Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain

 

Chapitre XVIII

Caractère de Constantin. Guerre des Goths. Mort de Constantin. Partage de l’empire entre ses trois fils. Mort tragique de Constantin le jeune et de Constans. Usurpation de Magnence. Guerre civile ; victoire de Constance.

 

 

LE CARACTÈRE d’un prince qui déplaça le siège de l’empire, et qui introduisit de si importantes innovations dans la constitution civile et religieuse de son pays, a figé l’attention et partagé l’opinion de la postérité. La reconnaissance des chrétiens a décoré le libérateur de l’Église de tous les attributs d’un héros et même d’un saint. La haine d’un parti sacrifié a représenté Constantin comme le plus abominable des tyrans qui aient déshonoré la pourpre impériale par leurs vices et leur faiblesse. Les mêmes passions se sont perpétuées chez les générations suivantes ; et le caractère de cet empereur est encore aujourd’hui l’objet de l’admiration des uns et de la satire des autres. En rapprochant sans partialité, dans son caractère, les défauts qu’avouent ses plus zélés partisans, et les vertus que sont forcés de lui accorder ses plus implacables ennemis, nous pourrions peut-être nous flatter de tracer, un portrait de cet homme extraordinaire, tel que la candeur et la vérité de l’histoire pussent l’adopter sans rougir[1] ; mais en cherchant à fondre ensemble des couleurs, si contraires, et à allier des qualités si opposées, nous ne présenterions qu’une figure monstrueuse, et inexplicable, si nous ne prenions soin de l’exposer dans son vrai jour, en séparant attentivement  les diverses périodes de son règne.

La nature avait orné la personne et l’esprit Constantin de ses dons les plus précieux. Sa taille était haute, sa contenance majestueuse, son maintien gracieux. Il faisait admirer sa force et son activité dans tous les exercices qui conviennent à un homme ; et depuis sa plus tendre jeunesse, jusqu’à l’âge le plus avancé, il conserva la vigueur de son tempérament par la régularité de ses mœurs et par sa frugalité. Il aimait à se livrer aux charmes d’une conversation familière ; et quoiqu’il s’abandonnât, quelquefois à son penchant pour la raillerie, avec moins de réserve qu’il ne convenait à la dignité sévère de son rang, il gagnait le cœur de ceux qui l’approchaient, par sa courtoisie et par son urbanité. On l’accuse de peu de sincérité en amitié. Cependant il a prouvé en différentes occasions de sa vie qu’il n’était pas incapable d’un attachement vif et durable. Une éducation négligée ne l’empêcha pas d’estimer le savoir ; et les sciences, ainsi que les arts, reçurent quelques encouragements de sa munificence protectrice. Il était d’une activité infatigable dans les affaires ; et les facilités de son esprit étaient presque toujours employées soit à lire ou à méditer, soit à écrire, à donner audience aux ambassadeurs, et à recevoir les plaintes de ses sujets. Ceux qui se sont élevés le plus vivement contre sa conduite, ne peuvent nier qu’il ne conçût avec grandeur et qu’il n’exécutât avec patience les entreprises les plus difficiles ; sans être arrêté ni par les préjugés de l’éducation, ni par les clameurs de la multitude. À la guerre, il faisait des héros de tous ses soldats, en se montrant lui-même soldat intrépide et général expérimenté ; il dût moins à la fortune qu’à ses talents les victoires signalées qu’il remporta contre ses ennemis et contre ceux de l’État. Il cherchait la gloire comme la récompense, peut-être comme le motif de ses travaux. L’ambition démesurée qui, depuis l’instant où il fût revêtu de la pourpre à York, parut toujours être sa passion dominante, peut-être justifiée par le danger de sa situation, par le caractère de ses rivaux, par le sentiment de sa supériorité, et par l’espoir que ses succès le mettraient en état de rétablir l’ordre et la paix dans l’empire déchiré. Dans les guerres civiles contre Maxence et contre Licinius, il avait pour lui les vœux du peuple, qui comparaît les vices effrontés de ces tyrans à l’esprit de sagesse et de justice par lequel semblait être généralement dirigée l’administration de Constantin[2].

Telle est à peu près l’opinion que Constantin aurait pu laisser de lui à la postérité, s’il eût trouvé la mort sur les bords du Tibre ou dans les plaines, d’Andrinople. Mais la fin de sa vie, selon les expressions modérées et même indulgentes d’un auteur de son siècle, le dégrada du rang qu’il avait acquis parmi les plus respectables souverains de l’empire romain. Dans la vie d’Auguste, nous voyons le tyran de la république devenir par degrés le père de la patrie et du genre humain. Dans celle de Constantin, soit que la fortune eût corrompu, ou que la grandeur l’eût seulement dispensé d’une plus longue dissimulation, nous voyons le héros qui avait été longtemps l’idole de ses sujets et la terreur de ses ennemis, se changent en un monarque cruel et en un despote sans frein[3]. La paix générale qu’il maintint pendant les quatorze dernières années de son règne fut plutôt une période de fausse grandeur qu’un temps de véritable prospérité ; et sa vieillesse fût avilie par l’avarice et par la prodigalité, vices opposés, et qui cependant marchent quelquefois ensemble. Les trésors immenses trouvés dans les palais de Maxence et de Licinius furent follement prodigués ; et les différentes innovations qu’introduisit le conquérant multiplièrent les dépenses. Les bâtiments, les fêtes, la pompe, de la cour exigeaient des ressources puissantes et continuelles, et l’oppression du peuple était l’unique fonds qui pût fournir à la magnificence de l’empereur[4]. Ses indignes favoris, enrichis par son aveugle libéralité, usurpaient avec impunité le privilège de piller et d’insulter les citoyens[5]. Un relâchement secret, mais universel, se faisait sentir dans toutes les parties de l’administration ; et l’empereur lui même, toujours assuré de l’obéissance de ses sujets, perdait par degrés leur estime. L’affectation de parure, et les manières qu’il adopta vers la fin de sa vie ne servirent qu’à le dégrader dans l’opinion ; la magnificence asiatique adoptée par l’orgueil de Dioclétien prit, dans la personne de Constantin, un air de mollesse et d’afféterie. On le représente avec de faux cheveux de différentes couleurs, soigneusement arrangés par les coiffeurs les plus renommés de son temps. Il portait un diadème d’une forme nouvelle et plus coûteuse ; il se couvrait d’une profusion de perles, de pierres précieuses, de colliers et de bracelets ; il était revêtu d’une robe de soie flottante, et artistement brodée en fleurs d’or. Sous cet appareil, qu’on eût difficilement pardonné à la jeunesse extravagante d’Élagabale, nous chercherions en vain la sagesse d’un vieux monarque et la simplicité d’un vétéran romain[6]. Son âme corrompue par la fortune, ne s’élevait plus à ce sentiment de grandeur qui dédaigne le soupçon, et qui ose pardonner. Les maximes de l’odieuse politique qu’on apprend à l’école des tyrans, peuvent peut-être excuser la mort de Maximien et de Licinius ; mais le récit impartial des exécutions, ou plutôt des meurtres qui souillèrent les dernières années de Constantin, donnera au lecteur judicieux l’idée d’un prince qui sacrifiait sans peine à ses passions ou à ses intérêts les lois de la justice et les mouvements de la nature.

La fortune qui axait accompagné Constantin dans ses expéditions guerrières, le suivit dans le sein de sa famille et des jouissances de sa vie domestique. Ceux de ses prédécesseurs qui avaient eu le règne le plus long et le plus prospère, Auguste, Trajan et Dioclétien, n’avaient point laissé de postérité, et la fréquence des révolutions n’avait permis à aucune des familles impériales de s’étendre et de multiplier à l’ombre du diadème. Mais la race royale de Flavien, anoblie par Claude le Gothique, se perpétua pendant plusieurs générations, et Constantin lui-même tirait d’un père empereur son droit aux honneurs héréditaires qu’il transmit à ses enfants. Il avait été marié deux fois : Minervina, l’objet obscur mais légitime de son attachement pendant sa jeunesse[7], ne lui avait laissé qu’un fils, qui fut nommé Crispus. Il eut de Fausta, fille de Maximien, trois filles et trois fils, connus sous les noms analogues de Constantin, Constance et Constans. Les frères sans ambition du grand Constantin, Julius Constantius, Dalmatius et Annibalianus[8], possédèrent tranquillement tout ce que des particuliers pouvaient posséder de richesses et d’honneurs : le plus jeune des trois vécut ignoré et mourut sans postérité. Ses deux aînés épousèrent des filles de riches sénateurs, et multiplièrent les branches de la famille impériale. Gallus et Julien furent, par la suite, les plus illustres des enfants de Julius Constantius le Patricien. Les deux fils de Dalmatius, qui avait été décoré du vain titre de censeur, furent appelés Dalmatius et Annibalianus. Les deux sœurs de Constantin le Grand, Anastasia et Eutropia, furent mariées à Optatus et à Népotianus, sénateurs consulaires et de familles patriciennes. Sa troisième sœur, Constantia, fut remarquable par sa haute fortune et par les malheurs dont elle fut suivie. Elle resta veuve de Licinius ; elle en avait un fils, auquel, à force de prières, elle conserva quelque temps la vie, le titre de César, et un espoir précaire à la succession de son père. Outre les femmes et les alliers de la maison Flavienne, dix ou douze mâles auxquels l’usage des cours modernes donnerait le titre de princes du sang, semblaient destinés, par l’ordre de leur naissance, à hériter du trône de Constantin ou à en être l’appui ; mais en moins de trente ans, cette race nombreuse et fertile fut réduite à Constance et à Julien qui avaient seuls survécu à une suite de crimes et de calamités comparables à ce qu’ont offert aux poètes tragiques les races dévouées de Pélops et de Cadmus.

Crispus, le fils aîné de Constantin, et l’héritier présomptif de l’empire, est représenté par les écrivains exempts de partialité, comme un jeune prince aimable et accompli. Le soin de son éducation, ou du moins de ses études, avait été confié à Lactance, le plus éloquent des chrétiens. Un tel précepteur était bien propre à former le goût et à développer les vertus de son illustre disciple[9]. A l’âge de dix-sept ans, Crispus fut nommé César, et on lui confia le gouvernement des Gaules, où les invasions des Germains lui donnèrent de bonne heure les occasions de signaler ses talents militaires. Dans la guerre civile qui éclata bientôt après, le père et le fils partagèrent le commandement ; et j’ai déjà célébré dans cette histoire la valeur et l’intelligence que déploya Crispus en forçant le détroit de l’Hellespont, que défendait avec tant d’obstination la flotte supérieure de Licinius. Cette victoire navale contribua à déterminer l’événement de la guerre. Les joyeuses acclamations du peuple d’Orient unirent le nom de Crispus à celui de l’empereur. On proclamait hautement le bonheur du monde conquis et gouverné par un empereur doué de toutes les vertus, et par son fils, prince déjà illustre, le bien-aimé du ciel, et la vivante image des perfections de son père. La faveur publique, rarement attachée à la vieillesse, répandait tout son éclat sur la jeunesse de Crispus. Il méritait l’estime et gagnait les cœurs des courtisans, de l’armée et du peuple. Les peuples ne rendent hommage qu’avec répugnance au mérite du prince régnant ; la mesure en est connue ; la voix de la louange est couverte par l’injustice et les murmures des mécontents. Mais ils se plaisent à fonder sur les vertus naissantes de l’héritier de leur souverain des espérances illimitées de bonheur public et particulier[10].

Cette dangereuse popularité excita l’attention de Constantin. Comme père et comme empereur, il ne voulait point souffrir d’égal. Au lieu d’assurer la fidélité de son fils par les nobles liens de la confiance et de la reconnaissance, il résolut de prévenir ce qu’on pouvait avoir à craindre des mécontentements de son ambition. Crispus eût bientôt à se plaindre de ce que son frère, encore enfant, était envoyé, avec le titre de César, pour gouverner son département des Gaules[11], tandis que lui, Crispus, malgré son âge et ses services récents et signalés, au lieu de se voir élevé au rang d’Auguste, demeurait comme enchaîné à la cour de son père, et exposé, sans crédit et sans autorité, à toutes les calomnies dont il plaisait à ses ennemis de le noircir. Il est assez probable, que, dans ces circonstances difficiles, le jeune prince n’eut pas toujours la sagesse de veiller à sa conduite, de contenir son ressentiment, et on ne doit pas douter qu’il ne fût entouré d’un nombre de courtisans perfides ou indiscrets, témoins de l’imprudente chaleur de ses emportements, toujours occupés à l’enflammer, et peut-être instruits à le trahir. Un édit qui fut publié vers ce temps-là par Constantin annonce qu’il croyait, ou feignait de croire à une conspiration formée contre sa personne et son gouvernement. Il invite les délateurs de toutes les classes, en leur promettant des honneurs et des récompenses, à accuser sans exception les magistrats, les ministres, et jusqu’à ses plus intimes favoris, après avoir donné sa parole royale qu’il entendra lui-même les dépositions, et qu’il se chargera du soin de la vengeance, il finit, d’un ton qui laisse voir quelque crainte, par prier, l’Être suprême de protéger l’empereur, et de détourner les dangers qui menacent l’empire[12].

Ceux des délateurs, qui s’empressèrent d’obéir à cette invitation étaient trop initiés dans les mystères de la cour pour ne pas choisir les coupables parmi les créatures et les amis de Crispus. L’empereur tint religieusement la parole qu’il avait donnée d’en tirer une vengeance complète. Sa politique l’engagea cependant à conserver l’extérieur de la confiance et de l’amitié avec un fils qu’il commençait à regarder comme son plus dangereux ennemi. On frappa les médailles ordinaires ; elles exprimaient des voeux pour le règne long et prospère du jeune César[13]. Le peuple, étranger aux secrets du palais, admirait ses vertus et respectait son rang. On voit un poète exilé, qui sollicitait son rappel, invoquer avec une égale vénération la majesté du père et celle de son digne fils[14]. On était alors au moment de célébrer l’auguste cérémonie de la vingtième année du règne de Constantin, et l’empereur se transporta avec toute sa cour de Nicomédie à Rome, où l’on avait fait les plus superbes préparatifs pour sa réception. Tous les yeux, toutes les bouches affectaient d’exprimer le sentiment d’un bonheur général, et le voile de la dissimulation couvrit un moment les sombres projets d’une vengeance sanguinaire[15]. L’empereur, oubliant à la fois la tendresse d’un père et l’équité d’un juge, fit arrêter, au milieu de la fête, l’infortuné Crispus. L’information fût courte et secrète[16] ; et comme on jugea décent de dérober aux regards des Romains le spectacle de la mort du jeune prince on l’envoya, sous une forte garde, à Pole en Istrie, où, peu de temps après il perdit la vie ; selon les uns, par la main du bourreau, selon les autres, par l’opération moins violente du poison[17]. Licinius César, jeune prince, du plus aimable caractère, fut enveloppé dans la ruine de Crispus[18]. La sombre jalousie de Constantin ne fut émue ni des prières ni des larmes de sa sœur favorite, qui demanda grâce inutilement pour un fils à qui l’on ne pouvait reprocher d’autre crime que son rang. Sa malheureuse mère ne lui survécut pas longtemps. L’histoire de ces princes infortunés, la nature et la preuve de leur crime, les formalités de leur jugement, et le genre de leur mort, furent ensevelis dans la plus mystérieuse obscurité ; et l’évêque courtisan qui a célébré dans un ouvrage très travaillé les vertus et la piété de son héros, a eu soin de passer sous silence ces tragiques événements[19]. Un mépris si marqué pour l’opinion du genre humain, imprime une tache ineffaçable sur la mémoire de Constantin, et rappelle au souvenir la conduite opposée d’un des plus grands monarques de ce siècle. Le czar Pierre, revêtu de toute l’autorité du pouvoir despotique, crut devoir soumettre au jugement de la Russie, de l’Europe entière et de la postérité, les raisons qui l’avaient obligé à souscrire la condamnation d’un fils criminel, ou du moins indigne de lui[20].

