Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain

 

Chapitre VI

Mort de Sévère. Tyrannie de Caracalla. Usurpation de Macrin. Folies d’Élagabal. Vertus d’Alexandre Sévère. Licence des troupes. État général des finances des Romains.

 

 

LES ROUTES qui mènent à la grandeur sont escarpées et bordées de précipices ; cependant un esprit actif, en parcourant cette carrière dangereuse, trouve sans cesse un nouvel attrait dans la difficulté de l’entreprise et dans le développement de ses propres forces ; mais la possession même, d’un trône ne pourra jamais satisfaire un homme ambitieux ; Sévère sentit bien vivement cette triste vérité. La fortune et le mérite l’avaient tiré d’un état obscur pour l’élever à la première place du monde : J’ai été tout, s’écriait-il, et tout a bien peu de valeur[1]. Agité sans cesse par le soin pénible, non d’acquérir, mais de conserver un empire ; courbé sous le poids de l’âge et des infirmités, peu sensible à la renommée[2], rassasié de pouvoir, il n’apercevait, plus rien autour de lui qui pût fixer ses regards inquiets. Le désir de perpétuer la puissance souveraine dans sa famille devint le dernier vœu de son ambition et de sollicitude paternelle.

Ce prince, comme presque tous les Africains, s’appliquait avec la plus grande ardeur aux vaines études de la divination et de la magie ; il était profondément versé dans l’interprétation des songes et des présages, et connaissait parfaitement l’astrologie judiciaire ; science qui de tout temps, excepté dans notre siècle, a conservé son empire sur l’esprit de l’homme. Sévère avait perdu sa première femme tandis qu’il commandait dans la Gaule lyonnaise[3]. Résolu de se marier, il ne voulut s’unir qu’avec une personne dont la destinée fût heureuse. On lui dit qu’une jeune dame d’Émèse en Syrie était née, sous une constellation qui présageait la royauté : aussitôt il la recherche en mariage, et obtient sa main[4]. Julie Domna, c’est ainsi qu’on la nommait, méritait tout ce que les astres pouvaient lui promettre. Elle conserva jusque dans un âge avancé les charmes de la beauté[5], et elle joignit à une imagination pleine de grâces une fermeté d’âme et une force de jugement, qui sont rarement le partage de son sexe. Ses aimables qualités ne firent jamais une impression bien vive sur le caractère sombré et jaloux de son mari. Sous le règne de son fils, lorsqu’elle dirigea les principales affaires de l’empire, elle montra une prudence qui affermit l’autorité de ce jeune prince, et une modération qui en corrigea quelquefois les folles extravagances[6]. Julie cultiva les lettres et la philosophie avec quelque succès et avec une grande réputation. Elle protégea les arts et fut l’amie de tout homme de génie[7].  Son mérite a été célébré par des écrivains qui représentent cette princesse comme un modèle accompli. La reconnaissance les a sans doute aveuglés. En effet, si nous devons ajouter foi à la médisance de l’histoire ancienne, la chasteté n’était pas la vertu favorite de l’impératrice Julie[8].

Deux fils, Caracalla[9] et Geta, étaient le fruit, de ce mariage, et devaient un jour gouverner l’univers. Les idées magnifiques que Sévère et ses sujets s’étaient formées, en voyant s’élever ces appuis du trône, furent bientôt détruites. Les enfants de l’empereur passèrent leur jeunesse dans l’indolence, si ordinaire aux princes destinés à porter la couronne, et qui présument que la fortune leur tiendra lieu de mérite et d’application. Sans aucune émulation de talents ou de mutuelle vertu, ils conçurent l’un pour l’autre, dès leur enfance, une haine implacable. Leur aversion éclata presque dans le berceau ; elle, s’accrut avec l’âge, et, fomentée par des favoris intéressés à la perpétuer, elle donna naissance à des querelles plus sérieuses ; enfin elle divisa le théâtre, le cirque et la cour en deux factions sans cesse agitées par les espérances et par les craintes de leurs chefs respectifs. L’empereur mit en œuvre tout ce que lui suggéra sa prudence, pour étouffer cette animosité dans son origine.  Il employa tour à tour les conseils et l’autorité : la malheureuse antipathie de ses enfants obscurcissait l’avenir brillant qui s’était offert à ses yeux, et lui faisait craindre la chute d’un trône élevé à travers mille dangers, cimenté par des flots de sang, et soutenu par tout ce que pouvait donner de sécurité la force militaire, accompagnée d’immenses trésors. Dans la vue de tenir entré eux la balance toujours égale, il donna aux deux frères le titre d’Auguste, et le nom sacré d’Antonin. Rome fut gouvernée, pour la première fois, par trois empereurs[10]. Cette distribution égale de faveurs ne servit qu’à exciter le feu de le discorde : tandis que le superbe Caracalla se vantait d’être le fils aîné du souverain, Geta, plus modéré, cherchait à se concilier l’amour des soldats et du peuple. Sévère, dans la douleur d’un père affligé, prédit que le plus faible de ses enfants tomberait un jour sous les coups du plus fort, qui serait à son tour victime de ses propres vices[11].

Dans ces circonstances malheureuses, ce prince reçut avec plaisir la nouvelle d’une guerre en Bretagne [208], et d’une invasion des habitants du nord de cette province. La vigilance de ses lieutenants eût suffi pour repousser l’ennemi ; mais il crut devoir saisir un prétexte si honorable pour arracher ses fils au luxe de Rome, qui énervait leur âme et qui irritait leurs passions, et pour endurcir ces jeunes princes, aux travaux de la guerre et de l’administration. Malgré son âge avancé (car il avait alors plus de soixante ans), et malgré sa goutte, qui l’obligeait de se faire porté en litière, il se rendit en personne dans cette île éloignée accompagné de ses  deux fils, de toute sa cour et d’une armée formidable. Immédiatement après, son arrivée, il passa les murailles d’Adrien et d’Antonin et entra dans le pays ennemi, avec le projet de terminer la conquête, si souvent entreprise de la Bretagne. Il pénétra jusqu’à l’extrémité septentrionale de l’île sans rencontrer aucune armée ; mais les embuscades des Calédoniens, qui, invisibles ennemis sans cesse postés autour de l’armée romaine, tombaient tout à coup, sur les flancs et sur l’arrière-garde, le froid rigoureux du climat et les fatigues d’une marche pénible à travers les montagnes et les lacs glacés de l’Écosse, coûtèrent, dit-on, à l’empire, plus de cinquante mille hommes. Enfin, les Calédoniens, épuisés par des attaques vives et réitérées, demandèrent la paix, remirent au vainqueur une partie de leurs armes, et lui cédèrent une étendue très considérable de leur territoire. Mais leur soumission n’était qu’apparente ; elle cessa avec la terreur que leur inspirait la présence de l’ennemi. Dès  que les Romains se furent retirés, les Barbares secouèrent le joug et recommencèrent les hostilités. Leur esprit indomptable enflamma le courroux de Sévère. Ce prince résolut d’envoyer une autre armée dans la Calédonie avec l’ordre barbare de marcher contre les habitants, non pour les soumettre, mais pour les exterminer. La mort vint le surprendre tandis qu’il méditait cette cruelle exécution[12].

Cette guerre calédonienne, peu fertile en événements remarquables, et dont les suites n’ont point été importantes, semblerait ne pas devoir mériter notre attention ; mais on suppose, avec beaucoup de vraisemblance que l’invasion de Sévère tient à l’époque la plus brillante de l’histoire ou de la fable des anciens Bretons. Un auteur moderne vient de faire revivre dans notre langue les exploits et la gloire des poètes et des héros qui vivaient dans ces temps reculés. Fingal, dit-on, commandait alors les Calédoniens ; il osa braver la puissance formidable de Sévère, et il remporta sur les rives du Carun une victoire signalée, dans laquelle le fils du roi du monde, Caracul, prit la fuite avec précipitation à travers les champs de son orgueil[13].

Ces traditions écossaises sont toujours couvertes de quelques nuages que, jusqu’à présent, les recherches les plus ingénieuses des critiques[14] n’ont pu dissiper entièrement. Mais si nous pouvions nous permettre, avec quelque certitude, cette séduisante supposition que Fingal vivait et qu’Ossian chantait alors le contraste frappant des mœurs et de la situation pourrait intéresser un esprit philosophique. Si l’on compare la vengeance implacable de Sévère avec la noblesse, la générosité de Fingal, le caractère lâche et féroce de Caracalla avec la bravoure, le génie brillant, la douce sensibilité d’Ossian ; si l’on oppose a des chefs mercenaires que la crainte ou l’intérêt force à suivre les étendards de l’empire, des guerriers indépendants, qui volent aux armes à la voix du roi de Morven, en un mot, si l’on contemple d’un côté la liberté, les vertus éclatantes, simples et naturelles des Calédoniens ; de l’autre l’esclavage, la corruption et les crimes flétrissant des Romains dégénérés, le parallèle ne sera pas à l’avantage de la nation la pus civilisée.

La santé languissante et la dernière maladie de l’empereur enflammèrent l’ambition sauvage de Caracalla. Dévoré du désir de régner, déjà le fils de Sévère souffrait impatiemment que l’empire, se trouvât partagé ; il médita le noir projet d’abréger les jours d’un père expirant, et même il essaya, d’exciter, une rébellion parmi les troupes[15]. Ses intrigues furent inutiles. Le vieil empereur avait souvent blâmé l’indulgence aveugle de Marc-Aurèle, qui pouvait, par un seul acte de justice, sauver les Romains de la tyrannie de son indigne fils. Placé dans les mêmes circonstances, ce prince sentit avec quelle facilité la tendresse d’un père étouffe dans le cœur des souverains la sévérité d’un juge. Il délibérait, il menaçait, mais il  ne pouvait punir ; son âme s’ouvrit alors, pour la première fois, à la pitié, et cet unique et dernier mouvement de sensibilité fut plus fatal à l’empire que la longue série de ses cruautés[16].

L’agitation de son âme irritait les douleurs de sa maladie : il souhaitait ardemment la mort ; soin impatience le fit descendre plus promptement au tombeau : il rendit les derniers soupirs à York [le 4 février 211], dans la soixante-sixième année de sa vie, et dans la dix-huitième d’un règne brillant et heureux. Avant d’expirer, il recommanda la concorde à ses fils et à l’armée. Les dernières instructions de Sévère ne parvinrent pas jusqu’au cœur des jeunes princes ; ils n’y firent pas même la plus légère attention ; mais les troupes, fidèles à leur serment, obéirent à l’autorité d’un maître dont elles respectaient encore la cendre ; elles résistèrent aux sollicitations de Caracalla, et proclamèrent les deux frères empereurs de Rome. Les nouveaux souverains laissèrent les Calédoniens en paix, retournèrent dans la capitale, où ils rendirent à leur père les honneurs divins, et furent reconnus solennellement souverains légitimes par le sénat, par le peuple et par les provinces. Il paraît que l’on accorda, pour le rang, quelque prééminence au frère aîné ; mais ils gouvernèrent tous les deux l’empire avec un pouvoir égal et indépendant[17].

Une pareille administration aurait allumé la discorde entre les deux frères le plus tendrement unis. Il était impossible que cette forme de gouvernement subsistât longtemps entre deux ennemis implacables, qui, remplis d’une méfiance réciproque, ne pouvaient désirer une réconciliation. On prévoyait que l’un des deux seulement pouvait régner, et que l’autre devait périr. Chacun, en particulier jugeant par ses propres sentiments des desseins de son rival, usait de la plus exacte vigilance pour mettre sa vie à l’abri des attaqués du poison ou de l’épée. Ils parcoururent rapidement la Gaule et l’Italie ; et, pendant tout ce voyage, jamais ils ne mangèrent à la même table ; ni ne dormirent sous le même toit, donnant ainsi, dans les provinces qu’ils traversaient, le spectacle odieux de l’inimitié fraternelle. A leur arrivée à Rome, ils se partagèrent aussitôt la vaste étendue du palais impérial[18]. Toute communication fut fermée entre leurs appartements : on avait fortifié avec soin les portes et les passages, et les sentinelles qui les gardaient se relevaient avec la même précaution que dans une ville assiégée. Les empereurs ne se voyaient  qu’en public, en présence d’une mère affligée, entourés chacun d’une troupe nombreuse et toujours armée ; et même, dans les grandes cérémonies, la dissimulation, si ordinaire dans les cours, cachait à peine l’animosité des deux frères[19].

Déjà cette guerre intestine déchirait l’État, lorsqu’on proposa tout à coup un plan qui semblait également avantageux aux deux princes. On leur représenta que, puisqu’il leur était impossible de se réconcilier ils devaient séparer leurs intérêts et. se partager l’empire. Les conditions du traité furent soigneusement dressées ; on convint que Caracalla, comme l’aîné, resterait en possession de l’Europe et de l’Afrique occidentale, et qu’il abandonnerait à son frère la souveraineté de l’Asie et de l’Égypte. Geta pouvait fixer sa résidence dans la ville d’Alexandrie ou dans celle d’Antioche, qui le cédaient à peine à Rome pour la grandeur et pour l’opulence. De nombreuses armées, campées des deux côtés du Bosphore de Thrace, auraient gardé les frontières des monarchies rivales ; enfin les sénateurs d’origine européenne devaient reconnaître le souverain de Rome, tandis que ceux qui étaient nés en Asie auraient suivi l’empereur d’Orient. Les pleurs de l’impératrice rompirent cette négociation dont l’idée seule avait rempli tous les cœurs romains d’indignation et de surprise. La masse puissante d’une monarchie composée de tant de nations était tellement cimentée par la main du temps et de la politique, qu’il fallait une force prodigieuse pour la séparer en deux parties : les Romains avaient raison de craindre qu’une guerre civile n’en rejoignit bientôt, sous un même maître, les membres déchirés ; ou bien si l’empire restait divisé, tout présageait la chute d’un édifice dont l’union avait été jusqu’alors la basé la plus ferme et la plus solide[20].

Si le traité projeté entre les deux princes eût été conclu, le souverain de l’Europe se serait bientôt emparé de l’Asie : mais Caracalla remporta, avec l’arme du crime, une victoire plus facile. Il parut se rendre aux supplications de sa mère, et consentit à une entrevue avec son frère dans l’appartement de l’impératrice Julie. Tandis que les empereurs s’entretenaient de réconciliation et de paix, quelques centurions, qui  avaient trouvé moyen de se cacher dans l’appartement, fondirent, l’épée à la main, sur l’infortuné Geta [27 février 212]. Sa mère éperdue s’efforce, en l’entourant de ses bras de le soustraire au danger ; mais tous ses efforts sont inutiles ; blessée elle-même à la main, elle est couverte du sang de Geta, et elle aperçoit le frère impitoyable de ce malheureux prince, animant les meurtriers et leur montrant lui-même l’exemple[21]. Dès que ce forfait eut été commis, Caracalla, l’horreur peinte dans toute sa contenance, courut avec précipitation se réfugier dans le camp des prétoriens, comme dans son unique asile ; il se prosterna aux pieds des statués des dieux tutélaires[22]. Les soldats entreprirent de le relever et de le consoler. Il leur apprit en quelques mots pleins de trouble et souvent interrompus, qu’il avait eu le bonheur d’échapper à un danger imminent ; et, après leur avoir insinué qu’il avait prévenu les desseins cruels de son ennemi, il leur déclare qu’il était résolu de vivre et de mourir avec ses fidèles prétoriens. Geta avait été le favori des troupes ; mais leur regret devenait inutile, et la vengeance dangereuse, d’ailleurs, elles respectaient toujours le fils de Sévère. Le mécontentement se dissipa en vains murmures ; et Caracalla sut bientôt les convaincre de la justice de sa cause, en leur distribuant les immenses trésors de son père[23]. Les dispositions des soldats importaient seules à la puissance et à la sûreté du prince. Leur déclaration en sa faveur entraînait l’obéissance et la fidélité du sénat : cette assemblée docile était toujours prête à ratifier la décision de la fortune. Mais comme Caracalla voulait apaiser les premiers mouvements de l’indignation publique, il respecta la mémoire de son frère, et lui fit rendre les mêmes honneurs que l’on décernait aux empereurs romains[24]. La postérité, en déplorant le sort de Geta, a fermé les yeux sur ses vices. Nous ne voyons dans ce jeune prince qu’une victime innocente, sacrifiée à l’ambition de son frère, sans faire attention qu’il manquait plutôt de pouvoir que de volonté pour se porter aux mêmes excès[25].

