Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain

 

Chapitre XIV

Troubles après l’abdication de Dioclétien. Mort de Constance. Élévation de Constantin et de Maxence. Six empereurs dans le même temps. Mort de Maximien et de Galère. Victoires de Constantin sur Maxence et sur Licinius. Réunion de l’empire sons l’autorité de Constantin.

 

 

LE SYSTÈME d’administration qu’avait établi Dioclétien, perdit son équilibre dès qu’il ne fut plus soutenu par la main ferme et adroite du fondateur. Ce système exigeait un mélange si heureux de talents et de caractères différents, qu’il eût été difficile de les rassembler de nouveau. Pouvait-on se flatter de voir encore une fois deux empereurs sans jalousie, deux Césars sans ambition, et quatre princes indépendants animés du même esprit, et invariablement attachés à l’intérêt général ? L’abdication de Dioclétien et de Maximien fut suivie de dix-huit ans de confusion et de discordes ; cinq guerres civiles déchirèrent le sein de l’empire ; et les intervalles de paix furent moins un état de repos qu’une suspension d’armes entre des monarques ennemis, qui, s’observant mutuellement avec l’œil de la crainte et de la haine, s’efforçaient d’accroître leur puissance aux dépens de leurs sujets.

Dès que Dioclétien et Maximien eurent quitté la pourpre, le poste qu’ils avaient occupé fut, en vertu des règles de la nouvelle constitution, rempli par les deux Césars. Constance et Galère prirent aussitôt le titre d’Auguste[1]. Le droit de préséance, et les honneurs dus à l’âge furent accordés au premier de ces princes. Il gouverna sous une nouvelle dénomination son ancien département, la Gaule, l’Espagne et la Bretagne. L’administration de ces vastes provinces suffisait pour exercer ses talons et pour satisfaire son ambition. La modération, la douceur et la tempérance, caractérisaient principalement cet aimable souverain, et ses heureux sujets avaient souvent occasion d’opposer les vertus de leur maître aux passions violentes de Maximien, et même à la conduite artificieuse de Dioclétien. Au lieu d’imiter le vaste et la magnificence asiatique, qu’ils avaient introduits dans leurs cours, Constance conserva la modestie d’un prince romain. Il disait avec sincérité que son plus grand trésor était dans le cœur de ses peuples ; et qu’il pouvait compter sur leur libéralité et sur leur reconnaissance toutes les fois que la dignité du trône et que les dangers de l’État exigeraient quelqu’un secours extraordinaire[2]. Les habitants de la Gaule, de l’Espagne et de la Bretagne, pleins du sentiment de son mérite et du bonheur dont ils jouissaient, ne songeaient qu’avec anxiété à la santé languissante de leur souverain, et ils envisageaient avec inquiétude l’âge encore tendre des enfants qu’il avait eus de son second mariage avec la fille de Maximien.

Les qualités de Constance formaient un contraste frappant avec le caractère dur et sévère de son collègue. Galère avait des droits à l’estime de ses sujets ; il daigna rarement mériter leur affection. Sa. réputation dans les armes, et surtout le succès brillant de la guerre de Perse avaient enorgueilli son esprit naturellement altier, et qui ne pouvait souffrir de supérieur ni même d’égal. S’il était possible de croire le témoignage suspect d’un écrivain peu judicieux, nous pourrions attribuer l’abdication de Dioclétien aux menaces de Galère, et il nous serait facile de rapporter les particularités d’une conversation secrète entre ces deux princes, dans laquelle le premier montra autant de faiblesse que l’autre développa d’ingratitude et d’arrogance[3]. Mais un examen impartial du caractère et de la conduite de Dioclétien, suffit pour détruire ces anecdotes obscures. Quelles qu’aient pu être les intentions de ce prince, s’il eût eu à redouter la violence de Galère, sa prudence lui aurait donné les moyens de prévenir un débat ignominieux ; et comme il avait tenu le sceptre avec éclat, il serait descendu du trône sans rien perdre de sa gloire.

Lorsque Galère et Constance eurent été élevés au rang d’Auguste, le nouveau système de gouvernement impérial exigeait deux autres Césars. Dioclétien désirait sincèrement de se retirer du monde : regardant Galère, qui avait épousé sa fille, comme l’appui le plus ferme de sa famille et de l’empire, il consentit sans peine à lui laisser le soin brillant et dangereux d’une nomination si importante. On ne consulta pour ce choix ni l’intérêt ni l’inclination des princes d’Occident. Ils avaient chacun un fils qui était parvenu à l’âge d’homme ; et l’on devait naturellement espérer que leurs enfants seraient revêtus de la pourpre. Mais la vengeance impuissante de Maximien n’était plus à craindre ; et Constance, supérieur à la crainte des dangers, cédait à son humanité qui lui faisait redouter pour ses peuples les maux d’une guerre civile. Les deux Césars élus par Galère convenaient bien mieux à ses vues ambitieuses : il paraît que leur principale recommandation consistait dans leur peu de mérite et de considération personnelle. L’un d’eux, fils d’une sœur de Galère, se nommait Daza, ou, comme on l’appela dans la suite, Maximin. Il était jeune, sans expérience ; ses manières et son langage décelaient l’éducation rustique qu’il avait reçue. Quels furent son étonnement et celui de tout l’empire, lorsque après avoir reçu la  pourpre des mains de Dioclétien, il fut élevé à la dignité de César ; et qu’on lui confia le commandement suprême de l’Égypte et de la Syrie[4] ! Dans le même instant, Sévère, serviteur fidèle, bien que livré aux plaisirs, et qui ne manquait pas de capacité pour les affaires, se rendit à Milan, où Maximien lui remit à regret les ornements de César et la possession de l’Italie et de l’Afrique[5]. Selon les formes de la constitution, Sévère reconnut la suprématie de l’empereur d’Occident ; mais il demeura entièrement dévoué aux ordres de son bienfaiteur Galère, qui, se réservant les provinces situées entre les confins de l’Italie et ceux de la Syrie, établit solidement son autorité sur les trois quarts de l’empire. Persuadé que la mort de Constance le rendrait bientôt seul maître de univers romain ; Galère avait déjà, dit-on, réglé dans son esprit l’ordre d’une longue succession de princes, et il comptait, après avoir accompli vingt années d’un règne glorieux, passer tranquillement le reste de ses jours dans la retraite[6].

Mais en moins de dix-huit mois deux révolutions inattendues détruisirent ses vastes projets. L’espoir qu’avait Galère de réunir à ses domaines les provinces occidentales fut renversé par l’élévation de Constantin, et bientôt la révolte et les succès de Maxence lui enlevèrent l’Italie et l’Afrique.

La réputation de Constantin a rendu intéressantes aux yeux de la postérité les plus petites particularités de sa vie et de ses actions. Le lieu de sa naissance et la condition de sa mère Hélène sont devenus un sujet de dispute, non seulement parmi les savants, mais encore parmi les nations. Malgré la tradition récente qui donne pour père à Hélène un roi de la Bretagne, nous sommes forcé d’avouer qu’elle était fille d’un aubergiste[7]. D’un autre côté, nous pouvons défendre la légitimité de son mariage contre ceux qui l’ont regardée comme la concubine de Constance[8]. Constantin le Grand naquit, selon toute apparence, à Naissus, ville de la Dacie[9]. Il n’est pas étonnant que dans une province, et au sein d’une famille distinguée seulement par la profession des armes, il n’ait point cultivé son esprit, et qu’il ait montré, dès ses premières années, peu de goût pour les sciences[10]. Il avait environ dix-huit ans lorsque son père fut nommé César [en 293] ; mis cet heureux événement fut accompagné du divorce de sa mère ; et l’éclat d’une alliance impériale réduisit le fils d’Hélène à un état de disgrâce et d’humiliation. Au lieu de suivre Constance en Occident il resta au service de Dioclétien. L’Égypte et la Perse furent le théâtre de ses exploits, et il s’éleva par degrés au rang honorable de tribun de la première classe. Constantin avait la taille haute et l’air majestueux ; il était adroit dans tous les exercices du corps ; intrépide à la guerre, affable en temps de paix ; dans toutes ses actions, la prudence tempérait le feu de la jeunesse ; et, tant que l’ambition occupa son esprit, il se montra froid et insensible à l’attrait du plaisir. La faveur du peuple et des soldats qui le déclaraient digne du rang de César, ne servit qu’à enflammer la jalousie inquiète de Galère ; et quoique ce prince n’osât point employer ouvertement la violence, un monarque absolu manque rarement de moyens pour se venger d’une manière sûre et secrète[11]. Chaque instant augmentait le danger de Constantin et l’inquiétude de son père, qui, par des lettres multipliées, marquait le désir le plus vif d’embrasser son fils. La politique de Galère lui suggéra pendant quelque temps des excuses et des motifs de délai ; mais il ne lui était plus possible de rejeter une demande si naturelle de son associé, sans maintenir son refus par les armes. Enfin, après bien, des difficultés, Constantin eût la permission de partir, et sa diligence incroyable déconcerta les mesures[12] que l’empereur avait prises, peut-être, pour intercepter un voyage dont il redoutait avec raison les conséquences. Quittant le palais de Nicomédie pendant la nuit, le fils de Constance traversa en poste la Bithynie, la Thrace, la Dacie, la Pannonie, l’Italie et la Gaule, au milieu des acclamations du peuple, et il arriva au port de Boulogne au moment même où son père se préparait à passer en Bretagne[13].

L’expédition de Constance dans cette île, et une victoire facile qu’il remporta sur les Barbares de la Calédonie, furent les derniers exploits de son règne. Il expira dans le palais impérial d’York, près de quatorze ans et demi après qu’il eut été revêtu de la dignité de César [25 juillet 306]. Il n’avait jouit que quinze mois du rang d’Auguste. Sa mort fut suivie immédiatement de l’élévation de Constantin. Les idées de succession et d’héritage sont si simples, qu’elles paraissent presque à tous les hommes fondées non seulement sur la raison, mais encore sur la nature elle-même. Notre imagination applique facilement au gouvernement des États les principes adoptés pour les propriétés particulières ; et toutes les fois qu’un père vertueux laisse après lui un fils dont le mérite semble justifier l’estime du peuple ou seulement ses espérances, la double influence du préjugé et de l’affection agit avec une force irrésistible. L’élite des armées d’Occident avait suivi Constance en Bretagne. Aux troupes nationales se trouvait joint un corps nombreux d’Allemands, qui obéissaient à Grocus, un de leurs chefs héréditaires[14]. Les partisans de Constantin inspirèrent avec soin aux légions une haute idée de leur importance, et ils ne manquèrent pas de les assurer que l’Espagne, la Gaule et la Bretagne, approuveraient leur choix. Ils demandaient aux soldats s’ils pouvaient balancer un moment entre l’honneur de placer à leur tête le digne fils du prince qui leur avait été si cher, et, la honte d’attendre patiemment l’arrivée de quelque étranger obscur, que le souverain de l’Asie daignerait accorder aux armées, et aux provinces de l’Occident. On insinuait en même temps que la gratitude et la générosité tenaient une place distinguée parmi les vertus de Constantin. Ce prince adroit eût soin de ne se montrer aux troupes que lorsqu’elles furent disposées à le saluer des noms d’Auguste et d’empereur. Le trône était l’objet de ses désirs, et le seul asile où il pût être en sûreté, quand même il eût été moins dirigé par l’ambition. Connaissant le caractère et les sentiments de Galère, il savait assez que s’il voulait vivre, il devait se déterminer à régner. La résistance convenable et même opiniâtre qu’il crut devoir affecter[15] avait pour objet de justifier son usurpation ; et il ne céda aux acclamations de l’armée, que lorsqu’elles lui eurent fourni la matière convenable d’une lettre qu’il envoya aussitôt à l’empereur d’Orient. Constantin lui apprend qu’il a eu le malheur de perdre son père ; il expose modestement ses droits naturels à le succession de Constance, et il déplore, en termes bien respectueux, la violence affectueuse des troupes, qui ne lui a pas permis de solliciter la pourpre impériale d’une manière régulière et conforme à la constitution. Les premiers mouvements de Galère furent ceux de la surprise, du chagrin et de la fureur ; et comme il savait rarement commander à ses passions, il menaça hautement le député de le livrer aux flammes avec la lettre insolente qu’il avait apportée. Mais son ressentiment s’apaisa par degrés. Lorsqu’il eut calculé les chances incertaines de la guerre ; lorsqu’il eut pesé le caractère et les forces de son compétiteur, il consentit à profiter de l’accommodement honorable que la prudence de Constantin lui avait offert. Sans condamner et sans ratifier le choix de l’armée de Bretagne, Galère reconnut le fils de son ancien collègue pour souverain des provinces situées au-delà des Alpes ; mais il lui accorda seulement le titre de César ; et il ne lui donna que le quatrième rang parmi les princes romains : ce fut son favori, Sévère qui remplit le poste vacant d’Auguste. L’harmonie de l’empire parut toujours subsister, et Constantin, qui possédait déjà le réel de l’autorité suprême, attendit patiemment l’occasion d’en obtenir les honneurs.

Constance avait eu de son second mariage six enfants : trois fils et trois filles[16]. Leur extraction impériale semblait devoir être préférée à la naissance plus obscure du fils d’Hélène. Mais Constantin, âgé pour lors de trente-deux ans, possédait déjà toute la vigueur de l’esprit et du corps, dans un temps où l’aîné de ses frères ne pouvait avoir plus de treize ans. L’empereur, en mourant[17], avait reconnu et ratifia les droits que la supériorité de mérite donnait à l’aîné de tous ses fils ; c’était à lui que Constance avait légué le soin de la sûreté aussi bien que de la grandeur de sa famille, et il l’avait conjuré de prendre à l’égard des enfants de Théodora les sentiments et l’autorité d’un père. Leur excellente éducation, leurs mariages avantageux, la vie qu’ils passèrent tranquillement au milieu des honneurs, et les premières dignités de l’Etat dont ils furent revêtus, attestent la tendresse fraternelle de Constantin. D’un autre côté, ces princes, naturellement doux et portés à la reconnaissance, se soumirent sans peine à l’ascendant de son génie et de sa fortune[18].

A peine l’ambitieux Galère avait-il pris son parti sur le mécompte qu’il venait d’essuyer dans la Gaule, que la perte imprévue de l’Italie blessa de la manière la plus sensible son orgueil et son autorité. La longue absence des empereurs avait rempli Rome de mécontentement et d’indignation. Le peuple avait enfin découvert que la préférence donnée aux villes de Milan et de Nicomédie ne devait point être attribuée à l’inclinaison particulière de Dioclétien, mais à la fourme constante du gouvernement qu’il avait institué. En vain ses successeurs, peu de mois après son abdication, avaient-ils élevé, au nom de ce prince, ces bains magnifiques dont la vaste enceinte renferme aujourd’hui un si grand nombre d’églises et de couvents[19], et dont les ruines ont servi de matériaux à tant d’édifices modernes : les murmures impatients des Romains troublèrent la tranquillité de ces élégantes retraites, siége du luxe et de la mollesse. Le bruit se répandit insensiblement que l’on viendrait bientôt leur redemander les sommes employées à la construction de ces bâtiments. Vers le même temps, l’avarice de Galère ou peut-être les besoins de l’État l’avaient engagé à faire une perquisition exacte et rigoureuse des propriétés de ses sujets, pour établir une taxe générale sur leurs terres et sur leurs personnes. Il paraît que leurs biens-fonds furent soumis au plus sévère examen, et, dans la vue d’obtenir une déclaration sincère de leurs autres richesses, on appliquait à la question les personnes soupçonnées de quelque fraude à cet égard[20]. Les privilèges qui avaient élevé l’Italie au-dessus des autres provinces furent oubliés. Déjà les policiers du fisc s’occupaient du dénombrement du peuple romain, et ils commençaient à établir la proportion des nouvelles taxes. Lors même que l’esprit de liberté a été entièrement éteint, les sujets les plus accoutumés au joug ont osé quelquefois détendre leurs propriétés contre une usurpation dont il n’y avait point encore eu d’exemple. Mais ici l’insulte aggrava l’injure, et le sentiment de l’intérêt particulier fut réveillé par celui de l’honneur national. La conquête de la Macédoine, comme nous l’avons déjà observé, avait délivré les Romains du poids des impositions personnelles. Depuis près de cinq cents ans, ils jouissaient de cette exemption, quoique durant cette époque ils eussent subi toutes les formes de despotisme. Ils ne purent supporter l’insolence d’un paysan d’Illyrie, qui, du fond de sa résidence en Asie, osait mettre Rome au rang des villes tributaires de son empire. Ces premiers mouvements de fureur furent encouragés par l’autorité, ou du moins par la connivence du sénat. Les faibles restes des gardes prétoriennes, qui avaient lieu de craindre une entière dissolution, saisirent avidement un prétexte si honorable de tirer l’épée, et se déclarèrent prêts à défendre leur patrie opprimée. Tous les citoyens désiraient, bientôt ils espérèrent chasser de l’Italie les tyrans étrangers et remettre le sceptre entre les mains d’un prince qui, par le lieu de sa résidence, et par ses maximes de gouvernement, méritât désormais de reprendre le titre d’empereur romain. Le nom et la situation de Maxence déterminèrent en sa faveur l’enthousiasme du peuple.

