L’empereur Louis II mourut le 12 août 875. La majesté impériale, déjà si profondément humiliée dans la personne de son aïeul Louis le Pieux, n’avait fait, depuis la mort de ce prince, que perdre tous les jours de son prestige et de sa puissance. Louis II avait éprouvé combien était lourde à porter une couronne à laquelle les souvenirs du passé ajoutaient tant d’éclat. Malgré les monitoires pontificaux qu’il dictait aux papes, il n’avait pu disputer à l’avidité de ses oncles l’héritage de ses frères et n’avait pu sauver une épave de leur succession. Ses biographes lui ont prêté de grandes et nobles pensées. Il voulait justifier son titre de roi d’Italie et réaliser l’unité de la péninsule, en arrachant aux sourdes menées des Grecs et aux pillages des Sarrasins les provinces méridionales, sur lesquelles l’autorité des princes francs avait toujours été précaire[1]. L’exécution n’avait pas répondu à ses desseins. Malgré quelques triomphes passagers, il avait eu l’humiliation non seulement d’échouer dans son entreprise, mais de tomber lui-même entre les mains de son perfide vassal, le duc de Bénévent, qui l’avait retenu prisonnier. L’empereur d’Orient, Basile, avait dédaigneusement refusé de le traiter en basileus, et avait dénié à cet héritier nominal de Charlemagne tout droit à partager avec lui ce titre glorieux. Dans l’étroitesse des limites auxquelles l’avait réduit la fatalité des partages successifs de l’empire, il crut du moins pouvoir tirer profit de la présence du pape à Rome et de l’hégémonie morale exercée par le Saint-Siège sur le monde catholique. Mais il eut la papauté plutôt comme ennemie que comme alliée. Louis II s’était, en effet, montré très ferme à l’égard des pontifes. Il les avait empêchés de s’émanciper de sa tutelle et maintenu dans les termes rigoureux du pacte consenti par Charlemagne, en l’an 800, et singulièrement aggravé par la constitution de Lothaire, en 824[2]. Il ne manquait pas à Rome de partisans déterminés du droit impérial qui poussaient l’empereur à une initiative énergique et l’encourageaient à réduire le Saint-Siège au rôle secondaire dont il s’était départi, grâce à l’éloignement des empereurs. Jamais les papes ne s’étaient sentis aussi étroitement surveillés et contrôlés par les agents impériaux ; jamais leur initiative ne s’était heurtée à des obstacles aussi irritants, même dans l’exercice de leur autorité spirituelle. Cette sujétion humiliante, celle limitation gênante de sa liberté d’action devait suggérer au pontife le pressant désir de secouer le joug impérial et de réformer le pacte qui le liait à l’empereur. La tentation était d’autant plus forte, que le pouvoir de ce suzerain était plus faible, et que son crédit sur les princes temporels de la chrétienté déclinait davantage. Le pape Jean VIII profita des embarras de la succession impériale, à la mort de Louis II, pour essayer de mener à bien un dessein qui, probablement, était depuis longtemps prémédité par la cour de Rome. Pour éclairer les obscurités de cette période intéressante de l’histoire de la papauté et de l’empire, nous n’avons que des documents incomplets et insuffisants. C’est d’abord la correspondance même du pape Jean VIII. Elle nous est parvenue par un seul manuscrit du xi c siècle, trouvé au Mont-Cassin, mais dans un assez mauvais état de conservation ; plusieurs lettres manquent, d’autres sont tronquées, sans date ou avec des dates inexactes[3]. Telle quelle, cette collection, de près de quatre cents lettres, n’en est pas moins précieuse. Elle nous permet de saisir sur le vif l’âme inquiète et mobile de ce pontife, tourmenté de vastes ambitions, de peu de scrupules sur les moyens d’exécution, mais sans fermeté et sans suite dans ses volontés, entremêlant à plaisir les (ils de ses intrigues, au point qu’il finit par s’y perdre et par devenir la dupe des instruments dont il croit se servir. Elle nous présente le spectacle d’une activité fiévreuse et stérile, sans cesse en travail de projets grandioses, et singulièrement limitée dans ses ressources, qui se déploie en Orient comme en Occident, et à qui échappe la possession même de Rome, menacée par les Sarrasins et bouleversée par les factions. Toutefois, on chercherait en vain dans cette correspondance l’affirmation précise des prétentions de la papauté et de ses conditions d’existence. L’aveu des projets de Jean VIII se dérobe sous la phraséologie vague de ce style aux contours indécis et fuyants, favorable aux échappatoires de la pensée. Les confidences s’y enveloppent de réticences mystérieuses. Trop prudent pour confier à l’écriture les secrets de sa politique, le pape accompagne presque toujours ses lettres de messagers, chargés d’en développer et d’en commenter oralement le contenu. Ces lacunes déroulent notre curiosité et ajoutent encore aux incertitudes de l’interprétation. Les Annales franques et germaines sont plus précises, mais moins explicites et moins au courant des détails qui nous intéressent. Le continuateur des Annales (le Saint-Bertin, pour la période qui nous occupe, est l'archevêque de Reims, Hincmar lui-même, ou tout au moins un clerc dévoué aux intérêts du grand prélat et soigneux de ménager sa gloire, aux dépens même de celle du souverain. Très sévère pour les faiblesses et les fautes de Charles le Chauve, il défend avec énergie les droits de l’Église de France, imprudemment sacrifiés par la vanité de l’empereur. L’annaliste de Fulda écrit en ennemi décidé de la France et surtout de Charles le Chauve. Il accuse le nouvel empereur de perfidie, de corruption et de lâcheté ; c’est un partisan dévoué de Louis le Germanique, frustré par son frère dans ses espérances d’empire. En dehors de ces documents, qu’on peut considérer comme semi-officiels, la source la plus abondante, la plus précise de renseignements, sinon la plus sûre, est le Libellus de imperatoria potestate in urbe Roma. Il est le seul qui mentionne la donation de Charles le Chauve au Saint-Siège et les principales conditions du pacte conclu entre l’empereur et le pape. Il nous est parvenu dans un manuscrit de l’Historia miscellanea d’Eutrope et a été publié pour la première fois par le centuriate de Magdebourg, Flavius Illyricus. Pertz lui a fait sa place dans ses Monumenta Germaniæ[4], mais l’a attribué faussement à Benoist de Saint-André du Soracte, qui s’en est servi pour sa chronique et l’a en partie copié. Il est rappelé dans une pièce d’Otton III, qui le reproduit textuellement en traitant ses assertions de mensonges[5]. De nos jours, il a été édité intégralement par Watterich dans les Additamenta de son premier volume : Vitœ pontificum. Si l’authenticité du Libellus ne peut faire doute, puisque Benoît de Saint-André, qui écrivait au moment de la restauration d’Otton le Grand, l’a connu et en a donné des extraits, la nature des révélations qui s’y trouvent a soulevé les plus violentes contradictions. Baronius et Pagi lui refusent tout crédit[6] à cause des erreurs manifestes qu’il renferme, surtout dans sa première partie. Pertz, Gfrörer, Wattenbach, Giesebrecht, y voient un pamphlet composé en faveur d’Otton le Grand et de la restauration de l’empire. Plus récemment, deux érudits, MM. Jung et F. Hirsch, ont consacré chacun une étude approfondie au texte du Libellus[7]. Le premier ajoute un grand poids aux assertions de l’écrivain, qu’il regarde presque toujours comme vérifiées par les événements. Le second y découvre quelques pépites d’or au milieu de beaucoup de fange. S’il considère comme à peu près exact ou du moins comme très vraisemblable le tableau donné par le Libellus de l’administration de Rome sous le gouvernement des empereurs, il conteste l’exactitude des termes de la donation arrachée par Jean VIII à la faiblesse de Charles le Chauve. Il est vrai que M. Hirsch distingue entre les concessions faites à Rome au moment du couronnement et celles qu’obtint Jean VIII pendant son voyage en France, l’année qui suivit, et qu’il assigne cette date à la plupart des capitulations consenties par l’empereur. Or, si nous nous reportons au texte du Libellus, on ne voit pas que l’auteur ait prétendu donner une date précise à ces capitulations ; il ne les considère que comme une conséquence et une condition de l’élévation de Charles le Chauve à l’empire. Il serait téméraire déjuger du crédit de l’historien anonyme par les erreurs que renferme la première partie de l’opuscule, celle où il traite de la domination lombarde en Italie et des premières interventions des Francs. Des erreurs semblables se rencontrent dans tous les écrivains du VIIIe et du IXe siècle et jusque dans Éginhard, lorsqu’il parle de personnages et d’événements contemporains. Ces résumés étaient faits de mémoire et ne devaient servir, dans l’esprit de l’auteur, que d’entrée en matière ; ils ne touchaient pas à son sujet proprement dit. Plus graves peut-être sont les assertions contestables relatives au gouvernement de Charlemagne en Italie et à Rome. Il y a là évidemment un défaut de perspective, une illusion d’optique historique ; l’auteur attribue au grand empereur, dont la légende remplissait déjà les imaginations du Xe siècle, des intentions et des mesures administratives dont la responsabilité revient à ses successeurs, surtout à Lothaire et à Louis II. La constitution de l’an 800 fut profondément remaniée par celle de 824. Le régime que décrit le Libellus est celui des cinquante années qui s’écoulent depuis le voyage de Lothaire à Rome jusqu’à l’avènement de Charles le Chauve ; dans l’appréciation que l’on donne du Libellus, il faut tenir moins de compte des noms et des dates que de la substance même des faits. On a cherché à préciser l’époque de la composition du Libellus et à démêler les origines et les intentions de l’auteur. Les inductions ingénieuses de M. Jung nous paraissent généralement serrer de fort près la vérité. L’auteur est un partisan convaincu et enthousiaste de l’autorité impériale, un gibelin, comme on dira quelques siècles plus tard, un ennemi, non de la papauté, mais de la domination temporelle des pontifes sur l’Italie. Son héros paraît être Louis II, le premier souverain entièrement italien de la race de Charlemagne ; il le loue tant de ses entreprises sur les provinces du sud de l’Italie, qu’il veut rattacher à son pouvoir parce qu’elles sont italiennes, que de sa politique très ferme à l’égard de la papauté. On peut supposer encore qu’il est des amis ou des partisans des ducs de Spolète, puisqu’il ne manque pas l’occasion de rehausser le rôle de ces princes, et de les montrer agissant à Rome comme les véritables chargés de pouvoirs de l’empereur. Enfin, peut-être appartenait-il à l’un des trois monastères impériaux de la Sabine, Sainte-Marie, Saint-André ou Saint-Sauveur, à cause de l’importance qu’il ajoute à tout ce qui concerne ces grands établissements religieux. A quelle date doit-on placer la composition de l’ouvrage ? Presque tous les érudits qui se sont occupés de la question s’accordent à la fixer vers le milieu du Xe siècle, entre 930 et 940. Pertz, Gfrörer et Giesebrecht voient dans cet opuscule un manifeste en faveur d’Otton Ier et de la restauration de l’empire. Or il n’est fait nulle part la plus lointaine allusion, soit à Otton, soit à la domination allemande. 11 est impossible d’y découvrir la moindre sympathie pour aucun des souverains d’au delà les Alpes, le moindre appel à l’intervention étrangère. L’auteur regarde non pas vers l’avenir, mais vers le passé. Nous ne pouvons voir dans ces pages que les lamentations énergiques d’un patriote frappé des malheurs déchaînés sur son pays par les intrigues romaines et la déplorable administration des agents pontificaux, et l’expression des regrets que lui arrache l’éclipse de la puissance impériale, seule capable de ramener dans la péninsule l’ordre et la sécurité. C’est donc au plus fort des troubles et de l’anarchie qui affligèrent Rome qu’il faut reporter l’époque de la composition du Libellus, c’est-à-dire vraisemblablement, au moment de la domination de Marozia et de Théodora, dans le premier tiers du Xe siècle[8]. L’amertume profonde que respirent les dernières lignes de l’ouvrage, les rancunes passionnées de l’auteur contre les pontifes de Rome, la précision des reproches adressés à la faiblesse de Charles le Chauve, révèlent un témoin attristé des désordres dont la capitale du monde chrétien fut le théâtre, et presque un contemporain des événements qu’il raconte. I. — LA DONATION DE CHARLES LE CHAUVE. Aussitôt après la mort de l’empereur Louis II, décédé sans héritiers directs, sa veuve Ingelberge et les grands laïques et ecclésiastiques du royaume se réunirent à Pavie pour désigner son successeur. La Chronique du prêtre André, ancien conseiller de Louis II, fait entendre qu’on ne put arrêter un choix définitif, et qu’en désespoir de s’accorder, on prévint à la fois de la vacance de l’empire Louis le Germanique et Charles de Neustrie[9]. A ne consulter que l’usage établi et les règlements des actes de partage antérieurs, la couronne devait incontestablement revenir à l’aîné, c’est-à-dire au Germanique. Dès l’année 874, celui-ci avait eu une entrevue près de Vérone avec son neveu[10], et, bien qu’on ignore les détails de cette rencontre, il est vraisemblable qu’il avait obtenu, pour lui ou pour les siens, la promesse éventuelle de la succession impériale, puisque, dans la suite, lui-même et ses descendants ne cessèrent de se réclamer des dernières volontés de l’empereur défunt. L’auteur du Libellus déclare formellement que Louis II, à son lit de mort, désigna pour lui succéder un des fils du Germanique. Le pape Jean VIII déconcerta ces prévisions. Avec une promptitude qui trahit un dessein longuement préparé, il se décida de suite en faveur de Charles le Chauve. Ses envoyés le trouvèrent à Toucy, à la fin d’août 875. Dès lo 29 septembre, il avait franchi les Alpes et entrait dans Pavie. Le pape prétexta plus tard qu’il n’avait fait que ratifier le choix arrêté déjà depuis longtemps par ses prédécesseurs, Nicolas Ier et Adrien II. II annonçait au synode de Ravenne qu’une inspiration divine avait révélé à Nicolas les desseins de Dieu sur le roi des Francs de Neustrie[11]. Quant au pape Adrien II, on sait que, dans des négociations restées secrètes, il avait solennellement promis à Charles le Chauve de ne couronner empereur personne que lui[12]. Si la papauté s’était ainsi préparée à l’éventualité d’une vacance à l’empire, c’est qu’elle avait ses vues sur son candidat favori et trouvait son avantage à un tel choix. Charles le Chauve était un prince lettré, le plus instruit des descendants de Charlemagne, grand protecteur des savants et des théologiens, qui lui faisaient une cour brillante, fort soumis au Saint-Siège, qu’il appuyait à l’occasion contre les revendications des évêques de l’Église nationale ; de plus, glorieux et vain, très ambitieux de titres et de dignités, plus épris de l’apparence extérieure que de la réalité de la puissance impériale. Séparé de Rome par la barrière des Alpes, il ne pouvait faire de l’Italie son séjour habituel et devait laisser à la