Le crime de Caracalla ne demeura pas impuni. Ni les occupations, ni les plaisirs, ni la flatterie, ne purent le soustraire aux remords déchirants d’une conscience coupable ; et, dans l’horreur des tourments qui déchiraient son âme, il avouait que souvent le front sévère de son père et l’ombre sanglante de Geta se présentaient à son imagination troublée. Il croyait les voir sortir tout à coup de leurs tombeaux ; il croyait entendre leurs reproches et les menaces effrayantes dont ils l’accablaient[26]. Ces images terribles auraient dû l’engager à tâcher de convaincre le monde par les vertus de son règne, qu’une nécessité fatale l’avait seule précipité dans un crime involontaire ; mais le repentir de Caracalla ne fit que le porter à exterminer tout ce qui pouvait lui rappeler son crime et le souvenir de son frère assassiné. A son retour du sénat, il trouva, dans le palais sa mère entourée de plusieurs matrones respectables par leur naissance et par leur dignité, qui toutes déploraient le destin d’un prince moissonné à la fleur de son âge. L’empereur furieux les menaça de leur faire subir le même sort. Eadilla, la dernière des filles de Marc-Aurèle mourut en effet par l’ordre du tyran ; et l’infortunée Julie fut obligée d’arrêter le cours de ses pleurs, d’étouffer ses soupirs, et de recevoir le meurtrier avec des marques de joie et d’approbation. On prétend que vingt mille personnes de l’un et de l’autre sexe souffrirent la mort, sous le prétexte vague qu’elles avaient été amies de Geta. L’arrêt fatal fut prononcé contre les gardes et les affranchis du prince, contre les ministres qu’il avait chargés du gouvernement de son empire, et contre les compagnons de ses plaisirs. Ceux qu’il avait revêtus de quelque emploi dans les armées et dans les provinces furent compris dans la proscription, dans laquelle on s’efforça d’envelopper tous ceux qui pouvaient avoir eu la moindre liaison avec Geta, qui pleuraient sa mort, ou même, qui prononçaient son nom[27]. Un bon mot déplacé coûta la vie à Helvius Pertinax, fils du prince de ce nom[28]. Le seul crime de Thrasea Priscus fut d’être descendu d’une famille illustre, dans laquelle l’amour de la liberté semblait  héréditaire[29]. Les moyens particuliers de la calomnie et du soupçon s’épuisèrent à la fin. Lorsqu’un sénateur était accusé d’être l’ennemi secret du gouvernement, l’empereur se contentait de savoir, en général, qu’il possédait quelques biens, et qu’il s’était rendu recommandable par sa vertu. Ce principe une fois établi, Caracalla en tira souvent les conséquences les plus cruelles.

L’exécution de tant de victimes innocentes avait porté la douleur dans le sein de leurs familles et de leurs amis, qui répandaient des larmes en secret. La mort de Papinien, préfet du prétoire, fût pleurée comme une calamité publique. Durant les sept dernières années du règne de Sévère, ce célèbre jurisconsulte avait occupé le premier poste de l’État, et avait guidé par ses sages conseils, les pas de l’empereur dans les sentiers de la justice et de la modération. Sévère, qui connaissait si bien ses talents et sa vertu, l’avait conjuré à son lit de mort de veiller à la prospérité de l’empire, et d’entretenir l’union entre ses fils[30]. Les efforts généreux de Papinien ne servirent qu’à enflammer la haine violente que Caracalla avait déjà conçue contre le ministre de son père. Après le meurtre de Geta, le préfet reçut ordre d’employer toute la force de son éloquence pour prononcer, dans un discours étudié, l’apologie de ce forfait. Le philosophe Sénèque, dans une circonstance semblable, n’avait point rougi de vendre sa plume au fils et à l’assassin d’Agrippine[31], et d’écrire au sénat en son nom. Papinien refusa d’obéir au tyran : Il est plus aisé de commettre un parricide que de le justifier. Telle fut la noble réponse de cet illustre personnage, qui n’hésita pas entre la perte de la vie et celle de l’honneur[32]. Une vertu si intrépide, qui s’est soutenue pure et sans tache au milieu des intrigues de la cour, des affaires les plus sérieuses, et du dédale des lois, jette un éclat bien plus vif sur les cendres de Papinien que toutes ses grandes dignités, que ses nombreux écrits[33], et que la réputation immortelle dont il a joui dans tous les siècles comme jurisconsulte[34].

Jusqu’à ce moment, sous les règnes même les plus désastreux, les Romains avaient trouvé une sorte de bonheur et de consolation dans le caractère de leurs différents princes, indolents dans le vice, actifs quand ils étaient animés par la vertu. Auguste, Trajan, Adrien et Marc-Aurèle, visitaient en personne la vaste étendue de leurs domaines : partout la sagesse et  la bienfaisance marchaient à leur suite. Tibère, Néron et Domitien, qui firent presque toujours leur résidence à Rome ou dans les campagnes aux environs de cette ville, n’exercèrent leur tyrannie, que contre le sénat et l’ordre équestre[35]. Caracalla déclara la guerre à l’univers entier [213]. Une année environ après la mort de Geta, il quitta Rome, et, jamais il n’y retourna dans la suite. Il passa le reste de son règne dans les différentes provinces de l’empire, principalement en Orient. Chaque contrée devint tour à tour le théâtre de ses rapines et de ses cruautés. Les sénateurs, que la crainte engageait à suivre sa marche capricieuse, étaient obligés de dépenser des sommes immenses pour lui procurer tous les jours de nouveaux divertissements, qu’il abandonnait avec mépris à ses gardes. Ils élevaient dans chaque ville des théâtres et des palais magnifiques, que l’empereur ne daignait pas visiter, ou qu’il faisait aussitôt démolir. Les sujets les plus opulents furent ruinés par des confiscations et par des amendes, tandis que le corps entier de la nation gémissait sous le poids des impôts[36]. Au milieu de la paix, l’empereur, pour une offense très légère condamna généralement à la mort tous les habitants de la ville d’Alexandrie en Égypte. Posté dans un lieu sûr du temple de Sérapis, il ordonnait  et contemplait avec un plaisir barbare le massacre de plusieurs milliers d’hommes, citoyens et étrangers, sans avoir aucun égard au nombre de ces infortunés, ni à la nature de leur faute, car, ainsi qu’il l’écrivit froidement au sénat, de tous les habitants de cette grande ville, ceux qui avaient péri, et ceux qui s’étaient échappés méritaient également la mort[37].

Les sages instructions de Sévère ne firent jamais aucune impression durable sur l’âme de son fils : avec de l’imagination et de l’éloquence, Caracalla manquait de jugement ; ce prince n’avait aucun sentiment d’humanité[38] ; il répétait sans cesse qu’un souverain devait s’assurer l’affection de ses soldats, et compter pour rien le reste de ses sujets[39]. Dans tout le cours de son règne, il suivit constamment cette maxime dangereuse et bien digne d’un tyran.

La prudence avait mis des bornes à la libéralité du père, et une autorité ferme modéra toujours son indulgence pour les troupes ; le fils ne connut d’autre politique que celle de prodiguer des trésors immenses : son aveugle profusion entraîna la perte de l’armée et de l’empire. Les guerriers, élevés jusqu’alors dans la discipline des camps, perdirent leur vigueur dans le luxe des villes. L’augmentation excessive de la paye et des gratifications[40] épuisa la classe des citoyens pour enrichir l’ordre militaire. On ignorait qu’une pauvreté honorable est le seul moyen qui puisse rendre les soldats modestes dans la paix, et capables de défendre l’État, en temps de guerre. Caracalla, fier et superbe au milieu de sa cour, oubliait avec ses troupes la dignité de son rang ; il encourageait leur insolente familiarité, et, négligeant les devoirs essentiels d’un général, il affectait l’habillement et les manières d’un simple soldat.

Le caractère et la conduite de Caracalla ne pouvaient lui concilier ni l’amour ni l’estime de ses sujets ; mais tant que ses vices furent utiles à l’armée, il n’eût point à redouter les dangers d’une rébellion. Une conspiration secrète, allumée par ses propres soupçons, lui devint fatale. Deux ministres partageaient lors la préfecture du prétoire : Adventus, ancien soldat plutôt qu’habile officier, avait le département militaire ; l’administration civile était entre les mains d’Opilius Macrin qui devait cette place importante à sa réputation et à son habileté pour les affaires. La faveur dont il jouissait variait selon le caprice du tyran, et sa vie dépendait du plus léger soupçon ou de la moindre circonstance. La méchanceté ou le fanatisme inspira tout à coup un Africain qui passait pour être profondément versé dans la connaissance de l’avenir : cet homme annonça que Macrin et son fils règneraient un jour sur l’empire romain. Le bruit s’en répandit aussitôt dans les provinces, et lorsque le prophète eut été envoyé chargé de chaînes dans la capitale, il soutint en présence du préfet de la ville, la vérité de sa prédiction. Ce magistrat, qui avait reçu des ordres précis de rechercher les successeurs de Caracalla, s’empressa de communiquer cette découverte à la cour de l’empereur, qui résidait alors en Syrie ; mais, malgré toute la diligence des courriers publics, un ami de Macrin trouva le moyen de l’avertir du danger qu’il courait. Le prince conduisait un chariot de course lorsqu’il reçu des lettres de Rome : il les donna sans les ouvrir à son préfet du prétoire, en lui recommandant d’expédier les affaires ordinaires, et de lui faire ensuite le rapport des plus importantes. Macrin apprit ainsi le sort dont il était menacé : résolu de détourner l’orage, il enflamma le mécontentement de quelques officiers subalternes, et se servit de la main de Martial, soldat déterminé, qui n’avait pu obtenir le grade de centurion. L’empereur était parti d’Édesse pour se rendre en pèlerinage à Charres[41], dans un fameux temple de la Lune. Il avait a sa suite un corps de cavalerie ; mais ayant été obligé de s’arrêter un moment sur la route, comme les gardes se tenaient par respect à quelque distance de sa personne, Martial s’approcha de lui, sous prétexte de lui rendre quelque service, et le poignarda [8 mars 217]. L’assassin fut tué à l’instant par un archer scythe de la garde impériale. Telle fût la fin d’un monstre dont la vie déshonorait la nature humaine, et dont le règne accuse la patience des Romains[42]. Les soldats reconnaissants oublièrent ses vices, ne pensèrent qu’à sa libéralité, et forcèrent les sénateurs à prostituer la majesté de leur corps et celle de la religion, en le mettant au rang des dieux. Tant que cet être divin avait vécu parmi les hommes, Alexandre le Grand avait été le seul héros qu’il jugeât digne de son admiration. Caracalla prenait le nom et l’habillement du vainqueur de l’Asie, avait formé pour sa garde une phalange macédonienne, recherchait les disciples d’Aristote, et déployait, avec un enthousiasme puéril, le seul sentiment qui marquât quelque estime pour la gloire et pour la vertu. Charles XII, après la bataille de Narva et la conquête de la Pologne, pouvait se vanter d’avoir égalé la bravoure et la magnanimité du fils de Philippe, quoiqu’il n’eût aucune de ses qualités aimables ; mais l’assassin de Geta dans toutes les actions de sa vie, n’a pas la moindre ressemblance avec le héros de Macédoine ; et s’il peut lui être comparé, ce n’est que pour avoir versé le sang d’un grand nombre de ses amis et de ceux de son père[43].

Après la chute de Caracalla, l’on n’eut point recours à l’autorité d’un sénat faible et éloigné ; les troupes seules donnèrent un maître à l’univers. Le choix de l’armée fut d’abord suspendu ; et comme il ne se présentait aucun candidat dont  le mérite distingué et la naissance illustre pussent fixer les regards et réunir tous les suffrages, l’empire resta sans chef pendant trois jours. L’influence marquée des gardes prétoriennes, enfla les espérances de leurs commandants : ces ministres redoutables commencèrent à faire valoir leurs droits légitimes sur le trône vacant. Cependant Adventus, le plus ancien des deux préfets, ne fut point ébloui par l’éclat d’une couronne : son âge, ses infirmités, une réputation peu éclatante, des talents plus médiocres encore, l’engagèrent à céder cet honneur dangereux à un collègue adroit et entreprenant. Quoique les troupes, trompées par la douleur affectée de Macrin, ignorassent la part qu’il avait à la mort de son maître[44], elles n’aimaient ni n’estimaient son caractère : elles jetèrent les yeux de tous côtés pour découvrir un autre concurrent, et se déterminèrent enfin avec peine en faveur de leur préfet, séduites par des promesses d’une libéralité excessive et d’une indulgence sans bornes. Peu de temps, après son avènement, Macrin donna le titre impérial à son fils Diadumenianus [11 mars 217], âgé seulement de dix ans, et le fit appeler Antonin, nom si cher au peuple. On espérait que la figure agréable du jeune prince, et les gratifications extraordinaires dont la cérémonie de son couronnement avait été le prétexte, pourraient gagner la faveur de l’armée, et assurer le trône chancelant du nouvel empereur.

Le sénat et les provinces avaient applaudi au choix des troupes, et s’étaient empressés de le ratifier. Il ne s’agissait pas de peser les vertus du successeur de Caracalla : la chute imprévue d’un tyran abhorré excitait partout des transports de joie et de surprise. Lorsque ces premiers mouvements, furent apaisés, on commença à examiner sévèrement les titres de chacun et à critiquer le choix précipité de l’armée. Jusqu’alors l’empereur avait été tiré de l’assemblée la plus auguste de la nation. Il semblait que la puissance souveraine, qui n’était plus exercée par le corps entier du sénat, devait toujours être déléguée à l’un de ses membres. Cette maxime, soutenue par une pratique constante, paraissait être un des principes fondamentaux de la constitution. Macrin n’était pas sénateur[45]. L’élévation soudaine des préfets du prétoire rappelait encore l’état obscur d’où ils étaient sortis ; et les chevaliers avaient toujours eut en possession de cette place importante, qui leur donnait une autorité arbitraire sur la vie et sur la fortune des plus illustres patriciens. On ne pouvait voir sans indignation revêtu de la pourpre un homme sans naissance[46], qui ne s’était même rendu célèbre par aucun service signalé, tandis que l’empire renfermait dans son sein une foule de sénateurs illustres, descendus d’une longue suite d’aïeux, et dont la dignité personnelle pouvait relever l’éclat du rang impérial. Dès que le caractère de Macrin eut été exposé aux regards avides d’une multitude irritée, il fut aisé d’y découvrir quelques vices et un grand nombre de défauts. Le choix de ses ministres lui attira souvent de justes reproches ; et le peuple, avec sa sincérité ordinaire, se plaignait à la fois de la douce indolence et de la sévérité excessive de son souverain[47].

L’ambition avait porté Macrin à un posté élevé, où il était bien difficile de se tenir ferme, et duquel on ne pouvait tomber, sans trouver aussitôt une mort certaine. Nourri dans l’intrigue des cours, et entièrement livré aux affaires dans les premières années de sa vie, ce prince tremblait en présence de la multitude fière et indisciplinée qu’il avait entrepris de commander. Il n’avait aucun talent pour la guerre ; on doutait même de son courage personnel. Son fatal secret fut découvert : on se disait dans le camp que Macrin avait conspiré contre son prédécesseur. La bassesse de l’hypocrisie ajoutait à l’atrocité du crime, et la haine vint mettre le comble au mépris. Il ne fallait, pour soulever les troupes et pour exciter leur fureur, qu’entreprendre de rétablir l’ancienne discipline La fortune avait placé l’empereur sur le trône dans des temps si orageux, qu’il se trouva forcé d’exercer l’office odieux et pénible de réformateur. La prodigalité de Caracalla fut la source, de tous les maux qui désolèrent l’État après sa mort. S’il eût été capable de réfléchir sur les suites naturelles de sa conduite, la triste perspective des calamités qu’il léguait à ses successeurs, aurait peut-être eu de nouveaux charmes pour cet indigne tyran.