Maxence, fils de l’empereur Maximien, avait épousé la fille de Galère. Ce mariage et sa naissance semblaient lui frayer le chemin au trône ; mais ses vices et son incapacité le firent exclure de la dignité de César, que, par une dangereuse supériorité de talent, Constantin avait mérité de ne pas obtenir. Galère voulait des associés qui ne pussent ni déshonorer le choix de leur bienfaiteur ni résister à ses ordres. Un obscur étranger fut donc nommé souverain de l’Italie, et on laissa le fils du dernier empereur, redescendu a l’état de simple particulier, jouir de tous les avantages de la fortune dans une maison de campagne, à quelques milles de Rome. Les sombres passions de son âme, la honte, le dépit et la rage furent enflammées par l’envie, lorsqu’il apprit les succès de Constantin. Le mécontentement public ranima bientôt les espérances de Maxence. On lui persuada facilement d’unir ses injures et ses prétentions personnelles avec la cause du peuple romain. Deux tribuns des gardes prétoriennes et un intendant des provisions furent l’âme du complot ; et comme tous les esprits concouraient au même but, l’événement ne fut ni douteux ni difficile. Les gardes massacrèrent le préfet de la ville et un petit nombre de magistrats qui restaient attachés à Sévère. Maxence, revêtu de la pourpre, fut déclaré au milieu des applaudissements du sénat et du peuples protecteur de la dignité et de la liberté romaine [28 octobre 306]. On ne sait si Maximien avait été informé de la conspiration avant qu’elle éclatât, mais, dès que l’étendard de la révolte eut été arboré dans Rome, le vieil empereur sortit tout à coup de la retraite où l’autorité de Dioclétien l’avait condamné à mener tristement une vie solitaire. Lorsque Maximien parut de nouveau sur la scène, il cacha son ambition sous le voile de la tendresse paternelle. A la sollicitation de son fils et du sénat, il voulut bien reprendre la pourpre. Son ancienne dignité, son expérience, sa réputation dans les armes, donnèrent de l’éclat et de la force au parti de Maxence[21].

L’empereur Sévère, pour suivre l’avis ou plutôt les ordres de son collègue, se rendit en diligence à Rome, persuadé que la promptitude inattendue de ses mesures dissiperait facilement le tumulte d’une populace timide, dirigée, par un jeune débauché. Mais à son arrivée il trouva les portes de la ville fermées, les murs couverts d’hommes et de machines de guerre, et les rebelles commandés par un chef expérimenté. Les troupes même de l’empereur manquaient de courage ou d’affection. Un détachement considérable de Maures, attiré par la promesse d’une grande récompense, passa du côté de l’ennemi, et s’il est vrai que ces Barbares eussent été levés par Maximien dans son expédition en Afrique, ils préférèrent les sentiments naturels de la reconnaissance aux liens artificiels d’une fidélité promise. Le préfet du prétoire, Anulinus, se déclara pour Maxence, et il entraîna avec lui la plus grande partie des soldats accoutumés à recevoir ses ordres. Rome, selon l‘expression d’un orateur, rappela ses armées ; et l’infortuné Sévère sans force et sans conseil, se retira ou plutôt s’enfuit avec précipitation à Ravenne. Il pouvait y être pendant quelque temps en sûreté. Les marais qui environnaient cette ville suffisaient pour empêcher l’approche de l’armée d’Italie, et les fortifications de la place étaiént capables de résister à ses attaques. La mer, que Sévère tenait avec une flotte puissante, assurait ses approvisionnements, et ouvrait ses ports aux légions d’Illyrie et des provinces orientales qui, au retour du printemps, auraient marché à son secours. Maximien, qui conduisait le siége en personne, redoutait les suites d’une entreprise gui pouvait consumer son temps et son armée. Persuadé, qu’il n’avait rien à espérer de la force et de la famille, il eut recours à des moyens qui convenaient bien moins à son caractère qu’à celui de son ancien collègue ; et ce ne fut pas tant contre les murs de Ravenne que contre l’esprit de Sévère qu’il dirigea ses attaques. La trahison que ce malheureux prince avait éprouvée, le disposait à douter de la sincérité de ses plus fidèles amis. Les émissaires de Maximien persuadèrent facilement à Sévère qu’il se tramait un complot pour livrer la ville ; et, dans la crainte qu’il avait de se voir remis à la discrétion d’un vainqueur irrité, ils le déterminèrent à recevoir la promesse d’une capitulation honorable. Il fut traité d’abord avec humanité et avec respect. Maximien mena l’empereur captif à Rome et lui donna, l’assurance la plus solennelle que sa vie était en sûreté, puisqu’il avait abandonné la pourpre. Mais Sévère ne put obtenir qu’une mort douce et les honneurs funèbres réservés aux empereurs. Lorsque la sentence lui fut signifiée, on le laissa maître de la maniéré de l’exécuter. Il se fit ouvrir ses veines à l’exemple des anciens [février 307]. Dès qu’il eut rendu les derniers soupirs[22], son corps fut porté au tombeau qui avait été construit pour la famille de Gallien.

Quoique le caractère de Maxence et celui de Constantin eussent très peu de rapport l’un avec l’autre, leur situation et leur intérêt étaient les mêmes, et la prudence exigeait qu’ils réunissent leurs forces contre l’ennemi commun. L’infatigable Maximien, quoique rang supérieur, et malgré son âge avancé, passa les Alpes, sollicita une entrevue personnelle avec le souverain de la Gaule, et lui offrit sa fille Fausta, qu’il’ avait amenée avec lui, comme le gage de la nouvelle alliance. Le mariage fait célébré dans la ville d’Arles avec une magnificence extraordinaire, et l’ancien collègue de Dioclétien, ressaisissant tous les droits qu’il prétendait avoir à l’empire d’Occident, conféra le titre d’Auguste à son gendre et à son allié [21 mars 307]. En recevant cette dignité des mains de son beau-père, Constantin paraissait embrasser la cause de Rome et du sénat ; mais il ne s’exprima que d’une manière équivoque, et les secours qu’il fournit furent lents et incapables de faire pencher la balance. Il observait avec attention les démarches des souverains de l’Italie et de l’empereur d’Orient, qui allaient bientôt mesurer leurs forces, et il se préparait à consulter, dans la suite, sa sûreté et son ambition[23].

Une guerre si importante exigeait la présence et les talents de Galère. A la tête d’une armée formidable, rassemblée dans l’Illyrie et dans les provinces orientales, il entra en Italie, résolu de venger la mort de Sévère, et de châtier les Romains rebelles, ou, comme s’exprimait ce Barbare furieux, avec le projet d’exterminer le sénat et de passer tout le peuple au fil de l’épée. Mais l’habile Maximien avait formé un plan judicieux de défense. Son rival trouva toutes les places fortifiées, inaccessibles et remplies d’ennemis, et quoiqu’il eût pénétré jusqu’à Narrai, à soixante milles de Rome, sa domination en Italie ne s’étendait pas au-delà des limites étroites de son camp. A la vue des obstacles qui naissaient de toutes parts, le superbe Galère daigna le premier parler de réconciliation. Il envoya deux de ses principaux officiers aux souverains de Rome pour leur offrir une entrevue. Ces députés assurèrent Maxence qu’il avait tout à espérer, d’un prince qui avait pour lui les sentiments et la tendresse d’un père, et qu’il devait bien plus compter sur sa générosité que sur les chances incertaines de la guerre[24]. La proposition de l’empereur d’Orient fut rejetée avec fermeté, et sa perfide amitié refusée avec mépris. Il s’aperçu bientôt que s’il ne se déterminait à la retraite, il avait tout lieu d’appréhender le sort de Sévère. Pour hâter sa ruine, les Romains prodiguaient ces mêmes richesses qu’ils n’avaient pas voulu livrer à sa tyrannique rapacité. Le nom de Maximien, la conduite populaire de son fils, des sommes considérables distribuées en secret, et la promesse de récompenses encore plus magnifiques, réprimèrent l’ardeur des légions d’Illyrie, et corrompirent leur fidélité. Enfin, lorsque Galère donna le signal du départ, ce ne fut qu’avec quelque peine qu’il put engager ses vétérans à ne pas déserter un étendard qui les avait menés tant de fois à l’honneur et à la victoire. Un auteur contemporain attribue le peu de succès de cette expédition à deux autres causes : mais elles ne sont point de nature à pouvoir être raisonnablement adoptées. Galère, dit-on, d’après les villes de l’Orient qu’il connaissait, s’était formé une idée fort imparfaite de la grandeur de Rome et il ne se trouva pas en état d’entreprendre le siége de l’immense capitale de l’empire. Mais l’étendue d’une place ne sert qu’à la rendre plus accessible à l’ennemi. Depuis longtemps Rome était accoutumée à se soumettre dès qu’un vainqueur s’approchait de ses murs ; et l’enthousiasme passager du peuple aurait bientôt échoué contre la discipline et la valeur des légions. On prétend aussi que les soldats eux-mêmes furent frappés d’horreur et de remords, et que ces enfants de la république, pleins de respect pour leur antique mère, refusèrent d’en violer la sainteté[25]. Mais lorsqu’on se rappelle avec quelle facilité l’esprit de parti et l’habitude de l’obéissance militaire avaient, dans les anciennes guerres, armé les citoyens contre Rome, et les avaient rendus ses ennemis les plus implacables, on est bien tenté d’ajouter peu de foi à cette extrême délicatesse d’une foule d’étrangers et de Barbares, qui, avant de porter la guerre en Italie, n’avaient jamais aperçu cette contrée. S’ils n’eussent pas été retenus par des motifs plus intéressés, leur réponse à Galère eût été celle des vétérans de César : Si notre général désire nous mener sur les rives du Tibre, nous sommes prêts à tracer son camp. Quels que soient les mûrs qu’il veuille renverser, il peut disposer de nos bras ; ils auront bientôt fait mouvoir les machines. Nous ne balancerons pas, la ville dévouée à sa colère fût-elle Rome elle-même. Ce sont, il est vrai, les expressions d’un poète ; mais ce poète avait étudié attentivement l’Histoire, et on lui a même reproché de n’avoir point osé s’en écarter [Lucain, Phars., I, 381].

Les soldats de Galère donnèrent une bien triste preuve de leurs dispositions par les ravages qu’ils commirent dans leur retraite. Le meurtre, le pillage, la licence la plus effrénée, marquèrent partout les traces de leur passage. Ils enlevèrent les troupeaux des Italiens ; ils réduisirent les villages en cendres ; enfin ils s’efforcèrent de détruire le pays qu’il ne leur avait pas été possible de subjuguer. Pendant toute la marche, Maxence harcela leur arrière-garde ; il évita sagement une action générale avec ses vétérans braves et désespérés. Son père avait entrepris un second voyage en Gaule, dans l’espoir d’engager Constantin, qui avait levé une armée sur la frontière, à poursuivre l’ennemi, afin de compléter la victoire. Mais la prudence et non le ressentiment dirigeait toutes les actions de Constantin. Il persista dans la sage résolution de maintenir une balance égale de pouvoir entre les divers souverains de l’empire. Il ne haïssait déjà plus Galère depuis que ce prince entreprenant avait cessé d’être un objet de terreur[26].

L’âme de Galère, quoique susceptible des passions les plus violentes, n’était point incapable d’une amitié sincère et durable. Licinius, qui avait a peu près les mêmes inclinations et le même caractère, paraît avoir toujours eu son estime et sa tendresse. Leur intimité avait commencé dans les temps peut-être plus heureux de leur jeunesse et de leur obscurité. L’indépendance et les dangers de la vie militaire avaient cimenté cette première union ; et ils avaient parcouru d’un pas presque égal la carrière des honneurs attachés à la profession des armes. Il parait que Galère, du moment où il fut revêtu de la dignité impériale, forma le projet d’élever un jour son compagnon au même rang. Durant le peu de temps que dura sa prospérité, il ne crût pas le titre de César digne de l’âge et du mérite de Licinius ; il lui destinait la place de Constance avec l’empire de l’Occident. Tandis, qu’il s’occupait de la guerre d’Italie, il envoya son ami sur le Danube pour garder cette frontière importante. Aussitôt après cette malheureuse expédition Licinius monta sur le trône vacant par la mort de Sévère, et il obtint le gouvernement immédiat des provinces de l’Illyrie[27]. Dès que la nouvelle de son élévation fut parvenue en Orient, Maximin, qui gouvernait ou plutôt opprimait l’Égypte et la Syrie, ne put dissimuler sa jalousie et son mécontentement. Dédaignant le nom inférieur de César, il exigea hautement celui d’Auguste ; et Galère, après avoir inutilement employé les prières et les raisons les plus fortes, souscrivit à sa demande[28] [en 308]. L’univers romain fut gouverné, pour la première et pour la dernière fois, par six empereurs. En Occident, Constantin et Maxence affectaient de respecter leur père Maximien. Licinius et Maximin, en Orient, montraient une considération plus réelle à Galère leur bienfaiteur. L’opposition d’intérêt et le souvenir récent d’une guerre cruelle divisèrent l’empire en deux grandes puissances ennemies ; mais leurs craintes respectives produisirent une tranquillité apparente et même une feinte réconciliation, jusqu’à ce que là mort des deux plus anciens souverains, de Maximien et surtout de Galère, donnât, une nouvelle direction aux vues et aux passions ambitieuses des princes qui leur survécurent.

Lorsque Maximien avait, malgré sa répugnante, abdiqué l’empire, la bouche vénale des orateurs de ce siècle avait applaudi à sa modération philosophique. Ils le remercièrent de son généreux patriotisme, lorsque son ambition alluma ou du moins attisa le feu de la guerre ; et ils le reprirent doucement de cet amour pour le repos et pour la solitude, qui l’avait éloigné du service public[29]. Mais il était impossible que l’harmonie subsistât longtemps entre Maximien et son fils, tant qu’ils seraient assis sur le même trône. Maxence qui se regardait comme le souverain de l’Italie, légitimement élu par le sénat et par le peuple romain, ne pouvait supporter les prétentions arrogantes de son père. D’un autre côté, Maximien déclarait que son nom et ses talents avaient seuls établi sur le trône un jeune prince téméraire et sans expérience. Une cause si importante fut plaidée devant les gardes prétoriennes. Ces troupes, qui redoutaient la sévérité du vieil empereur, embrassèrent le parti de Maxence[30]. On respecta toutefois la vie et la liberté de Maximien, qui se retira en Illyrie, affectant de déplorer son ancienne conduite, et méditant en secret de nouveaux complots. Mais Galère, qui connaissait son caractère turbulent, le força bientôt à quitter ses domaines, et le dernier asile du malheureux fugitif fut la cour de Constantin[31]. Ce prince habile eut pour son beau-père les plus grands égards et l’impératrice Fausta le reçut avec toutes les marques de la tendresse filiale. Maximien, pour éloigner tout soupçon, résigna une seconde fois la pourpre[32] ; protestant qu’il était enfin convaincu de la vanité, des grandeurs et de l’ambition. S’il eût suivi constamment ce dessein ; il aurait pu finir ses jours avec moins de dignité, il est vrai, que dans sa première retraite ; cependant il aurait encore goûté les douceurs d’un repos honorable. La vue du trône qui frappait ses regards lui rappela le poste brillant d’où il était tombé ; et il résolut de tenter, pour régner ou périr, le dernier effort du désespoir. Une incursion des Francs avait obligé Constantin de se rendre sur les bords du Rhin. Il n’avait avec lui qu’une partie de son armée : le reste de ses troupes occupait .les provinces méridionales de la Gaule, qui se trouvaient exposées aux entreprises de l’empereur d’Italie, et l’on avait déposé dans la ville d’Arles un trésor considérable. Tout à coup le bruit se répand que Constantin a perdu la vie dans son expédition. Maximien, qui avait inventé cette fausse nouvelle, ou qui y avait ajouté foi trop légèrement, monte sur le trône sans hésiter ; s’empare du trésor, et, le dispersant avec sa profusion ordinaire parmi les soldats, il leur remet devant les yeux ses exploits et son ancienne dignité. Il paraît même qu’il s’efforça d’attirer à son parti son fils Maxence ; mais il n’avait point encore pu terminer cette négociation, ni affermir son autorité, lorsque la célérité de Constantin renversa toutes ses espérances. Ce prince ne fut pas plus tôt informé de l’ingratitude et de la perfidie de son beau père, qu’il vola avec une diligence incroyable des bords du Rhin à ceux de la Saône. Il s’embarqua à Châlons sur cette dernière rivière. Arrivé à Lyon, il s’abandonna au cours rapide du Rhône, et parût aux portes d’Arles avec des forces, auxquelles Maximien ne pouvait espérer de résister ; il eut à peine le temps de se réfugier dans la ville de Marseille, voisine de la ville d’Arles. La petite langue de terre qui joignait cette place au continent était fortifiée, et la mer pouvait favoriser la fuite de Maximien ou l’entrée des secours de son fils, si Maxence avait intention d’envahir la Gaule, sous le prétexte honorable de défendre un père malheureux, et qu’il pouvait prétendre outragé. Prévoyant les suites fatales d’un délai, Constantin ordonna l’assaut ; mais les échelles se trouvèrent trop courtes, et l’empereur d’Occident aurait pu demeurer arrêté devant Marseille aussi longtemps que le premier des Césars. La garnison elle-même mit fin à ce siége : les soldats, ne pouvant se dissimuler leur faute et les dangers qui les menaçaient, achetèrent leur pardon en livrant la ville et la personne de Maximien. Une sentence irrévocable de mort fut prononcée en secret contre l’usurpateur [février 310]. Il obtint seulement la même grâce qu’il avait accordée à Sévère ; et l’on publia qu’oppressé par les remords d’une conscience tant de fois coupable, il s’était étranglé de ses propres mains. Depuis qu’il avait perdu l’assistance de Dioclétien, et dédaigné les avis modérés de ce sage collègue, il n’avait vécu que pour attirer sur l’État une foule de malheurs, et sur lui-même d’innombrables humiliations. Enfin, après trois ans de calamités, sa vie active fut terminée par une mort ignominieuse. Ce prince méritait sa destinée ; mais nous applaudirions davantage l’humanité de Constantin, s’il eût épargné un vieillard dont il avait épousé la fille, et qui avait été le bienfaiteur de son père. Dans cette triste scène, il paraît que Fausta sacrifia au devoir conjugal les sentiments que lui put inspirer la nature[33].

