Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain

 

Chapitre premier

Étendue et force militaire de l’empire dans le siècle des Antonins.

 

 

Au second siècle de l’ère chrétienne, l’empire romain comprenait les plus belles contrées de la terre et la portion la plus civilisée du genre humain. Une valeur disciplinée, une renommée antique, assuraient les frontières de cette immense monarchie. L’influence douce, mais puissante des lois et  des mœurs, avait insensiblement cimenté l’union de toutes les provinces : leurs habitants jouissaient et abusaient, au sein de la paix, des avantages du luxe et des richesses. On conservait avec un respect bienséant l’usage d’une constitution libre. Le sénat romain possédait; en apparence, l’autorité souveraine, et les empereurs étaient revêtus de la puissance exécutive. Pendant plus de quatre-vingts ans [98 – 180], l’administration publique fut dirigée par les talents et la vertu de Trajan, d’Adrien et des deux Antonins. Ces trois chapitres seront consacré à décrire d’abord l’état florissant de l’empire durant cette heureuse période ; ensuite, et depuis la mort de Marc-Aurèle, les principales circonstances de sa décadence et de sa chute : révolution à jamais mémorable, et qui influe encore maintenant sur toutes les nations du globe.

Les principales conquêtes des Romains avaient été l’ouvrage de la république. Les empereurs se contentèrent, pour la plupart, de conserver ces acquisitions, fruit de la profonde sagesse du sénat, de l’émulation active des consuls et de l’enthousiasme du peuple. Les sept premiers siècles n’avaient présenté qu’une succession rapide de triomphes ; mais il était réservé à l’empereur Auguste d’abandonner le projet ambitieux de subjuguer l’univers pour introduire l’esprit de modération dans les conseils de Rome. Porté à la paix, autant par sa situation, que par son caractère, il s’aperçut aisément qu’à l’excès de grandeur où elle était parvenue, elle avait désormais, en risquant le sort des combats, beaucoup moins à espérer qu’à craindre ; que dans la poursuite de ces guerres lointaines, l’entreprise devenait tous les jours plus difficile : le succès plus douteux et la possession moins sûre et moins avantageuse. L’expérience d’Auguste vint à l’appui de ces réflexions salutaires, et lui prouva que par la prudente vigueur de sa politique, il pouvait s’assurer d’obtenir sans peine toutes les concessions que la sûreté ou la dignité de Rome exigerait des barbares même les plus formidables et, sans exposer aux flèches des Parthes ni lui ni ses légions, il en obtint, par un traité honorable, la restitution des drapeaux et des prisonniers qui avaient été enlevés à l’infortuné Crassus[1].

Ses généraux, dans les premières  années de son règne, essayèrent de subjuguer l’Éthiopie et l’Arabie Heureuse : ils marchèrent l’espace de trois cents lieues environ au midi du tropique ; mais la chaleur du climat arrêta bientôt les conquérants, et protégea les habitants peu guerriers de ces régions éloignées[2]. La conquête des contrées septentrionales de l’Europe valait à peine les dépenses et les travaux qu’elle eût exigés. Couverte de bois et de marais, la Germanie nourrissait dans son sein des Barbares courageux qui méprisaient la vie lorsqu’elle était séparée de la liberté : et, quoique, dans la première attaque ils eussent paru céder sous le poids de la puissance romaine, un acte éclatant de désespoir les rétablit bientôt dans leur indépendance, et fit ressouvenir Auguste des vicissitudes de la fortune[3]. A la mort de ce prince, son testament fut lu publiquement dans le sénat : Auguste laissait à ses successeurs, comme une utile portion de son héritage, l’avis important de resserrer l’empire dans les bornes que la nature semblait avoir elle-même tracées pour en former à jamais des limites et les remparts : à l’occident, l’océan Atlantique ; le Rhin et le Danube, au nord; l’Euphrate, à l’orient ; et vers le midi, les sables brûlants de l’Arabie et de l’Afrique[4].          

Heureusement pour le genre humain, le système conçu par la modération d’Auguste se trouva convenir aux vices et à la lâcheté de ses successeurs. Les premiers Césars, dominés par l’attrait du plaisir ou occupés de l’exercice de la tyrannie, se montraient rarement aux provinces et à la tête des armées. Ils n’étaient pas non plus disposés à souffrir que leurs lieutenants usurpassent sur eux, par les talents et la valeur, cette gloire que négligeait leur indolence. La réputation militaire d’un sujet devint un attentat insolent à la dignité impériale. Les généraux se contentaient de garder les frontières qui leur avaient été confiés : leur devoir et leur intérêt leur défendaient également d’aspirer à des conquêtes qui ne leur auraient peut-être pas été moins fatales qu’aux nations vaincues[5].

La Bretagne fût la seule province, que les Romains ajoutèrent à leurs domaines durant le premier siècle de nôtre ère. Dans cette unique occasion, les empereurs crurent devoir plutôt marcher sur les traces de César que suivre les maximes d’Auguste. La situation d’une Île voisine de la Gaule leur inspira le dessein de s’en rendre maîtres : leur avidité était encore excitée par l’espoir agréable, quoique incertain, qui leur avait été donné d’y fronder une pêcherie de perles[6] : La Bretagne semblait être un monde séparé ; ainsi cette conquête formait à peine une exception au plan généralement adopté pour le continent. Après une guerre d’environ quarante ans[7], entreprise par le plus stupide, continuée par le plus débauché, terminée par le plus lâche des empereurs, plus grande partie de l’île subit le joug des Romains[8]. De la valeur sans conduite, l’amour de la liberté sans aucun esprit d’union, c’est là ce qu’on trouvait dans les différentes tribus qui composaient le peuple breton. Elles coururent d’abord aux armes avec un ardent courage, puis les déposèrent ou se tournèrent les unes contre les autres avec la plus bizarre inconstance, combattirent séparément, et furent subjuguées l’une après l’autre : ni la bravoure de Caractacus, ni le désespoir de Boadicée, ni le fanatisme des druides, ne purent soustraire leur patrie à l’esclavage ni résister aux progrès constants des généraux de l’empire qui soutenaient la gloire nationale, tandis que la majesté du trône était avilie par l’excès du vice ou celui de la faiblesse. Pendant que le farouche Domitien, renfermé dans son palais, ressentait lui-même la terreur qu’il inspirait, ses légions, sous le commandement du vertueux Agricola, dissipaient au pied des monts Grampiens les forces réunies des Calédoniens, et ses flottes, bravant les dangers d’une navigation inconnue, portaient sur tous les points de l’île les armes romaines. Déjà la Bretagne pouvait être regardée comme soumise ; Agricola se proposait d’en achever la conquête, et d’assurer ses succès par la réduction de l’Irlande ; une seule légion et quelques troupes auxiliaires lui paraissaient suffisantes pour l’exécution de son dessein[9]. Il pensait que la possession de cette île occidentale pourrait devenir très avantageuse, et que les Bretons porteraient leurs chaînes avec moins de répugnance, lorsque la vue et l’exemple de la liberté seraient entièrement éloignés de leurs regards.

Mais le mérite supérieur d’Agricola le fit bientôt, rappeler de son gouvernement de Bretagne, et ce plan de conquête, si raisonnable malgré son étendue, fut alors manqué pour jamais. Avant son départ, ce prudent général avait songé à assurer ces nouvelles possessions. Il avait observé que l’île est presque divisée en deux parties inégales par les deux golfes opposés, formant ce qu’on appelle maintenant le passage d’Écosse[10]. A travers l’étroit intervalle, d’environ quarante milles, qui les sépare l’un de l’autre il établit une ligne de postes militaires qui ensuite, sous le règne d’Antonin le Pieux, fut fortifiée d’un rempart de gazon, dont les fondations étaient en pierres[11]. Cette muraille, bâtie un lieu au-delà d’Édimbourg et de Glasgow, devint la limite de la province romaine[12]. Les Calédoniens conservèrent, dans la partie septentrionale de l’île, une indépendance qu’ils durent à leur pauvreté autant qu’à leur valeur. Ils faisaient souvent des incursions mais ils étaient aussitôt repoussés et punis. Cependant leur pays ne fut point subjugué[13] ; les souverains des climats les plus riants et les plus fertiles du globe détournaient leurs regards méprisants de ces montagnes exposées aux fureurs des tempêtes, de ces lacs couverts de brouillards épais, et de ces vallées incultes, où l’on voyait le cerf timide fuir à l’approche d’une troupe de Barbares à peine vêtus[14].

Les successeurs d’Auguste étaient restés constamment attachés à ses maximes politiques : tel était, depuis sa mort, l’état des frontières de l’empire, lorsque Trajan monta sur le trône. Ce prince vertueux et rempli d’activité avait reçu l’éducation d’un soldat et possédait les talents d’un général[15]. Le système pacifique de ses prédécesseurs fut tout à coup interrompu par des guerres et par des conquêtes. Après un long intervalle ; les légions virent enfin paraître à leur tête un empereur capable de les commander, Trajan se signala d’abord contre les Daces, nation belliqueuse, qui habitait au-delà du Danube, et qui, sous le règne de Domitien, avait insulté avec impunité la majesté de Rome[16]. À la force et à l’intrépidité des Barbares, les Daces ajoutaient ce mépris de la vie, que devait leur inspirer une persuasion intime de l’immortalité de l’âme et de sa transmigration[17]. Décébale, leur roi, n’était pas un rival indigne de Trajan : il ne désespéra de sa fortune et de celle de sa nation, qu’après avoir, de l’aveu même de ses ennemis, épuisé toutes les ressources de la politique[18]. Cette guerre mémorable dura cinq années, presque sans aucune interruption : Trajan, qui pouvait disposer à son gré de toutes les forces de l’empire, demeura vainqueur et soumit entièrement les Barbares[19]. La Dacie, qui fit une  seconde fois  exception aux préceptes d’Auguste, avait environ quatre cents lieues de circonférence : les limites naturelles de cette province étaient le Niester, le Theiss ou Tibisque, le bas Danube et le Pont-Euxin. On voit encore aujourd’hui les vestiges d’un chemin militaire depuis le Danube jusque auprès de Bender, place fameuse dans l’histoire moderne, et qui sert maintenant de frontière à l’empire ottoman et à la Russie[20].