Macrin usa d’abord de la plus grande circonspection dans une réforme devenue, indispensable : ses mesures paraissaient devoir fermer aisément les plaies de l’État, et rendre, d’une manière imperceptible, aux armées romaines leur première vigueur. Contraint de laisser aux anciens soldats les privilèges dangereux et la paye extravagante que leur avait donnés Caracalla, il obligea les recrues à se soumettre aux établissements plus modérés de Sévère, et il les accoutuma par degrés à la modération et à l’obéissance[48]. Une faute irréparable détruisit les effets salutaires de ce plan judicieux. Au lieu de disperser immédiatement dans différentes provinces lai nombreuse armée que le dernier empereur avait assemblée en Orient, Macrin la laissa en Syrie pendant l’hiver qui suivit son avènement. Au milieu des plaisirs d’un camp où régnaient le luxe et l’oisiveté, les troupes s’aperçurent de leur nombre et de leur force redoutable, se communiquèrent leurs sujets de plaintes, et calculèrent dans leur esprit les avantages d’une nouvelle révolution. Les vétérans, loin d’être flattés d’une distinction avantageuse, croyaient voir dans les premières démarches de l’empereur le commencement de ses projets de réforme. Les nouveaux soldats entraient avec une sombre répugnance dans un service devenu plus pénible, et dont les récompenses avaient été diminuées par un souverain avare et sans courage pour la guerre : des clameurs séditieuses succédèrent à des murmures impunis ; et les soulèvements particuliers, indices certains du mécontentement des troupes, annonçaient une rébellion générale. L’occasion s’en présenta bientôt à des esprits ainsi disposés.

L’impératrice Julie avait éprouvé toutes les vicissitudes de là fortune : tirée d’un état obscur, elle était parvenue à la grandeur que pour sentir toute l’amertume d’un rang élevé. Elle fut condamnée à pleurer la mort de l’un de ses fils, et à gémir sur la vie de l’autre. Le sort cruel de Caracalla, quoiqu’elle eût dû le prévoir depuis longtemps, réveilla la sensibilité d’une mère et d’une impératrice. Malgré les égards respectueux de l’usurpateur pou la veuve de Sévère, il était bien dur à une souveraine d’être réduite à l’a condition de sujette. Bientôt Julie mit fin, par une mort volontaire[49], à ses chagrins et à son humiliation[50]. Julie Mœsa, sa sœur, reçût ordre de quitter Antioche et la cour : elle se retira dans la ville d’Émèse avec une fortune immense, fruit de vingt ans de faveur. Cette princesse y vécut avec ses deux filles, Soœmias et Mammée, toutes les deux veuves, et qui n’avaient chacune qu’un fils.

Bassianus[51], fils de Soœmias, exerçait les fonctions augustes de grand-prêtre du Soleil. Cet état, que la prudence où la superstition avait fait embrasser au jeune Syrien, lui, fraya le chemin au trône.

Un corps nombreux de troupes campait alors près des murs d’Émèse. Les soldats, forcés de passer l’hiver sous leurs tentes supportaient avec peine le poids de ces nouvelles fatigues, traitaient de cruauté la discipline sévère de Macrin, et brûlaient du désir de se venger. Ceux d’entre eux qui se rendaient en foule dans le temple du Soleil, contemplaient avec une satisfaction mêlée de respect les grâces et la figure charmante du jeune pontife : ils crurent même reconnaître, en le voyant, les traits de Caracalla, dont alors ils adoraient la mémoire. L’artificieuse Mœsa s’aperçut de leur affection naissante, et sut en profiter. Ne rougissant pas de sacrifier la réputation de sa fille à la fortune de son petit-fils, elle fit courir le bruit que Bassianus avait pour père le dernier empereur. Des sommes excessives, distribuées par ses émissaires, détruisirent toute objection ; et la prodigalité prouva suffisamment l’affinité, ou du moins la ressemblance de Bassianus avec Caracalla. Le jeune Antonin (car il pris et souilla ce nom respectable), déclaré empereur par les soldats d’Émèse [16 mai 218], résolut de faire valoir les droits de sa naissance, et invita hautement les troupes à généreux qui avait pris les armes pour venger la mort de son père, et délivrer les troupes de l’oppression[52].

Tandis que des femmes et des eunuques conduisaient avec vigueur une entreprise concertée avec tant de prudence, Macrin flottait entre la crainte et une fausse sécurité. Il pouvait, par un mouvement décisif, étouffer la conspiration dans son enfance : l’irrésolution le retint à Antioche. Un esprit de révolte s’était emparé de toutes les troupes campées en Syrie ou en garnison dans cette province. Plusieurs détachements, après avoir massacré leurs officiers[53], avaient grossi le nombre des rebelles. La restitution tardive de la paye et des privilèges militaires, par laquelle Macrin espérait concilier tous les esprits, ne fut imputée qu’à la faiblesse de son caractère, et de son gouvernement. Enfin, l’empereur prit le parti de sortir d’Antioche pour aller au devant de son rival, dont l’armée pleine de zèle devenait tous les jours plus considérable. Les troupes de Macrin, au contraire, semblaient n’entrer en campagne qu’avec mollesse et répugnance. Mais, dans la chaleur du combat[54], les prétoriens, entraînés presque par une impulsion naturelle, soutinrent leur réputation de valeur et de discipline. Déjà les rangs des révoltés étaient rompus, lorsque la mère et l’aïeule du prince de Syrie, qui, selon l’usage des Orientaux, accompagnaient l’armée dans des chars couverts, en descendirent avec précipitation, et cherchèrent, en excitant la compassion du soldat, à ranimer son courage. Antonin lui-même, qui dans tout le reste de sa vie ne se conduisit jamais comme un homme, se montra un héros dans ce moment de crise. Il monte à cheval, rallie les fuyards, et se jette, l’épée à la main, dans le plus épais de l’ennemi ; tandis que l’eunuque Gannys, dont jusqu’alors les soins du sérail et le luxe efféminé de l’Asie avaient fait l’unique occupation, déploie les talents d’un général habile et expérimenté[55]. La victoire était encore incertaine, et Macrin aurait peut-être été vainqueur, s’il n’eût pas trahi sa propre cause, en prenant honteusement la fuite. Sa lâcheté ne servit qu’à prolonger sa vie de quelques jours et à imprimer à sa mémoire une tache qui fit oublier ses malheurs. Il est presque inutile de dire que son fils Diadumenianus fût enveloppé dans le même sort. Dés que les inébranlables prétoriens eurent appris qu’ils répandaient leur sang pour un prince qui avait eu la bassesse de les abandonner, ils se rendirent à son compétiteur ; et les soldats romains versant des larmes de joie et de tendresse, se réunirent sous les étendards du prétendu fils de Caracalla.  Antonin était le premier empereur qui fût né en Asie : l’Orient reconnut avec joie un maître sorti du sang asiatique.

Macrin avait daigné écrire au sénat pour lui faire part de quelques légers troubles excités en Syrie par un imposteur et aussitôt le rebelle et sa famille avaient été déclarés ennemis de l’État par un décret solennel. On promettait cependant le pardon à ceux de ses partisans abusés qui le mériteraient en rentrant immédiatement dans le devoir. Vingt jours s’étaient écoulés depuis la révolte d’Antonin jusqu’à la victoire qui le couronna : durant ce court intervalle qui décida du sort de l’univers, Rome et les provinces, surtout celles de l’Orient, furent déchirées par les craintes et par les espérances des factions agitées par des dissensions intestines, et souillées par une effusion inutile du sang des citoyens, puisque l’empire devait appartenir à celui des deux concurrents qui reviendrait vainqueur de la Syrie. Les lettres spécieuses dans lesquelles le jeune conquérant annonçait à un sénat toujours soumis la chute de son rival, étaient remplies de protestations de vertu, et respiraient la modération. Il se proposait de prendre pour règle invariable de sa conduite les exemples brillants d’Auguste et de Marc-Aurèle. Il affectait surtout d’appuyer avec orgueil sur la ressemblance frappante de sa fortune avec celle d’Octave, qui, dans le même âge, avait, par ses succès, vengé la mort de son père. En se qualifiant des noms de Marc-Aurèle, de fils d’Antonin et de petit-fils de Sévère, il établissait tacitement ses droits à l’empire ; mais il blessa la délicatesse des Romains, en prenant les titres de tribun et de proconsul, sans attendre que le sénat le lui fit solennellement conférés. Il faut attribuer cette innovation dangereuse et ce mépris pour les lois fondamentales de l’État, à l’ignorance de ses courtisans de Syrie, ou au fier dédain des guerriers qui l’accompagnaient[56].

Le nouvel empereur, parti de Syrie, pour se rendre à Rome : comme toute son attention était dirigée vers les amusements les plus frivoles, son voyage, sans cesse interrompu par les nouveaux plaisirs, dura plusieurs mois. Il s’arrêta d’abord à Nicomédie, où il passa l’hiver qui suivit sa victoire, et il ne fit que l’été d’après son entrée triomphale dans la capitale. Cependant, avant son arrivée, il y envoya son portrait, qui., placé par ses ordres sur l’autel de la Victoire, dans le temple où s’assemblait le sénat, donna aux Romains une juste mais honteuse idée de la personne et des mœurs de leur nouveau prince. Il était revêtu de ses attributs pontificaux : sa robe d’or et de soie flottait à la mode des Phéniciens et des Mèdes. Une tiare élevée ornait sa tête, et des pierres d’un prix inestimable rehaussaient l’éclat des colliers et des nombreux bracelets dont il était couvert. On le voyait représenté avec des sourcils peints en noir, et il était facile de découvrir sur ses joues un mélange de blanc et de rouge artificiels[57]. Quelle dut être à la vue de ce tableau, la douleur des graves patriciens. Après avoir gémi longtemps sous la sombre tyrannie de leurs concitoyens, ils avouaient en soupirant que Rome, asservie par le luxe efféminé du despotisme oriental, éprouvait le dernier degré d’avilissement.

On adorait le Soleil dans la ville d’Émèse, sous le nom d’Élagabale[58], et sous la forme d’une pierre noire taillée en cône, qui, selon l’opinion vulgaire, était tombée du ciel sur ce lieu sacré. Antonin attribuait, avec quelque raison, sa grandeur à la protection de cette divinité tutélaire. Il ne s’occupa, pendant le cours de son règne, qu’à satisfaire sa reconnaissance superstitieuse. Son zèle et sa vanité l’engagèrent à établir la supériorité du culte du dieu d’Émèse sur toutes les religions de la terre. Comme son premier pontife et comme l’un de ses plus grands favoris il emprunta lui-même le nom d’Élagabale, nom sacré qu’il préférait à tous les titres de la puissance impériale.

Dans une procession solennelle qui traversa les rues de Rome, le chemin fut parsemé de poussière d’or. On avait placé la pierre noire, enchâssée dans des pierreries de la plus grande valeur, sur un char tiré par six chevaux d’une blancheur éclatante et richement caparaçonnés. Le religieux empereur tenait lui-même les rênes ; et, soutenu par ses ministres, il se renversait en arrière, pour avoir le bonheur de jouir perpétuellement de l’auguste présence de la divinité. On n’avait rien épargné pour embellir le temple magnifique élevé, sur le mont Palatin, en l’honneur du dieu Élagabale. Au milieu des sacrifices les plus pompeux, les vins les plus recherchés coulaient sur un autel entouré des plus rares victimes, et où l’on brûlait les plus précieux aromates. Autour de l’autel, de jeunes Syriennes figuraient des danses lascives au son d’une musique barbare, tandis que les premiers personnages de l’État, revêtus de longues tuniques phéniciennes, exerçaient les fonctions inférieures du sacerdoce avec une vénération affectée et une secrète indignation[59].

L’empereur, emporté par son zèle, entreprit de déposer dans ce temple, comme dans le centre commun de la religion romaine, les ancilia, le palladium[60] et tous les gages sacrés du culte de Numa. Une foule de divinités, inférieures remplissaient des places différentes auprès du superbe dieu d’Émèse ; cependant il manquait à sa cour une compagne d’un ordre supérieur qui partageât son lit. Pallas fut d’abord choisie pour être son épouse ; mais on craignit que son air guerrier n’effrayât un dieu accoutumé à la mollesse efféminée de l’Orient. La Lune, que les Africains adoraient sous le nom d’Astarté, parut convenir mieux au Soleil. L’image de cette déesse, et les riches offrandes de son temple, qu’elle donnait à son mari, furent transportées de Carthage à Rome avec la plus grande pompe ; et le jour de cette alliance mystique fût célébré généralement dans la capitale et dans tout l’empire[61].

L’homme sensuel qui n’est point sourd à la voix de la raison, respecte dans ses plaisirs les bornes que la nature elle-même a prescrites : la volupté lui paraît mille fois plus séduisante, lorsque embellie par le charme de la société et par les liaisons aimables, elle vient encore se peindre à ses yeux sous les traits adoucis du goût et de l’imagination. Mais Élagabale (je parle de l’empereur de ce nom), corrompu par les prospérités, par les passions de la jeunesse et par l’éducation de son pays, se livra, sans aucune retenue, aux excès les plus honteux. Bientôt le dégoût et la satiété  empoisonnèrent ses plaisirs. L’art et les illusions les plus fortes qu’il puisse enfanter, furent appelés au secours de ce prince. Les vins les plus exquis, les mets les plus recherchés, réveillaient ses sens assoupis ; tandis que les femmes s’efforçaient, par leur lubricité, de ranimer ses désirs languissants. Des raffinements  sans cesse variés étaient l’objet d’une étude particulière. De nouvelles expressions et de nouvelles découvertes dans cette espèce de science, la seule qui fût cultivée et encouragée par le monarque[62], signalèrent son règne, et le couvrirent d’opprobre aux yeux de la postérité. Le caprice et la prodigalité tenaient lieu de goût et d’élégance ; et lorsque Élagabale répandait avec profusion les trésors de l’État pour satisfaire à ses folles dépenses, ses propres discours, répétés par ses flatteurs élevaient jusqu’aux cieux la grandeur d’âme et la magnificence d’un prince qui surpassait avec tant d’éclat ses timides prédécesseurs. Il se plaisait principalement à confondre l’ordre des saisons et des climats[63], à se jouer des sentiments et des préjugés de son peuple, et à fouler aux pieds toutes les lois de la nature et de la décence. Il épousa une vestale, qu’il avait arrachée par force du sanctuaire[64]. Le nombre de ses femmes, qui se succédaient rapidement, et la foule de concubines dont il était entouré, ne pouvaient satisfaire l’impuissance de ses passions. Le maître du monde et des Romains affectait par choix le costume et les habitudes des femmes. Préférant la quenouille au sceptre, il déshonorait les principales dignités de l’État en les distribuant à ses nombreux amans : l’un d’eux fût même revêtu publiquement du titre et de l’autorité de mari de l’empereur, ou plutôt de l’impératrice, pour nous servir des expressions de l’infâme Élagabale[65].    

Les vices et les folies de ce prince ont été probablement exagérés par l’imagination, et noircis par la calomnie[66]. Cependant bornons-nous aux scènes publiques dont tout un peuple a été témoin ; et qui sont attestées par des contemporains dignes de foi. Aucun autre siècle n’en a présenté de si révoltantes, et Rome est le seul théâtre où elles aient jamais paru. Les débauches d’un sultan sont ensevelies dans l’ombre de son sérail : des murs inaccessibles les dérobent à l’œil de la curiosité. Dans les cours européennes, l’honneur et la galanterie ont introduit de la délicatesse dans le plaisir, des égards pour la décence, et du respect pour l’opinion publique. Mais dans une ville où tant de nations apportaient sans cesse des mœurs si différentes, les citoyens riches et corrompus adoptaient tous les vices que ce mélange monstrueux devait nécessairement produire ; sûrs de l’impunité, insensibles aux reproches, ils vivaient sans contrainte dans la société humble et soumise de leurs esclaves et de leurs parasites. De son côté, l’empereur regardait tous ses sujets avec le même mépris, et maintenait sans contradiction le souverain privilège que lui donnait son rang de- e livrer au luxe et à la débauche.

Ceux qui déshonorent le plus par leur conduite la nature humaine, ne craignent pas de condamner dans les autres les mêmes désordres qu’ils se permettent. Pour justifier cette partialité, ils sont toujours prêts à découvrir quelque légère différence dans l’âge, dans la situation et dans le caractère. Les soldats licencieux qui avaient élevé sur le trône le fils dissolu de Caracalla rougissaient de ce choix ignominieux, et détournaient en frémissant leurs regards à la vue de ce monstre, pour contempler le spectacle agréable des vertus naissantes de son cousin Alexandre, fils de Mammée. L’habile Mœsa, prévoyant que les vices d’Élagabale le précipiteraient infailliblement du trône, entreprit de donner à sa famille un appui plus assuré. Elle profita d’un moment favorable, où l’âme de l’empereur, livrée à des idées religieuses, paraissait plus susceptible de tendresse : elle lui persuada qu’il devait adopter Alexandre, et le revêtir du titre de César [en 221], pour n’être plus détourné de ses occupations célestes par les soins de la terré. Placé au second rang, ce jeune prince s’attira bientôt l’affection du peuple, et il excita la jalousie du tyran, qui résolut de mettre fin à une comparaison odieuse, en corrompant les mœurs de son rival, ou en lui arrachant la vie. Les moyens dont il se servit furent inutiles. Ses vains projets, toujours découverts par sa folle indiscrétion, furent prévenus par les fidèles et vertueux serviteurs que la prudente Mammée avait placés auprès de son fils. Dans un moment de colère, Élagabale résolut d’exécuter par la force ce qu’il n’avait pu obtenir par des voies détournées. Une sentence despotique, émanée de la cour dégrada, tout à coup Alexandre du rang et des honneurs de César. Le sénat ne répondit aux ordres du souverain que par un profond silence. Dans le camp, on vit s’élever aussitôt un furieux orage. Les gardes prétoriennes jurèrent de protéger Alexandre, et de venger la majesté du trône indignement violée. Les pleurs et les promesses d’Élagabale, qui les conjurait en tremblant d’épargner sa vie, et de le laisser en possession de son cher Hiéroclès, suspendirent leur juste indignation ; ils chargèrent seulement leur préfet de veiller aux actions de l’empereur et à la sûreté du fils de Mammée[67].

