Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain

 

Chapitre XXIV

Séjour de Julien à Antioche. Son expédition contre les Perses, d’abord heureuse. Passage du Tigre. Retraite et mort de Julien. Élection de Jovien. Il sauve l’armée romaine par un traité déshonorant.

 

 

LA fable philosophique des Césars[1], ouvrage de Julien, est une des productions les plus agréables et les plus instructives de l’esprit des anciens[2]. Au milieu de la liberté et de l’égalité des saturnales, Romulus a préparé un banquet pour les dieux de l’Olympe qui l’ont adopté comme leur digne associé, et pour les princes de Rome qui ont donné des lois à son peuple guerrier, et aux nations de la terre vaincues par ses armes. Les immortels sont placés sur un trône, chacun à leur rang, et la fable des Césars est servie au-dessous de la lune, dans la région supérieure de l’air. L’inexorable Némésis précipite dans le Tartare les tyrans indignes de la société des dieux et des hommes. Les autres Césars prennent successivement leurs places ; et, à mesure qu’ils s’avancent, le vieux Silène, moraliste jovial qui cache la sagesse d’un philosophe sous le masque d’un suivant de Bacchus, fait des observations malignes sur les vices ; les défauts et les taches de leurs différents caractères[3]. A la fin, du repas, Mercure déclare, par ordre de Jupiter, qu’une couronne céleste sera la récompense du mérite supérieur. Il s’agit de choisir les candidats, et on désigne surtout Jules César, Auguste, Trajan et Marc-Aurèle : l’efféminé Constantin[4] n’est pas exclu de cette honorable lice, et l’un exhorte Alexandre à se mêler aux héros romains pour disputer le prix de la gloire. Chacun des candidats a la permission de faire valoir le mérite de ses exploits ; mais les dieux trouvent que le modeste silence de Marc-Aurèle parle mieux en sa faveur que les discours travaillés de ses orgueilleux rivaux. Lorsque les juges de cet imposant concours viennent à examiner le cœur et à scruter les motifs des actions de lotis ces princes, la supériorité du stoïcien empereur se montre d’une manière encore plus décisive et plus éclatante[5]. Alexandre et César, Auguste, Trajan et Constantin, avouent en rougissant que la réputation, la puissance ou le plaisir, ont été les premiers objets de leurs travaux ; mais les dieux eux-mêmes contemplent avec respect et avec amour un mortel vertueux qui a pratique sur le trône les leçons de la philosophie, et qui, malgré notre imperfection, n’a pas craint d’aspirer aux attributs moraux de l’Être suprême. Le rang de l’auteur donne un nouveau prix à cet agréable ouvrage ; un prince qui parle librement des vices et des vertus de ses prédécesseurs, souscrit à chaque ligne aux louanges ou marcher à la censure que peut mériter sa propre conduite.

Dans les moments paisibles de la réflexion, Julien donnait la préférence aux vertus utiles et bienfaisantes de Marc-Aurèle ; mais la gloire d’Alexandre enflammait son ambition, et il recherchait avec une égale ardeur l’estime des sages et les applaudissements de la multitude. A cette époque de la vie où les, forces de l’esprit et du corps ont le plus de vigueur, l’empereur, instruit par l’expérience et animé par le succès de la guerre des Germains, résolut de signaler son règne par des exploits plus brillants et plus mémorables. Des ambassadeurs de l’Orient, du continent de l’Inde, et de l’île de Ceylan[6], étaient venus saluer avec respect la pourpre romaine[7].

Les nations de l’Occident estimaient et craignaient les vertus personnelles de Julien dans la paix et dans la guerre. Il méprisait les trophées d’une victoire sur les Goths[8], et croyait que la terreur de son nom et les nouvelles fortifications élevées sur les frontières de la Thrace pt de l’Illyrie empêcheraient les Barbares du Danube de violer désormais la foi des traités. Le successeur de Cyrus et d’Artaxerxés lui parut le seul rival digne de sa valeur ; il se décida à conquérir la Perse, et à châtier la puissance orgueilleuse qui avait si longtemps résisté et insulté à la majesté de Rome[9]. Dès que le monarque persan fut instruit qu’un prince bien supérieur à Constance occupait le trône, il daigna faire pour la paix quelques démarches peut-être simulées, peut-être sincères. Mais la fermeté de Julien étonna l’orgueil de Sapor. Le premier déclara nettement qu’il ne tiendrait jamais de conférence amicale du milieu des flammes et des ruines des villes de la Mésopotamie ; et il ajouta, avec un sourire de mépris, qu’ayant résolu d’aller incessamment à la cour de Perse, il était inutile de traiter par ales ambassadeurs. Son impatience pressa les préparatifs militaires. Il nomma les généraux, et rassembla pour cette importante expédition une armée formidable ; il partit lui-même de Constantinople, traversa les provinces de l’Asie-Mineure, et arriva à Antioche, environ huit mois après la mort de son prédécesseur. Quoique Juliers désirât vivement de pénétrer au centre de la Perse, il fut arrêté par l’indispensable nécessité de régler l’état de l’empire, par, son zèle pour le culte des dieux, par les conseils de ses plus sages amis, qui lui démontrèrent la nécessité d’employer lia repos de l’hiver à réparer les forces épuisées des légions de la Gaule, ainsi qu’à rétablir la discipline et à ranimer l’esprit militaire parmi celles de l’Orient. On le détermina à demeurer à Antioche jusqu’au printemps, au milieu d’un peuple malin, disposé à tourner en ridicule la précipitation, et à censurer la lenteur de son maître[10].

Si Julien s’était flatté que son séjour dans la capitale de l’Orient ferait naître entre le prince et le peuple des sentiments satisfaisants pour tous deux, il jugea mal son caractère et les mœurs d’Antioche[11]. La chaleur du climat disposait les habitants à tout l’excès des plaisirs, du luxe et de l’oisiveté : ils unissaient la corruption joyeuse des Grecs à la mollesse héréditaire des Syriens. Ils ne suivaient d’autres lois que la mode, le plaisir était leur seule occupation, et l’éclat des vêtements et des meubles, la seule distinction qui excitât leur envie. Il honoraient les arts de luxe : Ils tournaient en ridicule les vertus mâles et courageuses, et leur mépris de la pudeur et de la vieillesse annonçait une dépravation universelle. Les Syriens aimaient passionnément les spectacles ; ils appelaient des villes voisines tous ceux qui s’y distinguaient par leur adresse[12]. Ils employaient aux amusements publics une partie considérable du revenu, et la magnificence des jeux du théâtre et du cirque était regardée comme le bonheur et la gloire d’Antioche. Les mœurs rustiques d’un prince qui dédaignait une pareille gloire et qui paraissait insensible à un bonheur de ce genre, ne convenaient pas à la délicatesse de ses sujets, qui ne pouvaient ni admirer ni imiter la simplicité sévère que Julien conservait toujours, et qu’il affectait quelquefois. Il ne déposait sa gravité philosophique que dans les jours de fête consacrés à l’honneur des dieux par un ancien usage ; et c’étaient les seuls jours de l’année où les Syriens d’Antioche résistassent aux attraits du plaisir. La plupart d’entre eux se glorifiaient du nom de chrétiens, inventé par leurs ancêtres[13]. Contents d’en négliger les préceptes moraux, ils ne croyaient pas pouvoir se permettre la plus légère infidélité à ses dogmes. Le schisme et l’hérésie troublaient l’Église d’Antioche ; mais une sainte haine animait également, contre l’empereur, les ariens, les partisans de saint Athanase et ceux de Mélèce et de Paulin[14].

Ils avaient la plus forte prévention contre un apostat, l’ennemi et le successeur d’un prince qui s’était attiré l’affection d’une secte nombreuse ; l’enlèvement des restes de saint Babylas excita contre lui un implacable ressentiment. Le peuple, dominé par ses idées superstitieuses, disait hautement que la famine avait suivi les traces de l’empereur de Constantinople à Antioche ; et le moyen peu judicieux qu’on employa dans cette discute acheva d’irriter des hommes que tourmentait la faim. L’inclémence de la saison[15] avait nui aux récoltes de la Syrie et augmenté le prix du pain dans la capitale de l’Orient en proportion de la disette du blé. Mais l’avide monopole changea bientôt la juste proportion établie par le cours naturel des choses. Au milieu de cette lutte inégale, où un parti réclame les productions de la terre comme une propriété exclusive contre un second qui veut en faire un objet de spéculation, tandis qu’un troisième les demande pour sa subsistance journalière, le bénéfice des agents intermédiaires est en entier supporté par le consommateur exposé sans défense à leur avidité. L’impatience et les inquiétudes augmentèrent encore la détresse, et la crainte de manquer produisit peu à peu une famine apparente. Lorsque les voluptueux citoyens d’Antioche se plaignirent du haut prix de la volaille et du poisson, Julien déclara qu’une ville frugale devait être satisfaite dès qu’on lui fournissait du vin, de l’huile et du pain. Il avoua toutefois qu’un souverain est obligé de pourvoir à la nourriture de son peuple ; mais, dans cette vue salutaire, il adopta ensuite l’expédient dangereux et incertain de fixer la valeur du blé, qu’il ordonna, dans un temps de disette, de vendre à un prix qu’on n’avait guère connu dans les années les plus abondantes ; et, pour fortifier ses lois de son exemple, il envoya ait marché quatre cent vingt mille modii ou mesures qu’il fit venir des greniers d’Hiérapolis, de Chalcis et même de l’Égypte. Il n’était pas difficile de prévoir les suites de cette opération, et on ne tarda pas à les sentir. Les riches négociants achetèrent le blé de l’empereur ; les propriétaires et les fournisseurs cessèrent d’approvisionner la ville, et le peu de grains qu’on y amena se vendit au - dessus du prix fixé. Julien s’applaudissait de son expédient : il accusa d’ingratitude le peuple qui murmurait, et prouva aux habitants d’Antioche qu’il avait hérité, sinon de la cruauté[16], du moins de l’obstination de son frère Gallus. Les remontrances du corps municipal ne servirent qu’à aigrir son esprit inflexible. Il croyait, peut-être avec raison que les sénateurs d’Antioche, qui possédaient des terres et faisaient le commerce, avaient contribué aux malheurs de leur pays ; et il attribuait leur hardiesse peu respectueuse, non pas au sentiment de leur devoir, mais à des vues d’intérêt. Deux cents des plus nobles et des plus riches citoyens formaient le sénat : ils furent conduits en corps du palais dans la prion ; on leur permit, avant la fin du jour, de retourner chez eux[17]. Mais l’empereur ne put obtenir le pardon qu’il avait accordé si aisément. Les mêmes maux, toujours subsistants, donnaient lieu à la continuation des mêmes plaintes que faisaient habilement circuler l’esprit et la légèreté des Grecs des Syrie. Durant la liberté des saturnales, tous les quartiers de la ville retentirent de chansons insolentes qui tournaient en ridicule les lois, la religion, la conduite personnelle, et même la barbe de l’empereur : la connivence des magistrats et les applaudissements de la multitude annoncèrent clairement l’opinion de la ville d’Antioche[18]. Ces insultes populaires affectèrent trop profondément le disciple de Socrate ; mais le monarque, doué d’une sensibilité très  vive et revêtu d’un pouvoir absolu, ne permit pas la vengeance à son ressentiment. Un tyran aurait arraché aux citoyens, sans distinction, la fortune et la vie ; et les légions de la Gaule, dévouées aux ordres de leur empereur, auraient forcé les Syriens amollis à supporter patiemment leurs outrages, leurs rapines et leur cruauté. Julien pouvait du moins, par un plus doux châtiment, dépouiller la capitale de l’Orient des honneurs et des privilèges dont elle jouissait ; et ses courtisans, peut-être même ses sujets, auraient donné des éloges à un acte de justice qui vengeait la dignité du magistrat suprême de la république[19]. Mais, au lieu d’abuser ou de se servir de l’autorité de l’État pour venger ses injures personnelles, il se contenta d’une espèce de vengeance innocente, et que peu de princes seraient en état d’employer. Des satires et des libelles l’avaient outragé ; et, sous le titre de l’Ennemi de la Barbe, il écrivit une confession ironique de ses fautes et une satire amère des mœurs licencieuses et efféminées d’Antioche. Cette réponse fut exposée publiquement aux portes du palais ; et le Misopogon[20], ce singulier monument de la colère, de l’esprit, de la douceur et de l’irréflexion de Julien, est arrivé jusqu’à nous. Quoiqu’il affectât de rire, il ne pouvait pardonner[21]. Il témoigna son mépris et satisfit peut- être sa vengeance en donnant à Antioche un gouverneur[22] digne de commander à de pareils sujets ; et, abandonnant pour jamais cette ville ingrate, il annonça sa résolution de passer l’hiver suivant à Tarse en Cilicie[23].

Antioche comptait parmi ses citoyens un homme dont le génie et les vertus pouvaient expier, aux yeux de Julien, les vices et les sottises des autres habitants. Le sophiste Libanius avait reçu le jour dans la capitale de l’Orient : on le vit professer publiquement la rhétorique et la déclamation à Nicée, à Nicomédie, à Constantinople, à Athènes, et, sur la fin de sa carrière, à Antioche. Les jeunes Grecs fréquentaient assidûment son école : ses disciples, quelquefois au nombre de plus de quatre-vingts, vantaient leur incomparable maître ; et la jalousie de ses rivaux, qui le poursuivaient d’une ville à l’autre ; confirmait l’opinion de la supériorité de son mérite, que le sophiste lui-même vantait sans modestie. Les précepteurs de Julien lui avaient arraché une promesse imprudente, mais solennelle, de ne jamais assister aux leçons de leur adversaire. Cet engagement contrariait et augmentait la curiosité du jeune prince ; il se procura secrètement les écrits de ce dangereux sophiste, et imita peu à peu si parfaitement son style, qu’il surpassa les plus laborieux des élèves de Libanius[24]. Lorsqu’il monta sur le trône, il se montra très empressé d’embrasser et de récompenser le sophiste de Syrie, qui, dans un siècle dégénéré, avait maintenu la pureté du goût, des mœurs et de la religion des Grecs. L’orgueil réservé du philosophe accrut et justifia la prévention de l’empereur. Au lieu de se précipiter avec tout ce qu’il y avait de plus distingué vers le palais de Constantinople, Libanius attendit tranquillement l’arrivée du prince à Antioche, se retira de la cour aux premiers symptômes de froideur et d’indifférence, n’y retourna jamais sans y être formellement invité, et donna à son souverain cette leçon importante, qu’on peut commander l’obéissance d’un sujet, mais qu’il faut mériter l’affection d’un ami. Les sophistes de tous les siècles méprisent ou affectent de mépriser les distinctions de naissance et de fortune[25] que donne le hasard, et ils réservent leur estime pour les qualités supérieures de l’esprit dont ils se trouvent si abondamment pourvus. Si Julien dédaignait les acclamations d’une cour vénale qui adorait la pourpre, il était flatté des éloges, des avis, de la liberté et de la jalousie d’un philosophe indépendant qui refusait ses faveurs, aimait sa personne, célébrait son mérite, et devait un jour honorer sa mémoire. Les volumineux écrits de Libanius subsistent encore : la plupart outrent les vaines compositions d’un orateur qui cultivait la science des mots, ou les productions d’un penseur solitaire, qui, au lieu d’étudier ses contemporains, avait les yeux toujours fixés sur la guerre de Troie ou la république d’Athènes. Cependant le sophiste d’Antioche ne se tenait pas toujours à cette élévation imaginaire : il a écrit une foule de lettres où l’on aperçoit le travail[26] ; il loua les vertus de son siècle ; il censura avec hardiesse les torts du gouvernement et ceux des particuliers, et il plaida éloquemment la cause d’Antioche contre la juste colère de Julien et de Théodose. Le malheur ordinaire d’une vie poussée jusqu’à la vieillesse, c’est de perdre les avantages qui pourraient en faire désirer la prolongation[27] ; mais Libanius eut de plus la douleur de survivre à la religion et aux sciences auxquelles il avait consacré son génie. L’ami de Julien vit avec indignation le triomphe du christianisme ; et son esprit superstitieux, qui obscurcissait pour lui le spectacle da monde visible, ne le soutenait point par les vives espérances de la gloire et de la béatitude célestes[28].

Julien, dominé par son ardeur guerrière, se mit en campagne dès les premiers jours du printemps, et renvoya, avec des reproches et des marques de mépris, les sénateurs d’Antioche qui l’avaient accompagné au-delà des bornes de leur territoire[29], où il était résolu de ne jamais rentrer. Après une marche laborieuse de deux jours, il s’arrêta le troisième jour à Bérée ou Alep, où il eut le déplaisir de trouver un sénat composé presqu’en entier de chrétiens, qui ne répondirent que par de froides et cérémonieuses démonstrations de respect, à l’éloquent discours de l’apôtre du paganisme. Le fils de l’un des plus illustres citoyens de cette ville ayant embrassé, par intérêt ou par persuasion, la religion de l’empereur, son père indigné le déshérita. Julien invita le père et le fils à la table impériale, et, se plaçant au milieu d’eux, il recommanda, sans succès, cette tolérance qu’il pratiquait lui-même ; il affecta de souffrir avec calme le zèle indiscret du vieux chrétien, qui paraissait oublier les sentiments de la nature et les devoirs d’un sujet ; et se tournant à la fin vers le jeune homme affligé : Puisque vous avez perdu un père à cause de moi, lui dit-il, c’est à moi de vous en tenir lieu[30]. Il fut reçu d’une manière plus conforme à ses désirs, à Batnæ, petite ville agréablement située dans, un bocage de cyprès, à environ vingt milles d’Hiérapolis. Les habitants, qui semblaient attachés au culte d’Apollon et de Jupiter, leurs divinités tutélaires, avaient préparé un sacrifice pompeux et solennel ; mais leurs applaudissements tumultueux blessèrent sa piété sévère ; il vit trop clairement que, l’encens qu’on brûlait sur les autels était l’encens de la flatterie plutôt que celui de la dévotion. L’ancien et magnifique temple qui avait rendu la ville d’Hiérapolis[31] si longtemps célèbre, ne subsistait plus ; et ces riches propriétés qui nourrissaient plus de trois cents prêtres, avaient peut-être hâté sa chute. Cependant Julien eut la satisfaction d’embrasser un philosophe et un ami dont la religieuse fermeté avait su résister aux pressantes sollicitations de Constance et de Gallus, renouvelées toutes les fois qu’ils avaient logé chez lui, dans leur passage à Hiérapolis. C’est dans le trouble des préparatifs militaires et dans les épanchements sans réserve d’un commerce familier, qu’on peut voir combien fut vif et soutenu le zèle de Julien pour sa religion. Il avait entrepris une guerre importante et difficile : inquiet sur son issue, il était plus attentif que jamais à observer et à noter les moindres présages capables, d’après les règles de la divination, de fournir quelques lumières sur l’avenir[32]. Il instruisit Libanius des détails de son voyage jusqu’à Hiérapolis par une lettre élégamment écrite, qui annonce la facilité de son esprit et sa tendre amitié pour le sophiste d’Antioche[33].

