui exaltait les premiers fidèles, leur sang aurait inévitablement souillé le triomphe de l’Église, et les martyrs de Jupiter et d’Apollon auraient embrassé avec ardeur l’honorable occasion de sacrifier au pied de leurs autels leur fortune et leur vie. L’apathie indolente du polythéisme n’admettait pas un zèle si obstiné ; le défaut de résistance amortit la violence des coups dont les empereurs orthodoxes frappèrent à plusieurs reprises le paganisme ; et, par la docilité de leur obéissance, les païens évitèrent les rigueurs du Code de Théodose[57]. Au lieu de prétendre que l’autorité des dieux dût l’emporter sur celle de l’empereur, ils firent à peine entendre quelques murmures en renonçant aux cérémonies que le souverain condamnait. Si quelquefois un moment d’impatience où l’espérance de n’être point découverts les entraînaient à satisfaire leur superstition favorite, l’humilité du repentir désarmait la sévérité des magistrats chrétiens ; et les païens refusaient rarement d’expier leur imprudence par une soumission apparente aux préceptes de l’Évangile. Les églises se remplissaient d’une multitude de faux prosélytes, qui s’étaient conformés par des motifs d’intérêt personnel à la religion dominante, et qui, tandis qu’on les voyait imiter les fidèles dans leur maintien et en apparence dans leurs prières, obéissaient secrètement à leur conscience, en invoquant dans le fond de leur cœur les dieux de leurs ancêtres[58]. Si la patience manquait aux païens pour souffrir, le courage leur manquait pour résister ; et les milliers d’idolâtres qui, répandus de tous côtés, déploraient la ruine de leurs temples, subirent sans effort la loi de leurs adversaires. Le nom et l’autorité de l’empereur suffirent pour désarmer les paysans de Syrie[59] et la populace d’Alexandrie, qui s’étaient opposés tumultueusement à la rage d’un fanatisme sans autorité. Les païens de l’occident ne contribuèrent point à l’élévation d’Eugène, mais leur attachement pour cet usurpateur rendit sa cause et sa personne odieuses. Le clergé fit entendre ses clameurs, et lui reprocha d’ajouter le crime d’apostasie à celui de la rébellion, d’avoir laissé rétablir l’autel de la Victoire, et de déployer dans ses années contre l’invincible étendard de la croix les symboles idolâtres de Jupiter et d’Hercule ; mais la défaite d’Eugène anéantit bientôt l’espoir des païens, et ils restèrent exposés à la vengeance d’un conquérant qui tâchait de mériter la faveur du ciel par la destruction de l’idolâtrie[60].

Une nation esclave est toujours empressée, d’applaudir à la clémence de son maître, quand dans l’abus du pouvoir absolu il ne pousse pas, l’injustice et l’oppression jusqu’à la dernière, extrémité. Théodose pouvait sans doute proposer à ses sujets païens l’alternative du baptême ou de la mort ; et l’éloquent Libanius donne des louanges à la modération d’un prince absolu qui ne contraignit jamais ses sujets par une loi positive à embrasser la religion de leur souverain[61]. Il n’était pas indispensablement nécessaire de professer le christianisme pour jouir des droits de la société civile ; il n’y avait point de punition particulière prononcée contre ceux dont la crédulité adoptait les fables d’Ovide, et rejetait obstinément les miracles de l’Évangile. Un grand nombre de païens zélés et déclarés occupaient des places dans le palais, dans les écoles, dans les armées et dans le sénat ; ils obtenaient sans distinction tous les honneurs civils et militaires de l’empire. Théodose témoigna sa généreuse estime pour le génie et pour la vertu en décorant Symmaque[62] de la dignité consulaire, et par son attachement particulier pour Libanius[63]. L’empereur n’exigea jamais de ces deux apologistes éloquents du paganisme qu’ils changeassent, ou dissimulassent leurs opinions religieuses. Les païens jouissaient du droit de dire et d’écrire leurs sentiments avec la plus excessive liberté. Les fragments historiques et philosophiques d’Eunape[64], de Zozime et des prédicateurs fanatiques de l’école de Platon, sont remplis des plus violentes invectives contre les principes et contre la conduite de leurs adversaires. Si ces audacieux libelles étaient publics, nous devons applaudir à la sagesse des princes chrétiens, qui voyaient d’un œil de mépris ces derniers efforts de la superstition et du désespoir[65] ; mais ils faisaient exécuter à la rigueur des lois qui proscrivaient les sacrifices et les cérémonies du paganisme, et chaque jour contribuait à détruire une religion soutenue par l’habitude plutôt que par le raisonnement. La dévotion d’un poète ou d’un philosophe peut se nourrir en secret par la prière, l’étude et la méditation mais les sentiments religieux du peuple, dont toute, la force vient de l’habitude et de l’imitation, ne peuvent guère avoir de fondements solides que l’exercice du culte public. L’interruption de ce culte est capable d’opérer dans un petit nombre d’années l’ouvrage important d’une révolution nationale. Le souvenir des opinions théologiques ne se conserve pas longtemps privé du secours artificiel des prêtres, des temples et des livres[66]. Un vulgaire ignorant, dont l’imagination est en proie aux terreurs et aux espérances d’une aveugle superstition, se laissera facilement persuader par ses supérieurs de diriger ses vœux vers les dieux du siècle ; et son zèle s’enflammera insensiblement pour la défense et la propagation de la nouvelle doctrine que le seul besoin d’une religion l’avait forcé d’abord à recevoir. La génération qui vint au monde après la promulgation des lois impériales, se laissa sans peine attirer dans le sein de l’Église catholique, et la chute du paganisme fut en même temps si douce et si rapide, que vingt-huit ans après la mort de Théodose, ses faibles restes n’étaient plus sensibles aux yeux du législateur[67].