Une pareille réconciliation ne pouvait durer longtemps : il eût été impossible même au vil Élagabale de régner à des conditions si humiliantes. Il entreprit bientôt de sonder, par une épreuve dangereuse, les dispositions des troupes. Le bruit de le mort d’Alexandre excite dans le camp une rébellion : on se persuade que ce jeune prince vient d’être massacré : sa présence seule et son autorité rétablissent le calme. L’empereur, irrité de cette nouvelle marque de mépris pour sa personne et d’affection pour son cousin, osa livrer au supplice quelques-uns des chefs de la sédition. Cette rigueur déplacée lui coûta la vie, et entraîna la perte de sa mère et de ses favoris. Élagabale fut massacré par les prétoriens indignés. Son corps, après avoir été traîné dans toutes les rues de Rome, et déchiré par une populace en fureur, fût jeté dans le Tibre. Le sénat dévoua sa mémoire à une infamie éternelle. La postérité a ratifié ce juste décret[68].

Les prétoriens mirent ensuite Alexandre sur le trône. Ce prince tenait au même degré que son prédécesseur à la famille de Sévère, dont il prit le nom[69]. Ses vertus et les dangers qu’il avait courus, l’avaient déjà rendu cher aux Romains. Le sénat, dans les premiers mouvements de son zèle, lui conféra, en un seul jour, tous les titres et tous les pouvoirs de la dignité impériale[70]. Mais comme Alexandre, âgé seulement de dix-sept ans, joignait à une grande modestie une piété vraiment filiale, les rênes du gouvernement se trouvèrent entre les mains de deux femmes, Mammée, sa mère, et Mœsa, son aïeule. Celle-ci mourut bientôt après l’avènement d’Alexandre, et Mammée resta seule chargée de l’éducation de son fils et de l’administration de l’emprise.

Dans tous les siècles et dans toutes les contrées, le plus sage, ou du moins le plus fort des deux sexes, s’est emparé de la puissance suprême, tandis que les soins et les plaisirs de la vie privée ont toujours été le partage de l’autre. Dans les monarchies héréditaires cependant, et surtout dans celles de l’Europe moderne, les lois de la succession et l’esprit de chevalerie nous ont accoutumés à une exception singulière. Nous voyons souvent une femme reconnue souveraine d’un grand royaume où elle n’aurait point été jugée capable de posséder le plus petit emploi civil ou militaire. Mais comme les empereurs romains représentaient toujours les généraux ou les magistrats de la république, leurs femmes et leurs mères, quoique distinguées par le nom d’Augusta, ne furent jamais associées à leurs dignités personnelles. Ces premiers Romains, qui se mariaient sans amour, ou qui n’en connaissaient ni les tendres égards, ni la délicatesse, auraient vu dans le règne d’une femme un de ces prodiges dont aucune expiation ne pourrait détourner le sinistre présage[71]. La superbe Agrippine voulut, il est vrai, partager les honneurs de l’empire, qu’elle avait fait passer sur la tête de son fils ; mais elle s’attira la haine de tous ceux des citoyens qui respectaient encore la dignité de Rome, et sa folle ambition échoua contre les intrigues et la fermeté de Sénèque et de Burrhus[72]. Le bon sens ou l’indifférence des successeurs de Néron les empêcha de blesser les préjugés de leurs sujets. Il était réservé à l’infâme Élagabale d’avilir la majesté du premier corps de la nation. Sous le règne de cet indigne prince, Soœmias, sa mère, prenait séance, auprès des consuls, et souscrivait comme les autres sénateurs les décrets de l’assemblée législative. Mammée refusa prudemment une prérogative odieuse et en même temps inutile. On rendit une loi solennelle, pour exclure à jamais les femmes du sénat, et pour dévouer aux  divinités infernales celui qui violerait par la suite la sainteté de ce décret[73]. Mammée ne s’attachait point à une vaine image ; la réalité du pouvoir était l’objet de sa mâle ambition. Elle conserva toujours sur l’esprit d’Alexandre un empire absolu, et la mère ne put jamais souffrir de rivale dans le cœur de son fils. Ce prince avait épousé, de son consentement, la fille d’un patricien. Le respect qu’il devait à son beau-père et son attachement pour la jeune impératrice, se trouvèrent incompatibles avec la tendresse ou les intérêts de Mammée. Bientôt le patricien périt victime de l’accusation banale de trahison ; et la femme d’Alexandre, après avoir été chassée ignominieusement du palais, fut reléguée en Afrique[74].

Malgré cet acte cruel de jalousie, malgré l’avarice que l’on a reprochée quelquefois à Mammée, en général son administration fut également utile à son fils et à l’empire. Le sénat lui permit de choisir seize des plus sages et des plus vertueux de ses membres pour composer un conseil perpétuel. Toutes les affaires publiques de quelque importance étaient discutées et décidées devant ce nouveau tribunal, qui avait pour chef le fameux Ulpien, aussi célèbre par son respect pour les lois de Rome, que par ses profondes connaissances en jurisprudence. La fermeté et la sagesse de cette aristocratie contribuèrent à rétablir l’ordre et l’autorité du gouvernement. Les vils monuments élevés sous le dernier règne au luxe étranger et à la superstition asiatique subsistaient encore au milieu de Rome : on commença par détruire tout ce qui pouvait rappeler le caprice et la tyrannie d’Élagabale. Les nouveaux conseillers éloignèrent ensuite de l’administration publique les indignes créatures de ce prince, et leur donnèrent pour successeurs, dans chaque département, des citoyens vertueux et habiles. L’amour de la justice et la connaissance des lois servirent seuls de recommandation pour les emplois civils, et les commandements militaires devinrent le prix da la valeur et de l’attachement à la discipline[75].

Mais le soin le plus important de Mammée et de ses sages conseillers fut de former le caractère du jeune empereur, dont les qualités personnelles devaient faire le malheur ou la félicité du genre humain. Un sol fertile produit de bons fruits presque sans culture. Alexandre était né avec les plus heureuses dispositions : doué d’un excellent jugement, il connut bientôt les avantages de la vertu, le plaisir de l’instruction et la nécessité du travail. Une douceur et une modération naturelles le mirent à l’abri des assauts dangereux des passions et des attraits séducteurs du vice. Son respect inviolable pour sa mère, et l’estime qu’il eut toujours pour le sage Ulpien, garantirent sa jeunesse du poison de la flatterie.

L’exposition seule de ses occupations journalières nous le représente comme un prince accompli[76] ; et, en ayant égard à la différence des mœurs, ce beau tableau mériterait de servir de modèle à tous les souverains. Alexandre se levait de grand matin ; il consacrait les premiers moments du jour à des devoirs de piété, et sa chapelle particulière était remplie des images de ces héros qui ont mérité la reconnaissance et la vénération de la postérité, par le soin qu’ils ont pris de former ou de perfectionner la nature humaine[77]. Mais l’empereur, persuadé que les services rendus à ses semblables sont le culte le plus pur aux yeux de l’Être suprême, passait la plus grand partie de la mâtinée dans son conseil, où il discutait les affaires publiques, et terminait les causes particulières avec une prudence au-dessus de son âge. Les charmes de la littérature faisaient bientôt disparaître la sécheresse de ces détails. Alexandre donna toujours quelques heures à l’étude de la poésie, de l’histoire et de la philosophie. Les ouvrages de Virgile et d’Horace, la République de Platon et celle de Cicéron, formaient son goût, éclairaient son esprit, et lui donnaient les idées les plus sublimes de l’homme et du gouvernement. Les exercices du corps succédaient à ceux de l’âme ; et le prince, qui joignait à une taille avantageuse de la force et de l’activité, avait peu d’égaux dans la gymnastique. Après le bain et un léger dîner, il se livrait avec une nouvelle ardeur aux affaires  du jour ; et, jusqu’au souper, le principal repas des Romains, il travaillait avec ses secrétaires, et répondait à cette foule de lettres, de mémoires et de placets, qui devaient être nécessairement adressés au maître de la plus grande partie du monde. La frugalité et la simplicité régnaient à sa table et lorsqu’il pouvait suivre librement sa propre inclination, il n’invitait qu’un petit nombre d’amis choisis, tous d’un mérite et d’une probité reconnue, et parmi lesquels Ulpien tenait le premier rang. La  douce familiarité d’une conversation toujours instructive, était quelquefois interrompue par des lectures intéressantes, qui tenaient lieu de ces danses, de ces spectacles, et même de ces combats de gladiateurs, que l’on voyait si souvent dans les maisons des riches citoyens[78]. Alexandre était simple et modeste dans ses habillements, affable et pur dans ses manières. Tous ses sujets pouvaient entrer dans son palais, à de certaines heures de la journée ; mais on entendait en même temps la voix d’un héraut qui prononçait, comme dans les mystères d’Éleusis, cet avis salutaire : Que personne ne pénètre dans l’enceinte de ces murs sacrés, à moins qu’il n’ait une conscience pure et une âme sans tache[79].

Un genre de vie si uniforme, dont aucun instant ne pouvait être occupé par le vice ni par la folie, prouve bien mieux la sagesse et l’équité du gouvernement d’Alexandre, que tous les détails minutieux rapportés dans la compilation de Lampride Depuis l’avènement de Commode, l’univers avait été en proie pendant quarante ans aux vices divers de  quatre tyrans. Après la mort d’Élagabale, il goûta les douceurs d’un calme de treize années. Les provinces, délivrées des impôts excessifs inventés par Caracalla et par son prétendu fils, jouirent de tous les avantages de la paix et de la prospérité. L’expérience avait appris aux magistrats que le plus sûr et l’unique moyen d’obtenir la faveur du monarque, était de mériter l’amour de ses sujets. Les soins paternels d’Alexandre, en mettant quelques bornes peu sévères au luxe insolent du peuple romain, diminuèrent le prix des denrées et l’intérêt de l’argent, et sa prudente libéralité sut, sans écraser les classes industrieuses, fournir aux besoins et aux amusements de la populace. La dignité, la liberté, l’autorité du sénat furent rétablies, et tous les vertueux sénateurs purent, sans crainte et sans honte, approcher de leur souverain.

Le nom d’Antonin, ennobli par les vertus de Marc-Aurèle et de son prédécesseur, avait passé, par adoption, au débauché Verus, et par droit de naissance, au cruel Commode. Apres avoir été la distinction la plus honorable des fils de Sévère, il fut accordé à Diadumenianus ; et enfin souillé par l’infamie du grand-prêtre d’Émèse. Alexandre, malgré les instances  étudiées ou peut-être sincères du sénat, refusa noblement d’emprunter l’éclat de ce nom illustre, tandis que, par sa conduite, il s’efforçait de rétablir la gloire et le bonheur du siècle des véritables Antonins[80].

Dans l’administration civile, la sagesse de ce prince était soutenue par l’autorité. Le peuple sentait sa félicité, et payait de son amour et  de sa reconnaissance les bienfaits de son souverain. Il restait encore une entreprise plus grande, plus nécessaire, mais plus difficile à exécuter, la réforme de l’ordre militaire. A la faveur d’une longue impunité, les intérêts et les dispositions des soldats les avaient rendus insensibles au bonheur de l’État, et leur faisaient supporter impatiemment le frein de la discipline. Lorsque l’empereur voulut exécuter son projet, il eut soin de paraître rempli d’affection pour l’armée et de lui dérober les craintes, qu’elle lui inspirait. La plus rigide économie dans toutes les autres branches de l’administration lui fournissait les sommes immenses qu’exigeaient la paye ordinaire et les gratifications excessives accordées aux troupes. Il les dispensa, dans les marches, de porter sur leurs épaules des provisions pour dix-sept jours ; elles trouvaient de vastes magasins établis sur toutes les routes, et dès qu’elles entraient en pays ennemi, une nombreuse suite de chameaux et de mulets soulageait leur indolence hautaine. Comme Alexandre ne pouvait espérer de corriger le luxe des soldats, il essaya du moins de le diriger vers des objets d’une pompe guerrière, et de substituer à des ornements inutiles de beaux chevaux, des armes magnifiques et des boucliers enrichis d’or et d’argent. Il partageait les fatigues qu’il était obligé de prescrire, visitait en personne les blessés et les malades, et tenait un registre exact des services de ses soldats et des récompenses qu’ils avaient reçues : enfin, il montrait en toute occasion les égards les plus affectueux pour un corps dont la conservation, comme il affectait de le déclarer, était si étroitement liée à celle de l’État[81]. Ce fut ainsi qu’il employa les voies les plus douces pour inspirer à la multitude indocile des idées de devoir, et pour faire revivre au moins une faible image de cette discipline à laquelle la république avait été redevable de ses succès sur tant de nations aussi belliqueuses et plus puissantes que les Romains. Mais ce sage empereur vit échouer tous ses projets : son courage lui devint fatal, et tous ses efforts ne servirent qu’à irriter les maux qu’il se proposait de guérir.

Les prétoriens étaient sincèrement attachés au jeune Alexandre ; ils l’aimaient comme un tendre pupille qu’ils avaient arraché à la fureur d’un tyran, et placé sur le trône impérial. Cet aimable prince n’avait point  oublié leurs services ; mais, comme la justice et la raison mettaient des bornes a sa reconnaissance, les prétoriens furent bientôt plus mécontents des vertus d’Alexandre qu’ils ne l’avaient été des vices d’Élagabale. Le sage Ulpien, leur préfet, respectait les lois et avait gagné l’amour des citoyens ; il s’attira la haine des soldats, qui attribuèrent tous les plans de réforme à ses conseils pernicieux. Un léger accident changea leur mécontentement en fureur : ils tournèrent leurs armes contre le peuple qui, reconnaissant, voulait défendre la vie de cet excellent ministre ; et Rome fût exposée pendant trois jours à toutes les horreurs d’une guerre civile. Enfin, la vue de quelques maisons embrasées et les cris du soldat, qui menaçait de réduire la ville en cendres, effrayèrent les habitants, et les forcèrent d’abandonner en soupirant le vertueux Ulpien à son malheureux sort. Le préfet, poursuivi par ses propres, troupes, se réfugia dans le palais impérial, et fut massacré aux pieds de son maître, qui s’efforçait en vain de le couvrir de la pourpre, et d’obtenir son  pardon de ces cœurs féroces[82]. La faiblesse du gouvernement était si déplorable, que l’empereur ne put venger la mort de son ami, et, l’insulte faite à sa dignité, sans avoir recours à la patience et à la dissimulation. Épagathe, le principal chef de la sédition, ne s’éloigna de Rome que pour aller exercer en Égypte l’emploi honorable de préfet. On le fit insensiblement descendre de ce haut rang au gouvernement de Crète ; et lorsque enfin le temps et l’absence l’eurent effacé du souvenir des gardes, Alexandre se hasarda à lui faire subir la peine que méritaient ses crimes[83].

Sous le règne d’un prince juste et vertueux, les plus fidèles ministres se trouvaient exposés à une cruelle tyrannie ; ils couraient risque de perdre la vie, dès qu’on les soupçonnait de vouloir corriger les désordres intolérables de l’armée. L’historien Dion Cassius, qui commandait les légions de Pannonie, avait suivi les maximes de l’ancienne discipline. Les prétoriens, intéressés à soutenir la licence militaire, embrassèrent la cause de leurs frères campés sur les bords du Danube, et demandèrent la tête du réformateur. Cependant, au lieu de céder à leurs clameurs séditieuses, Alexandre montra combien il estimait les services et le mérite de Dion, en partageant avec lui le consulat, et en le défrayant sur son trésor particulier, des dépenses qu’exigeait ce vain honneur. Mais comme on avait tout lieu de craindre que, si le nouveau magistrat paraissait en public revêtu des marques de sa dignité, cette vue ne ranimât la fureur des troupes il quitta, à la persuasion de l’empereur, une ville où il n’exerçait qu’un pouvoir idéal, et il passa la plus grande partie de son consulat[84] dans ses terres en Campanie[85].