Les dernières années de Galère furent moins honteuses et moins infortunées. Quoiqu’il eût rempli plus de gloire le poste subordonné de César que le rang suprême d’Auguste, il conserva jusqu’à l’instant de sa mort la première place parmi les princes de l’empire romain : il vécut encore quatre ans environ après sa retraite d’Italie ; et, renonçant sagement à ses projets de monarchie universelle, il ne songea plus qu’à mener une vie agréable. On le vit même alors s’occuper de travaux utiles à ses sujets ; il fit écouler dans le Danube le superflu des eaux du lac Pelson, et couper les forêts immenses qui l’entouraient ; ouvrage important qui rendait à la Pannonie une grande étendue de terres labourables[34]. Ce prince mourut d’une maladie longue et cruelle. Son corps, devenu d’une grosseur excessive par une suite de l’intempérance à laquelle il s’était livré toute sa vie, se couvrit d’ulcères et d’une multitude innombrable de ces insectes qui ont donné leur nom à un mal affreux[35]. Mais, comme Galère avait offensé un parti zélé et très puissant parmi ses sujets, ses souffrances, loin d’exciter leur compassion, ont été signalées comme l’effet visible de la justice divine[36]. Il n’eût pas plutôt rendu les derniers soupirs dans son palais de Nicomédie, que les deux princes dont il avait été le bienfaiteur commencèrent à rassembler leurs forces, d’ans l’intention de se disputer ou de se partager les États qui lui avaient appartenu. On les engagea cependant à renoncer au premier de ces projets, et à se contenter du second. Les provinces d’Asie tombèrent, en partage à Maximin ; celles d’Europe augmentèrent les domaines de Licinius : l’Hellespont et le Bosphore de Thrace formèrent leurs limites respectives ; et les rives de ces détroits, qui se trouvaient dans le centre de l’empire romain furent couvertes de soldats, d’armes et de fortifications. La mort de Maximien et de Galère réduisait à quatre le nombre des empereurs. Un intérêt commun unit bientôt Constantin et Licinius : Maximin et Maxence conclurent ensemble une secrète alliance. Leurs infortunés sujets attendaient avec effroi les suites funestes d’une dissension devenue inévitable depuis que ces souverains étaient plus retenus par la crainte ou par le respect que leur inspirait Galère[37].

Parmi cette foule de crimes et de malheurs enfantés par les passions des princes romains, on éprouve quelque plaisir à rencontrer seulement une action qui puisse être attribuée à leur vertu. Constantin, dans la sixième année de son règne, visita la ville d’Autun, et lui remit généreusement les arrérages du tribut. Il réduisit en même temps la proportion des contribuables. On comptait vingt-cinq mille personnes sujettes à la capitation : ce nombre fut fixé à dix-huit mille[38]. Cependant cette faveur même est la preuve la plus incontestable de la misère publique. Cette taxe était si oppressive, soit en elle-même, soit dans la manière de la percevoir, que le désespoir diminuait un revenu dont l’exaction s’efforçait d’augmenter la masse. Une grande partie du territoire d’Autun restait sans culture : une foule d’habitants aimaient mieux vivre dans l’exil et renoncer à la protection des lois, que de supporter les charges de la société civile. Le bienfaisant empereur, en soulageant les peines de ses sujets par cet acte particulier de libéralité laissa vraisemblablement subsister les autres maux qu’avaient introduits ses maximes générales d’administration. Mais ces maximes mêmes étaient moins l’effet de son choix que celui de la nécessité ; et, si nous, en exceptons la mort de Maximien, le règne de Constantin dans la Gaule paraît avoir été le temps le plus innocent et même le plus vertueux de sa vie. Sa présence mettait les provinces à l’abri des incursions des Barbares, qui redoutaient ou qui avaient éprouvé son active valeur. Après une victoire signalée sur les Francs et sur les Allemands, plusieurs de leurs princes furent exposés par son ordre aux bêtes sauvages, dans l’amphithéâtre de Trèves ; et le peuple, témoin de ce traitement envers de si illustres captifs, semble n’avoir rien aperçu dans un pareil spectacle qui blessât les droits des nations ni ceux de l’humanité[39].      

Les vices de Maxence répandirent un nouvel éclat sur les vertus de Constantin. Tandis, que les provinces de la Gaude goûtaient tout le bonheur dont leur condition paraissait alors susceptible, l’Italie et l’Afrique gémissaient sous le despotisme d’un tyran aussi méprisable qu’odieux. A la vérité, le zèle de la faction et de la flatterie a trop souvent sacrifié la réputation des vaincus à la gloire de leurs heureux rivaux ; mais les écrivains même qui ont révélé avec le plus de plaisir et de liberté les fautes de Constantin, conviennent unanimement que Maxence était cruel, avide, et plongé dans la débauche[40]. Il avait eu le bonheur d’apaiser une légère rébellion en Afrique. Le gouverneur, et un petit nombre de personnes attachées à son parti, avaient seuls été coupables ; la province entière porta la peine de leur crime. Toute l’étendue de cette fertile contrée, et les villes florissantes, de Cirta et de Carthage, furent dévastées par le fer et par le feu. L’abus de la victoire fut suivi de l’abus des lois et de la jurisprudence ; une armée formidable d’espions et de délateurs envahit l’Afrique. Les riches et les nobles furent aisément convaincus de connivence avec les rebelles ; et ceux d’entre eux que l’empereur daigna traitée avec clémence, furent punis seulement par la confiscation de leurs biens[41]. Une victoire si éclatante fut célébrée par un triomphe magnifique. Maxence exposa aux yeux du peuple les dépouilles et les captifs d’une province romaine. L’état de la capitale ne méritait pas moins de compassion que celui de l’Afrique. Les richesses de Rome fournissaient un fonds inépuisable aux folles dépenses et à la prodigalité du monarque ; et les ministres de ses finances connaissaient parfaitement d’art de piller les sujets. Ce fut sous son règne que l’on inventa la méthode d’exiger des sénateurs un don volontaire. Comme la somme s’augmenta  insensiblement les prétextes que l’on imagina pour la lever, tels qu’une victoire, une naissance, un mariage, ou le consulat du prince, furent multipliés dans la même proportion[42]. Maxence nourrissait contre le sénat cette même haine implacable qui avait caractérisé la plupart des premiers tyrans de Rome. Ce cœur ingrat ne pouvait pardonné la généreuse fidélité qui l’avait élevé sur le trône, et qui l’avait soutenu contre tous ses ennemis. La vie des sénateurs, était exposée à ses cruels soupçons ; et, pour assouvir ses infâmes désirs, il portait le déshonneur dans le sein des plus illustres familles. On peut croire qu’un amant, revêtit de la pourpre se trouvait rarement réduit à soupirer en vain ; mais toutes les fois que la persuasion manquait son effet, il avait recours à la violente. L’histoire nous a conservé l’exemple mémorable d’une femme de grande naissance qui conserva sa chasteté par une mort volontaire[43]. Les soldats furent la seule classe d’hommes que Maxence parut respecter, on dont il s’empressa de gagner l’affection. Il remplit Rome et l’Italie de troupes dont il favorisa secrètement la licence : sûres de l’impunité, elles avaient la liberté de pilier, de massacrer même le peuple[44], et elles se livraient aux mêmes excès que leur maître. On voyait, souvent Maxence gratifier l’un de ses favoris de la superbe maison de campagne ou de la belle femme d’un sénateur. Un prince de ce caractère, également incapable de gouverner dans la guerre et dans la paix, pouvait bien acheter l’appui des légions, mais non pas leur estime. Cependant son orgueil égalait ses autres vices. Tandis qu’éloigne du bruit des armes, il passait honteusement sa vie dans l’enceinte de son palais ou dans les jardins de Salluste, on l’entendait répéter que lui seul était empereur ; que les autres princes n’étaient que ses lieutenants, et qu’il leur avait confié la garde des provinces frontières afin de pouvoir goûter sans interruption les plaisirs et les agréments de sa capitale. Durant les six années de son règne, Rome, qui avait si longtemps regretté l’absence de son maître, regarda sa présence comme un affreux malheur[45].

Quelle que pût être l’horreur de Constantin pour la conduite de Maxence ; quelque compassion que lui inspirât le sort des Romains, de pareils motifs ne l’auraient probablement pas engagé à prendre les armes. Ce fut le tyran lui-même qui attira la guerre dans ses États ; il eut la témérité de provoquer un adversaire formidable, dont jusqu’alors l’ambition avait été plutôt retenue par des considérations de prudence que par des principes de justice[46]. Après la mort de Maximien, ses titres, selon l’usage reçu, avaient été effacés, et ses statues renversées avec ignominie. Son fils, qui l’avait persécuté et abandonné pendant qu’il vivait, affecta les plus tendres égards pour sa mémoire, et il ordonna que l’on fit éprouver le même traitement à toutes les statues élevées, en Italie et en Afrique, en l’honneur de Constantin. Ce sage prince, qui désirait sincèrement éviter une guerre dont il connaissait l’importance et les difficultés, dissimulât d’abord l’insulte ; il employa la voie plus douce des négociations, jusqu’à ce qu’enfin, convaincu des dispositions hostiles et des projets ambitieux de l’empereur d’Italie, il crut nécessaire d’armer pour sa défense ; Maxence avouait ouvertement ses prétentions à la monarchie tout entière de l’Occident. Une grande armée, levée par ses ordres, se préparait déjà à envahir les provinces de la Gaule du côté de la Rhétie ; et, quoiqu’il n’eût aucun secours à espérer de Licinius, il se flattait que les légions d’Illyrie, séduites par ses présents et par ses promesses, abandonneraient l’étendard de leur maître, et viendraient se mettre au rang de ses sujets et de ses soldats[47]. Constantin n’hésita pas plus longtemps : il avait délibéré avec circonspection, il agit avec vigueur. Le sénat et le peuple de Rome lui avaient envoyé des ambassadeurs pour le conjurer de les délivrer d’un cruel tyran ; il leur donna une audience particulière ; et, sans écouter les timides représentations de son conseil ; il résolut de prévenir son adversaire, et de porter la guerre dans le cœur de l’Italie[48].

L’entreprise ne présentait pas moins de dangers que de gloire. Le malheureux, succès des deux premières invasions suffisait pour inspirer les plus sérieuses alarmes. Dans ces deux guerres, les vétérans, qui respectaient le nom de Maximien, avaient embrassé la cause de son fils. L’honneur ni l’intérêt ne leur permettaient pas alors de penser à une seconde désertion. Maxence, qui regardait les prétoriens comme le plus ferme rempart de son trône, les avait reportés au nombre que leur avait assigné l’ancienne institution. Ces soldats composaient, avec les autres Italiens qui étaient entrés au service, un corps formidable de quatre-vingt mille hommes. Quarante mille Maures et Carthaginois avaient été levés depuis la réduction de l’Afrique. La Sicile même envoya des troupes. Enfin, l’armée de Maxence se montait à cent soixante-dix mille fantassins et dix-huit mille chevaux. Les richesses de l’Italie fournissaient aux dépenses de la guerre, et les provinces voisines furent épuisées pour former d’immenses magasins de blé et de provisions de toute espèce. Les forces réunies de Constantin ne consistaient que dans quatre-vingt-dix mille hommes de pied et huit mille de cavalerie[49]. Comme, durant l’absence de l’empereur, la défense du Rhin exigeait une attention extraordinaire, à moins qu’il ne sacrifiât la sûreté publique à ses querelles particulières, il ne pouvait mener en Italie plus de la moitié de ses troupes[50]. A la tête de quarante mille soldats environ, il ne craignit pas de se mesurer avec un rival suivi d’une armée au moins quatre fois supérieure en nombre ; mais depuis longtemps les armées de Rome, éloignées de tout danger, vivaient au sein de la mollesse, et avaient été énervées par le luxe et l’indiscipline. Accoutumés aux bains délicieux et aux théâtres de la capitale, les soldats ne se traînaient qu’avec peine sur le champ de bataille. Parmi ces troupes, on voyait surtout des vétérans qui avaient presque oublié l’usage des armes, et de nouvelles levées qui n’avaient jamais su les manier. Les légions de la Gaule, endurcies aux fatigues de la guerre, défendaient depuis plusieurs années les frontières de l’empire contre les Barbares du Nord ; et ce service pénible en exerçant leur valeur, avait affermi leur discipline. On observait entre les chefs la même différence que parmi les armées. Le caprice et la flatterie avaient d’abord inspiré à Maxence des idées de conquêtes. Bientôt ces espérances ambitieuses cédèrent à l’habitude du plaisir et à la conviction de son inexpérience. L’âme intrépide de Constantin avait été formée dès les premières années de sa jeunesse à la guerre, à l’activité, à la science du commandement : nourri dans les camps, il savait agir, et il avait appris l’art de commander.

Lorsque Annibal passa de la Gaule en Italie, il fut obligé de chercher d’abord, ensuite de s’ouvrir un chemin à travers des montagnes habitées par des peuples barbares, qui n’avaient jamais accordé le passage à une armée régulière[51]. Les Alpes étaient alors gardées par la nature ; de nos jours l’art les a fortifiées. Des citadelles construites avec autant d’habileté que de peines et de dépenses, commandent toutes les avenues qui conduisent à la plaine, et rendent, du côté de la France, l’Italie presque inaccessible aux ennemis du roi de Sardaigne[52]. Mais avant que l’on eût pris ces précautions, les généraux qui ont voulu tenter le passage ont rarement éprouvé de la difficulté ou de la résistance. Dans le siècle de Constantin, les paysans des montagnes avaient perdu leur rudesse, et ils étaient devenus des sujets obéissants. Le pays fournissait des vivres en abondance ; et de superbes chemins tracés sur les Alpes, monuments étonnants de la grandeur romaine, ouvraient plusieurs communications entre la Gaule et l’Italie[53]. Constantin préféra la route des Alpes Cottiennes, aujourd’hui le mont Cenis, et il conduisit ses troupes avec une diligence si active, qu’il descendit dans la plaine de Piémont avant que la cour de Maxence eût reçu aucune nouvelle certaine de son départ des bords du Rhin. La ville de Suze cependant, située au pied du mont Cenis, était entourée de murs, et renfermait une garnison assez nombreuse pour arrêter les progrès du conquérant. L’impatience des troupes de Constantin dédaigna les formes ennuyeuses d’un siége. Le jour même qu’elles parurent devant Suze, elles mirent le feu aux portes, appliquèrent des échelles à la muraille, et, montant à l’assaut au milieu d’une grêle de pierres et de flèches, elles entrèrent dans la place l’épée à la main, et taillèrent en pièces la plus grande partie de ceux qui la défendaient. Constantin fit éteindre les flammes, et les restes de Suze furent préservés par ses soins d’une destruction totale. A quarante milles environ de cette place, une résistance plus vigoureuse l’attendait. Les lieutenants de Maxence avaient assemblé dans les plaines de Turin un corps nombreux d’Italiens. La principale force de cette armée consistait en une espèce de cavalerie pesante, que les Romains, depuis la décadence de leur discipline avaient empruntée des nations de l’Orient. Les chevaux, aussi bien que les hommes, étaient revêtu d’une armure complète, dont les joints s’adaptaient merveilleusement aux mouvements du corps. Une pareille cavalerie avait un aspect formidable ; il paraissait impossible de résister à son choc ; et comme en cette occasion les généraux l’avaient disposée en colonne compacte ou coin, qui présentait une pointe aiguë, et dont les flancs se prolongeaient à une grande profondeur, ils espéraient pouvoir renverser facilement et écraser l’armée de Constantin. Peut-être leur projet aurait-il réussi, si leur habile adversaire n’avait embrassé le même plan de défense adopté et suivi par l’empereur Aurélien dans une circonstance semblable. Les savantes évolutions de Constantin divisèrent et harassèrent cette masse de cavalerie ; les troupes de Maxence prirent la fuite avec confusion vers Turin, dont elles trouvèrent les portes fermées ; aussi en échappa-t-il très peu à l’épée du vainqueur. Par ce service signalé, Turin mérita la clémence et même la faveur du conquérant. Il fit son entrée dans le palais impérial de Milan ; et, depuis les Alpes jusqu’aux rives du Pô, presque toutes les villes d’Italie non seulement reconnurent l’autorité de Constantin, mais embrassèrent avec ardeur le parti de ce prince[54].