La ruine de la religion païenne est rapportée par les sophistes comme un prodige effrayant qui couvrit la terre de ténèbres et rétablit l’ancien règne du chaos et de la nuit. Ils racontent en style pompeux et pathétique, que les temples se convertirent en sépulcres, et que les domiciles sacrés, ornés naguère des statues des dieux, furent déshonorés par les reliques des martyrs chrétiens. Les moines (race d’animaux immondes, auxquels Eunape est tenté de refuser le nom d’hommes) sont, dit-il, les auteurs de la nouvelle doctrine qui, à des divinités conçues par l’esprit, a substitué les plus méprisables esclaves. Les têtes salées et marinées de ces infâmes malfaiteurs que la multitude de leurs crimes a justement conduits à une mort ignominieuse, leurs corps, où l’on voit encore les traces des fouets et des tortures ordonnées par les magistrats ; tels sont, ajoute Eunape, les dieux que la terre  produit de nos jours ; tels sont les martyrs, les juges suprêmes des prières et des vœux adressés à la Divinité, et dont on respecte aujourd’hui les tombes comme des objets consacrés à la vénération des peuples[68]. Sans approuver l’animosité du sophiste, il est assez naturel de partager sa surprise d’une révolution dont il fut le témoin, et qui éleva les victimes obscures des lois romaines au rang de protecteurs célestes et invisible de l’empire romain. Le temps et les succès convertirent en adoration religieuse la respectueuse reconnaissance des chrétiens pour les martyrs de la foi, et on accorda les mêmes honneurs aux plus illustres des saints et des prophètes. Cent cinquante ans après les morts glorieuses de saint Pierre et de saint Paul, les tombes ou plutôt les trophées de ces héros spirituels[69] décorèrent le Vatican et la voie d’Ostie. Dans le siècle qui suivit la conversion de Constantin, les empereurs, les consuls et les généraux des armées, visitaient dévotement les sépulcres d’un faiseur de tentes et d’un pêcheur[70] ; et l’on déposa, respectueusement leurs os sous les autels du Christ, où les évêques de la ville impériale faisaient tous les jours à Dieu l’offrande de leur sacrifice[71]. La nouvelle capitale de l’Orient, ne pouvant fournir par elle-même de ces glorieux monuments, s’appropria les dépouilles des provinces : les corps de saint André, de saint Luc et de saint Timothée, avaient reposé près de trois cents ans dans des tombeaux obscurs, d’où on les transporta en pompe à l’église des Saints Apôtres, fondée par Constantin, sur les bords du Bosphore de Thrace[72]. Environ cinquante ans après, ces mêmes rivages furent honorés de la présence de Samuel, juge et prophète d’Israël. Les évêques se passèrent de mains en mains, ses cendres déposées dans un vase d’or et couvertes d’un voile de soie. Le peuple reçut les reliques de Samuel avec autant de joie et de respect qu’il aurait pu en montrer au prophète vivant : la foule des spectateurs formait une procession continuelle depuis la Palestine jusqu’aux portes de Constantinople ; l’empereur Arcadius, suivi des plus illustres membres du clergé et du sénat, vint à la rencontre de cet hôte extraordinaire, qui toujours avait mérité et exigé l’hommage des souverains[73]. L’exemple de Rome et de Constantinople affermit la foi et la discipline du monde catholique. Les honneurs des saints et des martyrs, après quelques faibles et inutiles murmures d’une raison profane[74], s’établirent universellement, et dans le siècle de saint Ambroise et de saint Jérôme, il semblait manquer quelque chose à la sainteté d’une église jusqu’à ce qu’elle eût été consacrée par une parcelle de saintes reliques qui pussent fixer et enflammer la dévotion ces fidèles.

Dans la longue période de douze cents ans qui s’écoula entre le règne de Constantin et la reformation de Luther, le culte des saints et des reliques corrompit la simplicité pure et parfaite de la religion chrétienne ; et on peut observer déjà quelques symptômes de dépravation chez les premières générations qui adoptèrent et consacrèrent cette pernicieuse innovation.

I. Le clergé, instruit par l’expérience que les reliques des saints avaient plus de valeur que l’or et les pierres précieuses[75], s’efforça d’augmenter les trésors de l’Église. Sans beaucoup d’égard pour la vérité où même pour la probabilité, on donna des noms à des squelettes, et on inventa des actions pour les noms. Des fictions religieuses obscurcirent la gloire des apôtres et des saints imitateurs de leurs vertus ; on ajouta à l’invincible armée des martyrs véritables et primitifs une multitude de héros imaginaires qui n’avaient jamais existé que dans l’imagination de quelques légendaires artificieux ou crédules. Il y a même lieu de soupçonner que le diocèse de Tours n’est pas le seul où l’on ait adoré sous le nom d’un saint les os d’un malfaiteur[76]. Une pratique superstitieuse, qui tendait à multiplier les occasions de fraude et les objets de crédulité, éteignit insensiblement dans le monde chrétien la lumière de l’histoire et celle de la raison.