La douceur du prince autorisait l’insolence des soldats. Bientôt les légions imitèrent l’exemple des gardes, et soutinrent leurs droits à la licence avec une opiniâtreté aussi violente. L’administration d’Alexandre luttait en vain contre la corruption de son siècle. L’Illyrie, la Mauritanie, l’Arménie, la Mésopotamie et la Germanie, voyaient tous les jours se former dans leur sein de nouveaux orages. Les officiers de l’empereur étaient massacrés ; on méprisait son autorité ; enfin il devint lui-même la victime de l’animosité des troupes[86]. Ces caractères intraitables se soumirent cependant une fois à l’obéissance, et  rentrèrent dans leur devoir. Ce fait particulier mérite d’être rapporté ; il peut nous donner une idée des dispositions de l’armée. Durant le séjour que fit Alexandre à Antioche, pendant son expédition contre les Perses, dont nous parlerons bientôt, la punition de quelques soldats, surpris dans les bains des femmes excita une révolte dans la légion à laquelle ils appartenaient. A cette nouvelle, l’empereur monté sur son tribunal, et, avec une contenance ferme à la fois et modeste, il représente à cette multitude armée sa résolution inflexible et la nécessité absolue de corriger les vices introduits par son infâme prédécesseur, et de maintenir la discipline, dont le relâchement entraînerait la ruine de l’empire. Des clameurs interrompent ces douces représentations. Retenez vos cris, dit aussitôt l’intrépide monarque ; vous n’étés pas en présence du Perse, du Germain et du Sarmate. Gardez le silence devant votre souverain, devant votre bienfaiteur, devant celui qui vous distribue le blé, l’argent et les productions des provinces. Gardez le silence, sinon je ne vous donnerai plus le nom de soldats ; je ne vous appellerai désormais que bourgeois[87], si même ceux qui foulent aux pieds les lois de Rome méritent d’être rangés dans la dernière classe du peuple.

Ces menaces enflammèrent la fureur de la légion ; déjà lés soldats tournent leurs armes contre sa personne. Votre courage, reprend Alexandre d’un air encore plus fier, se déploierait bien plus noblement dans un champ de bataille. Vous pouvez m’ôter la vie : n’espérez pas m’intimider ; le glaive de la justice punirait, votre crime et vengerait ma mort. Les cris redoublaient, lorsque l’empereur prononça à haute voix la sentence décisive : Bourgeois, posez les armes, et que chacun de vous se retire dans sa demeure.

La tempête fut  à l’instant apaisée. Les soldats, consternés et couverts de honte, reconnurent la justice de leur arrêt et le pouvoir de la discipline, déposèrent leurs armes et leurs drapeaux, et se rendirent en confusion, non dans leur camp, mais dans différentes auberges de la ville. Alexandre eut le plaisir de contempler pendant trente jours leur repentir ; et il ne les rétablit dans leur grade qu’après avoir puni du dernier supplice les tribuns, dont la connivence avait occasionné la révolte. La  légion, pénétrée de reconnaissance, servit l’empereur tant qu’il vécut, et le vengea après sa mort[88].

En général, un moment décide des résolutions de la multitude ; et le caprice de la passion pouvait également déterminer cette légion séditieuse à déposer ses armes aux pieds de son maître, où à les plonger dans son sein. Peut-être découvririons-nous les causes secrètes de l’intrépidité du prince et de l’obéissance forcée des troupes, si le fait extraordinaire dont nous venons de parler était soumis à l’examen d’un philosophe. D’un autre côté, s’il eût été rapporté par un historien judicieux, cette action, que l’on a jugée digne de César, se trouverait peut-être accompagnée de circonstances qui la rendraient plus probable, en la rendant plus conforme au caractère général d’Alexandre Sévère. Les talents de cet aimable prince ne paraissent pas avoir été proportionnés à la difficulté de sa situation, ni la fermeté de sa conduite égale à la pureté de son âme. Ses vertus sans énergie avaient contracté, aussi bien que les vices de son prédécesseur, une teinte de faiblesse dans le climat efféminé de l’Asie, où il avait pris naissance. Il est vrai qu’il rougissait d’une origine étrangère, et qu’il écoutait avec une vaine complaisance, les généalogistes, qui le faisaient descendre de l’ancienne noblesse de Rome[89]. Son règne est obscurci par l’orgueil et par l’avarice de sa mère. Mammée, en exigeant de lui, lorsqu’il fut d’un âge mûr, la même obéissance qu’il lui devait dans sa plus tendre jeunesse, exposa au ridicule son caractère et celui de son fils[90]. Les fatigues de l’expédition contre les Perses irritèrent le mécontentement des troupes. Le mauvais succès de cette guerre fit perdre à l’empereur sa réputation, comme général et même comme soldat[91]. Chaque cause préparait, chaque circonstance hâtait une révolution qui déchira l’empire, et le livra pendant longtemps en proie aux horreurs des guerres civiles.

La tyrannie de Commode, les discordes dont sa mort fut l’origine, et les nouvelles maximes de politique introduites par les princes de la maison de Sévère, avaient contribué à augmenter la puissance dangereuse de l’armée, et à effacer les faibles traces que les lois et la liberté laissaient encore dans l’âme des Romains. Nous avons tâché d’expliquer avec ordre et avec clarté les changements qui arrivèrent dans les parties intérieures de la constitution, et qui en minèrent sourdement la base. Les caractères particuliers des empereurs, leurs lois, leurs folies, leurs victoires, leurs exploits, ne nous intéressent qu’autant que ces objets se trouvent liés à l’histoire générale de la décadence et de la chute de la monarchie. L’attention constante que nous mettons à suivre ce grand spectacle, ne nous permet pas de passer sons silence un édit bien important d’Antonin Caracalla, qui donna le nom et les privilèges de citoyens romains à tous les sujets libres de l’empire. Cette faveur extraordinaire ne prenait cependant pas sa source dans les sentiments d’une âme généreuse, elle fut dictée par une avarice sordide : quelques observations sur les finances des Romains, depuis les beaux siècles de la république jusqu’au règne d’Alexandre Sévère, prouveront la vérité de cette remarque.

La ville de Véies, en Toscane, n’avait été prise qu’au bout de dix ans. Ce fut bien moins la force de la place que le peu d’expérience des assiégeants, qui prolongea ce siège, la première entreprise considérable des Romains. Il fallait aux troupes les plus grands encouragements pour les engager à supporter les fatigues extraordinaires de tarit de campagnes consécutives, et à passer ainsi plusieurs hivers autour d’une ville située à vingt milles environ de leurs foyers[92]. Le sénat prévint sagement les plaintes du peuple ; en accordant aux soldats une paye régulière, à laquelle les citoyens contribuaient par une taxe générale établie sur les propriétés[93]. Après la prisé de Véies, pendant plus de deux cents ans, les victoires de la république augmentèrent moins les richesses que la puissance de Rome. Les États d’Italie ne payaient leurs tributs qu’en service militaire ; et dans les guerres puniques, les Romains entretinrent seuls à leurs frais, sur mer et sur terre, des forces redoutables dont ils se servirent pour subjuguer leurs rivaux. Ce peuple généreux (et tel est souvent le noble enthousiasme de la liberté) portait avec joie les fardeaux les plus lourds, dans la juste confiance que ses travaux seraient bientôt magnifiquement récompensés. De si belles espérances ne furent pas trompées : en peu d’années les richesses de Syracuse, de Carthage, de la Macédoine et de l’Asie, furent apportées à Rome en triomphe. Les trésors de Persée montaient seuls à près de deux millions sterling ; et le peuple romain, roi de tant de nations, se trouva pour jamais délivré d’impôts[94]. Le revenu des provinces conquises paru suffisant pour les dépenses ordinaires de la guerre et du gouvernement. On déposait dans le temple de Saturne ce qui restait d’or et d’argent, et ces sommes étaient réservées pour quelque événement imprévu[95].

L’histoire n’a peut-être jamais souffert de perte si grande ni si irréparable que celle de ce registre curieux[96], légué par Auguste au sénat, et dans lequel ce prince expérimenté balançait avec précision les dépenses et les revenus de l’empire[97]. Privés de cette estimation claire et étendue, nous sommes réduits à rassembler un petit nombre de données éparses dans les ouvrages de ceux d’entre les anciens qui se sont quelquefois écartés de la partie brillante de leur narration, pour s’attacher à des considérations utiles. Nous savons que les conquêtes de Pompée portèrent les tributs de l’Asie de cinquante à cent trente-cinq millions de drachmes[98], environ quatre millions et demi sterling[99]. Sous le gouvernement du dernier et du plus indolent des Ptolémées, le revenu de l’Égypte montait à douze mille cinq cents talents ; somme bien inférieure à celle que les Romains tirèrent ensuite de ce royaume par une administration ferme, et, par le commerce de l’Éthiopie et de l’Inde[100]. L’Égypte devait ses richesses au commerce ; celles que recelait l’ancienne Gaule, étaient le fruit de la guerre et du butin. Les tributs que payaient ces deux provinces paraissent avoir été à peu près les mêmes[101]. Rome profita bien peu de sa supériorité[102], en n’exigeant des Carthaginois vaincus que dix mille talents phéniciens[103] ou environ quatre millions sterling, et en leur accordant cinquante ans pour les payer. Cette somme ne peut, en aucune manière, être comparée avec les taxes qui furent imposées sur les terres et les personnes des habitants de ces mêmes contrées, lorsque les fertiles côtes de l’Afrique eurent été réduites en provinces romaines[104].

Par une fatalité singulière l’Espagne était le Mexique et le Pérou de l’ancien monde. La découverte des riches contrées de l’Occident par les Phéniciens, et la violence exercée contre les naturels du pays, forcés à s’ensevelir dans leurs mines, et à travailler pour des étrangers, présente le même tableau que l’histoire de l’Amérique espagnole[105]. Les Phéniciens ne connaissaient que les côtes de l’Espagne. L’ambition et l’avarice portèrent les Carthaginois et les Romains à pénétrer dans le cœur de cette contrée, et ils découvrirent que la terre renfermait presque partout du cuivre, de l’argent et de l’or. On parle d’une mine prés de Carthagène, qui rapportait par jour vingt-cinq mille drachmes d’argent, ou prés de trois cent mille livres sterling par an[106]. Les provinces d’Asturie, de Galice et de Lusitanie, donnaient annuellement vingt mille livres pesant d’or[107].

Nous n’avons point assez de loisir, et nous manquons de matériaux, pour continuer ces recherches curieuses, et pour connaître les tributs que payaient tant d’États puissants, qui furent confondus dans l’empire romain : cependant, en considérant l’attention sévère avec laquelle les tributs étaient levés dans les provinces les plus stériles et les plus désertes, nous pourrons nous former quelque idée du revenu de ces provinces dans le sein desquelles d’immenses richesses avaient été déposées par la nature ou amassées par l’homme. Auguste reçut une requête des habitants de Gyare, qui le suppliaient humblement de les exempter d’un tiers de leurs excessives impositions. Toute leur taxe ne se montait qu’à cent cinquante drachmes (environ cinq livres sterling) ; mais Gyare était une petite île, ou plutôt un roc baigné par les flots de la mer Égée, où l’on ne trouvait ni eau fraîche ni aucune des nécessités de la vie, et qui servait de retraite à un petit nombre de malheureux pêcheurs[108].

Eclairés par la faible lumière de ces rayons épars et incertains, nous serions portés à croire, 1° qu’en admettant tous les changements occasionnés par les temps et par les circonstances, le revenu général des provinces romaines montait rarement à moins de quinze à trente millions sterling[109] ; 2° que cette somme considérable devait entièrement suffire toutes les dépenses du gouvernement institué par Auguste, dont la cour ressemblait à la maison d’un simple sénateur, et dont l’établissement militaire avait pour but de protéger les frontières de l’empire, sans chercher à les reculer par des conquêtes, ou craindre d’avoir à les défendre contre aucune invasion sérieuse.

Malgré ces probabilités, la dernière de ces deux conclusions est positivement contraire au langage et à la conduite d’Auguste. Il n’est point aisé de décider si ce prince voulut agir comme le père commun de l’univers ou comme l’oppresseur de la liberté ; s’il désira d’adoucir le sort des provinces, ou d’appauvrir le sénat et l’ordre équestre. Quoiqu’il en soit, à peine eut-il pris les rênes du gouvernement, qu’il affecta souvent de parler de l’insuffisance des tributs, et de la nécessité où il se trouvait de faire supporter à Rome et à l’Italie une partie des charges publiques[110]. Ce fut cependant avec précaution, et pour ainsi dire à pas comptés, qu’il procéda dans l’exécution de ce projet si propre à exciter le mécontentement. L’introduction des douanes fut suivie de l’établissement d’un impôt sur les consommations[111] ; et le plan d’une imposition générale s’étendit insensiblement sur les propriétés réelles et personnelles des citoyens romains, qui, depuis plus d’un siècle et demi, avaient été exempts de toute espèce de contribution[112].

I. Dans un empire aussi vaste que celui de Rome, la balance naturelle de l’argent devait s’établir d’elle-même et par degrés. Comme les richesses des provinces étaient attirées vers la capitale par l’action puissante de la conquête et de l’autorité souveraine, de même une partie de ces richesses refluait vers les provinces industrieuses, où elles étaient portées par la voie plus douce du commerce et des arts. Sous le règne d’Auguste et de ses successeurs, on avait mis des droits sur chaque espèce de marchandises, qui, par mille canaux différents, abordaient au centre commun de l’opulence et du luxe ; et quelque interprétation que l’on put donner à la loi, la taxe tombait toujours sur l’acheteur romain et non sur le marchand provincial[113]. Le taux de la taxe variait depuis la quarantième jusqu’à la huitième partie de la valeur des effets. Il y a lieu de croire que, cette variation fut dirigée par les maximes inaltérables de la politique. Les  objets de luxe payaient sans doute un droit plus fort que ceux de première nécessité ; et l’on favorisait davantage les manufactures de l’empire que les productions de l’Arabie et de l’Inde[114]. Il était bien juste que l’on préférât l’industrie des citoyens à un commerce étranger, qui ne pouvait être avantageux à l’État. Il existe encore une liste étendue, mais imparfaite, des marchandises de l’Orient sujettes aux droits sous le règne d’Alexandre Sévère[115]. Elles consistaient en cannelle, myrrhe,  poivre et gingembre, en aromates de toute espèce, et dans une grande variété de pierres précieuses, parmi lesquelles le diamant tenait le premier rang pour le prix, et l’émeraude pour la beauté[116]. On y voyait aussi des peaux de Perse et de Babylone, des cotons, des soies écrues et apprêtées, de l’ivoire, de l’ébène et des eunuques[117]. Remarquons ici que l’usage et le prix de ces esclaves efféminés suivirent les mêmes progrès que la décadence de l’empire.

II. L’impôt sur les consommations fut établi par Auguste après les guerres civiles. Ce droit était extrêmement modéré, mais il était général. Il passa rarement un pour cent ; mais il comprenait tout ce que l’on achetait dans les marchés ou dans les ventes publiques, et il s’étendait depuis les acquisitions les plus considérables en terres ou en maisons jusqu’à ces petits objets dont le produit ne peut devenir important que par leur nombre et par une consommation journalière. Une pareille taxe, portait sur le corps entier de la nation, excita toujours des plaintes. Un empereur qui connaissait parfaitement les besoins et les ressources de l’état, fût obligé de déclarer, par un édit public, que l’entretien des armées dépensait en grande partie, du produit de cet impôt[118].