L’innocence de Crispus était, si généralement reconnue, que les Grecs modernes, qui révèrent la mémoire de leur fondateur, sont forcés de pallier un parricide que les sentiments de la nature ne leur permettent pas d’excuser. Ils prétendent, qu’aussitôt que Constantin eut découvert la perfidie qui avait trompé sa crédulité, il instruisit le monde de son repentir et de ses remords ; qu’il porta le deuil, pendant quarante jours, durant lesquels il s’abstint du bain et de toutes les commodités de la vie ; et qu’enfin, pour servir d’instruction à la postérité, il fit élever une statue d’or qui représentait Crispus avec cette inscription : A mon fils que j’ai injustement condamné[21]. Ce conte moral et intéressant mériterait d’être soutenu par des autorités, plus respectables. Mais si nous consultons les écrivains plus anciens et plus véridiques ils nous apprendront que le repentir de Constantin ne s’est manifesté que par le meurtre et par la vengeance, et qu’il expia la mort d’un fils innocent par le supplice d’une épouse peut-être criminelle. Ils attribuent les malheurs de Crispus aux artifices de Fausta, sa belle-mère, dont la haine implacable, ou l’amour dédaigné, renouvela dans le palais de Constantin l’ancienne et tragique histoire de Phèdre et d’Hippolyte[22]. Comme la fille de Minos, la fille de Maximien accusa Crispus d’avoir voulu attenter à la chasteté de la femme de son père ; et elle obtint aisément du jaloux empereur une sentence de mort contre un jeune prince qu’elle regardait avec raison comme le plus formidable rival de ses enfants. Mais Hélène, la mère de Constantin, alors très âgée, déplora et vengea la mort prématurée de Crispus, son petit-fils. On découvrit bientôt, ou l’on prétendit avoir découvert que Fausta se livrait à une familiarité criminelle avec un esclave appartenant aux écuries impériales[23]. Sa condamnation et son supplice suivirent immédiatement l’accusation ; on l’étouffa dans un bain poussé à un degré de chaleur auquel il était impossible qu’elle résistât[24]. Le lecteur croira peut-être que le souvenir d’une union de vingt ans et l’honneur des héritiers du trône auraient pu adoucir en faveur de leur mère l’extrême rigueur de Constantin, et lui faire souffrir que sa criminelle épouse expiât sa faute dans la solitude d’une prison ; mais ce  serait une peine inutile que d’examiner l’équité de cet arrêt, quand le fait même est accompagné de circonstances si douteuses et si confuses que nous ne pouvons en affirmer la vérité. Les accusateurs et les défenseurs de Constantin ont également négligé deux passages remarquables de deux harangues prononcées sous le règne suivant. La première célèbre la beauté, la vertu et le bonheur de l’impératrice Fausta, fille, femme, sœur et mère de tant de princes ; la seconde assure en termes précis que la mère du jeune Constantin, qui fut tué trois ans après la mort de son père, vécut pour pleurer la perte de son fils[25]. Malgré le témoignage positif de différents auteurs, tant païens que chrétiens, on trouve encore quelques motifs de croire ou du moins de soupçonner que l’impératrice échappa à l’aveugle et soupçonneuse cruauté de son mari. Le meurtre d’un fils et d’un neveu ; le massacré d’un grand nombre d’amis respectables et peut-être innocents[26], qui furent enveloppés dans leur proscription, suffisent pour justifier le ressentiment du peuple romain, et les vers injurieux affichés à la porte du palais ; où l’on comparait les deux règnes fastueux et sanglants de Néron et de Constantin[27].

La mort de Crispus semblait ; assurer l’empire aux trois fils de Fausta, dont nous avons déjà parlé sous les noms de Constantin, de Constance et de Constans[28]. Ces jeunes princes furent successivement revêtus du titre de César ; et les dates de leurs promotions peuvent être fixées à la dixième, vingtième et trentième année du règne de leur père[29]. Quoique cette conduite tendit à multiplier les maîtres futurs du monde romain, la tendresse paternelle pourrait ici servir d’excuse ; mais il n’est pas aussi aisé d’expliquer les motifs de l’empereur, quand il exposa la tranquillité de ses peuples et la sûreté de ses propres enfants, par l’inutile élévation de ses neveux Dalmatius et Annibalianus. Le premier obtint le titre de César et l’égalité avec ses cousins ; et Constantin créa en faveur de l’autre la nouvelle et singulière dénomination de nobilissime[30], à laquelle il joignit la flatteuse distinction d’une robe tissu de pourpre et d’or. Parmi tous les princes de l’empire Annibalianus fût seul distingué par le titre de roi ; nom que les sujets de Tibère auraient détesté comme la plus cruelle insulte que pût leur faire subir le sacrilège caprice d’un tyran. L’usage de ce titre odieux sous le règne de Constantin, est un fait inexplicable et isolé, auquel on peut à peine ajouter foi, malgré les autorités réunies des médailles impériales et des écrivains contemporains[31].

Tout l’empire prenait le plus grand intérêt à l’éducation de cinq princes reconnus pour les successeurs de Constantin. On les prépara, par les exercices du corps, aux fatigués de la guerre, et aux devoirs d’une vie active. Ceux qui ont eu l’occasion de parler de l’éducation et des talents de Constance, le représentent comme très habile dans les arts gymnastiques du saut et de la course, très adroit à se servir d’un arc, à manier un cheval et toutes les armes d’usage pour  la cavalerie et pour l’infanterie[32]. On donna les mêmes soins, peut-être avec moins de succès, à la culture de l’esprit des autres fils et des neveux de Constantin[33]. Les plus célèbres professeurs de la foi chrétienne, de la philosophie grecque et de la jurisprudence romaine furent appelés par la libéralité de l’empereur, qui se réserva la tâche importante d’instruire les jeunes princes dans l’art de connaître et de gouverner les hommes.  Mais le génie de Constantin avait été formé par l’expérience et l’adversité. Le commerce familier d’une vie privée, les dangers auxquels il avait été longtemps exposé dans la cour de Galère, lui avaient appris à gouverner ses passions, à lutter contre celles de ses égaux, et à n’attendre sa sûreté présente et sa grandeur future que de sa prudence et de la fermeté de sa conduite. Les princes qui devaient lui, succéder avaient le désavantage d’être nés et élevés sous la pourpre impériale. Toujours environnés d’un cortége de flatteurs, ils passaient leur  jeunesse dans les jouissances du luxe et dans l’attente du trône ; et la dignité de leur rang nr leur permettait pas de descendre de cette situation élevée d’où les différents caractères des hommes semblent offrir un aspect égal et uniforme. L’indulgence de Constantin les admit, dès leur tendre jeunesse, à partager l’administration de l’empire ; et ils étudièrent l’art de régner aux dépens des peuples dont on leur donnait le gouvernement. Le jeune Constantin tenait sa cour dans des Gaules ; son frère Constance avait échangé cet ancien patrimoine de son père pour les  contrées plus riches mais moins guerrières de l’Orient. Dans la personne de Constans le troisième de ces princes l’Italie, l’Illyrie occidentale et l’Afrique, révéraient le représentant de Constantin le Grand. On plaça Dalmatius sur les frontières de la Gothie, à laquelle on joignait le gouvernement de la Thrace, de la Grèce et de la Macédoine : la ville de Césarée fut choisie pour la résidence d’Annibalianus, et les provinces de Pont, de la Cappadoce et de la petite Arménie, composèrent l’étendue de son nouveau royaume. Chacun de ces princes eut un revenu fixe et convenable, un nombre de gardes, de légions et d’auxiliaires proportionné à ce qu’exigeaient leur dignité et la défense de leur département. Constantin leur avait donné pour ministres et pour généraux des hommes sur la fidélité desquels il pouvait compter, et qu’il connaissait capables d’aider et même de surveiller ces jeunes souverains dans l’exercice de l’autorité qui leur était confiée. Il en augmentait insensiblement l’étendue, en proportion de leur âge et de leur expérience. Mais il se réservait à lui seul le titre d’Auguste ; et tandis qu’il montrait les Césars aux armées et aux provinces, il maintenait également toutes les parties de l’empire, dans l’obéissance uniforme qu’elles devaient à leur chef suprême[34]. La tranquillité des quatorze dernières années de son règne fut a peine interrompue par la méprisable révolte d’un conducteur de chameaux de l’île de Chypre[35], et la part active que la politique de Constantin l’engagea à prendre dans la guerre des Goths et des Sarmates.

Parmi les diverses branches de la race humaine, les Sarmates semblent former une  espèce particulière, qui réuni les mœurs et les usages des Barbares de l’Asie à la figure et à la couleur des anciens habitants de l’Europe[36]. Selon les différentes conjectures de la paix ou de la guerre ; des alliances ou des conquêtes, les Sarmates étaient resserrés sur les bords du Tanaïs, ou s’étendaient sur les immenses plaines qui séparent la Vistule du Volga[37]. Le soin de leurs nombreux troupeaux, la chasse et la guerre, ou plutôt le brigandage, dirigeaient leurs courses vagabondes. Les camps ou les villes ambulantes qui servaient de retraite à leurs femmes et à leurs enfants, n’étaient composés que de vastes chariots tirés par des bœufs, et couverts en forme de tentes. Leurs forces militaires ne consistaient qu’en cavalerie ; et l’habitude que chaque cavalier avait de conduire en main un ou deux chevaux de remonte, leur facilitait les moyens de fondre à l’improviste sur des pays éloignés, et d’éviter la poursuite de l’ennemi par une retraite rapide[38]. Leur grossière industrie avait suppléé à l’usage du fer dont ils manquaient, par l’invention d’une cuirasse qui résistait à l’épée et au javelot. Elle était faite de corne de cheval coupée en tranches minces et unies, posées avec soin les unes sur les autres de la même manière que les écailles des poissons ou les plumes des oiseaux, et cousues fortement sur une toile grossière, qu’ils portaient sous leur vêtement[39]. Les armes offensives des Sarmates consistaient en un court poignard, une longue lance, un arc fort pesant et un carquois rempli de flèches. Ils étaient réduits à la nécessité de se servir d’os de poissons pour former les pointes de leurs armes. L’usage de les tremper dans une liqueur vénéneuse, qui rendait les blessures mortelles, indique assez les mœurs les plus barbares : un peuple qui aurait eu quelque sentiment d’humanité aurait abhorré cette pratique odieuse, et une nation instruite dans l’art de la guerre, aurait méprisé cette ressource impuissante[40]. Lorsque ces sauvages sortaient de leur désert pour se livrer au pillage, leur barbe touffue, leurs cheveux en désordre, les fourrures dont ils étaient couverts de la tête aux pieds, et le maintien farouche qui annonçait la férocité de leur âme, inspiraient l’horreur et l’épouvante aux habitants civilisés des provinces romaines.

Le tendre Ovide, après une jeunesse passée dans les jouissances du luxe et de la renommée fut exilé, sans espoir de retour, sur les bords glacés du Danube, exposé presque sans défense à la fureur de ces monstres du désert, et redoutant même que son ombre douce et délicate ne se trouvât un jour confondue avec leurs mânes farouches. Dans ses lamentations pathétiques et quelquefois trop efféminées[41], il décrit de la manière la plus animée l’habillement, les mœurs, las armes et les incursions des Gètes et des Sarmates, qui avaient fait ensemble une alliance de brigandage et de destruction. L’histoire nous donne lieu de penser que les Sarmates étaient les descendants des Jazyges, la tribu la plus nombreuse et la plus guerrière de cette nation. L’attrait de l’abondance leur fit chercher un établissement fixe sur les frontières de l’empire. Peu de temps après le règne d’Auguste, les Daces, qui vivaient de leur pêche sur le bords de la Theiss ou Tibiscus, furent forcés de se retirer sur les hauteurs ; et, d’abandonner aux Sarmates victorieux les plaines fertiles de la Haute Hongrie, bornée par le Danube et la chaîne demi-circulaire des montagnes Carpathiennes[42]. Dans cette positions avantageuse, ils guettaient ou suspendaient le moment de leurs attaques, selon qu’ils étaient où irrités par quelque injure, où apaisés par les présents. Ils acquirent peu à peu l’usage d’armes plus meurtrières ; et quoique les Sarmates n’aient pas illustré leur nom par des exploits mémorables, ils secoururent souvent d’un corps nombreux d’excellente cavalerie, les Goths et les Germains leurs voisins à l’orient et à l’occident[43]. Ils vivaient soumis à l’aristocratie irrégulière de leurs chefs ; mais il paraît que, quand ils eurent reçu parmi eux un grand nombre de Vandales fugitifs que les Goths avaient chassés devant eux, ils choisirent un roi de cette nation, et de l’illustre race des Astingi, qui avaient d’abord habité sur les rivages de l’océan Septentrional[44].

Ces motifs d’inimitié envenimèrent sans doute les contestations qui ne peuvent manquer de s’élever souvent sur les frontières entre deux nations guerrières et indépendantes. Les princes vandales étaient excités par la crainte et par la vengeance, et les rois des Goths aspiraient à étendre leur domination depuis l’Euxin jusqu’aux confins de la Germanie. Les eaux du Maros, petite rivière qui se jette dans la Theiss, furent souvent peintes du sang des Barbares. Après avoir éprouvé la supériorité du nombre et des forces de leurs adversaires, les Sarmates implorèrent les secours du monarque romain, qui  voyait avec plaisir les discordes des deux nations, mais à qui les progrès des Goths donnaient de justes inquiétudes. Dès que Constantin se fut déclaré en faveur du plus faible, l’orgueilleux Alaric, roi des Goths, au lieu  d’attendre l’attaque les légions romaines, passa hardiment le Danube, et répandit dans toute la province de Mœsie la terreur et la désolation. Pour repousser l’invasion de cette armée dévastatrice, le vieil empereur entreprit la campagne en personne ; mais en cette occasion, son habileté ou sa fortune répondit mal à la gloire qu’il avait acquise dans tant de guerres civiles et étrangères. Il eut la mortification de voir fuir ses troupes devant une poignée de Barbares, qui les poursuivaient jusqu’à l’entrée de leur camp fortifié, et les obligèrent à chercher leur sûreté dans une fuite prompte et ignominieuse. L’événement d’une seconde bataille rétablit l’honneur des armés romaines : après un  combat long et opiniâtre, l’art et la discipline l’emportèrent sur les efforts d’une valeur irrégulière. L’armée vaincue des Goths abandonna le champ de bataille et la province dévastée, et renonça au passage du Danube, et quoique le fils aîné de Constantin eût tenu dans cette journée la place de son père, on attribua aux heureux conseils de l’empereur tout le mérite et l’honneur de la victoire, qui répandu une joie universelle.