Les voies Émilienne et Flaminienne conduisaient de Milan à Rome par une route facile de quatre cents de milles environ ; mais quoique Constantin brûlât d’impatience de combattre le tyran, il tourna prudemment ses armes contre une autre armée d’Italiens, qui, par leur force et par leur position, pouvaient arrêter ses progrès et intercepter sa retraite, si la fortune ne favorisait pas son entreprise. Ruricius Pompeianus, général d’un courage et d’un mérite distingués, avait sous son commandement la ville de Vérone et toutes les troupes de la province de Vénétie. Dès qu’il fut informé que Constantin marchait à sa rencontre, il envoya contre lui un détachement considérable de cavalerie, qui fut défait dans une action près de Brescia, et que les légions de la Gaule poursuivirent jusqu’aux portes de Vérone. La nécessité, l’importance et les difficultés du siège de cette place, frappèrent à la fois l’esprit pénétrant de Constantin[55]. On ne pouvait approcher des murs que par une péninsule étroite à l’occident de la ville. Les trois autres côtés étaient défendus par l’Adige, rivière profonde, qui couvrait la province de Vénétie, d’où les assiégés tiraient un secours inépuisable d’hommes et de vivres. Ce ne fut pas sans peine que Constantin trouva moyen de passer la rivière : après plusieurs tentatives inutiles, il la franchit dans un endroit où le torrent était moins impétueux, à quelque distance au-dessus de la ville. Alors il entoura Vérone de fortes lignes, conduisit ses attaques avec une vigueur mêlée de prudence, et repoussa une sortie désespérée de Pompeianus. Cet intrépide général, lorsqu’il eut mis en usage tous les moyens de défense que lui pouvait offrir la force de la place ou celle de la garnison, s’échappa sécrété ment de Vérone, moins inquiet de son propre sort que de la sûreté publique. Il rassembla bientôt, avec une diligence incroyable, assez de troupes pour combattre Constantin dans la plaine ou pour l’attaquer s’il persistait à rester dans ses lignes. L’empereur, attentif aux mouvements d’un ennemi si redoutable, et informé de son approche, laisse une partie de ses légions pour continuer les opérations du siége ; et, suivi des troupes sur la valeur et sur la fidélité desquelles il comptait le plus, il s’avance en personne au devant du général de Maxence. L’armée de la Gaule avait d’abord été rangée sur deux lignes égales, selon les principes généraux de la tactique ; mais leur chef expérimenté, voyant que le nombre des Italiens excédait de beaucoup celui de ses soldats, change tout à coup ses dispositions : il diminue sa seconde ligne, et donne à la première une étendue aussi considérable que le front de l’ennemi. De pareilles évolutions, que de vieilles troupes peuvent seules exécuter sans confusion au moment du danger, sont presque toujours décisives : cependant, comme le combat commença vers la fin du jour, et qu’il fut disputé durant toute la nuit, avec une grande opiniâtreté, l’habileté des généraux devint moins nécessaire que le courage des soldats. Les premiers rayons du soleil éclairèrent la victoire de Constantin ; il aperçut la plaine couverte de plusieurs milliers d’Italiens vaincus. Leur général Pompeianus fût trouva parmi les morts. Vérone se rendit aussitôt à discrétion, et la garnison fut faite prisonnière de guerre[56]. Lorsque les officiers de l’armée victorieuse félicitèrent leur maître sur cet important succès, ils mêlèrent à leurs félicitations quelques-uns de ces reproches respectueux qui ne sauraient blesser le monarque le plus jaloux de son autorité ; ils représentèrent à Constantin que, non content de remplir tous les devoirs d’un commandant, il avait exposé sa personne avec une bravoure dont l’excès dégénérait presque en témérité et ils le conjurèrent de veiller désormais davantage à sa propre conservation, et de penser que de sa vie dépendait la sûreté de Rome et de l’empire [Panegyr. vet., IX, 10.].

Tandis que Constantin signalait sa valeur et son habileté sur le champ de bataille, le souverain de l’Italie paraissait insensible aux calamités et aux périls d’une guerre civile qui déchirait le sein de ses États. Le plaisir était la seule occupation de Maxence. Cachant ou affectant de cacher en public le mauvais succès de ses armes[57], il s’abandonnait à une vaine confiance qui, éloignait le remède du mal, sans éloigner le mal lui-même[58]. Plongé dans une fatale sécurité, les progrès rapides de ses ennemis[59] furent à peine capables de l’en tirer. Il se flattait que sa réputation de libéralité, et la majesté du nom romain, qui l’avaient déjà délivré de deux invasions, dissiperaient avec la même facilité l’armée rebelle de la Gaule. Les officiers habiles et expérimentés qui avaient servi sous les étendards de Maximien, furent enfin forcés d’apprendre à son indigne fils le danger imminent où il se trouvait réduit : s’exprimant avec une liberté qui l’étonna, et qui seule pouvait le convaincre, ils lui représentèrent la nécessité de prévenir sa ruine en développant avec vigueur les forces qui lui restaient. Les ressources de Maxence en hommes et en argent étaient encore considérables. Les prétoriens sentaient combien leur intérêt et leur sûreté se trouvaient fortement liés à la cause de leur maître. On assembla bientôt une nouvelle armée, plus nombreuse que celles qui avaient été ensevelies dans les champs de Turin et de Vérone. L’empereur était loin de songer à prendre le commandement de ses groupes. Totalement étranger aux travaux de la guerre, il tremblait de la seule idée d’une lutte si dangereuse ; et, comme la crainte est ordinairement superstitieuse, il écoutait avec une sombre inquiétude le rapport des augures, et des présages qui semblaient menacer sa vie et son empire. Enfin, la honte lui tint lieu de courage, et le força de paraître sur le champ de bataille. Ce lâche tyran ne put supporter le mépris du peuple romain : partout le cirque retentissait des clameurs de l’indignation ; la multitude assiégeait tumultueusement les portes du palais, accusant la lâcheté d’un prince indolent et célébrant le courage héroïque de son rival[60]. Maxence, avant de quitter, Rome, consulta les livres sibyllins. Si les gardiens de ces anciens oracles, ignoraient les secrets du destin, du moins étaient-ils versés dans la science du monde : ils rendirent une réponse très prudente, qui pouvait s’adapter à l’événement et sauver leur réputation, quel que fût le sort des armes[61].

On a comparé la célérité de la marche de Constantin à la conquête rapide de l’Italie par le premier des Césars : ce parallèle flatteur est assez conforme à la vérité de l’histoire, puisque, entre la reddition de Vérone et la fin décisive de la guerre [28 octobre 312], il ne s’écoula que cinquante-huit jours. Constantin avait toujours appréhendé que le tyran ne suivît les conseils de la crainte, peut-être même de la prudence, et qu’au lieu d’exposer ses dernières espérances au risque d’une action générale, il ne s’enfermât dans Rome : d’amples magasins auraient alors rassuré Maxence contre les dangers de la famine ; et comme la situation de Constantin ne souffrait aucun délai, il se serait peut-être vu réduit à la triste nécessité de détruire par le fer et par le feu la ville impériale, le plus noble prix de sa victoire, et dont la délivrance avait été le motif, ou plutôt le prétexte de la guerre civile[62]. Ce fut avec un plaisir égal à sa surprise, qu’étant arrivé dans un lieu appelé Saxa-Rubra, à neuf milles environ de Rome[63], il aperçut Maxence et ses troupes disposées à livrer bataille[64]. Le large front de cette armée remplissait une plaine très spacieuse, et ses lignes profondes s’étendaient jusqu’au bord du Tibre, qui couvrait l’arrière-garde, et lui coupait la retraite. On assure, et nous pouvons le croire, que Constantin rangea ses légions avec une habileté consommée, et qu’il choisit pour lui même le poste du danger et de l’honneur. Distingué par l’éclat de ses armes, il chargea en personne la cavalerie de son rival. Cette attaque terrible détermina la fortune de cette journée mémorable. La cavalerie de Maxence consistait principalement en une troupe légère de Maures et de Numides, et en cuirassiers dont l’armure pesante arrêtait tous les mouvements. Elle fut obligée de céder à l’impétuosité des cavaliers gaulois, qui, plus fermes que les Africains, surpassaient en activité les autres escadrons. La défaite des deux ailes laissait à découvert les flancs de l’infanterie. Les Italiens indisciplinés se décidèrent sans peine à fuir loin des drapeaux d’un tyran qu’ils avaient toujours détesté et qu’ils ne redoutaient plus. Les prétoriens, persuadés que la grandeur de leur offense les rendait indignes du pardon, combattaient animés par la vengeance et par le désespoir : malgré leurs efforts réitérés, ces braves vétérans ne purent rappeler la victoire ; ils obtinrent cependant une mort honorable, et l’on observe que leurs corps couvraient le même terrain qui avait été occupé par leurs rangs[65]. La confusion devint alors générale. Incapables de se rallier, les soldats de Maxence, poursuivis par un ennemi implacable, se précipitèrent par milliers dans les eaux profondes et rapides du Tibre. L’empereur lui-même voulut se sauver dans la ville par le pont Milvius, mais la multitude des fuyards qui se pressaient en foule sur cet étroit passage, le fit tomber dans le fleuve, où, embarrassé du poids de ses armes, il fut aussitôt noyé[66]. Le lendemain on eut peine à trouver son corps profondément enfoncé dans le limon. La vue de sa tête, élevée au haut d’une pique, assura le peuple de sa délivrance. A ce spectacle, les Romains reçurent avec les acclamations de la fidélité et de la reconnaissance l’heureux Constantin, qui avait ainsi terminé, par ses talents et par sa valeur, l’entreprise la plus éclatante de sa vie[67].

Si la clémence de ce prince après sa victoire ne mérite point d’éloges, on ne saurait non plus lui reprocher une rigueur excessive[68]. Il fit aux vaincus le même traitement que sa personne et sa famille auraient éprouvé s’il eût été défait. Les deux fils de Maxence furent mise mort, et l’on détruisit soigneusement toute sa race. Il était naturel que les plus fidèles serviteurs du tyran partageassent sa destinée comme ils avaient partagé sa prospérité et ses crimes ; mais lorsque les Romains demandèrent à haute voix un plus grand nombre de victimes, l’empereur sut résister avec force et avec humanité à ces clameurs serviles, dictées par la flatterie aussi bien que par le ressentiment : les délateurs furent punis et découragés ; ceux qu’une injuste tyrannie avait condamnés à l’exil reparurent dans leur patrie, et leurs biens leur furent rendus ; une amnistie générale tranquillisa l’esprit des habitants, et assura leurs propriétés d’Italie et d’Afrique[69]. La première fois que Constantin honora le sénat de sa présence, il exposa, dans un discours modeste, ses services, et ses exploits ; il exprima le respect le plus sincère pour cette illustre assemblée, et lui promit de la rétablir dans sa première dignité et ses anciennes prérogatives. Ces protestations furent payées des vains titres d’honneur dont le sénat pouvait encore disposer sans prétendre confirmer l’autorité de Constantin, il lui assigna, par un décret solennel, le premier rang entre les trois Augustes qui gouvernaient l’univers romain[70]. On institua des jeux et des fêtes pour perpétuer le souvenir de cette victoire célèbre, et plusieurs édifices élevés aux dépens de Maxence furent dédiés à son heureux rival. L’arc de triomphe de Constantin est encore maintenant une triste preuve de la décadence des arts, et un témoignage singulier de la plus basse vanité. Comme il ne fut pas possible de trouver dans la capitale de l’empire un sculpteur capable de décorer ce monument public, l’arc de Trajan, sans aucun respect pour la mémoire d’un si grand prince ou pour les règles de la convenance, fut dépouillé de ses plus beaux ornements. On n’eut point égard à la différence des temps et des personnes, des actions et des caractères ; les Parthes captifs paraissent prosternés aux pieds d’un monarque qui n’a jamais porté ses armés au-delà de l’Euphrate, et les antiquaires curieux peuvent encore apercevoir la tête de Trajan sur les trophées de Constantin. Les nouveaux ornements qu’il fallut ajouter aux anciennes sculptures, pour en remplir les vides, sont exécutés de la manière la plus informe et la plus grossière[71].

La politique, aussi bien que le ressentiment, exigeait l’entière abolition des prétoriens : ces troupes hautaines, dont Maxence avait rétabli et même augmenté le nombre et les privilèges furent pour jamais cassées par Constantin ; on détruisit leur camp fortifié, et le reste des prétoriens, qui avait échappé à la fureur du combat, fût dispersé parmi les légions et relégué sur les frontières de l’empire, où ces guerriers pouvaient être utiles sans devenir encore dangereux[72]. En supprimant les troupes qui avaient leur poste à Rome, Constantin porta le coup fatal à la dignité du sénat et du peuple ; la capitale désarmée resta exposée, sans protection, à la négligence et aux insultes d’un maître éloigné. Nous pouvons observer que dans ce dernier effort des Romains pour conserver leur liberté expirante, l’appréhension d’un tribut les avait d’abord engagés à placer Maxence sur le trône. Ce prince ayant exigé du sénat ce tribut sous le nom de don gratuit, ils implorèrent alors l’assistance du souverain des Gaules. Constantin vainquit le tyran, et convertit le don gratuit en taxe perpétuelle. Les sénateurs, suivant leurs facultés, dont ils furent forcés de donner une déclaration, furent partagés en différentes classes : les plus opulents payaient annuellement huit livres d’or ; on en exigea quatre de la seconde classe, et deux de la dernière ; ceux, qui par leur pauvreté, méritaient une exemption, furent cependant taxés à sept pièces d’or. Outre les membres de cette assemblée, leurs fils, leurs descendants, leurs parents même, jouissaient des vains privilèges attachés à la dignité de sénateur, et ils en supportaient les charges onéreuses. On ne s’étonnera plus que Constantin ait pris tant de soin pour augmenter le nombre des personnes comprises dans une classe si utile[73]. Après la défaite de Maxence, le victorieux empereur ne resta que deux ou trois mois à Rome. Il séjourna deux fois dans cette capitale pendant le reste de sa vie, pour célébrer les fêtes solennelles de la dixième et de la vingtième année de son règne. Constantin, presque toujours en action, s’occupait à exercer ses soldats et à examiner l’état des provinces. Il résida tour à tour, et selon les occasions, à Trèves, à Milan, à Aquilée, à Sirmium, à Naisses et à Thessalonique, jusqu’à ce qu’il eût bâti une NOUVELLE ROME sur les confins de l’Europe et de l’Asie[74].

Avant de marcher en Italie il s’était assuré de l’amitié ou du moins de la neutralité de Licinius [mars 313], souverain des provinces illyriennes. Constantin avait promis à ce prince sa sœur Constantia ; mais la célébration du mariage avait été différée jusqu’à ce que la guerre eût été terminée. L’entrevue des deux empereurs à Milan, lieu désigné pour cette cérémonie, parut cimenter l’union de leurs intérêts et de leurs familles[75]. Au milieu de la joie publique ils furent tout à coup obligés de se séparées. Constantin, à la nouvelle d’une incursion des Francs, vola sur les rives du Rhin ; et l’approche des souverains de l’Orient, qui s’avançait les armes à la main, força Licinius de marcher en personne à sa rencontre. Maximin avait été l’allié secret de Maxence sans être découragé par le sort funeste de ce tyran, il résolut de tenter la fortune d’une guerre civile. De la Syrie il se transporta, dans le fort de l’hiver, sur les frontières de la Bithynie. La saison était rigoureuse ; un grand nombre d’hommes et de chevaux périrent dans la neige ; et comme les pluies abondantes avaient rompu les chemins, Maximin fut obligé de laisser derrière lui une partie considérable du gros bagage, qui ne pouvait suivre la rapidité de ses marches forcées. Par cet effort extraordinaire de diligence, il parvint aux rivages du Bosphore de Thrace arec une armée harassée, mais formidable, sans que les lieutenants de Licinius eussent été informés de ses intentions hostiles. Byzance ouvrit ses portes à Maximin après onze jours de résistance. Ce prince fût arrêté quelque temps au siège d’Héraclée : dés qu’il se fut emparé de cette ville, il fut étonné d’apprendre que Licinius campait à la distance de dix-huit milles seulement. Après une négociation infructueuse, dans laquelle les deux empereurs s’efforcèrent chacun de corrompre la fidélité de leurs partisans respectifs, ils eurent recours aux armes. Le souverain de l’Asie commandait une armée de plus de soixante-dix mille hommes, composée de vétérans bien disciplinés. Licinius, qui n’avait environ que trente mille Illyriens, fut d’abord accablé par la supériorité du nombre. Ses talents militaires et la fermeté de ses troupes rétablirent le combat ; il remporta une victoire décisive [20 avril 313]. La diligence incroyable de Maximin dans sa fuite a été beaucoup plus célébrée que sa valeur sur le champ de bataille. Vingt quatre heures après, on le vit pâle, tremblant et dépouillé de ses ornements impériaux à Nicomédie, ville éloignée de cent soixante milles du lieu de sa défaite. Les richesses de l’Asie n’avaient cependant pas encore été épuisées ; et, quoique l’élite des vétérans de Maximin eût péri dans la dernière action, il pouvait encore, avec du temps, lever de nombreuses troupes dans la Syrie et dans l’Égypte ; mais il ne survécut que trois ou quatre mois à son infortune. Sa mort [août], arrivée à Tarse, a été diversement attribuée au désespoir, au poison et à la justice divine. Comme Maximin manquait également de talent et de vertu, il ne fut regretté ni du peuple, ni des soldats. Les provinces de l’Orient, délivrées des terreurs d’une guerre civile, reconnurent avec joie l’autorité de Licinius[76].