II. Les progrès de la superstition auraient été beaucoup moins rapides et moins étendus si, pour aider la foi du peuple, on ne se fut pas servi à propos du secours des miracles et des visions propres à constater l’authenticité et la vertu des reliques les plus suspectes. Sous le régné de Théodose, le jeune Lucien, prêtre de Jérusalem, et ministre ecclésiastique du village de Caphargamala[77], environ à vingt milles de la ville, raconta un songe singulier, qui, pour écarter tous les doutes, s’était offert, à lui pendant trois samedis consécutifs. Une figure vénérable s’était présentée devant lui, dans le silence de la nuit, portant une longue barbe, vêtue d’une robe blanche et tenant une verge d’or dans sa main. Ce fantôme s’annonça sous le nom de Gamaliel, et apprit au prêtre étonné que son corps, celui de son fils Abibas, de son ami Nicodème, et enfin celui de l’illustre Étienne, le premier martyr du christianisme, avaient été enterrés secrètement dans le champ voisin. Il ajouta avec quelque impatience qu’il était temps de  les délivrer, lui et ses compagnons, de leur obscure prison ; que leur apparition dans le monde serait un remède salutaire à ses maux, et qu’ils choisissaient Lucien pour avertir l’évêque de Jérusalem de leur situation et de leurs désirs. De nouvelles visions vinrent à mesure éclaircir les doutes et lever les difficultés qui retardaient l’exécution de cette importante entreprise ; le prélat fit creuser la terre devant le peuple qui s’était rassemblé pour en être témoin. On trouva les tombes de Gamaliel, de son fils et de son ami à côté l’une de l’autre ; mais dès que l’on eut retiré la quatrième, qui contenait les précieux restes de saint Étienne, la terre trembla ; et il se répandit une exhalaison semblable à celle qui doit remplir le paradis, et dont l’influence guérit en un instant les maux divers dont étaient affligés soixante-treize spectateurs. On laissa les compagnons de saint Étienne dans leur paisible demeure de Caphargamala ; mais les reliques du premier des martyrs furent transportées processionnellement dans l’église construite en son honneur sur la montagne de Sion ; et les effets de la vertu divine et miraculeuse que possédaient les plus petites parcelles de ces reliques, une goutte de sang ou les raclures d’un os, se front sentir dans presque toutes les provinces de l’empire romain[78]. Le grave et savant saint Augustin[79], à qui la supériorité de son esprit ne laisse guère l’excuse de la crédulité, atteste, les prodiges nombreux opérés en Afrique par les reliques de saint Étienne, et ce récit merveilleux a été inséré dans l’ouvrage de la Cité de Dieu, composé avec tant de soin par l’évêque d’Hippone, et destiné à servir de preuve immortelle et irrécusable à la vérité du christianisme. Saint Augustin déclare solennellement qu’il ne parle que des miracles certifiés publiquement par ceux qui en ont éprouvé l’influente ou qui en ont été les spectateurs ou les objets : on omit ou l’on oublia beaucoup de prodiges ; Hippone fut traitée moins libéralement que les autres villes de la province, et son évêque détaille cependant plus de soixante-dix miracles, au nombre desquels se trouvent trois résurrections, opérés en moins de deux ans dans les limites de son diocèse[80]. Si l’on voulait parcourir tous les diocèses et compter tous les saints du monde chrétien, ce serait un calcul difficile peut-être à terminer que celui des fables et des erreurs qu’a dû produire cette inépuisable source ; mais il sera permis d’observer, au moins, que dans ce temps de superstition et de crédulité, les miracles devaient perdre en quelque sorte le nom de miracle et le droit d’attirer l’attention, lorsque, par leur fréquence, ils semblaient presque rentrer dans le cours des lois ordinaires de la nature.

III. La multiplicité de miracles dont les tombes des martyrs étaient continuellement le théâtre, révélaient aux pieux croyants la constitution et l’état actuel du monde invisible ; et leurs spéculations religieuses paraissaient fondées sur la base solide des faits et de l’expérience. Quel que pût être le sort des âmes communes depuis l’instant de la dissolution de leurs corps jusqu’à celui de leur résurrection, il était évident que les esprits supérieurs des saints et des martyrs ne passaient pas ce long intervalle dans un sommeil honteux et inutile[81]. Il était &vident encore, quoiqu’on n’osât pas déterminer le lieu de leur habitation ni la nature de leur félicité qu’ils jouissaient vivement et activement du sentiment de leur bonheur, de leur vertu et de leur puissance, et qu’ils étaient déjà assurés d’une récompense éternelle. L’étendue de leurs facultés intellectuelles surpassait évidemment ce que peut concevoir l’imagination humaine, puisque l’expérience démontrait qu’ils pouvaient entendre et comprendre dans le même instant les vœux que leur adressaient, de toutes les parties du monde, les nombreux suppliants qui invoquaient le nom et l’assistance de saint Étienne ou de saint Martin[82]. Les fidèles fondaient leur confiance sur la persuasion que les saints qui régnaient avec le Christ s’intéressaient vivement à la prospérité de l’Église catholique, qu’ils jetaient sur la terre des regards de compassion, et qu’ils honoraient principalement de leurs faveurs ceux qui les imitaient dans leur foi et dans leur piété. La bienveillance des martyrs daignait quelquefois admettre des motifs d’un genre moins relevé : ils avaient unie affection particulière pour le lieu de leur naissante et pour celui qu’ils avaient habité, pour celui de leur mort et de leur enterrement, et enfin pour l’endroit qui possédait leurs saintes reliques. Les passions plus basses telles que l’orgueil, l’avarice ou la vengeance, devraient paraître au-dessous d’un esprit céleste ; cependant les saints daignaient aussi témoigner leur approbation à ceux qui leur offraient des dons avec libéralité ; et menaçaient des châtiments les plus sévères les impies qui dérobaient quelque ornement à la magnificence de leur châsse ou qui révoquaient en doute leur puissance surnaturelle[83]. C’eût été, à la vérité, un crime bien punissable ou un étrange scepticisme que de rejeter les preuves d’une influence divine à laquelle les éléments, la nature entière et même les opérations invisibles de l’âme humaine, étaient forcés d’obéir[84]. L’effet salutaire ou pernicieux qui devait suivre immédiatement et presque au même instant les prières ou les offenses, ne laissât aucun doute aux chrétiens sur la haute faveur et le crédit dont les saints jouissaient auprès de l’Être supérieur ; et il paraissait inutile d’examiner si ces puissants protecteurs étaient forcés d’intercéder continuellement au pied du trône de grâce, ou s’ils avaient la liberté d’exercer au gré de leur justice et de leur bienfaisante le pouvoir subordonné dont ils avaient reçu la délégation. L’imagination, qui ne s’était élevée qu’avec peine à la contemplation et au culte d’une cause universelle, saisissait avec avidité des objets inférieurs de son adoration, plus proportionnés à ses conceptions grossières et à 1’imperfection de ses facultés. La théologie simple et sublime des premiers chrétiens se corrompit insensiblement, et la monarchie du ciel, déjà surchargée de subtilités métaphysiques, fut totalement défigurée par l’introduction d’une mythologie populaire qui tendait à rétablir le règne du polythéisme[85].