Il sait au moins en tirer avantage par ses négociations avec les peuples libres et guerriers de la Chersonèse[45], dont la capitale, située sur la côte occidentale de la Crimée, conservait quelques vestiges d’une colonie grecque. Elle était gouvernée par un magistrat perpétuel, aidé d’un conseil de sénateurs pompeusement appelés les pères de la cité. Les habitants de la Chersonèse étaient irrités contre les Goths par le souvenir des guerres que dans le siècle précédent ils avaient soutenues, avec des forces inégales, contre les usurpateurs de leur pays. Liés avec les Romains par les avantages d’un commerce d’échange, ils  recevaient des provinces d’Asie des blés et des objets d’industrie, et les payaient avec le produit de leur sol, qui consistait en cire, en sel et en cuirs. Dociles à la réquisition de Constantin, ils préparèrent, sous la conduite de leur magistrat Diogène, une nombreuse armée, dont la principale force consistait en chariots de guerre et en arbalétriers. Leur marche prompte et leur attaque intrépide partagèrent l’attention des Goths et facilitèrent les opérations des généraux de l’empire. Les Goths, vaincus de tous les côtés,  furent chassés dans les montagnes. On fait monter à cent mille le nombre de ceux qui y périrent de faim et de froid dans le cours de cette désastreuse campagne. La paix fut enfin accordée à leurs humbles supplications. Alaric donna son fils aîné comme le plus précieux otage qu’il pût offrir, et Constantin essaya de prouver aux chefs, en les comblant d’honneurs et de récompenses, que l’alliance des Romains valait mieux que leur inimitié. Plus magnifique encore dans les preuves qu’il donna de sa reconnaissance aux fidèles Chersonites, il flatta l’orgueil de la nation par les décorations brillantes et presque royales dont il revêtit leur magistrat et ses successeurs. Leurs vaisseaux de commerce furent exempts de tous droits dans les ports de la mer Noire, et on leur accorda un subside régulier de fer, de blé, d’huile et de tout ce qui peut être utile, dans le temps de paix, ou de guerre. Mais on jugea que les Sarmates étaient suffisamment récompensés, par leur délivrance du danger pressant qui les menaçait ; et l’empereur, poussant peut-être trop loin l’économie, réduisit une partie des frais de la guerre de la gratification qu’on avait coutume d’accorder à cette nation turbulente.

Irrités de ce mépris apparent, les Sarmates oublièrent, avec la légèreté ordinaire aux Barbares le service qu’on venait de leur rendre, et les dangers qui les menaçaient encore. De nouvelles incursions sur le territoire de l’empire excitèrent l’indignation de Constantin et le déterminèrent a les abandonner à leur destinée ; il ne s’opposa plus à l’ambition de Gerberic, guerrier renommé, qui venait de monter sur le trône des Goths. Wisumar, roi vandale, quoique seul et sans secours, défendit son royaume avec un courage  intrépide ; une bataille décisive lui enleva la victoire avec la vie, et moissonna la fleur de la jeunesse sarmate. Ce qui restait de la nation prit le parti désespéré d’armer tous les esclaves, composés d’une race robuste de pâtres et de chasseurs. A l’aide de ce ramas confus de troupes indisciplinées, ils vengèrent leur défaite, et chassèrent les usurpateurs hors de leurs frontières. Mais ils s’aperçurent bientôt qu’ils n’avaient fait que changer un ennemi étranger contre un ennemi domestique, et plus dangereux et plus implacable. Se rappelant avec fureur leur ancienne servitude, et s’animant par la gloire qu’ils venaient d’acquérir, les esclaves, sous le nom de Limigantes, prétendirent à la possession du pays qu’ils avaient sauvé, et l’usurpèrent. Leurs maîtres, trop faibles pour s’opposer aux fureurs d’une populace effrénée, préférèrent l’exil à la tyrannie de leurs esclaves. Quelques Sarmates fugitifs sollicitèrent une protection moins ignominieuse sous les étendards des Goths leurs ennemis. Un nombre plus considérable se retira derrière les montagnes Carpathiennes chez les Quades, peuple germain, leurs alliés, et ils furent admis, sans difficulté à partager le superflu des terres incultes et inutiles. Mais la plus grande partie de cette malheureuse nation tourna les yeux vers les provinces romaines. Implorant l’indulgence et la protection de l’empereur, ils promirent solennellement, comme sujets, en temps de paix, et comme soldats à la guerre, la plus inviolable fidélité à l’empire daignait les recevoir dans son sein. D’après les maximes adoptées par Probus, et par ses successeurs, les offres de cette colonie barbare furent acceptées avec empressement, et l’on partagea une quantité suffisante des terres des provinces de la Pannonie, de la Thrace, de la Macédoine et de l’Italie, entre trois cent mille Sarmates fugitifs[46].

En châtiant l’orgueil des Goths, et en acceptant l’hommage d’une nation suppliante, Constantin assura la gloire de l’empire romain ; et les ambassadeurs de l’Éthiopie, de la Perse et des pays les plus reculés de l’Inde, le félicitèrent sur la paix et sur la prospérité de son règne[47]. En effet, s’il a compté la mort de son fils aîné, de son neveu et peut-être de sa femme, au nombre des faveurs de la fortune, il a joui d’un cours continuel de félicité publique et personnelle jusqu’à la trentième année de son règne ; avantage dont, après l’heureux Auguste, n’avait pu se glorifier aucun de ses prédécesseurs. Constantin survécût environ dix mois à cette fête solennelle, et à l’âge de soixante-quatre ans, après une courte indisposition, termina sa mémorable vie au palais d’Aquyrion, dans les faubourgs de Nicomédie, où il s’était retiré à cause de la salubrité de l’air, et dans l’espérance de ranimer, par l’usage des bains chauds, ses forcés épuisées. Les excessives démonstrations de la douleur ou du moins du deuil public, surpassèrent tout ce qui avait eu lieu jusqu’alors en pareille occasion. Malgré les réclamations du sénat et du peuple de l’ancienne Rome, le corps du défunt empereur fut transporté, selon ses ordres, dans la ville destinée à perpétuer le nom et la mémoire de son fondateur. Orné des vains symboles de la grandeur, revêtu de la pourpre et du diadème, il fut déposé sur un lit d’or dans un des appartements du palais qu’on avait, à cette occasion, meublé et illuminé somptueusement. Les cérémonies de la cour furent strictement observées ; chaque jour, à des heures fixes, les grands officiers de l’État, de l’armée et du palais, s’agenouillaient auprès de leur souverain, et lui offraient gravement leurs respectueux hommages, comme s’il eût été encore vivant. Des raisons de politique firent continuer pendant quelque temps cette représentation théâtrale, et l’ingénieuse adulation ne négligea point l’occasion de dire que, par une faveur particulière de la Providence, Constantin avait encore régné après sa mort[48].

Mais ce prétendu règne n’était qu’une comédie ; et l’on s’aperçut bientôt que le plus absolu des monarques fait rarement respecter ses volontés dès que ses peuples n’ont plus rien à espérer de sa faveur ni à craindre de son ressentiment. Les ministres et les généraux qui avaient plié le genou devant les restes inanimés de leur souverain, s’occupaient secrètement des moyens d’exclure ses neveux Dalmatius et Annibalianus de la part qu’il leur avait assignée dans la succession de l’empire. Nous n’avons qu’une connaissance trop imparfaite de la cour de Constantin, pour pénétrer les motifs réels qui déterminèrent les chefs de cette conspiration ; à moins qu’on ne les suppose animés d’un esprit de jalousie et de vengeance contre le préfet Ablavius, favori orgueilleux qui avait longtemps dirigé les conseils et abusé de la confiance du dernier empereur. Mais on conçoit aisément, les arguments qu’ils durent employer pour obtenir le concours du peuple et de l’armée. Ils en trouvèrent dont ils pouvaient se servir avec autant de décence que de vérité, dans la supériorité de rang due aux enfants de Constantin, dans le danger de multiplier les souverains, et dans les malheurs dont la république était menacée par la discorde inévitable de tant de princes rivaux, qui n’étaient point liés par la sympathie de l’affection fraternelle. Cette intrigue, conduite avec zèle, fut tenue secrète jusqu’au moment où l’armée fut amenée à déclarer d’une voix bruyante et unanime qu’elle ne souffrirait pour souverains dans l’empire que les fils du monarque qu’elle regrettait[49]. Le jeune Dalmatius, auquel on accorde des talents presque égaux à ceux de Constantin le Grand, était lié avec ses cousins d’amitié autant que d’intérêt. Il ne semble pas qu’il ait pris en cette occasion aucune mesure pour soutenir par les armes les droits que lui et le prince son frère tenaient de la libéralité de leur oncle. Étourdis et accablés des cris d’une populace en fureur, ils ne pensèrent ni à faire résistance ni à s’échapper des mains de leurs implacables ennemis. Leur sort demeura incertain jusqu’à l’arrivée de Constance, le second et peut-être le plus chéri des fils de Constantin[50].   

La voix de l’empereur mourant avait recommandé le soin de ses funérailles à la piété de Constance ; et ce prince, par la proximité de sa résidence en Orient, pouvait aisément prévenir l’arrivée de ses frères, dont l’un était en Italie et l’autre dans les Gaules. Quand il eut pris possession du palais de Constantinople, son premier soin fut de tranquilliser ses cousins en se rendant caution de leur sûreté par un serment solennel et le second fut de trouver un prétexte spécieux qui pût soulager sa conscience du poids d’une si imprudente promesse. La perfidie vint au secours de la cruauté et le plus odieux mensonge fut attesté par l’homme le plus vénérable par la sainteté de son ministère. Constance reçut un funeste rouleau des mains de l’évêque de Nicomédie, et le prélat affirma qu’il contenait le véritable testament de Constantin. L’empereur y annonçait le soupçon d’avoir été empoisonné par ses frères ; il conjurait ses fils de venger la mort et de pourvoir à leur propre sûreté par le châtiment des coupables[51]. Quelques raisons que pussent alléguer ces malheureux princes pour défendre leur vie et leur honneur contre une accusation peu croyable, ils furent réduits au silence par les clameurs des soldats qui se montrèrent à la fois leurs ennemis, leurs juges et leurs bourreaux. Les lois et toutes les formes légales de la justice furent violées par des iniquités multipliées ; dans le massacre général qui enveloppa les deux oncles de Constance, sept de ses cousins, dont Dalmatius et Annibalianus étaient les plus illustres, le patricien Optatus, qui avait épousé la sœur du dernier empereur, et le préfet Ablavius, qui par sa puissance et par ses richesses, avait conçu l’espoir d’obtenir la pourpre. Nous pourrions ajouter, si nous voulions augmenter l’horreur de cette scène sanglante, que Constance avait épousé lui-même la fille de son oncle Julius, et qu’il avait donné sa sœur en mariage à Annibalianus. Ces alliances, que la politique de Constantin, indifférente pour le préjugé du peuple[52], avait formées entre les différentes branches de la maison impériale, servirent seulement à prouver au monde que ces princes étaient aussi insensibles à l’affection conjugale, qu’ils étaient sourds à la voix du sang et aux supplications d’une jeunesse innocente. D’une si nombreuse famille, Gallus et Julien, les deux plus jeunes enfants de Julius Constance, furent seuls dérobés aux mains de ces assassins féroces jusqu’au moment où leur rage rassasiée de sang commença à se ralentir. L’empereur Constance, qui, pendant l’absence de ses frères, se trouvait le plus chargé du crime et du reproche, fit paraître dans quelques occasions un remords faible et passager des cruautés, que les perfides conseils de ses ministres et la violence irrésistible des soldats avaient arrachées à sa jeunesse sans expérience[53].

Le massacre de la race Flavienne fut suivi d’une nouvelle division des provinces, ratifiée dans une entrevue des trois frères. Constantin, l’aîné des Césars, obtint, avec une certaine prééminence de rang, la possession de la nouvelle capitale qui portait son nom et celui de son père[54]. La Thrace et les contrées de l’Orient furent le patrimoine de Constance, et Constans fut reconnu légitime souverain de l’Italie, de l’Afrique et de l’Illyrie occidentale. L’armée souscrivit à ce partage, et, après quelques délais, les trois princes daignèrent recevoir du sénat romain le titre d’Auguste. Quand ils prirent en main les rênes du gouvernement, l’aîné était âgé de vingt et un ans, le second de vingt, et le troisième de dix-sept[55].

Tandis que les nations belliqueuses de l’Europe suivaient les étendards de ses frères. Constance, à la tête des troupes efféminées de l’Asie resta seul chargé de tout le poids de la guerre de Perse. À la mort de Constantin, le trône était occupé par Sapor, fils  d’Hormouz, ou Hormisdas, petit-fils de Nardès, qui, après la victoire de Galère, avait humblement reconnu la supériorité de la puissance romaine. Quoique Sapor fut dans la trentième des longues années de son règne, il étant encore dans toute la vigueur de la jeunesse ; un étrange hasard avait rendu la date de son avènement antérieure à celle de sa naissance. La femme d’Hormouz était enceinte quand son mari mourut, et l’incertitude de l’événement de la grossesse et du sexe de l’enfant qui devait naître, excitait les ambitieuses espérances des princes de la maison de Sassan, mais les mages firent à la fois cesser leurs prétentions et les craintes de la guerre civile dont on était menacé, en assurant que la veuve d’Hormouz était enceinte et accoucherait heureusement d’un fils. Dociles à la voix de la superstition, les Persans préparèrent sans différer la cérémonie du couronnement. La reine partit publiquement dans son palais, couchée sur un lit magnifique ; le diadème fut placé sur l’endroit que l’on supposait cacher le futur héritier d’Artaxerxés, et les satrapes prosternés adorèrent la majesté de leur invisible et insensible souverain[56]. Si l’on peut ajouter foi à ce récit merveilleux, qui paraît cependant assez conforme aux mœurs de la nation et confirme par la durée extraordinaire de ce règne, nous serons forcés d’admirer également le bonheur et le génie du roi Sapor. Élevé dans la douce et solitaire retraite d’un harem, le jeune prince sentit la nécessité d’exercer la vigueur de son corps et celle de son esprit, et il fut digne, par son mérite personnel, d’un trône sur lequel on l’avait assis avant qu’il pût connaître les devoirs et les dangers du pouvoir absolu. Sa minorité fut exposée aux calamités presque inévitables de la discorde intestine ; sa capitale fut surprise et pillée par Thaïr, puissant roi d’Yémen ou d’Arabie, et la  majesté de la famille royale, fut dégradée par la captivité d’une princesse, sœur du dernier roi. Mais aussitôt que Sapor eut atteint l’âge viril, le présomptueux Thaïr, sa nation et son royaume, succombèrent sous le premier effort du jeune guerrier, qui profita de sa victoire avec un si judicieux mélange de clémence et de rigueur, qu’il obtint de la crainte et de la reconnaissance des Arabes le surnom de Dhoulacnaf, ou protecteur de la nation[57]. 