papauté cette liberté de mouvements et cette initiative qui lui avaient manqué pendant le règne de Louis II. Averti secrètement par les émissaires pontificaux, Charles se pressa de gagner l’Italie, pendant que Jean VIII réunissait pour la forme un synode à Rome et faisait reconnaître l’élection de son protégé. Malgré toute sa célérité, Charles ne put prévenir l’armée de Carloman, qui descendait par le Trentin pour lui barrer le passage et lui disputer, au nom de son père, la possession de l’Italie et de l’empire. Toutefois il avait eu le temps de mettre la main sur les trésors de l’empereur, et il sut faire usage de cette richesse. Il prodigua à Carloman l’or, l’argent, les pierres précieuses, et réussit à le détacher de son père et à lui persuader de retourner en Allemagne, avec la promesse qu’il traiterait plus tard équitablement avec Louis le Germanique la question de territoire[13]. Puis, trouvant la route libre, il se dirigea sur Rome. Il corrompit à la façon de Jugurtha et gagna à ses intérêts le sénat du peuple romain, de telle manière que le pape Jean, cédant à ses vœux, plaça sur sa tête la couronne impériale et le proclama empereur et auguste[14]. La cérémonie du couronnement s’accomplit pendant les fêtes de Noël 875, soixante-quinze ans, jour pour jour, après le couronnement de Charlemagne. Ni les Annales de Saint-Bertin ni celles de Fulda ne nous parlent des sacrifices consentis par Charles le Chauve, pour prix de son élévation à l’empire ; on nous dit simplement qu’il prodigua les présents et la corruption. Il ne faut rien conclure de ce silence. Comme l’a très bien fait remarquer M. Hirsch, si nous n’avions que les annales et les chroniques franques, nous ne soupçonnerions pas les donations faites à la papauté par Pépin et par Charlemagne[15]. Seul, l’auteur du Libellus énumère avec plus de détails les concessions de Charles le Chauve, si énormes, que plus tard les empereurs d’Allemagne refusaient d’ajouter foi à ce document. Dès son arrivée à Rome, il renouvela avec les Romains le pacte impérial, leur abandonnant les droits régaliens et les coutumes royales ; il leur attribua des revenus sur les trois monastères de Saint-Sauveur, de la bienheureuse vierge Marie de la Sabine et de Saint-André du mont Soracte, et les droits du lise sur quantité d’autres monastères. Il leur concéda les patrimoines du Samnium et de la Calabre et en même temps toutes les cités du Bénéventin ; de plus le duché de Spolète tout entier avec les deux villes de Toscane, Aricie et Clusium, que le duc avait l’habitude d’ajouter à ses possessions héréditaires, de sorte que ce prince, qui exerçait auparavant les fondions de vice-roi, parut depuis lors le sujet des Romains. Il consentit à l’éloignement des légats impériaux et renonça à leur assiduité et à leur présence pendant les élections apostoliques. Que dire de plus ? Il accorda tout ce qu’ils voulurent, comme on fait largesse de biens mal acquis et dont la possession n’est pas espérée[16]. Après avoir ceint la couronne impériale et reçu l’onction sacrée, Charles le Chauve vint à Pavie en compagnie du pape (février 876). Il y tint un synode où les grands d’Italie ratifièrent par leurs acclamations les actes de la cérémonie de Noël. Puis il gagna la France, escorté des légats pontificaux. Selon les expressions de l’annaliste de Metz, il avait traversé en courant son nouveau royaume d’Italie, plutôt qu’il n’en avait pris réellement possession. De retour dans ses États, il réunit un concile solennel à Ponthion, où furent lus les actes des assemblées de Rome et de Pavie et confirmée son élévation à l’empire et à la royauté de l’Italie. C’est aussi dans ce synode, en présence des prélats français révoltés et indignés, qu’il se mit en mesure de remplir une partie des promesses faites à Jean VIII, en lui sacrifiant les libertés de l’Église nationale et en instituant au-dessus des évêques et des métropolitains un primat qui devait exercer dans le royaume les pouvoirs du Saint-Siège[17]. A dater de son retour d’Italie, les Annales de Fulda, dont les assertions, suspectes ailleurs d’hostilité systématique, sont ici confirmées par tous les historiens contemporains, reprochent à Charles le Chauve d’avoir donné satisfaction à sa vanité, en abandonnant les usages et les costumes de son pays pour adopter la magnificence et l’appareil des souverains de Byzance. Il allait, revêtu de la dalmatique descendant jusqu’aux talons, ceint par-dessus du baudrier pendant jusqu’aux pieds, la tête enveloppée de bandelettes de soie supportant le diadème, et pour donner une plus haute idée de lui-même, rejetant le titre de roi, il ne se faisait appeler qu’auguste et empereur de tous les rois de l’Occident[18]. On comparait cette affectation des pompes de Byzance à la simplicité de son aïeul Charlemagne, qui, d’après Éginhard, n’avait jamais, sauf le jour de son entrée à Rome comme patrice elle jour de son couronnement, abandonné le vieux costume national. Examinons maintenant quelle était l’étendue, la portée des concessions arrachées par le pape Jean VIII à la vanité du nouvel empereur. Nous apprécierons du même coup la créance que l’on peut accorder à l’auteur anonyme du Libellus. Établissons tout d’abord qu’en cette occasion, pour la première fois, le pontife de Rome, par son initiative personnelle, sous le couvert du consentement et de la volonté des Romains, décernait la couronne impériale et créait un empereur[19]. Depuis le couronnement de l’an 800, l’empire était resté le patrimoine de la dynastie de Charlemagne ; il s’était transmis de mâle en mâle dans la branche aînée, sans interruption, de Louis le Pieux à Lothaire, et de Lothaire à Louis II. A défaut d’héritiers directs du roi d’Italie, il devait régulièrement revenir à Louis le Germanique, l’aîné des princes francs, et après lui à son fils, seulement à leur défaut à Charles le Chauve. Le pape n’intervenait dans la transmission de la couronne que pour confirmer et pour consacrer le nouvel élu. L’onction n’était que le symbole de l’union de l’empereur avec l’Église, mais elle ne constituait pas la cérémonie essentielle, l'empereur possédant l’empire de fait après le couronnement et avant l’intervention ecclésiastique. C’est pour établir nettement cette distinction que Charlemagne, appréhendant les suites du précédent de l’an 800, avait pris soin, avant sa mort, d’associer son tils à l’empire. Il lui avait ordonné de prendre lui-même la couronne sur l’autel et de se la poser sur le front, comme pour témoigner qu’il ne la tenait que de lui et de Dieu. Trois ans seulement après la mort de son père, Louis le Pieux avait reçu la consécration pontificale des mains d’Étienne III, qui avait fait exprès le chemin de Rome à Aix-la Chapelle. C’est dans les mêmes circonstances et avec le même cérémonial que Lothaire, puis Louis II, avaient accepté l’empire. Le pape n’avait fait que consacrer l’élection du ciel dans la personne des Césars. Du pape et de l’empereur, dont l’union constituait l’empire, c’était le premier qui, jusqu’à ce jour, avait vécu subordonné au second. Il lui était redevable de la validité de son élection ; il devait lui prêter le serment de fidélité et s’engager à faire obéir ses capitulaires ; il était le premier et le plus élevé en dignité des sujets de l’empereur ; mais enfin c’était encore un sujet. La situation allait se trouver renversée au profit du Saint-Siège par l’initiative de Jean VIII. Déjà s’était accréditée dans les synodes ecclésiastiques du IXe siècle cette doctrine, que les rois et empereurs tirent leur autorité, non de la naissance, mais de Dieu. Le pape étant sur terre l’interprète des volontés divines, il n’y avait qu’un pas pour faire dépendre cette autorité du Saint-Siège. On avait entendu au concile de Paris (829) la déclaration suivante : Aucun roi ne doit dire qu’il tient son royaume de ses ancêtres, mais il doit croire humblement qu’il le tient en vérité de ce Dieu qui a dit : Le conseil et l’équité sont miens ; de moi viennent la prudence et le courage ; c’est par moi que les rois règnent et que les législateurs promulguent des lois justes. A ceux qui pensent qu’ils succèdent dans leurs royaumes terrestres à leurs aïeux, et que leur pouvoir ne leur a pas été donné par Dieu, à ceux-là s’applique la réprobation du prophète ; ils ont régné, mais non par moi ; les princes les ont reconnus, et moi je ne les connais pas. Le pape avait réussi, comme vicaire du Christ, à détourner à son profit cette doctrine de son acception mystique et à se faire en réalité le distributeur des couronnes terrestres. C’est sur ce point essentiel que différait la conception de l’empire en Orient et en Occident. La prétention des papes à conférer la couronne impériale fut un perpétuel sujet de scandale pour les écrivains de Byzance, où la fonction du patriarche se bornait à consacrer les Césars. Cinnamus, un de ces écrivains, fait dire ironiquement au pape : C’est à moi qu’il appartient de créer les empereurs. Et il répond aussitôt : Oui ! tu leur imposes les mains et les consacres, car ce sont là des actes de l’autorité spirituelle. Mais quant à décerner l’empire et autres nouveautés du même genre, cela n’est point de ta compétence[20]. Avant le pape Jean VIII, le rôle de la papauté était strictement le même dans l’empire carlovingien[21]. Et il ne faut pas croire que cette conquête, surprise à la faiblesse d’un descendant de Charlemagne, la papauté se soit contentée de l’enregistrer silencieusement et d’en prendre acte, comme d’un précédent utile à faire valoir plus tard. En toute circonstance, aux deux synodes de Rome, à Pavie, à Ponthion, par la bouche de ses légats, Jean VIII célébra bien haut son initiative et sa victoire, comme s’il voulait par ces aveux multipliés engager définitivement l’avenir et fixer à jamais la tradition. Dans le synode tenu à Rome (mai 877), il prononça un discours dans lequel il exaltait les vertus de Charles le Chauve et l’élevait bien au-dessus de ses ancêtres Louis le Pieux et Charlemagne[22] ; il disait : Une inspiration divine a révélé à notre bienheureux prédécesseur, le pape Nicolas, les intentions secrètes de Dieu sur ce prince, et c’est pourquoi nous avons élu Charles avec le concours et le vote de tous nos frères les évêques, les autres serviteurs de la sainte Église romaine, du sénat et de tout le peuple, et, suivant l’antique coutume, nous l’avons solennellement élevé à l’empire romain ; nous l’avons décoré du nom d’Auguste, et nous l’avons oint extérieurement de l’huile sainte, afin qu’il ressentît intérieurement la vertu de l’onction du Saint-Esprit... Charles, perpétuellement auguste, n’a pas été porté à ce faîte d’honneur par des pratiques déloyales ; il ne s’est pas élevé par fraude et à la suite de détestables machinations. Non ! il a été désiré, souhaité, demandé par nous, appelé par Dieu et honoré de celle dignité, pour défendre la religion, protéger les serviteurs du Christ ; c’est par humilité et par obéissance qu’il s’est soumis à nos vœux[23]. Ce n’est pas seulement dans un synode d’évêques italiens que le pape affirmait si péremptoirement son initiative. En France, au concile de, Ponthion, en présence de prélats et de grands, dont plusieurs avaient vu l’éclat de l’empire carolingien à peine diminué, on lut les actes de l’élection de Charles. On laissa passer sans protestations l’article 1, libellé en ces termes : A la mort de Louis, qui exerçait les droits de l’empire romain, le bienheureux pape Jean, par l’entremise des vénérables évêques, a invité le seigneur Charles, alors roi, à se rendre auprès du Saint-Siège ; il l’a élu défenseur et tuteur de l’Église ; il l’a couronné du diadème impérial, et l’a choisi, entre tous, seul, pour qu’il tînt le sceptre de l’empire. Et comme l’empire, même après la reconnaissance formelle des Italiens et des Francs de Neustrie, était encore disputé à Charles par Louis le Germanique et ses fils ; comme une nouvelle armée, conduite par Carloman, descendait d’Allemagne en Lombardie, l’empereur ne trouvait rien de mieux, afin d’affirmer son droit, que d’envoyer l’évêque d’Autun, Adalgar, au pape, pour qu’il réunît un nouveau synode et confirmât son élection par une sentence apostolique, subordonnant une seconde fois sa reconnaissance au consentement des évêques, présidés par le pontife de Rome[24]. Si étendues que semblent les concessions faites à la papauté par le nouveau César, les historiens qui ont interprété le texte du Libellus, soit pour l’approuver, soit pour le réfuter, nous paraissent avoir singulièrement exagéré la portée de ses déclarations. Nulle part il n’est dit que l’empereur ait laissé aux pontifes la pleine souveraineté dans Rome, et qu’il en ait fait des princes temporels ne relevant que d’eux-mêmes. Il est probable que les papes eux-mêmes n’auraient pas voulu de cette indépendance entière, à une époque où les empereurs et les rois d’Italie avaient fort à faire de les défendre contre les incursions des Sarrasins et contre les entreprises des seigneurs de la campagne romaine. Jean VIII lui-même ne se fit pas faute de réclamer sans cesse et avec les plus instantes prières l'intervention de Charles le Chauve, pour mettre un terme aux déprédations des pirates et aux violences de ses ennemis. C’est à tort que Marca rapproche des paroles du Libellus le texte du Livre des Thèmes de Constantin Porphyrogénète, qui reconnaît formellement la domination temporelle du pape sur Rome[25]. Bien que les deux auteurs aient écrit à peu près à la même époque, il faut observer que l’un parle de la Rome de Jean VIII, l’autre de celle de Marozia et de Théodora. Cinquante ans après le couronnement de Charles le Chauve, l’indépendance de Rome était en effet complète, non par suite de quelque concession impériale, mais parce que la suzeraineté de l’empereur ne répondait plus à aucune réalité. Le texte du Libellus ne va pas si loin ; il dit seulement que Charles abandonna les droits régaliens (jura regni) que les précédents empereurs avaient exercés sur Rome, et, par ces droits, il nous semble qu’il entend, comme il est écrit quelques lignes plus bas, la présence des légats impériaux à Rome et leur assistance pendant l’élection des pontifes. La suzeraineté impériale persistait, bien que diminuée, dans ses prérogatives essentielles[26]. Le Libellus nous présente un tableau très détaillé de l’organisation de la justice impériale à Rome. Il nous paraît exact sur tous les points où il nous est permis de le contrôler et conforme à ce que nous apprennent les documents du IXe siècle. La constitution de Lothaire (824) nous montre au-dessus des juges établis dans le territoire romain l’existence de tribunaux ambulatoires d’appel composés de missi pontificaux, et impériaux, qui ont à répondre devant l’empereur de leurs actes et dont les sentences peuvent être réformées par lui[27]. L’article 8 de la même constitution nous montre les juges pontificaux, comme les juges impériaux, recevant également leurs instructions du prince, considéré comme la source d’où toute justice émane[28]. Les documents contemporains font voir fréquemment