L’empereur vaincu laissait deux enfants, un fils de huit ans et une fille de sept environ. L’innocence d’un âge si tendre pouvait inspirer quelque compassion ; mais la compassion de Licinius était une bien faible ressource, elle ne l’empêcha pas d’éteindre le nom et la mémoire de son adversaire. Là mort du fils de Sévère est encore moins excusable, puisque ni la vengeance ni la politique ne le condamnaient à périr. Le vainqueur n’avait point à se plaindre du père de l’infortuné Sévérien ; on avait déjà oublié le règne court et obscur de Sévère dans une partie de l’empire fort éloignée. Mais l’exécution de Candidianus est un acte de la cruauté et de l’ingratitude la plus noire. Il était fils naturel de Galéré, l’ami et le bienfaiteur de Licinius : le père, en mourant, l’avait jugé trop jeune pour soutenir le poids du diadème. Il espérait que, sous la protection des princes qu’il avait lui-même revêtus de la pourpre impériale, son fils mènerait une vie tranquille et honorable. Candidianus avait alors près de vingt ans. Sa naissance, quoiqu’elle ne fût soutenue ni par le mérite ni par l’ambition, suffit pour enflammer la jalousie de Licinius[77]. A ces victimes innocentes et illustres de sa tyrannie, nous pouvons ajouter la mère et la fille de Dioclétien. Ce prince, en donnant à Galère le titre de César, lui avait, accordé en mariage sa fille Valérie, dont les aventures funestes pourraient devenir le sujet d’une tragédie fort intéressante. Elle avait rempli et même surpassé les devoirs d’une femme. Comme elle n’avait point d’enfants, elle avait bien voulu adopter le fils illégitime de son mari, et avait constamment montré pour l’infortuné Candidianus la tendresse et les soins d’une véritable mère. Lorsque Galère eut rendu les derniers soupirs, les biens immenses de sa veuve irritèrent l’avarice de son successeur Maximin, et les attraits de sa personne, excitèrent les désirs de ce prince[78]. Il était alors marié ; mais les lois romaines permettaient le divorce, et les passions violentés du tyran demandaient une prompte satisfaction. La réponse de Valérie fut celle qui convenait à la fille et à la veuve d’un souverain. Elle. y mêla seulement la prudence que sa malheureuse situation la forçait d’observer. Si l’honneur, dit-elle aux personnes que Maximin avait employées auprès d’elle, permettait à une femme de mon caractère de penser à un second mariage, la décence me défendrait au moins d’écouter la proposition du prince dans un temps où les cendres de mon mari, son bienfaiteur, ne sont pas encore refroidies. Voyez ces vêtements lugubres ; ils expriment la douleur dans laquelle mon âme est plongée. Mais quelle confiance, ajouta-t-elle avec fermeté, puis-je avoir aux protestations d’un homme dont la cruelle circonstance est capable de répudier une épouse tendre et fidèle[79] ? A ce refus, l’amour de Maximin se changea en fureur : comme il avait toujours à sa disposition des témoins et des juges, il ne lui fat pas difficile de cacher son ressentiment sous le voile d’une procédure légale, et d’attaquer la réputation aussi bien que la tranquillité de Valérie. Les biens de cette malheureuse princesse furent confisqués ; ses eunuques, ses domestiques, livrés aux plus cruels supplices. Enfin, plusieurs vertueuses et respectables matrones, qu’elle avait honorées de son amitié, souffrirent la mort sur une fausse accusation d’adultère. L’impératrice elle-même et sa mère Prisca furent condamnées à vivre en exil dans un village situé au milieu des déserts de la Syrie. Traînées ignominieusement de ville en ville, elles exposèrent ainsi leur honte et leur misère à ces mêmes provinces de l’Orient, qui, pendant trente ans avaient respecté leur dignité auguste. Dioclétien fit plusieurs tentatives inutiles pour adoucir le sort de sa fille ; il demandait que Valérie eût la permission de venir partager sa retraite de Salone, et fermer les yeux d’un père affligé[80] ; c’était, disait-il à Maximin, la seule grâce qu’il attendît d’un prince auquel il avait donné la pourpre impériale. Dioclétien conjurait, mais il ne pouvait plus menacer : ses prières furent reçues avec froideur et avec, dédain. Le fier tyran paraissait prendre plaisir à traiter Dioclétien en suppliant, et sa fille en criminelle. La mort de Maximin semblait annoncer aux impératrices un changement favorable dans leur fortune. Les discordes civiles relâchèrent la vigilance de leurs gardes ; elles trouvèrent moyen de s’échapper du lieu de leur exil, et de se rendre, quoique avec précaution et déguisées, à la cour de Licinius. La conduite de ce prince dans les premiers jours de son règne, et la réception honorable qu’il fit au jeune Candidianus, inspirèrent à Valérie une satisfaction sécrète : elle crut que désormais ses jours et ceux de son fils adoptif ne seraient plus mêlés d’amertume. A ces espérances flatteuses succédèrent bientôt la surprise et l’horreur ; et les exécutions qui ensanglantèrent le palais de Nicomédie, apprirent à l’impératrice que le trône de Maximin était occupé par un tyran encore plus barbare. Valérie pourvut à sa sûreté par la fuite ; et, toujours accompagnée de sa mère Prisca, elle erra pendant plus de quinze mois dans les provinces de l’empire[81], revêtues toutes les deux de l’habillement le plus commun. Elles furent enfin découvertes à Thessalonique ; et, comme la sentence de mort avait déjà été prononcée ; elles eurent aussitôt la tête tranchée, et leurs corps furent jetés dans la mer. Le peuple contemplait avec effroi et avec étonnement ce triste spectacle ; mais la crainte qu’inspirait une garde nombreuse, étouffa sa douleur, et son indignation. Telle fut la cruelle destinée de la femme et de la fille de Dioclétien. Nous déplorons leurs infortunes ; nous ne pouvons découvrir quels furent leurs crimes ; en quelque juste idée que l’on se forme de la cruauté de Licinius, il paraît toujours surprenant qu’il ne se soit pas contenté d’assurer sa vengeance d’une manière plus sécrète et plus décente[82].      

L’univers romain se trouvait alors partagé entre Constantin et Licinius [an 314] ; le premier gouvernait l’Occident ; l’autre donnait des lois aux provinces orientales. On devait peut-être espérer que les vainqueurs, fatigués des guerres civiles et liés entre eux par des traités et par l’alliance de leurs familles, renonceraient à tout projet d’ambition, ou du moins qu’ils en suspendraient l’exécution ; cependant douze mois s’étaient à peiné écoulés depuis la mort de Maximin, que les princes victorieux tournèrent leurs armes l’un contre l’autre. Le génie, les succès, l’esprit entreprenant de Constantin, semblent le désigner comme le premier auteur de la rupture ; mais le caractère perfide de Licinius justifie les soupçons les moins favorables. A la faible lueur que l’histoire jette sur cet événement[83], on aperçoit une conspiration tramée par ses artifices contre l’autorité de son collègue. Constantin venait de donner sa sœur Anastasie en mariage à Bassianus, homme d’une grande fortune et d’une naissance illustre, et il avait élevé son beau-frère au rang de César. Selon le système de gouvernement institué par Dioclétien, l’Italie et peut-être l’Afrique devait former le département du nouveau prince dans l’empire ; mais l’accomplissement de la promesse souffrit tant de délais, ou fut accompagné de conditions si peu avantageuses, que la fidélité de Bassianus fût plutôt ébranlée qu’affermie par la distinction honorable qu’il avait obtenue. Licinius avait ratifié son élection. Ce prince actif trouva bientôt, par ses émissaires, le moyen d’entretenir, une correspondance secrète et dangereuse avec le nouveau César, d’irriter ses mécontentements, et de le porter au projet téméraire d’arracher par la violence ce qu’il attendait en vain de la justice de l’empereur. Mais le vigilant Constantin découvrit le complot avant que toutes les mesures eussent été prises pour l’exécuter. Aussitôt, renonçant solennellement à l’alliance de Bassianus, il le dépouilla de la pourpre et lui infligea la peine que méritaient sa trahison et son ingratitude. Lorsqu’on vint demander à Licinius la restitution des criminels qui avaient cherché un asile dans ses États, son refus altier confirma les soupçons que l’on avait déjà de sa perfidie ; et les indignités commises à Æmone, sur les frontières de l’Italie, contre les statues de Constantin, devinrent le signal de la discorde entre les deux princes[84].

La première bataille se livra près de Cibalis (8 octobre 315), ville de Pannonie, située sur la Save à cinquante milles au-dessus de Sirmium[85]. Les forces peu considérables que ces deux puissants monarques avaient rassemblées dans une occasion si importante, donnent lieu de croire que l’un fut provoqué subitement, et l’autre surpris tout à coup.. Le souverain de l’Orient n’avait que trente-cinq mille hommes ; vingt mille soldats composaient toute l’armée de l’empereur d’Occident. L’infériorité du nombre était compensée toutefois par l’avantage du terrain. Posté dans un défilé large environ d’un demi mille, entre une colline escarpée et un marais profond, Constantin attendait l’ennemi avec assurance et il repoussa son premier choc. Habile à profiter de cet avantage, il descendit dans la plaine ; mais les vétérans d’Illyrie se rallièrent sous les étendards d’un chef qui avait appris le métier des armes à l’école de Probus et de Dioclétien. Des deux côtés les armes de trait furent bientôt épuisées ; les armées rivales, animées d’un même courage, s’élancèrent avec impétuosité l’une contre l’autre, et se battirent à coups de lances et d’épées. Le combat était demeuré incertain depuis la pointe du jour jusqu’aux approches de la nuit, lorsque l’aile droite, que Constantin commandait en personne, détermina la victoire par une attaque vigoureuse. Une sage retraite sauva le reste des troupes de Licinius. Mais dès que ce prince eut reconnu sa perte, qui se montait à plus de vingt mille hommes, il ne se crut pas en sûreté pendant la nuit devant un adversaire actif et victorieux : abandonnant son camp et ses magasins, il marcha secrètement et avec diligence à la tête de la plus grande partie de sa cavalerie ; et il se trouva bientôt hors de tout danger. Sa célérité fut le salut de sa femme, de son fils et de ses trésors qu’il avait laissés dans Sirmium. Licinius traversa cette ville ; et, après avoir rompu le pont sur la Save, il se hâta de lever une nouvelle armée dans la Dacie et en Thrace : tandis qu’il fuyait il accorda le titre précaire de César à Valens, un de ses généraux, qui commandait sur la frontière d’Illyrie[86].

La plaine de Mardie, dans la Thrace, fut le théâtre d’une seconde bataille aussi opiniâtre et non moins         sanglante que la première. Les troupes des deux partis déployèrent une valeur et une discipline égales ; la victoire fut encore une fois fixée par l’habileté supérieure de Constantin. Ce prince avait envoyé un corps de cinq mille hommes s’emparer d’une hauteur avantageuse, d’où pendant la chaleur de l’action, ils tombèrent sur l’arrière-garde de l’ennemi et en firent un grand carnage.

Cependant les légions de Licinius, présentant un double front, conservèrent toujours le terrain, jusqu’à ce que la nuit mit fin au combat ; et favorisa leur retraite vers les montagnes de la Macédoine[87]. La perte de deux batailles et de ses plus braves vétérans força l’esprit altier de Licinius à demander la paix. Mistrianus, son ambassadeur, admis à l’audience de Constantin, s’étendit sur ces maximes générales de modération et d’humanité, si familières à l’éloquence des vaincus. Il représenta, dans les termes les plus insinuants, que l’événement de la guerre était encore douteux, et que ses calamités inévitables entraîneraient la ruine des deux partis, et finit en disant qu’il était autorisé par les deux empereurs ses maîtres, à proposer une paix solide et honorable. Ce fut avec mépris et indignation que Constantin l’entendit faire mention de Valens. Nous ne sommes pas venus, répliqua-t-il fièrement, des bords de l’Océan occidental, nous n’avons pas parcouru d’immenses contrées en livrant tant de combats, en remportant un si grand nombre de victoires, pour couronner un vil esclave ; après avoir puni un parent ingrat. L’abdication de Valens est le premier article du traité[88]. La nécessité contraignit à accepter une condition humiliante. Après un règne de quelques jours, le malheureux Valens perdit la pourpre et la vie. Dès que cet obstacle eut été levé, la tranquillité de l’univers romain fut bientôt rétablie. Si les défaites successives de Licinius avaient épuisé ses forces, elles avaient développé son courage et ses talents. Sa situation était presque désespérée ; mais les efforts du désespoir sont souvent formidables. La prudence de Constantin préférait un avantage considérable et certain au hasard douteux d’une troisième bataille. Il consentit à laisser son rival, ou comme il appelait de nouveau Licinius, son ami et son frère, en possession de la Thrace, de l’Asie-Mineure, de la Syrie et de l’Égypte. Mais les provinces de la Pannonie, de la Dalmatie, de la Dacie, de la Macédoine et de la Grèce, usent cédées à l’empereur d’Occident ; et les États de Constantin s’étendirent depuis les confins de la Calédonie jusqu’à l’extrémité du Péloponnèse. Il fut stipulé par le même traité, que trois jeunes princes, fils des empereurs, seraient désignés successeurs de leurs pères. Crispus et le jeune Constantin furent bientôt après déclarés Césars en Occident Dans l’Orient, le jeune Licinius parvint à la même dignité. Par cette double portion d’honneurs, réunie dans sa famille, le vainqueur constatait la supériorité de ses armes et de sa puissance[89].

La réconciliation de Constantin et de Licinius, quoique envenimée par le ressentiment et par la jalousie, par le souvenir des injures récentes et par l’appréhension de nouveaux dangers, maintint cependant durant plus de huit années, la tranquillité de l’univers romain. Comme vers cette époque commence une suite très régulière des lois impériales, il ne serait pas difficile de rapporter les règlements civils qui employèrent le loisir de Constantin. Mais ses institutions les plus importantes se trouvent étroitement liées au nouveau système de politique et de religion, qui ne fut parfaitement établi que dans les derniers temps et dans les années paisibles de son règne. Plusieurs de ses lois en tant qu’elles concernent les droits et les propriétés des individus et la pratique du barreau, se rapportent plutôt à la jurisprudence particulière qu’à l’administration publique de l’empire, et il publia un grand nombre d’édits, dont la nature tient tellement aux lieux et aux circonstances, qu’ils ne sont pas dignes de trouver place dans une histoire générale. On peut cependant tirer de la foule deux lois qui méritent d’être connues, l’une pour son importance, l’autre pour sa singularité : la première respire la plus grande humanité : la sévérité excessive de la secondé la rend très remarquable. 1° La pratique horrible, et si familière aux anciens, d’exposer ou de faire mourir les enfants nouveau-nés, devenait plus les jours plus fréquente, spécialement en Italie. C’était l’effet de la misère ; et la misère avait surtout pour principe le poids intolérable des impositions, et les voies aussi injustes que cruelles employées par les officiers du fisc contre leurs débiteurs insolvables. Les sujets pauvres ou dénués d’industrie, loin de voir avec plaisir augmenter leurs familles, croyaient suivre les mouvements d’une véritable tendresse, en délivrant leurs enfants des malheurs dont les menaçait une vie qu’ils ne pouvaient eux-mêmes supporter. L’humanité de Constantin, excitée peut-être par quelques exemples nouveaux et frappants de désespoir[90], engagea ce prince à publier un édit dans toutes les villes de l’Italie, ensuite de l’Afrique. En vertu de ce règlement, on devait donner un secours immédiat et suffisant à ceux qui produiraient devant le magistrat les enfants que leur pauvreté ne le permettrait pas d’élever. Mais la promesse était trop magnifique, et les moyens de la remplir, avaient été fixés d’une manière trop vague, pour produire aucun avantage général ou permanent[91]. La loi, quoiqu’elle mérite quelques éloges, servit moins à soulager qu’à exposer la misère publique. Elle demeure aujourd’hui comme un monument authentique pour contredire et confondre des orateurs vendus, trop contents de leur propre situation pour supposer que le vice et la misère pussent exister sous le gouvernement d’un prince si généreux[92].

II. Les lois de Constantin contre le rapt marquent bien peu d’indulgence pour une des faiblesses les plus pardonnables de la nature humaine, puisqu’elles regardaient comme ravisseur, et punissaient comme tel tout homme qui enlevait de la maison de ses parents une fille âgée de moins de vingt-cinq ans : soit qu’il eût employé la violence, ou que par une douce séduction il l’eût déterminée à une fuite volontaire, le ravisseur était puni de mort ; et si la mort simple ne se trouvait pas proportionnée à l’énormité de son crime, il était ou brûlé vif ou déchiré en pièces par les bêtes sauvages au milieu de l’amphithéâtre. Si la jeune fille déclarait avoir été enlevée de son propre consentement, loin de sauver son amant par cet aveu, elle s’exposait à partager son sort. Les parents de la fille infortunée ou coupable étaient obligés de poursuivre en justice le ravisseur : si, cédant aux mouvements de la nature, ils fermaient les yeux sur l’insulte et réparaient par un mariage l’honneur de leur famille, ils étaient eux-mêmes condamnés à l’exil, et leurs biens confisqués. Les esclaves de l’un ou de l’autre sexe, convaincus d’avoir favorisé le rapt ou la séduction, étaient brûlés vifs, ou mis à mort par un supplice plus raffiné, qui consistait a leur verser dans la bouche du plomb fondu. Comme le crime était un crime public, l’accusation en était permise même aux étrangers. Quel que fût le nombre des années écoulées depuis le crime, l’accusation était toujours recevable, et les suites de la sentence s’étendaient jusqu’aux fruits innocents de cette union irrégulière[93]. Mais toutes les fois que l’offense inspire moins d’horreur que la punition, la rigueur de la loi pénale est forcée de céder aux mouvements naturels imprimés dans le cœur de l’homme. Les articles les plus odieux de cet édit furent adoucis ou annulés sous le règne suivant[94]. Constantin lui-même tempéra souvent, par des actes particuliers de clémence, l’esprit cruel de ses institutions générales ; et telle était l’humeur singulière de ce prince, qu’il se montrait aussi indulgent, aussi négligent même dans l’exécution de ses lois, qu’il avait paru sévère et même cruel en les publiant. Il serait difficile de découvrir un symptôme plus marqué de faiblesse, soit dans le caractère du prince, soit dans la constitution du gouvernement[95].