Le monarque persan dont les ennemis même ont reconnu les talents politiques et militaires, brûlait du désir de venger la honte de ses ancêtres, et d’arracher aux Romains les cinq provinces situées au delà du Tigre. La brillante renommée de Constantin, et les forces réelles ou apparentes de ses États suspendirent l’entreprise ; et les négociations artificieuses de Sapor surent amuser la patience de la cour impériale, dont sa conduite, provoquait le ressentiment. La mort de Constantin fut le signal de la guerre[58] ; et l’état des frontières de Syrie et d’Arménie semblait promettre aux Persans de riches dépouilles et une conquête facile. L’exemple des massacres du palais avait répandu l’esprit de licence et de sédition parmi les troupes de l’Orient, qui n’étaient plus retenues par l’habitude d’obéissance qu’elles avaient eue pour la personne de leur ancien chef. Constance eut la prudence de retourner sur les bords de l’Euphrate aussitôt après son entrevue, avec ses frères en Pannonie ; et les légions rentrèrent peu à peu dans leur devoir ; mais Sapor avait profité du moment d’anarchie, pour former le siége de Nisibis, et s’emparer des plus importantes places de la Mésopotamie[59]. En Arménie, le fameux Tiridate jouissait depuis longtemps de la paix et de la gloire que méritaient sa valeur et sa fidélité pour les Romains. Sa solide alliance avec Constantin, lui avait procuré les avantages spirituels aussi bien que temporels. La conversion de Tiridate ajoutait le nom de saint à celui de héros, et la foi chrétienne prêchée et établie depuis l’Euphrate, jusqu’aux rives de la Mer Caspienne, attachait l’Arménie à l’empire par le double lien de la politique et de la religion ; mais la tranquillité publique était troublée par un grand nombre de nobles arméniens qui refusaient encore de renoncer à la pluralité des dieux et des femmes. Cette faction turbulente insultait à la caducité du monarque, et attendait impatiemment l’heure de sa mort. Il cessa de vivre après un règne de cinquante-six ans, et la fortune du royaume d’Arménie fut ensevelie avec Tiridate. Son légitime héritier fut banni ; les prêtres chrétiens furent immolés on chassés de leurs églises, les barbares tribus d’Albanie furent invitées à descendre de leurs montagnes ; et deux des plus puissants gouverneurs, usurpant les marques et le pouvoir de la royauté, implorèrent l’assistance de Sapor, ouvrirent les portes de leurs villes ; et reçurent des garnisons persanes. Le parti chrétien, sous la conduite de l’archevêque d’Artaxata, successeur immédiat de saint Grégoire l’Illuminé, eut recours à la piété de Constance. Après des désordres qui durèrent trois ans, Antiochus,, un des officiers de l’empire, exécuta avec succès la commission qui lui fut confiée de remettre Chosroes, fils de Tiridate, sur le trône de ses pères, de distribuer des honneurs et des récompenses aux fidèles serviteurs de la maison des Arsacides, et de publier une amnistie générale, qui fut acceptée par la plus grande partie des satrapes rebelles. Mais les Romains tirèrent plus d’honneur que d’avantage de cette révolution : Chosroes, prince d’une petite taille, d’un corps faible et d’un esprit pusillanime, incapable de supporter les fatigues de la guerre, et détestant, la société, quitta sa capitale, et se retira dans un palais qu’il bâtit sur les  bords de l’Eleutherus, au milieu d’un bocage épais et solitaire, où ses journées oisives s’écoulaient dans l’exercice de la chasse, soit aux chiens, soit à l’oiseau. Pour s’assurer ce honteux loisir, il accepta les conditions de paix qu’il plut à Sapor de lui imposer ; et, consentant à payer un tribut annuel, il lui restitua la riche province de l’Atropatène, que la valeur de Tiridate et les armes victorieuses de Galère avaient annexé à la monarchie arménienne[60].

Pendant la longue durée du règne de Constance, les provinces de l’Orient eurent beaucoup à souffrir de la guerre contre les Persans. Les incursions des troupes légères semaient le ravage et la terreur au-delà du Tigre et de l’Euphrate, des portes de Ctésiphon à celles d’Antioche. Les Arabes du désert étaient chargés de ce service actif. Divisés d’intérêts et d’affections quelques-uns de leurs chefs indépendants tenaient pour le parti de Sapor, et d’autres avaient engagé à l’empereur leur douteuse fidélité[61]. Des opérations militaires plus sérieuses furent conduites avec une égale vigueur, et les armées persane et romaine se disputèrent le terrain dans neuf journées sanglantes[62], où Constance commanda deux fois en personne. Ces actions furent presque toujours fatales aux Romains ; mais à la bataille de Singara, leur imprudente sur le point de remporter une victoire complète et décisive. Les troupes qui occupaient Singara s’étaient retirées à l’approche de Sapor. Ce monarque passa le Tigre sur trois ponts, et campa prés du village de Hilleh, dans une position avantageuse. Ses nombreux pionniers l’environnèrent, en un seul jour, d’un fossé profond et d’un rempart, élevé. Lorsque ses innombrables soldats furent rangés en bataille,  ils couvrirent les bords de la rivière, les hauteurs. voisines, et toute l’étendue d’une plaine de douze milles qui séparait les deux armées. Elles désiraient le combat avec une ardeur égale, mais après une légère résistance, les Barbares prirent la fuite en désordre soit qu’ils ne pussent soutenir le choc des Romains, où dans l’intention de fatiguer les pesantes légions, qui, bien qu’accablées par la soif et par la chaleur, les poursuivrent dans la plaine, et taillèrent en pièces un corps de cavalerie pesamment armée qui avait été posté devant la porte du camp pour protéger la retraite. Constance, entraîné lui-même dans la poursuite tâchait inutilement d’arrêter l’impétuosité de ses soldats, en leur représentant les dangers de la nuit qui approchait, et la certitude de compléter leur succès au point du jour. Se fiant plus à leur propre valeur qu’à l’expérience où à l’habileté de leur chef, ils imposèrent silence par leurs clameurs à ses sages remontrances, s’élancèrent dans le fossé, et se répandirent dans les tentes pour y réparer leurs forces épuisées et jouir du fruit de leurs travaux. Mais le prudent Sapor guettait le moment de la victoire. Son armée, dont la plus grande partie, secrètement postée sur les hauteurs, était restée spectatrice du combat, s’avança en silence à la faveur de l’obscurité, et les archers persans, guidés par la clarté du camp, lancèrent une grêle de traits sur cette foule en désordre. Les historiens[63] avouent avec sincérité qu’il y eut un grand carnage de Romains, et que le reste des légions fugitives n’échappa qu’avec des peines et des fatigues intolérables. Les panégyristes mêmes conviennent que la gloire de l’empereur fut obscurcie par la désobéissance de ses soldats, et ils tirent un voile sur les détails de cette retraite humiliante. Cependant un de ces orateurs mercenaires, si jaloux de la renommée de Constance, raconte avec le plus froide indifférence une action, si barbare, qu’au jugement de la postérité, elle doit imprimer sur l’empereur une tache infiniment plus honteuse que celle de sa défaite. Le fils de Sapor, et l’héritier de sa couronne, avait été pris dans le camp des Perses. Ce jeune infortuné, qui aurait obtenu la compassion de l’ennemi le plus sauvage, fut fustigé, mis à la torture, et publiquement exécuté par les barbares Romains[64].

Quelques avantages que Sapor eût obtenus par neuf victoires consécutives qui avaient répandu chez les nations la renommée de sa valeur et de ses talents militaires, il ne pouvait cependant espérer de réussir dans ses desseins, tant que les Romains conserveraient les villes fortifiées de la Mésopotamie, et surtout l’ancienne et forte cité de Nisibis. Dans l’espace de douze ans. Nisibis, regardée avec raison, depuis le temps de Lucullus, comme le boulevard de l’Orient, soutint trois siéges mémorables contre toutes les forces de Sapor ; et le monarque humilié après avoir inutilement renouvelé ses attaques à trois reprises différentes de soixante, quatre-vingts et cent jours, fut contraint de se retirer trois fois avec perte et ignominie[65]. Cette ville, vaste et peuplée, était située a environ deux journées du Tigre, dans le milieu d’une plaine agréable et fertile, au pied du mont Masais. Un fossé profond défendait sa triple enceinte construite en briques[66], et le courage désespéré des citoyens secondait la résistance intrépide du comte Lucilianus et de la garnison. Les habitants de Nisibis étaient animés par les exhortations de leur évêque[67], endurcis à la fatigue des armes par l’habitude du danger, et persuadés que l’intention de Sapor était de les emmener captifs dans quelque pays éloigné, et de repeupler leur ville d’une colonie de Persans. L’événement des d’eux premiers sièges avait augmenté leur confiance et irrité l’orgueil du grand roi, avec toutes les forces réunies de la Perse et de l’Inde, s’avançait une troisième fois pour attaquer Nisibis. L’intelligence  supérieure des Romains rendait inutiles toutes les machines ordinaires, inventées pour battre ou pour saper les murs ; et bien des jours s’étaient passés sans succès, quand Sapor prit une résolution digne d’un monarque oriental, qui croit que tout, jusqu’aux éléments, doit se soumettre à son pouvoir. A l’époque de la fonte des neiges en Arménie, la rivière de Mygdonius, qui sépare la ville de Nisibis de la plaine, forme, comme le Nil[68], une inondation sur les terres adjacentes. A force de travaux, les Persans arrêtèrent le cours de la rivière au-dessous de la ville, et de solides montagnes de terre furent élevées pour retenir de tous côtés les eaux. Sur ce lac artificiel, une flotte de vaisseaux armés, chargés de soldats et de machines qui lançaient des  pierres du poids de cinq cents livres, s’avança en ordre de bataille, et combattit presque de plain pied les troupes qui défendaient les remparts. La force irrésistible des eaux fut alternativement fatale aux deux partis, jusqu’a ce que le mur, ne pouvant soutenir un poids qui augmentait à chaque instant, s’écroula enfin en partie, et présenta une énorme brèche de cent cinquante pieds de longueur. Les Persans furent aussitôt conduits à l’assaut ; et l’événement de cette journée devait décider du destin de Nisibis. La cavalerie pesamment armée qui conduisait la tête d’une profonde colonne s’embourba dans le limon des terres délayées, et un grand nombre de cavaliers furent engloutis dans des trous recouverts par les eaux. Les éléphants, furieux de leurs blessures, augmentaient le désordre, et écrasaient sous leurs pieds des milliers d’archers persans. Le grand roi, qui, de la hauteur où l’on avait placé son trône, contemplait avec indignation le mauvais succès de son entreprise, fit à regret donner le signal de la retraite, et suspendit l’attaque jusqu’au lendemain. Mais les vigilants défenseurs de Nisibis profitèrent avec activité des ombres de la nuit, et le lever de l’aurore découvrit un nouveau mur déjà haut de six pieds, qu’ils continuaient à élever pour remplir la brèche. Trompé dans son espérance, Sapor ne perdit point courage ; et, malgré la perte de vingt mille hommes, il continua le siége avec une obstination qui ne pût céder qu’à la nécessité de défendre les provinces orientales de la Perse contre la formidable invasion des Massagètes[69]. Alarmé de cette nouvelle, il abandonna le siége précipitamment, et courut avec rapidité des bords du Tigre à ceux de l’Oxus. Les embarras et les dangers d’une guerre contre les Scythes l’engagèrent bientôt à conduire ou du moins à observer une trêve avec l’empereur. Elle fut également agréable à l’un et à l’autre de ces monarques. Constance, après la mort de ses deux frères, se trouva  sérieusement occupé des révolutions de l’Occident, et d’une guerre civile qui demandait et semblait surpasser les vigoureux efforts de toutes ses forces réunies.

Trois ans s’étaient à peine écoulés depuis le partage de l’empire, et déjà les fils de Constantin semblaient impatients de montrer au monde qu’ils étaient incapables de suffire à leur ambition. L’aîné de ces princes se plaignit qu’il n’avait pas assez profité du meurtre de ses cousins ; et qu’on avait fait de leurs dépouilles une répartition inégale : il ne réclamât rien de Constance, qui avait à ses yeux le mérite du crime, mais il exigeait de Constans la cession des provinces de l’Afrique, comme un équivalent des riches contrées de Grèce et de Macédoine, qu’il avait obtenues à la mort de Dalmatius. Irrité du peu de sincérité d’une longue et inutile négociation Constantin suivit les conseils de ses favoris, qui tâchaient de lui persuader que son honneur et son intérêt lui défendaient également d’abandonner cette réclamation. A la tête d’un mélange confus de soldats tumultuairement assemblés, et plus faits pour piller que pour conquérir, il fondit sur les États de Constans par la route des Alpes Juliennes, et fit tomber sur les environs d’Aquilée les premiers effets de son ressentiment. Les mesures de Constans, qui résidait alors en Dacie, furent dirigées avec plus de sagesse  et d’intelligence. Ayant appris l’invasion de son frère il détacha un corps choisi et discipliné de troupes illyriennes, qu’il se proposait de suivre lui-même avec le reste de ses forces. Mais la conduite de ses lieutenants termina la querelle de ces frères dénaturés. En feignant artificieusement de fuir devant Constantin, ils attaquèrent dans une embuscade au milieu d’un bois. Le jeune imprudent mal accompagné fut surpris, environné et tué. Quand on eut retiré son corps des eaux bourbeuses de l’Alsa, on le déposa dans un sépulcre impérial ; mais ses provinces reconnurent le vainqueur pour maître, et firent serment de fidélité à Constans, qui, refusant de partager ses nouvelles acquisitions avec son frère, posséda sans contestation plus des deux tiers de l’empire romain[70].