cette justice impériale à l’œuvre, et l’empereur tenant lui-même ses assises dans la ville des papes[29]. Plusieurs jugements conservés dans les archives du monastère de Farfa ou de Sainte-Marie nous semblent l’application de cette jurisprudence, inaugurée sous le pape Eugène. Les missi impériaux, l’évêque Joseph et le comte Léon, rapportent que jugeant au palais de Latran entre le monastère et la curie, ils ont donné droit aux moines qui réclamaient au pape Grégoire IV plusieurs territoires retenus indûment par lui et par ses prédécesseurs. Mécontent de cette sentence, le pape interjeta appel et prétendit s’en remettre à la décision de l’empereur[30]. Mais ce que le Libellus est seul à nous faire connaître, c’est la présence à Rome d’un légat, logé à demeure dans le palais de Saint-Pierre, tenant ses assises à la Louve, près du Latran et dont la puissance s’étendait sur tous les degrés de juridiction du territoire romain. Non seulement il recevait en appel toutes les causes, mais il pouvait requérir les juges de la ville de faire justice à ceux qui se prétendaient lésés, même par les parents du pape. Il lui suffisait de dire : Au nom de la foi que vous devez au seigneur empereur, faites justice à cet homme. Il n’était pas un Romain qui osât passer outre[31]. Malgré le silence des chroniqueurs contemporains, peut-être est-il imprudent de contester l’exactitude de cette information. Pour être unique, un témoignage ne doit pas forcément être rejeté. Sans parler des détails très circonstanciés dans lesquels entre l’auteur sur la juridiction de ce haut personnage, et qu’il était difficile d’imaginer de toutes pièces, la justesse des renseignements qui nous sont fournis par les pages qui précèdent et qui suivent, plaide en faveur de la sincérité de l’auteur, dans le cas particulier qui nous occupe. On remarquera combien furent modifiés les rapports de la papauté et de l’empire, sous le règne de Louis, qui fut exclusivement Italien. A une situation nouvelle pouvait répondre l’introduction d’un rouage nouveau dans l’administration judiciaire. Rome était devenue, depuis qu’Aix appartenait à un autre maître, l’unique capitale de l’empire. N’est-il pas naturel qu’en son absence l’empereur ait pu instituer extraordinairement un légat, muni des mêmes pouvoirs que le préfet de la ville à Byzance, pour représenter d’une manière continue son autorité près du Saint-Siège ? Du reste, au cours de son récit, l’auteur du Libellus semble bien nous donner le nom de ce justicier impérial et nous désigner l’époque de son institution : ce fut au fort de la querelle de l’empereur et du pape Nicolas. Le titulaire aurait été cet Arsénius, apocrisiaire du Saint-Siège, légat de Nicolas en Gaule, et depuis lors brouillé avec son maître, comme l’atteste une lettre de son neveu Anastase à l'archevêque Adon de Vienne. Il prit pour secrétaire et archichancelier le diacre Jean, plus tard évêque de Réate. L’auteur du Libellus ne dit pas positivement que la justice impériale fut abolie dans la ville des papes après le couronnement de Charles le Chauve. Cette affirmation se trouverait démentie par des témoignages irrécusables. Une lettre de Jean VIII à l’empereur nous apprend qu’il attend de ses missi la répression vigoureuse du brigandage et des désordres qui affligent la campagne romaine[32]. Dans une autre lettre adressée à Charles le Gros, alors roi d’Italie, le pape prie le prince de lui envoyer ses missi, pour que, d’accord avec ceux du Saint-Siège, ils procèdent à la tournée annuelle qui se faisait dans le territoire de l’Église, comme dans toutes les parties de l’empire, et qui était prescrite par l’article 4 de la constitution de Lothaire. Cependant l’expression du Libellus : il éloigna les légations royales nous semble viser directement le légat dont il est parlé plus haut, et dont l’intervention devait peser d’un poids si lourd sur l’autorité des juges locaux. Mais c’est là un changement que nous ne pouvons contrôler, le Libellus étant le seul document qui mentionne l’existence de cette magistrature ainsi que sa disparition. En revanche, il est impossible de se méprendre sur le sens et la portée de la concession obtenue, d’après le Libellus, par le pape Jean VIII, au sujet des élections pontificales. Jusqu’alors le nouveau pontife élu par le peuple devait attendre, pour être consacré, que les légats impériaux, présents aux opérations électorales, eussent constaté leur validité et fait leur rapport à l’empereur, dont le décret rendait seule l’élection définitive et permettait de procéder à la cérémonie ecclésiastique. Cette obligation, qui avait pour but d’assurer l’intégrité de l’élection et de prévenir les intrigues et les rixes auxquelles donnait lieu chaque vacance de la tiare, paraissait insupportable aux pontifes, et humiliante au peuple romain[33]. A maintes reprises, les Césars avaient éprouvé l’aversion insurmontable des Romains pour cette sujétion, qui gênait l’exercice de leur liberté dans sa manifestation la plus essentielle. Mais ils avaient tenu à la maintenir avec rigueur, estimant que du choix du pape dépendait le bon accord des deux pouvoirs spirituel et temporel. Il est indispensable, pour vérifier l’exactitude des assertions du Libellus, de remonter à l’origine de cette coutume. Peu de questions sont restées aussi obscures et ont prêté à plus de controverses. Sous le régime de la domination byzantine, les papes ne pouvaient être consacrés qu’après avoir obtenu une jussion impériale qui constatait l’adhésion de l’empereur au choix du peuple romain[34]. Mais, après la rupture de Rome et de Byzance, et sous le régime du patricial franc, il semble que la papauté se soit affranchie de cette coutume, et que la liberté du peuple romain ait pu s’exercer sans contrôle. Aussi chaque élection est-elle signalée par des prises d’armes, des guerres civiles, l’intervention des seigneurs de la campagne romaine, empressés de mettre leurs bandes indisciplinées au service des factions qui se disputaient la nomination du pape. Le Liber Pontificalis ne mentionne pas une fois la présence des légats de Pépin ou de Charlemagne et fait au contraire remarquer que la consécration suit, à quelques jours près, l’élection[35]. La correspondance des pontifes avec les rois francs est plus explicite. Elle nous montre que les princes d’Occident sont moins préoccupés de l’intégrité des opérations électorales que de la fidélité des Romains et du renouvellement du pacte conclu avec eux par Étienne III. Lors de l’élection de Paul Ier, un légat de Pépin, Immo, se trouvait à Rome. On l’y retient jusqu’à ce que satisfaction lui ait été donnée au sujet des sentiments de fidélité et d’amour du nouveau titulaire et de la population[36]. Le pseudo-pape Constantin, imposé par les troupes du duc de Nepi son frère, et consacré le lendemain de son élection, se hâte d’assurer Pépin de son intention inébranlable de maintenir le pacte consenti par ses prédécesseurs[37]. Les choses ne se passèrent pas autrement lors de l’inauguration d’Étienne IV et d’Adrien Ier. On a supposé que, à l’occasion de l’avènement de Léon III, des modifications importantes avaient été introduites dans les rapports entre l’Église et le patrice et aussi dans le cérémonial des élections pontificales. L’examen attentif des textes n’autorise pas ces suppositions. Nous savons par le Liber Pontificalis que Léon fut consacré le lendemain même de son élection[38] ; par les Annales d’Éginhard, qu’il envoya aussitôt ses messagers à Charlemagne avec les clefs de la confession de saint Pierre, l’étendard de la ville de Rome et d’autres présents[39]. Charlemagne le félicita de l’unanimité de son élection, de l’obéissance de son humilité, et de la fidélité de ses engagements[40], et il délégua auprès de lui son familier Angilbert, afin de conférer avec lui de tout ce qui semblerait nécessaire à l’exaltation de la sainte Église de Dieu, à la stabilité de l’honneur pontifical, à l’affermissement du patriciat[41]. Il est possible que dans ces conférences il ait été question des élections pontificales ; mais pas un mot ne nous permet de l’affirmer. De l’avènement de Léon III à celui de son successeur Étienne VI (816), un grand fait s’est produit. Le divorce avec Constantinople s’est consommé ; l’empire d’Occident a été fondé, le patriciat a été aboli. L’empereur d’Occident s’est substitué dans ses rapports avec le Saint-Siège aux Césars de Byzance, et nous sommes tentés de croire qu’à cette occasion l’ancienne coutume des lettres de jussion a bien pu être rétablie. Voyons en effet ce qui se passe à la première vacance. Étienne VI est élu, et presque aussitôt consacré, absolument comme ses prédécesseurs[42]. Comme ses prédécesseurs aussi, il s’empresse de faire prêter au peuple romain le serment d’obédience à la personne de l’empereur Louis le Pieux[43]. Il semble donc que le pape soit en règle avec son suzerain. Mais il faut bien que quelque chose d’anormal se soit passé, que quelque obligation nouvelle ait été transgressée ; car deux mois à peine après sa consécration, le pape, nous disent les Annales d’Éginhard, arrive en France à grandes journées et le plus vite qu’il peut, et il se fait précéder auprès de l’empereur de deux légats, chargés de lui apporter des explications au sujet de sa consécration[44]. Ici se place un incident, d’après nous, décisif. On connaît mal par le détail ce qui se passa dans les entrevues du pape et de l’empereur. On sait que Louis reçut d'Étienne l’onction impériale et par un privilège célèbre renouvela les donations faites au Saint-Siège par Pépin et Charlemagne. Mais en même temps il est probable qu’il fut question de la consécration pontificale. Cette même année en effet parut une décrétale portant qu’à l’avenir le pape serait élu par les évêques et le clergé en présence du peuple et du sénat, et qu’il serait consacré en présence des légats impériaux[45]. Cette décrétale, insérée dans le Corpus juris canonici de Gratien, a été considérée comme apocryphe par Baronius, Binius, Noël Alexandre et d’autres apologistes. Pagi l’attribue non à Étienne VI, mais à Étienne VII, qui ceignit la tiare en 896[46]. Mais Muratori a mis au jour un document, le fragment d’un synode tenu à Rome par le pape Nicolas Ier, en 863, qui tranche la question. Un des articles de ce synode, à propos de la procédure à suivre dans les élections pontificales, rappelle le décret du pape Étienne, qui ne peut être que le successeur de Léon III[47]. Ce règlement, imposé à Étienne VI comme compensation des avantages que lui faisait le privilège de 816, et aussi comme rachat de l’infraction commise, va désormais fixer la jurisprudence, et devenir le point de départ de l’agitation menée par les papes et le peuple de Rome contre l’ingérence de l’empereur dans les élections pontificales. Nous devons croire que l’obligation d’attendre les légats n’était du goût de personne à Rome. L’année suivante en effet, Pascal II succède à Etienne VI. Aussitôt élu, il se fait consacrer. Mais il envoie à l’empereur des présents et une lettre d’excuse, l’assurant qu’il avait reçu malgré ses dénégations et ses résistances un honneur qu’il considérait comme contraire aux engagements pris entre les deux cours. Par une autre ambassade, il demanda que le pacte conclu avec ces prédécesseurs fût renouvelé avec lui-même[48]. Évidemment ces infractions réitérées étaient le résultat d’un parti pris et tendaient à établir une tradition nouvelle. Pour couper court à ces entreprises, l’empereur, malgré sa réputation de faiblesse bien connue, lors de l’avènement d’Eugène II, dépêcha à Rome son fils Lothaire, associé à l’empire. Lothaire, obéissant probablement à l’impulsion de son vieux parent et conseiller Wala, agit avec une rare énergie. Il réforma, dit Éginhard, le statut du peuple romain que la malice de quelques pontifes avait laissé se pervertir[49]. Il imposa aux Romains la constitution de 824[50], et exigea d’eux un serment solennel de fidélité et d’obéissance, dont la formule, qui nous a été conservée, consacre l’obligation de la présence des légats impériaux avant la consécration pontificale. A dater de ce moment, se tenant pour avertis, les Romains n’eurent garde de se passer de l’approbation impériale. Valentinus et Grégoire IV furent élus et consacrés régulièrement[51]. Mais dix-sept ans plus tard, à l’avènement de Sergius II (844), à la faveur des désordres qui troublaient l’empire, une nouvelle tentative fut risquée pour passer outre aux engagements formels stipulés en 824. L’empereur envoya son fils Louis et l’évêque de Metz, Drogon, avec un grand appareil de forces militaires[52]. Rome fut occupée par ses troupes et maintenue sous la terreur. De nouveau les Romains durent jurer de ne plus consacrer aucun pontife avant d’avoir reçu sa jussion et sans la présence de ses légats[53]. Ce ne fut qu’après avoir prêté ce serment qu’ils virent s’éloigner l’armée de Lothaire et furent délivrés de cette peste[54]. Cependant, en 847, ils osèrent encore transgresser les prescriptions impériales, mais ce ne fut pas sans trembler sur les conséquences de leur audace, et seulement parce qu’ils étaient sous le coup d’une invasion de Sarrasins. Joyeux de l’élection du nouveau pontife, ils étaient en même temps contristés, parce qu’ils n’osaient le consacrer sans attendre l’autorisation impériale. Mais ils tremblaient que Rome ne fût encore assiégée par ses ennemis, et c’est pourquoi, remplis d’épouvante en prévision des malheurs qui allaient fondre sur eux, ils se passèrent de la permission du prince, tout en lui jurant la foi et l’honneur qu’ils lui devaient après Dieu[55]. En 855, deux mois entiers s’écoulèrent entre l'élection et l’ordination de Benoît III. Il fut enfin consacré après une longue enquête, destinée à éclairer l’empereur sur les troubles et les compétitions qui avaient accompagné cette élection. Ce fut seulement après de très laborieuses négociations que la cérémonie définitive fut célébrée en présence des légats suivant la coutume et comme l’ordonnent les antiques traditions[56]. L’empereur lui-même présida à l’inauguration de Nicolas Ier. Mais, après le pontificat glorieux de ce pape, les Romains, exaltés par l’éclatant prestige qu’avait conquis la papauté, essayèrent encore une fois de ressaisir la liberté de leurs élections et entraînèrent précipitamment Adrien II au palais de Latran, sans se soucier des légats impériaux. Ils disaient qu’ils agissaient ainsi non par mépris de l’auguste, mais afin de ne pas engager l’avenir et de ne pas laisser s’invétérer la coutume d’attendre les légats du prince pour l’élection des pontifes[57]. Il paraît bien pourtant que, sur la protestation des légats, il fut sursis à la consécration de l’élu, jusqu’à ce que l’empereur prévenu eût envoyé sa jussion[58]. C’est de cette coutume, si désagréable à l’orgueil des Romains, contre laquelle s’étaient élevées de si fréquentes protestations, que Jean VIII, d’après le Libellus, affranchit le Saint-Siège. Par le privilège de Charles le Chauve, l’élection du clergé et du peuple devait suffire, suivant la formule, pour