L’administration civile frit quelquefois interrompue par des expéditions militaires entreprises pour la défense de l’empire. Crispus, jeune prince du caractère le plus aimable, qui avait reçu, avec le titre de César, le commandement du Rhin, signala sa valeur et son habileté par plusieurs victoires sur les Francs et sur les Allemands. Il apprit aux Barbares de cette frontière à redouter le fils aîné de Constantin et le petit-fils de Constance[96]. L’empereur s’était réservé le département plus important et bien plus difficile du Danube. Les Goths, qui, sous les règnes de Claude et d’Aurélien, avaient senti le poids des armes romaines, respectèrent la puissance de l’empire, même au milieu des discordes intestines qui le déchirèrent après la mort de ces princes. Mais cinquante ans de paix avaient alors réparé les forces de cette nation belliqueuse. Il s’était élevé une nouvelle génération qui ne se ressouvenait plus des malheurs des anciens temps. Les Sarmates des Palus-Méotides suivirent les étendards des Goths, comme sujets ou comme alliés, et ces Barbares réunis fondirent tout à coup sur les provinces illyriennes [an 322]. Campona, Margus et Bononia[97], paraissent avoir été le théâtre de plusieurs sièges et de plusieurs combats[98] mémorables. Quoique Constantin trouvât une résistance opiniâtre, il vint à bout de terrasser ces redoutables adversaires ; et les Goths achetèrent la permission de se retirer honteusement, en rendant le butin qu’ils avaient pris. Cet avantage ne satisfaisait pas l’indignation de l’empereur. Décidé à châtier, en même temps qu’il les repoussait, des Barbares insolents qui avaient osé envahir le territoire de Rome, après avoir réparé le port construit par Trajan, il passa le Danube à la tête de ses légions, et pénétra dans les retraites les plus inaccessibles de la Dacie[99] ; et, après avoir exercé une vengeance sévère, il consentit à donner la paix au peuple suppliant des Goths, à condition qu’ils lui fourniraient un corps de quarante mille soldats toutes les fois qu’il l’exigerait[100]. De pareils exploits honorent sans doute ce prince, et furent utiles à l’empire ; mais on doute qu’ils puissent justifier une assertion exagérée d’Eusèbe. Selon cet auteur, TOUTE LA SCYTHIE, pays immense, divisé en tant de nations de noms si différents et de mœurs si sauvages, fut, jusqu’a son extrémité septentrionale, ajoutée à l’empire romain par les armes victorieuses de Constantin[101].

Parvenu à ce haut point de gloire, il eût été difficile à Constantin de souffrir que l’empire fît plus longtemps partagé. Plein de confiance en la supériorité de son génie et de sa puissance militaire, il se détermina, sans avoir eu à se plaindre d’aucune injure, à précipiter du trône un collègue dont l’âge avancé et, les vices détestés semblaient rendre la destruction facile[102]. Mais, à l’approche du danger, le vieil empereur trompa l’attente de ses amis aussi bien que de ses adversaires. Rappelant tout à coup celte bravoure et ces talents qui lui avaient mérité l’amitié de Galère et la pourpre impériale, il se prépara au combat ; assembla les forces de l’Orient, et remplit bientôt de ses troupes, les plaines d’Andrinople, tandis que ses vaisseaux couvraient l’Hellespont. on armée consistait en cent cinquante mille fantassins et quinze mille cavaliers. Comme cette cavalerie avait été principalement tirée de la Phrygie et de la Cappadoce, on peut se former une idée plus favorable de la beauté des chevaux que du courage et de l’habileté de ceux qui les montaient. Trois cent cinquante galères à trois rangs de rames composaient la flotte. L’Égypte et la côte adjacente de l’Afrique en avaient fourni cent trente. Cent dix de ces bâtiments venaient des ports de la Phénicie et de l’île de Chypre. Enfin, les contrées maritimes de la Bithynie, de l’Ionie et de la Carie, avaient été forcées de donner les cent dix autres. Constantin assigna le rendez-vous de ses troupes à Thessalonique. Elles se montaient à plus de cent vingt mille hommes, tant infanterie que cavalerie [Zozime, II]. Leur chef contemplait avec plaisir leur air martial ; et son armée, quoique inférieure en nombre à celle de son rival renfermait plus de soldats. Les légions de Constantin avaient été levées dans les provinces belliqueuses de l’Europe ; leur discipline avait été éprouvée ; leurs anciennes victoires enflaient leurs espérances, et, elles avaient dans leur sein une foule de vétérans qui, après dix-sept campagnes glorieuses sous le même général, se préparaient à mériter une retraite honorable par un dernier effort de courage[103]. Mais sur mer les préparatifs de Constantin ne pouvaient en aucune façon être comparés à ceux de Licinius. Les villes maritimes de la Grèce avaient envoyé chacune au célèbre port du Pirée les hommes et les bâtiments qu’elles pouvaient fournir, et toutes ces forces réunies ne formaient que deux cents petits vaisseaux : armement très faible, si on le compare à ces flottes formidables équipées et entretenues par la république d’Athènes durant la guerre du Péloponnèse[104]. Depuis que l’Italie avait cessé d’être le siège du gouvernement, les établissement maritimes formés dans les ports de Misène et de Ravenne avaient été insensiblement négligés ; et comme la marine de l’empire était soutenue par le commerce plutôt que par la guerre, il devait naturellement se trouver un bien plus grand nombre de matelots et de bâtiments dans les provinces industrieuses de l’Égypte et de l’Asie. On est seulement étonné que l’empereur d’Orient, dont les forces navales étaient si considérables, ait négligé de porter la guerre dans le centre des États de son rival.

Au lieu d’embrasser une résolution si active, qui aurait pu changer toute la face de la guerre, le prudent Licinius attendit l’ennemi près d’Andrinople ; et le soin avec lequel il fortifia son camp décelait assez ses inquiétudes. Après avoir quitté Thessalonique, Constantin s’avançait vers cette partie de la Thrace, lorsqu’il fut tout à coup arrêté par l’Hèbre, fleuve large et rapide, et il aperçut les nombreuses troupes de Licinius, qui, postées sur la pente d’une montagne, s’étendaient depuis le fleuve jusqu’à la ville. Plusieurs jours se passèrent en escarmouches à quelque distance des deux armées. Enfin l’intrépidité de Constantin surmonta les difficultés du passage et de l’attaque [3 juillet 323]. Ce serait ici le lieu de rapporter un exploit prodigieux de ce prince. Quoiqu’il ne s’en trouve peut-être aucun dans la poésie ou dans les romans qui puisse lui être comparé, cependant il a été célébré, non par un de ces orateurs vendus à sa fortune, mais par un historien ennemi de sa gloire. On assure que le vaillant empereur se jeta dans l’Hèbre, accompagné seulement de douze cavaliers, et que, par la force ou la terreur de son bras invincible, il renversa, massacra et mit en pièces une armée de cent cinquante mille hommes. La crédulité l’emportait tellement sur la passion dans l’esprit de Zozime, qu’au lieu de s’attacher aux événements les plus importants de cette fameuse bataille, il paraît avoir choisi et embelli les plus merveilleux. La valeur et le péril de Constantin sont attestés par une blessure légère qu’il reçut à la cuisse ; mais nous pouvons découvrir, même dans cette narration imparfaite, et peut-être dans un texte corrompu, que la victoire ne fut pas moins due à l’habileté du général que la bravoure du héros. Il assembla d’abord des matériaux, comme s’il eût eu dessein de jeter un pont sur le fleuve ; et tandis que les ennemis étaient occupés de ces préparatifs, il envoya un corps de cinq mille archers s’emparer d’un bois épais qui couvrait leur arrière-garde. Licinius, embarrassé par une multiplicité d’évolutions trompeuses, sortit avec regret de son poste avantageux pour combattre dans la plaine sur un terrain uni où la victoire ne fut plus disputée. Les vétérans expérimentés de l’Occident taillèrent facilement en pièces cette multitude confuse de nouvelles levées. Il périt, dit-on, trente-quatre mille hommes. Le soir même, le camp fortifié de Licinius fut pris d’assaut, et la plus grande partie des fuyards, qui avaient gagné les montagnes, se rendirent le lendemain à la discrétion du vainqueur[105]. Son rival, incapable désormais de tenir la campagne, s’enferma dans les murs de Byzance.

Constantin mit aussitôt le siége devant cette ville. Une pareille entreprise exigeait de grands travaux, et le succès pouvait en paraître fort incertain. Dans les dernières guerres civiles, les fortifications d’une place si importante, regardée avec raison comme la clef de l’Europe et de l’Asie, avaient été réparées et augmentées ; en tant que Licinius restait maître de la mer, la garnison avait bien moins à craindre de la famine que l’armée des assiégeants. Les commandants de la flotte de Constantin eurent ordre de se rendre auprès de lui, et il leur prescrivit de forcer le passage de l’Hellespont, puisque les vaisseaux de Licinius, au lieu de chercher et de détruire un ennemi plus faible, demeuraient dans l’inaction et continuaient à occuper un détroit où la supériorité du nombre était si peu utile et si peu avantageuse. Crispus, fils aîné de Constantin, fut chargé de cette entreprise hardie. Il l’exécuta si heureusement et avec tant de courage, qu’il mérita l’estime de son père, et qu’il excita probablement sa jalousie. Le combat dura deux jours. A la fin de la première journée, les deux flottes, après une perte considérable et réciproque, se retirèrent l’une en Europe, l’autre du côté de l’Asie. Le second jour, il s’éleva vers le midi un vent du sud[106], qui, soufflant avec violence, poussa les vaisseaux de Crispus contre ceux de l’ennemi. Ce prince profita, par son habile intrépidité, de cet heureux hasard, et remporta bientôt une victoire complète. Cent trente bâtiments furent coulés à fond, cinq mille hommes perdirent la vie ; et Amandus, l’amiral de la flotte asiatique, ne parvint qu’avec la plus grande difficulté aux rivages de Chalcédoine. Dés que l’Hellespont fut libre, un grand convoi arriva au camp de Constantin, qui avait déjà avancé les opérations du siége. Après avoir construit un rempart de terre égal en hauteur aux fortifications de Byzance, il posa sur cette terrasse des machines de toute espèce, et de hautes tours d’où ses soldats lançaient aux assiégés des dards et des pierres énormes. Les béliers avaient ébranlé les murs en plusieurs endroits ; si Licinius persistait à se défendre plus longtemps, il s’exposait à être enseveli sous les ruines de la ville. Avant d’être entièrement bloqué, il passa prudemment, avec ses trésors, à Chalcédoine en Asie ; et, n’ayant pas perdu le désir d’associer des compagnons à l’espoir et aux dangers de sa fortune , il donna le titre de César à Martinianus, qui remplissait un des emplois les plus importants de son empire[107].

Telles étaient les ressources et les talents de Licinius, qu’après tant de défaites‘réitérées, pendant que Constantin exerçait son activité au siège de Byzance, il assembla en Bithynie une nouvelle armée de cinquante où soixante mille hommes. Le vigilant empereur ne crut cependant pas devoir négliger les derniers efforts de son rival. Une partie considérable de l’armée victorieuse passa le Bosphore dans de petits bâtiments ; bientôt après l’arrivée de ces troupes, la bataille décisive se donna sur les hauteurs de Chrysopolis, aujourd’hui Scutari. Les soldats de Licinius, quoique nouvellement levés, mal armés et plus mal disciplinés, résistèrent au vainqueur avec un courage inutile, mais animé par le désespoir, jusqu’à ce que la défaite totale et le massacre de vingt-cinq mille hommes eussent irrévocablement déterminé le sort de leur chef[108]. Il se rendit à Nicomédie, moins dans l’espoir de se défendre que dans la vue de gagner du temps pour négocier. Constantia, femme de Licinius et sœur de Constantin, sollicita son frère en faveur de son mari ; elle obtint plutôt de la politique que de la compassion du vainqueur, la promesse solennelle, confirmée par un serment, que Licinius, après s’être dépouillé de la pourpre, et après avoir sacrifié Martinianus, aurait la permission de passer le reste de ses jours dans un repos honorable. La conduite de Constantia et ses liaisons avec les deux princes rivaux, rappellent naturellement le souvenir de cette vertueuse Romaine, sœur d’Auguste et femme de Marc-Antoine ; mais les idées des hommes étaient changées, et l’on ne pensait plus que ce fût une tache pour un Romain de survivre à son honneur et à sa liberté. Licinius demanda et accepta le pardon de ses fautes ; il déposa la pourpre aux pieds de son seigneur et maître ; et lorsqu’il eut été relevé de terre avec une pitié insultante, il fut admis au banquet impérial. On l’envoya aussitôt à Thessalonique, qu’on avait choisie pour sa prison : il fut bientôt condamné à mourir[109]. On ne sait si, pour motiver son exécution, on eut recours à un tumulte élevé parmi les soldats, ou bien à un décret du sénat. Selon l’usage de la tyrannie, Licinius fut accusé de tramer une conspiration et d’entretenir une correspondance criminelle avec les Barbares ; mais comme il ne fut jamais convaincu ni par sa conduite, ni par aucune preuve légale, sa faiblesse doit faire présumer[110] qu’il était innocent. La mémoire de ce malheureux prince fait dévouée à une infamie perpétuelle ; on renversa ses statues avec ignominie ; et par un édit précipité, dont les suites parurent si funestes qu’il fut presque aussitôt modifié, on annula toutes les lois et toutes les procédures judiciaires de son règne[111]. Cette victoire de Constantin, réunit de nouveau les membres épars de l’univers romain sous l’autorité d’un seul monarque, trente-sept ans après que Dioclétien eut partagé avec Maximien, son associé, sa puissance et ses provinces.

Les degrés successifs de l’élévation de Constantin, depuis sa première élection dans la ville d’York jusqu’à l’abdication de Licinius à Nicomédie, ont été représentés avec détail et précision, non seulement parce que ces événements sont en eux-mêmes fort intéressants, et de la plus grande importance, mais encore parce qu’ils ont contribué à la décadence de l’empire par tout le sang et par les richesses immenses qui furent alors prodigués ; et par l’accroissement perpétuel des taxes aussi bien que des forces militaires. La fondation de Constantinople et l’établissement de la religion chrétienne furent les suites immédiates et à jamais mémorables de cette révolution.

 

 

 



[1] M. de Montesquieu (Considérations sur les causes de la grandeur et de la décadence des Romains, c.17) suppose, d’après l’autorité d’Orose et d’Eusèbe, que dans cette occasion l’empire fut réellement divisé, pour la première fois, en deux parties. Cependant il serait difficile de découvrir en quoi le plan de Galère différait de celui de Dioclétien.

[2] Divitiis provincialium (mel. provinciarum) ac privatorum studens, fisci commoda non admodum affectans ; ducensque meliùs publicas opes à privatis haberi, quàm intrà unum claustrum reservari. (Eutrope, Breviar, X, 1). Il portait la pratique de cette maxime si loin, que toutes les fois qu’il donnait un repas, il était obligé d’emprunter de la vaisselle.

[3] Lactance, de Mort. persec., c. 18. Quand les particularités de cette conversation se rapprocheraient d’avantage de la bienséance et de la vérité, on pourrait toujours demander comment elles sont parvenues à la connaissance d’un rhéteur obscur. Mais il y a beaucoup d’historiens qui nous rappellent ce mot admirable du grand Condé au cardinal de Retz : Ces coquins nous font parler et agir comme ils auraient fait eux-mêmes à notre place.

Cette sortie contre Lactance est sans fondement : Lactance était si loin d’être un obscur rhéteur, qu’il avait enseigné la rhétorique publiquement et avec le plus grand succès, d’abord en Afrique, ensuite à Nicomédie. Sa réputation lui valut l’estime de Constantin, qui l’appela à sa cour et lui confia l’éducation de son fils Crispus. Les faits qu’il rapporte dans ses ouvrages se sont passés de son temps ; il ne saurait être accusé de fraude et d’imposture. Satis me vixisse arbitrabor et oficium hominis implesse si labor meus aliquos homines, ab erroribus liberatos, ad iter cœleste direxerit (De Opificio Dei, cap. 20). L’éloquence de Lactance l’a fait appeler le Cicéron des chrétiens. Voyez Hist. litterar., du docteur Cave, t. I, p. 113. (Anon. gentl.) (Note de l’Éditeur).

[4] Sublatus nuper à pecoribus et silvis (dit Lactance, de Mort. persec., c. 10) statim scutarius, continuo protector ; mox tribunus, postridiè Cæsar, accepit Orientem. Aurelius-Victor lui donne trop libéralement toute la portion de Dioclétien.

[5] Son exactitude et sa fidélité sont reconnues, même par Lactance, de Mort. perses., c. 18.

[6] Au reste, ses projets ne sont appuyés que sur l’autorité très suspecte de Lactance, de Mort. perses., c. 20.

[7] Cette tradition, inconnue aux contemporains de Constantin, et fabriquée dans la poussière des cloîtres, fut embellie par Geoffroy de Motmouth, et par les écrivains du douzième siècle ; elle a été défendue, dans le dernier siècle, par nos antiquaires, et, elle est sérieusement rapportée dans la volumineuse Histoire d’Angleterre, compilée par M. Carte (vol. I,. p. 147). Il transporte cependant le royaume de Coil, ce prétendu père d’Hélène, du comté d’Essex à la muraille d’Antonin.