Le terme fatal de Constans lui-même fut encore retardé d’environ dix ans, et la mort de son frère fut vengée par la main ignoble d’un serviteur perfide. La mauvaise administration des trois princes, les vices et les faiblesses qui leur firent perdre l’estime et l’affection des peuples, découvrirent la tendance pernicieuse du système introduit par Constantin. L’inapplication et l’incapacité de Constans rendaient ridicule et insupportable l’orgueil, que lui donnèrent des succès guerriers qu’il n’avait pas mérités. Sa partialité pour quelques captifs germains qui n’avaient d’autre mérite que les grâces de leur figure, était un sujet de scandale[71]. Magnence, soldat amitieux, d’extraction barbare, fut encouragé par le mécontentement public à soutenir l’honneur du nom romain[72]. Les bandes choisies des joviens et des herculiens, qui reconnaissaient Magnence pour leur chef, tenaient toujours la place d’honneur dans le camp impérial. L’amitié de Marcellinus, comte des largesses sacrées, suppléait libéralement aux moyens de séduction. On sut convaincre les soldats, par les arguments les plus spécieux, que la république les sommait de briser les liens d’une servitude héréditaire, et de récompenser par le choix d’un prince actif et vigilant, les mêmes vertus qui de l’état de citoyen avaient élevé sur le trône du monde les ancêtres dont avait dégénéré Constans. Quand on crût avoir suffisamment préparé les esprits, Marcellinus, sous prétexte de célébrer le jour de la naissance de son fils, donna une fête magnifique aux personnages illustres et honorables de la cour des Gaules, qui résidait alors à Autun. Les excès du festin furent prolongés avec adresse bien avant dans la nuit, et les convives, sans défiance, se laissaient aller à une coupable et dangereuse liberté de conversation : tout d’un coup les portes s’ouvrent avec fracas, et Magnence, qui s’était retiré depuis quelques instants, rentre revêtu de la pourpre et du diadème. Les conspirateurs se lèvent à l’instant, et le saluent des noms d’Auguste et d’empereur. La surprise, la frayeur, l’ivresse, les espérances ambitieuses, et l’ignorance du reste de l’assemblée, contribuèrent à rendre l’acclamation unanime. Les gardes se hâtèrent de prêter le serment de fidélité. On ferma les portes de la ville, et, avant le retour de l’aurore, Magnence se trouva maître des troupes, du trésor, du palais et de la ville d’Autun. Il eut quelque espérance de s’emparer de la personne de Constans avant que ce prince fût informé de la révolution. Il s’amusait à son ordinaire, à courir la chasse dans la forêt voisine, ou prenait peut-être quelque plaisir plus secret et plus coupable ; le vol agile de la renommée lui laissa cependant un instant pour la fuite : c’était sa seule ressource, puisque la désertion de ses troupes et l’infidélité de ses sujets ne lui laissaient aucun moyen de résistance. Mais avant d’avoir pu atteindre un port d’Espagne où il se proposait de s’embarquer, il fut arrêté auprès d’Helena[73], au pied des Pyrénées, par un parti de cavalerie légère, dont le commandant, sans respect pour la sainteté d’un temple, exécuta sa commission en assassinant le fils de Constantin[74].

Aussitôt que la mort de Constans eut affermi cette facile et importante révolution l’exemple de la cour d’Autun fut suivi par toutes les provinces de l’Occident. Les deux grandes préfectures des Gaules et de l’Italie reconnurent l’autorité de Magnence, et l’usurpateur s’occupa du soin d’amasser par toutes sortes d’exactions un trésor qui pût suffire aux immenses libéralités qu’il avait promises et aux frais d’une guerre civile. Les contrées guerrières de l’Illyrie, depuis le Danube jusqu’à l’extrémité de la Grèce, obéissaient depuis longtemps à Vetranio, vieux général qui avait su se faire aimer par la simplicité de ses mœurs, et dont l’expérience et les services militaires avaient obtenu quelque considération[75]. Affectionné par habitude, par devoir et par reconnaissance, à la maison de Constantin, il donna sur-le-champ les plus fortes assurances au seul fils qui restât de son ancien maître, qu’il exposerait avec une invariable fidélité sa personne et ses troupes pour l’aider à prendre de l’usurpateur de  la Gaule, une juste et sévère vengeance. Mais ses Légions furent plus séduites qu’irritées par l’exemple de la rébellion ; leur commandant manqua bientôt ou de fermeté ou de fidélité, et son ambition s’autorisa de l’approbation de la princesse Constantina. Cette femme ambitieuse et cruelle, qui avait obtenu de Constantin le Grand, son père, le titre d’Augusta, plaça de ses propres mains le diadème sur la tête du général d’Illyrie, et semblait attendre de sa victoire l’accomplissement des espérances désordonnées qu’elle avait perdues par la mort d’Annibalianus son époux. Mais ce fut peut-être sans l’aveu de Constantina que le nouvel empereur fit une alliance honteuse, quoique nécessaire, avec l’usurpateur de l’Occident, dont la pourpre avait été teinte si récemment du sang de son frère[76].

Des événements de cette importance, et qui menaçaient si sérieusement l’honneur et la sûreté de la maison impériale, rappelèrent les armés de Constance de la guerre de Perse, où elles avaient perdu beaucoup de leur réputation. Laissant à ses lieutenants le soin des provinces orientales, qu’il confia bientôt après à son cousin Gallus, qu’il fit passer de la prison sur le trône, il marcha vers l’Europe, agité par la crainte et par l’espérance, par la douleur et par l’indignation. Arrivé à Héraclée en Thrace, il donna audience aux ambassadeurs de Magnence et de Vetranio. Le premier auteur de la conspiration, Marcellinus, qui avait, en quelque façon, donné la pourpre à son nouveau maître, s’était audacieusement chargé de cette dangereuse commission et ses trois collègues avaient été choisis dans le nombre des illustres de l’État et de l’armée. On leur recommanda d’adoucir Constance sur le passé et de l’épouvanter sur l’avenir. Ils étaient autorisés a lui offrir l’alliance et l’amitié des princes d’Occident, à cimenter leur union par un double mariage de Constance avec-la soeur de Magnence, et de Magnence avec l’ambitieuse Constantina, et à reconnaître par un traité la prééminence qui appartenait de droit à l’empereur d’Orient. Dans le cas où son orgueil ou une délicatesse mal placée lui ferait refuser des conditions si équitables, les députés avaient ordre de lui représenter qu’il courait inévitablement à sa ruine ; s’il provoquait le ressentiment des souverains de l’Occident et les obligeait à employer contre lui des forces supérieures, leur valeur, leurs talents militaires, et, les légions qui avaient fait triompher tant de fois le grand Constantin. Ces propositions, appuyées de tels arguments, méritaient une attention sérieuse : Constance différa sa réponse jusqu’au lendemain ; et comme il sentait l’importance de justifier aux yeux du peuple la nécessité d’une guerre civile, il tint le discours suivant à son conseil, qui l’entendit avec une crédulité réelle ou affectée.

Cette nuit, dans mon sommeil, l’ombre du grand Constantin m’est apparue : il tenait embrassé le corps sanglant de mon frère ; j’ai reconnu sa voix, elle  criait vengeance. Mon père m’a défendu de désespérer de la république, et m’a promis que les armes couronneraient la justice de ma cause d’un prompt succès et d’une gloire immortelle.

L’autorité de cette vision, ou plutôt celle du prince qui la racontait, fit taire les doutes et cesser les négociations. Les conditions ignominieuses de la paix furent rejetées avec mépris ; on renvoya un des ambassadeurs chargé de la dédaigneuse réponse de Constance ; les trois autres furent mis aux fers comme indignes de jouir de leurs privilèges, et les puissances rivales se préparèrent à une guerre implacable[77].

Telle fut la conduite, et tel était peut-être le devoir du frère de Constans vis-à-vis du perfide usurpateur des Gaules. Le caractère et la situation de Vetranio admettaient plus de ménagements ; la politique de l’empereur d’Orient s’occupa de désunir ses ennemis, et de priver les rebelles des forces de l’Illyrie. Il réussit aisément à tromper la franchise et la simplicité de Vetranio, qui, flottant quelque temps entre l’honneur et l’intérêt, découvrit au monde l’inconstance de son caractère, et fut insensiblement en dans les pièges d’une négociation artificieuse. Constance le reconnut pour son collègue légitime et son égal, à condition qu’il renoncerait à la honteuse alliance de Magnence, et qu’il choisirait un endroit sur les frontières de leurs provinces respectives où ils pussent, dans une entrevue assurer leur amitié par un serment de fidélité mutuelle, et régler d’un commun accord les opérations de la guerre civile. En conséquence de cet arrangement, Vetranio s’avança vers la ville de Sardica[78], à la tête de vingt mille chevaux et d’un corps d’infanterie plus nombreux. Ces forces étaient si supérieures à celles de Constance, que l’empereur d’Illyrie semblait avoir à sa disposition la fortune et la vie de son rival, qui, comptant sur le succès de ses sourdes négociations, avait séduit les troupes et miné le trône de Vetranio. Les chefs, qui avaient secrètement embrassé le parti de Constance, préparaient en sa faveur un spectacle propre à éveiller et à enflammer les passions de la multitude[79]. Les deux armées réunies furent assemblées dans une vaste plaine à la proximité de la ville ; on éleva dans le centre selon les lois de l’ancienne discipline, le tribunal, ou plutôt l’échafaud, d’où les empereurs avaient coutume de  haranguer les troupes dans les occasions solennelles ou importantes. Les Romains et les Barbares, régulièrement rangés, l’épée nue  la main ou la lance en arrêt, les escadrons de cavalerie et les cohortes d’infanterie distingués par la variété de leurs armes et de leurs enseignes, formaient un cercle immense autour du tribunal ; tous gardaient un silence attentif, interrompu quelquefois par les clameurs ou les applaudissements. Les deux empereurs furent sommés d’expliquer la situation des affaires publiques en présence de cette formidable assemblée. On accorda la préséance du rang à la naissance royale de Constance ; et, quoique peu versé dans l’art de la rhétorique, il mit dans son discours de la fermeté, de l’adresse et de l’éloquence. La première partie ne semblait attaquer que le tyran des Gaules ; mais, après avoir déploré le meurtre de Constans, il insinua que son frère avait seul le droit de réclamer sa succession ; et, s’étendant, avec complaisance sur les agitions glorieuses de la race impériale, il rappela aux soldats la valeur, les triomphes et la libéralité du grand Constantin, dont les fils avaient reçu leur serment de fidélité, qu’ils n’avaient rompu qu’entraînés par l’ingratitude de ses plus intimes favoris. Les officiers qui environnaient le tribunal, instruits du rôle qu’ils devaient jouer dans cette scène extraordinaire, parurent entraînés par le pouvoir irrésistible de la justice et de l’éloquence, et ils saluèrent l’empereur Constance comme leur légitime souverain. Le sentiment du repentir e de la fidélité gagna de rang en rang, et bientôt la plaine de Sardica retentit de l’acclamation unanime de : À bas ces parvenus usurpateurs ! longue vie et victoire au fils de Constantin ! ce n’est que sous ses drapeaux que nous voulons combattre et vaincre. Le cri universel, les gestes menaçants et le cliquetis des armes, subjuguèrent le courage étonné de Vetranio qui contemplait dans un silence stupide la défection de son armée. Au lieu d’avoir recours au dernier refuge d’un généreux désespoir, il se soumit docilement à son sort, et, se dépouillant du diadème à la vue des deux armées, il se prosterna aux pieds de son vainqueur. Constance usa de la victoire avec une prudente modération, en relevant lui-même ce vieillard suppliant qu’il affectait d’appeler du tendre nom de père, il lui prêta la main pour descendre du trône. La ville de Pruse fut assignée pour retraite au monarque détrôné, qui y vécu six ans dans l’opulence et dans la tranquillité. Il se félicitait souvent  des bontés de Constance, et conseillait à son bienfaiteur, avec une aimable simplicité, de quitter le sceptre du monde et de chercher le bonheur dans une obscurité paisible, qui pouvait seule le procurer[80].

La conduite de Constance dans cette occasion mémorable, fut célébrée avec une apparence de justice ; et ses courtisans comparèrent les discours étudiés qu’un Périclès et un Démosthène adressaient à la populage d’Athènes, avec l’éloquence victorieuse qui avait persuadé à une multitude armée d’abandonner et de déposer, l’objet de son propre choix[81]. Les démêlés de Magnence allaient être plus sanglants, et plus dangereux : l’usurpateur s’avançait par des marches rapides, à la tête d’une armée nombreuse, composée d’Espagnols, de Gaulois, de Francs, de Saxons, de ces habitants ces provinces qui recrutaient les régions, et de ces Barbares qu’on regardait comme les plus formidables ennemis de la république. Les plaines fertiles[82] de la Basse Pannonie, entre la Drave, la Save et le Danube, offraient un vaste théâtre ; mais durant les mois de l’été les opérations de la guerre civile furent traînés en longueur par l’habileté ou la timidité des combattants[83]. Constance avait annoncé son intention de décider la querelle dans les plaines de Cibalis, dont le nom devait animer ses troupes par le souvenir de la victoire de Constantin son père, remportée sur le même terrain. Cependant les fortifications inattaquables, dont il environnait son camp annonçaient plutôt l’envie d’éviter la bataille que celle de la chercher. L’objet de Magnence était d’obliger son adversaire, par la ruse ou par la force, à quitter cette position avantageuse, et il y employa les différentes marches, évolutions et stratagèmes que la connaissance de l’art militaire pouvait suggérer à un officier expérimenté. Il emporta d’assaut l’importante ville de Siscia, attaqua la ville de Sirmium, qui était située derrière le camp, essaya de forcer un passage au-dessus de la Save pour entrer dans les provinces orientales de l’Illyrie, et tailla en pièces un gros détachement qu’il avait attiré dans les défiles d’Adarne. Pendant presque tout l’été l’usurpateur des Gaules fut maître de la campagne. Les troupes de Constance étaient harassées et découragées ; sa réputation se perdait, et son orgueil descendit à solliciter un traité de paix qui aurait assuré à l’assassin de Constans la souveraineté des provinces au-delà des Alpes. Philippe, l’ambassadeur impérial appuya ces propositions de toute son éloquence : le conseil et l’armée de Magnence étaient disposés à les acceptée, mais le présomptueux usurpateur, méprisant les conseils de ses amis, fit retenir Philippe en captivité, ou du moins en otage, tandis qu’il envoyait un officier reprocher à Constance, la faiblesse de son règne, et lui offrir un pardon insultant, s’il quittait, sans hésiter, la pourpre et l’empire.  La seule réponse que l’honneur permît à Constance fut qu’il mettait sa  confiance dans la justice de sa cause ; et la protection d’un Dieu vengeur. Il sentait si vivement le danger de sa situation, qu’il n’osa pas punir, sur l’insolent envoyé de Magnence, la détention de son ambassadeur. La négociation de Philippe ne fût cependant pas inutile, puisqu’il engagea Silvanus le Franc, général d’une réputation distinguée, à déserter avec un corps considérable de cavalerie, peu de jours avant la bataille de Mursa.