créer un pape. Il est contestable que la dignité du Saint-Siège ait gagné quelque chose à une telle réforme ; sa sécurité du moins y perdit et aussi son prestige. Il n’était pas indifférent que l’approbation impériale donnât un caractère authentique à l’élection d’un prélat qui n’était pas seulement l’évêque de Rome, mais le chef religieux de la chrétienté. Pour que notre démonstration fût complète, il resterait à prouver que les successeurs de Jean VIII se passèrent en effet de l’approbation impériale. Malheureusement, pour cette seconde période, les mêmes sources d’information qui nous ont servi pour la première font défaut. Le Liber Pontificalis ne donne pas la vie des papes qui succédèrent à Jean VIII. Les Annales de Saint-Bertin s’arrêtent à la mort d’Hincmar (882). Seules les Annales de Fulda nous disent que Marin fut élu contre l’autorité des canons[59], et qu’il en fut de même d’Étienne VII, élu et consacré sans attendre la volonté de l’empereur Charles le Gros[60], qui s’en montra fort irrité. Il est vrai que plusieurs historiens du Saint-Siège, Amalric Auger, qui vivait sous le pontificat d’Urbain V, Platina et d’autres encore attribuent à Adrien III (884), successeur de Marin, un décret semblable à celui que Jean VIII obtint, suivant le Libellus, de Charles le Chauve[61]. A notre connaissance, aucun témoignage contemporain ne confirme l’existence de ce décret, qui aurait suivi de si près le privilège de Jean VIII. Cependant il n’est pas impossible qu’Adrien III ait senti l’opportunité de le renouveler. Si l’on nous suit jusqu’au bout dans cette étude, on verra dans quelles circonstances exceptionnelles Charles le Gros obtint l’empire, et que, par suite de la violence qu’il fit au pape, il put ne se considérer en rien comme lié par les engagements imprudents de Charles le Chauve. J’en viens à la donation proprement dite que Charles le Chauve passe pour avoir faite au Saint-Siège, et qui, par l’étendue du territoire, par l’énormité des concessions, a provoqué l’étonnement et les réserves de plusieurs historiens. Cet étonnement a lieu de nous surprendre à notre tour, quand nous songeons que les mêmes historiens ne font pas difficulté d’admettre les privilèges, au moins aussi importants, de Charlemagne, de Louis le Pieux, d’Otton le Grand. Or il ne se trouve rien, dans la concession de Charles le Chauve, qui ne se rencontre dans les donations des autres empereurs, et qui ne s’accorde parfaitement avec la politique traditionnelle de la papauté[62]. Il convient d’abord de remarquer que le Libellus ne prétend pas nous donner l’instrument diplomatique lui-même échangé entre le pape et l’empereur. Il se contente d’énumérer les points principaux de la transaction, et ne vise pas à être complet. Que dirai-je de plus, s’écrie-t-il, il accorda aux Romains tout ce qu’ils voulurent ! Il faudrait ensuite serrer de près le texte de l’auteur, et, par une traduction exacte, se garder d’exagérer le sens littéral du passage en litige. C’est ce que nous paraissent n’avoir pas toujours observé MM. Jung et Hirsch dans les deux remarquables éludes sur le Libellus. C’est ainsi qu’ils attribuent à Charles le Chauve la concession des trois monastères de la Sabine, Saint-Sauveur, Saint-André de Soracte et Sainte-Marie. Or le Libellus ne dit rien de tel. Ces monastères appartenaient au domaine impérial. Les papes eux-mêmes, semble-t-il, les avaient donnés aux patrices francs pour subvenir aux frais de la défense du territoire de l’Église, et à l’entretien des misai chargés de rendre la justice en terre pontificale[63]. Ils développaient à quelques milles de Rome seulement leurs bâtiments grandioses et leurs immenses dépendances. Le monastère de Sainte-Marie ou de Farfa passait pour le plus riche de l’Italie avec celui de Nonantula. Les missi impériaux et l’empereur lui-même s’arrêtaient volontiers dans leurs murs, assez forts pour soutenir un siège, et trouvaient à s’y loger avec toute leur suite. Les abbés grands seigneurs qui les gouvernaient et qui relevaient directement de la juridiction impériale, vivaient d’habitude en assez mauvaise intelligence avec les pontifes de Rome, et avaient souvent des procès à débattre contre eux[64]. C’est probablement en raison de cette hostilité latente que l’auteur du Libellus, qui appartenait peut-être à l’un des trois monastères, a mentionné l’article de la donation de Charles le Chauve qui les concernait. Mais il n’a pas dit que ces monastères passèrent du domaine impérial dans le domaine pontifical. Le privilège de l’empereur, en leur faveur, daté du 26 décembre 875, c’est-à-dire du lendemain du couronnement, témoignerait invinciblement contre cette assertion. Le Libellus dit seulement qu’il attribua aux Romains des revenus sur les trois monastères, ce qui n’a rien de commun avec une donation en règle. Le Libellus parle encore, sans les nommer, d’autres monastères dont les revenus furent accordés à l’Église. Il est permis de croire beaucoup de la générosité inconsidérée de Charles le Chauve. Ne voit-on pas au concile de Troyes que Jean VIII présenta au roi Louis le Bègue et aux évêques francs, stupéfaits, une charte de donation du monastère de Saint-Denis, signée de l’empereur défunt ? Or, devant le témoignage formel d’Hincmar de Reims, il faut de toute nécessité ou que le pape ait supposé ce diplôme, ou que Charles le Chauve l’ait réellement accordé, choisir entre une accusation de faux ou un acte de folie intéressée. Nous préférons la dernière alternative. Le Libellus ajoute que le pape obtint de Charles le Chauve le duché de Spolète tout entier avec les deux villes de Toscane, Aricie et Clusium, qui en dépendaient, de telle sorte que le duc qui exerçait à Rome les fonctions de vice-roi, devenait le sujet des Romains, c’est-à-dire que de la suzeraineté de l’empereur il passait sous la suzeraineté de l’Église, les patrimoines de Samnium et de la Calabre, avec toutes les villes du Bénéventin. Ces concessions ne sont pas faites pour étonner. Elles entraient dans le programme que la papauté s’était donné depuis un siècle la mission de remplir. Elles figurent dans toutes les chartes concédées par les empereurs ; et de fait, le pape, au concile de Ponthion, quand les actes de Rome furent soumis à l’approbation des grands, ne demanda rien autre chose que le renouvellement des privilèges de Pépin et de Charlemagne[65]. Si l’on étudie, en effet, non les chapitres de la vie d’Adrien, où figure la donation de Charlemagne, suspects d’altérations et de remaniements, mais la correspondance des papes avec les princes francs, on voit que la possession de Spolète et de Bénévent est escomptée par le pontife, et même très vraisemblablement qu’elle a été promise par Charlemagne lui-même. Avant la défaite définitive de Didier, le pape s’était empressé d’enrôler les habitants de Spolète sous la bannière du Saint-Siège, de leur imposer la tonsure comme signe de leur sujétion à l’égard de l’Église, et de leur faire prêter le serment de fidélité à saint Pierre[66]. Mais plus tard Charlemagne s’appliqua à défaire l’œuvre d’Adrien, qu’il jugeait dangereuse pour ses propres intérêts, et donna le duché de Spolète au duc Hildebrand[67]. Le pape se montra très mortifié de cette déconvenue, et n’épargna pas les reproches au patrice, infidèle à ses promesses. Vous avez vous-même, dit-il, offert le duché de Spolète à votre protecteur, Pierre, prince des apôtres, pour le rachat de votre âme[68]. Plus tard il essaya, sans succès, de noircir cet Hildebrand aux yeux du roi des Francs, en l’accusant de pactiser avec Arighis, duc de Bénévent, et les Grées, pour la reconstitution de l’ancien royaume lombard. Mais la papauté ne put jamais se résigner à abandonner sans retour ses espérances. Les choses se passèrent de la même façon pour le duché de Bénévent. Le pape attendait l'occasion de faire de ce pays une province ecclésiastique. Il crut l’avoir trouvée lorsque le duc Arighis, d’accord avec les Grecs, se révolta contre Charlemagne. Ce prince survécut peu à la défaite que les Francs lui infligèrent. Aussitôt le pape mil Charlemagne en demeure de satisfaire à ses engagements[69]. Il prend même les devants et, sans attendre les légats francs, il fait prêter serment de fidélité à saint Pierre par les habitants de Capoue[70]. Cette fois encore Charlemagne éluda ses obligations. Il plaça à la tête du duché Grimoald, le fils même d’Arighis, et ne laissa au pape que quelques patrimoines dans le Bénéventin. Les habitants eux-mêmes des villes où le pape se présenta, aimèrent mieux vider leurs maisons et fuir leurs murailles que d’appartenir au pontife. Cette manifestation populaire fournit à Charlemagne un prétexte pour passer outre aux injonctions réitérées d’Adrien. Charles le Chauve n’avait donc fait que ratifier les anciennes promesses de son glorieux aïeul. Il lui en coûtait d’autant moins, que les provinces qu’il offrait ne lui appartenaient pas, qu’elles échappèrent toujours absolument à sa suzeraineté, et qu’il laissait au pape le soin de récupérer à ses risques et périls des conquêtes qu’il ne se souciait pas de faire en personne. Muni de ces titres, le pape Jean VIII se mit en devoir de les faire valoir. Le résultat immédiat fut le soulèvement général de toute la basse Italie. Plutôt que d’aliéner leur indépendance, les princes du Midi aimèrent mieux s’allier aux Sarrasins, qui ravageaient périodiquement depuis un demi-siècle les côtes de la Calabre, et tentaient même depuis peu d’y faire des établissements durables. Ce fut le cas des ducs de Bénévent et de Spolète, et même de l’évêque de Naples, Athanase. On ne comprendrait guère, sans les prétentions qu’élève le pape sur la suzeraineté de son duché, la colère furieuse qui anime Lambert de Spolète contre le pontife[71], qui se traduit par des rapines, des enlèvements de colons et de bestiaux, et même par des attaques à main armée contre la ville des papes. C’est en vain que Jean VIII essaye de calmer sa fureur : Vous qu’après Dieu, dans toutes les nécessités de l’Église, nous avons eu souvent pour auxiliaire unique et pour défenseur si fidèle, pouvez-vous oublier à ce point l’amitié et les promesses qui existent entre nous ? Confiant cependant dans la fidélité que vous devez aux saints apôtres Pierre et Paul et à notre paternité, nous vous mandons de ne pas venir à Rome[72]. Mais Lambert ne garde plus de mesure. Il domine en tyran l’Église, qu’il est de son devoir de défendre[73]. Il écrit au pape en termes inconvenants, qui ne rappellent en rien les louanges qu’il doit à saint Pierre et ne répondent pas à la règle et à la doctrine ecclésiastique. Il le traite dédaigneusement de Votre Noblesse[74], comme s’il écrivait à un homme du. siècle ou à un égal. Il est en pleine révolte, et Jean VIII n’a de recours contre lui que l’excommunication et les appels désespérés qu’il adresse à tous les princes de la chrétienté. Quelques-unes des prétentions du pape semblent cependant suivies d'effet et d’un commencement d’exécution. Landulf de Capoue paraît accepter la suzeraineté du Saint-Siège. Jean VIII lui écrit, non en pontife, mais en seigneur[75] : Les droits souverains que, dès une haute antiquité, nous possédions sur votre terre, l’empereur les a renouvelés d’une manière inviolable par un capitulaire soumis à un concile d’évêques et de grands. Entre autres décisions touchant votre territoire, il a voulu que notre droit et notre puissance, que nous n’exprimons ici que par les paroles de notre bouche pontificale, nous les réalisions par des actes, et que, pour la satisfaction de votre âme, un instrument notarié en fit foi. Il lui enjoint en même temps de tout préparer pour recevoir prochainement sa visite. Il nous paraît difficile de contester, au moins pour une période limitée, la soumission des seigneurs de Capoue. Car Erchempert nous apprend que, sous le gouvernement de Pandenulfe, les chartes capouanes étaient rédigées au nom du pape, et que les monnaies du pays portaient son effigie, signe évident de suzeraineté[76]. Il est probable qu’un autre prince, Waïfre de Salerne, par jalousie de la branche de la même famille qui régnait à Bénévent, suivit l’exemple de Landulf. Du moins n’est-il pas téméraire de tirer cette conclusion des deux lettres 32 et 35 de la correspondance de Jean VIII. La première est rédigée sur le même modèle que celle adressée à Landulf : Je veux, dit le pape, que vous prépariez une escorte pour moi et pour les nouveaux hôtes que je vous amène ; encouragez nos fidèles dans leur fidélité de fraîche date ; pour ceux qui nous sont encore infidèles, faites-leur sentir votre frein dans la mesure de vos forces ; attendez notre venue et que Dieu nous conduise ![77] Nous apprenons en même temps, par cette correspondance, qu’une véritable ligue s’était formée dans le sud de l’Italie, sous les auspices du pape, entre les seigneurs de Capoue, de Salerne et d’Amalfi contre ceux de Spolète et de Bénévent, et que Jean VIII avait promis à ses fidèles le patronage et les secours de Charles le Chauve, tandis que ses adversaires cherchaient un appui dans des traités avec les Sarrasins et avec l’empire d’Orient[78]. On voit par là que le pape n’entendait pas laisser dormir dans les archives du Saint-Siège les droits que lui octroyait le nouveau privilège de l’empereur. Il se hâtait d’en revendiquer l’exécution. Beaucoup de ses prédécesseurs n’en avaient pas fait autant des titres magnifiques que leur avait concédés la munificence des aïeux de Charles le Chauve. Restait pour Jean VIII à assurer l’exécution de ses desseins sur l’Église de France, qu’il voulait rattacher directement au Saint-Siège, en souvenir de l’opposition de ses prélats à la politique unitaire de Nicolas Ier et d’Adrien II. Charles le Chauve réunit le concile de Ponthion (876). Dès la première session, lecture fut donnée par le légat Jean, évêque de Toscane, d’une lettre du pape instituant en Gaule et en Germanie, comme légat du Saint-Siège, Anségise, archevêque de Sens, afin que, toutes les fois que le demanderait l’utilité de l’Église, il exerçât les pouvoirs du siège apostolique, soit pour réunir un synode, soit pour publier les décrets émanant de l’autorité pontificale, pour rendre compte au pape des affaires ecclésiastiques de la Gaule, et pour renvoyer à l’examen et à la décision de la cour de Rome les plus graves et les plus litigieuses. L’empereur demanda aux évêques ce qu’ils pensaient de cette commission. Avant de répondre directement, ceux-ci voulurent prendre connaissance du bref pontifical. Charles s’y refusa obstinément comme s’il avait dissimulé quelque partie de la lettre de Jean, ou comme s’il craignait que les évêques n’en pesassent trop scrupuleusement les termes. Tous alors, à l’exception d’un seul, s’écrièrent qu’ils obéiraient au pape, sauf le droit et le privilège des métropolitains, consacrés par les canons et les décrétales des papes reconnus par ces mêmes canons. Autant valait dire que, au-dessus des métropolitains, on ne reconnaissait pas la primatie d’Anségise. Requis une seconde fois par l’empereur de répondre catégoriquement, ils se