Trajan était avide de gloire. Tant que le genre humain continuera de répandre plus d’éclat sur ses destructeurs que sur ses bienfaiteurs, la soif de la gloire militaire sera toujours le défaut des caractères les plus élevés. Les louanges d’Alexandre, transmises par une succession de poètes et d’historiens, avaient allumé, dans l’âme de Trajan, une émulation dangereuse. A l’exemple du roi de Macédoine, l’empereur romain entreprit une expédition contre les peuples d’Orient ; mais il soupirait, en faisant réflexion que son âge avancé ne lui laissait pas l’espoir d’égaler la réputation du fils de Philippe[21]. Cependant les succès de Trajan, quoique de peu de durée, furent brillants et rapides ; il mit en déroute les Parthes, dégénérés et affaiblis par des guerres intestines. Il parcourut en triomphe les bords du Tigre, depuis les montagnes d’Arménie jusqu’au golfe Persique. Il navigua le premier sur cette mer éloignée, et de tous les généraux romains il est le seul qui ait jamais joui de cet honneur : ses flottes ravagèrent les côtes de l’Arabie. Enfin Trajan se flatta qu’il touchait déjà aux rivages de l’Inde[22]. Chaque jour le sénat étonné entendait parler de noms jusqu’alors inconnus, et de nouveaux peuples qui reconnaissaient la puissance de Rome : il apprit que les rois du Bosphore, de Colchos d’Ibérie, d’Albanie, d’Osrhoène, que le souverain des Parthes lui-même, tenaient leurs diadèmes des mains de l’empereur ; que les Mèdes et les habitants des montagnes de Carduchie avaient imploré sa protection, et que les riches contrées de l’Arménie, de la Mésopotamie et de l’Assyrie, étaient réduites en provinces[23]. Mais la mort de Trajan obscurcit bientôt ces brillants tableaux, et l’on eut tout lieu de craindre que des nations si éloignées ne secouassent bientôt un joug inaccoutumé, dès qu’elles n’avaient plus à redouter la main puissante qui le leur avait imposé.

On rapportait que lorsque le Capitole avait été fondé par un des anciens rois de Rome, le dieu Terme seul, parmi les divinités inférieures, avait refusé de céder sa place à Jupiter même. Ce dieu présidait aux limites et selon l’usage de ces temps grossiers, il était représenté sous la forme d’une pierre. Les augures avaient interprété cette obstination du dieu Terme de la manière la plus favorable : c’était, selon eux, un présage certain que les bornes de la puissance romaine ne reculeraient jamais[24]. Cette tradition s’était toujours conservée ; et, comme il arrive d’ordinaire, la prédiction du fait, pendant un grand nombre de siècles, en assura l’accomplissement. Mais, quoique le dieu Terme eût résisté à la majesté de Jupiter, il fût obligé de se soumettre à l’autorité d’Adrien[25]. Cet empereur commença son règne par renoncer aux nouvelles conquêtes de Trajan. Les Parthes recouvrèrent le droit de s’élire un souverain indépendant ; il retira les troupes romaines des places où elles étaient en garnison en Arménie, en Assyrie et dans la Mésopotamie. Adrien reprit le système d’Auguste, et le cours de l’Euphrate servit de nouveau de frontière à l’empire[26]. L’envie, qui ne manque pas de censurer les actions publiques et les vues particulières des princes, s’est efforcée d’attribuer à des motifs de jalousie une conduite qui peut-être était dictée par la prudence et par la modération. Ce soupçon pouvait trouver quelque fondement dans le caractère singulier d’Adrien, capable tour à tour des sentiments les plus bas et les plus élevés ; cependant il ne pouvait faire briller avec plus d’éclat la supériorité de son prédécesseur, qu’en s’avouant lui-même trop faible pour conserver les conquêtes de Trajan.

Le génie martial et ambitieux de l’un formait contraste singulier avec la modération de l’autre et l’infatigable activité de celui-ci ne paraîtra pas moins remarquable, si on la compare avec la douce tranquillité d’Antonin le Pieux, son successeur. La vie d’Adrien ne fut presque qu’un voyage perpétuel. Doué des talents de l’homme de guerre, de l’homme de lettres et de l’homme d’État, ce prince satisfit tous ses goûts, en se livrant aux soins de son empire. Insensible à la différence des saisons et des climats, il marchait à pied et tête nue dans les neiges de la Calédonie et dans les plaines embrasées de la Haute Égypte. Il n’y eut pas une province qui, dans le cours de son règne, ne fut honorée de la présence du souverain[27], au lieu qu’Antonin passa des jours paisibles dans le sein de l’Italie : pendant les vingt-trois années que ce prince, si digne d’être aimé, tint les rênes du gouvernement, ses plus longs voyages furent de Rome à Lanuvie, où il se retirait pour goûter les douceurs de la campagne[28].

Malgré cette différence dans leur conduite personnelle, Adrien et les deux Antonins s’attachèrent également au système général embrassé par Auguste. Ils persistèrent dans le projet de maintenir la dignité de l’empire, sans entreprendre d’en reculer les bornes : on vit même ces princes employer toutes sortes de moyens honorables pour gagner l’amitié des Barbares. Leur but était de convaincre le genre humain que Rome, renonçant à toute idée de conquête, n’était plus animée que par l’amour de l’ordre et de la justice. Le succès couronna, pendant quarante-trois ans cette politique respectable ; et, si nous en exceptons un petit nombre d’hostilités qui ne servaient qu’à exercer les légions répandues sur la frontière, l’univers fut en paix sous les règnes fortunés d’Adrien et d’Antonin le Pieux[29]. Le nom romain était respecté parmi les nations de la terre les plus éloignées ; souvent les Barbares les plus fiers soumettaient leurs différends à la décision de l’empereur ; et, selon le témoignage d’un historien contemporain, des ambassadeurs qui étaient venus solliciter à Rome l’honneur d’être admis au nombré de ses sujets, s’en retournèrent sans avoir pu obtenir cette distinction[30].

La terreur des armes romaines ajoutait de la dignité à la modération des souverains, et la rendait plus respectable. Ils conservaient la paix en se tenant perpétuellement préparés à la guerre ; et en même temps que l’équité dirigeait leur conduite, les nations voisines s’apercevaient bien qu’ils étaient aussi peu disposés à supporter l’offense qu’à offenser eux-mêmes. Marc-Aurèle employa contre les Germains et les Parthes ces forces redoutables qu’Adrien et son successeur s’étaient contentés de déployer autour de leurs frontières. Les attaques des Barbares provoquèrent le ressentiment de ce prince philosophe : forcé de prendre les armes pour se défendre, Marc-Aurèle remporta, par lui-même ou par ses généraux, plusieurs victoires sur l’Euphrate et sur le Danube[31]. Examinons maintenant les établissements militaires de l’empire romain. Il est important d’observer comment ils en ont assuré pendant si longtemps la tranquillité et les succès.

Dans les beaux temps de la république, l’usage des armes était réservé à cette classe de citoyens, qui avaient une patrie à aimer, un patrimoine à défendre, empereurs et qui, participant à l’établissement des lois trouvaient leur intérêt comme leur devoir à les faire respecter. Mais à mesure que l’étendue des conquêtes affaiblit la liberté publique, insensiblement le talent de la guerre s’éleva jusqu’à la perfection d’un art, et s’abaissa au vil rang d’un métier[32]. Les légions, même au temps où les recrutements ne se faisaient plus que dans les provinces les plus éloignées, furent toujours supposées n’être formées que de citoyens romains Ce titre était regardé ou comme la distinction naturellement attachée à la condition de soldat, ou comme la récompense de ses services ; mais on s’arrêtait plus particulièrement au mérite essentiel de l’âge, de la force et de la taille militaire[33]. Dans toutes les levées de troupes, on accordait avec raison la préférence aux climats du nord sur ceux du midi : on cherchait dans les compagnes, plutôt que dans les villes, des hommes brisés à la fatigue des armes ; il était à présumer que les travaux pénibles des charpentiers, des forgerons et des chasseurs, donneraient plus de vigueur et de force que les occupations sédentaires qui contribuent au luxe[34]. Lors même que le droit de propriété ne fut plus un titre pour être employé dans les armées, les troupes des empereurs romains continuèrent, pour la plupart, d’être commandées par des officiers d’une naissance et d’une éducation honnêtes ; mais les soldats, semblables aux troupes mercenaires de l’Europe moderne, étaient tirés de la classe la plus vile et souvent la plus corrompue.

La vertu politique que les anciens appelaient patriotisme, prend sa source dans la ferme conviction que notre intérêt est intimement lié à la conservation et la prospérité du gouvernement libre auquel nous participons. Une telle persuasion avait rendu les légions de la république romaine presque invincibles, mais elle ne pouvait faire qu’une bien faible impression sur les esclaves mercenaires d’un despote. Ce principe une fois détruit on y suppléa par d’autres motifs d’une nature bien différente, mais dont la force était prodigieuse, la religion et l’honneur. Le paysan ou le citadin se pénétrait de cette utile opinion qu’en prenant les armes, il s’attachait à une profession noble, dans laquelle son avancement et sa réputation dépendaient de son courage, et que, bien que les exploits d’un simple soldat échappent souvent à la renommée, il était en son pouvoir de couvrir de gloire ou  de honte la compagnie, la légion, l’armée même dont il partageait les triomphes. En le recevant au service, on exigeait de lui un serment auquel une foule de circonstances concouraient à donner une grande solennité. Il jurait de ne jamais quitter son étendard, de soumettre sa propre volonté aux ordres de ses commandants, et de sacrifier sa vie pour la défense de l’empereur et de l’empire[35]. L’attachement des troupes romaines à leurs drapeaux leur était inspiré par l’influence réunie de la religion et de d’honneur. L’aigle doré qui brillait à la tête de la légion, était l’objet du culte le plus sacré, et l’on voyait autant d’impiété que de honte dans la lâcheté de celui qui abandonnait au moment du danger ce signe respectable[36]. Ces motifs, qui tiraient leur force de l’imagination, .étaient soutenus par des craintes et des espérances plus réelles : une paye régulière, des gratifications, une récompense assurée après le temps limité du service, encourageaient les soldats à supporter les fatigues de la vie militaire[37]. D’un autre côté, la lâcheté et la désobéissance ne pouvaient échapper aux plus sévères châtiments. Les centurions avaient le droit de frapper les coupables, et les généraux de les punir de mort. Les troupes élevées dans la discipline romaine avaient pour maxime invariable que tout bon soldat devait beaucoup plus redouter son officier que l’ennemi. Des institutions aussi sages contribuèrent à affermir la valeur des troupes et à leur inspirer une docilité que ne purent jamais acquérir des Barbares impétueux, qui ne connaissaient aucune discipline.