IV. Comme les objets de la dévotion se rapprochaient insensiblement de la faiblesse de l’imagination, on introduisit des rites et des cérémonies capables de frapper les sens du vulgaire. Si, au commencement du cinquième siècle[86], Tertullien ou Lactance[87] fussent sortis du sein des morts pour assister à la fête d’un saint ou d’un martyr[88], ils auraient contemplé, avec autant de surprise que d’indignation, le spectacle profane qui avait succédé au culte pur et spirituel d’une congrégation chrétienne., Dès que les portes de l’église se seraient ouvertes, leur odorat aurait été offensé par le parfum de l’encens et des fleurs et ils auraient sans doute, regardé comme sacrilège la clarté inutile et ridicule que répandaient, en plein midi, les lampes et les cierges. Ils n’auraient pu arriver à la balustrade de l’autel qu’à travers une foule prosternée et composée, pour la plus grande partie, d’étrangers et de pèlerins accourus à la ville la veille des fêtes ; et déjà, dans l’ivresse du fanatisme et peut-être de l’intempérance, imprimant dévotement des baisers sur les murs et sur le pavé de l’église, et adressant leurs ferventes prières, quelles que fussent les paroles que prononçait alors l’Église, aux os, au sang ou aux cendres du saint qu’un linge ou un voile de soie dérobait ordinairement aux regards du vulgaire. Les chrétiens visitaient les tombes des martyrs dans l’espérance d’obtenir, par leur puissante intercession, toutes sortes de faveurs spirituelles, mais principalement des avantages temporels. Ils priaient pour la conservation ou pour le rétablissement de leur santé, pour la fécondité de leurs femmes, pour la vie et le bonheur de leurs enfants. Lorsque les dévots entreprenaient un voyage long ou dangereux ils suppliaient les saints martyrs d’être leurs guides et leurs protecteurs dans la route ; et s’ils revenaient sans avoir essuyé d’accident, ils se hâtaient encore d’aller aux tombes des martyrs, célébrer, avec toutes les expressions de la reconnaissance, leurs obligations envers le nom et les reliques de ces protecteurs célestes. Tous les murs étaient garnis de symboles des faveurs qu’ils avaient revues. Des yeux, des mains et des pieds d’or et d’argent, représentaient les services rendus aux fidèles ; et des tableaux édifiants, qui ne pouvaient manquer de donner lieu bientôt aux abus d’une dévotion indiscrète et idolâtre, offraient aux yeux l’image, les attributs et les miracles du saint. Un même esprit de superstition devait suggérer, dans les temps et les pays les plus éloignés, des moyens semblables de tromper la crédulité et de frapper les sens de la multitude[89]. On ne peut disconvenir que les ministres de la religion catholique n’aient imité le modèle profane qu’ils étaient impatients de détruire. Les plus respectables prélats s’étaient persuadé que des paysans grossiers renonceraient plus facilement au paganisme, s’ils trouvaient quelque ressemblance, quelque compensation dans les cérémonies du christianisme. La religion de Constantin acheva en moins d’un siècle la conquête de tout l’empire romain ; mais les vainqueurs se laissèrent bientôt subjuguer par les artifices de ceux qu’ils avaient assujettis[90].

 

 

 



[1] Saint, Ambroise (t. II, de Obit. Theod., p. 1208) fait l’éloge du zèle de Josué pour la destruction de l’idolâtrie. Julius Firmicus Maternus s’explique sur le même sujet avec une pieuse inhumanité (de Errore profan. religionum, p. 467, édit. Gronov.). Nec filio jubet (la loi Mosaïque) parci, nec fratri, et per amatam conjugem gladium vindicem ducit, etc.

[2] Bayle (t. II, p. 406) justifie, dans son commentaire philosophique, ces lois intolérantes, et restreint leur influence par la considération du règne temporel de Jéhovah sur les Juifs. L’entreprise est louable.

[3] Voyez l’esquisse de la hiérarchie romaine dans Cicéron, de Leg. 7, 8 ; Tite-Live, I, 20 ; Denys d’Halic., l. II, p. 119-129, édit. Hudson ; Beaufort, République romaine, tome I, p. 1-90, et Moyle, vol. I, p. 10-55. Ce dernier ouvrage annonce autant le whig anglais que l’antiquaire romain.

[4] Ces symboles mystiques et peut-être imaginaires ont été l’origine de plusieurs fables et de différentes conjectures. Il paraît que le palladium était une petite statue d’environ trois coudées et demie de hauteur, qui représentait Minerve portant une lance et une quenouille ; qu’elle était ordinairement enfermée dans un seria ou baril, et qu’il y avait à côté un second baril tout à fait semblable, pour dérouter le curieux ou le sacrilège. Voyez Mezeriac, Commentaires sur les épîtres d’Ovide, t. I, p. 60-66 ; et Lipse, t. III, p. 610, de Vesta, etc., 10.

[5] Cicéron avoue franchement (ad Atticus, l. II, épist. 5), ou indirectement (ad Familiar., l. XV, épist. 4), que la place d’augure est l’objet de son ambition. Pline fait gloire de suivre les traces de Cicéron (l. IV, épist. 8) ; et l’histoire et les marbres pourraient continuer la chaîne de la tradition.

[6] Zosime, l. IV, p. 249, 250. J’ai supprimé le jeu de mots ridicule sur pontifex et maximus.

[7] Cette statue fut transportée de Tarente à Rome, placée par César dans la curia Julia, et décorée par Auguste des dépouilles de l’Égypte.

[8] Prudence (l. II, in initio) a fait un étrange portrait de la Victoire ; mais le lecteur curieux sera plus satisfait des Antiquités de Montfaucon, t. I, p. 341.

[9] Voyez Suétone (in August., c. 35), et l’exorde du Panégyrique de Pline.

[10] Ces faits sont avoués unanimement par les avocats des deux partis : Symmaque et saint Ambroise.

[11] La Notitia urbis, plus récente que Constantin, ne trouve pas une seule des églises chrétiennes digne d’être nommée au nombre des édifices de la ville. Saint Ambroise (t. II, épit. 17, p. 825) déplore les scandales publics de Rome, qui incommodaient continuellement les yeux, les oreilles et l’odorat des fidèles.