renfermèrent dans leurs premières déclarations. Charles alors ordonna à Anségise de s’asseoir près de lui, au-dessus des autres évêques, malgré la réclamation d’Hincmar de Reims, qui déclara par ce fait les anciennes règles violées. A la huitième et dernière session fut introduite de nouveau l’affaire d’Anségise. L’empereur présidait encore, vêtu à la grecque, et entouré des légats pontificaux habillés à la romaine. Mais il ne put rien obtenir de l’obstination des prélats, encouragés à la résistance par Hincmar et fermement décidés à ne pas laisser le pape empiéter sur les libertés de l’Église de Gaule. Dans cette même séance, déclarent les Annales d’Hincmar[79], Jean de Toscane lut une cédule pontificale, dépourvue de toute raison et de toute autorité. Puis Eudes de Beauvais donna connaissance de quelques articles rédigés par lui-même, par les légats et par Anségise, sans l’assentiment du synode, pleins de contradictions, dépourvus de toute utilité, de toute raison et de toute autorité. C’est pourquoi nous ne les insérons pas dans ce texte. Il s’agit certainement des règles nouvelles que le pape voulait imposer à l'Église des Gaules, et des décrétales pontificales mises en vigueur depuis peu, et dont les évêques de France, comme Hincmar, répudiaient les termes, quand elles n’étaient pas appuyées de l’autorité des canons et des conciles[80]. Telle fut l’étendue des sacrifices consentis par Charles le Chauve pour obtenir du pape le titre d’empereur. Il promettait heureusement plus qu’il ne pouvait tenir. La plupart des concessions qu’il avait faites devaient rester consignées dans les archives de la chancellerie pontificale, pour servir plus tard de texte aux revendications de la papauté, mais de nul effet pour le présent. Il n’était en son pouvoir ni de mettre entre les mains du pontife les territoires dont la suzeraineté à cette heure lui était contestée à lui-même par les propriétaires en titre, comme le duc de Bénévent ; ni de forcer le consentement de l’Église de France à la spoliation de ses privilèges séculaires. Ce qui reste à la charge de Charles le Chauve, c’est l’abandon volontairement consenti des prérogatives essentielles conférées à l’empereur par les contrats successifs, conclus avec la papauté au cours du IXe siècle ; c’est le renoncement à toute juridiction impériale permanente sur les Romains, à toute participation aux élections pontificales, à la surveillance tutélaire qu’il exerçait au nom de la chrétienté sur le choix des pontifes et sur leur administration ; c’est enfin d’avoir lâché la bride aux ambitions temporelles de la papauté, sans s’être soucié de contrôler l’usage que ferait le pontife des titres qui étaient remis dans ses mains, et d’avoir favorisé ainsi indirectement l’anarchie politique qui désolait l’Italie méridionale. Nous tenons donc pour exactes les assertions du Libellus, en les dégageant toutefois des interprétations abusives et même des erreurs matérielles auxquelles la discussion de ce texte a donné lieu. Il n’est pas vrai que Charles le Chauve ail sacrifié la suzeraineté des monastères de la Sabine, qu’il ait donné aux papes la propriété de Rome, qu’il ait fait au Saint-Siège des concessions de territoire plus larges que ses prédécesseurs. Ceux qui ont lu tout cela dans le texte du Libellus ont mal lu. Mais en retirant de Rome le représentant officiel de l’autorité impériale, en se privant du droit de contrôler les élections pontificales, en permettant au pape de réaliser immédiatement, loin de sa surveillance et sous le couvert de son nom, les promesses inscrites dans tous les privilèges impériaux antérieurs, il dépouilla l’autorité de l’empereur des principaux pouvoirs qu’elle comportait et il accepta, par vanité, un titre qui désormais ne lui conférait que des charges sans aucun bénéfice. L’empire, d’ailleurs, ne valut à Charles le Chauve que des humiliations et des désastres. Louis le Germanique ne pardonna pas à son frère de l’avoir devancé en Italie et à Rome, et d’avoir traité avec Jean VIII, quand il estimait que l’empire n’appartenait qu’à lui seul par droit de primogéniture. Il se jeta sur les États du roi de Neustrie et les ravagea, tandis que son rival résidait en Italie. C’est en vain que Jean VIII adressa les lettres les plus pressantes aux évêques de Germanie et aux grands du royaume, pour les contraindre à reconnaître Charles, et à faire même défection à leur souverain, leur attestant que se révolter contre l’empereur, c’était murmurer contre Dieu même[81]. C’est en vain qu’au concile de Ponthion il mit au service de l’empereur les armes apostoliques, et menaça de l’anathème Louis le Germanique et ses conseillers, s’ils ne reconnaissaient pas la légitimité de l’élection de Charles[82]. Les Allemands résistèrent aux injonctions du pontife et aux menaces d’excommunication. Et quand, après la mort de son frère Louis, l’empereur voulut s’emparer de la rive gauche du Rhin, il essuya le sanglant échec d’Andernach. En 877, Charles le Chauve, sommé par les lettres réitérées de Jean VIII de venir, aux termes du pacte qu’il avait signé, délivrer Rome assiégée par les Sarrasins et les troupes de Spolète, se mit en devoir de traverser les Alpes. Mais il ne put pénétrer plus loin que Pavie. L’armée de Carloman descendait du Tyrol pour lui barrer le passage. L’empereur n’osa même engager la bataille, il reprit la route de France et mourut après avoir franchi les Alpes (6 oct. 877). II. — LA VACANCE DE L’EMPIRE. A la mort de Charles le Chauve, se posa encore une fois la question de la succession à l’empire. Quatre princes au moins sollicitaient la couronne : les trois fds de Louis le Germanique, Carloman, Charles le Gros, Louis ; le fils de l’empereur défunt, Louis le Bègue, sans compter des compétiteurs moins sérieux, comme Lambert de Spolète, et Boson, roi d’Arles, qui avait épousé la fdle de l’empereur Louis II. En réalité l’empire resta vacant pendant trois ans et demi, d’octobre 877 à février ou mars 881, soit que le pape, embarrassé de faire un choix, ait réussi à force de diplomatie à tenir en échec ces convoitises rivales, soit que les candidats aient fait difficulté de souscrire aux conditions que le pape mettait à la collation des honneurs impériaux. Il y a là un point d’histoire intéressant et mal connu, sur lequel une élude attentive de la correspondance de Jean VIII peut jeter quelque lumière. Le pape encouragea les espérances de tous, sans se décider de longtemps pour personne. Dès le mois d’octobre 877, Carloman se rendait maître de la Lombardie, évacuée à la hâte par les armées franques, et se faisait reconnaître et couronner comme roi d’Italie. Cette première prise de possession semblait préjuger en sa faveur la question impériale ; car tous les empereurs, depuis Charlemagne, avaient commencé par ceindre la couronne de fer à Pavie. On comprend du reste que l’occupation de la haute Italie rendait impossible tout autre choix que celui du prince maître des défilés des Alpes. Aussi Carloman écrivait immédiatement à Jean VIII pour traiter avec lui de son couronnement prochain à Rome. La lettre est perdue, mais nous en connaissons la teneur par la réponse du pape[83]. Il est encore accablé de tristesse par la mort de son cher (ils, Charles ; mais il se résigne à la volonté de Dieu ; c’est de plus une grande consolation pour lui que l’assurance des bienveillantes dispositions de Carloman. Il promet en effet d’élever la sainte Église romaine plus haut que n’ont fait tous ses prédécesseurs. Mais Jean VIII ne se paye pas de promesses vagues ; il exige des engagements fermes et possédant un caractère d’authenticité. Lorsque vous vous serez entendu avec vos frères, nous vous enverrons en ambassade solennelle nos légats a latere, avec une charte rédigée par chapitres, contenant les concessions que vous vous engagez à faire à perpétuité à notre sainte mère l’Église romaine et à votre protecteur le bienheureux apôtre Pierre. Cette formalité remplie, nous vous enverrons de nouveau nos légats, avec tout l’appareil convenable, pour conduire avec honneur un si grand roi auprès du Saint-Siège, et tous deux nous nous entendrons sur ce qu’il convient de faire pour raffermissement de la république et le salut du peuple[84]. Carloman paraît alors s’être engagé par des promesses plus formelles. Du moins on est autorisé à le supposer, par une lettre du pape datée d’un an plus tard (juillet ou août 878), juste au moment où, de Gènes, il allait s’embarquer pour la France : Par le texte de vos lettres et par vos internonces, vous nous avez pleinement fait connaître combien vous aviez à cœur l’exaltation de votre sainte mère l’Église de Rome... Aussi nous vous avons attendu tous les jours, avec d’autant plus d’empressement que vous avez promis, pour prix de l’accroissement de votre dignité, d’élever nous et notre Église, éprouvée par les coups de tant d’adversaires, plus haut que n’avait fait aucun des empereurs et des rois, vos prédécesseurs[85]. Mais dans l’intervalle Carloman s’était ravisé. Il recula apparemment devant la gravité des concessions que réclamait le pape. Plutôt que d’accepter ainsi l’héritage tout entier de Charles le Chauve, avec les conditions onéreuses dont il l’avait chargé, il espéra se mettre en possession de Rome par la force et obtenir de Jean VIII, par l’intimidation, cette couronne qu’il convoitait et que personne, comme il le pensait, n’était en mesure de lui disputer. Il s’appuya donc sur le parti des ennemis du pape, dont l’évêque Formose était le chef, et il déchaîna sur la capitale de l’empire les bandes de Lambert de Spolète et du marquis Adalbert. Le pape, dans les plaintes désespérées qu’il adressa à tous les princes d’Occident, feint de ne pas croire à la complicité de Carloman. Il insinue que Lambert de Spolète agit pour son propre compte et convoite lui aussi l’empire. A Jean, archevêque de Ravenne, il dépeint en ces termes sa triste situation[86] : Il (Lambert) s’est emparé par la violence et la trahison des portes de la cité, puis de la ville tout entière, et pendant plusieurs jours il a donné à ses hommes les ordres les plus sévères, pour ne laisser approcher de nous, ni les grands, ni les évêques, ni les prêtres, pas même nos familiers les plus intimes. Nos provisions de bouche même ne pouvaient pénétrer jusqu’à nous. Les vénérables évêques, les prêtres, les diacres, s’étaient avancés chantant des hymnes et des cantiques pieux. Ô douleur ! ces brigands les ont chassés et dispersés, comme des païens qu’ils sont, à coups de bâton, et ne leur ont pas permis de sortir de chez eux et de célébrer le service divin. Ils ont appelé dans la ville les ennemis et les contempteurs de l’Église romaine, les nôtres, ceux que nous avons, avec votre consentement, frappés deux et trois fois de l’excommunication, et les ont rétablis à Rome contre notre volonté. Pendant ces jours, l’autel de Saint-Pierre est resté nu, aucun office n’a pu être célébré, même la nuit. Et maintenant il nous menace de maux pires encore, si nous ne nous soumettons humblement à ses volontés. Mais le pape lui-même laisse échapper l’aveu de cette complicité, dans une lettre suppliante, adressée au comte Béranger, et qui doit être mise sous les yeux de Carloman : Si Lambert ne cesse de nous persécuter, nous ne pouvons être les amis fidèles du roi, puisqu’il se vante que c’est par ses ordres et par sa volonté qu’il agit comme il le fait[87]. Ce témoignage est du reste confirmé sans détour par les Annales de Fulda, qui avouent que Lambert lit prêter aux nobles Romains le serment de fidélité à Carloman[88]. A bout de patience, le pape réussit à s’échapper de Rome et à gagner Gênes, d’où un vaisseau était prêt à le conduire à Marseille. Là, il pouvait se considérer comme libre et hors de la portée des sicaires du comte Lambert. On peut croire qu'il quittait sa capitale, l’âme profondément irritée des injures subies et gardant l’amer souvenir des affronts que lui avait valus la politique double de Carloman. Il n’aimait pas davantage le frère de ce prince. Las de cette famille, il se retournait du côté de Louis le Bègue, le fils de l’empereur défunt. Il annonçait ses intentions à l’archevêque de Ravenne, dans la lettre dont nous avons plus haut cité un fragment : Comme nous ne pouvons supporter plus longtemps d’aussi indignes traitements, nous avons le dessein de nous rendre en France, par la voie de mer, puisque la voie de terre est pour nous impraticable, et nous supplierons le glorieux prince de délivrer l’Église de Saint-Pierre et la ville de Rome des oppressions et des calamités qu’elles subissent. Toutefois il se garda de rompre définitivement avec les princes allemands. Il n’était pas de ces politiques que les mauvais procédés découragent ; souple et fuyant, il savait ménager, à ceux mêmes qu’il éconduisait, quelque espérance et se conserver, avec ceux qu’il semblait le plus favoriser, quelque porto de sortie. Il se contenta d’adresser à Carloman et à Charles deux lettres légèrement ironiques[89]. Il disait au premier qu’il était grandement réjoui des magnifiques promesses que ses missi lui avaient faites en son nom ; mais qu’en somme le roi tardait à venir à Rome, que Lambert de Spolète et les Sarrasins lui rendaient la vie intenable dans sa capitale, et qu’il n’avait d’autre recours que de gagner la France. A Charles le Gros, qui dès ce moment lui avait fait des ouvertures au sujet de la couronne impériale, il répondait que, tout en ôtant heureux de son dévouement à l’Église, il s’étonnait de n’avoir pas vu ses légats pour traiter avec lui de ses projets. A l’un et à l’autre il annonçait qu’il allait tenir un grand concile à Troyes et il leur donnait rendez-vous en France, afin de resserrer l’union de tous les membres de la famille carolingienne, parce que de cette union dépendait le salut du peuple chrétien. Il semble qu’au dernier moment Carloman ait eu la velléité de renouer les négociations suspendues, car, en réponse à ses avances, le pape lui dépêcha un de ses fidèles, le comte Suppo, chargé de lui remettre deux lettres et de traiter sur de nouvelles bases. Mais il recommanda à son agent d’agir très prudemment, de le tenir au courant de ses moindres démarches, et surtout de craindre les pièges qu’on s’apprêtait probablement à lui tendre[90]. Dans de pareilles dispositions l’entente était difficile. Les deux lettres furent remises, mais Carloman ne crut pas devoir y répondre[91]. Jean VIII s’embarqua pour Marseille. Il s’était fait précéder d’une lettre à l’adresse de Louis le bègue, dans laquelle, pour prix de son concours, il lui promettait formellement l’empire[92]. Il lui rappelait affectueusement le souvenir de son père, lui peignait ses malheurs, Lambert de Spolète, ce membre de l’Antéchrist, s’efforçant, par toutes sortes de machinations secrètes, de prévaloir contre la race de Charlemagne, et osant élever ses espérances impies jusqu’à la couronne impériale. Il ajoutait : C’est toi que, par l’autorité du Saint-Esprit, je constitue mon conseiller secret, à la place de ton père, l’empereur Auguste Charles, qui fut, comme on dit, la