La valeur n’est qu’une vertu imparfaite sans la science et sans la pratique. Les Romains étaient si persuadés de cette vérité, que le nom d’une armée, dans leur langue, venait d’un mot qui signifiait exercice[38]. En effet, les exercices militaires étaient l’important et continuel objet de leur discipline : les recrues et les jeunes soldats étaient régulièrement exercés le matin et le soir ; et les vétérans, malgré leur âge, malgré une connaissance profonde de leur art, étaient obligés de répéter tous les jours ce qu’ils avaient appris dès leur plus tendre jeunesse. Dans les quartiers d’hiver, on élevait de vastes appentis, afin que les exercices des soldats ne fussent point interrompus par les rigueurs de la saison. Dans ces imitations de la guerre, on avait soin de leur faire prendre des armes deux fois plus pesantes que celles dont on se servait dans une action réelle[39]. Une description exacte des exercices des Romains n’entre point dans le plan de cet ouvrage ; nous remarquerons seulement qu’ils embrassaient tout ce qui peut donner de la forcé au corps, de la souplesse aux membres et de la grâce aux mouvements. On apprenait soigneusement aux soldats à marcher, à courir, à sauter, à nager, à porter de lourds fardeaux, à manier toutes sortes d’armes offensives et défensives, à former un grand nombre d’évolutions, et à exécuter au son de la flûte la danse pyrrhique ou militaire[40]. Au sein de la paix, les troupes romaines se familiarisaient avec la guerre : selon l’observation d’un ancien historien qui avait combattu contre elles, l’effusion du sang était la seule différence que l’on remarquât entre un champ de bataille et un champ d’exercice[41]. Les plus habiles généraux, les empereurs même, encourageaient par leur présence et par leur exemple, ces études militaires ; souvent Trajan et Adrien daignèrent instruire eux-mêmes les soldats les moins expérimentés, récompenser les plus habiles, et quelquefois disputer avec eux le prix de la force ou de l’adresse[42]. Sous le règne de ces princes, la tactique fut cultivée avec succès ; et tant que l’empire conserva quelque vigueur, leurs institutions militaires furent respectées comme le modèle le plus parfait de la discipline romaine.

Neuf siècles de guerre avaient insensiblement introduit plusieurs changements dans le service, et l’avaient perfectionné. Les légions décrites par Polybe[43], et commandées par les Scipions, différaient essentiellement de celles qui contribuèrent aux victoires de César, ou défendirent l’empire, d’Adrien et des Antonins. Nous rapporterons en peu de mots ce qui constituait la légion impériale[44]. L’infanterie pesamment armée, qui en faisait la principale force[45], était divisée en dix cohortes et en cinquante-cinq compagnies, sous le commandement d’un pareil nombre de tribuns et de centurions. Le poste d’honneur et la garde de l’aigle appartenaient à la première cohorte, composée de mille cent cinq soldats, choisis parmi les plus estimés pour la valeur et pour la fidélité. Les neuf autre cohortes en avaient chacune cinq cent cinquante-cinq, et tout le corps de l’infanterie d’une légion montait à six mille cent hommes. Leurs armes étaient uniformes et admirablement adaptées à la nature de leur service : ils portaient un casque ouvert surmonté d’une aigrette fort élevée, une cuirasse ou une cotte de mailles et des bottines, et ils tenaient à leur bras, gauche un grand bouclier d’une forme ovale et concave, long de quatre pieds, large de deux et demi, fait d’un bois léger, couvert d’une peau de bœufs et revêtu de fortes plaques d’airain. Outre un dard léger, le soldat légionnaire, balançait dans sa main droite ce javelot formidable appelé pilum, dont la longueur était de six pieds, et qui se terminait en une pointe d’acier de dix-huit pouces, taillée en triangle[46]. Cette armé était bien inférieure à nos armes à feu, puisqu’elle ne pouvait servir qu’une seule fois, et à la distance seulement de dix où douze pas : cependant, lorsqu’elle était lancée par une main ferme et adroite, il n’y avait point de bouclier en état de résister à sa force, et aucune cavalerie n’osait se tenir à sa portée. A peine le Romain avait-il jeté son javelot, qu’il s’élançait avec impétuosité sur l’ennemi, l’épée à la main. Cette épée était une lame d’Espagne, courte, d’une trempe excellente, à double tranchant, et également propre à frapper et à percer, mais le soldat était instruit à préférer cette dernière façon de s’en servir, comme découvrant moins son corps et faisant en même temps à son adversaire une blessure plus dangereuse[47]. La légion était ordinairement rangée sur huit lignes de profondeur, et les files, aussi bien que les rangs, étaient toujours à la distance de trois pieds l’une de l’autre[48]. Des troupes accoutumées à conserver un ordre si distinct dans toute l’étendue d’un large front et dans l’impétuosité d’une charge rapide, pouvaient exécuter tout ce qu’exigeaient d’elles les événements de la guerre et l’habileté du général. Le soldat avait un espace libre pour ses armes et pour ses divers mouvements, et les intervalles étaient ménagés de manière à pouvoir y faire passer les renforts nécessaires pour secourir les combattants épuisés[49]. La tactique des Grecs et des Macédoniens avait pour base des principes bien différents : la force de la phalange consistait en seize rangs de longues piques, de manière à former la palissade la plus serrée[50] ; mais la réflexion et l’expérience prouvèrent que cette masse immobile était incapable de résister à l’activité de la légion[51].

La cavalerie, sans laquelle la force de la légion serait restée imparfaite, était divisée en dix escadrons : le premier, comme compagnon de la première cohorte, consistait en cent trente-deux hommes, et les neuf autres chacun en soixante-six ; ce qui faisait en tout, pour nous servir des expressions modernes, un régiment de sept cent vingt-six chevaux. Quoique naturellement attaché à sa légion respective, chaque régiment de cavalerie en était séparé, suivant les occasions, pour être rangé en ligne, et faire partie des ailes de l’armée[52]. Sous les empereurs, la cavalerie était bien différente de ce qu’elle avait été dans son origine. Du temps de la république, elle était composée des jeunes gens les plus distingués de Rome et de l’Italie, qui, en remplissant ce service militaire, se préparaient à acquérir les dignités de sénateur et de consul, et sollicitaient, par leurs exploits, les suffrages de leurs concitoyens[53]. Mais depuis le changement qui était survenu dans les mœurs et dans le gouvernement, les plus riches citoyens de l’ordre équestre se consacrèrent à l’administration de la justice et à la perception des revenus publics[54]. Ceux qui embrassaient la profession des armes étaient aussitôt revêtus du commandement d’une cohorte[55] ou d’un escadron[56]. Trajan et Adrien tirèrent leur cavalerie des mêmes provinces et de la même classe de leurs sujets, qui fournissaient des hommes aux légions : on faisait venir des chevaux d’Espagne et de la Cappadoce. Les cavaliers romains méprisaient cette armure complète dans laquelle la cavalerie des Orientaux était comme emprisonnée : la partie la plus importante de leur armure défensive consistait dans un casque, un bouclier ovale, de petites bottes et une cotte de mailles ; une javeline et une longue et large épée étaient leurs principales armes offensives. Il parait qu’ils avaient emprunté des Barbares l’usage des lances et des massues de fer[57].

La sûreté et l’honneur de l’empire étaient confiés principalement aux légions ; mais la politique de Rome ne dédaigna rien de tout ce qui pouvait lui être utile à la guerre. On faisait régulièrement des levées considérables dans les provinces dont les habitants n’avaient point encore mérité la distinction honorable de citoyens. On permettait à des princes ou à de petits États dispersés le long des frontières d’acheter, par un service militaire, leur liberté et leur sûreté[58]. Souvent même, soit par force, soit par persuasion, on déterminait des Barbares que l’on redoutait à envoyer l’élite de leurs troupes épuiser, dans les climats éloignés, leur dangereuse valeur contre les ennemis de l’empire[59]. Tous ces différents corps étaient connus généralement sous le nom d’auxiliaires. Quoique leur nombre variât selon les temps et les circonstances, il était rarement inférieur à celui des légions[60]. Les plus courageux et les plus fidèles de ces auxiliaires étaient placés sous le commandement des préfets et des centurions, et sévèrement instruits à la discipline des Romains ; mais ils retenaient, pour la plupart, les armes que leur rendaient propres, soit la nature de leur pays, soit les habitudes de leur première jeunesse ; et, par ce moyen, comme à chaque légion était attaché un certain nombre d’auxiliaires, chacune renfermait toutes les espèces de troupes légères, avait l’usage  de toutes les armes de trait, et pouvait ainsi opposer à chaque nation la même discipline et les mêmes armes qui la rendaient formidable[61]. La légion n’était pas dépourvue de ce que l’on pourrait appeler, dans nos langues modernes, un train d’artillerie ; elle avait toujours à sa suite dix machines de guerre de la première grandeur, et cinquante-cinq plus petites, qui toutes lançaient, selon diverses directions, des pierres et des dards avec une violence irrésistible[62].

Le camp d’une légion romaine ressemblait  à une ville fortifiée[63]. Aussitôt que l’espace était tracé, les pionniers avaient soin d’aplanir le terrain, et d’écarter tous les obstacles qui auraient pu nuire à sa parfaite régularité : la forme en était quadrangulaire, et nous calculons qu’un carré d’environ deux mille cent pieds anglais de côté pouvait contenir vingt mille Romains, quoique maintenant un pareil nombre de troupes présente à l’ennemi un front trois fois plus étendu. Au milieu du camp, on distinguait, par dessus les autres tentes, le prétoire ou le quartier du général. La cavalerie, l’infanterie et les auxiliaires, occupaient leurs postes respectifs. Les rues étaient larges et fort droites, et l’on ménageait de tous côtés un espace libre de deux cents pieds entre le rempart et les tentes. Le rempart était ordinairement de douze pieds de haut, défendu par de fortes palissades, et, entouré d’un fossé dont la largeur et la profondeur étaient aussi de douze pieds. Les légionnaires eux-mêmes étaient chargés de cet ouvrage important : l’usage de la bêche et de la pioche ne leur était pas moins familier que celui de l’épée ou du pilum. Le courage intrépide est souvent un présent de la nature ; mais cette activité soutenue dans l’exécution des travaux, ne peut jamais être que le fruit de l’habitude et de la discipline[64].

À peine la trompette avait-elle donné le signal du départ, que le camp était levé, et les troupes se plaçaient à leurs rangs sans retard et sans confusion. Les légionnaires, outre leurs armes, au poids desquelles ils songeaient à peine, étaient encore chargés de leurs instruments de cuisine, des outils nécessaires pour les fortifications, et de provisions pour plusieurs jours[65]. Malgré un fardeau si considérable, qui accablerait la délicatesse d’un soldat moderne, les Romains étaient accoutumés à marcher d’un pas régulier, et à faire près de vingt milles en six heures[66]. A l’approche de l’ennemi, ils se débarrassaient de leur bagage, et, par des évolutions aisées et rapides, l’armée, qui marchait sur une ou sur plusieurs colonnes, se formait en ordre de bataille[67]. Les frondeurs et les archers escarmouchaient à la tête ; les auxiliaires formaient la première ligne,  et ils étaient soutenus par les légions : la cavalerie couvrait les flancs ; enfin, on plaçait derrière le corps d’armée les machines de guerre.