Hiérapolis, situé presque sur les bords de l’Euphrate[34], était le rendez-vous général des troupes romaines. Elles passèrent aussitôt ce fleuve[35] sur un pont de bateaux, qui les attendait. Si les inclinations de Julien eussent été les mêmes que celles de son prédécesseur, il aurait perdu la saison la plus propre à agir et la plus importante, dans le cirque de Samosate ou dans les églises d’Édesse. Mais c’était Alexandre, et non pas Constance, que le belliqueux empereur avait choisi pour son modèle ; il se rendit sans délai à Carrhes[36], ville très ancienne de la Mésopotamie, à quatre-vingts milles d’Hiérapolis. Le temple de la Lune excita sa dévotion ; mais le peu de jours qu’il-y demeura furent principalement employés à terminer les immenses préparatifs de la guerre de Perse. Julien avait jusqu’alors renfermé en lui-même le secret de l’expédition ; mais Carrhes se trouvant au point de séparation des deux grandes routes, il ne pouvait plus se dispenser de faire connaître si son dessein était d’attaquer les domaines de Sapor du côté de l’Euphrate ou de celui du Tigre. Il détacha trente mille hommes sous les ordres de Procope, son allié, et de Sébastien, qui avait été duc de l’Égypte. Il leur enjoignit de marcher vers Nisibis, et, avant de tenter le passage du Tigre, de mettre la frontière à l’abri des incursions de l’ennemi. Il abandonna à l’habileté de ses généraux la direction des opérations subséquentes ; il espérait qu’après avoir ravagé les fertiles cantons de la Médie et de l’Adiabène, ils arriveraient sous les murs de Ctésiphon, à peu près au temps où, s’avançant lui-même le long de l’Euphrate, il commencerait le siège de la capitale de la Perse. Le succès de ce plan bien calculé dépendait en grande partie du zèle et des secours du roi d’Arménie, qui, sans exposer la sûreté de ses États, pouvait fournir aux Romains quatre mille hommes de cavalerie et vingt mille fantassins[37]. Mais le faible Arsace Tiranus[38], qui gouvernait l’Arménie, était encore plus loin que son père Chosroês des mâles vertus du grand Tiridate. Ce monarque pusillanime redoutait les entreprises dangereuses, et pouvait couvrir sa timide mollesse du prétexte honorable de la religion et de la reconnaissance. Il témoignait un pieux attachement pour la mémoire de Constance, qui lui avait donné en mariage Olympias, fille du préfet Ablavius ; et un roi barbare croyait pouvoir s’enorgueillir de l’alliance d’une femme élevée pour l’empereur Constans[39]. Tiranus professait le christianisme ; il régnait sur un peuple de chrétiens, et sa conscience ainsi que son intérêt lui défendaient de contribuer à une victoire qui devait achever la ruine de l’Église. L’imprudence de Julien, qui traita le roi d’Arménie comme son esclave et comme l’ennemi des dieux, irrita son esprit d’ailleurs mal disposé. Le style fier et menaçant des lettres de l’empereur[40] excita l’indignation secrète d’un prince qui, malgré l’humiliation de. sa dépendance, se souvenait que les Arsacides, ses ancêtres, avaient été les maîtres de l’Orient et les rivaux de la puissance romaine.

L’habile Julien avait combiné ses préparatifs de manière à tromper les espions et à détourner l’attention de Sapor. Les légions semblaient marcher vers Nisibis et le Tigre. Tout à coup elles se replièrent à droite ; elles traversèrent la plaine nue et découverte de Carrhes, et le troisième jour elles arrivèrent aux bords de l’Euphrate, où la forte ville de Nicephorium ou Callinicum avait été bâtie par les rois macédoniens. L’empereur poursuivit ensuite sa marche plus de quatre-vingt-dix milles le long des rivages sinueux de l’Euphrate, et, après une route d’un mois depuis son départ d’Antioche, il découvrit les tours de Circesium, la dernière place de son empire. Son armée, la plus nombreuse que les Césars eussent jamais opposée aux Perses, se montait à soixante-cinq mille soldats bien disciplinés. On avait choisi dans les différentes provinces les plus vieilles bandes d’infanterie et de cavalerie, soit romaines, soit barbares ; et parmi celles-ci le prix de la valeur et de la fidélité était justement accordé aux braves Gaulois, chargés de garder le trône et la personne de leur monarque chéri. Julien disposait, en outre, d’un corps formidable de Scythes auxiliaires, venus d’un autre climat et presque d’un autre monde, pour envahir un pays éloigné, dont ils avaient ignoré jusqu’alors la position et même le nom. L’amour du pillage et de la guerre avait attiré sous ses drapeaux plusieurs tribus de Sarrasins ou d’Arabes errants, auxquels il avait ordonné de marcher à sa suite, en même temps qu’il leur refusait avec indignation les subsides qu’on avait accoutumé de leur payer : une flotte de onze cents navires, qui devait suivre les mouvements et fournir aux besoins de son armée, remplissait le large canal de l’Euphrate[41]. La force militaire de cette flotte consistait en cinquante galères armées, accompagnées d’un égal nombre de bateaux plats, qu’on pouvait dans l’occasion réunir en forme de pont. Les autres navires, construits en bois et recouverts de peaux non préparées, offraient un magasin presque inépuisable d’armes et de machines de guerre, d’ustensiles et de munitions. L’empereur, qui s’occupait de la santé de ses soldats, avait fait embarquer une grande provision de vinaigre et de biscuit ; mais il défendit à ses troupes l’usage du vin, et renvoya impitoyablement une longue file de chameaux superflus qui avaient essayé de suivre les derrières de l’armée. Le Chaboras tombe dans l’Euphrate à Circesium[42] : au premier signal de la trompette, les Romains passèrent cette petite rivière qui séparait deux empires puissants et armés l’un contre l’autre. Julien, d’après les anciens usages, devait prononcer  un discours militaire, et il ne négligeait pas les occasions de déployer son éloquence. Il excita l’ardeur des légions, en leur rappelant le courage intrépide et les glorieux triomphes de leurs ancêtres : il excita leur- fureur par une peinture animée de l’insolence des Perses, et il les exhorta à imiter sa ferme résolution de détruire cette nation perfide, ou de mourir pour la république. Il augmenta l’effet de son discours, par le don de cent trente pièces d’argent à chaque soldat. On abattit à l’instant le pont du Chaboras, afin de convaincre les troupes qu’elles ne devaient plus placer leur espoir que dans leur succès. La prudence de Julien l’engagea cependant à pourvoir à la sûreté d’une frontière éloignée, toujours exposée aux incursions des Arabes. Il laissa à Circesium un détachement de quatre mille soldats, ce qui porta à dix mille hommes les troupes régulières de cette forteresse importante[43].

Du moment où les Romains entrèrent sur le territoire[44] d’un ennemi célèbre par son activité et par ses ruses, l’ordre de la marche fut dirige sur trois colonnes[45]. Le pins fort détachement de l’infanterie, et par conséquent la force de l’armée, était placée au centre sous le commandement particulier de Victor, maître général de l’infanterie. Sur là droite, le brave Nevitta menait le long de l’Euphrate, et presqu’en vue de la flotte, une colonne formée de plusieurs légions. La cavalerie protégeait le flanc gauche de l’armée ; Hormisdas et Arintheus en avaient le commandement, et les singulières aventures du premier[46] méritent d’être remarquées. Il était Persan et prince du sang royal des Sassanides. Emprisonné durant les troubles de la minorité de Sapor, il avait brisé ses fers et cherché un asile à la cour de Constantin. Hormisdas excita d’abord la compassion, et finit par acquérir l’estime de son nouveau maître. Sa valeur et sa fidélité l’élevèrent aux premiers rangs de la carrière des armes ; et, quoique chrétien, il s’applaudit peut-être en secret de prouver à son ingrate patrie, qu’un sujet opprimé peut devenir le plus dangereux des ennemis. Voici quelle était la disposition des trois colonnes principales : Lucilianus, avec un détachement volant de quinze cents soldats armés à la légère, couvrait le front et les flancs de l’armée ; il observait tout ce qui se montrait au loin, et se hâtait d’instruire les généraux de l’approche de l’ennemi. Dagalaiphus et Secondinus, duc de l’Osrhoëne, conduisaient l’arrière-garde ; le bagage marchait en sûreté dans les intervalles des colonnes ; et, pour laisser plus de liberté aux soldats, ou pour grossir-leur nombre aux yeux des spectateurs, les rangs étaient si peu serrés, que, de la tête à la queue, l’armée formait une ligné d’environ dia milles d’étendue. Julien avait fixé son poste à la tête de la colonne du centré ; mais comme il préférait les devoirs du général à la représentation du monarque, il se portait avec rapidité, suivi d’une petite escorte de cavalerie légère, à ‘la tête de l’armée, à l’arrière-garde, sur les flancs, et partout où sa présence pouvait animer ou protéger ses troupes. Le pays qu’il traversa, du Chaboras aux terres cultivées de l’Assyrie, peut être regardé comme une portion de ce désert de l’Arabie, dont les puissants efforts de l’industrie humaine ne parviendraient pas à vaincre la stérilité. Il parcourut le terrain foulé sept siècles auparavant par l’armée de Cyrus le jeune, et décrit par l’un de ceux qui l’accompagnèrent, le sage et magnanime Xénophon[47]. Le pays offrait de tous côtés une plaine aussi unie que la mer, et remplie d’absinthe ; le petit nombre d’arbrisseaux et de broussailles qu’on y trouvait d’ailleurs, avaient une odeur aromatique ; mais on n’y voyait aucune espèce d’arbres. Les outardes et les autruches, les gazelles et les onagres[48], semblaient être les seuls, habitants de ce désert, et les plaisirs de la chasse diminuaient la fatigue de la route. Le sable sec et léger du désert, élevé par le vent, formait des tourbillons de poussière, et un ouragan subit renversait tout à coup les tentes et les soldats d’une partie de l’armée.

Les plaines sablonneuses de la Mésopotamie étaient abandonnées aux gazelles et aux onagres du désert ; mais des villes très peuplées et de jolis villages couvraient les bords de l’Euphrate et les îles que forme ce fleuve. La ville d’Annah ou Anatho[49], résidence actuelle d’un émir arabe, est composée de deux longues rues ; son enceinte, que la nature elle-même a fortifiée, renferme une petite île, et un terrain fertile et assez considérable, sur l’un et l’autre côté de l’Euphrate. Les braves habitants d’Anatho montraient quelques dispositions à arrêter la marche de Julien ; mais les douces remontrances du prince Hormisdas, la vue effrayante de la flotte et de l’armée qui s’approchaient, les détournèrent de ce fatal dessein. Ils implorèrent et éprouvèrent la clémence de l’empereur ; il les transporta dans un territoire avantageusement situé, près de Chalcis en Syrie, et il donna à Pusæus, leur gouverneur, une place distinguée dans son service et dans son amitié. Mais l’imprenable forteresse de Thilutha se voyait en état de dédaigner la menace d’un siège, et il fallut que l’empereur se contentât de la promesse insultante, que lorsqu’il aurait subjugué les provinces intérieures de la Perse, Thilutha ne refuserait plus d’embellir son triomphe. Les habitants des villes ouvertes, hors d’état de faire résistance, et ne voulant pas céder, s’enfuirent avec précipitation. Les soldats romains occupèrent leurs maisons pleines de richesses et de provisions, et massacrèrent, sans remords et avec impunité, quelques femmes sains défense. Durant la marche, le Surenas, ou général persan, et Malek-Rodosaces, fameux émir de la tribu de Gassan[50], harcelaient sans cesse l’armée impériale : ils enlevaient tous les traîneurs ; ils attaquaient tous les détachements, et le vaillant Hormisdas eut quelque peine à s’échapper de leurs mains ; mais enfin on les repoussa. Le pays devenait chaque jour moins favorable aux opérations de la cavalerie ; et quand l’armée arriva à Macepracta, on aperçut les ruines de la muraille qu’avaient construite les anciens rois d’Assyrie, pour mettre leurs domaines à l’abri des incursions des Mèdes. Ces commandements de l’expédition de Julien paraissent avoir employé quinze jours, et on peut compter environ trois cents milles de la forteresse de Circesium au mur de Macepracta[51].

La fertile province d’Assyrie[52], qui se prolongeait au-delà du Tigre jusqu’aux montagnes de la Médie[53], formait une étendue d’environ quatre cents milles, de l’ancien mur de Macepracta au territoire de Basra, où l’Euphrate et le Tigre réunis ont leur embouchure dans le golfe Persique[54]. Tout ce territoire peut réclamer le nom de Mésopotamie, puisque les deux fleuves, qui ne sont jamais éloignés de plus de cinquante milles l’un de l’autre, ne se trouvent entre Bagdad et Babylone qu’à vingt-cinq milles de distance. Une foule de canaux creusés sans beaucoup de travail, dans une terre molle, établissaient la communication des deux rivières, et coupaient la plaine d’Assyrie. Ils servaient à plusieurs usages importuns : ils conduisaient les eaux superflues d’une rivière dans l’autre, à l’époque de leurs inondations respectives. Divises et subdivises en un grand nombre de petites branches, ils arrosaient les terres sèches, et suppléaient à la pluie ; ils facilitaient en temps de paix les communications nécessaires pour le commerce ; et, comme on pouvait en un moment briser les écluses, ils offraient au désespoir des habitants le moyen d’arrêter, par une inondation, les progrès de l’ennemi. La nature avait refusé au sol et au climat de l’Assyrie, le vin, l’olive, le figuier, et quelques autres de ses dons les plus précieux ; mais elle y produisait, avec une fertilité inépuisable, tout ce qu’exige la subsistance de l’homme, et en particulier le froment et l’orge. Il n’était pas rare de voir le grain semé par le cultivateur, rapporter jusqu’à deux et même trois cents pour un. D’innombrables palmiers y formaient une multitude de bocages[55], et les industrieux habitants du pays célébraient en vers et en prose les trois cent soixante usages qu’on faisait du tronc, des branches, des feuilles, du suc et du fruit de cet arbre si utile. Divers genres d’ouvrages, particulièrement les cuirs et les toiles, occupaient l’industrie d’un peuple nombreux, et fournissaient des matières précieuses au commerce extérieur, dont il paraît toutefois que des étrangers dirigeaient seuls l’entreprise. Babylone avait été convertie en un parc royal ; mais près des ruines de l’ancienne capitale, de nouvelles villes s’étaient formées successivement, et la multiplicité des, bourgs et des villages, bâtis avec des briques séchée, au soleil, et cimentées avec du bitume, productions particulières au canton, annonçaient la population du pays. Sous le règne des successeurs de Cyrus, la province d’Assyrie fournissait seule, durant quatre mois de l’année, à la somptueuse abondance de la table et de la maison du grand roi. Ses chiens de l’Inde absorbaient les revenus de quatre gros villages ; on entretenait aux dépens du pays huit cents étalons et seize mille juments pour les écuries du prince ; le tribut journalier qu’on payait au satrape équivalait à un boisseau d’Angleterre rempli d’argent, et on peut évaluer le revenu de l’Assyrie à plus de douze cent mille livres sterling[56].

Julien livra les champs de l’Assyrie aux malheurs de la guerre ; et le philosophe se vengea, sur des sujets innocents, des actes de rapine et de cruauté que l’orgueil de leur maître s’était permis dans les provinces romaines. Les Assyriens épouvantés appelèrent les eaux à leur secours, et complétèrent, de leurs propres mains, la ruine de leur pays ; ils rendirent les chemins impraticables ; ils inondèrent le camp ennemi, et durant plusieurs jours, les troupes de l’empereur eurent à lutter contre les embarras les plus fâcheux. Mais la persévérance ces légionnaires, habitués à la fatigue ainsi qu’aux dangers, et animés par le courage de leur chef, surmonta -tous les obstacles. Ils réparèrent peu à peu le dommage, firent rentrer les eaux dans leur lit, abattirent des bosquets de palmiers, dont ils placèrent les débris sur les parties du chemin qui avaient été rompues, et l’armée traversa les canaux les plus larges et les plus profonds sur des radeaux flottants, soutenus par des vessies. Deux villes d’Assyrie osèrent résister aux armes d’un empereur romain, et leur témérité fut sévèrement punie. Perisabor, ou Anbar, située à cinquante milles de la résidence royale de Ctésiphon, tenait le second rang dans la province ; elle était grande, peuplée, très bien fortifiée et enceinte d’un double mur qu’entourait presqu’en son entier une branche de l’Euphrate ; elle était défendue par le courage d’une nombreuse garnison. Elle traita avec mépris Hormisdas, qui l’exhortait à se rendre, et ce prince persan eut la mortification de s’entendre reprocher, avec justice, qu’il oubliait sa naissance, pour conduire une armée d’orangers contre son prince et sa patrie. Les Assyriens témoignèrent leur fidélité à leur prince par une habile et vigoureuse défense : mais un coup de bélier avant fait une grande brèche, en brisant un des angles de la muraille, les habitants et la garnison gagnèrent à la hâte la citadelle. Les soldats de Julien se précipitèrent dans la ville : après tous les excès auxquels se livrent des soldats en pareille occasion, ils réduisirent Perisabor en cendres, et ils établirent sur les ruines fumantes des maisons les machines qui devaient foudroyer la citadelle. Une grêle continuelle d’armes de traits prolongea le combat ; l’avantage du terrain, qu’avaient les assiégés, contrebalançait la supériorité que pouvaient tirer les Romains de la force de leurs balistes et de leurs catapultes, mais, dès que les assiégeants eurent achevé un hélépolis qui les mettait au niveau des plus hautes murailles, l’aspect effrayant de cette tour mobile, qui ne laissait plus d’espoir de résistance ou de pardon, réduisit les défenseurs de la citadelle à une Humble soumission, et la place se rendit deux jours après l’arrivée de Julien sous ses murs. Deux mille cinq cents personnes des deux sexes, faibles restes d’une population florissante, eurent la permission de se retirer : les riches magasins de blé, d’armes, ou d’équipages de guerre, furent en partie distribués aux troupes, et en partie réservés pour le service public. On brûla ou on jeta dans l’Euphrate les munitions inutiles, et la ruine totale de Perisabor vengea les malheurs d’Amida.