moitié de mon âme. Dispose donc tout ce qui est nécessaire pour ce que nous devons faire. Après m’élre inspiré des sentiments affectueux que tu nourris pour nous, ma main saura rédiger l’acte authentique de ma reconnaissance. De Marseille, Jean VIII se rendit à Arles, puis il vint rejoindre le roi de Neustrie à Troyes, où se tint le concile annoncé par l ui dans sa lettre aux princes francs et ses circulaires aux évêques. Pas un des fils de Louis le Germanique ne s’y rendit, malgré la convocation pontificale. Peu leur importait désormais le régime de concorde et de fraternité qu’avait essayé de fonder leur aïeul Charlemagne ; et d’ailleurs, dans le cas présent, ils se défiaient des intentions secrètes du pape et se souciaient peu de ne venir à Troyes que pour faire cortège au triomphe de leur cousin de Neustrie. Seuls les évêques de France, de Bourgogne et de Provence tinrent séance dans le synode. Le cardinal Baronius, et après lui Binius, d’autres écrivains ecclésiastiques, ont prétendu que Louis le Bègue fut couronné empereur à Troyes[93]. C’est là une erreur. Les évêques de Gaule, en souvenir des actes de Ponthion, se montrèrent très froids à l’égard du pape. Ils s’associèrent volontiers à l’anathème qui fut renouvelé contre Lambert de Spolète et ses complices. Ils signèrent une déclaration par laquelle ils tenaient pour excommuniés ceux que le pape avait condamnés. Mais ils ne s’empressèrent pas d’engager le jeune prince à souscrire aux conditions qu’avait acceptées son père et, pour prix de cette acceptation, à secourir le pontife et à le ramener dans sa capitale. Leurs protestations de dévouement et de commisération furent toutes platoniques. Le 7 septembre 878, Louis le Bègue reçut des mains du pape l’onction royale, bien qu’il eût été couronné déjà par Hincmar de Reims : pure formalité qui n’avait rien de commun avec l’onction impériale[94]. Deux jours après, deux évêques, Frothaire de Bordeaux et Adalgar, remirent au pape une lettre de Charles le Chauve, par laquelle l’empereur transmettait à son fils Louis ses honneurs et demandèrent que le pape sanctionnât ce privilège par son autorité pontificale. Nous traduisons ses honneurs ; le texte porte regnum. Mais sans compter qu’il ne peut être ici question de la dignité royale, puisque Louis l’avait héritée, depuis près d’un an, de son père, et qu’il avait reçu à cette occasion par deux fois l’onction de la main des évêques, puis de la main du pape, la suite du texte des Annales d’Hincmar montre clairement qu’il s’agissait cette fois du titre d’empereur. En réponse à cette démarche, le pape Jean produisit le texte d'une charte qu’il disait être de l’empereur Charles et qui faisait donation au Saint-Siège de l’abbaye de Saint-Denis. Beaucoup croyaient qu’elle avait été fabriquée, d’accord avec quelques évêques et conseillers du roi Louis, pour avoir prétexte de l’enlever à l’abbé Gozlin et l’attribuer au pontife. Le pape Jean déclara que, si Louis voulait confirmer cette charte, lui-même sanctionnerait volontiers le privilège de son père. Mais cet argument plus factieux que raisonnable demeura sans effet[95]. Le roi recula devant cette étrange proposition, qui était une fin de non-recevoir. En somme le pape ne voulait donner la couronne impériale qu’à bon escient. D’abord il voulait laisser au Saint-Siège tout l'honneur de l’initiative, pour ne pas perdre le bénéfice fie la position qu’il avait prise lors de la précédente vacance, et établir par là une tradition. Or on lui demandait à Troyes de reconnaître un article du testament de Charles, c’est-à-dire de considérer l’empire comme un héritage. Il voulait de plus obtenir la confirmation des avantages qu’il avait arrachés au défunt empereur, et s’assurer le concours de Louis pour rétablir son autorité à Rome, où il demandait de rentrer avec une armée franque. Mais il ne put obtenir aucune promesse ferme, malgré les adjurations pressantes qu’il ne cessa de faire entendre jusqu’au dernier moment de son séjour à Troyes. Il quitta la France, sans être suivi que du seul comte Boson, à qui, par reconnaissance, il essaya de donner le royaume d’Italie, après la mort de Carloman. Quant à Louis le Bègue, il resta roi de France, après comme avant la visite du pape. Il ne ceignit jamais la couronne qu’avait portée son père. Nous n’en voulons comme preuve dernière que la correspondance que le pape continua à entretenir avec lui après son retour en Italie. Sachez, lui disait-il en 879, et tenez pour certain, qu’aucun de vos ancêtres n'a reçu du Saint-Siège une gloire, une exaltation aussi grande que celle que nous désirons de toutes nos forces vous accorder, si seulement vous venez ici. Le siège apostolique, qui est la première de toutes les églises de Dieu, vous attend en grand désir, comme son fils unique et très cher. Puisse-t-il jouir bientôt de votre vue, parce que, si, avec l’aide de Dieu, vous prenez alors l’empire romain, tous les royaumes vous seront soumis ![96] Mais Louis le Bègue mourut sans avoir franchi les Alpes. Avant cette mort, et dès son retour en France, le pape retombait en pleines intrigues italiennes et se trouvait de nouveau en butte aux sollicitations de Carloman et de son frère Charles le Gros. Loin de s’en plaindre et d’avoir peine à s’en défendre, il semble qu’il ait cherché encore à aiguiser leur rivalité et leur appétit d’empire[97]. C’est ainsi qu’il écrit à Charles, pour lui reprocher de n’avoir pas répondu au rendez-vous qu’il lui donnait à Troyes : Vous avez tous désobéi à notre convocation, sauf le roi Louis, fils du défunt empereur Charles. Par son conseil et ses exhortations, j’ai adopté comme mon fils le glorieux prince Boson. Pendant qu'il veillera à défendre nos intérêts temporels, je pourrai librement vaquer aux soins que Dieu m’impose. Vous, cependant, qui ôtes satisfait des limites de votre royaume, tâchez d'y demeurer en paix, parce qu’à l’avenir nous frapperons d’anathème tous ceux qui oseront s'élever contre notre très cher fils[98]. Il prétendait ne pas se presser, et, pour se donner du temps, il annonçait à Pavie, puis à Rome la convocation d’un synode, où il prendrait ses résolutions dernières. Il écrivait à l’archevêque de Milan, Anspert, qui devait plus tard le trahir, ces paroles confidentielles qui révèlent le fond de sa pensée : Celui qui sera par nous couronné empereur, il faut qu’il soit d’abord et avant toutes choses choisi et élu par nous, parce que nous voulons, d’accord avec Votre Fraternité, traiter à l’avance de cette question, et débattre avec ordre et suite les intérêts des Églises qui nous sont confiées[99]. Il chargeait l’évêque de Parme, Wibod, de sonder discrètement les dispositions des deux princes allemands à l’égard du Saint-Siège. Il lui donnait clairement à entendre que peu lui importait en somme le candidat, Charles ou Carloman ; ce qui seul était à considérer, c’était la surenchère qu’ils mettraient à leur promotion à l’empire. Comme de tels aveux pouvaient le compromettre, il priait Wibod de brûler sa lettre aussitôt après l’avoir lue[100]. Il dut bientôt reconnaître que des deux princes, l’aîné, Carloman, était désormais hors de cause. Malade depuis 877, sujet à des attaques répétées de paralysie, il se vit obliger de quitter l’Italie et de regagner son royaume de Bavière, où il mourut au cours de l’année 780[101]. Tant que dura sa maladie, Jean VIII n’eut garde de se résoudre. Il rassurait Charles le Gros sur ses intentions, lui répétait que ni l’intérêt, ni la crainte, ni la flatterie ne pourrait rompre le pacte d’amitié conclu entre eux. Il lui faisait entendre que sans doute la jalousie de Carloman l’empêchait seule de descendre en Italie[102]. Carloman meurt ; Charles se fait reconnaître à sa place comme roi d’Italie[103]. Il semble que rien ne s’oppose plus au désir commun du prince et du pape. Cependant les négociations n’avancent pas. C’est que Jean VIII tient toujours ferme sur les conditions qu’il veut imposer au César. Il lui demande de venir à Rome ; mais auparavant il exige l’envoi de légats munis de pleins pouvoirs, avec qui il pourra s’entendre, et qui s’engageront pour le prince. Une fois les termes de l’accord fixés, Charles sera le bienvenu, la couronne est prête pour son front. Il paraît que les conditions du pape étaient telles, que le prince refusa d’aller plus loin. Dans une série de lettres, Jean VIII s’étonne de ses retards, gourmande ses irrésolutions, incrimine son manque de zèle. Charles est venu en Lombardie pour prendre la couronne de fer. Le pape est allé au-devant de lui jusqu’à Ravenne, ce qu’aucun de ses prédécesseurs n’a jamais fait, et le roi s’est soustrait à l’entrevue. Je vous prie instamment, écrit Jean VIII, de diriger vers nous le vénérable évêque Luithbert, Adalbert et son fils Maginold, afin que, vous devançant ici, ils assurent de vos dispositions nous et notre sainte mère l’Église, et nous rendent heureux de contribuer à votre honneur et à votre gloire. De cette façon, quand vous viendrez à Rome en personne, vous n’aurez plus qu’à renouveler et à confirmer le pacte impérial et les privilèges de l’Église romaine, comme l’ont fait vos ancêtres[104]. Cependant l’année 880 se passe tout entière en conférences inutiles, en lettres peu concluantes, en atermoiements de toutes sortes. Charles vient une fois encore à Pavie, et, malgré sa promesse, non seulement ne profite pas de son voyage pour gagner Rome, mais n’avertit même pas le pape de sa présence en Italie[105]. Des scrupules tourmentent évidemment l’esprit du roi ; il craint un piège et se défie de la politique tortueuse du pontife. Il a pris pour ami et confident l’archevêque de Milan, Anspert, qui, brouillé avec Jean VIII et excommunié par lui, a pu le tenir au courant de maintes négociations compliquées. Pour le rassurer, le pape lui envoie l’évêque de Parme, Wihod, et, grâce à la lettre adressée par l’intermédiaire de ce conseiller, on peut deviner de quelle nature sont les inquiétudes de Charles. Il prend ombrage du va-et-vient des émissaires grecs à Rome, de la faveur de Boson, roi d’Arles, qui de France a ramené le pape à Rome, et envers qui Jean VIII, reconnaissant, s’est engagé par des promesses dont nul ne pressent les effets[106]. Jean désavoue cette amitié suspecte et déclare qu’il n’y a rien de commun entre lui et le tyran[107]. Au sujet des Grecs et de leurs progrès dans l’Italie méridionale, il est plus réservé : il proteste qu’il ne sait rien ; mais que Charles doit se garder de prêter l’oreille aux suggestions haineuses de ceux qui l’entourent et cherchent à le brouiller avec le Saint-Siège[108]. Au mois de septembre, Charles paraît décidé à venir chercher la couronne à Rome, et il avertit le pape de sa prochaine arrivée. Aussitôt le pape lui rappelle les conditions préliminaires qu’il met à cette visite tant souhaitée et tant retardée. Il s’étonne de n’avoir pas vu paraître le légat royal, muni de ses pouvoirs. Nous vous demandons, écrit-il, d’envoyer ce légat. N’oubliez pas, avant de venir, de nous l’adresser, afin que, toutes nos conventions arrêtées, lorsque vous arriverez, nous soyons tout entier à l’affection véritable qui doit régner entre un père spirituel et son très cher fils[109]. Tout à coup les événements se précipitent. L’impatience du roi, surexcitée par ces remises et ces retards, brutalise la lenteur du pontife. Il refuse de s’accommoder avec les envoyés de la curie, de souscrire aux conditions du pape, et il marche droit sur Rome, après lui avoir adressé son ultimatum. Jean envoie une dernière lettre pour conjurer ce désastre : Vous me signifiez que votre intention est de marcher à pas précipités ou plutôt de voler à Rome. Je demeure frappé d’étonnement ou mieux de stupeur en voyant que vous vous disposez à transgresser ce qui a arrêté vos pères et à fouler orgueilleusement aux pieds les règles tracées par vos ancêtres... Voici ce que je suis obligé de dire avec l’Apôtre : A la fin des temps viendront des jours pleins de périls où vivront des hommes n’aimant qu’eux-mêmes et ne cherchant que leur intérêt et non celui de Jésus-Christ... Dans votre présomption, vous avez déclaré absurde la jussion que nous vous avons adressée ; mais le javelot que vous lancez se retourne contre vous ; comme une vipère privée de l’ouïe, vous avez refusé d’écouter les paroles qui devaient vous sauver. Que dirai-je de plus ? Encore une fois, au nom de l’autorité apostolique, arrêtez-vous, gardez-vous de franchir les limites de Saint-Pierre, avant que nos légats soient revenus, nous rapportant leurs instructions, et avant que vous nous ayez envoyé les vôtres[110]. Quelques jours après, sans que nous sachions ce qui se passa dans l’intervalle, mais probablement sans qu’aucune condition ait été stipulée, Charles le Gros entrait à Rome, et le pape le couronnait César et Auguste (février ou mars 881). III. — JEAN VIII ET L’EMPEREUR BASILE. Pour expliquer cette longue vacance de l’empire, cet interrègne unique de trois ans et demi, pour donner la clef de ces hésitations et de ces marchandages intéressés, il ne suffit pas, croyons-nous, d’invoquer la nécessité, pour le Saint-Siège, d’obtenir à l’avance du nouvel empereur la garantie des avantages souscrits par Charles le Chauve. Il est impossible que le pape n’ait pu réussir à s’entendre avec l’un ou l’autre des Carolingiens, s’il l’eût sincèrement voulu, tant était grand, chez les descendants de Charles le Chauve et du Germanique, le désir de joindre à leur couronne royale les honneurs impériaux. Comme il arrive dans des négociations de cette nature, un système de concessions réciproques eût peu à peu amené les contractants à se rapprocher et finalement à conclure. Ni les princes carolingiens ni le pape n’étaient de ces caractères tout d’une pièce qui se refusent aux accommodements. Si donc le pape réussit à tenir cette gageure d’éveiller toutes les convoitises, sans les décourager ni les satisfaire, s’il dépensa des merveilles de diplomatie et d’habileté à multiplier pendant trois ans les échappatoires, pour ne pas conclure, c’est qu’il avait la ferme intention de ne pas aboutir. Une influence mystérieuse dominait sa politique et entraînait ses résolutions. Pendant qu’il tenait tête aux descendants dégénérés de Charlemagne, il ne perdait pas de vue les événements dont l’Orient était le théâtre et réglait d’après leur marche et leurs progrès les fluctuations de sa diplomatie. L’histoire des démêlés du pape avec les empereurs grecs explique l’institution du patricial franc et le transfert de l’empire en Occident ; le relèvement de l’empire grec sous le principat de Basile et la décadence de l’empire de Charlemagne ne sont point étrangers aux singulières vicissitudes de la politique pontificale dans la question qui nous arrête. Le huitième concile œcuménique, réuni à Constantinople par Adrien il, avait condamné et solennellement déposé Photius, l’habile adversaire de la papauté, et rétabli, sur le trône pontifical de Byzance, Ignace, dépossédé une première fois par les intrigués de son rival. Depuis lors, l’empereur Basile s’était insensiblement rapproché du