Telle fut la science guerrière qui défendit les vastes conquêtes des empereurs, et conserva l’esprit militaire, dans un temps où le luxe et le despotisme avaient étouffé toute autre vertu. Si nous cherchons maintenant à nous faire une idée du nombre des troupes dont se composaient les armées romaines, nous verrons combien il est difficile de l’apprécier avec une certaine exactitude. Il parait cependant que la légion était un corps de douze mille cinq cents hommes, parmi lesquels on comptait six mille huit cent trente et un Romains : le reste comprenait les auxiliaires. Sous Adrien et ses successeurs, l’armée sur le pied de paix comprenait trente de ces redoutables brigades. Ainsi, selon toute apparence, leurs forces se montaient à trois cent soixante-quinze mille hommes. Au lieu de se renfermer dans des villes fortifiées, qui n’étaient, aux yeux des Romains, que le refuge de la faiblesse et de la lâcheté, les légions restaient toujours campées sur les bords des grands fleuves ou le long des frontières des Barbares. Comme leurs postes, pour la plupart, étaient fixes et permanents, nous pouvons nous former un aperçu de la distribution des troupes dans tout l’empire. Trois légions suffisaient pour la Bretagne. Les principales forces étaient employées sur le Rhin et sur le Danube, et consistaient en seize légions, distribuées de la manière suivante : deux dans la Basse Germanie et trois dans la Haute, une dans la Rhétie, une dans la Norique, quatre dans la Pannonie, trois dans la Mœsie, et deux dans la Dacie. L’Euphrate avait pour sa défense huit légions, dont six étaient placées en Syrie, et les deux autres dans la Cappadoce. Comme le siège de la guerre se trouvait fort éloigné de l’Égypte, de l’Afrique et de l’Espagne, une seule légion maintenait la tranquillité dans chacune de ces provinces. L’Italie même ne manquait pas de troupes. Environ vingt mille hommes choisis, connus sous le nom de cohortes de la ville et de gardes prétoriennes, veillaient à la sûreté du monarque et de la capitale. Auteurs de presque toutes les révolutions qui ont troublé l’empire, ces soldats prétoriens vont bientôt attirer fortement toute notre attention ; mais nous ne voyons rien dans leurs armes et leurs institutions qui les distinguât des légions ; seulement il paraît que leur discipline était moins rigide et leur extérieur plus pompeux[68].

La marine des empereurs répondait peu à la grandeur de Rome ; mais elle suffisait pour remplir toutes les visées du gouvernement. L’ambition des Romains ne s’étendait point au-delà du continent : ce peuple guerrier n’était pas animé de cet esprit entreprenant des Tyriens, des Carthaginois et des habitants de Marseille, qui avait porté ces hardis navigateurs à reculer les bornes du monde, et à découvrir les côtés les plus éloignées. L’Océan était plutôt pour les Romains un objet de terreur que de curiosité[69]. Après la ruine de Carthage et la destruction des pirates, toute l’étendue de la Méditerranée se trouva renfermée dans leur empire. La politique des empereurs n’avait pour but que de conserver en paix la souveraineté de cette mer, et de protéger le commerce de leurs sujets. Guidé par ces principes de modération, Auguste établit à demeure deux flottes dans les ports les plus commodes de l’Italie : l’un à Ravenne, sur la mer Adriatique ; l’autre à Misène, dans la baie de Naples. L’expérience semblait enfin avoir convaincu les anciens que leurs galères lorsqu’elles excédaient deux ou tout au plus trois rangs de rames, devenaient plus propres à une vaine pompe qu’à un service réel. Auguste lui-même dans la bataille d’Actium, s’était aperçu de la supériorité de se frégates légères, appelées liburniennes, sur les citadelles élevées et massives de son rival[70]. Ces liburniennes lui servirent à former les deux flottes de Ravenne et de Misène, destinées à commander, l’une la partie orientale, l’autre l’occident de la Méditerranée ; et à chacune de ces escadres il attacha un corps de plusieurs milliers de marins. Outre ces deux ports, où les Romains avaient établi la plus grande partie de leurs forces maritimes, ils entretenaient encore un grand nombre de vaisseaux à Fréjus, sur les côtes de Provence. Le Pont-Euxin était gardé par quarante voiles et par trois mille soldats. A toutes ces forces, il faut ajouter la flotte qui assurait la communication entre la Gaule et la Bretagne, et une infinité de bâtiments qui couvraient le Rhin et le Danube, pour harasser les pays ennemis, et intercepter le passage des Barbares[71]. En récapitulant cet état général des forces de l’empire sur mer et sur terre, tant des troupes employées dans les légions, que des auxiliaires, des gardes du palais et de la marine nous verrons que le nombre total des troupes n’excédait pas quatre cent cinquante mille hommes. Quelque formidable que paraisse cette puissance, le dernier siècle a vu avec étonnement des forces semblables entretenues par un monarque dont les États étaient renfermés dans une seule province de l’empire romain[72].

Nous avons essayé de faire connaître et l’esprit de modération qui mettait des bornes à la puissance d’Adrien et des Antonins, et les forces qui servaient à la soutenir ; tâchons maintenant de décrire, avec clarté et précision, ces mêmes provinces, réunies autrefois sous un seul chef, et maintenant divisées en un si grand nombre d’États indépendants et ennemis les uns des autres.

Située à l’extrémité de l’empire, de l’Europe et de l’ancien monde, l’Espagne a conservé d’âge en âge ses limites naturelles : les monts Pyrénées, la Méditerranée et l’océan Atlantique. Cette grande péninsule, aujourd’hui partagée si inégalement entre deux souverains, avait été divisée par Auguste en trois provinces : la Lusitanie, la Bétique et la Tarragonaise. Les belliqueux Lusitaniens occupaient la contrée qui compose aujourd’hui le royaume du Portugal : ce royaume a gagné vers le nord le terrain qui lui avait été enlevé du côté de l’orient. La Grenade et l’Andalousie ont à peu près les mêmes confins que l’ancienne Bétique ; le reste de l’Espagne, la Galice, les Asturies, la Biscaye, la Navarre, le royaume de Léon, les deux Castilles, la Murcie, le royaume de Valence, la Catalogne et l’Aragon, formaient la troisième province romaine : c’était en même temps la plus considérable, et on l’appelait Tarragonaise, du nom de sa capitale[73]. Parmi les naturels du pays, les Celtibériens étaient les plus puissants : une opiniâtreté invincible distinguait surtout les Asturiens et les Cantabres. Sûrs de trouver un asile dans leurs montagnes, ces peuples furent les derniers qui se soumirent aux armes de Rome ; et, quelques siècles après, ils secouèrent les premiers le joug des Arabes.

L’ancienne Gaule, qui comprenait tout le pays situé entre les Pyrénées, les Alpes, le Rhin et l’Océan, était beaucoup plus étendue que la France moderne. Aux domaines de cette puissante monarchie, et à l’acquisition récente qu’elle a fait de la Lorraine et de l’Alsace, il faut encore ajouter le duché de Savoie, les cantons de la Suisse, les quatre électorats du Rhin, le pays de Liège, le Luxembourg, le Hainaut, la Flandre et le Brabant. Après la mort de César, Auguste eut égard, dans la division de la Gaule, à l’établissement des légions, au cours des rivières, et aux distinctions de provinces déjà connues dans ce pays, qui renfermait plus de cent États indépendants, avant que les Romains s’en fussent rendus maîtres[74]. La colonie de Narbonne donna son nom au Languedoc, à la Provence et au Dauphiné. Le gouvernement d’Aquitaine  s’étendait depuis les Pyrénées jusqu’à la Loire. Entre ce fleuve et la Seine, était située la Gaule celtique, qui reçût bientôt une nouvelle dénomination de la fameuse colonie de Lugdunum, Lyon. Au delà de la Seine était la Belgique, bornée d’abord seulement par le Rhin, mais, quelque temps avant le siècle de César, les Germains, profitant de la supériorité que donne la bravoure, s’étaient emparés d’une partie considérable de la Belgique. Les empereurs romains saisirent avec empressement une occasion favorable aux prétentions de leur vanité, et la frontière du Rhin, qui s’étendait depuis Leyde jusqu’à Bâle, fût décorée du nom pompeux de Haute et Basse Germanie[75]. Telles étaient, sous les Antonins, les six provinces de la Gaule, la Narbonnaise, l’Aquitaine, la Celtique ou Lyonnaise, la Belgique et les deux Germanies.

Nous avons déjà parlé de l’étendue et des bornes de la province romaine de Bretagne : elle renfermait toute l’Angleterre, le pays de Galles, et le pays plat d’Écosse jusqu’au passage de Dunbritton e d’Édimbourg. Avant que la Bretagne eût perdu sa liberté, elle était inégalement divisée en trente tribus de Barbares, dont les plus considérables étaient les Belges à l’occident, les Brigantes au nord, les Silures au midi du Pays de Galles, et les Icéniens dans les comtés de Norfolk et de Suffolk[76]. Autant qu’il est possible de s’en rapporter à la ressemblance des mœurs et ces langues, il est probable que l’Espagne, la Gaule et la Bretagne avaient été peuplées par une même et vigoureuse race de sauvages. Ils disputaient souvent le champ de bataille aux Romains, et ils ne furent subjugués qu’après avoir livré une infinité de combats. Enfin, lorsque ces provinces eurent été soumises, elles formèrent la division occidentale de l’empire en Europe, qui s’étendait depuis le mur d’Antonin jusqu’aux colonnes d’Hercule, et depuis l’embouchure du Tage jusqu’aux sources du Rhin et du Danube.

Avant les conquêtes des Romains, la Lombardie n’était point regardée  comme partie de l’Italie. Des Gaulois avaient fondé une colonie puissante le long des rives du Pô, depuis le Piémont, jusque dans la Romagne : ils avaient porté leurs armes et leurs noms dans les plaines bornées par les Alpes et les Apennins. Les Liguriens habitaient les rochers où s’est élevée la république de Gènes. Venise n’existait point encore, mais la partie de cet État située à l’orient de l’Adige était occupée par les Vénètes[77]. Le milieu de l’Italie, qui compose maintenant le duché de Toscane et l’État ecclésiastique, était l’ancienne patrie des Étrusques et des Ombriens ; des Étrusques à qui l’Italie était redevable des premiers germes de la civilisation[78]. Le Tibre roulait ses ondes au pied des superbes collines de Rome ; et depuis cette rivière jusqu’aux frontières de Naples, le pays des Sabins, des Latins et des Volsques, fut le théâtre des succès naissants de la république. Ce fut dans cette contrée si renommée, que les premiers consuls méritèrent des triomphes ; que leurs successeurs s’occupèrent à décorer des palais, et leur postérité à élever des couvents[79]. Capoue et la Campanie possédaient le territoire propre de la ville de Naples ; le reste de ce royaume était habité par plusieurs nations belliqueuses, les Marses, les Samnites, les Apuliens et les Lucaniens. Enfin, les côtes de la mer étaient couvertes des colonies florissantes des Grecs. Il faut remarquer que lorsque Auguste partagea l’Italie en onze régions, la petite province d’Istrie fut comprise dans le nombre, et se trouva jointe au siège de la souveraineté romaine[80].