La ville de Mursa ou Essek, célèbre dans les temps modernes par un pont de bateaux de cinq milles de longueur sur la Dave et sur les marais adjacents[84], a toujours été considérée, dans les guerres de Hongrie, comme une place importante. Magnence, dirigeant sa marche sur Marsa, fit mettre le feu aux portes, et, par un assaut précipité, avait presque escaladé les murs de la ville. La vigilante garnison éteignit les flammes. L’approche de Constance ne lui laissa pas le temps de continuer le siège, et l’empereur détruisit bientôt l’obstacle qui gênait seul les mouvements de son armée, en forçant un corps de troupes qui s’était posté dans un amphithéâtre voisin de la ville. Le champ de bataille qui environnait Mursa était une plaine unie et découverte. L’armée de Constance s’y rangea en bataille. Elle avait à sa droite la Drave ; et sa gauche, soit à raison  de l’ordre de bataille ou de la supériorité en cavalerie, dépassait de beaucoup la droite des ennemis[85]. Les deux armées restèrent une partie de la matinée sous les armes dans une inquiète attente ; et le fils de Constantin, après avoir animé ses soldats par un discours éloquent, se retira dans une église, à quelque distance du champ de bataille, et remit à ses généraux la conduite de cette journée décisive[86]. Ils se montrèrent dignes de sa confiance par leur valeur, et par leurs savantes manœuvres. Ils engagèrent sagement l’action par la gauche ; et avançant leur aile entière de cavalerie sur une ligne oblique, ils la tournèrent précipitamment sur le flanc droit de l’ennemi, qui n’était point préparé à soutenir l’impétuosité de leur attaque. Mais les Romains de l’Occident se rallièrent bientôt par l’habitude de la discipline ; et les Barbares de la Germanie soutinrent la réputation de leur intrépidité nationale. L’affaire devint générale, se soutint avec des succès variés et de singuliers retours de fortune, et finit à peine avec le jour. On accorda à la cavalerie l’honneur de la victoire éclatante que remporta Constance. Ses, cuirassiers sont représentés comme autant de colonnes d’acier massif ; leurs armures brillantes éblouissaient les légions gauloises, dont ils rompaient l’ordre serré avec leurs lances d’une énorme pesanteur. Dès que les légions furent en désordre, la cavalerie légère pénétra dans les rangs l’épée à la main et acheva la déroute. Cependant les grands corps des Germains se trouvaient exposés presque nus à la dextérité des archers orientaux, et des troupes entières de ces Barbares se jetaient, de douleur et de désespoir, dans le cours large et rapide de la Drave[87]. On fait monter le nombre des morts à cinquante-quatre mille, et la perte des vainqueurs fut supérieure celle des vaincus[88]. Cette circonstance prouve l’acharnement du combat, et justifie l’observation d’un ancien écrivain, qui prétend que la fatale bataille de Mursa avait épuisé les forcés de l’empire, par la perte d’une armée de vétérans suffisante pour défendre les frontières ou pour ajouter à la gloire de Rome de nouveaux triomphes[89]. Malgré les invectives d’un orateur servile, on ne trouve aucun motif de croire que Magnence ait déserté ses drapeaux dès le commencement de la bataille ; il paraît au contraire qu’il s’acquitta de son devoir, comme capitaine et comme soldat, jusqu’au moment où son camp fut au pouvoir des ennemis. Pensant alors à sa sûreté personnelle, il se dépouilla des ornements impériaux, et ce ne fut pas sans peine qu’il échappa aux détachements de cavalerie légère qui le poursuivirent depuis les bords dé là Drave jusqu’au pied des Alpes Juliennes[90].

L’approche de l’hiver fournit à l’indolence de Constance des prétextes spécieux de discontinuer la guerre jusqu’au printemps : Magnence avait fixé sa résidence dans la ville d’Aquilée, et paraissait résolu de disputer le passage des montagnes et des marais qui défendaient l’approche du pays des Vénètes ; il n’aurait pas même quitté l’Italie lorsque les impériaux se furent emparés, par une marche secrète, d’une forteresse située sur les Alpes, si, les peuples eussent été disposés à soutenir la cause de leur tyran[91] ; mais le souvenir des cruautés que ses ministres avaient exercées après la malheureuse révolte de Népotien avait laissé dans l’âme des Romains une profonde impression d’horreur et de ressentiment. Ce jeune imprudent, fils de la princesse Eutropia, et neveu de Constantin, avait vu avec indignation, un Barbare perfide usurper le sceptre de l’occident : suivi d’une troupe d’esclaves et de gladiateurs désespérés, il s’était aisément rendu maître de la faible garde qui faisait la police à Rome pendant la paix. Il avait reçu l’hommage du sénat, pris le titre d’Auguste, et l’avait porté pendant un règne précaire et tumultueux de la durée de vingt-huit jours. La marche de quelques troupes régulières mit fin à ses espérances ; la révolte fut éteinte dans le sang de Népotien, de sa mère Eutropia et de tous ses partisans. On étendit même la proscription sur tous ceux qui avaient contracté la moindre alliance avec la famille de Constantin[92]. Mais dès que Constance, après la bataille de Mursa, devint le maître de la côte maritime de la Dalmatie, une troupe d’illustres exilés, qui avaient équipé une flotte dans un port de la mer Adriatique, vinrent dans le camp du vainqueur chercher protection et  vengeance. Ce fut par la secrète intelligence qu’ils entretinrent avec leurs concitoyens, que Rome et les villes d’Italie se laissèrent engager à déployer sur leurs murs l’étendard impérial de Constance. Les vétérans, enrichis par les libéralités du père, signalèrent leur reconnaissance et leur fidélité pour le fils. La cavalerie, les légions et les auxiliaires d’Italie, renouvelèrent leur serment d’obéissance à Constance ; et l’usurpateur, alarmé par la désertion générale, fut forcé de se retirer dans les Gaules, au-delà des Alpes, avec le petit nombre de troupes qui lui restaient fidèles. Les détachements qui reçurent ordre d’arrêter ou de poursuivre Magnence dans sa fuite, se conduisirent avec la négligence trop ordinaire dans le succès ; ils lui fournirent l’occasion de faire face à ceux qui le suivaient, et de satisfaire sa fureurs dans les plaines de Pavie, par le carnage d’une victoire inutile[93]. 

L’orgueilleux Magnence, partout malheureux et partout abandonné, fut forcé de demander la paix et demander en vain. Il envoya d’abord un sénateur dont les talents avaient obtenu sa confiance, et ensuite plusieurs évêques. Leur caractère sacré, l’offre qu’il faisait de quitter la pourpre et de dévouer les restes de sa vie au service de l’empereur, lui faisaient espérer que ces prélats lui obtiendraient une réponse plus favorable. Mais quoique Constance reçût en grâce, à des conditions très douces tous ceux qui abandonnaient les drapeaux du rebelle[94], il déclara son inflexible résolution de punir un perfide assassin qu’il allait accabler de tous côtés par l’effort de ses armes victorieuses. Une flotte impériale prit aisément possession de l’Afrique et de l’Espagne, soutint la fidélité chancelante des nations moresques, et débarqua des forces considérables qui passèrent les Pyrénées et s’approchèrent de Lyon, où Magnence trouva son dernier refuge et devait trouver la mort[95]. Dans l’extrémité où il était réduit, l’usurpateur, naturellement peu disposé à la clémence, fut obligé d’employer contre les villes de la Gaule tous les genres d’oppression, pour en tirer les secours que demandait un si pressant danger[96]. La patience des peuples s’épuisa enfin, et Trèves, le siège du gouvernement prétorien, donna le signal de la révolte en fermant ses portes à Decentius, que son frère avait élevé au rang de César ou à celui d’Auguste[97]. De Trèves, Decentius fut obligé de se retirer à Sens, où il fut enveloppé par une armée de Germains, que les artifices de Constance avaient intéressés aux dissensions des Romains[98]. Dans le même temps, les troupes impériales forcèrent les passages des Alpes Cottiennes, et le combat sanglant de Mons Seleucus marqua pour jamais le parti de Magnence du titre de rebelle[99]. L’usurpateur n’avait plus d’armée à opposer, ses gardes étaient corrompus ; et quand il paraissait en public, on le saluait unanimement des cris de vive l’empereur Constance ! Il vit bien qu’on se préparait à mériter le pardon et des récompenses par le sacrifice du principal coupable ; il prévint l’exécution de ce projet ; et, se jetant, sur sa propre épée[100], il obtint du moins une mort plus douce et plus honorable que celle qu’il pouvait attendre des mains d’un ennemi, maître de colorer sa vengeance, du prétexte spécieux de la justice et de la piété fraternelle. L’exemple de Magnence fut imité par Decentius, qui s’étrangla aussitôt qu’il eut appris la mort de son frère. Marcellinus, premier auteur de la conspiration, avait disparu à la bataille de Mursa[101], et l’exécution du reste des chefs assura la tranquillité publique. On fit une recherche sévère de tous ceux qui avaient pris part à la révolte, ou volontairement ou par nécessité. Paul, surnommé Catena, en raison de ses talents barbares dans l’exercice juridique de la tyrannie, fut chargé de découvrir les restes obscurs de la conspiration dans la province éloignée de Bretagne. On fit passer l’honorable indignation de Martin, vice préfet de l’île, pour une preuve de son crime ; et cet estimable gouverneur fût forcé de plonger dans son propre sein l’épée dont il avait frappé dans sa colère le ministre des vengeances impériales. Les citoyens les plus innocents furent exposés à l’exil, à la confiscation, aux tortures et à la mort ; et comme la timidité est toujours barbare, l’âme de Constance fût inaccessible à la pitié[102].

 

 

 



[1] On ne se trompera point sur Constantin, en croyant tout le mal qu’en dit Eusèbe, et tout le bien qu’en dit Zozime. (Fleury, Hist. ecclésiastique, t. III, p. 233.) Eusèbe et Zozime sont en effet aux deux extrémités de la flatterie et de l’invective. On ne trouve les nuances intermédiaires que dans les écrivains dont le zèle religieux est tempéré par leur caractère ou par leur position.

[2] Le tableau des vertus de Constantin est tiré, en grande partie, des écrits d’Eutrope et de Victor le jeune, deux païens de bonne foi, qui écrivirent après l’extinction de sa famille. Zozime lui-même et l’empereur Julien reconnaissent son courage personnel et ses talents militaires.

[3] Voyez Eutrope, X, 6. In primo imperii tempore optimis principus, ultimo medus comparandus. L’ancienne version grecque de Pœanius (édit. de Havercamp, p. 697) me porte à croire qu’Eutrope avait dit VIX mediis, et que les copistes ont supprimé à dessein ce monosyllabe offensant. Aurelius-Victor exprime l’opinion générale par un proverbe qu’on répétait souvent alors, et qui est obscur pour nous : TRACHALA décent annis præstantissimus ; duodecim sequentibus LATRO ; decem novissimis PUPILLUS, ob immodicas profusiones.

[4] Julien, orat. I, p. 8 (ce discours flatteur fut prononcé devant le fils de Constantin) ; et les Césars, p. 335 ; Zozime, p. 114-115. Les magnifiques bâtiments de Constantinople, etc., peuvent être cités comme une preuve incontestable de la profusion de celui qui les éleva.

[5] L’impérial Ammien mérite toute notre confiance. Proximorum fauces aperuit primos omnium Constantinus, l. XVI, c. 8. Eusèbe lui-même convient de cet abus (Vit. Constant., l. IV, c. 29, 54), et quelques unes des lois impériales en indiquent faiblement le remède.

[6] Julien s’efforce, dans les Césars, de couvrir son oncle de ridicule. Son témoignage, suspect, en lui-même, est confirmé toutefois par le savant Spanheim, d’après les médailles. (Voyez Commentaire, p. 156 299, 397, 458.) Eusèbe (orat., c. 3) allègue que Constantin s’habillait pour le public, et non pour lui-même. Si on admet cette raison, le petit-maître le plus ridicule ne manquera jamais d’excuse.

[7] Zozime et Zonare nous montrent dans Minervina la concubine de Constantin ; mais Ducange combat vaillamment et avec succès pour l’honneur de Minervina, en citant un passage décisif de l’un des panégyriques : Ab ipso fine pueritiæ, te matrimonii legibus dedisti.

[8] Ducange (Familiœ byzantinœ, p. 44) lui donne, d’après Zonare, le nom de Constantin. Il n’est pas vraisemblable que ce fut son nom, puisque le frère aîné le portait déjà. Celui d’Annibalianus se trouvé dans la Chronique de Pascal, et Tillemont l’emploie, Histoire des empereurs, t. IV, p. 527.

[9] Saint Jérôme, in Chron. La pauvreté de Lactance doit tourner à la louange du désintéressement du précepteur, ou à la honte de l’insensibilité de son patron. Voyez Tillemont, Mém. ecclésiastique, t. VI, part. I, p. 345 ; Dupin, Bibliothèque ecclésiastique, t. I, p. 205 ; Lardner, Crédibity of the Gospel history, part. 2, vol. VII, p. 66.

[10] Eusèbe, Hist. ecclésiastique, l. X, c. 9 ; Eutrope (X, 6) l’appelle egregium virum ; et Julien (orat. I)  fait clairement allusion aux exploits de Crispus durant la guerre civile. Voyez Spanheim, Comment., p. 92.

[11] Comparez Idatius et la Chronique de Pascal avec Ammien (l. XIV, c. 5). L’année où Constance fut créé César, paraît avoir été fixée d’une manière plus exacte par les deux chronologistes ; mais, l’historien qui vivait dans sa cour ne pouvait ignorer le jour de l’anniversaire. Quant à la nomination du nouveau César au commandement des provinces de la Gaule, voyez Julien, orat. I, p. 12 ; Godefroy, Chron. legum, page 26 ; et Blondel, de la Primauté de l’Église, p. 1183.

[12] Code Théodosien, l. IX, tit. 4. Godefroy soupçonne les motifs secrets de cette loi. Comment., tome III, p. 9.

[13] Ducange, Fam. byzant., page 28 ; Tillemont, t. IV, page 610.

[14] Ce poète s’appelait Porphyrius-Optatianus. La date de ce panégyrique, écrit en plats acrostiches, selon le goût du siècle, est déterminée par Scaliger, ad Eusèbe, p. 250, par Tillemont, t. IV, p. 607, et Fabricius, Biblioth. lat., l. IV, c. 1.

[15] Zozime, l. II, p. 103 ; Godefroy, Chronol. lég., p. 28.

[16] Αxριτως, sans formes judiciaires. Telle est l’expression énergique et vraisemblablement très juste de Suidas. Victor l’ancien, qui écrivit sous le règne suivant, s’énonce avec précaution : Natu grandior incertum quâ causâ, patris judicio, occidisset. Si on consulte les écrivains postérieurs, Eutrope, Victor le jeune, Orose, saint Jérôme, Zozime, Philostorgius, et Grégoire de Tours, on verra que leur assurance s’accroît à mesure que des moyens qu’ils ont de connaître la vérité diminuent ; remarque qu’on a souvent occasion de faire dans les recherches historiques.

[17] Ammien (l. XIV, c. 11) emploie l’expression générale peremptum. Codinus (p. 34) dit que le jeune prince fut décapité ; mais Sidonius Apollinaris (epistolœ V, 8) lui fait administrer un poison froid peut-être pour que ce genre de mort formât une antithèse avec le Bain chaud de Fausta.

[18] Sororis filium, commodæ indolis juvenem. Eutrope, X, 6. Ne peut-on pas conjecturer que Crispus avait épousé Hélène, fille de l’empereur Licinius, et que Constantin accorda un pardon général, lors de l’heureuse délivrance de la princesse en 322 ? Voyez Ducange, Fam. Byzant., p. 47 ; et la loi (l. X, tit. 37) du Code Théodosien, qui a si fort embarrassé les interprètes ; Godefroy, t. III. p. 267 (*).

(*) Cette conjecture est fort douteuse ; l’obscurité de la loi citée du Code Théodosien, permet à peine quelque induction, et il n’existe qu’une médaille que l’on puisse attribuer à une Hélène, femme de Crispus. Voyez Eckhel, Doct. num. vet., t. VIII, p. 102 et 145. (Note de l’Éditeur.)