[8] Eutrope (X, 2) indique en peu de mots la vérité, et ce qui a donné lieu à l’erreur : Ex obscuriori matrimonio, ejus filius. Zozime (II, p. 78) a saisi avec empressement l’opinion la plus défavorable ; il a été suivi par Orose (VII, 25), à l’autorité duquel il est assez singulier que M. de Tillemont, auteur infatigable, mais partial, n’ait pas fait attention. En insistant sur le divorce de Constance, Dioclétien reconnaissait la légitimité du mariage d’Hélène.

[9] Il y a trois opinions sur le lieu de la naissance de Constantin : 1° Les antiquaires anglais avaient coutume de s’arrêter avec transport sur ces mots de son panégyriste : Britannias illic oriendo nobiles fecisti ; mais ce passage tant relevé peut s’appliquer aussi bien à l’avènement de Constantin qu’à sa naissance. 2° Quelques Grecs modernes ont fait naître ce prince à Drepanum, ville située sur le golfe de Nicomédie (Cellarius, tome II, p. 174), que Constantin honora du nom d’Hélénopolis, et que Justinien embellit de superbes édifices (Procope, de Ædif., v. 2). A la vérité, il est assez probable que le père d’Hélène tenait une auberge à Drepanum et que Constance put y loger, lorsqu’il revint de son ambassade en Perse, sous le règne d’Aurélien. Mais, dans la vie errante d’un soldat, le lieu de son mariage et celui de la naissance de ses enfants ont très peu de rapport l’un avec l’autre. 3° La prétention de Naissus est fondée sur l’autorité d’un auteur anonyme dont l’ouvrage a été publié à la fin de l’Histoire d’Ammien, p. 710, et qui travaillait en général sur de très bons matériaux. Cette troisième opinion est aussi confirmée par Julius Firmicus (de Astrologiâ, I, c. 4), qui florissait sous le règne de Constantin. On a élevé quelques doutes sur la pureté du texte de Firmicus et sur la manière d’entendre ce passage, mais ce texte est appuyé sur les meilleurs manuscrits ; et, quant à la manière dont il faut l’entendre, cette interprétation a été habilement défendue par Juste-Lipse, de Magnitudine rom., IV, c. 11, et supplément.

[10] Litteris minus instructus, Anon., ad Ammanum, p. 710.

[11] Galère, ou peut-être son propre entourage, exposa sa vie dans deux combats qu’il eut à soutenir, l’un contre un Sarmate (Anon., p. 710) et l’autre contre un lion monstrueux. Voyez Praxagoras, apud Photium, p. 63. Praxagoras, philosophe athénien, avait écrit une vie de Constantin en deux livres, qui sont maintenant perdus. Il était contemporain de ce prince.

[12] Zozime, II, p. 78-79. Lactance, de Mort. persec., c. 24. Le premier rapporte une histoire très ridicule : il prétend que Constantin fit couper les jarrets à tous les chevaux dont il s’était servi. Une exécution si sanglante n’aurait point empêché qu’on ne le poursuivît, et elle aurait certainement donné des soupçons qui auraient pu l’arrêter dans son voyage.

Zozime n’est pas le seul qui fasse ce récit ; Victor le jeune le confirme : Ad fustrandos insequentes, publica jumenta quaquà iter àgeret interficiens (t. I, p. 633). Aurelius-Victor, de Cæsaribus, dit la même chose (t. I, p. 623) (Anon. gentl.) (Note de l’Éditeur).

[13] Anon., p. 710 ; Panebyr. vet., VII, 4. Mais Zozime (II, p. 79), Eusèbe (de Vitâ Constant., I, c. 21) et Lactance (de Mort. persec., c. 24), supposent, avec moins de fondement, qu’il trouva son père au lit de mort.

[14] Victor le jeune, c. 41. C’est peut-être le premier exemple d’un roi barbare qui ait servi dans l’armée romaine avec un corps indépendant de ses propres sujets. Cet usage devint familier, il finit par être fatal.

[15] Eumène, son panégyriste (VII, 8), ose assurer, en présence de Constantin, que ce prince donna des éperons à son cheval, et qu’il essaya, mais en vain, d’échapper à ses soldats.

[16] Lactance, de Mort. persec., c. 25 ; Eumène (VII, 8) décrit toutes ces circonstances en style de rhéteur.

[17] Il est naturel d’imaginer, et Eumène insinue que Constance, en mourant, nomma Constantine pour son successeur. Ce choix paraît confirmé par l’autorité la plus incontestable, le témoignage réuni de Lactance (de Mort. persec., c. 24) et de Libanius (Orat., I), d’Eusèbe (in Vitâ Constant., I, c. 18, 21 ), et de Julien (Orat., I).

[18] Des trois sœurs de Constantin, Constantia épousa l’empereur Licinius, Anastasie, le César Bassianus, et Eutropie, le consul Népotien. Ses trois frères étaient Dalmatius , Jules-Constance et Annibalien, dont nous aurons occasion de parler dans la suite.

[19] Voyez Gruter, Inscript., p. 178. Les six princes sont tous nommés : Dioclétien, et Maximien, comme les plus anciens Augustes et comme pères des empereurs. Ils consacrent conjointement ce magnifique édifice à l’usage de leurs chers Romains. Les architectes ont dessiné les ruines de ces thermes, et les antiquaires, particulièrement Donatus et Nardini, ont déterminé le terrain qu’ils occupaient. Une des grandes salles est maintenant l’église des chartreux ; et même un des logements du portier s’est trouvé assez vaste pour former une autre église qui appartient, aux feuillans.

[20] Voyez Lactance, de Mort. persec., c. 26, 31.

[21] Le sixième panégyrique présenté la conduite de Maximien sous le jour le plus favorable ; et l’expression équivoque d’Aurelius Victor, retrectante diù, peut également signifier qu’il trama la conjuration, ou qu’il s’y opposa. Voyez Zozime, II, p. 79, et Lactance, de Mort. persec., c. 26.

[22] Les circonstances de cette guerre et la mort de Sévère sont rapportées très diversement et d’une manière fort incertaine dans nos anciens fragments (Voyez Tillemont, Hist. des Empereurs, tome IV, part. I, p. 555.) J’ai tâché d’en tirer une narration conséquente et vraisemblable.

[23] Le sixième panégyrique fut prononcé pour célébrer l’élévation de Constantin ; mais le prudent orateur évite de parler de Galère ou de Maxence. Il ne se permet qu’une légère allusion à la majesté de Rome, et aux troubles qui l’agitent.

[24] Voyez au sujet de cette négociation, les fragments d’un historien anonyme, que M. de Valois a publiés à la fin de son édition d’Ammien Marcellin, p. 711. Ces fragments nous ont fourni plusieurs anecdotes curieuses, et, à ce qu’il paraît, authentiques.

[25] Lactance, de Mort. persec., c. 28. La première de ces raisons est probablement prise de Virgile, lorsqu’il fait dire à un de ses bergers :

Illam ego huit nostrœ similem, Melibœe, putavi, etc.

Lactance aime ces illusions poétiques.

[26] Lactance, de Mort. persec., c. 27 ; Zozime, II, p. 82. Celui-ci fait entendre que Constantin, dans son entrevue avec Maximien, avait promis de déclarer la guerre à Galère.

[27] M. de Tillemont (Hist. des Empereurs, tome IV, part. I, p. 559) a prouvé que Licinius, sans passer par le rang intermédiaire de César, fut déclaré Auguste le 11 novembre de l’année 307, après que Galère fut revenu de l’Italie.

[28] Lactance, de Mort. persec., c. 32. Lorsque Galère éleva Licinius à la même dignité que lui, et qu’il le déclara Auguste, il essaya de satisfaire ses jeunes collègues en imaginant pour Constantin et pour Maximin (et non Maxence. Voyez Baluze, p. 81) le nouveau titre de fils des Augustes ; mais Maximin lui apprit qu’il avait déjà été salué Auguste par l’armée ; Galère fut obligé de reconnaître ce prince, aussi bien que Constantin , comme associés égaux à la dignité impériale.

[29] Voyez Panegyr. vet., VI, 9. Tout le passage est dicté par la flatterie la plus adroite, et exprimé avec une éloquence facile et agréable.

[30] Lactance, de Mort. persec., c. 28 ; Zozime, II, 82. On fit courir le bruit que Maxence était le fils de quelque Syrien obscur, et que la femme de Maximien avait substitué à son propre enfant. — Voyez Aurelius-Victor, Anon., Val. et Panegyr. vet., IX, 3, 4.

[31] Eumène, Panegyr. vet., VII, 14.

[32] Lactance, de Mort. persec., c. 29. Cependant lorsque Maxim eut résigné la pourpre, Constantin lui conserva la pompe et les honneurs de la dignité impériale ; et dans toutes les occasions publiques, il donnait la droite à son beau-père. Panegyr., ver., VII, 15.

[33] Zozime, II, p. 82 ; Eumène, Panegyr. vet., VII, 16-21. Le dernier de ces auteurs a, sans contredit, exposé toute l’affaire dans le jour le plus favorable à son souverain. Cependant, d’après même sa narration partiale, on peut conclure que la clémence répétée de Constantin et les trahisons réitérées de Maximien, telles qu’elles ont été rapportées par Lactance (de Mort. persec., 29-30), et copiées par les modernes, sont dépourvues de tout fondement historique.          

Cependant quelques auteurs païens les rapportent et y ajoutent foi. Aurelius-Victor dit, en parlant de Maximien : Cumqué specie officii, dolis compositis, Constantinūm generum tentaret, acerbè, jure tamen interierat. (Aurelius-Victor, de Cœsar., t. I, p. 623). Eutrope dit aussi : Indè ad Gallias profectus est (Maximianus) dolo composito, tanquam a filio esses expulsus, ut Constantino genero jungeretur ; moliens tamen Constantinum, repertâ occasione, ïnterficere, pœnas dedit justissimo exitu. Eutrope, t. I, l. X, p. 661. (Anom. gentl.) (Note de l’Éditeur).

[34] Aurelius-Victor, c. 40. Mais ce lac était dans la Haute-Pannonie, près des confins de la Norique, et la province de Valeria (nom que la femme de Galère donna au pays desséché) était certainement située entre la Drave et le Danube (Sextus-Rufus, c. 9). Je croirais donc que Victor a confondu le lac Pelson avec les marais volocéens, où, comme on les appelle aujourd’hui, le lac Sabaton. Ce lac est au centre de la province de Valeria. Sa longueur est de douze milles de Hongrie, (environ soixante-dix milles anglais), et il peut en avoir deux de large. Voyez Severin.,i Pannonia, I, c. 9.

[35] Lactance, de Mort. persec., c. 33, Eusèbe (VIII, c. 16), décrivent les symptômes et le progrès de sa maladie avec une exactitude singulière et avec un plaisir manifeste.

[36] S’il est encore des hommes qui (semblables au docteur Jortin, Remarques sur l’Hist. ecclés., vol. II, p. 307-356) se plaisent à rapporter la mort merveilleuse des persécuteurs, je les exhorte à lire un passage admirable de Grotius (Hist., VII, 332), concernant la dernière maladie de Philippe II, roi d’Espagne.

[37] Voyez Eusèbe, IX, 6, 10 ; Lactance, de Mort. persec., c. 36. Zozime est moins exact ; il confond évidemment Maximien avec Maximin.

[38] Voyez le huitième Panégyrique, dans lequel Eumène expose, en présence de Constantin, les calamités et la reconnaissance de la ville d’Autun.

[39] Eutrope, X, 3 ; Panegyr. vet., VII, 10-12. Un grand nombre de jeunes Francs furent aussi exposés à cette mort cruelle et ignominieuse.

[40] Julien exclut Maxence du banquet des Césars, et il parle de ce prince avec horreur et avec mépris. Zozime, II, p. 85, l’accuse aussi de toutes sortes de cruautés et de débauches.

[41] Zozime, II, p. 83-85. — Aurelius-Victor.

[42] Le passage d’Aurelius-Victor doit être lu de la manière suivante : Primus instituto pessimo, muneruni specie, patres oratoresque pecuniam conferre prodigenti sibi cogeret.

[43] Panegyr. vet., IX, 3 ; Eusèbe, Hist. ecclés., VIII, 14, et Vie de Constantin, I, 33-34 ; Ruffin, c. 17. Cette vertueuse Romaine, qui se poignarda pour se soustraire à la violence de Maxence, était chrétienne, et femme du préfet de la ville. Elle se nommait Sophronie. Les casuistes n’ont pas encore décidé si dans de pareilles occasions le suicide peut titre justifié.

[44] Prœtorianis cœdem vulgi quondam annaueret ; telle est l’expression vague d’Aurelius-Victor. Voyez une description plus particulière, quoique différente à certains égards, d’un tumulte et d’un massacre qui eurent lieu à Rome, dans Eusèbe, VIII, c. 14, et dans Zozime, II, p. 84.

[45] Voyez dans les Panégyriques (IX, 14), une vive peinture de l’indolence et du vain orgueil de Maxence. L’orateur observe, dans un autre endroit, que le tyran, pour enrichir ses satellites, avait prodigué les trésors que Rome avait accumulés dans un espace de mille soixante ans ; redemptis ad civile latrocinium manibus ingesserat.

[46] Après la victoire de Constantin, on convenait généralement que, quand ce prince n’aurait eu en vue que de délivrer la république d’un tyran abhorré, un pareil motif aurait, en tout temps, justifié son expédition en Italie. Eusèbe, Vie de Constantin, I, c. 26 ; Panegyr. vet., IX, 2.

[47] Zozime, II, p. 85 ; Nazarius, Paneg., X, 7-13.

[48] Voyez Panegyr. vet., IX, 2 : Omnibus ferè tuis comitibus et ducibus non solum tacite mussantibus, sed etiam apertè timentibus, contra concilia hominum, contra haruspicum monita, ipse per temet liberandœ urbis tempus venisse sentires. Zonare (XIII) et Cedrenus (in Compend. Hist., p. 270) sont les seuls qui parlent de cette ambassade des Romains ; mais ces Grecs modernes étaient à portée de consulter plusieurs ouvrages qui depuis ont été perdus, et parmi lesquels nous pouvons compter la Vie de Constantin, par Praxagoras. Photius, p. 63, a fait un extrait assez court de cet ouvrage.

[49] Zozime, II, p. 86, nous donne ces détails curieux sur les forces respectives des deux rivaux : il ne parle point de leurs armées navales. On assure cependant (Panegyr. vet., IX, 25) que la guerre fut portée sur mer aussi bien que sur terre, et que la flotte de Constantin s’empara de la Sardaigne, de la Corse et des ports de l’Italie.

[50] Panegyr. vet., IX, 3. Il n’est pas surprenant que l’orateur diminue le nombre des troupes avec lesquelles son souverain acheva la conquête de l’Italie ; mais il paraît en quelque sorte singulier qu’il ne fasse pas monter l’armée du tyran à plus de cent mille hommes.

[51] Les trois principaux passages des Alpes, entre la Gaule et l’Italie, sont ceux du mont Saint-Bernard, du mont Cenis et du mont Genèvre. La tradition, et une ressemblance de noms (Alpes Penninœ) avaient fait croire qu’Annibal avait pris dans sa marche le premier de ces passages (Voy. Simler, de Alpibus). Le chevalier Folard (Polybe, tome IV) et M. d’Anville conduisent le général carthaginois par le mont Genèvre. Mais, malgré l’autorité d’un officier expérimenté et d’un savant géographe, les prétentions du mont Cenis sont soutenues d’une manière spécieuse, pour ne pas dire convaincante, par M. Grosley, Observations sur l’Italie, tome I, p. 40, etc.

[52] La Brunette, près de Suze, Demont, Exiles, Fenestrelles, Coni, etc.

[53] Voyez Ammien Marcellin, XV, 10. La description qu’il donne des routes percées à travers les Alpes est claire, agréable et exacte.

[54] Zozime, ainsi qu’Eusèbe, nous transporte tout à coup du passage des Alpes au combat décisif qui se donna près de Rome. Il faut avoir recours aux panégyriques pour connaître les actions intermédiaires de Constantin.

[55] Le marquis de Maffei a examiné le siège à la bataille de Vérone avec ce degré d’attention et d’exactitude que méritait de sa part une action mémorable arrivée dans son pays natal ; les fortifications de cette ville, construites par Gallien, étaient moins étendues que ne le sont aujourd’hui les murs, et l’amphithéâtre n’était pas renfermé dans leur enceinte. Voy. Verona illustrata, part. I, p. 142, 150.

[56] Ils manquaient de chaînes pour un si grand nombre de captifs, et tout le conseil se trouvait dans un grand embarras ; mais, l’ingénieux vainqueur imagina l’heureux expédient d’en forger avec les épées des vaincus. Panegyr. vet., IX, 11.

[57] Litteras calamitatum suarum indices supprimebat. Panegyr. vet., IX, 15.

[58] Remedia malorum potiùs quàm mala differebat. Telle est la belle expression dont Tacite se sert pour blâmer l’indolence stupide de Vitellius.

[59] Le marquis de Maffei a rendu extrêmement probable l’opinion que Constantin était encore à Vérone le 1er septembre de l’année 312, et que l’ère mémorable des indictions a commencé lorsque ce prince se fut emparé de la Gaule cisalpine.

[60] Voyez, Panegyr. vet., XI, 16 ; Lactance, de Morte persec., c. 44.

[61] Illo die hostem Romanorum esse periturum. Le prince vaincu devenait immédiatement l’ennemi de Rome.