Les provinces de l’empire en Europe étaient défendues par le Rhin et le Danube. Ces deux beaux fleuves prennent leur source à la distance de trente milles l’un de l’autre. Le Danube, dans un cours de plus de treize cents milles de long, presque toujours vers le sud-est, reçoit le tribut de soixante rivières navigables et se jette ensuite par six embouchures dans le Pont-Euxin, qui paraît à peine assez vaste pour recevoir une telle masse d’eau[81]. Les provinces qu’arrose le Danube furent bientôt désignées sous le nom général d’Illyrie ou de frontière illyrienne[82], et regardées comme les plus guerrières de l’empire ; mais elles méritent bien que nous les considérions dans leurs principales divisions : la Rhétie, la Norique, la Pannonie, la Dalmatie, la Mœsie, la Thrace, la Macédoine et la Grèce.

La province de Rhétie, habitée autrefois par les Vindéliciens, s’étendait depuis les Alpes jusqu’aux rives du Danube, et depuis la source de ce fleuve jusqu’à sa jonction avec l’Inn. La plus grande partie du plat pays obéit à l’électeur de Bavière : la ville d’Augsbourg est protégée par la constitution de l’empire germanique ; les Grisons vivent en sûreté dans leurs montagnes, et le Tyrol est au rang des nombreux États qui appartiennent à la maison d’Autriche.

Toute l’étendue de pays comprise entre le Danube, l’Inn et la Save, l’Austrie, la Styrie, la Carinthie, la Carniole, la Basse Hongrie et l’Esclavonie, étaient connues par les anciens sous les noms de Norique et de Pannonie. Dans leur premier état d’indépendance, les fiers habitants de ces provinces étaient étroitement liés entre eux ; ils se trouvèrent fréquemment unis sous le gouvernement des Romains, et de nos jours ils sont devenus le patrimoine d’une seule famille. Leur souverain est un prince d’Allemagne qui prend le titre d’empereur des Romains, et dont les États forment le centre et la force de la puissance autrichienne. Si nous en exceptons la Bohême, la Moravie, l’extrémité septentrionale de l’Autriche, et cette partie de la Hongrie qui est située entre le Theiss et le Danube, les autres domaines de la maison d’Autriche étaient renfermés dans les limites de l’empire romain.

La Dalmatie, ou Illyrie proprement dite, était ce pays long, mais étroit qui se  trouve entre la Save et la mer Adriatique. La plus grande partie de la côte a conservé son nom : c’est une province de la dépendance de Venise et le siége de la petite république de Raguse. Les provinces de l’intérieur ont pris les noms esclavons de Croatie et de Bosnie. La Croatie est soumise à un gouverneur autrichien, et la Bosnie obéit à un pacha turc : mais toutes ces régions sont       sans cesse ravagées par des hordes de Barbares dont la sauvage indépendance marque d’une manière irrégulière les limites incertaines des puissances chrétiennes et mahométanes[83].

Après avoir reçut les eaux du Theiss et de la Save, le Danube prenait le nom d’Ister ; c’était du moins celui que lui donnaient les Grecs[84]. Il séparait autrefois la Mœsie de la Dacie, province conquise par Trajan, et la seule qui fût située au-delà de ce fleuve. Si nous voulons jeter les yeux sur l’état présent de ces contrées, nous trouverons sur la rive gauche du Danube, Temeswar et la Transylvanie, annexés à la couronne de Hongrie après un grand nombre de révolutions, tandis que les principautés de Moldavie et de Valachie reconnaissent la souveraineté de la Porte  ottomane. Sur la rive droite, la Mœsie qui, durant le moyen âge, se divisa en deux royaumes barbares : la Servie et la Bulgarie, est maintenant réunie sous le despotisme des Turcs.

Les Turcs, en donnant le nom de Romélie à la Macédoine, à la Thrace et à la Grèce, semblent reconnaître que ces contrées faisaient partie de l’empire romain. La Thrace, habitée par des nations belliqueuses, était devenue, sous les Antonins, une province qui s’étendait depuis le mont Hémus et le Rhodope jusqu’au Bosphore et l’Hellespont. Malgré le changement de maîtres et celui de la religion, la nouvelle Rome, bâtie par Constantin sur les rives du Bosphore, est toujours la capitale d’une grande monarchie. La Macédoine avait retiré moins d’avantages des brillantes conquêtes d’Alexandre que de la politique des deux Philippe. L’Épire et la Thessalie étaient sous sa dépendance. Ainsi ce royaume comprenait tout le pays situé entre la mer Égée et la mer d’Ionie. Lorsque nous pensons à la réputation immortelle de Thèbes, d’Argos, de Sparte et d’Athènes, nous avons peine à nous persuader que tant de républiques si célèbres aient été confondues dans une seule province de l’empire romain. L’influence supérieure de la ligue achéenne fit donner à cette province le nom d’Achaïe.

Tel était l’état de l’Europe sous les empereurs romains. Les provinces d’Asie, sans en excepter les conquêtes passagères de Trajan, se trouvent toutes renfermées dans les limites de la puissance des Turcs ; mais au lieu de suivre les divisions arbitraires, imaginées par l’ignorance et par le despotisme, prenons une route plus sûre et en même temps plus agréable pour nous ; observons les caractères ineffaçables de la nature. On appelle Asie-Mineure cette péninsule qui, bornée par l’Euphrate du coté de l’orient, s’avance vers l’Europe entre le Pont-Euxin et la Méditerranée. Les Romains avaient donné le titre exclusif d’Asie au vaste et fertile pays situé à l’occident du mont Taurus et du fleuve Halys. Cette province renfermait les anciennes monarchies de Troie, de Lydie et de Phrygie, les contrées maritimes des Lyciens, des Pamphiliens et des Cariens, et les colonies grecques fondées en Ionie, qui, non dans la guerre, mais dans les arts, égalaient la gloire de leur métropole. Les royaumes de Pontet de. Bithynie occupaient tout le nord de la Péninsule, depuis Constantinople jusqu’a Trébisonde. A l’extrémité opposée, la Cilicie était bornée par les montagnes de Syrie. Les provinces intérieures, séparées de l’Asie romaine par le fleuve Halys, et de l’Arménie par l’Euphrate, avaient autrefois, formé le royaume indépendant de Cappadoce. La souveraineté des empereurs s’étendait sur les côtes septentrionales du Pont-Euxin, en Asie, jusque par-delà Trébisonde ; en Europe, jusqu’au-delà du Danube. Les habitants de ces contrées sauvages, connues maintenant sous les noms de Budziack, de Tartarie-Crimée, de Circassie et de Mingrélie, recevaient de leurs mains ou des princes tributaires ou des garnisons-romaines[85].

Sous les successeurs d’Alexandre, la Syrie devint le siége de l’empire des Séleucides, qui régnèrent sur toute la Haute Asie, jusqu’à ce que la révolte des Parthes eût resserré les domaines de ces monarques entre l’Euphrate et la Méditerranée. Lorsque cette province fut soumise par les Romains, elle servit de frontière à leur empire, de côté de l’orient : ses limites étaient, au nord, les montagnes de la Cappadoce, et vers le midi, l’Égypte et la mer Rouge. La Phénicie et la Palestine se trouvèrent quelquefois annexées au gouvernement de la Syrie : dans d’autres temps elles en furent séparées. La première de ces deux provinces est une suite de rochers ; une lisière étroite entre la mer et les montagnes ; l’autre ne peut guère être mise au-dessus du pays de Galles pour l’étendue, et pour la fertilité[86]. Cependant leur nom passera d’âge en âge jusqu’à la postérité, la plus reculée, puisque l’Europe et le Nouveau Monde doivent à la Palestine leur religion, et à la Phénicie la naissance des lettres[87]. Depuis l’Euphrate, jusqu’à la mer Rouge, un désert sablonneux, presque dépourvu d’arbres et d’eau, forme les limites incertaines de la Syrie. La vie errante des Arabes était inséparablement liée à leur indépendance : toutes les fois qu’ils voulurent former des établissements sur un terrain moins stérile que le reste de .leurs habitations ; ils devinrent aussitôt esclaves des Romains[88].

Lés géographes de l’antiquité ont souvent hésite sur la partie du globe dans laquelle ils devaient faire entrer l’Égypte[89]. Située dans la péninsule immense de l’Afrique, elle n’est accessible que du côté de l’Asie, dont elle a reçu la loi dans presque toutes les révolutions de l’histoire. Un préfet romain occupait le trône pompeux des Ptolémées ; maintenant le sceptre de fer des Mameluks est entre les mains d’un pacha turc.  Le Nil arrose cette contrée dans un espace de deux cents lieues, depuis le tropique du Cancer jusqu’à la Méditerranée : les inondations périodiques de ce fleuve font toute la richesse du pays, et leur élévation en est la mesure. Cyrène, située vers l’occident et sur la côte de la mer, avait été d’abord une colonie, grecque ; elle devint ensuite une province d’Égypte : elle est aujourd’hui ensevelie dans les déserts de Barca[90].          

De Cyrène jusqu’à l’Océan, la côte d’Afrique a plus de quinze cents milles de long ; elle est cependant si resserrée entre la Méditerranée et les déserts de Sahara, que sa largeur excédé rarement cent milles. C’était à la partie orientale, que les Romains avaient principalement donné le nom de province d’Afrique. Avant l’arrivée des colonies phéniciennes, cette fertile contrée était habitée par les Libyens, les plus sauvages de tous les peuples de la terre : elle devint le centre d’un commerce et d’un empire très étendus, lorsqu’elle fut gouvernée par les Carthaginois. Les faibles États de Tunis et de Tripoli se sont élevés sur les ruines de cette république fameuse. Le royaume de Massinissa et de Jugurtha est soumis à la puissance militaire des Algériens. Du temps d’Auguste, les limites de la Numidie avaient été fort resserrées, et les deux tiers au moins de cette contrée avaient pris le nom de Mauritanie césarienne. La véritable Mauritanie, ou la patrie des Maures, s’appelait Tingitane, de l’ancienne ville de Tingi ou Tangier : elle formé aujourd’hui le royaume de Fez. Salé sur l’Océan, cette retraite de pirates était la dernière ville de l’empire romain. Les connaissances géographiques des anciens s’étendaient à peine au-delà. On aperçoit, encore des vestiges d’une cité romaine, près de Mequinez, résidence d’un Barbare que nous voulons bien appeler l’empereur du Maroc : mais il ne paraît pas que les États méridionaux de ce monarque, ni même Maroc et Ségelmessa, aient jamais été compris dans la province romaine. L’occident de l’Afrique est coupé par différentes chaînes du mont Atlas, nom devenu célèbre par lés fictions des poètes[91], mais que l’on donne maintenant à l’immense océan qui roule ses eaux entre le Nouveau Monde et l’ancien continent[92].