[12] Saint Ambroise affirme à plusieurs reprises, au mépris du bon sens, que les chrétiens avaient la majorité dans le sénat. Œuvres de Moyle, vol. II, p. I47.

[13] La première (A. D. 382) à Gratien, qui refusa l’audience, la seconde (A. D. 384) à Valentinien, au moment de la dispute entre Symmaque et saint Ambroise ; la troisième (A. D. 388) à Théodose ; et la quatrième (A. D. 392) à Valentinien. Lardner (Témoignages des païens, vol. IV, p. 372-379) rapporte clairement toute cette affaire.

[14] Symmaque, qui était revêtu de tous les honneurs civils et sacerdotaux, représentait l’empereur comme pontifex Max. et comme princeps senatus. Voyez ses titres orgueilleusement étalés à la tête de ses ouvrages.

[15] Comme si, dit Prudence (in Symmach., I, 639), on devait fouiller dans la boue avec un instrument d’or et d’ivoire. Les saints, et même les saints qui entrèrent dans cette querelle, traitent cet adversaire avec politesse et avec respect.

[16] Voyez la cinquante-quatrième épître du dixième livre de Symmaque. Dans la forme et la disposition de ses dix livres d’épîtres, il imite Pline le jeune, que ses amis lui persuadaient qu’il égalait ou surpassait pour l’élégance et la richesse du style. (Macrobe, Saturnales, l. V, c. 1.) Mais le luxe de Symmaque consiste en feuilles stériles sans fruits, et même sans fleurs. On trouve aussi peu de faits que de sentiments à extraire de sa verbeuse correspondance.

[17] Voyez saint Ambroise, t. II, épît. 17-18, p. 825-833. La première est un avertissement concis, et la dernière une réponse en forme à la requête ou au libelle de Symmaque. Les mêmes idées se trouvent exprimées plus en détail dans les poésies de Prudence, en supposant qu’elles méritent ce nom. Il composa deux livres contre Symmaque (A.-D. 404), durant la vie de ce sénateur. Il est assez extraordinaire que Montesquieu (Considérations, etc., c. 19, t. III, p. 487) néglige les deux principaux antagonistes de Symmaque, et s’amuse à rassembler les réfutations indirectes d’Orose, saint Augustin et Salvien.

[18] Voyez Prudence, in Symmach., l. I, 545, etc. Le chrétien, d’accord avec le païen Zozime (l. IV, page, 283), place la visite de Théodose après la seconde guerre civile. Gemini bis victor cœde tyrarnni, l. I, 410. Mais le temps et les circonstances semblent mieux convenir à son premier triomphe.

[19] Prudence, après avoir prouvé que les sentiments du sénat se sont manifestés par une majorité légale, ajoute, p. 609, etc. :

Adspice quam pleno subsellia nostra smala

Decernant infame Jovis pulvinar, et omne

Idolium longè, purgata ab urbe fugandum           

Qua vocat egregii sententia principis, illuc

Libera ; cum pedibus, tum corde, feequentia transit.

Zozime attribue aux pères conscrits une vigueur païenne qui n’a été le partage que d’un bien petit nombre d’entre eux.

[20] Saint Jérôme cite le pontife Albinus, dont la famille chrétienne, les enfants et les petits-enfants étaient en si grand nombre, qu’ils auraient suffi pour convertir Jupiter lui-même : étrange prosélyte ! T. I, ad Lætam, p. 54.

[21] Exsultare patres videas, pulcherrima mundi

Lumina, conciliumque senum gestire Catonum,

Candidiore toga niveum pietatis amictum

Sumere, et exuvias deponere pontificales.

L’imagination de Prudence est échauffée et élevée par le sentiment de la victoire.

[22] Prudence, après avoir décrit la conversion du peuple et du sénat, demande avec confiance et assez de raison :

Et dubitamus adhuc Romam, libi, Christe, dicatam,

In leges transisse tuas ?

[23] Saint Jérôme triomphe de la désolation du Capitole et des autres temples de Rome, t. I, p. 54 ; t. II, p. 95.

[24] Libanius (Orat. pro. Templis, p. 10, Genev. 1634, publiée par Jacques Godefroy, et très rare aujourd’hui) accuse Valens et Valentinien d’avoir défendu les sacrifices. L’empereur d’Orient peut avoir donné quelques ordres particuliers ; mais le silence du code et le témoignage de l’histoire ecclésiastique attestent qu’il ne publia point de loi générale.

[25] Voyez ses lois dans le Code de Théodose, l. XVI, tit. 10, leg. 7-11.

[26] Les sacrifices d’Homère ne sont accompagnés à aucunes recherches dans les entrailles des victimes. Voyez Feithius, Antiquitat. ; Homère, l. I, c. 10, 16. Les Toscans, qui fournirent les premiers aruspices, introduisirent leurs pratiques chez les Grecs et les Romains. Cicéron, de Divin., II, 23.

[27] Zozime, l. IV, p. 245-249 ; Théodoret, l. V, c. 21 ; Idacius, in Chron. Prosper. Aquit., l. III, c. 38, ap. Baron., Ann. ecclés. (A. D. 389), n° 52. Libanius (pro Templis, p. 10) tâche de prouver que les ordres de Théodose n’étaient ni pressants ni positifs.

[28] Code de Théodose, l. XVI, tit. 10, leg. 8, 18. Il y a lieu de croire que ce temple d’Edesse, que Théodose voulait conserver pour servir â quelque autre usage, ne fut bientôt qu’un monceau de ruines. Libanius, pro Templis, p. 26, 27, et les notes de Godefroy, p. 59.

[29] Voyez la curieuse harangue de Libanius (pro Templis), prononcée ou plutôt composée vers l’année 390. J’ai consulté avec fruit la traduction et les remarques du docteur Lardner (Témoignages des païens, vol. IV, p., 135-1.63).