[19] Voyez la Vie de Constantin, surtout au l. II, c. 19-20. Deux cent cinquante ans après, Evagrius (l. III, c. 41) tirait du silence d’Eusèbe un vain argument contre la réalité du fait.

[20] Histoire de Pierre le Grand, par Voltaire, part. 2, c. 10.

[21] Afin de prouver que cette statue fut élevée par Constantin, et malicieusement cachée ensuite par les ariens, Codinus se créé tout à coup (p. 34) deux témoins, Hippolyte et le jeune Hérodote, et il en appelle avec effronterie à leurs écrits qui n’ont jamais existé.

[22] Zozime, l. II p. 103, peut être regardé comme notre autorité. Les recherches ingénieuses des modernes, aidés de quelques mots échappés aux anciens, ont éclairé et perfectionné son obscure et imparfaite narration.

[23] Philostorgius, l. II, c. 4 ; Zozime, l. II, p. 104, 116, impute à Constantin la mort de deux femmes, de l’innocente Fausta, et d’une épouse adultère, qui fut la mère de ses trois successeurs. Selon saint Jérôme, trois ou quatre années s’écoulèrent entre la mort de Crispus et celle de Fausta. Victor l’ancien se tait prudemment.

[24] Si Fausta fut mise à mort, il est raisonnable de croire qu’elle fut exécutée dans l’intérieur du palais. L’orateur saint Chrysostome donne carrière à son imagination ; il expose l’impératrice nue sur une montagne déserte, et la fait dévorer par des bêtes sauvages.

[25] Julien (Orat. I) semble l’appeler la mère de Crispus ; elle a pu prendre ce titre par adoption : du moins on ne la regardait pas comme son ennemie mortelle. Julien compare la fortune de Fausta avec celle de Parysatis, reine de Perse. Un Romain l’aurait comparée plus naturellement à la seconde Agrippine :

Et moi qui sur le trône ai suivi mes ancêtres,

Moi, fille, femme, sœur et mère de vos maîtres.

[26] Monod. in Constant. Jun., c. 4 ; ad calcem Eutrop., édit. de Havercamp. L’orateur l’appelle la plus sainte et la plus pieuse des reines.

[27] Interfecit numerosos amicos. Eutrope, XX, 6.

[28] Saturni aurea sœcula quis requiral ?

Sunt hæc gemmea, sed Neroniana. Sidoine Apollinaire, I, 8.

Il est un peu singulier qu’on attribue ces vers, non pas à un obscur faiseur de libelles, ou à un patriote trompé dans ses espérances, mais à Ablavius, premier ministre et favori de l’empereur. On peut remarquer que les imprécations du peuple romain étaient dictées par l’humanité ainsi que par la superstition. Zozime, II, p. 105.

[29] Eusèbe, Orat. in Constant., c. 3. Ces dates sont assez exactes pour justifier l’orateur.

[30] Zozime, II, p. 117. Sous les prédécesseurs de Constantin, le mot de nobilissimus était une épithète vague, plutôt qu’un titré légal  et déterminé.

[31] Adstruunt numi veteres ac singulares. Spanheim, de Usu, numismatum. Dissertat. XII, vol. II, p. 357. Ammien parle de ce roi romain (l. XIV, c. I), et Valois (ad loc.). Le fragment de Valois l’appelle le roi des rois ; et la Chronique de Pascal (p. 286), qui emploie le mot Ρηγα, acquiert le poids d’un témoignage latin.

[32] Julien (Orat. 1, p. 11 ; Orat. 2, p. 53) donne des éloges à son habileté dans les exercices de la guerre et Ammien (l. XXI, c. 16) en convient.

[33] Eusèbe, in vit. Constant., l. IV, c. 51 ; Julien, Orat. 1, p. 11-16, avec le savant Commentaire de Spanheim ; Libanius, Orat. 3, p. 109. Constance étudiait avec une ardeur louable mais la pesanteur de son imagination l’empêcha de réussir dans l’art de la poésie, et même dans celui de la rhétorique.

[34] Eusèbe (l. IV, c. 51, 52), pour exalter l’autorité et la gloire de Constantin, assure qu’il fit le partage de l’empire romain comme un citoyen aurait fait le partage de son patrimoine. On peut tirer d’Eutrope, des deux Victor et du fragment de Valois, la division qu’il établit pour les provinces.

[35] Calocerus, le chef obscur de cette rébellion, ou plutôt de cette émeute, fut pris par les soins de Dalmatius, et brûlé vif au milieu du marché de Tarse. Voyez Victor l’ancien, la Chronique de saint Jérôme, et les traditions incertaines rapportées par Théophaine et Cedrenus.

[36] Voyez les notes ajoutées au chapitre IX de cet ouvrage, sur les peuples de l’Orient et du nord de l’Europe. (Note de l’Éditeur.)

[37] Cellaris a recueilli les opinions des anciens sur la Sarmatie d’Europe et d’Asie ; et M. d’Anville les a appliquées à la géographie moderne, avec la sagacité à l’exactitude qui distinguent toujours cet excellent écrivain.

[38] Ammien, l. XVII, c. 12. Les Sarmates coupaient leurs chevaux, afin de prévenir les accidents que pouvaient occasionner les passions bruyantes et indomptables des mâles.

[39] Pausanias, l. I, p. 50, édit. de Khun. Ce voyageur, avide de connaissances, a examiné avec soin une cuirasse de Sarmate qu’on conservait dans le temple d’Esculape à Athènes.

[40] Ovide, ex Ponto, l. IV, épist. 7, v. 7 :

Aspicis et mitti ub adunco toxica ferro,

Et telum causas mortis habere duas.

Voyez dans les Recherches sur les Américains, t. II, p. 236-271, une dissertation très curieuse sur les flèches empoisonnées. On tirait communément le poison du règne végétal ; mais celui qu’employaient les Scythes paraît avoir été tiré de la vipère et mêlé de sang humain. L’usage des armes empoisonnées qui s’est répandu, dans les deux mondes, n’a jamais garanti une tribu sauvage des armes d’un ennemi discipliné.

[41] Les neuf livres de lettres en vers qu’Ovide composa, durant les sept premières années de son exil, ont un autre mérite que celui de l’élégance et de la poésie. Elles offrent un tableau du cœur de l’homme dans des circonstances peu communes, et elles contiennent des observations curieuses qu’Ovide, seul de tous les Romains, avait eu occasion de faire. Tout ce qui peut jeter du jour sur l’histoire des Barbares a été recueilli par le comte du Buat, dont les recherches ont beaucoup d’exactitude. Histoire ancienne des peuples de l’Europe, t. IV, c. 26, p. 186-317.

[42] Les Sarmates Jazyges étaient établis sur les bords du Pathissus ou Tibiscus, lorsque Pline (l’an 79) publia son Histoire naturelle (voyez le livre IV, c. 25). Il paraît qu’au temps de Strabon et d’Ovide, soixante ou soixante-dix années auparavant, ils habitaient au-delà du pays des Gètes, le long de la côte de l’Euxin.

[43] Principes Sarmatorurn Jazigum penes quos civitatis regimen..., plebem quoque et vim equitum qua sola valent, offerebant (on appela dans les rangs de l'armée les chefs les plus puissants des Sarmates Jazyges. Ils offraient aussi le gros de leur nation et cette redoutable cavalerie qui en fait toute la force). Tacite, Hist., III, 5. Il parle de ce qu’on avait vu dans la guerre civile entre Vitellius et Vespasien.

[44] Cette hypothèse d’un roi vandale donnant des lois à des Sarmates, paraît indispensable pour concilier le Goth Jornandès avec les auteurs latins et grecs qui ont fait l’histoire de Constantin (*). On peut remarquer qu’Isidore, qui vivait en Espagne sous la domination des Goths, leur donne pour ennemis, non les Vandales, mais les Sarmates.  Voyez sa Chronique dans Grotius, p. 709.

(*) J’ai déjà parlé de la confusion qui naît nécessairement dans l’histoire, lorsque des noms purement géographiques, comme celui de Sarmatie, sont pris pour des noms historiques appartenant à une seule nation : elle se fait sentir ici ; elle a forcé Gibbon à supposer, sans autre raison que la nécessité de se tirer d’embarras, que les Sarmates avaient pris un roi parmi les Vandales, supposition entièrement contraire aux moeurs des Barbares. La Dacie, à cette époque, était occupée, non par des Sarmates, qui n’ont jamais formé une race distincte, mais par des Vandales, que les anciens ont souvent confondus sous l’acceptation générique de Sarmates. Voyez Gatterers Weltgeschichte, p. 464. (Note de l’Éditeur).

[45] Je dois me justifier d’avoir employé sans scrupule le témoignage de Constantin Porphyrogénète, dans tout ce qui a rapport aux guerres et aux négociations des Chersonites. Je sais que c’était un Grec du dixième siècle, et que ce qu’il dit des anciens événements est souvent confus et fabuleux ; mais sa narration est ici bien liée et vraisemblable, et il n’est pas difficile de concevoir qu’un empereur ait pu consulter des monuments secrets qui ont échappé aux recherches des autres historiens. Quant à la position et à l’histoire de Cherson, voyez Peyssonel, des Peuples barbares qui ont habité les bords du Danube, c. 16, p. 84-90.

[46] Les guerres des Goths et des Sarmates sont racontées d’une manière si, imparfaite  et avec tant de lacunes, que j’ai été obligé de comparer les écrivains cités à la fin de cette note, qui s’appuient, se corrigent et s’éclairent mutuellement. Ceux qui prendront la même peine auront le droit de critiquer mon récit. Voyez Ammien, XVII, c. 12 ; Anonyme de Valois, p. 715 ; Eutrope, X, 7 ; Sextus-Rufus, de Provinciis, c. 26 ; Julien, Orat. I, p. 9, et le Commentaire de Spanheim, p. 94 ; saint Jérôme, in Chron. ; Eusèbe, in Vit. Constant., IV, c. 6 ; Socrate, I, c. 18 ; Sozomène, I, c. 8 ; Zozime, II, p. 108 ; Jornandès, de Rebus geticis, c. 22 ; Isidore, in Chron., p. 709, in Hist. Gothorum Grotii ; Constantin Porphyrogénète, de Administratione imperii, p. 208, éd. de Meursius.

[47] Eusèbe (in vita Const., IV, c. 50) fait trois remarques sur ces Indiens : 1° ils venaient des côtes de l’océan Oriental, ce qui peut s’appliquer à la côte de la Chine et à celle de Coromandel ; 2° ils offrirent à Constantin des pierres précieuses et des animaux inconnus ; 3° ils assurèrent que leurs rois avaient élevé des statues en l’honneur de la majesté suprême de Constantin.

[48] Funus relatum in urbem sui nominis ; quode sane P. R., œgerrime tulit. (Aurelius-Victor). Constantin avait préparé un magnifique tombeau pour lui dans l’Église des Saints Apôtres. (Eusèbe, IV, c. 60). Le meilleur récit, et presque le seul que nous ayons de la maladie, de la mort  et des funérailles de Constantin, se trouve dans le quatrième livre de sa vie par Eusèbe.

[49] Eusèbe (IV, c. 6) termine son récit, par ce témoignage de la fidélité des troupes, et il a soin de taire les circonstances odieuses du massacré qui suivit.

[50] Eutrope (X, 9) a fait un portrait avantageux, mais en peu de mots, de Dalmatius : Dalmatius Cœsar, prosperrima indole, neque patruo absimilis, HAUD MULTO POST oppressus est factione militari. Comme saint Jérôme et  la Chronique d’Alexandrie parlent de la troisième année du César, qui ne commença qu’au 18 où au 24 septembre A. D. 337, il est certain que ces factions militaires durèrent plus de quatre mois.

[51] J’ai rapporté cette singulière anecdote d’après Philostorgius, II, c. 16 (*) ; mais si Constantin et ses adhérents firent jamais valoir un pareil prétexte, ils y renoncèrent avec mépris dès qu’il eut rempli leur dessein immédiat. Saint Athanase (t. I, p. 856) parle du serment qu’avait fait Constance pour garantir la sûreté de ses parents.

(*) L’autorité de Philostorgius est si suspecte, qu’elle ne suffit pas pour établir un fait pareil, que Gibbon a inséré dans son histoire comme certain, tandis que dans la note même il paraît en douter (Note de l’Éditeur.)

[52] Conjugia sobrinarum diu ignorata, tempore addito percrebuisse (Longtemps aussi les mariages entre cousins germains furent inconnus ; ils ont fini par devenir fréquents). (Tacite, Annal., XII, 6 ; et Lipse, ad loc.). La révocation de l’ancienne loi, et un usage de cinq cents ans, ne suffirent pas pour détruire les préjugés des Romains, qui regardaient, toujours un mariage entre des cousins germains comme une espèce d’inceste (saint Augustin, de Civ. Dei, XV, 6) ; et Julien, que la superstition et le ressentiment rendaient partial donne à ces alliances contraires à la nature l’épithète ignominieuse de γαμων τε ου γαμων (orat. 7, p. 228). La jurisprudence canonique a depuis ranimé et renforcé cette prohibition, sans pouvoir l’introduire dans la loi civile, et la loi commune, de l’Europe. Voyez sur ces mariages Taylow’s civil Law, p. 331 ; Brorer, de Jure connub., II, c. 12 ; Héricourt, des Lois ecclésiastiques, part. 3, c. 5 ; Fleury, Institutions du droit canonique, t. I, p. 331, Paris, 1767 ; et Fra Paolo, Istoria del concilio Trident., VIII.

[53] Julien (ad. S. P. Q., Athén., p. 270 ) attribue à son cousin Constance tout le crime d’un massacre dans lequel il manqua de perdre la vie. Saint Athanase, qui par des raisons très différentes, avait autant d’inimitié pour Constance (tome I, p. 856), confirme cette assertion ; Zozime se réunit à eux dans cette accusation ; mais les trois abréviateurs,  Eutrope et les deux Victor se servent d’expressions très remarquables : Sinente potius quam jubente..... Incertum quo suasore..... Vi militum.

[54] Ses États comprenaient la Gaule, l’Espagne et l’Angleterre, que son père lui avait données en le nommant César : il paraît aussi qu’il eut la Thrace. (Chron. Alex., p. 670.) Ce premier partage eut lien à Constantinople, l’an de J.-C. 337. L’année suivante, les trois frères se réunirent de nouveau dans la Pannonie, pour faire quelques changements à cette première distribution. Constance obtint alors la possession de Constantinople et de la Thrace. Les mutations qui s’opérèrent dans les États de Constantin et ceux de Constans, sont expliquées si obscurément ; que je ne hasarderai pas de les déterminer. Voyez Tillemont, Histoire des Empereurs, vie de Constance, art. 2 (Note de l’Éditeur.)

[55] Eusèbe, in Vit. Constant., IV, c. 69 ; Zozime, II, p. 117 ; Idat., in Chron. Voyez deux notes de Tillemont, Histoire des Empereurs, t. IV, p. 1086-1091. La Chronique d’Alexandrie fait seule mention du règne du frère aîné à Constantinople.