La ville, ou plutôt la forteresse de Maogamalcha, était défendue par seize fortes tours, un fosse profond, et deux murs épais et solides construits de briques et de bitume ; il paraît qu’on l’avait élevée pour garantir la capitale de la Perse, dont elle se trouvait éloignée de onze milles. L’empereur, ne voulant pas laisser une place si importante sur ses derrières, en forma sur-le-champ le siège ; il fit trois divisions de l’armée romaine. Victor, à la tête de la cavalerie, et d’un corps d’infanterie pesamment armé, eut ordre de balayer le pays jusqu’aux bords du Tigre et aux faubourgs de Ctésiphon. Julien se chargea de l’attaque ; et, tandis qu’il semblait placer toute sa confiance dans les. machines qu’on élevait contre les murailles, il s’occupait secrètement d’un moyen plus sûr pour introduire furtivement ses troupes dans la ville. On ouvrit les tranchées à une distance considérable, sous la direction de Nevitta et de Dagalaiphus, et on les conduisit peu à peu jusqu’au bord du fossé. On combla ce fossé en peu de temps, et, parle travail infatigable des soldats, en conduisit jusque sous les murs de la ville une mine où l’on avait placé de distance en distance des poutres pour empêcher le terrain de s’ébouler. Les soldats de trois cohortes choisies traversèrent, un a un et sans bruit, cet obscur et dangereux passage ; et leur intrépide chef fit avertir l’empereur qu’ils allaient déboucher dans la place ennemie. Julien réprima leur ardeur, afin d’assurer leur succès ; et, sans perdre un instant, il détourna l’attention des assiégés par le tumulte et les cris d’un assaut général. Les Perses, qui du haut de leurs murs voyaient avec dédain les efforts impuissants des assiégeants, chantaient en triomphe la gloire de Sapor, et ils ne craignirent pas d’assurer l’empereur qu’il monterait à la demeure étoilée d’Ormuzd, avant de se rendre maître de l’imprenable Maogamalcha. En ce moment la place était déjà prise. L’histoire nous a transmis le nom d’un simple soldat qui, sortant de la mine, monta le premier dans une tour, où il ne rencontra personne. Ses camarades se précipitèrent avec une valeur impatiente, et agrandirent l’ouverture : quinze cents Romains se trouvaient au milieu de la ville. La garnison étonnée abandonna les murs, et ne conserva plus l’espoir de se défendre. Bientôt on enfonça les portes ; les troupes massacrèrent indistinctement quiconque leur tomba sous la main, et la débauche et la cupidité suspendirent seules la vengeance. Le gouverneur qui avait mis bas les armes sur une promesse de pardon, fût brûlé vif, quelques jours après, pour avoir, disait-on, tenu quelques propos peu respectueux contre le prince Hormisdas. On rasa les fortifications, et on ne laissa pas un seul vestige qui pût rappeler l’existence de Maogamalcha. Trois immenses palais, où l’on avait rassemblé avec peine tout ce qui pouvait satisfaire le luxe et l’orgueil d’un monarque d’Orient, embellissaient les environs de la capitale de la Perse. Des fleurs, des fontaines, disposées symétriquement selon le goût des Perses, ornaient les jardins placés, dans une situation charmante, sur les bords du Tigre ; et de grands parcs, enclos de murs, renfermaient des ours, des lions et des sangliers qu’on entretenait à grands frais pour les plaisirs du roi. Par l’ordre de l’empereur, on abattit les murs de ces parcs, on livra les animaux aux traits des soldats, et on réduisit en cendres les palais de Sapor. Julien ne connaissait pas, ou ne voulut point observer ici ces égards que la prudence et la civilisation ont établis de nos jours entre les ennemis. Au reste, ces inutiles ravages ne doivent pas exciter dans nos cœurs un sentiment bien vif d’indignation ou de pitié : une simple statue, fruit des talents d’un artiste grec, est plus réellement précieuse que ce l’étaient ces monuments grossiers et dispendieux de l’art des Barbares ; et si la ruine d’un palais nous affecte plus que l’incendie d’une chaumière, notre humanité s’est fait une bien fausse idée des vraies misères de la vie humaine[57].

Julien était un objet de terreur et de haine pour les Persans, et les peintres de cette nation le représentaient sous l’emblème d’un lion furieux, qui vomit de sa bouche un feu dévorant[58]. Le héros philosophe paraissait sous un jour plus favorable aux yeux de ses amis et de ses soldats, et jamais ses vertus ne se montrèrent mieux que dans cette dernière période, la plus active de sa vie. Il suivait, sans effort et presque sans mérite, les lois de la tempérance et de la sobriété. Fidèle aux principes de cette sagesse raisonnée qui exerce un empire absolu sur l’esprit et le corps, il ne se permettait pas la moindre indulgence pour ses penchants les plus naturels[59]. Dans ces climats dont la chaleur commande aux voluptueux Assyriens la jouissance de tous les plaisirs des sens[60], le jeune conquérant conseilla une chasteté pure et sans tache. Ses belles captives[61], loin de résister à ses fantaisies, se seraient disputé l’honneur de ses caresses : il n’eut pas même la curiosité de les voir. Il soutint les travaux de la guerre avec la même fermeté qu’il opposait aux charmes de l’amour. Lorsque l’armée traversait des terrains inondés, il marchait à pied à la tête des légions ; il partageait leurs fatigues, il excitait leur ardeur. Toutes les fois qu’il s’agissait d’un travail nécessaire, il mettait avec zèle la main à l’ouvrage, et l’on voyait la pourpre impériale humide et salie, ainsi que le vêtement grossier du dernier des soldats. Les deux sièges lui donnèrent plusieurs occasions de signaler une valeur que les généraux prudents ne peuvent guère déployer, quand l’art militaire est parvenu à un certain degré de perfection. Il se tint devant la citadelle de Perisabor, sans songer aux dangers qu’il courait. Tandis qu’il encourageait son armée à forcer les portes de fer, il fut presque terrassé par les armes de trait et les grosses pierres qu’on dirigeait sur sa personne. Au siège de Maogamalcha, il examinait les fortifications extérieures de la place, lorsque deux Persans, se dévouant pour leur pays, tombèrent sur lui le cimeterre au poing ; il se couvrit adroitement de son bouclier, qui reçut leurs coups ; et d’un seul des siens, dirigé d’une main ferme et adroite, il renversa mort à ses pieds l’un de ses ennemis. L’estime d’un souverain qui possède les vertus auxquelles il donne des éloges, est la plus belle récompense du mérite d’un sujet ; et l’autorité que tirait Julien de son mérite personnel, facilita le rétablissement de l’ancienne discipline. Il punit de mort, ou par la honte, les soldats de trois cohortes de cavalerie qui s’étaient déshonorés en perdant un de leurs étendards dans une escarmouche contre le Surenas, et il distribua des couronnes obsidionales[62] aux soldats qui entrèrent les premiers dans la ville de Maogamalcha. Après le siège de Perisabor, il eut besoin de toute sa fermeté pour réprimer la cupidité de ses troupes, qui osaient se plaindre hautement de ce qu’on récompensait leurs services par un misérable don de cent pièces d’argent. L’empereur, indigné, répondit aux soldats avec la noblesse et la gravité demis premiers Romains : Les richesses sont-elles l’objet de vos désirs ? Il a des richesses dans les mains des Perses, et pour prix de votre valeur et de votre discipline, on vous offre les dépouilles de leur fertile contrée. Croyez-moi, ajouta-t-il, la république romaine, qui jadis possédait d’immenses trésors, se trouve dans le besoin et la détresse, depuis que des ministres faibles et intéressés ont persuadé à nos princes de payer à prix d’or la tranquillités que nous laissent les Barbares. Les dépenses absorbent les revenus ; les villes sont ruinées, et la population diminue dans les provinces. Pour moi, je seul héritage que j’aie reçu des princes mes aïeux, est une âme inaccessible à la crainte ; et, bien convaincu que les qualités de l’esprit sont le seul avantage réel, je ne rougirai pas d’avouer une pauvreté honorable, qui, aux jours de l’antique vertu, faisait la gloire de Fabricius. Vous pouvez partager cette gloire et cette vertu, si vous écoutez la voix du ciel et celle de votre général ; mais si vous ne mettez pas fin à vos témérités, si vous voulez renouveler le honteux et criminel exemple des anciennes séditions, continuez. — Je suis disposé à mourir debout, ainsi qu’il convient à un empereur qui s’est vu au premier rang parmi les hommes, et je dédaigne une vie précaire, qu’un accès de fièvre nous enlève en un moment. Si je me suis montré indigne de l’autorité, il y a parmi vous (et je le dis avec orgueil et avec plaisir), il y a parmi vous plusieurs chefs qui ont assez de talents et d’expérience pour conduire la guerre la plus difficile. Telle a été la douceur de mon règne, que je puis rentrer sans crainte dans l’obscurité d’une condition privée[63]. Son modeste courage lui valut les applaudissements unanimes et l’obéissance empressée des Romains ; ils déclarèrent tous qu’ils comptaient sur la victoire tant qu’ils suivraient les drapeaux de ce héros. Leur valeur était encore animée par certaines formules familières à Julien et ses serments les plus ordinaires : Puissé-je ainsi réduire les Persans sous le joug ! Puissé-je ainsi rétablir la force et la splendeur de la républiques ! L’amour de la gloire était sa passion dominante ; mais ce ne fut qu’après avoir marché sur les ruines de Maogamalcha, qu’il se permit de dire : Nous avons maintenant fourni quelques matériaux au sophiste d’Antioche[64].

Son heureuse valeur, triomphant jusqu’ici de tous les obstacles, l’avait conduit jusqu’aux portes de Ctésiphon ; mais la réduction, ou même le siège de la capitale : de la Perse : était encore éloigné ; et ou ne peut juger le mérite de cette campagne sans connaître le pays qui servait de théâtre à ses hardies et savantes opérations[65]. Les voyageurs ont observé à vint milles au sud de Bagdad et sur la rixe orientale du Tigre, les ruines du palais de Ctésiphon, ville grande et très peuplée à l’époque où vivrait Julien. Le nom, la gloire de Séleucie, située aux environs, avaient disparu, et les restes de cette colonie grecque avaient repris, avec la langue et les mœurs de l’Assyrie, l’ancienne dénomination de Coche. Coche se trouvait sur la rive occidentale du Tigre ; mais on la regardait comme le faubourg ; de Ctésiphon, et on peut croire qu’un pont de bateaux la réunissait à cette ville. C’était à la réunion de ces diverses parties que s’appliquait la dénomination d’al modain (des cités) dont les Orientaux se servaient pour désigner la résidence d’hiver des Sassanides : enfin Ctésiphon, capitale de la Perse, était défendue de tous côtés par les eaux du fleuve, par des murs élevés, et par des marais impénétrables. L’armée de Julien campait près des ruines de Séleucie ; un fossé et un rempart la garantissaient des sorties de la nombreuse garnison de Coche. Cette contrée agréable et fertile offrait en abondance aux Romains de l’eau et du fourrage, et plusieurs forts qui auraient embarrassé les mouvements des troupes, cédèrent, après quelque résistance, à l’effort de leurs armes. La flotte passa de l’Euphrate dans un canal profond et navigable qui porte au Tigre les eaux de cette rivière un peu au-dessous de la capitale. Si les navires eussent suivi ce canal qui portait le nom de Nahar-Malcha[66], et qui avait été construit par les rois du pays, Coche, située dans l’intervalle, aurait séparé la flotte et l’armée des Romains : si par un effort imprudent on eût voulu remonter le Tigre, et pénétrer à travers tant d’obstacles au milieu d’une capitale ennemie, la flotte romaine pouvait difficilement échapper à une destruction totale. La prudence de Julien prévit le danger, et il trouva le remède. Il avait soigneusement étudié les opérations de Trajan sur le même terrain ; il se souvint que ce prince avait ouvert un nouveau canal, qui, laissant Coche à droite, versait les eaux du Nahar-Malcha dans le Tigre, un peu au-dessus de Ctésiphon. A l’aide de quelques paysans, il suivit les traces de cet ancien ouvrage, que le temps ou la prévoyance des ministres de Perse avait presque effacées. Ses infatigables soldats ouvrirent bientôt un large et profond canal aux eaux de l’Euphrate ; on éleva une forte digue pour interrompre le courant du Nahar-Malcha : les flots se précipitèrent avec impétuosité dans leur nouveau lit ; et les navires romains, arrivant en triomphe au milieu du Tigre, insultèrent aux vaines barrières que les habitants de Ctésiphon avaient voulu opposer à leur passage.

Comme il était nécessaire de faire passer le Tigre à l’armée, il fallut se livrer à un autre travail, moins pénible, mais plus dangereux. Le lit du fleuve était large et profond, ses bords escarpés et difficiles, et les retranchements formés sur la rive opposée étaient garnis d’une nombreuse armée de cuirassiers difficiles à ébranler, d’habiles archers et de puissants éléphants, qui, selon l’extravagante hyperbole de Libanius, auraient foulé aux pieds une légion de Romains aussi facilement qu’un champ de blé[67]. Il n’y avait aucun moyen de construire un pont devant de tels ennemis ; et l’intrépide Julien, qui saisit sur-le-champ le seul expédient praticable, cacha son dessein aux Barbares, à ses troupes, à ses généraux eux-mêmes, jusqu’à l’instant de l’exécution. On déchargea peu à peu quatre-vingts navires, sous prétexte d’examiner l’état des magasins, et un corps d’élite, qui paraissait destiné à une expédition secrète, eut ordre de prendre les armes au premier signal. L’empereur dissimulait son inquiétude sous l’apparence de la confiance et de la joie. Pour distraire et insulter les nations ennemies, il ordonna des jeux militaires sous les murs de Coche. Cette journée fut consacrée au plaisir ; mais, dès que l’heure du repas du soir fut écoulée, il manda les généraux dans sa tente, et il leur déclara qu’il voulait passer le Tigre durant la nuit. Étonnés, ils gardèrent tous d’abord un respectueux silence ; mais le vénérable Salluste profitant des droits de son âge et de son expérience, les autres chefs appuyèrent librement ses prudentes remontrances[68]. Julien se contenta de répondre que la conquête de la Perse et la sûreté ces troupes dépendaient de cette tentative ; que le nombre des ennemis, loin de diminuer, s’augmenterait par des renforts successifs ; qu’un plus long délai ne diminuerait pas la largeur du fleuve et n’abaisserait point la hauteur de ses bord. Sur-le-champ il fit donner le signal et fut obéi. Les plus impatiens des légionnaires sautèrent sur les cinq navires qui se trouvèrent près de la rive ; et comme ils manièrent la rame, avec une extrême ardeur, on ne tarda pas à les perdre de vue dans l’obscurité de la nuit. On aperçut des flammes sur le rivage opposé ; et l’empereur, qui comprit trop bien que les Perses avaient mis le feu à ses premiers navires, tira habilement de leur extrême danger un présage de la victoire. Nos camarades, s’écria-t-il, sont déjà maîtres du rivage ennemi : voyez, ils font le signal convenu ; hâtons-nous d’égaler et d’aider leur courage. La force réunie et le mouvement rapide de cette grande flotte rompirent la violence du courant, et les Romains atteignirent la rive orientale assez tôt pour éteindre les flammes et sauver du péril leurs audacieux compagnons. Il fallait gravir une côte escarpée d’une assez grande hauteur ; la pesanteur des armes du soldat, l’obscurité de la nuit, accroissaient les difficultés ; une grêle de dards, de pierres et de matières enflammées incommodaient les assaillants, qui, après une pénible lutte, parvinrent enfin à gravir sur le bord, et arborèrent le drapeau de la victoire au haut du rempart. Julien avait conduit l’attaque à la tête de son infanterie légère[69] ; et, dès qu’il se vit maître enfin d’une position où il pouvait combattre de niveau, il la mesura en un instant du coup d’œil de l’habileté et de l’expérience. Selon les préceptes d’Homère[70], il plaça au front et sur les derrières ses soldats les plus courageux, et toutes les trompettes sonnèrent la charge. Les Romains, après avoir poussé les cris de guerre, s’avancèrent en réglant leurs pas sur le mouvement animé d’une musique martiale : ils lancèrent leurs formidables javelines, et se précipitèrent l’épée à la main, afin d’attaquer les Barbares corps à corps, et de les priver ainsi de leurs armes de trait. On se battit durant plus de douze heures ; à la fin, la retraite graduelle des Persans devint une fuite en désordre ; dont les principaux chefs et le Surenas lui-même donnèrent le honteux exemple. Ils furent poussés jusqu’aux portes de Ctésiphon, et les vainqueurs seraient entrés dans la ville épouvantée[71], si Victor, l’un des généraux, dangereusement, blessé d’une flèche, ne les avait pas conjurés d’abandonner une entreprise qui devait leur être fatale, si elle ne réussissait pas complètement. S’il faut en croire les Romains, ils ne perdirent que soixante-quinze hommes, et les Barbares laissèrent sur le champ de bataille deux mille cinq cents, ou, selon d’autres versions, six mille de leurs plus braves guerriers. Le butin fut tel qu’on pouvait l’espérer de la richesse et du luxe d’un camp d’Asiatiques : on y trouva une quantité considérable d’or et d’argent, de magnifiques armes, et des harnais brillants, des lits et des tables d’argent massif. L’empereur distribua, pour prix de la valeur, des couronnes civiques, murales et navales, que lui, et peut-être lui seul, estimait plus que les trésors de l’Asie. Il offrit un sacrifice solennel au dieu de la guerre ; mais les entrailles des victimes annoncèrent de funestes présages, et des signes moins équivoques apprirent bientôt à Julien qu’il était arrivé au terme de sa prospérité[72].