[30] Voyez la Vie de saint Martin, par Sulpice Sévère, c. 9-14. Le saint se trompa une fois comme l’aurait pu faire don Quichotte, et, prenant un enterrement pour une procession païenne, il se permit imprudemment un miracle.

[31] Comparez Sozomène (l. VII, c. 15) avec Théodoret (l. V, 21). Ils racontent entre eux deux la croisade et la mort de Marcellus.

[32] Libanius, pro Templis, p. 10-13. Il se déchaîne contre ces hommes vêtus de robes noires, les moines chrétiens, qui mangent plus que des éléphants... Pauvres éléphants ! ce sont des animaux tempérants.

[33] Prosper, Aquitan., l. III, c. 38 ; ap. Baron., Annal. ecclés. ; A. D. 389, n° 58, etc. Le temple avait été fermé pendant quelque temps, et le sentier qui y conduisait était rempli de ronces et de branches nouvellement poussées.

[34] Donat, Roma antiq. et nov., l. IV, c. 4, p. 468. Ce fut le pape Boniface IV qui célébra cette consécration. J’ignore quel concours de circonstances heureuses avait pu conserver le Panthéon plus de deux siècles après le règne de Théodose.

[35] Sophronius composa peu de temps après une histoire séparée (Saint Jérôme, in Script. ecclés., t. I, p. 303), qui a fourni des matériaux à Socrate (l. V, c. 16), Théodoret (l. V, c. 22) et Rufin (l. II, c. 22). Cependant ce dernier, qui avait été à Alexandrie avant et après l’événement, peut en quelque façon passer pour témoin oculaire.

[36] Gérard Vossius (Opera, t. v, p. 80, et de Idololatr., l. I, c. 29) tâche de défendre l’étrange opinion des pères, qu’on adorait en Égypte le patriarche Joseph comme le bœuf Apis et le dieu Sérapis.

[37] Origo Dei nondum nostris celebrata, egyptiorum antistites sic memorant, etc. Tacite, Hist., IV, 83. Les Grecs, qui avaient voyagé en Égypte, ignoraient aussi l’existence de cette nouvelle divinité.

[38] Macrobe, Saturnales, l. I, c. 7. Ce fait atteste évidemment son extraction étrangère.

[39] On avait réuni, à Rome Isis et Sérapis dans le même temple. La préséance que conservait la reine pourrait indiquer son alliance obscure avec l’étranger venu du Pont. Mais la supériorité du sexe féminin était, en Égypte, une institution civile et religieuse. (Diodore de Sicile, tome I, l. I, p. 31, édit. Wesseling.) Plutarque a observé le même ordre dans son Traité d’Isis et d’Osiris, qu’il identifie avec Sérapis.

[40] Ammien, XXII, 16. L’Expositio totius mundi (p. 8, Geograh. min. d’Hudson, tome III) et Rufin (l. XXII) célèbrent le Serapeum nommé une des merveilles du monde.

[41] Voyez les Mémoires de l’Académie des Inscriptions, tome IX, p. 397-416. L’ancienne bibliothèque des Ptolémées fut totalement consumée dans l’expédition de César contre Alexandrie. Marc-Antoine donna la collection entière de Pergame à Cléopâtre, deux cent mille volumes ; comme les fondements d’une nouvelle bibliothèque d’Alexandrie.

[42] Libanius (pro Templis) irrite indiscrètement ses maîtres chrétiens par cette remarque insultante.

[43] Nous pouvons choisir entre la date de Marcellin (A. D. 389) et celle de Prosper (A. D. 391), Tillemont (Hist. des Empereurs, t. V. p. 310-756) préfère la première, et Pagi choisit la dernière.

[44] Tillemont, Mém. ecclés., t. XI, p. 441-500. La situation équivoque de Théophile, que saint Jérôme, son ami, a peint comme un saint, et saint Chrysostome, son ennemi, comme un diable, produit une sorte d’impartialité ; cependant, à tout résumer, le résultat semble lui être défavorable.

[45] Lardner (Témoignages des Païens, vol IV, p. 411) a allégué un fort beau passage tiré de Suidas, ou plutôt de Damascius, qui représente le vertueux Olympius, non sous, les traits d’un guerrier, mais sous ceux d’un prophète.

[46] Nos vidimus armaria librorum, quibus direptis, exinanita ea a nostris hominibus, nostris temporibus memorant. (Orose, l. VI, c. 15, p. 421, édit. Havercamp.) Quoique bigot et controversiste, Orose rougit de cette dévastation.

[47] Eunape, dans les Vies d’Antonin et d’Ædesius, parle avec horreur du brigandage sacrilège de Théophile. Tillemont (Mém. ecclés., t. XIII, p. 453) cite une épître d’Isidore de Peluse, qui reproche au primat le culte idolâtre de l’or, suri sacra fames.

[48] Rufin nomme le prêtre de Saturne, en jouant le rôle du dieu, conversait familièrement avec un grand nombre de dévotes de la première qualité, mais qui se trahit dans un moment de transport, où il oublia de contrefaire sa voix. Le récit authentique et impartial d’Æschine (voyez Bayle, Diction. crit., Scamandre) et l’aventure de Mundus (Josèphe, Antiq. jud., l. XVIII, c. 3, p. 877, éd. Havercamp) prouvent que ces fraudes amoureuses se pratiquaient souvent avec succès.

[49] Voyez les images de Sérapis dans Montfaucon, t. II, p. 297. Mais la description de Macrobe (Saturnales, l. 1, c. 20) est plus pittoresque et plus satisfaisante.

[50] Sed fortes tremuere manus, motique verenda

Majestate loci, si robora sacra ferirent,  

In sua credebant redituras membra secures.

(Lucain, III, 429). Est-il vrai, dit Auguste à un vétéran, chez lequel il soupait, que celui qui frappa le premier la statue d’or d’Anaïtis, fut à l’instant privé de la vue, et mourut presque au même moment ? — C’est moi, répondit le vétéran, jouissant de ses deux yeux, qui suis celui dont vous parlez, et c’est d’une des jambes de la déesse que vous soupez aujourd’hui. Pline, Hist. natur., XXXIII, 24.