III. Lorsque l’empereur Auguste eût pris le parti d’avoir toujours sur pied un corps de troupes destinées à défendre son gouvernement contre les attaques des ennemis étrangers et domestiques, il réserva des fonds particuliers pour la paye des soldats, pour les récompenses des vétérans, et pour les dépenses extraordinaires de la guerre. Les revenus immenses de l’impôt sur les consommations, quoique employés spécialement à ces objets, ne furent pas trouvés suffisants. Pour y suppléer, l’empereur imagina une nouvelle taxe de cinq pour cent sur les legs et sur les héritages. Mais les nobles de Rome étaient beaucoup plus attachés à leurs biens qu’à leur liberté. Auguste écouta leurs murmures avec sa modération ordinaire. Il renvoya de bonne foi l’affaire au sénat, l’exhortant à trouver quelque autre expédient utile et moins odieux. Comme l’assemblée était divisée et indécise, l’empereur déclara aux sénateurs que leur opiniâtreté le forcerait à proposer une capitation et une taxe générale, sur les terres[119] ; aussitôt ils souscrivirent en silence à celle qui les avait d’abord indignés[120]. Cependant l’impôt sur les legs et sur les héritages fut adouci par quelques restrictions. Il n’avait lieu que lorsque l’objet était d’une certaine valeur, probablement de cinquante ou cent pièces d’or[121] ; et l’on ne pouvait en exiger le paiement du parent le plus broche du côté du père[122]. Lorsque les droits de la nature et ceux de la pauvreté furent ainsi assurés, il parut juste qu’un étranger ou un parent éloigné, qui obtenait un accroissement imprévu de fortune, en consacrât la vingtième partie à l’utilité publique[123].

Une pareille taxe, dont le produit est immense dans tout État riche, se trouvait admirablement adaptée à la situation des Romains, qui pouvaient, dans leurs testaments arbitraires, suivre la raison ou le caprice, sans être enchaînés par des substitutions et par des conventions matrimoniales. Souvent même la tendresse paternelle perdait son influence sur les rigides patriotes de la république, et sur les nobles dissolus de l’empire ; et lorsqu’un père laissait à son fils la quatrième partie de son bien, on ne pouvait former aucune plainte légale contre une semblable disposition[124]. Aussi un riche vieillard qui n’avait point d’enfants, était-il un tyran domestique ; son autorité croissait avec l’âge et les infirmités. Une foule de vils courtisans, parmi lesquels il comptait souvent des préteurs et des consuls, briguaient ses faveurs, flattaient son avarice, applaudissaient à ses folies, servaient ses passions, et attendaient sa mort avec impatience. L’art de la complaisance et de la flatterie devint une science très lucrative ; ceux qui la professaient, furent connus sous une nouvelle dénomination et toute la ville, selon les vives descriptions de la satire, se trouva divisée en deux parties, le gibier et les chasseurs[125].

Tandis que la ruse faisait signer à la folie tant de testaments injustes et extravagants, on en voyait cependant un petit nombre dicté par une estime raisonnée et par une vertueuse reconnaissance. Cicéron, dont l’éloquence avait si souvent défendu la vie et la fortune de ses concitoyens, recueillit pour prés de cent soixante-dix mille livres sterling de legs[126]. Il parait que les amis de Pline le Jeune n’ont pas été moins généreux envers cet intéressant orateur[127]. Quels que fussent les motifs du testateur, le fisc réclamait sans distinction la vingtième partie des biens légués ; et dans le cours de deux ou trois générations, toutes les propriétés des sujets devaient passer insensiblement dans les coffres du prince.

Néron, dans les premières années de son règne, porté par le désir de se rendre populaire, ou peut-être entraîné par un mouvement aveugle de bienfaisance, voulut abolir les douanes et l’impôt sur les consommations. Les plus sages sénateurs applaudirent à sa générosité ; mais ils le détournèrent de l’exécution d’un projet qui aurait détruit la force et les ressources de la république[128]. S’il eût été possible de réaliser cette chimère, des princes tels que Trajan et les Antonins auraient sûrement embrassé avec la plus vive ardeur l’occasion glorieuse de rendre un service si important au genre humain. Ils se contentèrent d’alléger le fardeau public, sans entreprendre de l’écarter tout à fait. La douceur et la précision de leurs lois déterminèrent la règle et la mesure de l’impôt, et mirent tous les citoyens à l’abri des interprétations arbitraires, des réclamations injustes et des vexations insolentes des fermiers publics[129] ; et il est singulier que dans tous les siècles, les plus sages et les meilleurs princes aient toujours conservé la méthode dangereuse de réunir dans les mains d’une même régie les principales branches du revenu, ou du moins les douanes et les impôts sur les consommations[130].      

Les sentiments de Caracalla n’étaient pas les mêmes que ceux des Antonins, et ce prince se trouvait réellement dans une position très différente. Nullement occupé, ou plutôt ennemi du bien public, il ne pouvait se dispenser d’assouvir l’avidité insatiable qu’il avait lui-même allumée dans le cœur des soldats. De tous les impôts établis par Auguste, il n’en existait pas de plus étendu, et dont le produit fût plus considérable, que le vingtième sur les legs et sur les héritages. Comme cette taxe n’était pas particulière aux habitants de Rome ni à ceux de l’Italie, elle augmentait continuellement avec l’extension graduelle du droit de bourgeoisie.

Les nouveaux citoyens, quoique soumis également aux nouveaux impôts, dont ils avaient été exempts comme sujets[131], se croyaient amplement dédommagés par le rang et par les privilèges qu’ils obtenaient, et par une perspective brillante d’honneurs et de fortune qui se présentait tout à coup à leur ambition. Mais toute distinction fut détruite par l’édit du fils de Sévère. Loin d’être une faveur, le vain titre de citoyen devint une charge réelle, imposée aux habitants des provinces. L’avide Caracalla ne se contentai pas des taxes qui avaient paru suffisantes à ses prédécesseurs, il ajouta un vingtième à celui qu’on levait déjà sur les legs et sur les héritages. Après, sa mort on rétablit l’ancienne proportion ; mais, pendant son règne[132], toutes les parties de l’empire gémirent sous le poids de son sceptre de fer[133].

Les habitants des provinces une fois soumis aux impositions particulières des citoyens romains, semblaient devoir légitimement être exempts des tributs qu’ils avaient d’abord payés en qualité de sujets. Caracalla et son prétendu fils n’adoptèrent pas de pareilles maximes, ils ordonnèrent que les taxes, tant anciennes que nouvelles, seraient levées à la fois dans tous  leurs domaines. Il était réservé au vertueux Alexandre de délivrer les provinces de cette oppression criante. Ce prince réduisit les tributs à la trentième partie de la somme qu’ils produisaient à son avènement[134]. Nous ignorons par quels motifs il laissa subsister de si faibles restes du mal public. Ces rameaux nuisibles, qui n’avaient point été tout à fait  arrachés, jetèrent de nouvelles racines, s’élevèrent à une hauteur prodigieuse, et dans le siècle suivant répandirent une ombre mortelle sur l’univers romain. Il sera souvent question, dans le cours de cette histoire, de l’impôt foncier, de la capitation et des  contributions onéreuses de blé, de vin, d’huile et d’animaux, que l’on exigeait des provinces pour l’usage de la cour, de l’armée et de la capitale.    

Tant que Rome et l’Italie furent regardées comme le centre du gouvernement, les anciens citoyens conservent un esprit national que les nouveaux adoptèrent insensiblement. Les principaux commandements de l’armée étaient donnés à des hommes qui avaient reçu de l’éducation, qui connaissaient les avantages des lois et des lettres, et qui avaient marché à pas égaux dans la carrière des honneurs, en passant par tous les grades civils et militaires[135]. C’est principalement à leur influence et à leur exemple que nous devons attribuer l’obéissance et la modestie des légions durant les deux premiers siècles de l’empire.

Mais lorsque Caracalla eut foulé aux pieds le dernier rempart de la constitution romaine, à la distinction des rangs succéda par degrés la séparation des états. Les habitants des provinces intérieures, où l’éducation était plus cultivée, furent les seuls propres à être employés comme jurisconsultes, et à remplir les fonctions de la magistrature. La profession plus dure des armes devint le partage des paysans et des Barbares nés sur les frontières, et qui, connaissant d’autre patrie que leur camp, ni d’autre science que celle de la guerre, méprisaient ouvertement les lois civiles, et se soumettaient à peine à la discipline militaire. Avec des mains ensanglantées, des mœurs sauvages et des dispositions féroces, ils défendirent quelquefois le trône des empereurs, et plus souvent encore ils le renversèrent.

 

 

 



[1] Hist. Auguste, p. 71. Omnia fui, et nihil expedit.

[2] Dion Cassius, LXXVI.

[3] Vers l’année 186. M. de Tillemont est ridiculement embarrassé, pour expliquer le passage de Dion, dans lequel on voie l’impératrice Faustine qui moura en 175, contribua au mariage de Sévère et de Julie (LXXIV, p. 1243). Ce savant compilateur ne s’est pas aperçu que Dion rapporte un songe de Sévère, et non un fait réel ; or, les songes ne connaissent pas les limites du temps ni de l’espace. M. de Tillemont s’est-il imaginé que les mariages étaient consommés dans le temple de Vénus à Rome ? Histoire des Empereurs, tome  III, p. 789 note 6.

[4] Histoire Auguste, p.65.

[5] Hist. Auguste, p. 85.

[6] Dion Cassius LXXII, p. 1304, 1314.

[7] Voyez une dissertation de Ménage, à la fin de son édition de Diogène Laërce, de Fœminis philosphis.

[8] Dion, LXXVI, p. 1285 ; Aurelius Victor.

[9] Il fut d’abord nommé Bassianus, comme son grand-père Maternel. Pendant son règne, il prit le nom d’Antonin, sous lequel les jurisconsultes et les anciens historiens l’ont désigné. Après sa mort, ses sujets indignés lui donnèrent les sobriquets de Tarantus et de Caracalla : le premier était le nom d’un célèbre gladiateur ; l’autre venait d'une longue robe gauloise, dont le fils de Sévère fit présent au peuple romain.

[10] L’exact M. de Tillemont fixe l’avènement de Caracalla à l’année 198, et l’association de Geta à l’année 208.

[11] Hérodien, III, p. 130 ; Vies de Caracalla et Geta, dans l’Histoire Auguste.

[12] Dion, LXXVI, p. 1280, etc. ; Hérodien, III, p. 132, etc.

[13] Poésies d’Ossian, vol. I, p. 131, édit. de 1765.

[14] L’opinion que le Caracul d’Ossian est le Caracalla des Romains, est peut-être le seul point d’antiquité britannique sur lequel M. Macpherson et M. Whitaker soient d’accord ; et cependant cette opinion n’est pas sans difficulté. Dans la guerre de Calédonie, le fils de Sévère n’était connu que par le nom d’Antonin. N’est-il pas singulier qu’un poète écossais ait donné à ce prince un sobriquet inventé quatre ans après cette expédition, dont les Romains ont à peine fait usage de son vivant, et que les anciens historiens emploient très rarement ? Voyez Dion, LXXVII, p. 1317 ; Histoire Auguste, p. 89 ; Aurelius Victor ; Eusèbe, in Chron. ad ann. 214.

[15] Dion, LXXVI, p. 1282 ; Histoire Auguste, p. 71 ; Aurelius Victor.

[16] Dion, LXXVI, p. 1283 ; Histoire Auguste, p. 89.

[17] Dion, LXXVI, p. 1284 ; Hérodien, III, p. 135.

[18] M. Hume s’étonne, avec raison, d’un passage d’Hérodien (IV, p. 139), qui représente, à cette occasion, le palais des empereurs comme égal en étendue au reste de Rome. Le mont Palatin, sur lequel il était bâti, n’avait tout au plus que onze ou douze mille pieds de circonférence (voyez la Notit. Victor dans  la Roma antica de Nardini) ; mais il ne faut pas oublier que les palais et les jardins immenses des sénateurs entouraient presque toute la ville, et que les empereurs en avaient confisqué la plus grande partie. Si Geta demeurait sur le Janicule, dans les jardins qui portèrent son nom, et si Caracalla habitait les jardins de Mécène sur le mont Esquilin, les frères rivaux étaient séparés l’un de l’autre par une distance de plusieurs milles ; l’espace intermédiaire était occupé par les jardins impériaux de Salluste, de Lucullus, d’Agrippa, de Domitien, de Caïus, etc. Ces jardins formaient un cercle autour de la ville et ils tenaient l’un à l’autre, ainsi qu’au palais, par des ponts jetés sur le Tibre, et qui traversaient les rues de Rome. Si ce passage d’Hérodien méritait d’être expliqué, il exigerait une dissertation particulière et une carte de l’ancienne Rome.

[19] Hérodien, IV, p. 139.

[20] Hérodien, IV, p. 144.

[21] Caracalla consacra dans le temple de Sérapis l’épée avec laquelle il se vantait d’avoir tué son frère Geta. Dion, LXXVII, p. 1307.

[22] Hérodien , IV, p. 147. Dans tous les camps romains, on élevait, prés du quartier général, une petite chapelle où les divinités tutélaires étaient gardées et adorées. Les aigles, et les autres enseignes militaires tenaient le premier rang parmi ces divinités : institution excellente, qui affermissait la discipline par la sanction de la religion. Voyez Juste-Lipse, de Militiâ romanâ, IV, 5 ; V, 2.

[23] Hérodien, IV, p. 148 ; Dion-Cassius, LXXVII, p. 1289.

[24] Geta fut placé parmi les dieux. Sit divus, dit son frère, dum non sit vivus (Hist. Auguste, p. 91). On trouve encore sur les médailles quelques marques de la consécration de Geta.

[25] Ce n’est pas seulement sur un sentiment de pitié que se fonde le jugement favorable que l’histoire a porté de Geta, le témoignage des écrivains de son temps vient à l’appui : il aimait trop les plaisirs de la table, et se montrait plein de méfiance pour son frère ; mais il était humain, instruit ; il chercha souvent à adoucir les ordres rigoureux de Sévère et de Caracalla. Hérodien, IV, 3 ; Spartien, in Geta, c. 4 (Note de l’Éditeur).

[26] Dion, LXXVII, p. 1307.

[27] Dion, LXXVII, p. 1290 ; Hérodien, IV, p. 150. Dion-Cassius dit (p. 1298) que les poètes comiques n’osèrent plus employer le nom de Geta dans leurs pièces, et que l’on confisquait les biens de ceux qui avaient nommé ce malheureux prince dans leurs testaments.

[28] Caracalla avait pris les noms de plusieurs nations vaincues. Comme il avait remporté quelques avantages sur les Goths ou Gètes, Pertinax remarqua que le nom de  Geticus conviendrait parfaitement à l’empereur, après ceux de Pathicus, Almannicus, etc. Hist. Auguste, p. 89

[29] Dion, LXXVII, p. 1291. Il descendait probablement d’Helvidius-Priscus et de Thrasea-Pœtus, ces illustres patriotes, dont la vertu intrépide, mais inutile et déplacée, a été immortalisée par Tacite.

La vertu n’est pas un bien dont la valeur s’estime comme celle d’un capital ; d’après les revenus qu’elle rapporte : son plus beau triomphe est de ne pas faiblir, lors même qu’elle se sent inutile pour le bien public, et déplacée au milieu des vices qui l’entourent : telle fut celle de Thrasea-Pœtus : Néron voulut enfin détruire la vertu elle-même en faisant périr Thrasea-Pœtus (Tacite, Ann., XVI, c. 21). Quelle différence entre la froide observation de Gibbon et le sentiment d’admiration qui animait Juste Lipse lorsqu’il s’écriait au nom de Thrasea : Je te salue, homme illustre, nom  sacré pour moi parmi ceux des sages Romains ! Tu étais l’honneur de la nation gauloise, l’ornement du sénat romain, l’astre qui brillait dans ce siècle de ténèbres. Ta vie, passée au milieu des hommes, s’est élevée au-dessus de l’humanité ; ta probité, ta fermeté, ta sagesse, sont sans exemple, et ta mort peut seule se dire l’égale de ta vie.

Néron lui-même ne regardait pas la vertu de Thrasea comme inutile : peu après la mort de ce courageux sénateur, qu’il avait tant craint et tant haï, il répondit à un homme qui se plaignait de la manière injuste dont Thrasea avait jugé un procès : Plût à Dieu que Thrasea eût été mon ami aussi bien qu’il était juge intègre ! (Plutarque, Mor., c. 14) (Note de l’Éditeur)

[30] On prétend que Papinien était parent de l’impératrice Julie.

[31] Tacite, Ann., XIV, II.

[32] Histoire Auguste, p. 88.

[33] Au sujet de Papinien, voyez Historia juris romani, de Heineccius, l. CCCXXX, etc.

[34] Papinien n’était plus alors préfet du prétoire ; Caracalla lui avait ôté cette charge aussitôt après la mort de Sévère : c’est ce que rapporte Dion (p. 1287) ; et le témoignage de Spartien, qui donne à Papinien la préfecture du prétoire jusqu’à sa mort, est de peu de valeur, opposé à celui d’un sénateur qui vivait à Rome (Note de l’Éditeur).