Le surlendemain de la bataille, les gardes domestiques, les Joviens, les Herculiens et le reste des troupes, qui formaient à peu près les deux tiers de l’armée, passèrent tranquillement le Tigre[73]. Tandis que les habitants de Ctésiphon examinaient du haut de leurs murs la dévastation des alentours de la ville, Julien jetait souvent des regards inquiets vers le nord : après avoir pénétré en vainqueur jusqu’aux portes de la capitale, il comptait que Sébastien et Procope, ses lieutenants, déployant le même courage et la même activité, ne tarderaient pas à le joindre. Ses espérances furent trompées par la trahison du roi d’Arménie, qui permit et qui vraisemblablement ordonna la désertion des troupes qu’il avait données comme auxiliaires aux Romains[74], et par la mésintelligence des généraux qui ne purent s’accorder sur la formation ou l’exécution des plans. Lorsqu’il n’espéra plus de voir arriver ce renfort important, il consentit à assembler un conseil de guerre ; et chacun ayant donné librement son avis, il approuva l’opinion de ceux de ses généraux à qui le siège de Ctésiphon paraissait une opération inutile et dangereuse. Il n’est pas aisé de concevoir par quel progrès dans l’art de fortifier les places, une ville assiégée et prise trois fois par les prédécesseurs de Julien, était devenue imprenable à une armée de soixante mille Romains que commandait un général expérimenté et brave, qui avait à sa suite une flotte et des vivres, des machines de siège et des munitions de guerre en abondance ; mais, d’après ce qu’on sait du caractère de Julien, son amour pour la gloire et son mépris du danger nous sont de sûrs garants qu’il ne se laissa point décourager par des obstacles faibles ou imaginaires[75]. A l’époque même où il craignit d’entreprendre le siège de Ctésiphon, il rejeta avec inflexibilité et avec mépris les ouvertures de paix les plus flatteuse. Sapor, longtemps accoutumé aux lentes démonstrations de Constance, et surpris de l’intrépide activité de son successeur, avait ordonné aux satrapes de toutes les provinces, jusqu’aux confins de l’Inde et de la Scythie, d’assembler les troupes et de venir sans délai au secours de leur monarque. Mais ils prolongèrent leurs préparatifs, ne hâtèrent point leurs mouvements, et Sapor n’avait point encore d’armée lorsqu’il apprit la triste nouvelle de la dévastation de l’Assyrie, de la ruine de ses palais, et du massacre de l’élite de ses troupes qui défendait le passage du Tigre. L’orgueil de la royauté fut abaissé jusqu’à la dernière humiliation ; le despote prit ses repas assis sur la terre, et le désordre de sa chevelure annonça les peines et les inquiétudes de son esprit. Peut-être n’eût-il pas refusé de payer de la moitié de son royaume la sûreté du reste ; peut-être se fût-il trouvé heureux de se déclarer, dans un traité de paix, l’allié fidèle et soumis du conquérant romain. Un ministre, distingué par son rang et la confiance de son maître, partit sous le prétexte d’une affaire particulière, vint en secret se jeter aux pieds de Hormisdas, et demanda, en suppliant, qu’on lui permît de voir l’empereur. Le prince sassanien, soit qu’il écoutât la voix de l’orgueil ou celle de l’humanité, soit qu’il fût entraîné par le sentiment de sa naissance ou par les devoirs de sa position, favorisa une mesure salutaire qui devait terminer les malheurs de la Perse, et assurer le triomphe de Rome : il fut étonné de l’inflexible fermeté d’un héros qui, malheureusement pour lui, se souvint qu’Alexandre avait toujours rejeté Ies propositions de Darius. Julien, sachant que l’espoir d’une paix sûre et honorable ralentirait l’ardeur de ses soldats, pressa Hormisdas de renvoyer sans bruit le ministre du roi de Perse, et de dérober aux troupes une si dangereuse tentation[76].

La gloire et l’intérêt de Julien ne lui permettaient pas de perdre son temps sous les murs invincibles de Ctésiphon ; et, tontes les fois qu’il appela dans la plaine les Barbares qui défendaient la ville, ils répondirent sagement que, s’il voulait exercer sa valeur, il pouvait chercher l’armée du grand roi. Il sentit l’insulte que renfermaient ces paroles, et suivit le conseil qu’on lui donnait. Au lieu d’asservir sa marche aux rives de l’Euphrate et du Tigre, il résolut d’imiter la hardiesse d’Alexandre, et de pénétrer assez loin dans les provinces de l’intérieur, pour forcer son rival à lui disputer, peut-être dans les plaines d’Arbèles, l’empire de l’Asie. Sa magnanimité fut applaudie et trahie par un noble Persan, qui, pour sauver son pays, eut la générosité de se soumettre à un rôle plein de danger, de dissimulation et de honte[77]. Ce Persan était arrivé au camp de Julien avec un cortège de fidèles soldats ; il fit un conte spécieux, il raconta les injustices qu’il avait essuyées ; il exagéra la cruauté de Sapor, le mécontentement du peuple et la faiblesse de la monarchie, et il offrit aux Romains de leur servir d’otage et de guide. La sagesse et l’expérience de Hormisdas exposèrent vainement tout ce qui devait donner des soupçons. Le crédule empereur, accueillant le traître, se laissa entraîner à une résolution précipitée que tout l’univers a regardée comme également propre à faire douter de sa prudence et à compromettre sa sûreté. Il détruisit en une heure toute cette flotte transportée à une distance de cinq cents milles, au prix de tant de fatigues, de trésors et de sang, et il ne réserva que douze ou au plus vingt-deux petites embarcations qui devaient suivre l’armée sur des voitures, et servir de pont lorsqu’il faudrait passer des rivières. On ne garda des vivres que pour vingt jours, et le reste des magasins et les onze cents navires qui mouillaient dans le Tigre, furent abandonnés aux flammes par l’ordre absolu de l’empereur. Saint Grégoire et saint Augustin insultent à la folie de l’apostat, qui exécuta lui-même un décret de la justice divine. Leur autorité, faible d’ailleurs sur une question de l’art militaire, se trouve appuyée du jugement plus calme d’un guerrier expérimenté qui vit brûler la flotte, et qui ne put désapprouver le murmure des troupes[78]. Toutefois, s’il fallait justifier cette résolution, on ne manquerait pas de raisons spécieuses et peut-être assez solides. L’Euphrate n’a jamais été navigable qu’a partir de Babylone, et le Tigre à partir d’Opis[79]. Opis était peu éloignée du camp des Romains, et Julien aurait renoncé bientôt à la vaine entreprise de faire remonter une grande flotte coutre le courant d’un fleuve rapide[80], embarrassé en plusieurs endroits de cataractes naturelles ou artificielles[81]. La force des voiles et des rames ne suffisait pas ; il eût fallu remorquer les navires : ce pénible travail aurait épuisé vingt mille soldats ; et, si les Romains eussent continue : leur marche sur les bords du fleuve, ils auraient pu seulement espérer de revenir en Europe, mais sans avoir rien fait de digne du génie ou de la fortune de leur chef. En supposant au contraire qu’il fût avantageux de pénétrer dans l’intérieur des États du roi de Perse, la destruction de la flotte et des magasins se trouvait le seul moyen d’enlever ce butin précieux aux troupes nombreuses et actives qui pouvaient sortir tout à coup des portes de Ctésiphon. Si les armes de Julien avaient été victorieuses, nous admirerions maintenant la prudence et le courage d’un héros qui, ôtant à ses soldats l’espoir de la retraite, ne leur laissait que l’alternative de vaincre ou de mourir[82].

Les Romains ne connaissaient presque pas ce train embarrassant d’artillerie et de fourgons qui retardent les opérations de nos armées modernes[83]. Mais, dans tous les siècles, la subsistance de soixante mille hommes doit avoir été un des premiers soins d’un général prudent, et il ne petit tirer cette subsistance que de son pays ou de celui de l’ennemi. Quand Julien aurait pu maintenir sa communication avec le Tigre, quand il aurait pu garder les places de l’Assyrie dont il venait de faire la conquête, une province dévastée eût été hors d’état de lui fournir des secours bien considérables et bien réguliers à une époque de l’année où l’Euphrate inondait les terres[84], et où des millions d’insectes obscurcissaient une atmosphère malsaine[85]. Le pays ennemi offrait un aspect bien plus séduisant ; des villages et des villes remplissaient l’espace qui se trouve entre le Tigre et les montagnes de la Médie, et une culture perfectionnée y aidait presque partout à la fertilité naturelle de la terre. Julien avait lien de croire qu’avec du fer et de l’or, ces deux grands moyens de persuasion, un vainqueur obtiendrait, de la crainte ou de la cupidité des naturels, des vivres en abondance. Cette perspective s’évanouissait à l’approche de ses troupes. Dès qu’on les voyait paraître, les habitants abandonnaient les villages et se réfugiaient dans les villes fortifiées : ils chassaient leur bétail devant eux, mettaient le feu aux fourrages et aux champs de blés mûrs ; et à la fin de l’incendie, qui interrompait la marche des soldats, l’empereur n’avait plus devant lui que le désolant aspect d’une terre déserte, fumante et dépouillée. Ce moyen désespéré, mais efficace, ne peut être employé que par l’enthousiasme d’un peuple qui met l’indépendance au-dessus des richesses, ou par la rigueur d’un gouvernement absolu qui s’occupe de la sûreté publique sans laisser à ses sujets la liberté du choix. Le zèle et l’obéissance des Persans secondèrent en cette occasion les ordres de Sapor, et bientôt Julien se vit réduit à la faible provision de vivres qu’il avait conservée, et qui diminuait chaque jour entre ses mains. L’effort d’une marche rapide et bien dirigée pouvait le conduire, avec ce qu’il en restait, aux portes des villes riches et peu guerrières d’Ecbatane et de Suse[86]. Mais comme il ne savait pas les chemins et qu’il fut trompé par ses guides, cette dernière ressource lui manqua. Ses troupes errèrent plusieurs jours dans le pays qui se trouve à l’orient de Bagdad ; le déserteur persan, après les avoir amenées dans le piège, échappa à leur fureur, et les soldats de sa suite, mis à la torture, avouèrent le secret de la conspiration. Les conquêtes imaginaires de l’Hyrcanie et de l’Inde, qui avaient si longtemps amusé l’esprit de Julien, faisaient alors son tourment. Sentant bien chue la détresse générale était le résultat de son imprudence, il balança avec inquiétude, sans obtenir une réponse satisfaisante des dieux ou des hommes, les différentes chances de succès ou de salut qui pouvaient lui demeurer encore. Il adopta enfin le seul expédient praticable ; il résolut de se diriger vers les bords du Tigre, espérant sauver son armée par une marche forcée vers les confins de la Corduène, province fertile qui reconnaissait la souveraineté de Rome. Lorsqu’on donna aux troupes découragées le signal de la retraite, il lie s’était écoulé que soixante-dix jours depuis qu’elles avaient passé le Chaboras (16 juin), bien convaincues qu’elles renverseraient le trône de la Perse[87].

Tant que l’armée parut continuer à s’avancer dans le pays, sa marche fut harcelée pax différents corps de cavalerie persane, qui, se montrant quelquefois en bandes détachées, et d’autres fois en troupes réunies, escarmouchèrent contre l’avant-garde ; mais des forces plus considérables soutenaient ces détachements, et du moment où les colonnes tournèrent vers le Tigre, on vit un nuage de poussière s’élever sur la plaine. Les Romains, qui ne songeaient plus qu’à se retirer à la hâte et sans accident, tâchèrent d’attribuer cette inquiétante apparition à l’approche de quelques troupes d’onagres, ou d’une tribu d’Arabes amis. Ils s’arrêtèrent, dressèrent leurs tentes, fortifièrent leur camp, passèrent la nuit dans de continuelles alarmes, et découvrirent, à la pointe du jour, qu’une armée de Persans les environnait. Cette armée, qui n’était encore que l’avant-garde dés Barbares, fut bientôt suivie d’un immense corps de cuirassiers, d’archers et d’éléphants, que commandait Meranes, général dune grande réputation. Il était accompagné de deux fils du roi et des principaux satrapes : la renommée et la crainte exagérèrent la force du reste des troupes, qui s’avançaient lentement sous la conduite de Sapor. Les Romains s’étant remis en marche, leur longue ligne, obligée de se plier ou de se diviser, selon que l’exigeait le terrain, offrit souvent des occasions heureuses à leur vigilant ennemi. Les Perses attaquèrent avec fureur à diverses reprises ; les Romains les repoussèrent toujours avec fermeté ; et, au combat de Maronga, qui mérite presque le nom d’une bataille, Sapor perdit un grand nombre de satrapes, et, ce. qui avait peut-être à ses yeux le même prix, un grand nombre d’éléphants. Julien, pour obtenir ces succès, perdait à peu près autant de monde que l’ennemi ; plusieurs officiers de distinction furent tués ou blessés ; et l’empereur, qui, dans tous les périls, inspirait et guidait la valeur de ses troupes, fut obligé d’exposer sa personne et de déployer tous ses talents. Le poids des armes offensives et défensives, des Romains, qui faisaient leur force et leur sûreté, ne leur permettait pas de poursuivre longtemps l’ennemi après l’action ; et les cavaliers de l’Orient, habitués à lancer au galop, et dans toutes les directions possibles[88], leurs javelines et leurs traits, ne se montraient jamais plus formidables qu’au moment d’une fuite rapide et désordonnée. Pour les Romains, d’ailleurs, de toutes les pertes, la plus irréparable était celle du temps. Les braves vétérans, accoutumés au climat froid de la Gaule et de la Germanie, étaient accablés par la chaleur brûlante de l’été d’Assyrie ; des marches et ces combats perpétuels épuisaient leur vigueur, et les précautions qu’exigeait une retraite dangereuse devant un ennemi actif, ralentissaient leur marche. Chaque jour, chaque heure augmentait la valeur et le prix des vivres dans le camp[89]. Julien, qui se contentait d’une nourriture qu’aurait dédaignée un soldat affamé, distribuait à ses troupes les provisions destinées à sa maison, et tout ce qu’il pouvait épargner sur les gens de bagage des tribuns et des généraux mais ce faible secours faisait mieux sentir la détresse générale ; et les Romains, dans leurs sombres appréhensions, commençaient à se persuader qu’avant d’arriver aux frontières de l’empire, ils périraient tous par la famine ou parle glaive des Barbares[90].

A cette époque où Julien luttait contre les insurmontables difficultés de sa situation, il donnait encore à l’étude et à la contemplation les heures silencieuses de la nuit. Lorsqu’il fermait les yeux pour se livrer quelques moments à un sommeil interrompu, des angoisses pénibles agitaient ses esprits ; et il ne faut pas s’étonner que dans ces moments de trouble il ait pu voir le génie de l’empire couvrant d’un voile funèbre sa tête et sa corne d’abondance, et s’éloignant lentement des tentes impériales. Le monarque quitta précipitamment sa couche, et, étant sorti de sa tente pour calmer ses esprits par la fraîcheur de l’air de la nuit, il aperçut un météore de feu qui traversa le ciel, et s’évanouit au même instant. Il croyait fermement avoir aperçu la figure menaçante du dieu de la guerre[91]. Les aruspices toscans qu’il rassembla[92] prononcèrent d’une voix unanime qu’il ne devait pas livrer de combat ; mais la raison et la nécessité l’emportèrent sur la superstition, et à la pointe du jour les trompettes sonnèrent la charge. L’armée s’avança à travers un pays coupé de collines dont les Persans s’étaient rendus maîtres. Julien conduisait l’avant-garde avec l’habileté et l’attention d’un général consommé : on vint l’avertir que l’ennemi tombait sur son arrière-garde. La chaleur l’ayant déterminé à quitter sa cuirasse, il arracha un bouclier des mains de l’un de ses soldats, et courut, à la tête d’un renfort considérable, pour soutenir ses derrières. La tête de l’armée, bientôt attaquée, le rappela à sa défense, et au moment où il traversait au galop les intervalles des colonnes, le centre de la gauche fut assailli et presque écrasé par l’impétuosité de la cavalerie et des éléphants. Une évolution de l’infanterie légère, qui fit tomber adroitement ses traits sur le dos des cavaliers et sur les jambes des éléphants, ne tarda pas à. mettre en déroute cette masse effrayante de guerriers et d’animaux. Les Barbares prirent la fuite ; et Julien, qui se montrait toujours à l’endroit le plus dangereux, excitait ses troupes de la voix et du geste à la poursuite des Persans. Ses gardes tremblants, dispersés ou, pressés par la foule tumultueuse des amis et des ennemis, avertirent leur intrépide souverain qu’il n’avait point d’armure, et le conjurèrent de se soustraire au péril qui le menaçait[93]. A l’instant même, les escadrons en déroute firent pleuvoir une grêle de dards et de traits ; et une javeline, après avoir rasé le bras de l’empereur, lui perça les côtes et se logea dans la partie inférieure du foie. Julien essaya d’arracher de ses flancs le trait mortel ; mais le tranchant de l’acier lui coupa les doigtas, et il tomba de cheval sans connaissance. Ses gardes volèrent à son secours, et, relevé avec précaution, il fut porté, du milieu de l’action dans une tente voisine. Cette affreuse nouvelle se répandit, de rang en rang ; la douleur des Romains leur donna une valeur invincible et leur inspira le désir de la vengeance. Les deux armées se battirent avec fureur jusqu’à ce qu’elles fussent séparées par la profonde obscurité de la nuit. Les Persans tirèrent quelque gloire de l’avantage qu’ils obtinrent contre l’aile gauche, où Anatolius, maître des offices, fut tué, et où le préfet Salluste manqua de périr. Mais l’issue de la journée fut contraire aux Barbares ; ils abandonnèrent le champ de bataille ; ils y laissèrent Meranes et Nohordates[94], leurs deux généraux, cinquante nobles ou satrapes, et une multitude de leurs plus braves soldats ; et si Julien eût survécu, ce succès des Romains aurait pu avoir les suites d’une victoire décisive.