[51] L’histoire de la réformation offre de fréquents exemples, du passage soudain de la superstition au mépris.

[52] Sozomène, l. VII, c. 20. J’ai ajouté à la mesure. La même évaluation de l’inondation, et conséquemment la même coudée, a subsisté invariablement depuis le temps d’Hérodote. Voyez Fréret, Mém. de l’Acad. des Inscript., t. XVI, p. 344-353, les Mélanges de Greave, vol. I, p 233. La coudée d’Égypte contient environ vingt-deux pouces, mesure anglaise.

[53] Libanius (pro Templis, p, 15.7 16, t7) plaide leur cause avec douceur et d’une manière séduisante. De temps immémorial, des fêtes de ce genre avaient égayé les campagnes, et celles de Bacchus avaient produit le théâtre d’Athènes. (Géorgiques, II, 380.) Voyez Godefroy, ad loc. Liban., et le Code de Théod., t. VI, p. 284.

[54] Honorius toléra ces fêtes rustiques (A. D. 199). Absque ullo sacrificio, arque ulla superstitione damnabili. Mais neuf ans après, il crut devoir réitérer et mettre en vigueur cette même défense. Cod. Théod., l. XVI, tit. 10, leg. 17, 19.

[55] Code Theod., l. XVI, tit. 10, leg. 12. Jortin (Remarq. sur l’Hist. ecclés., vol. IV, p. 134) blâme avec une juste sévérité la teneur et le style de cette loi tyrannique.

[56] On ne doit pas hasarder légèrement une pareille accusation ; mais elle parait suffisamment fondée sur l’autorité de saint Augustin, qui s’adresse ainsi aux donatistes : Quis nostram, quis vestrum non laudat leges ab imperatoribus datas adversus sacrificia paganorum ? Et certe longe ibi pœna severior constituta est ; illius quippe impietatis capitale supplicium est. Epist. 93, n° 10, citée par Le Clerc (Bibliothèque choisie, t. VIII, p. 277), qui ajoute quelques remarques judicieuses sur l’intolérance des chrétiens dans leur triomphe.

[57] Orose, l. VII, c. 28, p. 537. Saint Augustin (Enarrat. in psalm. 140, apud Lardner, Témoignages des Païens, vol. IV, p. 458) insulte à leur lâcheté : Quis eorum comprehensus est in sacrificio, cum his legibus ista prohiberentur, et non negavit ?

[58] Libanius (pro Templis, p. 17, 18) rapporte, sans la blâmer, cette hypocrite soumission, comme une scène de comédie.

[59] Libanius conclut son Apologie (p. 32) en déclarant à l’empereur, qu’à moins qu’il n’ordonne expressément la destruction des temples, les propriétaires défendront leurs lois et leurs privilèges.

[60] Paulin, in Vit. Ambros., c. 26 ; saint Augustin, de Civitate Dei, l. V, c. 26 ; Théodoret, l. V, c. 24.

[61] Libanius suggère la forme d’un édit de persécution que Théodose aurait pu publier (pro Templis, p. 32). La plaisanterie était imprudente et l’essai dangereux : quelques princes auraient été capables de profiter de l’avis.

[62] Prudence, in Symmaque, I, 617, etc.

[63] Libanius (pro Templis, p. 32) se félicite de ce que l’empereur Théodose a revêtu de cette dignité un homme qui ne craignait pas de jurer par Jupiter en présence de son preux souverain. Cependant sa présence n’est probablement qu’une figure de rhétorique.

[64] Zozime, qui se qualifie du titre de comte et d’ancien avocat du trésor, diffame indécemment les princes chrétiens et même le père de son souverain. Il est probable que cet ouvrage se distribuait avec précaution, puisqu’il a échappé aux invectives des historiens ecclésiastiques antérieurs à Evagre (l. III, c. 40, 42), qui vivait à la fin du sixième siècle.

[65] Cependant les païens d’Afrique se plaignaient de ce que le malheur des temps ne leur permettait pas de répondre avec liberté à la Cité de Dieu. Saint Augustin (V, 26) ne nie point le fait.

[66] Les Maures d’Espagne, qui professèrent secrètement, pendant plus d’un siècle, la religion mahométane sous la verge de l’inquisition, possédaient le Koran, et avaient entre eut l’usage exclusif de la langue arabe : Voyez l’histoire curieuse et fidèle de leur expulsion dans les Mélanges de Geddes, vol. I, p. 1-198.

[67] Paganos qui supersunt, quamquam jam nullos esse credamus, etc. (Cod. Theod., l XVI, tit. 10, leg. 22, A. D. 423.) Théodose le jeune convient dans la suite que cette opinion avait été un peu prématurée.

[68] Voyez Eunape, dans la Vie du sophiste Ædesius. Dans celle d’Eustathe, il prédit la ruine du paganisme.

[69] Caïus (ap Eusèbe, Hist. ecclés., l. II, c. 25), prêtre romain qui vivait du temps de Zephirinus (A. D. 202-219), rend témoignage de cette pratique superstitieuse.

[70] Saint Chrysostome, quod Christus sit Deus, t. I, nov. édit., n° 9. La lettre pastorale de Benoît XIV, sur le jubilé de l’année 1750, m’a fourni cette citation. Voyez les Lettres curieuses et intéressantes de M. Chais, t. III.

[71] Male facit ergo romanus episcopus ? qui super mortuorum hominum, Petri et Pauli secundum nos, ossa veneranda..... offert Domino sacrificia, et tumulos eorum, Christi arbitratur altaria. Saint-Jérôme, t. II, advers. Vigilant., p. 153.

[72] Saint Jérôme (t. II, p. 122) atteste ces translations négligées par les écrivains ecclésiastiques. On trouve la passion de saint André à Patræ, détaillée dans une épître du clergé de l’Achaïe, que Baronius voudrait admettre (Annal.. ecclés., 60, n° 34), et que Tillemont se trouve forcé de rejeter. Saint André fut adopté comme le fondateur spirituel de Constantinople. Mém. ecclés., t. I, p. 317-323, 588-594.