[35] Tibère et Domitien ne s’éloignèrent jamais des environs de Rome. Néron fit un petit voyage en Grèce. Et laudatorum principum usus, ex œquo quamvis procul agentibus. Sœvi proximis ingruunt. Tacite, Hist., IV, 75.

[36] Dion, LXXVII, p. 1294.

[37] Dion, LXXVII, p. 1307 ; Hérodien, IV, p. 158. Le premier représente ce massacre comme un acte de cruauté ; l’autre prétend qu’on y employa aussi de la perfidie. Il paraît que les Alexandrins avaient irrité le tyran par leurs railleries, et peut-être par leurs tumultes.

Après ces massacres, Caracalla priva encore les Alexandrins de leurs spectacles et de leurs banquets en commun : il divisa la ville en deux parties, au moyen d’une muraille ; il la fit entourer de forteresses, afin que les citoyens ne pussent plus communiquer tranquillement. Ainsi fut traitée la malheureuse Alexandrie, dit Dion, par la bête féroce d’Ausonie.  Telle était en effet l’épithète que donnait à Caracalla l’oracle rendu sur son compte : on dit même que ce nom lui plus fort, et qu’il s’en vantait souvent. Dion, LXXVII, p. 1307 (Note de l’Éditeur).

[38] Dion, LXXVII, p. 1296.

[39] Dion, LXXVI, p. 1284. M. Wotton (Histoire de Rome, p. 330) croit que cette maxime fût inventée par Caracalla, et attribuée par lui à son père.

[40] Selon Dion (LXXVIII, p. 1343) les présents extraordinaires que Caracalla faisait à ses troupes, se montaient annuellement à soixante dix millions de drachmes, environ deux millions trois cent cinquante mille liv. sterling. Il existe, touchant la paye militaire, un autre passage de Dion, qui serait infiniment curieux s’il n’était pas obscur, imparfait, et probablement corrompu. Tout ce qu’on peut y découvrir, c’est que les soldats prétoriens recevaient par an douze cent cinquante drachmes, quarante liv. sterl. (Dion, LXXVII, p. 1307). Sous le règne d’Auguste, ils avaient par jour deux drachmes ou deniers, sept cent vingt par an (Tacite, Ann., I, 17). Domitien, qui augmenta la paye des troupes d’un quart, a dû porter celle des prétoriens à neuf cent soixante drachmes (Gronovius, de Pecuniâ vetere, III, c. 2). Ces augmentations successives ruinèrent l’empire ; car le nombre des soldats s’accrut avec leur paye : les prétoriens seuls, qui n’étaient d’abord que dix mille hommes, furent ensuite de cinquante mille.

Valois et Reimarus ont expliqué d’une manière très simple et très probable, ce passage de Dion (LXXVII, p. 1307), que Gibbon ne me paraît pas avoir compris :

Il ordonna que les soldats recevraient de plus qu’ils n’avaient encore reçu pour prix de leurs services, les prétoriens douze cent cinquante drachmes, et les autres cinq mille drachmes.

Valois pense que les nombres ont été transposés, et que Caracalla ajouta à la gratification des prétoriens cinq mille drachmes, et douze cent cinquante à celle des légionnaires. Les prétoriens, en effet, ont toujours reçu plus que les autres : l’erreur de Gibbon est d’avoir cru qu’il s’agissait ici de la paye annuelle des soldats, tandis qu’il s’agit de la somme qu’ils recevaient, pour prix de leur service, au moment où ils obtenaient leur congé : αθλον της στρατειας signifie récompense du service. Auguste avait établi que les prétoriens, après seize campagnes, recevraient cinq mille drachmes : les légionnaires n’en recevaient que trois mille après vingt ans. Caracalla ajouta cinq mille drachmes à la gratification des prétoriens, et douze cent cinquante à celle des légionnaires. Gibbon parait s’être mépris, et en confondant ces gratifications de congé avec la paye annuelle, et en n’ayant pas égard à l’observation de Valois sur la transposition des nombres dans le texte de Dion (Note de l’Éditeur).

[41] Charrœ, aujourd’hui Harran, entre Édesse et Nisibis, célèbre par la défaite de Crassus. C’est de là que partit Abraham pour se rendre dans le pays de Canaan. Cette ville a toujours été remarquable par son attachement au sabéisme (Note de l’Éditeur).

[42] Dion, LXXVIII, p. 1312 ; Hérodien, IV, p. 168.

[43] La passion de Caracalla pour Alexandre paraît encore sur les médailles du fils de Sévère. Voyez Spanheim, de Usu numismat., dissert. XII. Hérodien (IV, p. 154) avait vu des peinturés ridicules, représentant une figure qui ressemblait d’un côté à Alexandre, et de l’autre à Caracalla.

[44] Hérodien, IV, p. 169 ; Hist. Auguste, p.94.

[45] Dion, LXXXVIII, p. 1350. Élagabal reprocha à son prédécesseur d’avoir osé s’asseoir sur le trône, bien que, comme préfet du prétoire, il n’eût pas la liberté de demeurer dans le sénat lorsque le public avait ordre de se retirer. La faveur personnelle de Plautien et de Séjan, les avait mis au-dessus de toutes les lois. A la vérité, ils avaient été tirés de l’ordre équestre ; mais ils conservèrent la préfecture avec le rang de sénateur, et même avec le consulat.

[46] Il était né à Césarée, dans la Numidie, et il fut d’abord employé dans la maison de Plautien, dont il fut sur le point de partager le sort malheureux. Ses ennemis ont avancé que né dans l’esclavage, il avait exercé plusieurs professions infâmes, entre autres celle de gladiateur. La coutume de noircir l’origine et la condition d’un adversaire, parait avoir duré depuis le temps des orateurs grecs jusqu’aux savants grammairiens du dernier siècle.

[47] Dion et Hérodien parlent des vertus et des vices de Macrin avec candeur et avec impartialité ; mais l’auteur de sa Vies, dans l’Histoire Auguste, paraît avoir aveuglément copié quelques-uns de ces écrivains dont la plume vénale, vendue à l’empereur Élagabal, a noirci la mémoire son prédécesseur.

[48] Dion, LXXXIII, p. 1336. Le sens de l’auteur est aussi clair que l’intention du prince ; mais M. Wotton n’a compris ni l’un ni l’autre en appliquant la distinction, non aux vétérans et aux recrues, mais aux anciennes et aux nouvelles légions. Histoire de Rome, p. 347.

[49] Dès que cette princesse eut appris la mort de Caracalla, elle voulût se laisser mourir de faim : les égards que Macrin lui témoigna, en ne changeant rien à sa suite et à sa cour, l’engagèrent à vivre ; mais il paraît, autant du moins que le texte tronqué de Dion et l’abrégé imparfait de Xiphilin nous mettent en état d’en juger, qu’elle conçut des projets ambitieux, et tenta de s’élever à l’empire. Elle voulait marcher sur les traces de Sémiramis et de Nitocris, dont la patrie était voisine de la sienne. Macrin lui fit donner l’ordre de quitter sur le champ Antioche et de se retirer où elle voudrait ; elle revint alors à son premier dessein, et se laissa mourir de faim. Dion, LXXVIII, p. 1330 (Note de l’Éditeur).

[50] Dion, LXXVIII, p. 1330. L’abrégé de Xiphilin, quoique moins rempli de particularité est ici plus clair que l’original.

[51] Il tenait ce nom de son bisaïeul maternel, Bassianus, père de Julie-Mœsa,  sa grand’mère, et de Julie-Domna , femme de Sévère. Victor (dans l’Épitomé) est peut-être le seul historien qui ait donné la clef de cette généalogie, en disant de Caracalla : Hic Bassianus ex avi materni nomine dictus. Caracalla, Élagabal et Alexandre-Sévère portent successivement ce nom (Note de l’Éditeur).

[52] Selon Lampride (Hist. Auguste, p. 135 ), Alexandre-Sévère vécut vingt-neuf ans trois mois et sept jours. Comme il fut tué le 19 mars 235, il faut fixé sa naissance au 12 décembre 255. Il avait alors treize  ans, et son cousin environ dix-sept. Cette supputation convient mieux à l’histoire de ces deux jeunes princes que celle d’Hérodien, qui les fait de trois ans plus jeûnes (V, p. 181). D’un autre côté, cet auteur allonge de d’eux années le règne d’Élagabal. On peut voir les détails de la conspiration dans Dion, LXXVIII, p. 1339, et dans Hérodien, V, p. 184.

[53] En vertu d’une dangereuse proclamation du prétendu Antonin, tout soldat qui apportait la tête de son officier pouvait hériter de son bien et être revêtu de son grade militaire.

[54] Dion, LXXVIII, p. 1345 ; Hérodien, V, p. 186. La bataille se donna le 7 juin 218, près du village d’Immæ, environ à vingt-deux milles d’Antioche.

[55] Gannys n’était pas un eunuque. Dion, p. 1355 (Note de l’Éditeur).

[56] Dion, LXXIX, p. 1350.

[57] Dion, LXXIX, p. 1363 ; Hérodien, V, p. 189.

[58] Ce nom vient de deux mots syriaques, ela, dieu, et gabal, former : le dieu formant ou plastique; dénomination juste et même heureuse pour le Soleil. Wotton, Histoire de Rome, p. 378.

Le nom d’Élagabale a été défiguré de plusieurs manières : Hérodien l’appelle Ελαιαγαβαλος ; Lampride et les écrivains plus modernes en ont fait Héliogabale. Dion le nomme Ελεγαβαλος ; mais Élagabal est son véritable nom tel que le donnent les médailles. (Eckhel, de Doct. num. vet., t. VII, p. 250) . Quant à son étymologie, celle que rapporte Gibbon est donnée par Bochart (Chan., II, c. 5) ; mais Saumaise, avec plus de fondement (Not. ad Lamprid., in Elagab.), tire ce nom d’Élagabale de l’idole de ce dieu, représenté par Hérodien et dans les médailles sous la figure d’une montagne (gibel en hébreu) ou grosse pierre taillée en pointe, avec des marques qui représentaient le Soleil. Comme il n’était pas permis, à Hiérapolis en Syrie, de faire des statues du Soleil et de la Lune, parce que, disait-on, ils sont eux-mêmes assez visibles, le Soleil fut représenté à Émèse sous la figure d’une grosse pierre qui, à ce qu’il parait, était tombée du ciel. Spanheim, Cœsar, Preuves, p. 46 (Note de l’Éditeur).

[59] Hérodien, V, p. 190.

[60] Il força le sanctuaire de Vesta, et il emporta une statue qu’il croyait être le Palladium ; mais les vestales se vantèrent d’avoir, par une pieuse fraude, trompé le sacrilège en lui présentant une fausse image de la déesse. Hist. Auguste, p. 103.

[61] Dion, LXXIX, p. 1360 ; Hérodien, V, p. 193. Les sujets de l’empire furent obligés de faire de riches présents aux nouveaux époux. Mammée, dans la suite, exigea des Romains tout ce qu’ils avaient promis pendant la vie d’Élagabale.

[62] La découverte d’un nouveau mets était magnifiquement récompensé ; mais s’il ne plaisait pas, l’inventeur était condamné à ne manger que de son plat, jusqu’à ce qu’il en eût imaginé un autre qui flattât davantage le goût de l’empereur. Hist. Auguste, p. 112.

[63] Il ne mangeait jamais de poisson que lorsqu’il se trouvait à une grande distance de la mer : alors il en distribuait aux paysans une immense quantité des plus rares espèces, dont le transport coûtait des frais énormes.

[64] Dion , LXXIX, p. 1358 ; Hérodien, V, p. 192.

[65] Ce fut Hiéroclès qui eut cet honneur ; mais il aurait     été supplanté par un certain Zoticus, s’il n’eût pas trouvé le moyen d’affaiblir son rival par une potion. Celui-ci fut chassé honteusement du palais, lorsqu’on trouva que sa force ne répondait pas à sa réputation (Dion, LXXIX, p. 1363-1364). Un danseur fut nommé préfet de la cité ; un cocher préfet de la garde, un barbier préfet des provisions. Ces trois ministres et plusieurs autres officiers inférieurs étaient recommandables enormitate membrorum. Voyez l’Histoire Auguste, p. 105.

[66] Le crédule compilateur de sa vie est lui-même porté à croire que ses vices peuvent avoir été exagérés. Hist. Auguste, p. 111.

[67] Dion, LXXIX, p. 1365 ; Hérodien, V, p. 195-201 ; Hist.  Auguste, p. 105. Le dernier de ces trois historiens semble avoir suivi les meilleurs auteurs dans le récit de la révolution.

[68] L’époque de la mort d’Élagabale et de l’avènement d’Alexandre a exercé l’érudition et la sagacité de Pagi, de Tillemont, de Valsecchi, de Vignoles et de Torre, évêque d’Adria. Ce point d’histoire est certainement très obscur ; mais je m’en tiens à l’autorité de Dion, dont le calcul est évident, et dont le texte ne peut être corrompu , puisque Xiphilin, Zonare et Cedrenus, s’accordent tous avec lui. Élagabale régna trois ans neuf mois et quatre jours depuis sa victoire sur Macrin, et il fut tué le 10 mars 222. Mais que dirons-nous en lisant sur des médailles authentiques la cinquième année de sa puissance tribunitienne ? Nous répliquerons avec le savant Valsecchi que l’on n’eut aucun égard à l’usurpation de Macrin, et que le fils de Caracalla data son règne de la mort de son père. Après avoir résolu cette grande difficulté il est aisé de délier ou découper les autres nœuds de la question.

Cette opinion de Valsecchi a été victorieusement combattue par Eckhel, qui a montré l’impossibilité de la faire concorder avec les médailles d’Élagabale, et qui a donné l’explication la plus satisfaisante des cinq tribunats de cet empereur. Il monta sur le trône et reçut la puissance tribunitienne le 16 mai, l’an de Rome 971 ; et le 1er janvier de l’année suivante 972, il recommença un nouveau tribunat, selon l’usage établi par les empereurs précédents. Pendant les années 972, 973, 974, il jouit du tribunat, et il commença le cinquième, l’année 975, pendant laquelle il fut tué, le 10 mars. Eckhel, de Doct. num. veter., t. VIII, p. 430 et suiv. (Note de l’Éditeur).

[69] Lampride dit que les soldats le lui donnèrent dans la suite, à cause, de sa sévérité dans la discipline militaire. Lampr., in Alex.-Sev., c. 12 et 25 (Note de l’Éditeur).

[70] Hist. Auguste, p. 114. En se conduisant avec une précipitation si peu ordinaire, le sénat avait intention de détruire les espérances des prétendants, et de prévenir les factions des armées.

[71] Si la nature eût été assez bienfaisante pour nous donner l’existence sans le secours des femmes, nous serions débarrassés d’un compagnon très importun. C’est ainsi que s’exprima Metellus-Numidicus le Censeur devant le peuple romain ; et il ajouta que l’on ne devait considérer le mariage que comme le sacrifice d’un plaisir particulier à un devoir public. Aulu-Gelle, I, 16.

[72] Tite-Live, Annales, XII, 5.

[73] Histoire Auguste, p. 102, 107.

[74] Dion, LXXX, p. 1369 ; Hérodien, VI, 206 ; Hist. Auguste, p. 131. Selon Hérodien, le patricien était innocent. L’Histoire Auguste, sur l’autorité de Dexippus, le condamne comme coupable d’une  conspiration contre la vie d’Alexandre. Il est impossible de prononcer entre eux ; mais Dion est un témoin irréprochable de la  jalousie et de la cruauté de Mammée envers la jeune impératrice, dont Alexandre déplora la cruelle destinée, sans avoir la force de s’y opposer.

[75] Hérodien, VI, p. 203 ; Hist. Auguste, p. 119. Selon ce dernier historien lorsqu’il s’agissait de faire une loi, on admettait dans le conseil des jurisconsultes habiles et des sénateurs expérimentés, qui donnaient leurs avis séparément, et dont l’opinion était mise par écrit.

[76] Voyez sa vie dans l’Histoire Auguste. Le compilateur a rassemblé sans aucun goût, une foule de circonstances triviales, dans lesquelles on démêle un petit nombre d’anecdotes intéressantes.