Après avoir parcouru toutes les provinces de l’empire romain, nous pouvons observer que l’Afrique est séparée de l’Espagne par un détroit de douze milles environ, qui sert de communication à la Méditerranée avec la mer Atlantique. Les colonnes d’Hercule, si fameuses parmi les anciens, étaient deux montagnes qui paraissent avoir été séparées avec violence dans quelque convulsion de la nature. La. forteresse de Gibraltar est bâtie au pied de celle qui est située en Europe. Toute la Méditerranée, ses côtes et ses îles étaient renfermées dans les vastes domaines de l’empire. Des grandes îles, les Baléares, aujourd’hui Majorque et Minorque, ainsi nommées à cause de leur étendue respective, appartiennent, l’une aux Espagnols, et l’autre à la Grande-Bretagne. Il serait plus facile de déplorer le sort des Corses, que de décrire leur condition actuelle. La Sardaigne et la Sicile ont été érigées en royaumes en faveur de deux princes d’Italie. Crète ou Candie, Chypre, et la plupart des petites îles de la Grèce ou de l’Asie, obéissent aux Turcs tandis que le petit rocher de Malte brave toute la puissance ottomane, et est devenu un pays riche, célèbre, sous le gouvernement d’un ordre religieux et militaire.

Cette longue énumération des provinces d’un empire dont les débris ont formé tant de royaumes si puissants, rendrait presque excusable à nos yeux, la vanité ou l’ignorance des anciens. Éblouis par l’immense domination, la puissance irrésistible, la modération réelle ou affectée des empereurs, ils se croyaient permis de mépriser ces contrées éloignées, qu’ils avaient laissées jouir d’une indépendance barbare ; souvent même ils affectaient d’en méconnaître le nom : insensiblement ils s’accoutumèrent à confondre la monarchie romaine avec le globe de la terre[93]. Mais ces idées vagues et peu exactes ne conviennent pas à un historien moderne : guidé par des connaissances plus sûres, il est en état de présenter à ses lecteurs un tableau mieux proportionné, en leur faisant observer que l’empire avait plus de deux mille milles de large depuis le mur d’Antonin et les limites septentrionales de la Dacie jusqu’au mont Atlas et jusqu’au tropique du Cancer, et qu’il s’étendait en longueur dans un espace de plus de trois mille milles depuis l’Euphrate jusqu’à l’Océan occidental. Il était situé dans les plus beaux lieux de la zone tempérée, entre le 24e et le 56e degré de latitude nord. Enfin, on évaluait sur l’étendue, à peu prés à six cent mille milles carrés, dont la plais grande partie consistait en terres fertiles et très bien cultivées[94].

 

 

 



[1] Dion Cassius (l. LVI, p. 736), avec les notes de Reymar, qui a rassemblé tout ce que la vanité romaine nous a laissé ce sujet. — Le marbré d’Ancyre, sur lequel Auguste avait fait graver ses exploits, nous dit positivement que cet empereur força les Parthes à restitués les drapeaux de Crassus.

Les poètes latins ont célébré avec pompe ce paisible exploit d’Auguste. Horace, l. IV, od. 15, a dit :

……… Tua, Cæsar, œtas

………………

Signa nostro restituit Jovi

Derepta Parthorum superbis

Postibus ;

et Ovide, dans ses Tristes, l. 2, v. 227 :

Nunc petit Armenius pacem, nuhc porrigit arcum

Parthus eques, timida captaque signa manu.

(Note de l’Éditeur)

[2] Strabon (l. XVI, p. 780), Pline (Hist. nat., l VI, c. 32, 35) et Dion-Cassius (l. III, p. 723, et l. LIV, p. 734), nous ont laissé sur ces guerres des détails très curieux. Les Romains se rendirent maîtres de Mariaba ou Merab, ville de l’Arabie-Heureuse, bien connue des Orientaux (Voy. Abulfeda, et la Géographie nubienne, p. 52). Ils pénétrèrent jusqu’à trois journées de distance du pays qui produit les épices, principal objet de leur invasion.

C’est cette ville de Merab que les Arabes disent avoir été la résidence de Belkis, reine de Saba, qui voulut voir Salomon. Une digue, par laquelle des eaux rassemblées dans les environs étaient retenues, ayant été emportée, l’inondation subite détruisit cette ville, dont il reste cependant des vestiges. Elle était limitrophe d’une contrée nommée l’Adramaüt, où croît un aromate particulier : c’est pour cela qu’on lit dans l’Histoire de l’expédition des Romains, qu’il ne restait que trois journées pour arriver au pays de l’encens. Voyez d’Anville, Géogr. anc., t. II, p. 222. (note de l’Éditeur).

[3] Par le massacre de Varus et de ses trois légions (Voy. le  livre I des Annales de Tacite ; Suétone, Vie d’Auguste, c. 23 ; et Velleius Paterculus, l. II, c. 117, etc.). Auguste ne reçut pas la nouvelle de ce malheur avec toute la modération ni toute la fermeté que l’on devait naturellement attendre de son caractère.

[4] Tacite, Annal., l. II ; Dion-Cassius, l. LVI, p. 833 ; et le discours d’Auguste lui-même dans les Césars de Julien. Ce dernier ouvrage a reçu beaucoup de clarté des savantes notes de son traducteur français M. Spanheim.

[5] Germanicus, Suetonius-Paulinus et Agricola furent traversés et rappelés dans le cours de leurs victoires. Corbulon fut mis à mort. Le mérite militaire, comme l’exprime admirablement Tacite, était dans toute la rigueur de l’expression, imperatoria virtus.

[6] César lui-même dissimule ce motif peu relevé ; mais Suétone en fait mention, c. 47. Au reste, les perles de la Bretagne se trouvent de peu de valeur, à raison de leur couleur obscure et livide. Tacite observe avec raison que c’était un défaut inhérent à leur nature (Vie d’Agricola, c. 12). Ego facilius crediderim naturam margaritis deesse, quàm nobis avaritiam. Pour ma part, je croirais plus volontiers que la qualité de ces pierres ne suffit pas à notre convoitise.

[7] Sous les règnes de Claude, de Néron et de Domitien. Pomponius Mela, qui écrivait sous le premier de ces princes espère (l. III, c. 6) qu’à la faveur du succès des armes romaines, l’île et ses sauvages habitants seront bientôt mieux connus. Il est assez amusant de lire de pareils passages au milieu de Londres.

[8] Voyez l’admirable abrégé que Tacite nous a donné dans la Vie d’Agricola, et que nos savants antiquaires, Camden et Horsley, ont enrichi de commentaires si étendus, quoique peut-être encore incomplets.

[9] Les écrivains irlandais, jaloux de la gloire de leur patrie, sont extrêmement irrités à cette occasion contre Tacite et contre Agricola.

[10] Frith of Scotland.

[11] Voyez Britannia romana, par Horsley, l. I, c. 10.

[12] Agricola fortifia le passage situé entre Dunbritton et Édimbourg, par conséquent en Écosse même. L’empereur Adrien, pendant son séjour en Angleterre, vers l’an 121, fit élever un rempart de gazon entre Newcastle et Carlisle. Antonin le Pieux, ayant remporté de nouvelles victoires sur les Calédoniens, par l’habileté de son lieutenant, Lollius Urbicus, fit construire un nouveau rempart de gazon entré Édimbourg et Dunbritton. Septime-Sévère enfin, en 208, fit construire un mur de pierres parallèle au rempart d’Adrien et dans les mêmes localités. Voyez John Warburton’s Vallum romanum, or the History and antiquities of the roman wall commonly called the Picts’ wall. Londres, 1754, in-4°. (note de l’Éditeur)

[13] Le poète Buchanan célèbre avec beaucoup d’élévation et d’élégance (Voy. ses Sylvœ, v.) la liberté dont les anciens Écossais ont toujours joui. Mais si le seul témoignage de Richard de Cirencester suffit pour créer au nord de la muraille une province romaine nommée Valentia, cette indépendance se trouve renfermée dans des limites très étroites.

[14] Voy. Appien (in proœm.), et les descriptions uniformes des poésies erses qui, dans toutes les hypothèses, ont été composées par un Calédonien.

[15] Voy. le Panégyrique de Pline, qui paraît être, appuyé sur des faits.

[16] Dion-Cassius, l. LXVII.

[17] Hérodote, l. IV, c. 94 ; Julien, dans les Césars, avec les observations de Spanheim.

[18] Pline, Epist. VIII, 9.

[19] Dion-Cassius, l. LVIII, p. 1123, 1131 ; Julien, dans les Césars ; Eutrope, VIII, 2, 6 ; Aurelius Victor et Victor, in Epitom.

[20] Voyez un mémoire de M. d’Anville, sur la province de Dacie, dans le recueil de l’Académie des Inscriptions, tome XXVIII, p. 444-468.

[21] Les sentiments de Trajan sont représentés au naturel et avec beaucoup de vivacité clans les Césars de Julien.

[22] Eutrope et Sextus-Rufus ont tâché de perpétuer cette illusion. Voyez une dissertation très ingénieuse de M. Freret dans les Mém. de l’Académie des Inscriptions, t. XXI, p. 55.

[23] Dion-Cassius, l. LXVIII, et les abréviateurs.

[24] Ovide, Fast., l. II, v. 667. Voy. Tite-Live et Dénis d’Halicarnasse, au règne de Tarquin.

[25] Saint Augustin prend beaucoup de plaisir à rapporter cette preuve de la faiblesse du dieu Terme et de la vanité des augures. Voyez de Civitate Dei, IV, 29.

[26] Voyez l’Histoire Auguste, p. 5 ; la Chronique de saint Jérôme et tous les Épitomés. Il est assez singulier que cet événement mémorable ait été omis par Dion, ou plutôt par Xiphilin.