Les premiers mots que prononça Julien lorsqu’il fut revenu de l’évanouissement occasionné par la perte de son sang annoncèrent sa valeur. Il demanda son cheval et ses armes, et il voulait se jeter de nouveau au milieu des combattants. Ce pénible effort acheva de l’épuiser, et les chirurgiens qui examinèrent sa blessure, découvrirent les symptômes d’une mort très prochaine. Il employa ses derniers moments avec la tranquillité d’un héros et d’un sage. Les philosophes qui l’avaient suivi dans cette fatale expédition comparèrent sa tente à la prison de Socrate et ceux que le devoir, l’attachement ou la curiosité avaient rassemblés au tour de sa couche, écoutèrent avec une douleur respectueuse ces dernières paroles de leur empereur mourant[95] : Mes amis et mes camarades, leur dit-il, la nature me redemande ce qu’elle m’a prêté ; je le lui rends avec la joie d’un débiteur qui s’acquitte, et non point avec la douleur ni les remords que la plupart des hommes croient inséparables de l’état où je suis. La philosophie m’a convaincu que l’âme n’est vraiment heureuse que lorsqu’elle est affranchie des liens du corps, et qu’on doit plutôt se réjouir que s’affliger lorsque la plus noble partie de nous-mêmes se dégage de celle qui la dégrade et qui l’avilit. Je fais aussi réflexion que les dieux ont souvent envoyé la mort aux gens de bien comme la plus grande récompense dont ils pussent couronner leur vertu[96]. Je la reçois à titre de grâce ; ils veulent m’épargner des difficultés qui m’auraient fait succomber, sans doute, ou commettre quelque action indigne de moi. Je meurs sans remords, parce que j’ai vécu sans crime, soit dans les temps de ma disgrâce, lorsqu’on m’éloignait de la cour et qu’on me confinait dans des retraites obscures et écartées, soit depuis que j’ai été élevé au pouvoir suprême. J’ai regardé le pouvoir dont j’étais revêtu comme une émanation de la puissance divine : je crois l’avoir conservée pure et sans tache, en gouvernant avec douceur les peuples confiés à mes soins, et ne déclarant ni ne soutenant la guerre que par de bonnes raisons. Si je n’ai pas réussi, c’est que le succès ne dépend, en dernier ressort, que du bon plaisir des dieux. Persuadé que le bonheur des sujets est la fin unique de tout gouvernement équitable, j’ai détesté le pouvoir arbitraire, source fatale de la corruption des mœurs et des États. J’ai toujours eu des vues pacifiques, vous le savez ; mais dès que la patrie m’a Lit entendre sa voix et m’a commandé de courir aux dangers, j’ai obéi avec la soumission d’un fils aux ordres absolus d’une mère. J’ai considéré le péril d’un œil fixe, je l’ai affronté avec plaisir. Je ne vous dissimulerai point qu’on m’avait prédit, il y a longtemps, que je mourrais d’une mort violente. Ainsi je remercie le dieu éternel de n’avoir pas permis que je périsse ni par une conspiration, ni par les douleurs d’une : longue maladie, ni par la cruauté d’un tyran. J’adore sa bonté sur moi de ce qu’il m’enlève du monde par un glorieux trépas, au milieu d’une course glorieuse ; puisqu’à juger sainement des choses, c’est une lâcheté égale de souhaiter la mort lorsqu’il serait à propos de vivre, et de regretter la vie lorsqu’il est temps de mourir. Mes forces m’abandonnent ; je ne puis plus vous parler. — Quant à l’élection d’un empereur, je n’ai garde de prévenir votre choix ; le mien pourrait mal tomber, et perdrait peut-être, si on ne le suivait pas, celui que j’aurais désigné. Mais, en bon citoyen, je souhaite d’être remplacé par un digne successeur. Après ce discours prononcé d’une voix douce et ferme, il disposa, dans un testament militaire[97], de sa fortune particulière. Ayant ensuite demandé pourquoi il ne voyait pas Anatolius, Salluste répondit qu’il était tombé sous les coups des Persans ; et l’empereur, par une inconséquence qui avait quelque chose d’aimable, regretta la perte de son ami. Il désapprouva en même temps la douleur immodérée des spectateurs, et les conjura de ne pas avilir par des larmes de faiblesse l’a mort d’un prince qui, en peu de moments, se trouverait uni au ciel et aux étoiles[98]. Chacun se taisait, et Julien entama, avec les philosophes Priscus et Maxime, une conversation de métaphysique sur la nature de l’âme. Ces efforts de corps et d’esprit abrégèrent probablement sa vie de quelques fleures. Sa blessure se rouvrit et donna du sang en abondance ; le gonflement des veines embarrassa la respiration ; il demanda de l’eau froide, et dés qu’il eut cessé de boire, il expira sans douleur vers le mi-lieu de la nuit. Ainsi mourut cet homme extraordinaire, à l’âge de trente-deux ans, après avoir régné vingt mois depuis la mort de Constance son collègue. Il déploya dans ses derniers instants, peut-être avec un peu d’ostentation, l’amour de la vertu et de la gloire qui avaient été ses passions dominantes[99].

En négligeant d’assurer, par le choix prudent et judicieux d’un collègue et d’un successeur, l’exécution future de ses projets, Julien fut en quelque sorte la cause du triomphe du christianisme et des calamités de l’empire ; mais il se trouvait le dernier de la famille royale de Constance Chlore ; et s’il forma jamais sérieusement le dessein de revêtir de la pourpre le plus digne d’entre les Romains, la difficulté du choix, la jalousie du pouvoir, la crainte de l’ingratitude, et la présomption qu’inspirent la santé, la jeunesse et la fortune, éloignèrent l’effet de cette résolution. Sa mort inattendue laissa l’empire sans maître et sans héritier, dans un embarras et dans un danger où il ne s’était pas trouvé depuis l’élection de Dioclétien, c’est-à-dire, depuis quatre-vingts ans. Sous un gouvernement qui avait presque oublié les distinctions de la noblesse, on faisait peu de cas de la supériorité de la naissance ; les prétentions que donnaient les emplois étaient précaires et accidentelles ; et ceux qui sollicitaient le trône vacant, ne pouvaient compter que sur leur mérite personnel ou sur la faveur populaire. Mais la situation des troupes romaines qui manquaient de vivres, et qu’une armée de Barbares environnait de tous côtés, abrégea les moments donnés à la douleur et à la délibération. Au milieu de cette inquiétude et de cette détresse, on embauma honorablement le corps de Julien, ainsi qu’il l’avait ordonné, et à la jointe du jour les généraux convoquèrent un conseil militaire, où furent appelés les chefs des légions et les officiers de cavalerie et d’infanterie. Les trois ou quatre dernières heures de la nuit avaient suffi pour former quelques cabales ; et lorsqu’on proposa l’élection d’un empereur, l’esprit de faction se montra dans l’assemblée. Victor et Arinthæus réunirent ceux des guerriers qu’on avait vus à la cour de Constance ; les amis de Julien s’attachèrent à Dagalaiphus et Nevitta, deux chefs gaulois ; et on, avait lieu de craindre les suites les plus funestes de la mésintelligence de deux partis si opposés par leurs caractères et leurs intérêts, parleurs maximes de gouvernement, et peut-être par leurs principes de religion. Les vertus éminentes de Salluste pouvaient seules. écarter la discorde et réunir les suffrages ; et ce respectable préfet eût été sur-le-champ déclaré successeur de Julien, s’il n’eût avec sincérité représenté, d’un ton aussi ferme que modeste, que son âge et ses infirmités ne lui laissaient plus la force de soutenir le poids du diadème. Les généraux, surpris et embarrassés de son refus, parurent disposés à suivre l’avis salutaire d’un officier inférieur[100], qui leur conseilla de taire ce qu’ils eussent fait dans l’absence de l’empereur, de mettre en œuvre tous les moyens pour tirer l’armée de la situation effrayante où elle se trouvait, et s’ils avaient le bonheur de gagner les confins de la Mésopotamie, de procéder alors, avec maturité et de bonne intelligence, à l’élection d’un souverain légitime. Pendant qu’ils délibéraient, un petit nombre de voix saluèrent des noms d’empereur et d’Auguste, Jovien, qui n’était que le premier des domestiques[101]. Cette acclamation tumultueuse fut répétée au même instant par les gardes qui environnaient la tente, et en peu de minutes elle se répandit jusqu’aux extrémités du camp. Jovien, étonné de sa fortune et revêtu à la hâte du costume impérial, reçut le serment de fidélité de ces généraux, dont il sollicitait l’instant d’auparavant la faveur et la protection. La meilleure recommandation de Jovien était le mérite de son père, le comte Varronien, qui jouissait, dans une glorieuse retraite, du fruit de ses longs services. Son fils, dans l’obscure indépendance d’une condition privée, s’était livré à son goût pour le vin et pour les femmes ; il s’était cependant montré avec courage comme chrétien[102] et comme soldat. Quoiqu’il ne possédât aucune de ces qualités brillantes, qui excitent l’admiration et l’envie des hommes, sa figure agréable, la gaîté de son humeur, et la vivacité de son esprit, lui avaient acquis l’attachement de ses camarades ; et les généraux des deux partis consentirent d’autant plus volontiers à une élection approuvée de l’armée, qu’elle n’était point la suite des artifices du parti opposé à celui qu’ils soutenaient. L’orgueil de ce succès inattendu fut tempéré par la juste crainte qu’éprouva le nouvel empereur, de voir le même jour terminer sa vie et son règne. On obéit sans délai à la voix pressante de la nécessité, et les premiers ordres qu’il donna peu d’heures après la mort de son prédécesseur furent de continuer une marche qui, seule pouvait sauver les Romains[103].

La crainte d’un ennemi est le plus sûr témoignage de son estime, et la joie qu’il ressent de sa délivrance indique d’une manière assez exacte le degré de sa crainte. L’heureuse nouvelle de la mort de Julien, qu’un déserteur porta au camp de Sapor, donna au monarque découragé la confiance subite de la victoire. Il détacha sur-le-champ la cavalerie royale, peut-être les dix mille immortels[104], à la poursuite des Romains, et avec le reste de ses forces il tomba sur leur arrière-garde. Cette arrière-garde fût mise en désordre ; les éléphants enfoncèrent et foulèrent aux pieds ces légions si célèbres qui tenaient leurs noms de Dioclétien et de son belliqueux collègue, et trois tribuns perdirent la vie en voulant arrêter la fuite de leurs soldats. La bravoure opiniâtre des Romains rétablit enfin le combat. Les Persans furent repoussés ; ils perdirent un grand nombre de guerriers et d’éléphants ; et l’armée, après avoir marché ou combattu depuis le matin jusqu’au soir d’un long jour de l’été, arriva le soir à Sumara, sur les bords du Tigre, environ cent milles au-dessus de Ctésiphon[105]. Le lendemain, les Barbares, au lieu de harasser la marche de Jovien, attaquèrent son camp, qui se trouvait placé dans une vallée profonde : Du haut des collines, les archers persans insultèrent et chargèrent les légionnaires fatigués ; et un corps de cavalerie qui, avec un courage forcené, s’était précipité jusque dans le prétoire, fut taillé en pièces près de la tente de l’empereur, après un combat dont l’issue avait été d’abord incertaine. Les hautes digues du fleuve protégèrent la nuit suivante le camp de Carche ; et quatre jours après la mort de Julien, l’armée romaine, quoique harcelée sans cesse par les Arabes, établit ses tentes prés de la ville de Dura[106]. Elle avait toujours le Tigre à sa gauche ; elle se voyait à lieu pris à la fin de ses espérances et de ses vivres ; et les soldats, qui s’étaient persuadé qu’ils avaient peu de chemin à faire pour arriver aux frontières de l’empire, supplièrent, dans leur impatience, le nouveau souverain de hasarder le passage du fleuve. Jovien, aidé des plus sages officiers, essaya de combattre leur téméraire projet, en leur représentant que, s’ils avaient assez d’adresse et de vigueur pour dompter le torrent d’un fleuve rapide et profond, ils sic feraient que se livrer nus et sou défense aux Barbares qui occupaient le rivage opposé. Cédant enfin à leurs importunes clameurs, il permit à cinq cents Gaulois et Germains, accoutumes dis leur enfance aux eaux du Rhin et du Danube, de tenter cette entreprise, dont le résultat devait servir d’encouragement ou d’avertissement au reste de l’armée. Ils traversèrent le Tigre à la nage dans le silence de la nuit ; ils surprirent un poste de l’ennemi, mal gardé, et au point du jour ils arborèrent le signal, preuve de leur courage et de leur succès. Cette épreuve disposa l’empereur à écouter ses ingénieurs, qui promirent de construire, avec des peaux de moutons, de bœufs et de chèvres, cousues et remplies de vent, un pont flottant, qu’ils couvriraient de terre et de fascines[107]. On employa vainement à ce travail deux jours bien importants dans la situation de l’armée ; et les légions, qui déjà manquaient de vivres, jetèrent un regard de désespoir sur le fleuve et sur des Barbares, dont le nombre et l’acharnement augmentaient en proportion de la détresse de l’armée impériale[108].

Dans cette affreuse situation, des bruits de paix ranimèrent l’espoir des Romains. Quelques moments avaient fait évanouir la présomption de Sapor ; il remarquait avec douleur qu’une suite de combats lui avait enlevé ceux de ses nobles qui se distinguaient le plus par leur fidélité et leur valeur, ses plus braves soldats, et la plus grande partie de ses éléphants. Ce monarque expérimenté craignit de provoquer le désespoir de l’ennemi, les vicissitudes de la fortune, et les forces encore entières de l’empire romain, qui ne tarderaient peut-être pas à secourir ou à. venger le successeur de Julien. Le Surenas lui-même, accompagné d’un autre satrape, arriva au camp de l’empereur[109], et déclara que la clémence de sort maître voulait bien annoncer à quelles conditions il consentait à épargner et à renvoyer l’empereur avec les restes de son armée captive. La fermeté des Romains se laissa séduire par l’espérance du salut. L’avis du conseil et les cris des soldats obligèrent Jovien à recevoir la paix qui lui était offerte, et le préfet Salluste fut envoyé sur-le-champ, avec le général Arinthæus, pour savoir les intentions du grand roi. Le rusé Persan renvoya, sous différents prétextes, la conclusion du traité ; il éleva des difficultés, demanda des éclaircissements, suggéra des moyens, revint sur ce qu’il avait promis, forma de nouvelles prétentions, et employa en négociations quatre jours, pendant lesquels les Romains achevèrent de consommer lé peu de vivres qui restait dans leur camp. Si Jovien avait été capable d’exécuter un projet hardi et prudent, il aurait sans relâche continué sa marche ; la négociation du traité aurait suspendu les attaques des Persans, et avant la fin du quatrième jour, il serait arrivé sain et sauf dans la fertile province de Corduène, qui n’était éloignée que de cent milles[110]. Ce prince irrésolu, au lieu de rompre les lacs dont cherchait à l’envelopper l’ennemi, attendit son sort avec résignation, et accepta les humiliantes conditions d’une pais qu’il n’était plus en son pouvoir de refuser. Les cinq provinces au-delà du Tigre, cédées aux Romains par le grand-père de Sapor, furent rendues au monarque persan ; il acquit, par un seul article du traité, l’importante ville de Nisibis, qui, durant trois sièges consécutifs, avait bravé l’effort de ses armes ; Singara, et le château des Maures, l’une des plus fortes places de la Mésopotamie, furent également détachées de l’empire en sa faveur. La permission qu’il accorda aux habitants de se retirer avec leurs effets fut regardée comme une grâce, mais il exigea que les Romains abandonnassent à jamais le roi et le royaume d’Arménie. Les deux nations ennemies signèrent une paix, ou plutôt une trêve de trente années. Le traité fut accompagné de serments solennels et de cérémonies religieuses ; et de part et d’autre on livra des otages d’un rang distingué[111].

Le sophiste d’Antioche, indigné de voir le sceptre de son héros dans la faible main d’an prince disciple du christianisme, semble admirer la modération de Sapor qui se contenta d’une si petite portion de l’empire romain. S’il eût porté ses prétentions jusqu’à l’Euphrate, sûrement, dit Libanius, il n’eût pas essuyé de refus ; s’il eût exigé que l’Oronte, le Cydnus, le Sangarius, ou même le Bosphore de Thrace, servissent de bornes au royaume de Perse, la cour de Jovien n’aurait pas manqué de flatteurs qui se seraient empressés de convaincre le timide empereur que le reste de ses provinces suffisait encore à lui fournir abondamment toutes les jouissances du luxe et de la domination[112]. Sans adopter en entier cette supposition dictée par l’humeur, il faut avouer que l’ambition particulière de Jovien donna de grandes facilités au roi de Perse pour la conclusion d’un traité si ignominieux à l’empire. Un obscur domestique, élevé au trône par la fortune plutôt que par son mérite, désirait vivement de sortir des mains du roi de Perse, afin de prévenir les desseins de Procope, général de l’armée de Mésopotamie, et de soumettre à son autorité, jusque-là peu certaine, les légions et les provinces qui ignoraient encore le choix précipité fait au-delà du Tigre, et par une armée en tumulte[113]. C’est aux environs du même fleuve, et à peu de distance du funeste camp de Dura[114], que les dix mille Grecs, éloignés de plus de douze cents pailles de leur patrie, furent abandonnés, sans généraux, sans guides et sans munitions, au ressentiment d’un monarque victorieux. La différence de conduite et de succès, de la part de l’armée romaine et de la petite armée des Grecs, est une suite du caractère plutôt que de la position. Au lieu de se soumettre tranquillement aux délibérations secrètes et aux vues particulières d’un individu, le conseil des Grecs fut inspiré par l’enthousiasme généreux d’une assemblée populaire, où l’amour de la gloire, l’orgueil de la liberté et le mépris de la mort, remplissent l’âme de chaque citoyen. Convaincus de la supériorité que leur donnait sur les Barbares la nature de leurs armes autant que leur discipline, ils se fussent indignés de l’idée seule de se soumettre, et refusèrent de capituler : à force de patience, de courage et de talent, ils surmontèrent tous les obstacles, et la mémorable retraite des dix mille insulta, en la dévoilent, à la faiblesse de la monarchie des Perses[115].

Pour prix de ses honteuses concessions, Jovien aurait pu demander comme un des articles du traité, que son camp affamé fût abondamment fourni de vivres[116], et qu’on lui permît de passer le Tigre sur le pont qu’avaient construit les Perses ; mais, supposé qu’il ait osé solliciter de si justes conditions, elles lui furent absolument refusées par l’orgueilleux despote de l trient, dont la clémence se bornait à pardonner aux étrangers qui étaient venus envahir ses États. Durant la marche des Romains, lés Sarrasins interceptèrent quelquefois les traîneurs ; mais les généraux et les troupes de Sapor respectèrent la trêve, et on permit à l’empereur de chercher l’endroit le plus commode pour le passage du fleuve. On se servit des petits navires qu’on avait sauvés lors de l’incendie de la flotte : ils transportèrent d’abord le prince et ses favoris, et après eux, en différents voyages, la plus grande partie de l’armée. Mais l’inquiétude qu’éprouvait chacun pour sa sûreté personnelle, et l’impatience des soldats, qui craignaient de se voir abandonnés sur une rive ennemie, ne leur permettant pas toujours d’attendre le retour tardif des navires, ils se jetèrent sur de légères claies ou sur des peaux enflées de vent, et, traînant leurs chevaux après eux, essayèrent, avec plus ou moins de succès, de traverser ainsi la rivière. Plusieurs furent engloutis par les vagues ; d’autres, qu’entraînait le courant, offrirent une proie facile à la cupidité ou à la cruauté des farouches Arabes ; et la perte de l’armée, lors du passage du Tigre, ne fut pas inférieure à celle d’un jour de bataille. Dès que les Romains eurent débarqué sur la rive occidentale, ils furent délivrés des attaques des Barbares ; mais une marche de deux cents milles, sur les plaines de la Mésopotamie, leur fit souffrir les dernières extrémités de la faim et de la soif. Ils se virent obligés de parcourir un désert sablonneux qui, dans un espace de soixante - dix milles ; n’offrait ni un brin d’herbe douce, ni un filet d’eau fraîche, et qui, dans toute son étendue, désolé, inhabitable, ne présentait pas une seule trace de créatures humaines, soit amies, soit même ennemies. Si l’on découvrait dans le camp quelques mesures de farine, vingt livres de ce précieux aliment étaient avidement achetées au prix de dix pièces d’or[117]. Les bêtes de somme servaient de nourriture ; en trouvait disperses çà et là les armes et le bagage des soldats romains, qui, par leur maigreur et leurs vêtements déchirés, faisaient assez connaître leurs souffrances passées, et la misère qui les accablait encore. Un petit convoi de provisions vint à la rencontre de l’armée jusqu’au château d’Ur, et ce secours fut d’autant plus agréable, qu’il attestait la fidélité de Sébastien et de Procope. A Thilsaphata[118], l’empereur reçut, avec les plus grands témoignages de bienveillance, les généraux de l’armée de Mésopotamie ; et les restes de cette armée, naguère si florissante, se reposèrent enfin sous les murs de Nisibis. Les messagers de Jovien avaient déjà annoncé, avec les éloges de la flatterie, son élection, son traité et son retour ; et le nouveau souverain avait pris les mesures les plus efficaces pour assurer l’obéissance dès armées et des provinces de l’Europe, en plaçant l’autorité dans les mains des officiers qui, par intérêt ou par inclination, devaient soutenir avec fermeté la cause de leur bienfaiteur[119].