pape. Il avait pris à lâche de rétablir dans toute sa grandeur et son éclat le vieil empire romain et de renouer la chaîne des traditions interrompues, depuis Justinien et Maurice, par une longue série de Césars incapables ou malheureux. Il rentrait dans son programme de restauration de replacer sous sa domination le sud de l’Italie et de faire rentrer l’Occident dans son cercle d’action et d’influence. Or il ne pouvait se Haller d’agir, comme ses glorieux prédécesseurs, sur l’Occident, sans mettre la papauté dans ses intérêts. Il n’échappait pas à sa clairvoyance que, si l’imprudence de Léon l’Arménien et de Constantin Copronyme avait fourni au pontife de Rome le prétexte d’une rupture avec Byzance, c’était leur faiblesse, leur éloignement, l’incapacité où ils s’étaient trouvés d’intervenir efficacement, et contre les Lombards et contre les Francs, qui avaient décidé la cour romaine à s’entendre avec Pépin et Charlemagne et lui avaient donné le courage d’aller jusqu’au bout de son entreprise. Avoir pour soi la force, inspirer à tous la crainte et le respect, c’en était assez pour déterminer en Italie un courant favorable à la politique de la cour de Byzance, et pour suggérer aux princes italiens et au pape lui-même l’espoir d’un recours à la protection des armes de l’empereur. A la fin du IXe siècle, les circonstances étaient par bien des points semblables à celles qui avaient provoqué, de la part du pape, un appel pressant à la puissance franque, au cours du siècle précédent. Si le péril couru par la chrétienté par le fait des invasions musulmanes avait désigné Charles Martel à Grégoire II, comme le défenseur du Saint-Siège, les incursions des Sarrasins au cœur de l’Italie et jusqu’aux portes de Rome commandaient à Jean VIII de ne pas négliger l’appui du César byzantin, qui était seul à lutter victorieusement en Orient contre les ennemis de la foi. Du jour où Basile avait envoyé au secours de Louis II une flotte et une armée qui lui avaient permis de prendre Bari, il poursuivit par ses capitaines et ses diplomates une campagne savante dans l’Italie méridionale, qui devait avoir pour résultat de replacer sous sa suzeraineté ces provinces, qui n’avaient pas cessé de faire nominalement partie de l’empire. Tout-puissant par sa marine dans les mers de la Grèce, il faisait la police des côtes italiennes, protégeait les villes du littoral, rendait un peu de sécurité et de repos aux populations épouvantées des ravages et des razzias des Sarrasins, et qui vivaient dans la terreur des garnisons musulmanes, échelonnées de la pointe de la Calabre au golfe de Gaëte[111]. Délaissées par les princes carolingiens, abandonnées à leurs propres forces, désespérant de se défendre seules contre des ennemis impitoyables, des villes considérables, comme Amalfi, Salerne, Naples, commençaient à entrer en accommodement avec les audacieux pirates venus des côtes d’Afrique, signaient avec eux des traités particuliers et s’engageaient à leur payer tribut. Les petits princes féodaux de la péninsule, divisés par leurs querelles de famille et moins soucieux de leur foi que de leurs intérêts temporels, prenaient quelques-uns de ces chefs de bandes à leur solde et terrorisaient le pays. Dans cette anarchie, Basile apparaissait à tous comme le sauveur, non seulement des biens et des personnes, mais aussi de la religion menacée. Ce n’était plus du côté de l’Occident, comme au temps de Charlemagne, mais du côté de Byzance, que l’Italie tournait les yeux et espérait un protecteur. Il est facile, à l’aide des chroniques du Vulturne, du Mont-Cassin et surtout de l’histoire d’Erchempert, contemporain de cette triste époque, de suivre les progrès de Basile dans la dernière partie de son règne. Dès 875, les Grecs avaient pris pied à Bari et dans la presqu’île d’Otrante ; le bailli impérial Grégoire envoyait à Constantinople les fonctionnaires lombards qui refusaient de reconnaître l’empereur ; il couvrait de ses émissaires les provinces de Bénévent, de Capoue, de Salerne, pour entraîner leurs princes dans l’alliance impériale, et réussissait à conclure avec eux une ligue que les jalousies personnelles de ces seigneurs devaient souvent rompre et renouer[112]. Charles le Chauve avait bien essayé d’abord de disputer à l’empereur d’Orient la clientèle de cette féodalité remuante. Il avait envoyé Lambert de Spolète au secours de Capoue et de Naples, et livré au pape son ennemi, le duc de Naples, Sergius, qui avait péri misérablement, les yeux crevés, dans les cachots de Rome, en punition de son alliance avec les Sarrasins. Mais ce secours ne se renouvela plus[113]. Lambert de Spolète, lui-même en lutte ouverte avec Jean VIII, ne songeait qu’à assurer son indépendance et appelait des musulmans dans ses garnisons. Dès lors le champ était libre aux intrigues des Grecs. En 884, ils gagnent en Calabre une grande et décisive victoire sur les Sarrasins. La ville de Naples, cité moitié grecque, moitié latine, de population mêlée, et où les deux langues se parlaient indifféremment, qui depuis trente ans ne savait à qui se donner, appelant tour à tour les empereurs d’Orient et ceux d’Occident, reconnaissait enfin la suprématie de Basile. L’empereur, dès 884, y battait monnaie à son effigie[114]. La soumission de l’évêque Athanase II, le plus compromis des princes italiens dans l’alliance sarrasine, avait été précédée de celle du duc de Salerne, Guaimarius, qui, mandé à Constantinople, y reçut l’investiture byzantine du patriciat, et resta jusqu’à sa mort l’allié et le vassal fidèle de Basile[115]. Il fut plus long et plus difficile d’amener à résipiscence le plus grand feudataire du Midi, le duc de Bénévent, non qu’il prît à cœur les intérêts de l’empire d’Occident, mais parce que, poursuivant une politique traditionnelle dans sa famille, il espérait, entre les deux empires, réussir à maintenir son indépendance. Une série de guerres civiles sanglantes avait porté au trône ducal Aïo. Mais Basile avait recueilli h sa cour l’ancien duc, Gaideris, qu’il comblait de bienfaits, en vue de revendications futures[116]. Il déchaînait sur ses États le duc de Naples, Athanase, qui les ravageait à trois reprises[117]. Une grande défaite, subie sous les murs de Bari, mettait enfin Aïo à la discrétion du patrice Constantin et plaçait le duché sous la suzeraineté de l’Orient[118]. Le nouvel empereur d’Occident, Charles le Gros, écrasé sous le poids du lourd héritage de Charlemagne, n’était pas homme à disputer à son rival de Constantinople le terrain et l’influence dans la Lombardie du Sud[119]. Ainsi se dessinait et se développait le programme de Basile. Mais le pape Jean avait depuis longtemps pressenti et escompté ces résultats. Dès l’année 877, du vivant même de Charles le Chauve, il entrait en relations assidues avec Byzance ; il entretenait un commerce épistolaire soit avec l’empereur, soit avec ses conseillers. Il sollicitait ses secours, lui tenait le même langage que ses prédécesseurs à Charlemagne, se répandait en louanges sur son orthodoxie, sur son bras invincible, sur sa piété envers l’Église de Borne. Après avoir inutilement fatigué de ses prières Charles le Chauve et sa femme Richilde, il se décidait enfin à tenter une démarche décisive auprès des Byzantins. Il écrivait au bailli impérial Grégoire : Notre joie a ôté grande en apprenant que Votre Gloire venait d’entrer avec une armée sur le territoire de Bénévent, et nous rendons grâces à Dieu, tant des secours que l’empereur envoie contre les ennemis de la croix que parce qu’il a choisi, pour commander ses forces, toi dont nous connaissons la piété et le zèle[120]. Il lui demandait dix petits navires de guerre (chelandia) pour protéger l’embouchure du Tibre et purger le littoral des pirates musulmans qui l’infestaient[121]. Vous ne pouvez, poursuivait-il, rien faire qui soit plus agréable à l'empereur que de porter secours à cette Église de Rome, qui est la première et la tête de toutes les autres ; car vous procurerez ainsi à l’Auguste protégé de Dieu la gloire en ce monde et une couronne éternelle dans l’autre. Après la mort de l’empereur de son choix, et lorsque Rome est la proie des bandes de Lambert de Spolète, Jean VIII s’adresse de nouveau à Basile ; il lui envoie les évêques Paul et Eugène, chargés de lui représenter les attentats dont le Saint-Siège est victime et le supplier de lui faire parvenir un secours, du moins quelque consolation, comme un fils chéri à sa mère vénérée[122]. Ces instances redoublent quand, au retour de son voyage de France, il a reconnu l’inanité de ses démarches auprès de Louis le Bègue, et qu’il n’a plus de recours qu’auprès de Charles et de Carloman, deux princes dont les intentions lui sont suspectes. Par l’entremise du comte de Capoue, Pandénulfe, il mande auprès de lui les envoyés impériaux qui doivent l’entretenir de la pacification de l’Église d’Orient et recevoir la confidence de ses nécessités[123]. Il songe même à quitter Rome et à se rendre en personne auprès de Grégoire pour s’entendre directement avec lui. Il hésite cependant, car c’est afficher ouvertement sa rupture avec les princes allemands, qu’il a intérêt encore à ménager. Pour ce qui regarde notre voyage auprès de vous, mon très cher fils, sachez que nous l’avons décidé ; mais le roi des Francs (Charles le Gros) nous supplie instamment de ne pas nous éloigner de Rome avant qu’il y soit venu lui-même. Après sa visite, nous nous rendrons sans délai à votre rencontre et nous étudierons ensemble les moyens d’assurer le salut de la sainte Église de Dieu et de tous les chrétiens[124]. Il semble bien qu’à cette date (879) un accord ait été conclu entre le pape et l’empereur pour la protection du Saint-Siège et la réconciliation de l’Église grecque. Jean VIII suit avec uu intérêt anxieux les progrès des armées byzantines dans le sud de l’Italie ; il applaudit à leur succès. Il envoie ses félicitations aux généraux de Basile, Grégoire, Théophylacte et Diogène, qui viennent de remporter une grande victoire sur les Sarrasins. Il s’étonne amicalement qu’ils ne soient pas venus à Rome recevoir sa bénédiction. Il sollicite d’eux, en même temps, l’envoi de quelques dromons pour assurer la sécurité du littoral romain, afin, dit-il, que la gloire de l’empereur grandisse encore, et qu’il reçoive de nous la digne récompense de ses bienfaits[125]. Les dromons réclamés par le pape lui furent envoyés ; bien plus, l’empereur les offrait à saint Pierre pour la défense du Saint-Siège. Il mettait le comble à ses faveurs gracieuses en faisant donation à l’Église romaine du monastère de Saint-Serge, bâti dans la ville même de Constantinople. Il rassurait enfin le pape sur l'affaire du diocèse de Bulgarie, qu’il promettait de rattacher à l’obédience romaine. Jean VIII remercia chaleureusement son bienfaiteur[126] : Nous rendons à Votre Sérénité des grâces sans fin pour sa dévotion, pour la sincérité de son âme, qu’il nous témoigne non seulement par ses paroles, mais par des services plus éclatants que le jour, rendus à l’Église de saint Pierre et à notre paternité. Nous vous supplions de continuer vos bienfaits à la sainte Église romaine, afin que votre gloire impériale, par l’effet de nos mérites apostoliques, se répande dans toutes les parties de l’univers et reçoive du Dieu tout-puissant sa digne récompense. Humblement nous vous prions de nouveau de persister dans les mêmes sentiments de bonne volonté, d’affection et de piété à notre égard. Pour nous, nous ouvrons nos bras tout grands, de toute la force de notre amour paternel, à Votre Excellence Auguste, nous vous vénérons avec tous les honneurs que l’on vous doit, et dans de continuelles oraisons, prosterné aux pieds des saints apôtres, nous prions le Dieu tout-puissant de répandre sa bénédiction sur votre empire. C’est dans des termes pareils que jadis Étienne III et Adrien écrivaient à Pépin et à Charlemagne ; c’est avec la même effusion et le même vocabulaire qu’ils sollicitaient leur secours contre les Lombards. La question du salut de l’Église se pose à celle heure avec la même netteté et le même caractère d’impérieuse nécessité. Seulement la situation s’est renversée au profit de l’empire d’Orient. Dans la détresse où le laissaient les princes d’Occident, obligé de payer aux Sarrasins un lourd et humiliant tribut, Jean VIII pouvait-il songer à faire à Basile cet outrage, de décerner la couronne impériale à un Carolingien, au moment où il ne se soutenait dans Rome que par ses bienfaits ? À la curie romaine, mieux que partout ailleurs, on savait que les Césars du Bosphore avaient considéré comme une mortelle injure, comme un attentat inouï contre leurs prérogatives, l’élévation de Charlemagne à l’empire. Le cœur en saignait encore, les larmes en montaient aux yeux à l’historien Cinname, qui rappelait ces faits au XIIe siècle[127]. Jean VIII n’ignorait pas que ces princes n’avaient jamais consenti à reconnaître officiellement, sinon avec des réserves significatives, Louis le Pieux et Lothaire ; que, récemment encore, Basile, décidé à rendre tout son lustre à l’empire, avait contesté à Louis II, dans une lettre célèbre, le droit de prendre le titre de basileus, que ses ancêtres avaient usurpé, et de revêtir les honneurs impériaux. Si catégoriques étaient à cet égard les intentions de l’empereur, qu’au huitième concile œcuménique, réuni en 869, il avait fait biffer, sur les exemplaires des actes officiels, la formule des hommages rendus par les Latins au César carolingien, signifiant ainsi qu’il ne reconnaissait dans l’empire romain d’autre César que lui-même. Le pape pouvait-il prendre sur lui de raviver la blessure dont souffrait si cruellement l’orgueil byzantin, en renouvelant la cérémonie odieuse d’un couronnement dans sa capitale, protégée par les troupes grecques et par les vaisseaux de l’empereur d’Orient ? Il y avait contradiction flagrante entre les demandes de secours adressées à Constantinople et la certitude de s’aliéner un protecteur nécessaire parla cérémonie d’un sacre solennel à Rome. Il y a pour nous une relation évidente entre la prolongation anormale de la vacance de l’empire d’Occident et la reprise de relations si cordiales avec Byzance. La coïncidence ne saurait être fortuite. Du reste, un parti favorable aux prétentions des Orientaux et au retour à l’antique tradition n’avait pas cessé, depuis le commencement du siècle, de s’agiter à Rome. Il n’est pas démontré que ce parti n’ait été pour rien dans la tentative criminelle dont le pape Léon III fut victime, en 800. On reconnaît sa main dans la plupart des intrigues et des soulèvements qui suivent la mort des pontifes. Il était assez fort pour exciter les craintes les plus vives de l’empereur Louis II et pour provoquer de sa part des mesures de répression sévères[128]. Son crédit et son influence ne devaient que s’accroître par les preuves de faiblesse et d’affaissement que donnaient les derniers successeurs de Charlemagne, par leur impuissance avérée à procurer la sécurité de Rome, par la renommée de Basile et le témoignage présent à la mémoire de tous de ses bienfaits et de