[27] Dion, l. LXIX, p. 1158 ; Hist. Aug., p. 5, 8. Si tous des ouvrages des historiens étaient perdus, les médailles, les inscriptions et les autres monuments de ce siècle, suffiraient pour nous faire connaître les voyages d’Adrien.

[28] Voyez l’Histoire Auguste, et les Épitomés.

[29] Il ne faut cependant pas oublier que sous le règne d’Adrien, le fanatisme arma les Juifs, et excita une rébellion violente dans une province de l’empire. Pausanias (l. 8, c. 43) parle de deux guerres nécessaires, terminées heureusement par les généraux d’Antonin le Pieux : l’une contre les Maures vagabonds, qui furent chassés dans les déserts du mont Atlas ; l’autre contre les Brigantes, tribu bretonne qui avait envahi la province romaine. L’Histoire Auguste fait mention, p. 19, de ces deux guerres et de plusieurs autres hostilités.

[30] Appien d’Alexandrie, dans la préface de son Histoire des guerres romaines.

[31] Dion, l. LXXI ; Hist. Aug., in Marco. Les victoires remportées sur les Parthes ont fait naître une foule de relations dont les méprisables auteurs ont été sauvés de l’oubli et tournés en ridicule dans une satire très ingénieuse de Lucien.

[32] Le plus pauvre soldat possédait la valeur de plus de quarante livres sterling (Denys d’Halicarnasse, IV, 17), somme considérable dans un temps où l’argent était si rare qu’une once de ce métal équivalait à soixante-dix livres pesant d’airain. La populace, qui avait été exclue du service militaire par l’ancienne constitution, y fut admise par Marius. Voyez Salluste, Guerre de Jugurtha, c. 91.

[33] César composa une de ses légions (nommée l’Alauda) de Gaulois et d’étrangers ; mais ce fut pendant la licence des guerres civiles ; et après ses victoires, il leur donna pour récompense le droit de citoyen romain.

[34] Voyez Végèce, de Re militari, l. I, c. 2-7.

[35] Le serment de fidélité que l’empereur exigeait des troupes était renouvelé tous les ans le 1er janvier.

[36] Tacite appelle les aigles romaines bellorum deos. Placées dans une chapelle au milieu du camp, elles étaient adorées par les soldats comme les autres divinités.

[37] Voy. Gronovius, de Pecuniâ vetere, l. III, p. 120, etc. L’empereur Domitien porta la paye annuelle des légionnaires à douze pièces d’or, environ dix de nos guinées. Cette paye s’augmenta insensiblement par la suite, selon les progrès du gouvernement militaire et la richesse de l’État. Après vingt ans de service, le vétéran recevait trois mille deniers (environ cent livres sterling), ou une portion de terre de la valeur de cette somme. La paye des gardes, et en général les avantages dont ils jouissaient, étaient le doublé de ce qu’on accordait aux légionnaires.

[38] Exercitus, ab exercitando. Varron, de Linguâ latinâ, l. IV ; Cicéron, Tuscul., l. II, 37. On pourrait donner un ouvrage bien intéressant en examinant le rapport qui existe entre la langue et les mœurs des nations.

[39] Végèce, l. II, et le reste de son premier livre.

[40] M. Le Beau a jeté un très grand jour sur le sujet de la danse pyrrhique dans le Recueil de l’Académie des Inscriptions, tome XXXV, p. 262, etc. Ce savant académicien a rassemblé, dans une suite de mémoires, tous les passages que nous ont laissés les anciens concernant la légion romaine.

[41] Josèphe, de Bello judaico, l. 3, c. 5. Nous sommes redevables à cet écrivain juif de quelques détails très curieux sur la discipline romaine.

[42] Panégyrique de Pline, c. 13 ; Vie d’Adrien, dans l’Histoire Auguste.

[43] Voyez, dans le VIe livre de son histoire, une digression admirable sur la discipline des Romains.

[44] Végèce, de Re militari, l. II, c. 4, etc. Une partie considérable de son obscur abrégé est prise des règlements de Trajan ; la légion, telle qu’il la décrit, ne peut convenir à aucun autre siècle de l’empire romain.

[45] Végète, de Re militari, l. II, c. 1. Du temps de Cicéron et de César, où les anciennes formes avaient reçu moins d’altération, le mot miles se bornait presque à l’infanterie. Dans le bas-empire et dans les siècles de chevalerie, il fut approprié presque exclusivement aux gens d’armes qui combattaient à cheval.

[46] Du temps de Polybe et de Denys d’Halicarnasse (l. V, c. 43), la pointe d’acier du pilum semble avoir été beaucoup plus longue. Dans le siècle où Végèce, écrivait, elle fut réduite à un pied, ou même à neuf pouces : j’ai pris un milieu.

[47] Pour les armes des légionnaires, voyez Juste-Lipse, de Miliciâ romanâ, l. III, c. 2-7.

[48] Voyez la belle comparaison de Virgile, Georg., II, v. 279.

[49] M. Guichard (Mémoires militaires, t. I, c. 4, et nouveaux Mémoires, t. I, p. 293-311)) a traité ce sujet en homme instruit et en officier.

[50] Voyez la Tactique d’Arrien. Par une partialité digne d’un Grec, cet auteur a mieux aimé décrire la phalange, qu’il connaissait seulement par les écrits des anciens, que les légions qu’il avait commandées.

[51] Polybe, l. XVII.

[52] Végèce, de Re militari, l. II, c. 6. Son témoignage positif, qu’on pourrait appuyer de faits évidents, doit certainement imposer silence à ces critiques qui refusent à la légion impériale son corps de cavalerie.

[53] Voyez Tite-Live presque partout, et spécialement XLII, 61.

[54] Pline, Hist. nat., XXXIII, 2. Le véritable sens de ce passage très curieux a été découvert et éclairci par M. de Beaufort, Rép. romaine, l. II, c. 2.

[55] Comme nous le voyons par l’exemple d’Horace et d’Agricola, il paraît que cette coutume était un vice dans la discipline romaine. Adrien essaya d’y remédier en fixant l’âge qu’il fallait avoir pour être tribun.

[56] Ces détails ne sont pas tout à fait exacts. Quoique dans les derniers temps de la république et sous les premiers empereurs les jeunes nobles romains obtinssent le commandement d’un escadron ou d’une cohorte avec plus de facilité que dans les temps antérieurs, ils n’y parvenaient guère sans avoir passé par un assez long service militaire. En général, ils servaient d’abord dans la cohorte prétorienne, qui était chargée de la garde du général : ils étaient reçus dans l’intimité de quelque officier supérieur (contubernium), et s’y formaient. C’est ainsi que Jules César, issu cependant d’une grande famille, servit d’abord comme contubernalis sous le préteur M. Thermus, et plus tard, sous Servilius l’Isaurien (Suétone, Vie de Jules César, 2-5 ; Plutarque, in Parall., p. 516 ed. Froben). L’exemple d’Horace, que Gibbon met en avant pour prouver que les jeunes chevaliers étaient faits tribuns dès qu’ils entraient au service, ne prouve rien. D’abord, Horace n’était point chevalier ; c’était le fils d’un affranchi de Venuse (Venosa), dans la Pouille, qui exerçait la petite fonction d’huissier priseur, coactor exactionum. Voyez Horace, sat. I, v. 6, 86. D’ailleurs, quand le poète fut fait tribun, Brutus, dont l’armée était composée presque entièrement d’Orientaux, donnait ce titre à tous les Romains de quelque considération qui se joignaient à lui. Les empereurs furent encore moins difficiles dans leurs choix : le nombre des tribuns fut augmenté ; on en donnait le titre et les honneurs à des gens qu’on voulait attacher à la cour. Auguste donna aux fils des sénateurs tantôt le tribunat, tantôt le commandement d’un escadron. Claude donna aux chevaliers qui entraient au service, d’abord le commandement d’une cohorte d’auxiliaires, plus tard celui d’un escadron, et enfin, pour la première fois, le tribunat ( Suétone, Vie de Claude, p. 25, et les notes d’Ernesti). Les abus qui en provinrent donnèrent lieu à l’ordonnance d’Adrien qui fixa l’âge auquel on pouvait obtenir cet honneur (Spartien, in Adr., X). Cette ordonnance fut observée dans la-suite ; car l’empereur Valérien, dans une lettre adressée à Mulvius-Gallicanus, préfet du prétoire s’excuse de l’avoir violée en faveur du jeune Probus, depuis empereur, à qui il avait conféré le tribunat de bonne heure, à cause de ses rares talents. Vopiscus, in Prob., IV. (Note de l’Éditeur)

[57] Voyez la Tactique d’Arrien.

[58] Tel était en particulier l’État des Bataves. Tacite, Mœurs des Germains, c. 29.

[59] Marc-Aurèle, après avoir vaincu les Quades et les Marcomans, les obligea de lui fournir un corps de troupes considérable, qu’il envoya. aussitôt en Bretagne. Dion, l. LXXI.

[60] Tacite, Annal., IV, 5. Ceux qui composent ces corps dans une proportion régulière d’un certain nombre de fantassins et de deux fois autant de chevaux, confondent les auxiliaires des empereurs avec les Italiens alliés de la république.

[61] Végèce, II, 2 ; Arrien, dans sa Description de la marche et de la bataille contre les Alains.

[62] Le chevalier Folard (dans son Commentaire sur Polybe, tome II, p 233-290) a traité des anciennes machines avec beaucoup d’érudition et de sagacité : il les préfère même, à beaucoup d’égards, à nos canons et à nos mortiers. Il faut observer que, chez les Romains, l’usage des machines devint plus commun, à mesure que la valeur personnelle et les talents militaires disparurent dans l’empire. Lorsqu’il ne fut plus possible de trouver des hommes, il fallut bien y suppléer par des machines ; Voyez Végèce, II,  25, et Arrien.

[63] Universa quæ in quoque belli genere necessaria esse creduntur, secum legio debet ubique portare, ut in quovis loco fixerit castra, armatam faciat civitatem. C’est par cette phrase remarquable que Végèce termine son second livre et la description de la légion.

[64] Pour la castramétation des Romains, voyez Polybe, l. IV ; avec Juste-Lipse, de Militiâ romanâ ; Josèphe, de Bello judaic., l. III, c. 5 ; Végèce, I, 21-25, III, 9 ; et Mémoires de Guichard, tome I, c. 1.

[65] Cicéron, Tuscul., II, 37 ; .Josèphe, de Bello jud., l. III, 5 ; Frontin, IV, 1.

[66] Végèce, I, 9 ; Voyez Mémoires de l’Académie des Inscriptions, tome XXV, p. 187.

[67] Ces évolutions sont admirablement expliquées par M. Guichard, nouveaux Mémoires, tome I, p. 141-234.