[56] Agathias, qui vivait au sixième siècle, rapporte cette histoire (IV, p. 135, édit. du Louvre) Il l’a tirée de quelques extraits des chroniques de Perse, que l’interprète Sergius s’était procurés, et avait traduits durant son ambassade à cette cour. Schikard (Tarikh, p. 116) et d’Herbelot (Bibtioth. Orient., p. 763) parlent aussi du couronnement de la mère de Sapor.

[57] D’Herbelot, Bibliothèque orientale, p. 764.

[58] Sextus-Rufus (c. 26), qui, dans cette occasion, n’est pas une autorité méprisable, assure que les Persans demandèrent en vain la paix ; et que Constantin se préparait à marcher contre eux. Mais le témoignage d’Eusèbe, qui a plus de poids, nous oblige à admettre les préliminaires, sinon la ratification du traité. Voyez Tillemont, Hist. des Empereurs, t. IV, p. 40.

[59] Julien, Orat. I, p. 20.

[60] Julien, Orat. I, p. 20-21 ; Moïse de Chorène, II, c. 89, III, c. 1-9, p. 226-240. L’accord parfait qu’on remarque entre les mots vagues de l’orateur contemporain, et le récit détaillé de l’historien national, jette du jour sur les passages de l’orateur, et ajoute du poids aux détails de l’historien. Il faut observer, à l’avantage de Moïse, qu’on trouve le nom d’Antiochus, peu d’années auparavant, dans la liste de ceux qui exerçaient un emploi civil d’un rang inférieur. Voyez Godefroy, Cod. Théodosien, t. IV, p. 350.

[61] Ammien (XIV, 4) fait une description animée de la vie  errante de ces voleurs arabes, qu’on trouvait des confins de l’Arabie aux cataractes du Nil, Les aventures de Malchus, racontées par saint Jérôme d’une manière si agréable, font croire que ces voleurs infestaient le grand chemin entre Bérée et Édesse. Voyez saint Jérôme, t. I, p. 256.

[62] Eutrope (X, 10) nous donne une idée générale de la guerre : A Persis enim multa et gravia perpessus, sæpe captis oppidise, obsessis urbibus, cœsis exercitibus, nullumque ei contra Saporem prosperum prælium fuit, nisi quod apud Singaram, etc. Ce récit sincère se trouve confirmé par quelques mots d’Ammien, de Rufus, de saint Jérôme. Les deux premiers discours de Julien, et le troisième de Libanius, présentent un tableau plus flatteur, mais la rétractation de ces deux orateurs, après la mort de Constance, avilit leur caractère et celui de l’empereur ; en même temps qu’elle rétablit la vérité. Spanheim a été prodigue d’érudition dans son Commentaire sur le premier discours de Julien. Voyez aussi les observations judicieuses de Tillemont, Hist. des Empereurs, t. IV, p. 656.

[63] Acerrima nocturna concertatione pugnatum est, nostrorum copiis ingenti strage confossis. Ammien, XVIII, 5. Voyez aussi Eutrope, X, 10 ; et Sextus-Rufus, c. 27.

[64] Libanius, Orat. 3, p. 133 ; Julien, Orat. 1, p. 24, et le Commentaire de Spanheim, p. 179.

[65] Voyez Julien, Orat. 1, p. 27 ; Orat. 2, p. 62,  et le Commentaire Spanheim, p. 188-202 ; qui éclaircit les détails et fixe l’époque des trois siéges de Nisibis. Tillemont (Hist. des Empereurs, t. IV, p. 668, 671, 674) examine aussi les dates de ces sièges. Zozime (III, p. 151) et la Chron. d’Alexandrie (p. 290) ajoutent quelques détails sur ces différents points.

[66] Salluste, fragment 84, édit. du président de Brosses, et Plutarque, in Lucullus, t. III, p. 184. Nisibis n’a plus aujourd’hui que cent cinquante maisons. Ses terres marécageuses produisent du riz, et ses fertiles prairies jusqu’à Mosul et jusqu’au Tigre, sont couvertes de ruines de villes et de villages. Voyez Niebuhr, Voyages, t. II, p. 300-309.

[67] Les miracles que Théodoret (II, c. 30) attribue à Saint-Jacques, évêque d’Édesse, se firent du moins pour une digne cause, pour la défense de son pays. Il parut sur les murs sous la figure d’un empereur romain, et lâcha des millions de cousins, qui piquèrent les éléphants et mirent en déroute l’armée du nouveau Sennachérib.

[68] Julien, Orat. 1, p. 27. Quoique Niebuhr (t. II, p. 307), donne un accroissement considérable au Mygdonius, sur lequel il a vu un pont de douze arches, il est difficile cependant d’imaginer qu’il ait eu quelque raison de comparer cette petite rivière à un grand fleuve. Il y a plusieurs détails obscurs et presque inintelligibles dans ces immenses travaux sur le lit du Mygdonius.

[69] C’est Zonare (t. II, XIII, p. 11) qui raconte cette invasion des Massagètes, bien d’accord avec la série générale des événements que l’histoire interrompue d’Ammien fait entrevoir d’une manière obscure.

[70] Les historiens racontent avec beaucoup d’embarras et de contradictions les causes et les effets de cette guerre civile : j’ai suivi principalement Zonare et Victor le jeune. La monodie (ad calcem Eutrop., édit. Havercamp) prononcée à la mort de Constantin, aurait pu être instructive ; mais sa prudence et le mauvais goût ont jeté l’orateur dans de vagues déclamations.

[71] Quarum (GENTIUM) obsides pretio quœsitos pueros venustiores, quod cultius habucrat, libidine hujusmodi arcisse, PRO CERTO habetur ! Si les goûts dépravés de Constans n’avaient pas été publics, Victor l’ancien qui exerçait un emploi considérable sous le règne de son frère, ne se serait pas exprimé d’une manière si positive.

[72] Julien, Orat. 1, et 2 ; Zozime, II, p. 134 ; Victor, in Épitomé. Il y a lieu de croire que Magnence avait reçu le jour au milieu d’une de ces colonies de Barbares établies par Constance-Chlore dans la Gaule (voyez son histoire, chapitre XIII de cet ouvrage) : sa conduite nous rappelle le patriote comte de Leicester, le fameux Simon de Montfort, qui vint à bout de persuader au peuple d’Angleterre que lui, Français de naissance, avait pris les armes pour le délivrer des favoris étrangers.

[73] Cette ancienne ville avait été florissante sous le nom d’Illiberis (Pomponius Mela, II, 5) ;  Constantin lui rendit de l’éclat, et lui donna le nom de sa mère. Helena (elle est encore appelée Elne) devint le siège d’un évêque, qui, longtemps après, transféra sa résidence à Perpignan, capitale actuelle du Roussillon. Voyez d’Anville, Notice de l’ancienne Gaule, p. 380 ; Longuerue, Description de la France, p. 223 ; et  la Marca hispanica, I, c. 2.

[74] Zozime, II, p. 19-120 ; Zonare, tome II, XIII, p. 13 ; et les abréviateurs.

[75] Eutrope (X, 10) fait le portrait de Vetranio avec plus de modération, et, vraisemblablement avec plus de justesse que les deux Victor. Vetranio était né d’une famille obscure, dans les cantons sauvages de la Mœsie, et son éducation avait été si négligée, que ce fut après son élévation qu’il apprit à lire.

[76] La conduite incertaine et variable de Vetranio est racontée par Julien dans son premier discours, et exposée avec exactitude par Spanheim, qui discute la position et la conduite de Constantina.

[77] Voyez Pierre Patrice dans les Excerpta legationum, page 27.

[78] Zonare, t. II, XIII, p. 16. La position de Sardica, près de la ville moderne de Sophia, paraît plus propre à cette entrevue, que Naissus et Sirmium, où elle est placée par saint Jérôme, Socrate et Sozomène.

[79] Voyez les deux premiers discours de Julien, surtout p. 31 ; et Zozime, II, p. 122. La narration de l’historien, qui est nette, éclaircit les descriptions étendues, mais vagues, de l’orateur.

[80] Victor le jeune, en parlant de l’exil de Vetranio, emploie cette expression remarquable : voluptarium otium.  Socrate (II, c. 18) atteste la correspondance avec l’empereur, et qui semble prouver que Vetranio était en effet prope ad sultitiam simplicissimus.

[81] Eum Constantius.... facundiæ vi dejectum imperio in privatum otium removit. Quæ gloria, post natum imperium, soli processit eloquio, clementiaque,  etc. Aurelius-Victor, Julien et Themistius (Orat., 3 et 4) chargent cet exploit de toute l’enluminure de leur rhétorique.

[82] Busbequius (p. 112) traversa la Basse Hongrie et l’Esclavonie dans un temps où les hostilités réciproques des Turcs et des chrétiens avaient rendu ces deux contrées presque désertes. Toutefois il parle avec admiration de l’indomptable fertilité du sol, il observe que l’herbe y était assez haute pour soustraire à la vue un chariot chargé. Voyez aussi les Voyages de Browne, dans la Collection de Harris, vol. II, p. 762 etc.

[83] Zozime raconte longuement la guerre et les négociations (II, p. 123-130) ; mais comme il n’annonce pas des connaissances bien sures touchant l’art militaire ni la politique, il faut examiner son récit avec soin, et ne l’admettre qu’avec précaution.

[84] Ce pont remarquable, qui est flanqué de tours, et qui repose sur de grandes piles de bois, fut construit A. D. 1566 par le sultan Soliman, pour faciliter la marche de ses troupes en Hongrie. Voyez les Voyages de Browne, et le Système de Géographie de Busching, vol. II, p. 90.

[85] Julien (Orat. 1, p. 36) décrit nettement, mais en peu de mots, cette position et les évolutions subséquentes.

[86] Sulpice-Sévère, liv. II, p. 405.  L’empereur passa la journée en prières avec l’arien Valens, évêque de Mursa, qui gagna sa confiance en prédisant le succès de la bataille. M. de Tillemont (Hist. des Empereurs, t. IV, p 1110) remarque avec raison le silence de Julien sur les exploits personnels de Constance à la bataille de Mursa. Le silence de la flatterie équivaut quelquefois au témoignage le plus authentique et le plus positif.

[87] Julien, Orat. 1, p, 36, 37 ; et Orat. 2, p. 59, 60 ; Zonare, t. II, XIII, p. 17 ; Zozime, II, p. 130-133. Le dernier, de ces écrivains vante la dextérité de l’archer Ménélas, qui lançait trois flèches en même temps, avantage qui, selon ses idées sur l’art militaire, aurait beaucoup contribué à la victoire de Constance.

[88] Zonare dit que Constance perdit trente mille hommes, sur les quatre-vingts qui composaient son armée, et que Magnence en perdit vingt quatre mille sur trente-six. Les autres détails de sa narration paraissent probables et authentiques ; mais l’auteur où les copistes doivent s’être trompés sur le nombre des troupes du tyran. Magnence avait rassemblé toutes les forces de l’Occident, les Romains et les Barbares et il en avait formé une armée redoutable, qu’on ne petit estimer à moins de cent mille hommes. Julien, Orat. 1, p. 34-35.

[89] Ingentes R. I. vires ea dimicatione consumptæ sunt, ad quœlibet bella externa idoneœ, quæ multum triumphorum possent, securitatisque conferre. Eutrope, X, 13. Victor le jeune parle dans le même sens.

[90] On doit préférer ici le témoignage non suspect de Zozime et de Zonare aux assertions flatteuses de Julien. Magnence a un caractère singulier sous la plume de Victor le jeune : Sermonis acer, animi tumidi, et immodice timidus ; artifex tamen ad occultandam audaciœ specie formidinem. Mais lors de la bataille de Mursa se laissa-t-il conduire par la nature ou l’art ? Je pencherais pour le dernier.

[91] Julien, Orat. 1, p. 38, 39. En cet endroit, ainsi que dans le discours 2, p. 97, il laisse entrevoir la disposition générale du sénat, du peuple et des soldats de l’Italie, en faveur de l’empereur.

[92] Victor l’ancien d’écrit en termes pathétiques la malheureuse condition de Rome : Cujus stolidum ingenium adeo P. R. patribusque exitio fuit, uti passim domus, fora, viœ templaque, cruore, cadaveribusque opplerentur bustorum modo. Saint Athanase (t . I, p. 67) déplore le sort de plusieurs illustres victimes ; et Julien (orat. 2, p. 58) parle avec exécration de la cruauté de Marcellinus, l’implacable ennemi de la maison de Constantin.

[93] Zozime, II, p. 133 ; Victor, in Épitomé. Les panégyristes de Constance oublient, avec leur bonne foi ordinaire, de faire mention de cette défaite.

[94] Zonare, t. II, XIII, p, 17. Julien s’étend, en plusieurs endroits des deux discours, sur la clémence de Constance envers des rebelles.

[95] Zozime, II, p. 133 ; Julien, orat. 1, p. 40 ; II, p. 74.

[96] Ammien, XV, 6 ;  Zozime, II, p. 113. Julien, qui (orat. 1, p. 40) déclame contre les cruels effets du désespoir du tyran, parle (orat. 1, p. 34) des édits vexatoires que lui dictèrent ses besoins ou son avarice. Il obligea ses sujets à acheter les domaines de l’empire, espèce de propriété incertaine et dangereuse, dont l’acquisition, dans une révolution , pouvait être présentée comme un crime de lèse-majesté.

[97] Les médailles de Magnence célèbrent, les victoires des deux Augustes et du César. Le César était un autre frère appelé Desiderius. Voyez Tillemont, Hist. des Empereurs, t. IV, p. 157.

[98] Julien, orat. 1, p. 40 ; II, p. 74 ; et Spanheim, p. 263. Le Commentaire de ce dernier jette du jour sur les opérations de la guerre civile. Mons Seleuci était une petite place située dans les Alpes Cottiennes, à peu de milles de Vapineum ou de Gap, ville épiscopale du Dauphiné. Voyez d’Anville, Notice de la Gaule, p. 464 ; et Longuerue, Description de la France, p. 327.

[99] Zozime, II, p. 134 ; Libanius, orat. X, p. 268, 269. Le dernier accuse d’un ton véhément cette politique cruelle et égoïste de Constance.

[100] Julien, orat. 1, p. 40 ; Zozime, II, p. 134 ; Socrate, II, c. 32 ; Sozomène, IV, c. 7. Victor le jeune décrit la mort du tyran avec des détails horribles : Transfosso latere, ut erat vasti corporis, vulnere naribusque et ore cruorem effundens, expiravit. Si nous pouvons ajouter foi à Zonare, le tyran, avant d’expirer, eut le plaisir d’égorger, de sa propre main, sa mère et son frère Desiderius.

[101] Julien (orat. 1, p. 58, 59) paraît embarrassé de dire s’il s’infligea lui-même le châtiment de ses crimes, s’il se noya dans la Drave, ou si les démons vengeurs le portèrent du champ de bataille au lieu où il devait subir des tourments éternels.

[102] Ammien, XIV, 5, XXI, 16.