Les amis de Julien avaient prédit avec confiance le succès de son expédition. Ils espéraient que les dépouilles de l’Orient enrichiraient les temples des dieux ;’que la Perse, réduite à l’humble état de province tributaire, serait gouvernée par les lois et les magistrats de Rome ; que les Barbares adopteraient l’habit, les mœurs et le langage du conquérant, et que la jeunesse d’Ecbatane et de Suse étudierait l’art de la rhétorique sous des maîtres grecs[120]. L’empereur avait pénétré si avant, qu’il avait perdu toute communication avec l’empire ; et, du moment où il eut passé le Tigre, ses fidèles sujets ignorèrent sa destinée et sa fortune. Tandis que leur imagination calculait des triomphes chimériques, ils apprirent la triste nouvelle de sa mort, et ils continuèrent à la révoquer en doute, lors même qu’ils ne pouvaient plus la nier[121]. Les émissaires de Jovien répandirent que la paix avait été nécessaire, et qu’elle était sage ; la voix de la renommée, plus forte et plus sincère, révéla la honte de l’empereur et les conditions de l’ignominieux traité. Le peuple fut rempli d’étonnement, de douleur, d’indignation et de crainte, en apprenant que l’indigne successeur de Julien abandonnait les cinq provinces conquises par Galère, et rendait honteusement aux Barbares l’importante ville de Nisibis, le plus fort boulevard des provinces de l’Orient[122]. On agitait librement, dans les entretiens populaires, ce point obscur et dangereux à traiter, de la morale des gouvernements, qui fixe jusqu’où l’on doit observer la foi publique lorsqu’elle est contraire à la sûreté de l’État, et l’on eut une sorte d’espoir que l’empereur ferait oublier sa conduite pusillanime par un acte éclatant de perfidie patriotique. L’inflexible courage du sénat de Rome avait toujours rejeté les conditions inégales qu’on imposait de farce à ses armées captives ; et si, pour satisfaire l’honneur de la nation, il eût fallu livrer aux Barbares le général criminel, la plupart des sujets de Jovien auraient suivi avec joie, sur ce point, l’exemple des anciens temps[123].

Mais l’empereur, quelles que fussent les bornes de son autorité constitutionnelle, se trouvait, par le fait, disposer absolument des lois et des forces de l’État, et les motifs qui l’avaient contraint à signer le traité de paix le pressaient d’en remplir les conditions. Il désirait avec ardeur de s’assurer « empire aux dépens de quelques provinces, et il cachait son ambition et ses craintes sons le masque de la religion et de l’honneur. Malgré les sollicitations respectueuses des habitants, la décence et la sagesse ne lui permirent pas de loger dans le palais de Nisibis : le lendemain de son arrivée, Bineses, l’ambassadeur de Perse, entra dans la place, déploya, du haut de la citadelle, l’étendard du grand roi, et annonça en son nom la cruelle alternative de l’exil ou de la servitude. Legs principaux citoyens de la ville, qui jusqu’à ce fatal moment avaient compté sur la protection de leur souverain, se jetèrent à ses pieds et le conjurèrent de ne pas abandonner, ou du moins de ne : pas livrer une colonie fidèle à la fureur d’un tyran barbare, irrité par les trois défaites qu’il avait éprouvées successivement sous les murs de Nisibis. Us avaient encore des armes et assez de courage pour repousser l’ennemi de leur pays ; ils se bornèrent à lui demander la permission de s’en servir : ils dirent qu’après avoir assure leur indépendance, ils viendraient implorer la faveur d’être admis de nouveau au rang de ses sujets. Leurs raisons, leur éloquence, leurs larmes, ne purent rien obtenir. Jovien fit valoir, en rougissant, la sainteté des serments ; et la répugnance avec laquelle il avait accepté d’eux le présent d’une couronne d’or, ne leur laissant plus d’espoir, Sylvanus, l’un des orateurs du peuple, s’écria indigné : Empereur, puissiez-vous être ainsi couronné par toutes les villes de vos domaines ! Jovien, qui en peu de semaines avait déjà pris les habitudes d’un prince[124], fut choqué de la hardiesse et de la vérité du propos ; et comme il voyait que le mécontentement des habitants pourrait bien les porter à se soumettre au roi de Perse, un édit leur ordonna, sous peine de mort, de sortir de la ville dans trois jours. Ammien a peint avec énergie la désolation générale, qui paraît avoir excité en lui une vive compassion[125]. La belliqueuse jeunesse de Nisibis abandonna, avec une indignation douloureuse, des murs qu’elle avait si glorieusement défendus ; des parents en deuil versaient une dernière larme sur la tombe d’un fils ou d’un mari, qui allait être profanée par la main grossière des Barbares ; et le vieillard baisait le seuil, s’attachait aux portes de la maison où il avait passé les jours tranquilles et fortunés de son enfance. Une multitude effrayée remplissait les grands chemins ; les distinctions de rang, de sexe et d’âge, s’évanouissaient au milieu de la consternation générale. Chacun s’efforçait d’emporter quelques débris du naufrage de sa fortune ; et, ne pouvant se procurer sur-le-champ un nombre suffisant de chevaux et de chariots, ils étaient réduits à laisser la plus grande partie de leurs richesses. Il paraît que le barbare insensibilité de Jovien aggrava les peines de ces infortunés. On les établit cependant dans un quartier d’Amida, nouvellement reconstruit ; et, augmentée d’une colonie aussi considérable, cette ville, qui commençait à se relever, recouvra bientôt son antique splendeur, et devint la capitale de la Mésopotamie[126]. L’empereur expédia des ordres pareils pour l’évacuation de Singara, du château des Maures, et pour la restitution des cinq provinces situées au-delà du Tigre. Sapor goûta pleinement la gloire et les fruits de sa victoire, et cette paix ignominieuse a été regardée, avec raison, comme une époque mémorable dans la décadence et la chute de l’empire romain. Les prédécesseurs de Jovien avaient quelquefois renoncé à des provinces éloignées et peu utiles ; mais depuis la fondation de Rome, le génie de cette ville, le dieu Terme, qui gardait les bornes de la république, n’avait jamais reculé devant le glaive d’un ennemi victorieux[127].

Lorsque Jovien eut rempli ce traité, que les cris de son peuple auraient pu lui donner le désir d’enfreindre, il s’éloigna de la scène de son déshonneur, et alla avec toute sa cour jouir des plaisirs d’Antioche[128]. Il n’écouta point les inspirations du fanatisme religieux, et l’humanité ainsi que la reconnaissance l’engagèrent à rendre les derniers honneurs à son souverain[129] ; mais, sous le prétexte de charger des funérailles Procope, qui déplorait de bonne foi la mort de l’empereur, on lui ôta le commandement de l’armée. Le corps de Julien fut transporté de Nisibis à Tarse. Le convoi, qui marchait lentement, employa quinze jours à faire ce chemin ; et, lorsqu’il traversa les villes de l’Orient, les diverses factions l’accueillirent ou par des cris de douleur, ou par des outrages. Les païens plaçaient déjà leur héros bien-aimé au rang de ces dieux dont il avait rétabli le culte ; tandis que les chrétiens précipitaient son âme aux enfers et poursuivaient son corps jusque dans la tombe[130]. Un parti déplorait la ruine prochaine du paganisme, et l’autre célébrait la délivrance miraculeuse de l’Église. Les chrétiens applaudissaient en termes pompeux et ambigus à la vengeance céleste suspendue si longtemps sur la tête coupable de Julien. Ils affirmaient qu’au moment où le tyran expira au-delà du Tigre, sa mort fut révélée aux saints de l’Égypte, de la Syrie et de la Cappadoce[131] ; et, au lieu de convenir qu’il avait perdu la vie par le dard d’un Persan, leur indiscrétion attribuait ce grand exploit à la main cachée de quelque champion mortel ou immortel de la foi[132]. La malveillance ou la crédulité de leurs adversaires adoptèrent avidement cette imprudente déclaration[133]. Ceux-ci insinuèrent secrètement ou assurèrent avec confiance que les chefs de l’Église avaient excité ou dirigé la main d’un assassin domestique[134]. Seize ans après la mort de Julien, cette accusation fut renouvelée avec appareil et avec véhémence par Libanius, dans un discours public adressé à, l’empereur Théodose. Le sophiste d’Antioche ne cite point de faits ; il ne donne pas de bonnes raisons, et on ne peut estimer que son zèle généreux pour les cendres refroidies d’un ami qu’on oubliait[135].

D’après un ancien usage, dans les cérémonies des funérailles et du triomphe des Romains, la voix de la satire et du ridicule venait modifier celle de la louange. Au milieu de ces pompes éclatantes qui étalaient la gloire des vivants ou celle des morts, on dévoilait leurs imperfections à l’univers[136]. C’est ce qu’on vit à l’enterrement de Julien. Les comédiens, se souvenant de son aversion et de son mépris pour le théâtre, représentèrent et exagérèrent, avec l’applaudissement des chrétiens, les fautes et les bizarreries du défunt empereur. Les inconséquences de soit caractère et la singularité de ses manières ouvrirent un vaste champ à la plaisanterie et au ridicule[137]. Dans l’exercice de ses talents extraordinaires, il avait souvent dégradé la majesté de la pourpre. Alexandre s’était transformé en Diogène, et le philosophe s’était abaissé aux emplois d’un prêtre. Son excessive vanité avait nui à la pureté de ses vertus ; ses superstitions avaient troublé la paix et compromis la sûreté d’un vaste empire ; et ses saillies irrégulières avaient d’autant moins de droits à l’indulgence, qu’on y voyait les laborieux efforts de l’art et même ceux de l’affectation. Son corps fut enterré à Tarse en Cilicie ; mais le vaste tombeau qu’on lui éleva sur les bords du froid et limpide Cydnus[138] ne satisfit pas les fidèles amis que cet homme extraordinaire laissait si pénétrés d’amour et de respect pour sa mémoire. Le philosophe témoignait le désir bien raisonnable de voir le disciple de Platon reposer au milieu des bocages de l’académie[139] ; et le guerrier s’écriait avec hardiesse qu’on devait placer les cendres de Julien à côté de celles de César, dans le Champ-de-Mars, et parmi les anciens monuments de la valeur romaine[140]. Il est rare que l’histoire des princes donne lieu à de semblables discussions.

 

 

 



[1] Cette fable, ou cette satire se trouve dans l’édition de Leipzig des Œuvres de Julien, p. 306-336. La traduction française du savant Ézéchiel Spanheim (Paris, 1683) est d’un style lâche et sans élégance, mais elle est exacte ; il a tellement accumulé les preuves, les notes, les éclaircissements, etc., qu’ils forment cinq cent cinquante-sept pages in-4° d’un petit caractère. L’abbé de La Bletterie (Vie de Jovien, t. I, p. 241-393) a exprimé d’une manière plus heureuse l’esprit et le sens de l’original, qu’il éclaircit par des notes brèves et curieuses.

[2] Spanheim (dans sa préface) a discuté, d’une manière savante, l’étymologie, l’origine, le rapport et la différence des satires grecques, espèce de drames qu’on jouait après la tragédie, et des satires latines (du mot satura), espèce de mélanges qu’on écrivait eu vers ou en prose. Mais les Césars de Julien ont un caractère si original, qu’il ne sait dans quelle classe il faut les ranger.

[3] Ce caractère mixte de Silène est très bien peint dans la sixième églogue de Virgile.

[4] Le lecteur impartial doit remarquer et condamner la partialité de Julien contre son oncle Constantin et contre la religion chrétienne. Les commentateurs ont été forcés, dans cette occasion, de démentir, pour un intérêt plus sacré, la fidélité jurée à l’auteur qu’ils commentent, et d’abandonner sa cause.

[5] Julien avait une disposition secrète à préférer les Grecs aux Romains ; mais, lorsqu’il rapprochait sérieusement un héros d’un philosophe, il sentait que le genre humain doit plus à Socrate qu’à Alexandre. Orat. ad Themist., page 264.

[6] Inde nationibus indicis certatim cum donis optimates mittentibus..... ab usque Divis et SERENDIVIS. (Ammien, XX, 7.) Cette île, qu’on a successivement appelée Taprobane, Serendib et Ceylan, prouve combien les Romains connaissaient peu les mers et les terres situées à l’est du cap Comorin. 1° Sous le règne de Claude, un affranchi qui tenait à ferme les douanes de la mer Rouge, fut jeté par les vents, sur cette côte inconnue ; il passa six mois avec les naturels du pays, et il persuada au roi de Ceylan, qui entendait parler pour la première fois de la puissance et de la justice, de Rouge, d’envoyer une ambassade à l’empereur. (Pline, Hist. nat., VI, 24.) 2° Les géographes (et Ptolémée lui-même) ont donné quinze fois trop d’étendue à ce nouveau inonde, qu’ils prolongeaient jusqu’à l’équateur et aux environs de la Chine.

[7] Ces ambassades avaient été envoyées à Constance. Ammien, qui tombe sans s’en apercevoir dans une grossière flatterie, paraît avoir oublié la longueur du chemin et la brièveté du règne de Julien.

[8] Gothos sæpé failaces et perfidos ; postes quærere se meliores aiebat : illis enim sufficere mercatores Galatas perquos ubique sine conditionis discrimine venundantur. En moins de quinze ans, ces esclaves goths menacèrent et subjuguèrent leurs maîtres.

[9] Dans la satire des Césars (p. 324), Alexandre rappelle à César, son rival, qui atténuait la gloire et le mérite d’une victoire sur des Asiatiques, que Crassus et Antoine avaient senti les traits des Persans, et que les Romains, après une guerre de trois siècles, n’avaient pu parvenir encore à subjuguer la seule province de Mésopotamie ou d’Assyrie.

[10] Ammien (XXII, 7, 12), Liban. (Orat. parent., c. 79, 80, p. 305, 306), Zozime (l. III, p. 1513), et Socrate (l. III, c. 19), indiquent le plan de la guerre de Perse.

[11] La satire de Julien et les Homélies de saint Chrysostome offrent le même tableau des mœurs d’Antioche. La miniature que l’abbé de La Bletterie en a tirée (Vie de Julien, p. 332) a de la précision et de l’exactitude.

[12] Laodicée leur fournissait des conducteurs de chars ; Tyr et Béryte, des comédiens ; Césarée, des pantomimes ; Héliopolis, des chanteurs ; Gaza, des gladiateurs ; Ascalon, des lutteurs, et Castabala, des danseurs de corde. Voyez l’Expositio totius Mundi, p. 6, dans le troisième tome des Geographi minores de Hudson.

[13] Χριστον δε αγαπωντες εχετε πολιουχον αντι του Διος. Le peuple d’Antioche professait ingénieusement son attachement au χ chi. (Christ) et au κ kappa (Constance). Julien, Misopogon, p. 357.

[14] Le schisme d’Antioche, qui dura quatre-vingt-cinq ans, fut excité par l’indiscrète ordination de Paulin pendant le séjour de Julien dans cette ville (A. D. 330-415). Voyez Tillemont, Mém. ecclés., t. VII, p. 803, édit. in-4°, Paris, 1701, que je citerai désormais.

[15] Julien dit qu’avec une pièce d’or on achetait cinq, dix et quinze modii de blé, selon les divers degrés de l’abondance et de la disette (Misopogon, p. 369). D’après ce fait, et quelques autres pareils, je pense que sous les successeurs de Constantin, le prix ordinaire des grains était d’environ trente-deux schellings le quarter anglais, c’est-à-dire, qu’il était égal au prix troyen des soixante-quatre premières années de ce siècle. Voyez les Tables des monnaies, des poids et des mesures d’Arbuthnot, p. 88, 89 ; Mém. de l’Acad. des Inscript., t. XXVIII, p. 718-721 ; les Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, par Smith, vol. I, p. 246 de l’original ; livre que je suis fier de citer comme le livre d’un sage et de l’un de mes amis.

[16] Nunquam a proposito declinabat, Galli similis fratris licet incruentus. (Ammien, XXII, 14.) Il ne faut pas juger avec trop de rigueur l’ignorance où se trouvent réduits les princes même les plus éclairés ; mais la manière dont Julien s’est défendu lui-même (in Misopogon, p. 368, 369, ou son Apologie, faite avec soin par Libanius, Orat. parental., c. 87, p. 321), ne sont nullement satisfaisantes.

[17] Libanius ne dit qu’un mot en passant, sur l’emprisonnement de peu de durée et peu rigoureux que l’on fit subir au sénat. Orat. parent., c. 98, p. 322, 323.

[18] Libanius (ad Antiochenos, de imperatoris ira, c. 17, 18, 19, in Fabric., Bibl. græca, t. VII, p. 221-223), comme un habile avocat, critique avec sévérité la sottise du peuple, qui porta la peine du crime d’un petit nombre d’ivrognes obscurs.

[19] Libanius (ad Antiochen., c. 7, p. 213) rappelle à Antioche la punition récente de Césarée ; et Julien lui-même (in Misopogon, p. 355) laisse entrevoir comment Tarente expia l’insulte faite aux ambassadeurs romains.

[20] Voyez sur le Misopogon, Ammien, XXII, 14 ; Libanius, Orat. parent., c. 99, page 323 ; Grégoire de Nazianze, Orat. 4, p. 133 ; et la Chronique d’Antioche, par Jean Malalas, t. II, p. 15, 16. Je dois beaucoup à la traduction et aux notes de l’abbé de La Bletterie (Vie de Jovien, t. II, p. 1-138).

[21] Ammien remarque avec beaucoup de justesse, que, coactus dissimulare pro tempore, ira sufflabatur interna. La pénible ironie de Julien finit par des invectives sérieuses et directes.

[22] Ipse autem Antiochiam egressurus, Heliopoliten quemdam Alexandrum Syriacæ jurisdictioni prœfecit, turbulentum et sœvum ; dicebatque non illum meruisse, sed Antiochensibus avaris et contumeliosis hujusmodi judicem convenire. Ammien, XXIII, 2. Libanius (Epist. 722, p. 346, 347), qui avoue à Julien lui-même qu’il avait partagé le mécontentement général, prétend toutefois qu’Alexandre fut un réformateur inutile, mais un peu sévère, des mœurs et de la religion d’Antioche.

[23] Julien, in Misopogon, p. 364 ; Ammien, XXIII, 2 ; et Valois, ad loc. Libanius, dans un discours qu’il lui adresse sur ce sujet, l’engage à retourner dans Antioche fidèle et repentante.

[24] Libanius, Orat. parent., c. 7, p. 230, 231.