[68] Tacite (Annal., IV, 5) nous a donné un état des légions sous Tibère, et Dion (l. LV, p. 794) sous Alexandre-Sévère. J’ai tâché de m’arrêter à un juste milieu entre ce qu’ils nous apprennent de ces deux périodes. Voyez aussi Juste-Lipse, de Magnitudine romanâ, l. I, c. 4, 5.

[69] Les Romains essayèrent de cacher leur ignorance et leur terreur  sous le voile d’un respect religieux. Voyez Tacite, Mœurs des Germains, c. 34.

[70] Plutarque, Vie de Marc-Antoine ; et cependant, si nous en croyons Orose, ces énormes citadelles ne s’élevaient pas de plus de dix pieds au-dessus de l’eau, VI, 19.

[71] Voyez Juste-Lipse, de Magnitudine romanâ, l. I, c. 5. Les seize derniers chapitres de Végèce ont rapport à la marine.

[72] Voltaire, Siècle de Louis XIV, c. 19. Il ne faut cependant pas oublier que la France, se ressent encore de cet effort extraordinaire.

[73] Voyez Strabon, l. II. Il est assez naturel de supposer qu’Aragon vient de Tarraconensis : plusieurs auteurs modernes, qui ont écrit en latin, se servent de ces deux mots comme synonymes ; il est cependant certain que l’Aragon, petite rivière qui tombe des Pyrénées dans l’Èbre, donna d’abord son nom à une province, et ensuite à un royaume. Voy. d’Anville, Géographie du moyen âge, p. 181.

[74] Cent quinze cités paraissent dans la Notice de la Gaule : on sait que ce nom était donné, non seulement à la ville capitale, mais encore au territoire entier de chaque État. Plutarque et Appien font monter le nombre des tribus à trois ou quatre cents.

[75] D’Anville, Notice de l’ancienne Gaule.

[76] Histoire de Manchester, par Whitaker, vol. I, c. 3.

[77] Les Venètes d’Italie, quoique souvent confondus avec les Gaulois, étaient probablement Illyriens d’origine. Voyez M. Fréret, Mémoires de l’Académie des Inscriptions, t. XVIII.

[78] Voyez Mafei, Verona illustrata, l. I.

[79] Le premier de ces contrastes avait été observé par les anciens (voyez Florus, I, II). Le second doit frapper tout voyageur moderne.

[80] Pline (Hist. nat., t. III) suit la division d’Italie par l’empereur Auguste.

[81] Tournefort, Voyage en Grèce et en Asie Mineure, lettre XVIII. Voyez M. de Buffon, Hist. nat., t. I, p. 411.

[82] Le nom d’Illyrie appartenait originairement aux côtes de la mer Adriatique ; les Romains l’étendirent par degrés depuis les Alpes jusqu’au Pont-Euxin. Voyez Severini Pannonia, l. I, c. 3.

[83] Un voyageur vénitien, l’abbé Fortis, nous a donné récemment une description de ces contrées peu connues ; mais nous ne pouvons, attendre la géographie et les antiquités de l’Illyrie occidentale que de la munificence de l’empereur, souverain de cette contrée.

[84] La Save prend sa source prés des confins de l’Istrie : les Grecs des premiers âges regardaient cette rivière comme la principale branche du Danube.

[85] Voyez le Périple d’Arrien. Cet auteur avait examiné les côtes du Pont-Euxin lorsqu’il était gouverneur de la Cappadoce.

[86] Cette comparaison est exagérée, dans l’intention sans doute d’attaquer l’autorité de la Bible, qui vante la fertilité de la Palestine. Gibbon n’a pu se fonder que sur un passage de Strabon, l. XVI, p. 1104, ed. Almeloy, et sur l’état actuel du pays ; mais Strabon ne parle que des environs de Jérusalem, qu’il dit infructueux et arides à soixante stades autour de la ville : il rend ailleurs un témoignage avantageux à la fertilité de plusieurs parties de la Palestine ; ainsi il dit : «Auprès de Jéricho, il y à un bois de palmiers, et une contrée de cent stades, pleine de sources et fort peuplée. » D’ailleurs, Strabon n’avait jamais vu la Palestine ; il n’en parlait que d’après des rapports qui ont fort bien pu être inexacts comme ceux d’après lesquels il avait fait cette description de la Germanie, où Cluvier a relevé tant d’erreurs (Cluv., Germ. ant., l. III, c. I). Enfin, son témoignage est contredit et réfuté par celui des autres auteurs anciens à des médailles. Tacite dit, en parlant de la Palestine : « Les hommes y sont sains et robustes, les pluies rares, le sol fertile (Tac., Hist., l. V, c. 6). Ammien Marcellin dit aussi : « La dernière des Syries est la Palestine, pays d’une grande étendue, rempli de bonnes terres et bien cultivées, et où l’on trouve quelques belles villes, qui ne le cèdent point l’une à l’autre, mais qui sont dans une espèce d’égalité qui les rend rivales » (L. XIV, c. 8.). Voyez aussi l’historien Josèphe, l. VI, c. 1, p. 367. Procope de Césarée, qui vivait au sixième siècle, dit que Chosroès, roi de Perse, avait eu une extrême envie, de s’emparer de la Palestine, à cause de sa fertilité extraordinaire, de son opulence, et du grand nombre de ses habitants. Les Sarrasins pensaient de même, et craignaient qu’Omar, qui était allé à Jérusalem, charmé de la fertilité du pays et de la pureté de l’air, ne voulût jamais retourner à Médine (Ockley, Hist. des Sarrasins, p. 279). L’importance que mirent les Romains à la conquête de la Palestine, et les obstacles qu’ils eurent à vaincre, prouvent encore la richesse, et la population du pays. Vespasien et Titus firent frapper des médailles avec des trophées dans lesquels la Palestine est représentés par une femme sous un palmier, pour témoigner la bonté du pays, avec cette inscription : Judœa capta. D’autres médailles indiquent encore cette fertilité : par exemple, celle d’Hérode tenant une grappe de raisin, et celle du jeune Agrippa étalant des fruits. Quant à l’état actuel du pays, on sent qu’on n’en doit tirer aucun argument contre son ancienne fertilité ; les désastres à travers lesquels il a passé, le gouvernement auquel il appartient, la disposition des habitants, expliquent assez l’aspect sauvage et inculte de cette terre, où l’on trouve cependant encore des cantons fertiles et cultivés, comme l’attestent les voyageurs, entre autres Shaw, Maundrell, de La Rocque, etc. (Note de l’Éditeur).

[87] Le progrès de la religion est bien connu. L’usage des lettres s’introduisit parmi les sauvages de l’Europe environ quinze cents ans avant Jésus-Christ, et les Européens les portèrent en Amérique environ quinze siècles après là naissance du Sauveur ; mais l’alphabet phénicien fut considérablement altéré, dans une période de trois mille ans, en passant par les mains des Grecs et des Romains.

[88] Dion, l. LVIII, p. 1131.

[89] Selon, Ptolémée, Strabon et les géographes modernes, l’isthme de Suez est la borne de l’Asie et de l’Afrique. Denys, Mela, Pline, Salluste, Hirtius et Solin, en étendant les limites de l’Asie jusqu’à la branche occidentale du Nil, ou même jusqu’à la grande cataracte, renferment dans cette partie du monde, non seulement l’Égypte, mais encore presque toute la Libye.

[90] Cyrène fut fondée par les Lacédémoniens sortis de Théra, île de la mer Égée. Crinus, roi de cette île, avait un fils, nommé Aristée, et surnommé Battus (du grec Βαττος) parce qu’il était, selon les uns, muet, ou, selon les  autres bègue et embarrassé dans sa prononciation. Crinus consulta l’oracle de Delphes sur la maladie de son fils : l’oracle répondit qu’il ne recouvrerait l’usage libre de la parole que lorsqu’il irait fonder une ville en Afrique. La faiblesse de l’île de Théra, le petit nombre de ses habitants, se refusaient aux émigrations ; Battus ne partit point. Les Théréens, affligés de la peste, consultèrent de nouveau l’oracle, qui leur rappela sa réponse. Battus partit alors, aborda en Afrique, et effrayé, selon Pausanias, par la vue d’un lion, il reprit soudain, en poussant un cri, l’usage de la parole. Il s’empara du mont Cyra, et y fonda la ville de Cyrène. Cette colonie parvint bientôt à un haut degré de splendeur ; son histoire et les médailles qui nous en  restent, attestent sa puissance et ses richesses (Voyez Eckhel, de Doctrinâ nummrum veterum, t. IV, p. 117). Elle tomba dans la suite au pouvoir des Ptolémées, lorsque les Macédoniens s’emparèrent de l’Égypte. Le premier Ptolémée-Lagus, dit Soter, s’empara de la Cyrénaïque, qui appartint à ses successeurs, jusqu’à ce que Ptoléméé-Apion la donnât par testament aux Romains, qui la réunirent avec la Crète pour en former une province. Le port de Cyrène se nommait Apollonia ; il s’appelle aujourd’hui Marza-Susa ou Sosush, d’où d’Anville conjecture que c’est la ville qui portait ce nom de Sozusa dans le temps du bas empire. Il reste quelques débris de Cyrène, sous le nom de Curin. L’histoire de cette colonie, obscurcie dans son origine par les fables de l’antiquité, est racontée avec détail dans plusieurs auteurs anciens et modernes. Voyez, entre autres, Hérodote, l. IV, c. 150 ; Callimaque (qui, était lui-même Cyrénéen), Hymn. ad Apoll., et les notes de Spanheim ; Diodore de Sicile, IV, 83 ; Justin, XIII, 7 ; d’Anville, Géog. Anc., t. III, p. 43, etc. (Note de l’Éditeur).

[91] La longue étendue, la hauteur modérée et la pente douce du mont Atlas (voyez les Voyages de Shaw, p. 5), ne s’accordent pas avec l’idée d’une montagne isolée qui cache sa tête dans les nues, et qui paraît supporter le ciel. Le pic de Ténériffe, au contraire, s’élève à plus de deux mille deux cents toises au-dessus du niveau de la mer ; et comme il était fort connu des Phéniciens, il aurait pu attirer l’attention des poètes grecs. Voyez Buffon, Hist. nat., t. I, p. 312 ; Hist. des Voyages, tome II.

[92] M. de Voltaire (t. XIV, p. 297), sans y être autorisé par aucun fait ou par aucune probabilité, donne généreusement aux Romains les îles Canaries.

[93] Bergier, Hist. des grands chemins, l. III, c. 1, 2, 3, 4 ; ouvrage rempli de recherches très utiles.

[94] Voyez la Description du globe, par Templeman ; mais je ne me fie ni à l’érudition ni aux cartes de cet écrivain.