[77] Alexandre admit dans sa chapelle tous les cultes répandus dans l’empire : il y reçut Jésus-Christ, Abraham, Orphée, Apollonius de Tyane, etc. (Lampride, in Hist. Auguste, c. 29). Il est presque certain que sa mère Mammée l’avait instruit dans la morale du christianisme ; les historiens s’accordent généralement à la dire chrétienne ; il y a lieu de croire du moins qu’elle avait commencé à goûter les principes du christianisme (Voyez Tillemont, sur Alexandre-Sévère). Gibbon n’a pas rappelé cette circonstance ; il paraît même avoir voulu rabaisser le caractère de cette impératrice : il a suivi presque partout la narration d’Hérodien, qui, de l’aveu même de Capitolin (in Maximino, c. 13), détestait Alexandre. Sans croire aux éloges exagérés de Lampride, il eût pu ne pas se conformer à l’injuste sévérité d’Hérodien, et surtout ne pas oublier de dire que le vertueux Alexandre-Sévère avait assuré aux juifs la conservation de leurs privilèges, et permis l’exercice du Christianisme (Hist. Auguste, p. 121). Des chrétiens ayant établi leur culte dans un lieu public, des cabaretiers en demandèrent à leur place, non la propriété, mais l’usage : Alexandre répondit qu’il valait mieux que ce lieu servît à honorer Dieu, de quelque manière que ce fût, qu’à des cabaretiers (Hist. Auguste, p. 131) (Note de l’Éditeur).

[78] Voyez la treizième satire de Juvénale.

[79] Histoire Auguste, p. 119.

[80] La dispute qui s’éleva à ce sujet entre Alexandre et le sénat, se trouve extraite des registres de cette compagnie dans l’Histoire Auguste, p 116-117. Elle commença le 6 mars, probablement l’an 223, temps où les Romains avaient goûté pendant près d’un an les douceurs du nouveau règne. Avant d’offrir au prince la dénomination d’Antonin comme un titre d’honneur, le sénat avait voulu attendre pour savoir, s’il ne la prendrait pas comme un nom de famille.

[81] L’empereur avait coutume de dire : Se milites magis servare quam se ipsum, quod salus publica in his esset. Histoire Auguste, p. 130.

[82] Gibbon a confondu ici deux événements tout à fait différents ; la querelle du peuple avec les prétoriens, qui dura trois jours, et le meurtre d’Ulpien, commis par ces derniers. Dion raconte d’abord la mort d’Ulpien : revenant ensuite en arrière, par une habitude qui lui est assez familière, il dit que du vivant d’Ulpien il y avait eu une guerre de trois jours entre les prétoriens et le peuple ; mais Ulpien n’en était point la cause ; Dion dit  au contraire qu’elle avait été occasionnée par un fait peu important, tandis qu’il donne la raison du meurtre d’Ulpien en l’attribuant au jugement par lequel ce préfet du prétoire avait condamné à mort ses deux prédécesseurs Chrestus et Flavien, que les soldats voulurent venger. Zozime attribue (I, II) cette condamnation à Mammée ; mais les troupes peuvent, même alors, en avoir imputé la faute à Ulpien qui en avait profité, et qui d’ailleurs leur était odieux (Note de l’Éditeur).

[83] Quoique l’auteur de la Vie d’Alexandre (Hist. Auguste, p. 132) parle de la sédition des soldats contre Ulpien, il passe sous silence la catastrophe qui pouvait être une marque de faiblesse dans l’administration de son héros. D’après une pareille omission, nous pouvons juger de la fidélité de cet auteur, et de la confiance qu’il mérite.

[84] On peut voir dans la fin tronquée de l’Histoire de Dion (LXXX, p. 1371) quel fut le sort d’Ulpien, et à quels dangers Dion fut exposé.

[85] Dion ne possédait point de terres en Campanie et n’était pas riche. Il dit seulement que l’empereur lui conseilla d’aller, pendant son consulat, habiter, quelque lieu hors de Rome ; qu’il revint à Rome après la fin de son consulat, et eut occasion de s’entretenir avec l’empereur en Campanie. Il demanda et obtint la permission de passer le reste de sa vie dans sa ville natale (Nicée en Bithynie) ; ce fut là qu’il mit la dernière main à son histoire, qui finit avec son second consulat (Note de l’Éditeur).

[86] Annotation. Reymar ad Dion, LXXX, p. 1369.

[87] Jules César avait apaisé une sédition par le même mot quirites, qui, opposé à celui de soldats, était un terme de mépris, et réduisait les coupables à la condition moins honorable de simples citoyens. Tacite, Annal., I, 43.

[88] Histoire Auguste, p. 132.

[89] Des Metellus (Hist. Auguste, p. 119). Le choix était heureux. Dans une période de douze ans, les Metellus obtinrent sept consulats et cinq triomphes. Voyez Velleius Paterculus, II, II, et les Fastes.

[90] La Vie d’Alexandre dans l’Histoire Auguste, présente le modèle d’un prince accompli ; c’est une faible copie de la Cyropédie de Xénophon. Le récit de son règne tel que nous l’a donné Hérodien, est sensé, et cadre avec l’histoire générale du siècle. Quelques-unes des particularités les plus défavorables qu’elle renferme sont également rapportée dans les fragments de Dion. Cependant la plupart de nos écrivains modernes, aveuglés par le préjugé, accablent de reproches Hérodien, et copient servilement l’Hist. Auguste (voyez MM. de Tillemont et Wotton). Par un préjugé contraire, l’empereur Julien (in Cæsaribus, p. 31) prend plaisir à peindre la faiblesse efféminée du Syrien, et l’avarice ridicule de sa mère.

[91] Les historiens sont partagés sur le succès de l’expédition contre les Perses : Hérodien est le seul qui parle de défaites ; Lampride, Eutrope, Victor et autres, disent qu’elle fut très glorieuse pour Alexandre ; qu’il battit Artaxerce dans une grande bataille, et le repoussa des frontières de l’empire. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’Alexandre, de retour à Rome, jouit des honneurs du triomphe (Lampride, Hist. Auguste, c. 56, p. 133-134), et qu’il dit, dans son discours au peuple : Quirites, vicimus Persas, milites divites reduximus, vobis congiarium pollicemur, cras ludos circenses persicos dabimus. Alexandre, dit Éckhel, avait trop de modération , trop de sagesse, pour permettre qu’on lui rendit des honneurs qui ne devaient être le prix que de la victoire, s’il ne les avait mérités ; il se serait borné à dissimuler sa perte. (Eckhel, Doct. numis, vet., tome VII; page 276) Les médailles le portent comme triomphateur ; une entre autres le représente couronné par la Victoire, au milieu des deux fleuves, l’Euphrate et le Tibre. P. M. TR. P. XII. Cos. III. P. P. Imperator paludatus D. hastam, S. parazonium stat inter duos fluvios humi jacentes et ab accedente retro Victoriâ coronatur. Æ. max. mod. (Mus. Reg. Gall.) Quoique Gibbon traite cette question avec plus de détail en parlant de la monarchie des Perses, j’ai cru devoir placer ici ce qui contredit son opinion (Note de l’Éditeur).

[92] Selon l’exact Denys d’Halicarnasse, la ville elle-même n’était éloignée de Rome que de cent stades (environ douze milles et demi), bien que quelques postes avancés pussent s’étendre plus loin du côté de l’Étrurie. Nardini a combattu, dans un traité particulier, l’opinion reçue et l’autorité de deux papes, qui plaçaient Véies à Civita-Castellana : ce savant croit que cette ancienne ville était située dans un petit endroit appelé Isola, a moitié chemin de Rome et du lac Bracciano.

[93] Voyez les IVe et Ve livres de Tite-Live. Dans le cens des Romains, la propriété, la puissance et la taxe, étaient exactement proportionnées l’une sur l’autre.

[94] Pline, Hist. nat., XXXIII, c. 3 ; Cicéron, de Officiis, II, 22 ; Plutarque, Vie de Paul-Émile, p. 275.

[95] Voyez dans la Pharsale de Lucain une belle description de ces trésors accumulés par les siècles, III, v. 155, etc.

[96] Se rationarium imperii (Voyez, outre Tacite, Suétone, dans Auguste, c. ult., et Dion, p. 832). D’autres empereurs tinrent des registres pareils et les publièrent (voyez une dissertation du docteur Wolle, dè Rationario imperii rom., Leipzig, 1773). Le dernier livre d’Appien contenait aussi une statistique de l’empire romain ; mais il est perdu (Note de l’Éditeur).

[97] Tacite, Annales, I, II. Il paraît que ce registre existait du temps d’Appien.

[98] Plutarque, Vie de Pompée, p. 642.

[99] Ce calcul n’est pas exact. Selon Plutarque, les revenus de l’Asie romaine, avant Pompée, étaient de 50 millions de drachmes ; Pompée, les porta à 85 millions, c’est-à-dire, 2.744.791 liv. sterl. ; environ 65 millions de notre monnaie. Plutarque dit, d’autre part, qu’Antoine fit payer à l’Asie, en une seule fois, 200.000 talents, c’est-à-dire, 38.750.000 liv. sterl., environ 930.000.000 francs, somme énorme ; mais, Appien l’explique en disant que c’était le revenu de dix ans, ce qui porte le revenu annuel, du temps d’Antoine, à 20.000 talents ou 3.875.000 sterl., environ 93.000.000 francs (Note de l’Éditeur).

[100] Strabon, XVII, p. 798.

[101] Velleius Paterculus, II, c. 39. Cet auteur semble donner la préférence au revenu de la Gaule.

[102] Les talents cuboïques, phéniciens et alexandrins, pesaient le double des talents attiques. Voyez Hooper, sur les Poids et Mesures des anciens, p. IV, c. 5. Il est probable que le même talent fut porté de Tyr à Carthage.

[103] Polybe, XV, 2.

[104] Appien, in Punicis, p. 84.

[105] Diodore de Sicile, V. Cadix fut bâti par les Phéniciens un peu plus de mille ans avant la naissance de Jésus-Christ. Voyez Velleius Paterculus, I, 2.

[106] Strabon, III, p. 148.

[107] Pline, Hist. nat., XXXIII, c. 3. Il parle aussi d’une mine d’argent en Dalmatie, qui en fournissait par jour cinquante livres à l’État.

[108] Strabon, X, p. 485 ; Tacite, Annal., III, 69, et IV, 30. Voyez dans Tournefort (Voyage au Levant, lettre VIII) une vive peinture de la misère où se trouvait alors Gyare.

[109] Juste Lipse (de Megnitudine romanâ, II, c. 3) fait monter le revenu à cent cinquante millions d’écus d’or ; mais tout son ouvrage, quoique ingénieux et rempli d’érudition, est le fruit d’une imagination très échauffée.

Si Juste Lipse a exagéré le revenu de l’empire romain, Gibbon, d’autre part, l’a trop diminué. Il le fixe environ de quinze à vingt millions sterl. (de trois cent soixante à quatre cent quatre-vingt millions de francs) ; mais si l’on prend seulement, d’après un calcul modéré, les impôts des provinces qu’il a déjà citées, ils se montent à peu prés à cette somme, eu égard aux augmentations qu’y ajouta Auguste : il reste encore les provinces de l’Italie, de la Rhétie, de la Norique, de la Pannonie, de la Grèce, etc., etc. ; qu’on fasse attention, de plus, aux prodigieuses dépenses de quelques empereurs (Suétone, Vespasien, 16), on verra que de tels revenus n’auraient pu y suffire. Les auteurs de l’Histoire universelle (partie XII) assignent quarante millions sterl. (environ neuf cent soixante millions de francs), comme la somme à laquelle pouvaient s’élever à peu près les revenus publics (Note de l’Éditeur).

[110] Il n’est pas étonnant qu’Auguste tint ce langage. Le sénat déclara aussi, sous Néron, que l’État ne pouvait subsister sans les impôts tant augmentés qu’établis par Auguste (Tacite, Annales, XII, 50). Depuis l’abolition des différents tributs que payait l’Italie, abolition faite en 646-694 et 695 de Rome [108, 60 et 59 av. J.-C.], l’État ne retirait pour revenu de ce vaste pays que le vingtième des affranchissements (vicesima manumissionum), Cicéron s’en plaint en plusieurs endroits, notamment dans ses Lettres à Atticus, II, lettre 15 (Note de l’Éditeur).

[111] Les douanes (portoria) existaient déjà du temps des anciens rois de Rome ; elles furent supprimées pour l’Italie l’an de Rome 694 [60 av. J.-C.], par le préteur Cecilius Metellus Nepos : Auguste ne fit ainsi que les rétablir (Note de l’Éditeur).

[112] Ils n’avaient été exempts si longtemps que de l’impôt personnel ; quant aux autres impôts l’exemption ne datait que des années 646-94, 95 [108, 60, 59 av. J.-C.]. (Note de l’Éditeur).

[113] Tacite, Annales, XIII, 31.

[114] Voyez Pline (Hist. nat., VI, 23 ; XII, 18) : il observe que les marchandises de l’Inde se vendaient à Rome cent fois leur valeur primitive ; de là nous pouvons nous former quelque idée du produit des douanes ; puisque cette valeur primitive se montait à plus de huit cent mille liv. sterling.

[115] Dans les Pandectes, l. 39, t. IV, de Publican. Comparez Cicéron, Verrin, II, 72 et 74 (Note de l’Éditeur).

[116] Les anciens ignoraient l’art de tailler le diamant.

[117] M. Bouchaud, dans son Traité de l’impôt chez les Romains, a transcrit cette liste, qui se trouve dans le Digeste, et il a voulu l’éclaircir par un commentaire très prolixe.

[118] Tacite, Annales, I, 78. Deux ans après, l’empereur Tibère, qui venait de réduire le royaume de Cappadoce, diminua de moitié l’impôt sur les consommations ; mais cet adoucissement ne fut pas de longue durée.

[119] Dion ne parle ni de cette proposition ni de la capitation ; il dit seulement que l’empereur mit un impôt sur les fonds de terre, et envoya partout des hommes chargés d’en dresser le tableau, sans fixer comment et pour combien chacun devait y contribuer. Les sénateurs aimèrent mieux alors approuver la taxe sur les legs et héritages (Note de l’Éditeur).

[120] Dion, LV, p. 794 ; LVI, p. 825.

[121] La somme n’est fixée que par conjecture.

[122] Pendant plusieurs siècles de l’existence du droit romain, les cognati ou parents de la mère ne furent point appelés à la succession. Cette loi cruelle fut insensiblement détruite par l’humanité, et enfin abolie par Justinien.

[123] Pline, Panégyrique, 37.

[124] Voyez Heineccius, Antiquit. juris rom., II.

[125] Horace, II, sat. 5 ; Pétrone, 116, etc. ; Pline, II, lettre 20.

[126] Cicéron, Philippiques, II, 16.

[127] Voyez ses Lettres. Tous ces testaments lui donnaient occasion de développer son respect pour les morts et sa justice pour les vivants. Il sut accorder ces deux sentiments dans la manière dont il se conduisit envers un fils qui avait été déshérité par sa mère (V, 1).

[128] Tacite, Annales, XIII, 50 ; Esprit des Lois, XII, 19.

[129] Voyez le Panégyrique de Pline, l’Histoire Auguste, et Burmann, de Victigal. passim.

[130] Les tributs proprement dits n’étaient point affermés, puisque les bons princes remirent souvent plusieurs millions d’arrérages.

[131] La condition des nouveaux citoyens est très exactement exposée par Pline (Panégyrique, 37-39,) : Trajan publia une loi très favorable pour eux.

[132] Gibbon a adopté l’opinion de Spanheim et de Bormann, qui attribuent à Caracalla cet édit, qui donnait le droit de cité à tous les habitants des provinces : cette opinion peut-être contestée ; plusieurs passages de Spartien, d’Aurelius Victor et d’Aristide, attribuent cet édit à Marc-Aurèle. (Voyez sur ce sujet une savante dissertation intitulée : Joh. P. Mahneri, Commetatio de Marco Aurelio Antonino, constitutionis de civitate universo orbi romano data auctore. Halæ, 1772, in-8°.) Il paraît que Marc-Aurèle avait mis à cet édit des modifications qui affranchissaient les provinciaux de quelques-unes des charges qu’imposait le droit de cité, en les privant de quelques-uns des avantages qu’il conférait, et que Caracalla leva ces modifications (Note de l’Éditeur).

[133] Dion, LXXVII, p. 1295.

[134] Celui qui était taxé à dix aurei, le tribut ordinaire, ne paya plus que le tiers d’un areus et Alexandre fit en conséquence frapper de nouvelles pièces d’or. Hist. Auguste, p. 127, avec les Commentaires de Saumaise.

[135] Voyez l’histoire d’Agricola, de Vespasien, de Trajan, de Sévère, de ses trois compétiteurs, et généralement de tous les hommes illustres de ce temps.