[25] Eunape dit que Libanius ne voulut point accepter le titre honoraire de préfet du prétoire, qui lui parut moins illustre que celui de sophiste. (In Vit. Sophist.) Les critiques ont remarqué le même sentiment dans une des épîtres de Libanius lui-même, XVIII, édit. de Wolf.

[26] Il nous reste environ deux mille de ses lettres, genre d’ouvrage où Libanius avait l’a réputation d’exceller : elles ont été publiées. Les critiques donnent des éloges à leur élégante concision ; cependant le docteur Bentley (Dissertation sur Phalaris, p. 487) observe, peut-être avec raison, quoique avec affectation, qu’en lisant ces lettres inanimées, et vides de choses, on s’aperçoit bien que l’on converse avec un pédant qui rêve, le coude appuyé sur son bureau.

[27] On fixe à l’année 314 l’époque de sa naissance. Il parle de la soixante-seizième année de son âge (A. D. 390), et semble faire allusion à des événements postérieurs.

[28] Libanius a écrit l’histoire minutieuse et prolixe, mais curieuse, de sa vie (t. II, p. 1-84, édit. Morel) ; et Eunape (p. 130-135) nous a laissé sur ce point des détails concis et peu favorables. Parmi les modernes, Tillemont (Hist. des Emp., t. IV, p. 571-576), Fabricius (Bibliot. grec., t. VII, p. 378, 414), et Lardner (Heathen Testimonies, t. IV, 127 - 163), ont jeté du jour sur le caractère et les écrits de ce fameux sophiste.

[29] D’Antioche à Litarbe, sur le territoire de Chalcis, le chemin pratiqué à travers des collines et des marais était très mauvais, et les pierres mal affermies de la voie ne tenaient l’une à l’autre que par du sable (Julien, Epit. 27). Il est assez singulier que les Romains aient négligé la grande communication d’Antioche à l’Euphrate. Voyez Wesseling, Itinerar., p. 190 ; Bergier, Hist. des grands chemins, t. II, p. 100.

[30] Julien fait allusion à cet incident (Epist. 27), et Théodoret (l. III, c. 22) le raconte plus clairement. Tillemont (Hist. des Empereurs, t. IV, p. 534), et même La Bletterie (Vie de Julien, p. 413), donnent des éloges à l’intolérance du père.

[31] Voyez le Traité curieux de Dea Syria, inséré parmi les ouvrages de Lucien (t. III, p. 451-490, édit. Reitz). La singulière dénomination de Ninus Vetus (Ammien, XIV, 8) peut faire soupçonner qu’Hiérapolis avait été la résidence des rois d’Assyrie.

[32] Julien (Epist. 28) note avec exactitude tous les présages heureux ; mais il supprime les présages défavorables, qu’Ammien (XXIII, 2) a grand soin de rappeler.

[33] Julien, Épître XXVII, p. 399-402.

[34] Je m’empresse de déclarer que je dois beaucoup à la Géographie de l’Euphrate et du Tigre, que vient de publier M. d’Anville (Paris, 1780, in-4°) et qui jette un grand jour sur l’expédition de Julien.

[35] On peut passer l’Euphrate en trois endroits situés à quelques milles l’un de l’autre : 1° Zeugma, célèbre chez les anciens ; 2° Bir, fréquenté par les modernes ; 3° le pont de Menbigz ou d’Hiérapolis, qui se trouve à quatre parasanges de la ville.

[36] Haran ou Carrhes fut jadis la résidence des Sabéens et d’Abraham. Voyez l’Index geographicus de Schultens (ad Calcem vit. Saladin.), ouvrage dont j’ai tiré beaucoup de lumières empruntées aux Orientaux sur la géographie ancienne et moderne de la Syrie et des contrées voisines.

[37] Voyez Xénophon, Cyropédie, l. III, p. 189, édit. de Hutch. Artavasdes put fournir à Marc-Antoine seize mille cavaliers armés et disciplinés à la manière des Parthes. Plutarque, Vie de Marc-Antoine.

[38] Moïse de Chorène (Hist. Armeniac., l. III, c. 2, p. 242) dit qu’il monta sur le trône (A. D. 354) la dix-septième année du règne de Constance.

[39] Ammien, XX, 11. Saint Athanase (t. I, p. 856) dit en termes généraux que Constance lui donna la veuve de son frère, ‘τοις Βαρβαροις, expression qui convenait plus à un Romain qu’à un chrétien.

[40] Ammien (XXIII, 2) emploie l’expression beaucoup trop douce de monuerat. Muratori (Fabricius, Bibl. græc., t. 7, p. 86) a publié une épître de Julien au satrape Arsace : cette épître est d’un style violent et grossier ; et, quoiqu’elle ait trompé Sozomène (l. VI, c. 5), elle ne paraît pas authentique. La Bletterie (Hist. de Jovien, t. II, p. 339) la traduit et la rejette.

[41] Latissimum flumen Euphratem artabat. (Ammien, XXIII, 3.) Un peu plus haut, aux gués de Thapsacus, la largeur de la rivière est de quatre stades ou huit cents verges, c’est-à-dire d’environ un demi-mille d’Angleterre. (Xénophon, Retraite des dix mille, l. I, p. 41, édit. de Hutchinson, avec les observations de Forster, p. 29, etc., dans le second volume de la traduction de Spelman.) Si la largeur de l’Euphrate à Bir et à Zeugma n’est pas de plus de cent trente verges (Voyages de Niebuhr, t. II, p. 335), cette différence énorme doit venir surtout de la profondeur du canal.

[42] Monumentum tutissimum et fabre politum, cujus mœnia Abora (les Orientaux aspirent la première lettre de Chaboras ou Chabour), et Euphrates ambiunt flumina, velut spatium insulare fingentes. Ammien, XXIII, 5.

[43] Julien lui-même (Epist. 27) décrit son entreprise et son armement. Yoyez aussi Ammien Marcellin, XXIII, 3, 4, 5 ; Libanius, Orat. parental., c. 108, 109, p. 332, 333 ; Zozime, l. III, p. 160, 161, 162 ; Sozomène, l. VI, c. 1 ; et Jean Malalas, t. 2, p. 17.

[44] Ammien, avant de conduire son héros sur le territoire de Perse, décrit (XXIII, 6, p. 396-419, édit. Gronov., in-4°) les dix-huit grandes satrapies ou provinces (jusqu’aux frontières de la Sérique ou de la Chine) qui étaient soumises aux Sassanides.

[45] Ammien (XXIV, 1) et Zozime (l. III, p. 162, 163) ont décrit la marche avec exactitude.

[46] Zozime (l. II, p. 100-102) et Tillemont (Hist. des Empereurs, tome IV, page 198) racontent les aventures d’Hormisdas, et y mêlent quelques fables. Il est à peu près impossible qu’il fût le frère (frater germanus) d’un prince son aîné, et posthume. Je ne me rappelle pas non plus qu’Ammien lui donne jamais ce titre.

[47] Voyez le premier livre de la Retraite des dix mille, p. 45, 46. Cet ouvrage plein d’agrément est authentique ; mais la mémoire de Xénophon, qui écrivait peut-être longtemps après l’expédition, l’a trahi quelquefois, et ni le militaire ni le géographe ne peuvent admettre l’étendue de ses distances.

[48] M. Spelman, qui a traduit en anglais la Retraite des dix mille, confond (vol. I, p. 51) la gazelle avec le chevreuil, et l’onagre avec le zèbre.

[49] Voyez les Voyages de Tavernier, part. I, l. III, p. 316, et surtout les Viaggi di Pietro della Malle, t. I, lettr. 17, p. 671, etc. Il ignorait l’ancien nom et l’ancien état de Hannah. Il est rare que nos voyageurs aient cherché à s’instruire d’avance sur les pays qu’ils vont parcourir. Shaw et Tournefort méritent une exception, qui leur fait honneur.

[50] Famosi nominis latro, dit Ammien, et c’est un grand éloge pour un Arabe. La tribu de Gassan était établie sur les confins de la Syrie ; elle donna des lois à Dumas, sous une dynastie de trente et un rois ou émirs, depuis le temps de Pompée jusqu’à celui du calife Omar. (D’Herbelot, Bibliothèque orientale, page 360 ; Pococke, Specimen Hist. Arab., p. 75-78.) Le nom de Rodosaces ne se trouve pas dans la liste.

[51] Voyez Ammien, XXIV, 1,2 ; Libanius, Orat. parent., c. 110, 111, p. 334 ; Zozime, l. III, p. 164-168.

[52] La description de l’Assyrie est tirée d’Hérodote (l. I, c. 192, etc.), qui écrit quelquefois pour les enfants, et quelquefois pour les philosophes ; de Strabon, l. XVI, p. 1070-1082 ; et d’Ammien, l. XXIII, c. 6. Les plus utiles des voyageurs modernes sont Tavernier, part. I, l. II, p. 226-258 ; Otter, t. il, p. 35-69 et 189-221 ; et Niebuhr, t. II, p. 172-288. Mais je regrette beaucoup qu’on n’ait pas traduit l’Irak Arabi d’Abulféda.

[53] Ammien observe que l’ancienne Assyrie, qui comprenait Ninus (Niniveh) et Arbèle, avait pris la dénomination plus récente d’Adiabène ; et il paraît indiquer Teredon, Vologesia et Apollonia, comme les dernières villes de la province d’Assyrie, telle qu’elle était de son temps.

[54] Les deux fleuves se réunissent à Apamée ou Corna, à cent milles du golfe de Perse, où ils ne forment plus que le large courant du Pasitigris ou Schat-ul-Arab. L’Euphrate arrivait autrefois à la mer par un canal séparé, que les citoyens d’Orchoé obstruèrent et détournèrent environ vingt milles au sud de la moderne Basra. D’Anville, Mém. de l’Académ. des Inscript., t. XXX, p. 170-191.

[55] Le savant Kœmpfer a traité à fond, comme botaniste, comme antiquaire et comme voyageur, tout ce qui regarde les palmiers. Amœnitat. Exoticæ, Fascicul. IV, p. 660-767.

[56] L’Assyrie payait chaque jour au satrape de Perse une artaba d’argent. La proportion bien connue des poids et des mesures (voyez les laborieuses recherches de l’évêque Hooper), la pesanteur spécifique de l’or et de l’argent et la valeur de ce métal, donneront, après un calcul peu difficile, le revenu annuel que j’ai indiqué. Cependant le grand roi ne tirait pas de l’Assyrie plus de mille talents d’Eubée ou de Tyr (deux cent cinquante mille liv. st.). La comparaison de deux passages d’Hérodote (l. I, c. 192 ; l. III, c. 89-96) fait voir une différence importante entre le produit brut et le produit net du revenu de la Perse, entre les sommes payées par la province, et l’or et l’argent qui arrivaient au trésor royal. Le monarque pouvait retirer chaque année trois millions six cent raille livres sterling des dix-sept ou dix-huit millions qu’il levait sur son peuple.

[57] Les opérations de la guerre d’Assyrie sont racontées en détail par Ammien (XXIV, 2, 3, 4, 5) ; par Libanius (Orat. parent., c. 112-123, p. 335-347) ; par Zozime (l. III, p. 168-180), et par saint Grégoire de Nazianze (Orat. 4, p. 113-144). Tillemont, son fidèle esclave, copie dévotement les critiques du saint sur des points de l’art de la guerre.

[58] Libanius, de ulciscenda Juliani Nece, c. 13, p. 162.

[59] Les traits fameux qu’on cite de la continence de Cyrus, d’Alexandre et de Scipion, étaient des actes de justice : celle de Julien fut volontaire, et, dans son opinion, méritoire.

[60] Salluste (ap. vet. Schol. Juven. satir. I, 104) observe que nihit corruptius moribus. Les matrones et les vierges de Babylone étaient mêlées sans pudeur avec les hommes dans des festins licencieux ; à mesure qu’elles éprouvaient l’ivresse du vin et de l’amour, elles se délivraient successivement et presqu’en entier de la gène de leurs vêtements. Ad ultimum ima corporum velamenta projiciunt. Quinte-Curce, V, 1.

[61] Ex virginibus autem, quæ speciosæ sunt captæ, et in Perside, ubi fœminarum pulchritudo excellit, nec contrectare aliquam voluit, nec videre. (Ammien, XXIV, 4.) La race des Persans est petite et laide ; mais le mélange continuel du sang de Circassie l’a embellie. Hérodote, l. III, c. 97 ; Buffon, Hist. natur., t. III, p. 420.

[62] Obsidionalibus coronis donati. (Ammien, XXIV, 4.) Julien, ou son historien, était un mauvais antiquaire. Il fallait dire des couronnes murales. On donnait la couronne obsidionale au général qui avait délivré une ville assiégée. Aulu-Gelle, Nuits attiques, V, 6.

[63] Ce discours me parait authentique. Ammien a pu l’entendre, il a pu le copier, et il était incapable de l’imaginer. Je me suis permis quelques libertés, et je l’ai terminé par la phrase la plus énergique.

[64] Ammien, XXIV, 3 ; Liban., Orat. par., c. 122, p. 346.

[65] M. d’Anville (Mém. de l’Acad. des Inscript., t. XXVIII, p. 246-259) a déterminé la position de Babylone, de Séleucie, de Ctésiphon, de Bagdad, etc., et leurs distances respectives. Pietro della Valle est celui qui semble avoir examiné cette fameuse province avec le plus de soin. C’est un homme du monde et un homme instruit ; mais il a une vanité et une prolixité insupportables.

[66] Le canal royal (Nahar-Malcha) a pu être réparé, changé, partagé, etc., à différentes époques (Cellarius, Geograph. Antiquit., t. II, p. 453), et ces changements peuvent expliquer les contradictions qui paraissent se trouver dans les anciens auteurs. Au temps de Julien, il devait tomber dans l’Euphrate, au-dessous de Ctésiphon.

[67] Και μεγεθεσιν ελεφαντων, οις ισον εργον δια σταχυων ελθειν, και φαλαγγος. Rien n’est beau que le vrai. Cette maxime devrait être gravée sur le bureau de tous les rhéteurs.

[68] Libanius désigne comme l’auteur de ces remontrances celui des généraux qui avait le plus d’autorité. Je me suis permis de nommer Salluste. Ammien dit de tous les chefs : Quod acri metu territi duces concordi precatu fieri prohibera tentarent.

[69] Hinc imperator..... dit Ammien, ipse cum levis armaturœ auxiliis per prima postremaque discurrens, etc. ; mais si l’on en croit Zozime, qui d’ailleurs lui est favorable, il ne passa la rivière que deux jours après la bataille.

[70] Secundum Homericam dispositionem. Dans le quatrième livre de l’Iliade, on attribue la même disposition au sage Nestor ; et les vers d’Homère étaient toujours présents à l’esprit de Julien.

[71] Persas terrore subito miscuerunt, versisque agminibus totius gentis, apertas Ctesiphontis portas victor miles intrasset, ni major prædarum occasio fuisset, quam cura victoriæ. (Sextus Rufus, de Provinciis, c. 28.) Leur cupidité les disposa peut-être à écouter l’avis de Victor.

[72] Ammien (XXIV, 5, 6), Libanius (Orat. parentales, c. 124-128, p 347-353 ; saint Grégoire de Nazianze (Orat. 4, p. 115), Zozime (l. III, p. 181-183), et Sextus Rufus (de Provinciis, c. 28), décrivent les travaux du canal, le passage du Tigre, et la victoire de Julien.

[73] Les navires et l’armée formaient trois divisions : la première seulement avait passé durant la nuit. (Ammien, XXIV, 6.) Le παση δρυφορια, à qui Zozime fait passer le fleuve le troisième jour, était peut-être composé des protecteurs, parmi lesquels servaient l’historien Ammien, et Jovien, qui devint ensuite empereur, de quelques écoles de domestiques, et des Joviens et des Herculiens, qui faisaient souvent le service des gardes.

[74] Moïse de Chorène (Hist. Armen., l. III, c. 15, p. 146) rapporte une tradition nationale et une lettre supposée. Je n’y ai pris que le principal fait, qui est d’accord avec la vérité, avec la vraisemblance, et avec Libanius. (Orat. parent., c. 131, p. 355.)

[75] Civitas inexpugnabilis, facinus audax et importunum. (Ammien, XXIV, 7.) Eutrope, qui l’accompagna dans cette guerre, élude la difficulté qui se présente ici ; il se contente de dire : Assyriamque populatus, castra apud Ctesiphontem stativa aliquandiu habuit : remeansque victor, etc., X, 16. Zozime est artificieux ou ignorant, et Socrate inexact.

[76] Libanius, Orat. parent., c. 130, p. 354 ; c. 139, p. 361 ; Socrate, l. III, c. 21. L’historien ecclésiastique dit qu’on refusa la paix, d’après l’avis de Maximus. Un pareil avis était indigne d’un philosophe ; mais ce philosophe était aussi un magicien qui flattait les espérances et les passions de son maître.

[77] Le témoignage des deux abréviateurs (Sextus Rufus et Victor), les mots que laissent échapper Libanius (Orat. parent., c. 134, p. 557), et Ammien (XXIV, 7), semblent prouver l’artifice de ce nouveau Zopire. (Saint Grégoire de Nazianze, Orat. 4, p. 115, 116.) Une lacune qui se trouve dans le texte d’Ammien, interrompt ici bien mal à propos l’histoire authentique de Julien.

[78] Voyez Ammien, XXIV, 7 ; Libanius, Orat. parent., c. 132, 133, p. 356, 357 ; Zozime, l. III, p. 183 ; Zonare, t. II, l. XIII, p. 26 ; saint Grégoire de Nazianze, Orat. 4, p. 116 ; saint Augustin, de Civit. Dei, l. IV, c. 29 ; l. V, c. 21. De tous ces écrivains Libanius est le seul qui essaie faiblement de justifier son héros, lequel, selon Ammien, prononça lui-même sa condamnation, puisqu’il essaya trop tard et en vain d’éteindre les flammes.

[79] Consultez Hérodote, l. I, c. 194 ; Strabon, l. XVI, p. 1074 ; et Tavernier, part. I, l. II, p. 152.

[80] A celeritate Tigris incipit vocari, ita appellant Medi sagittam. Pline, Hist. nat., VI, 31.

[81] Tavernier (part. I, l. II, p. 226) et Thévenot (part. II, l. I, p. 193) parlent d’une digue qui produit une cascade ou cataracte artificielle. Les Perses et les Assyriens travaillaient à interrompre la navigation du fleuve. Strabon, l. XV, p. 1075 ; d’Anville, l’Euphrate et le Tigre, p. 98, 99.

[82] On peut se souvenir de la hardiesse heureuse et applaudie d’Agathocle et de Cortès, qui brûlèrent leurs flottes sur la côte d’Afrique et sur celle du Mexique.