[73] Saint Jérôme (t. II, p. 122) décrit pompeusement la translation de Samuel, qui se trouve citée dans toutes les chroniques de ce temps.

[74] Le prêtre Vigilantius, le protestant de son siècle, rejeta toujours avec fermeté, mais inutilement, les superstitions des moines, les reliques, les saints, les jeûnes, etc. ; en raison de quoi saint Jérôme le compare à l’hydre, à Cerbère, aux centaures, etc., et ne voit en lui que l’organe des démons (t. II, p. 120-126). Quiconque lira la controverse de saint Jérôme et de Vigilantius et le récit que fait saint Augustin des miracles de saint Étienne, se formera une idée juste de l’esprit des pères.

[75] M. de Beausobre (Hist. du Manichéisme, t. II, p. 648) a attribué un sens profane à la pieuse observation du clergé de Smyrne, qui conservait précieusement les reliques du martyr saint Polycarpe.

[76] Saint Martin de Tours (voyez sa Vie, par Sulpice Sévère, c. 8) arracha cet aveu de la bouche d’un mort. On convient que l’erreur fut occasionnée par des causes naturelles, et la découverte est attribuée à un miracle. Laquelle des deux doit avoir lieu le plus fréquemment ?

[77] Lucien composa en grec son récit, Avitus le traduisit, et Baronius le publia (Annal. ecclés., A. D. 415, n° 7-16) Les éditeurs bénédictins de saint Augustin ont donné, à la fin de l’ouvrage de Civitate Dei, deux différents textes, accompagnés de nombreuses variantes. C’est le caractère du mensonge que d’être vague et inconséquent. Tillemont (Mém. ecclés., t. II, p. 9, etc.) a adouci les parties de la légende qui choquent le bon sens.

[78] Une fiole du sang de saint Étienne se liquéfia tous les ans à Naples, jusqu’au moment où il fût remplacé par saint Janvier. Ruinart, Hist. persecut. Vandal., p. 529.

[79] Saint Augustin composa les vingt-deux livres de Civitate Dei, en treize ans de travail, A. D. 413-426. (Tillemont, Mém. ecclés., t. XIV, p. 608, etc.) Il emprunte trop souvent son érudition, et raisonne trop souvent d’après lui-même ; mais la totalité de l’ouvrage a le mérite d’un magnifique dessin, exécuté avec vigueur, et non sans talent.

[80] Voyez saint Augustin, de Civitate Dei, l. XXII, c. 22 ; et l’Appendix, qui contient deux livres de miracles de saint Étienne, par Evodius, évêque d’Uzalis. Freculphus (apud Basnage, Histoire des Juifs, t. VIII, p. 249) a conservé un proverbe gaulois ou espagnol : Quiconque prétend avoir lu tous les miracles de saint Étienne mentira.

[81] Burnet (de Statu mortuorum, p. 56-,84) recueille les opinions des pères, qui affirment le sommeil où le repos des âmes jusqu’au jour du jugement. Il expose ensuite les inconvénients qui pourraient arriver, si elles conservaient une existence sensible et active.

[82] Vigilantius plaçait les âmes des prophètes et des martyrs dans le sein d’Abraham, in loco refrigerii, ou sous l’autel de Dieu. Nec posse suis tumulis, et ubi voluerunt, adesse prœsentes. Mais saint Jérôme (t. II, p. 122) réfute sévèrement ce blasphème. Tu Deo leges pones ? Tu apostolis vincula injicies, ut usque ad diem judicii teneantur custodia, nec sint cum Domino suo ; de quibus scriptum est : Sequuntur agnum quocumque vadit. Si agnus ubique, ergo, et hi, qui cum agno sunt, ubique esse credendi suret. Et cum diabolus et demones toto vagentur in orbe, etc.

[83] Fleury, Discours sur l’Hist. ecclés., III, p. 80.

[84] A Minorque, les reliques de saint Étienne convertirent en huit jours cinq cent quarante juifs, avec le secours cependant de quelques sévérités salutaires, comme de brûler les synagogues et de chasser les opiniâtres dans les rochers, où ils mouraient de faim, etc. Voyez la lettre de Sévère, évêque de Minorque (ad calcem sancti Augustini, de Civitate Dei), et les Remarques judicieuses de Basnage (t. VIII, p. 245-251).

[85] M. Hume (Essais, vol. II, p. 434) observe en philosophe le flux et le reflux du théisme et du polythéisme.

[86] D’Aubigné (voyez ses Mémoires, p. 156-16o) offrit de bonne foi, avec le consentement des ministres protestants, de prendre pour règle de foi celle des quatre premiers siècles du christianisme. Le cardinal Duperron marchanda pour qu’on y ajoutât quarante ans, qui lui furent imprudemment accordés ; cependant aucun des deux partis n’aurait trouvé son compte dans ce marché extravagant.

[87] Le culte pratiqué et prêché par Tertullien, Lactance, Arnobe, etc., est si exclusivement pur et spirituel, que leurs déclamations contre les païens rejaillissent quelquefois jusque sur les cérémonies judaïques.

[88] Faustus le manichéen accuse les catholiques d’idolâtrie : Vertitis idola in martyres.... quos votis similibus colitis. M de Beausobre (Hist. crit. du Manich., t. II, p. 629-700), protestant, mais philosophe, a représenté, avec autant de candeur que d’érudition, l’introduction de l’idolâtrie chrétienne dans les quatrième et cinquième siècles.

[89] On peut trouver dans les diverses superstitions, depuis le Japon jusqu’à Mexico, des ressemblances qui n’ont pu être le fruit de l’imitation. Warburton a saisi cette idée, qu’il a dénaturée en la rendant trop générale et trop absolue. Div. legat., t. IV, p. 126, etc.

[90] M. Middleton traite de l’imitation du paganisme dans son agréable lettre écrite à Rome. Les objections de Warburton l’obligèrent de lier ensemble (vol. III, p. 120-132) l’histoire des deux religions, et de prouver l’antiquité de la copie chrétienne.