[62] Voyez Panegyr. vet., IX, 16 ; X, 27. Le premier de ces orateurs parle avec exagération des amas de blé que Maxence avait tirés de l’Afrique et des île ; et cependant, s’il est vrai qu’il y eût une disette, comme le dit Eusèbe (Vie de Constantin, I, c. 36), il faut que les greniers de l’empereur n’aient été ouverts que pour les soldats.

[63] Maxentius… tandem orbe in Saxe-Rubra millia ferme novent œgerrimè progressus. Aurelius-Victor. Voyez Celarius, Géogr. antiq., tome I, p. 463. Saxa-Rubra était situé près du Cremera, petit ruisseau devenu célèbre par la valeur et par la mort glorieuse des trois cents Fabius.

[64] Le poste, que Maxence fit occuper à son armée, dont le Tibre couvrait l’arrière-garde, est décrit avec beaucoup de clarté par les deux panégyristes, IX, 16 – X, 28.

[65] Exceptis latrocinii illius primis auctoribus ; qui desperatâ locum quem pugnœ sumpserant texere corporibus. Panegyr. vet., IX, 17.

[66] Il se répandit bientôt un bruit très ridicule : on disait que Maxence , qui n’avait pris aucune précaution pour sa retraite, avait imaginé un piège fort adroit pour détruire l’armée du vainqueur ; mais que le pont de bois, qui devait s’ouvrir à l’approche de Constantin, s’écroula malheureusement sous le poids des fuyards italiens. M de Tillemont (Hist. des Emp., t. IV, part. I, p. 576) examine très sérieusement si, malgré l’absurdité de cette opinion, le témoignage de Zozime et d’Eusèbe doit l’emporter sur le silence de Lactance, de Nazarius et de l’auteur anonyme, mais contemporain, qui a composé le neuvième panégyrique.

[67] Zozime (II, p. 86-88), et les deux panégyriques, dont le premier fait prononcé peu de mois après, donnent l’idée la plus claire de cette grande bataille. Lactance, Eusèbe, et même les Epitomés, fournissent quelques détails utiles.

[68] Zozime, l’ennemi de Constantin, convient (II, p. 88) qu’un petit nombre seulement des amis de Maxence furent mis à mort ; mais nous pouvons remarquer le passage expressif de Nazarius (Panegyr. vet., X, 6), omnibus qui labefactare statum ejus poterant cura stirpe deletis. L’autre orateur (Panegyr. vet., II, 20-21) se contente d’observer que Constantin, lorsqu’il entra dans Rome, n’imita point les cruels massacres de Cinna, de Marius ou de Sylla.

[69] Voyez les deux Panégyriques, et dans le Code Théodosien les lois des années 312 et 313.

[70] Panegyr. vet., IX, 20. Lactance, de Morte persec., 44. Maximin, qui était incontestablement le plus ancien des Césars, prétendait, avec quelque apparence de raison au premier rang parmi les Augustes.

[71] Adhuc cuncta opera quœ magnifice construxerat, urbis fanum, atque basilicam, Flavii meritis patres sacravêre. Aurelius-Victor. A l’égard de ce ‘vol des trophées de Trajan, voyez Flaminius Vacca, apud Montfaucon, Diarium italicum, p. 250, et l’Antiquité expliquée, tome IV, p. 171.

[72] Pretoriœ legiones ac subsidia factionibus aptiora quàm urbi Romœ, sublata penitus ; simul arma atque usus indumenti militaris. Aurelius-Victor. Zozime (II, p. 89) parle de ce fait en historien ; et il est très pompeusement célébré dans le neuvième panégyrique.

[73] Ex omnibus provinciis optimates viros curiœ tuœ pigneraveris ; ut senatûs dignitas…. ex totius orbis, flore consisteret. Nazarius, Panegyr. vet., X, 35. Le mot pigneraveris pourrait presque paraître avoir été malignement choisi. Au sujet de l’impôt sur les sénateurs, voyez Zozime (II, p. 115), le second titre du sixième livre du Code Théodosien, avec le commentaire de Geoffroy, et les Mémoires de l’Académie des Inscriptions, tome XXVIII, p. 726.

[74] Le Code Théodosien commence maintenant à nous faire connaître les voyages des empereurs ; mais les dates des lieux et des temps ont été souvent altérées par la négligence des copistes.

[75] Zozime (II, p. 89) observe que Constantin avait promis, avant la guerre, sa sœur à Licinius. Selon Victor le jeune, Dioclétien fut invité aux noces ; mais ce prince s’étant excusé sur son âge et sur ses infirmités, reçut une seconde lettre où on lui reprochait sa partialité prétendue pour Maxence et pour Maximin.

[76] Zozime rapporte la défaite et la mort de Maximin comme des événements naturels ; mais Lactance (de Morte persecut., c. 45-50) les attribue à l’interposition miraculeuse du ciel ; et il s’étend beaucoup sur ce sujet. Licinius était alors un des protecteurs de l’Église.

[77] Lactance, de Morte persec., c. 50. Aurelius-Victor remarque, en passant, la différence avec laquelle Licinius et Constantin usèrent de la victoire.

[78] Maximin satisfaisait ses appétits sensuels aux dépens de ses sujets ; ses eunuques, qui enlevaient les femmes et les vierges, examinaient avec une curiosité scrupuleuse leurs charmes les plus secrets, de peur que quelque partie de leur corps ne fût pas trouvée digne des embrassements du prince. La réserve et le dédain étaient regardés comme des crimes de trahison, et le tyran faisant noyer celles qui refusaient de se rendre à ses désirs. Il avait introduit insensiblement cette coutume, que personne ne se mariât sans la permission de l’empereur, ut ipse in omnibus nuptiis prœgustator esset. Lactance, de Morte persec., c. 38.

[79] Lactance, de Morte persec., c. 39.

[80] Enfin Dioclétien envoya cognatum suum, quemdam militarem ac potentem virum, pour intercéder en faveur de sa fille (Lactance, de Morte persec., c. 41). Nous ne connaissons point assez l’histoire de ce temps pour nommer la personne qui fut employée.

[81] Valeria quoque per varias provincias quindecìm mensibus plebeio cultu pervagata. Lactance, de Morte persec., c. 51 On ne sait si les quinze mois doivent être comptés dL moment de son exil ou de celui de son évasion. L’expression de pervàgata semble nous déterminer pour le dernier sens. Mais alors il faudrait supposer que le traité de Lactance a été composé après la première guerre civile entre Licinius et Constantin. Voyez Cuper, p. 254.

[82] Ita illis pudicitia et conditio exitio fuit (Lactance, de Morte persec., 51). Il rapporte les malheurs de la femme et de la fille de Dioclétien, si injustement maltraitées, avec un mélange bien naturel de pitié et de satisfaction.

[83] Le lecteur qui aura la curiosité de consulter le fragment de Valois, p. 713, m’accusera peut-être d’en avoir donné une paraphrase hardie et trop libre ; mais en l’examinant avec attention, il reconnaîtra que mon interprétation est à la fois probable et conséquente.

[84] La position d’Æmone, aujourd’hui Laybach, dans la Carniole (d’Anville, Géogr. anc., tome I, p. 187) peut fournir une conjecture. Comme elle est située au nord-est des Alpes juliennes, une place si importante devint naturellement un objet de dispute entre le souverain de l’Italie et celui de l’Illyrie.

[85] Cibalis ou Cibalæ (dont le nom est encore conservé dans les ruines obscures de Swilei) était à cinquante milles environ de Sirmium, capitale de l’Illyrie, et à cent milles de Taurunum, ou Belgrade, ville située au confluent de la Save et du Danube. On trouvé dans les Mémoires de l’Académie des Belles-Lettres (tome XXVIII) un excellent mémoire de M. d’Anville, où il fait très bien connaître les villes et les garnisons que les Romains avaient sur ces deux fleuves.

[86] Zozime (II, p. 90-91) donne un détail très circonstancié de cette bataille ; mais les descriptions de Zozime sont plutôt d’un rhéteur que d’un militaire.

[87] Zozime, II, p. 92-93 ; l’anonyme de Valois, p. 713. Les Epitomés fournissent quelques faits ; mais ils confondent souvent les deux guerres entre Licinius et Constantin.

[88] Pierre Patrice, Excerp. legat., p. 27. Si l’on pense que γαμβρος signifie plutôt gendre que parent, on peut conjecturer que Constantin, prenant le nom de père et en remplissant les devoirs, avait adopté ses frères et soeurs, enfants de Théodora. Mais, dans les meilleurs écrivains, γαμβρος signifie tantôt un mari, tantôt un beau-père, et quelquefois un parent en général. Voyez Spanheim, Observat. ad Julian. orat., I, p. 72.

[89] Zozime, II, p. 93 ; l’anonyme de Valois, p. 713 ; Eutrope, X, 5 ; Aurelius-Victor ; Eusèbe, in Chron. ; Sozomène, I, c. 2. Quatre de ces écrivains assurent que la promotion des césars fut un des articles du traité. Il est cependant certain que le jeune Constantin et le fils de Licinius n’étaient pas encore nés, et il est très vraisemblable que la promotion se fit le 1er mars de l’année 317. Il avait probablement été stipulé dans le traité que l’empereur d’Occident pourrait créer deux Césars, et l’empereur d’Orient un seulement ; mais chacun d’eux se réservait le choix des personnes.

[90] Cette explication me paraît peu vraisemblable : Godefroy a formé une conjecture plus heureuse, et appuyée sur toutes les circonstances historiques dont cet édit fut environné. Il fut rendu, le 12 mai de l’an 315 à Naissus, lieu de la naissance de Constantin, en Pannonie. Le 8 octobre de cette année, Constantin gagna la bataille de Cibalis contre Licinius. Il était encore dans l’incertitude sur le sort de ses armes : les chrétiens, qu’il favorisait, lui avaient, sans doute prédit la victoire. Lactance, alors précepteur de Crispus, venait d’écrire son ouvrage sur le christianisme (Libros, divinarum institutionum) ; il l’avait dédié à Constantin : il s’y était élevé avec une grande force contre l’infanticide et l’exposition des enfants, (Div. inst., 6, c. 20). N’est-il pas vraisemblable que Constantin avait lu cet ouvrage, qu’il en avait causé avec Lactance, qu’il fut touché, entre autres choses, du passage que je viens d’indiquer, et que, dans le premier mouvement de son enthousiasme, il rendit l’édit dont nous parlons ? Tout porte dans cet édit le caractère de la précipitation, de l’entraînement, plutôt que d’une délibération réfléchie ; l’étendue des promesses, l’indétermination des moyens, celle des conditions du temps pendant lequel les parents auront droit aux secours de l’État. N’y a-t-il pas lieu de croire que l’humanité de Constantin fut excitée par l’influence de Lactance et par celle des principes du christianisme et des chrétiens eux-mêmes, déjà fort en crédit auprès de l’empereur, plutôt que par quelques exemples frappants de désespoir ? Cette supposition est d’autant plus gratuite, que de pareils exemples ne pouvaient être nouveaux, et que Constantin, alors éloigné de l’Italie, ne pouvait que difficilement en être frappé. Voyez Hegewisch, Essai historique sur les finances romaines, p. 378.

L’édit pour l’Afrique ne fut rendu qu’en 322 : c’est de celui-ci qu’on peut dire avec vérité, que le malheur des temps en fut l’occasion. L’Afrique avait beaucoup souffert de la cruauté de Maxence : Constantin dit positivement qu’il a appris que des parents, pressés par la misère, y vendaient leurs enfants. L’ordonnance est plus précise, plus mûrement réfléchie que la précédente ; le secours à donner aux parents et la source où il doit être puisé y sont déterminés (Code Théod., XI, tit. 27, 2.). Si l’utilité directe de ces lois ne put être fort étendue, elles eurent du moins le grand et heureux résultat d’établir une opposition décisive entre les principes du gouvernement et ceux qui avaient régné jusqu’alors parmi les sujets. (Note de l’Editeur).

[91] Code Théodosien, XI, titre 27, tome IV, p. 188, avec les observations de Godefroy. Voyez aussi V, tit. 7-8.

[92] Omnia foris placita, domi prospera, annoncœ ubertate, fructuum copiâ, etc. (Panegyr. vet., X, 38). Ce discours de Nazarius fut prononcé le jour des quinquennales des Césars, le 1er mars de l’année 321.

[93] Voyez l’édit de Constantin adressé au peuple de Rome, dans le Code Théodosien, IX, titre 24, t. III, p. 189.

[94] Son fils assigne de bonne foi la véritable raison qui a fait modifier cette loi : Ne sub specie atrocioris judicii aliqua in ulciscendo crimine dilatio nasceretur. Code Théod., t. III, p, 193.

[95] Eusèbe (Vie de Constantin, III, 1) ne craint pas d’assurer que, sous le règne de son héros, l’épée de la justice resta oisive entre les mains des magistrats. Eusèbe, lui-même (IV, c. 29, 54), et le Code Théodosien nous apprennent que l’on ne fut redevable de cette douceur excessive, ni au manque de crimes atroces, ni au défaut de lois pénales.

[96] Nazarius, Panegyr. vet., X. Quelques médailles représentent la victoire de Crispus sur les Allemands.

[97] Aujourd’hui Bude la vieille, en Hongrie , Kastolatz et Biddin ou Viddin , dans la Mœsie, sur le Danube (Note de l’Éditeur).

[98] Voyez Zozime (II, p. 93-94), quoique la narration de cet historien ne soit ni claire ni conséquente. Le panégyrique d’Optacien (c. 23) parle d’une alliance des Sarmates avec les Carpiens et les Gètes, et il désigne les différents champs de bataille. On suppose que les jeux sarmates, célébrés dans le mois de novembre, tiraient leur origine du succès de cette guerre.

[99] Dans les Césars de Julien (p. 329., comment. de Spanheim, p. 252), Constantin se vante d’avoir réuni à l’empire la province (la Dacie) que Trajan avait subjuguée ; mais Silène donne à entendre que les lauriers de Constantin ressemblaient aux jardins d’Adonis, qui se fanent et se flétrissent presque au moment où ils se montrent.

[100] Jornandès, de Rebus geticis, c. 21. Je ne sais s’il est possible de s’en rapporter entièrement à cet écrivain : une pareille alliance a un air bien moderne ; et ne s’accorde guère avec les maximes adoptées dans le commencement du quatrième siècle.

[101] Eusèbe, Vie de Constantin, X, 18. Au reste, ce passage est pris d’une déclamation générale sur la grandeur de Constantin, et il n’est point tiré d’une histoire particulière de la guerre de ce prince avec les Goths.

[102] Constantinus tamen, vir ingens, et omnia efficere nitens quœ anima prœparasset, simul principatum totius orbis affectans, Licinio bellum intulit. Eutrope, X, 5 ; Zozime, II, p. 89. Les raisons qu’ils ont assignées pour la première guerre civile peuvent s’appliquer avec plus de justesse à la seconde.

[103] Constantin avait beaucoup d’égard aux privilèges et au bien être de ses compagnons vétérans (conveterani), comme il commençait alors à les appeler. Voyez le Code Théodosien, VII, titre 20, tome II, p, 419, 429.

[104] Dans le temps que les Athéniens possédaient l’empire de la mer, leur flotte consistait en trois cents galères à trois rangs de ramés, et dans la suite en quatre cents, toutes ,complètement armées et en état de servir sur-le-champ. L’arsenal du Pirée avait coûté à la république mille talents (environ deux cent seize mille lires sterling). Voy. Thucydide, de Bello Pelopon., II, 13, et Meursius, de Fortunâ attiquâ, 19.

[105] Zozime, II, p. 95-96. Cette grande bataille est décrite dans le fragment de Valois (p. 714) d’une manière claire, quoique concise. Licinius vero circunt Hadrianopolin maximo exercitu latera ardui montis impleverat : illuc toto agmine Constantinus inflexit. Cum bellum terrâ marique traheretur, quamvis per arduum suis nitentibus, attamen disciplinâ militari et felicitate, Constantinus Licinii confusum et sine ordine agentem vicit exercitum ; leviter femore sauciatus.

[106] Zozime, XI, p. 97-98. Le courant sort toujours de l’Hellespont ; et lorsque le vent du nord souffle, aucun vaisseau ne peut tenter le passage : un vent du midi rend la force du courant presque imperceptible. Voyez le Voyage de Tournefort au Levant, lettre XII.

[107] Aurelius-Victor ; Zozime, II, p. 98. Selon ce denier historien, Martinianus était magister officiorum (il se sert en grec de ces deux mots latins) ; quelques médailles semblent indiquer que, pendant le peu de temps qu’il régna, il reçut le titre d’Auguste.

[108] Eusèbe (Vie de Constantine, II, c. 16-17) attribue cette victoire décisive aux ferventes prières de l’empereur. Le fragment de Valois (p. 714) parle d’un corps de Goths auxiliaires, commandés par leur chef Aliquaca, qui combattirent pour le parti de Licinius.

[109] Zozime, II, p. 102 ; Victor le jeune, in. Epitom. ; l’anonyme de Valois, p. 714.

[110] Contra religionem sacramenti Thessalonicœ privatus occisus est. Eutrope, X, 6 ; et son témoignage est confirmé par saint Jérôme (in Chron.) aussi bien que par Zozime, II, p. 102. Il n’y a que l’anonyme de Valois qui parle des soldats, et Zonare est le seul qui ait recours à l’assistance du sénat. Eusèbe glisse prudemment sur ce fait délicat ; mais un siècle après, Sozomène ose soutenir que Licinius fut coupable de trahison.

[111] Voyez le Code Théodosien, XV, tit. 15, tome v, p. 404, 405. Ces édits de Constantin décèlent un degré de passion et de précipitation indigne du caractère d’un législateur.