[83] Voyez les réflexions judicieuses de l’auteur de l’Essai sur la tactique, t. II, p. 287-353 ; et les savantes remarques que fait M. Guichardt (Nouveaux Mémoires militaires, t. I, p. 351-382) sur le bagage et la subsistance des armées romaines.

[84] Les eaux du Tigre s’enflent au sud, et celles de l’Euphrate au nord des montagnes de l’Arménie. L’inondation du premier fleuve arrive au mois de mars, celle du second au mois de juillet. Une dissertation géographique de Forster, insérée dans l’expédition de Cyrus (éd. de Spelman, t. II, p. 26), explique très bien ces détails.

[85] Ammien (XXIV, 8) décrit les incommodités de l’inondation, de la chaleur et des insectes, qu’il avait éprouvées. Malgré la misère et l’ignorance du cultivateur, les terres de l’Assyrie, opprimées par les Turcs, et ravagées par les Kurdes ou les Arabes, donnent encore une récolte de dix, quinze et vingt pour un. Voyages de Niebuhr, tome II, p. 279-285.

[86] Isidore de Charax (Mansion Parthic., p. 5, 6, dans Hudson, Geograph. Min., tom. II) compte cent vingt-neuf schœni de Séleucie à Ecbatane ; et Thévenot (part. I, l. I, II, p. 209-245) donne cent vingt-huit heures de marche de Bagdad à la même ville. Le schœnus ne peut excéder une parasange ordinaire, ou trois milles romains.

[87] Ammien (XXIV, 7, 8), Libanius (Orat. parent., c. 134, p. 357) et Zozime (l. III, p. 183), racontent en détail, mais sans netteté, la retraite de Julien depuis les murs de Ctésiphon. Les deux derniers paraissent ignorer que leur conquérant se retirait ; et Libanius a l’absurdité de le supposer sur les bords du Tigre, lorsqu’il est environné par l’armée persane.

[88] Chardin, le plus judicieux des voyageurs modernes, décrit (t. III, p. 57, 58, édit. in-4°) l’éducation et la dextérité des cavaliers persans. Brisson (de Regno persico, p. 650, 661, etc.) a recueilli sur ce point les témoignages de l’antiquité.

[89] Lors de la retraite de Marc-Antoine, un chænix de blé se vendait cinquante drachmes, ou, en d’autres mots, une livre de farine coûtait douze ou quatorze schellings ; le pain d’orge s’échangeait contre son poids en argent. Il est impossible de lire les détails intéressants que donne Plutarque, sans remarquer que les mêmes ennemis et la même détresse poursuivirent Marc-Antoine et Julien.

[90] Ammien, XXIV, 8 ; XXV, 1 ; Zozime, l. III, p. 184, 185, 186 ; Libanius, Orat. parent., c. 134, 135, p. 357, 358, 359. Le sophiste d’Antioche paraît ignorer que la disette régnait parmi les troupes.

[91] Ammien, XXV, 2. Julien avait juré, dans un moment de colère, nunquam se Marti sacra facturum. Ces bizarres querelles étaient assez communes entre les dieux et leurs insolents adorateurs. Le sage Auguste lui-même, ayant vu sa flotte faire naufrage deux fois, ôta à Neptune les honneurs du culte public. Voyez les réflexions philosophiques de Hume sur ce sujet, Essays, vol. II, p. 418.

[92] Ils conservaient le monopole de la science vaine, mais lucrative, qu’on avait inventée en Étrurie ; ils faisaient profession de tirer leurs connaissances, les signes et les présages, des anciens livres de Tarquitius, l’un des sages de l’Étrurie.

[93] Clamabant hinc inde CANDIDATI (voyez la note de Valois) quos disjecerat terror, ut fugientium molem tanquam ruinam malè compositi culminis declinaret. (Ammien, XXV, 3.)

[94] Sapor déclara aux Romains que, pour consoler les familles des satrapes qui mouraient dans un combat, il était dans l’usage de leur envoyer en présent les têtes des gardes et des officiers qui n’avaient pas été tués à côté de leur maître. Libanius, de Nece Julian. ulciscend., c. 13 , p. 163.

[95] Le caractère et la position de Julien font soupçonner qu’il avait composé d’avance le discours travaillé qu’Ammien entendit, et qu’il a transcrit dans son ouvrage. La traduction de l’abbé de La Bletterie est fidèle et élégante (*). J’ai exprimé d’après lui la doctrine platonique des émanations, obscurément énoncée dans l’original.

(*) C’est celle que nous donnons ici.

[96] Hérodote (l. I, c. 31) a exposé cette doctrine dans un conte agréable. Mais Jupiter, qui (au seizième livre de l’Iliade) déplore avec des larmes de sang la mort de Sarpédon son fils, avait une idée très imparfaite du bonheur et de la gloire qu’on trouve au-delà du tombeau.

[97] Les soldats qui faisaient à l’armée leur testament verbal ou nuncupatif (in procinctu), étaient affranchis des formalités de la loi romaine. Voyez Heinece, Antiquit. jur. roman., t. I, p. 504 ; et Montesquieu, Esprit des Lois, l. XXVII.

[98] Cette union de l’âme humaine avec la substance éthérée et divine de l’univers est l’ancienne doctrine de Pythagore et de Platon ; mais elle paraît exclure toute immortalité personnelle et sentie. Voyez les observations savantes et judicieuses de Warburton sur ce point (Div. Leg., vol. II, p. 199-216).

[99] La mort de Julien est racontée par le judicieux Ammien (XXV, 3), qui en fut le spectateur. Libanius, qui détourne les yeux de cette scène, nous a pourtant fourni plusieurs détails. (Orat. parental., c. 136-140, p. 359-362.) On peut maintenant garder le silence du mépris sur les calomnies répandues dans les écrits de saint Grégoire, et dans les légendes de quelques saints venus après lui.

[100] Honoratior aliquis miles : ce fut peut-être Ammien lui-même. Cet historien modeste et judicieux décrit l’élection à laquelle il assista sûrement, XXV, 5.

[101] Le primus ou primicerius jouissait des mêmes dignités que les sénateurs, et quoiqu’il ne fût que tribun, il avait le rang des ducs militaires. (Cod. Theod., l. VI, tit. 24.), Au reste, ces privilèges sont peut-être postérieurs au règne de Jovien.

[102] Les historiens ecclésiastiques, Socrate (l. III, c. 22), Sozomène (l. VI, 3) et Théodoret (l. IV, c. 1), attribuent à Jovien le mérite d’un confesseur sous le règne précédent ; et leur piété va jusqu’à supposer qu’il n’accepta la pourpre que lorsque l’armée se fut écriée, d’une voix unanime, qu’elle était chrétienne. Ammien, qui continue tranquillement sa narration, renverse tout le récit de la légende par ces seuls mots : Hostiis pro Joviano extisque inspectis, pronunciatum est, etc., XXV, 6.

[103] Ammien (XXV, 10) fait un portrait de Jovien qui est impartial. Victor le jeune y a ajouté quelques traits remarquables. L’abbé de La Bletterie (Hist. de Jovien, t. I, p. 1-238) a publié une histoire très travaillée de ce règne si court. Cette histoire est remarquable par l’élégance du style, les recherches critiques et les préventions religieuses.

[104] Regius equitatus. Il parait, d’après Procope, que les Sassanides avaient rendu l’existence, s’il est permis de se servir d’une expression si impropre, à ce corps des immortels, si célèbre sous Cyrus et ses successeurs. Brisson, de Regno percico, p. 268, etc.

[105] On ignore aujourd’hui le nom des villages de l’intérieur du pays, et on ne peut dire à quel endroit fut tué Julien ; mais M. d’Anville a déterminé la position de Sumara, de Carche et de Dura, situées sur les bords du Tigre. (Voyez sa Géographie ancienne, t. II, p. 248, et l’Euphrate et le Tigre, p. 95, 97.) Au neuvième siècle, Sumère ou Sumara devint, avec un léger changement de nom, la résidence des califes de la maison d’Abbas.

[106] Dura était une ville fortifiée à l’époque des guerres d’Antiochus contre les rebelles de la Médie et de la Perse. (Polybe, V, c. 48, 52, p. 548-552, éd. de Casaubon, in-8°.)

[107] On proposa le même expédient lors de la retraite des dix mille ; mais leur chef eut la sagesse de le rejeter. (Xénophon, Retraite des dix mille, l. III, p. 255, 256, 257.) Il paraît, d’après les voyageurs modernes, que des radeaux, flottants sur des vessies, font le commerce et la navigation du Tigre.

[108] Ammien (XXV, 6), Libanius (Orat. parent., c. 146, p. 364) et Zozime (l. II, p. 189, 190, 191) racontent les premières opérations militaires du règne de Jovien. Quoiqu’on doive se défier de la bonne foi de Libanius, le témoignage d’Eutrope, témoin oculaire, uno a Persis atque altero prælio victus (X, 17), nous dispose à croire qu’Ammien s’est montré trop jaloux de l’honneur des armes romaines.

[109] La vanité nationale a fourni un misérable subterfuge à Sextus Rufus (de Provinciis, c. 29). Tanta reverentia nominis Romani fuit, dit-il, ut a Persis PRIMUS de pace sermo haberetur.

[110] Il y a de la présomption à combattre Ammien, qui entendait l’art de la guerre, et qui était de l’expédition. Mais il est difficile de concevoir comment les montagnes de Corduène pouvaient s’étendre sur la plaine d’Assyrie jusqu’au confluent du Tigre et du grand Zab, ou comment une armée de soixante mille hommes pouvait faire cent milles en quatre jours.

[111] On trouve les détails du traité de Dura dans Ammien (XXV, 7) qui en parle avec douleur et avec indignation ; dans Libanius (Orat. parent., c. 142, p. 364) ; dans Zozime (l. III, p. 190, 191) ; dans saint Grégoire de Nazianze (Orat. 4, p. 117, 118), qui attribue les fautes à Julien, et la délivrance à son successeur ; dans Eutrope (X, 17). Ce dernier écrivain, l’un des guerriers de l’armée, dit, en parlant de cette paix : necessariam quidem, sed ignobilem.

[112] Libanius, Orat. parent., c. 143, p. 364, 365.

[113] Conditionibus.... dispendiosis romana reipublicæ impositis.... quibus cupidior regni quam gloria Jovianus imperio rudis acquievit. Sextus Rufus, de Provinciis, c. 29. La Bletterie a développé dans un long discours ces considérations précieuses de l’intérêt public et de l’intérêt particulier. Hist. de Jovien, t. I, p. 39, etc.

[114] Les généraux grecs furent tués sur les bords du Zabate (Anabasis, liv. II, p. 156 ; liv. III, p. 226) ou grand Zab, rivière d’Assyrie, qui a quatre cents pieds de largeur, et qui tombe dans le Tigre à quatorze heures de marche au-dessous de Mosul. Les Grecs donnèrent au grand et au petit Zab les noms de loup (λυκος) et de chèvre (καπρος). Leur imagination se plut à placer ces animaux autour du Tigre de l’Orient.

[115] La Cyropédie est vague et languissante, la Retraite des dix mille est précise et animée. C’est la différence qu’il y aura toujours entre la fiction et la vérité.

[116] Selon Rufin, le traité stipula qu’on fournirait des vivres aux Romains ; et Théodoret assure que les Perses remplirent fidèlement cette condition. Ce fait n’a rien d’invraisemblable, mais il est incontestablement faux. Voyez Tillemont, Hist. des Emper., t. IV, p. 702.

[117] On peut rappeler ici quelques vers où Lucain (Pharsale, IV, 95) décrit une détresse semblable éprouvée en Espagne par l’armée de César :

Sauva, farces adorat

Miles eget : toto censu non prodiges emit

Eriguam Cererem. Prao lucri pallida tabes !

Non deest prolato jejunus venditor auro.

Voyez Guichardt (Nouveaux Mémoires militaires, t. I, p. 379-382.) Son analyse des deux campagnes d’Espagne et d’Afrique est le plus beau monument qu’on ait jamais élevé à la gloire de César.

[118] M. d’Anville (voyez ses Cartes, et l’Euphrate et le Tigre, p. 92, 93) trace leur marche et détermine la véritable position de Hatra, Ur et Thilsaphata, dont Ammien a fait mention. Il ne se plaint pas du samiel, ce vent mortel et brillant que Thévenot (Voyages, part. II, l. I, p. 192) redoute si fort.

[119] Ammien (XXV, 9), Libanius (Orat. parent., c. 143, p. 365) et Zozime (l. III, p. 194) décrivent la retraite de Jovien.

[120] Libanius, Orat. parent., c. 145, p. 366. Tels étaient les vœux et les espérances que devait naturellement former un rhéteur.

[121] Les habitants de Carrhes, ville dévouée au paganisme, enterrèrent sous un monceau de pierres le messager qui leur apporta cette nouvelle de funeste augure. (Zozime, l. III, p. 196.) Libanius, en l’apprenant, jeta les yeux sur son épée ; mais il se souvint que Platon condamne le suicide, et qu’il devait vivre pour composer le panégyrique de Julien. Libanius, de vita sua, t. II, p. 45, 46.

[122] On peut admettre Ammien et Eutrope comme des témoins sincères et dignes de foi, des propos et de l’opinion du public. Le peuple d’Antioche se répandit en invectives contre une paix ignominieuse, qui l’exposait aux coups des Persans sur une frontière sans défense. Excerpt. Valesian., p. 845, ex Johanne Antiocheno.

[123] Quoique l’abbé de La Bletterie soit un casuiste sévère, il a prononcé (Hist. de Jovien, t. I, p. 212-227) que Jovien n’était pas obligé de tenir sa promesse, puisqu’il ne pouvait ni démembrer l’empire, ni transférer à un autre, sans l’aveu de son peuple, le serment de fidélité que lui avaient prêté ses sujets : je n’ai jamais trouvé beaucoup de plaisir ni d’instruction dans toute cette métaphysique politique.

[124] Il le montra à Nisibis par une action vraiment royale. Un brave officier qui portait le même nom que lui, et qu’on avait cru digne de la pourpre, fut enlevé au milieu d’un souper, jeté dans un puits, et tué à coup de pierre, sans aucune forme de procès, et sans que rien prouvât qu’il était coupable. Ammien, XXV, 8.

[125] Ammien, XXV, 9 ; Zozime, l. III, p. 194, 195.

[126] Chron. pascal., p. 300. On peut consulter les Notitiæ ecclesiasticæ.

[127] Zozime, l. III, p. 192, r93 ; Sextus Rufus, de Provinciis, c. 29 ; saint Augustin, de Civit. Dei., l. IV, c. 29. Il ne faut admettre cette assertion générale qu’avec précaution.

[128] Ammien, XXV, 9 ; Zozime, l. III, p. 196. Il pouvait être edax, et vino Venerique indulgens ; mais je rejette avec La Bletterie (t. I, p. 148-154) le sot conte d’une orgie (apud Suidam) célébrée à Antioche par l’empereur, sa femme et une troupe de concubines.

[129] L’abbé de la Bletterie (t. I, p. 156-209) ne déguise point la brutalité du fanatisme de Baronius, qui aurait voulu jeter aux chiens le corps de l’empereur apostat. Ne cespititia quidem sepultura dignus.

[130] Comparez le sophiste et le saint (Libanius, Monod., t. II, p. 251, et Orat. parent., c. 145, p. 367 ; c. 156, p. 377 ; et saint Grégoire de Nazianze, Orat. 4, p. 125-132). L’orateur chrétien exhorte faiblement à la modestie et au pardon des injures ; mais il est bien convaincu que les souffrances de Julien excèdent de beaucoup les tourments fabuleux d’Ixion et de Tantale.

[131] Tillemont (Hist. des Emp., t. IV, p. 549) rapporte ces visions. On avait remarqué que quelque saint ou quelque ange s’était absenté cette nuit même pour une expédition secrète, etc.

[132] Sozomène (l. VI, 2) applaudit à la doctrine des Grecs sur le tyrannicide ; mais le président Cousin a prudemment supprimé le passage entier, qu’un jésuite n’aurait pas craint de traduire.

[133] Immédiatement après la mort de Julien, il se répandit un bruit sourd, telo cecidisse romano. Des déserteurs portèrent cette nouvelle au camp des Perses, et Sapor et ses sujets reprochèrent aux Romains d’avoir assassiné leur empereur. (Ammien, XXV, 6 ; Libanius, de ulciscenda Juliani Nece, c. 13, p. 162, 163.) On alléguait, comme une preuve décisive, qu’aucun Persan ne se présenta pour obtenir la récompense qu’avait promise le roi. (Libanius, Orat. parent., c. 141, p. 363.) Mais le cavalier qui, en fuyant, lança la funeste javeline, put ignorer le coup qu’elle avait porté ; peut-être qu’il fut ensuite tué lui-même dans le combat. Ammien ne paraît avoir aucun soupçon sur ce point.

[134] Ος τις εντολην πληρων τω σφων αρχοντι. Ces mots obscurs et équivoques peuvent avoir rapport à saint Athanase, qui se trouvait incontestablement, et sans rivaux, le premier des prêtres chrétiens. Libanius, de ulcisc. Jul. Nece, c. 5, p. 149 ; La Bletterie, Hist. de Jov., t. I, p.179.

[135] L’orateur Fabricius (Biblioth. græc., t. VII, p. 145-179) jette des soupçons, demande une enquête, et insinue qu’on pourra obtenir des preuves. Il attribue les succès des Huns au criminel oubli qui a laissé la mort de Julien sans vengeance.

[136] Aux funérailles de Vespasien, le comédien qui jouait le rôle de cet empereur économe, demanda avec inquiétude combien coûterait sa sépulture ; et lorsqu’on lui eut répondu quatre-vingt mille livres (centies) : Donnez-moi, dit-il, la dixième partie de cette somme, et jetez mon corps dans le Tibre. Suétone, in Vespasien, c. 19, avec les notes de Casaubon et de Gronovius.

[137] Saint Grégoire (Orat. 4, p. 119, 120) compare cette ignominie et ce ridicule prétendus, aux honneurs que reçut Constance au moment de ses funérailles, où un chœur d’anges chanta ses louanges sur le mont Taurus.

[138] Quinte-Curce, l. III, c. 4. On a souvent critiqué le luxe de ses descriptions ; ruais l’historien pouvait décrira une rivière dont les eaux avaient manqué d’être si funestes à Alexandre.

[139] Libanius, Orat. parental., c. 156, p. 377. Il convient cependant, avec reconnaissance, de la libéralité des deux frères du sang royal, qui décorèrent le tombeau de Julien. De ulcisc. Jul. Nece, c. 7, p. 152.

[140] Cujus suprema et cineres, si quis tunc justè consuleret, non Cydnus videre deberet, quamvis gratissimus amuis et liquidus : sed ad perpetuandam gloriam rectè factorum præterlambere Tiberis, intersecans urbem æternam, divorumque veterum monumenta prœstringens. Ammien, XXV, 10.