sa force. Ce parti ne songeait à rien moins qu’à poursuivre l’annulation du pacte conclu avec les Francs, en l’an 800, et à restaurer l’unité de l’empire dans la personne de Basile ; et Jean VIII, épouvanté de la détresse du Saint-Siège, écœuré par le spectacle des discordes et de l’irrémédiable décadence de la famille de Charlemagne, devait forcément incliner vers une solution qui rétablirait, entre les deux capitales du monde chrétien, l’accord séculaire interrompu depuis cent cinquante années. Pour procurer ce résultat, il lui suffisait de temporiser, de tenir en échec par ses exigences et d’user l’un par l’autre les prétendants à la couronne impériale, et nous avons vu que c’est là exactement la conduite qu’il tint pendant trois ans et demi. Toutefois, la conscience de son isolement et le désir de complaire à Basile entraînèrent le pape dans la plus périlleuse aventure. Photius, pendant son exil et sa disgrâce, n’avait perdu aucun de ses partisans ; il s’était efforcé, avec une infatigable adresse, d’entretenir leur zèle et de prévenir leur défection. L’Orient, après comme avant le huitième concile, demeurait divisé par un schisme. L’empereur s’affligeait sincèrement de cette situation. A force de souplesse et d’intrigue, Photius réussit à regagner la faveur du prince, son ancien ami. Il revint à Constantinople, et peu à peu se rapprocha de son compétiteur et de son remplaçant, Ignace ; les deux patriarches, à l'étonnement de tous, vécurent en assez bonne intelligence. Il endormit la vigilance du pape lui-même, en le faisant circonvenir habilement par les amis qu’il avait su se faire à Rome, et en particulier par le bibliothécaire Anastase[129], dont nous retrouvons la main dans cette nouvelle intrigue. Vint un moment où Basile ne vit qu’un moyen de rétablir la paix dans l’Église troublée : c’était d’assurer à Photius la succession de son rival, quand celui-ci serait mort. D’ailleurs, Ignace n’avait pas lardé à tromper les espérances que la papauté avait mises en lui. Sous peine de félonie, il ne pouvait appuyer les revendications du siège de Rome sur le royaume de Bulgarie, dont la politique impériale avait eu tant de difficultés à s’assurer l’amitié. De là ces lettres irritées, par lesquelles Adrien II et Jean VIII gourmandenl l’opiniâtreté du patriarche. En 877, le pape lui ordonne de retirer de la Bulgarie, dans l’espace de trente jours, ses évêques et ses prêtres, sous peine d’être retranché de la participation du corps et du sang de Jésus-Christ ; s’il persiste dans sa contumace, il déclare le déposer de son siège et de sa dignité patriarcale. La situation était aussi tendue que jadis entre Nicolas et Photius. L’ingratitude d’Ignace atténuait les torts anciens du fameux hérésiarque. Aussi Jean VIII, prévenu par les avantages qu’il entrevoyait à une réconciliation avec Basile, fit bon accueil aux légats byzantins, qui vinrent lui demander de recevoir Photius dans sa communion et de le reconnaître comme le successeur d’Ignace. Au mois d’août 879, il consentit à envoyer à Constantinople ses légats, avec les lettres les plus élogieuses à l’adresse de Basile et de Photius lui-même[130]. Un concile fut assemblé pour opérer la réconciliation de Photius avec le Saint-Siège, pour révoquer l’excommunication lancée contre lui par les papes précédents, et pour le confirmer dans la dignité patriarcale, qu’il occupait du reste déjà depuis quelques mois. Jean VIII avait poussé le zèle jusqu’à écrire aux métropolitains et aux évêques, ennemis du nouveau patriarche, pour les sommer, en les menaçant de l’anathème, de reprendre avec lui leurs relations spirituelles. Mais l’empereur Basile et le patriarche, voyant le pape à ce point engagé avec eux et dans leur dépendance, profitèrent de la situation pour pousser jusqu’au bout leurs avantages. Dans le concile de 879, Photius fut solennellement acclamé, comparé au Christ méconnu et outragé par les Juifs, au fiancé de l’Église que celle-ci appelle et désire. On célébra l’union des deux Églises, d’Orient et d’Occident, et l’on déclara par la bouche du légat Eugène que l’âme du pape était si intimement unie à celle de Photius que les deux ne formaient plus, pour ainsi dire, qu’une seule âme. Enfin, profitant de la complicité des légats pontificaux, conquis par les largesses de la cour d’Orient, Photius fit casser et déclarer de nulle autorité tous les conciles tenus contre lui et en particulier le huitième. Les délégués d’Antioche affirmèrent que les légats de ce siège, qui avaient condamné Photius en 869, n’avaient pas été envoyés par le patriarche. Il fut entendu que, pour ne pas troubler la concorde, le pape et l’évêque de Constantinople ne recevraient pas dans leur communion ceux que l’un ou l’autre avaient frappés d’anathème. Photius réussit encore à faire proclamer sans protestation, non seulement l’autonomie, mais même la primatie du siège de Byzance sur le siège de Borne, tranchant ainsi, au profit de la capitale de l’Orient, la longue querelle qui avait divisé les deux patriarcats. Les légats du pape n’eurent pas même la mince satisfaction d’apporter à leur maître la solution de l’affaire de Bulgarie. Photius sut éluder habilement leurs instances à ce sujet. Il répondit que, l’affaire étant politique, il en remettait la décision à l’empereur, protestant qu’elle n’était pas du ressort d’un concile. Lorsque Jean VIII put avoir connaissance des actes du conciliabule de 879 et de la trahison de ses légats ; quand il sut jusqu’à quel point l’empereur et Photius avaient abusé de sa détresse et de sa crédulité, il se réveilla comme d’un long sommeil. Il envoya à Constantinople le cardinal Marin, pour informer contre la procédure du concile et protester contre des décisions prises, malgré ses instructions formelles. Puis il monta à l’ambon de l’église des Saints-Apôtres et prononça solennellement, pour la troisième fois, l’anathème contre le patriarche byzantin. Le schisme religieux entre Rome et Constantinople était consommé. Le conciliabule de Photius termina ses sessions en mars 880. Plusieurs mois s’écoulèrent avant le retour des légats pontificaux, la traduction des actes du concile et avant que le pape eût appris, sans pouvoir en douter, les perfides machinations des Orientaux. Charles le Gros était couronné empereur en février ou mars 881, c’est-à-dire probablement quelques semaines après la connaissance exacte des faits qui s’étaient passés à Constantinople. Dupé par ses ennemis, le pape se ralliait, comme à un pis-aller, à cette candidature. Mais il n’entendait pas procéder au couronnement sans avoir pris ses sûretés et stipulé par écrit les garanties obtenues de Charles le Chauve. Seulement Jean VIII se trouvait maintenant dans une situation déplorable pour traiter avec avantage. Personne n’ignorait le triste éclat de Constantinople, la rupture avec l’empereur et les conséquences qui en devaient résulter. Le pape était à la merci de la brutalité du roi d'Italie, qui se vengea cette fois des longs retards et des prétextes dilatoires dont on avait amusé si longtemps son impatience. Ce n’était plus au pape de faire des conditions, mais à lui d’en recevoir. Aussi n’est-il pas probable que le pacte de Charles le Chauve ait été renouvelé en cette occasion. Ce qui tend à le montrer, c’est qu’un des successeurs de Jean VIII, Adrien III, crut devoir publier à nouveau le décret laissant aux seuls Romains le droit d’élire et de consacrer leurs pontifes. Quoi qu’il en soit, la période qui s’étend de la fin du IXe siècle à la première moitié du Xe, comprend les années les plus misérables qu’ait vécues la papauté. Le Saint-Siège fut la proie des plus détestables factions et l’enjeu des plus tristes intrigues. L’empire de son côté tomba dans un pareil avilissement. Le nom même d’empereur finit par perdre toute sa signification et sa valeur. Dépouillé de toute suprématie temporelle sur les royaumes de l’Occident, il fut réduit au rôle de défenseur officiel du Saint-Siège ; et des mains incapables et lâches de Charles le Gros, qui rappelait encore par son nom et son sang la descendance de Charlemagne, l’empire tomba dans celles des petits princes italiens, qui se le disputèrent comme un hochet glorieux, jusqu’au jour où les Césars d’Allemagne ramassèrent cette couronne échouée dans la boue et dans le sang et lui rendirent en partie son éclat. FIN DE L’OUVRAGE |
[1] Libellus de Imperatoria
potestate ; Watterich, Vitæ pontificum, t. I, p.
629.
[2] Libellus de imperatoria
potestate ; Watterich, Vitæ pontificum, t.
I, p. 629.
[3] Elles ont été publiées dans les collections de Jaffé, de Mansi, de Migne. — Nous donnons les numéros des lettres d’après Migne (tome CXXVI de la Patrologie latine).
[4] Pertz, Mon. Germ. Script., t. III, p. 712.
[5] Pertz, t. II, p. 162.
[6] Voir la critique du Libellus dans Pagi, Critica ad ann. Baronii, anno 875.
[7] Ueber den sogenannten Libellus de imperatoria potestate in urbe Roma, von J. Jung (Forschungen zur deutschen Geschichte, 14e vol.) : et Die Schenkung Kaisers Karls des Kahlen fur Papst Johann VIII und der Libellus de imperatoria potestate in urbe Roma. F. Hirsch (Idem, 20e vol.). Voir, dans Hirsch, le résumé des opinions de tous les érudits qui se sont occupés du Libellus.
[8] Remarquer les dernières lignes de l’ouvrage.
[9] Andreæ presbyteri Chronicon, D. Bouquet, t. VII, p. 206.
[10] Annales Fuldenses, ann. 874.
[11] Synode de Ravenne, 877.
[12] Ep. Hadriani ad Carolum
Calvum, in Jaffé, Regesta pontificum, n°
2241.
[13] Pertz, t. I. Annales Fuldenses,
ad ann. 876.
[14] Pertz, t. I. Annales Fuldenses, ad
ann. 876.
[15] F. Hirsch, Die Schenkung Kaisers Karls des Kahlen für Papst Johann VIII. (Forschungen zur deutschen Geschichte, 20e vol.)
[16] Libellus de imperatoria potestate, in Watterich, Vitæ pontificum, t. I, p. 630-634. — Voyez Annales Mettenses, ad ann. 876.
[17] Remarquez qu’il n’est fait aucune mention dans le Libellus des concessions relatives à l’Église de France.
[18] Annales Fuldenses, ann. 876.
[19] Dümmler (Gesch. des Ostfr. R., lib. IV, cap. 7) insiste également sur cette nouveauté.
[20] Cinnamus, lib. II, cap. XII.
[21] Baronius, Annal. ecclesiast.,
t. X, ad ann. 876, p. 515.
[22] Watterich fait tenir ce discours par Jean VIII au concile de Ravenne (juillet 877). Mais il ne fut pas question à Ravenne de la confirmation de l’empereur. Voyez Héfélé, Histoire des Conciles, t. VI, liv. XXVI, p. 504.
[23] Watterich, Vitæ Pontificum,
t. I, p. 641. — Mansi, t. XVII, p. 172. — Pertz, Leges, t. I, p. 503.
[24] Annales Hincmari, 876.
[25] Constantin Porphyrogénète, Livre des Thèmes (le thème de Sicile).
[26] Je n’en veux pour preuve que un passage de la lettre 59 adressée à la femme de Charles le Chauve, Richilde (Migne, Patrol., t. CXXVI.)
[27] Voir art. 4 de la constitution de 824.
[28] Art. 8. Cf. Fickers, Forschungen,
L II, § 353.
[29] Voir particulièrement, Annales Eginhard., an. 823, le jugement du primicier Théodore et du nomenclateur Léon. — Liber Pontificalis : Vita Leonis IV, §§ 534 et 555 ; Vita Hadriani II. Jugement de l’évêque de Veltri, d’Étienne Nepesinus et de Jean Hymmonidès.
[30] Muratori, t. II, pars II, Chron. Farfense.
[31] Watterich, t. I, p. 628.
[32] Johannis VIII ep. 42. (Coll. Migne,
t. CXXVI.)
[33] M. Bayet, les Élections pontificales sous les Carolingiens (Revue historique, janv.-fév. 1884), a publié avec le plus grand soin le détail de l’élection des pontifes au IXe siècle. Nous différons de sentiment avec lui sur quelques points.
[34] Parmi beaucoup d’exemples, voir : Liber Pontificalis : Vila Pelagii II.
[35] Voyez Liber Pontificalis : Vita Stephani IV.
[36] Jaffé, Codex Carol., ep. 12.
[37] Jaffé, Codex Carol., ep. 44 et 45.
[38] Liber Pontificalis : Vita Leonis III.
[39] Ann. Eginh., 796.
[40] Jaffé, Epist. Carolinæ, 10.
[41] Jaffé, Epist. Carolinæ, 10.
[42] Liber Pontificalis : Vita Stephani VI, § 427.
[43] Thégan., cap. 16.
[44] Ann. Eginh., 816.
[45] Gratianus, cap. XXVIII, dist. 33.
[46] Pagi, Critica ad Ann. Baronii,
ann. 896.
[47] Muratori, Script. It., t. II, pars II, p. 128 : Supplementum concilii Romani habiti anno 863, cap. XI.
[48] Ann. Eginh., 817.
[49] Ann. Eginh., 824.
[50] Constitutio Lotharii (824) ; Watterich, Vitæ Pontificum, t. I, Additamenta,
p. 623.
[51] Liber Pontificalis : Vita Valentini.
[52] Pour Grégoire IV, voyez Ann. Eginh., 827, et l’Astronome, Vita Ludovici.
[53] Liber Pontificalis : Vita Sergii II, Annales S. Bertin., ann. 844.
[54] Liber Pontif. : Vita Sergii II.
[55] Liber Pontif. : Vita Leonis IV, n° 497.
[56] Liber Pontif : Vita
Benedicti III.
[57] Lib. Pontif. : Vita Hadriani II, n° 614.
[58] Lib. Pontif. : Vita Hadriani II, n° 615.
[59] Annales Fuldenses, an. 882.
[60] Annales Fuldenses, an. 885.
[61] Muratori, t. III, pars II (Ex Amatrico Angerin.)
[62] Sur cette donation, dont ils contestent l’exactitude, voir Dümmler (op. cit.) et J. Fickers (Forschungen, t. II, § 353, note 7). On ne peut, dit le dernier, en contrôler le contenu. Ce n’est pas une raison pour le rejeter. Il est clair que l’auteur n’a pas écrit pour soutenir et exagérer les prétentions de la papauté, mais pour les combattre.
[63] Voyez le passage d’une lettre de Paul Ier dans le Codex Carolinus, ep. 23.
[64] Voyez Ckronicon Farfense ; Muratori, t. II, pars II, p. 439. V. aussi Pertz, Monum. Germ. Script., XI. Jung (Ueber den sogenannten Libellus de imperatoria potestate) s’étend longuement sur l’histoire de ces trois monastères.
[65] Nous nous en tenons aux privilèges de Pépin et de Charlemagne, parce, que ce sont les seuls que nous puissions contrôler par la correspondance des papes, par conséquent les seuls dont nous puissions certainement affirmer l’authenticité, quand leurs assertions s’accordent avec le texte de la correspondance.
[66] Liber Pontif. : Vita
Hadriani I, n° 311, 312.
[67] Jaffé, Cod. Carol., ep. 57.
[68] Jaffé, Cod. Carol., ep. 57.
[69] Codex Carolinus, ep. 83.
[70] Codex Carolinus, ep. 86.
[71] Voyez Coll. Migne, t. CXXVI. Epist. Johannis VIII. Ep. 91, 98, 103, 104, 106.
[72] Ep. Johannis VIII, 103.
[73] Ep. 106.
[74] Ep. 104.
[75] Coll. Migne, ep. 31. Ann. 876.
[76] Erchempert, Hist. Langob., cap. 47.
[77] Epist. Johan. VIII, 32, an. 876. Rapprochez de la lettre 31 à Landulf. M. Hirsch (op. cit.) soutient, ce qui est exact, que les termes de la lettre ne sont pas précis, et que peut-être il ne s’agit que d’une négociation, pour laquelle l’empereur a donné au pape ses pleins pouvoirs. Le doute est en effet permis. Cependant les termes fideles nostros incœpta corroborate fidelitate, etc., nous semblent une présomption favorable à notre hypothèse.
[78] Ep. Johann., 32 et 55.
[79] Ann. Hincm., 876.
[80] Sur la doctrine d'Hincmar touchant les décrétales, voir Flodoard, Historia Remensis, lib. III, cap. 21-27, et dans les œuvres d’Hincmar la lettre apologétique aux évêques de Gaule.
[81] Coll. Migne, t. CXXVI, ep. 22, 23,
26.
[82] Voyez les articles du concile de Ponthion : Pertz, Leges, t. 1, p. 803-804.
[83] Coll. Migne. Ep. Johann. VIII,
93, anno 877, nov.
[84] Coll. Migne. Ep. Johann.
VIII, 93, anno 877, nov.
[85] Ep. 117.
[86] Ep. 107, ad Johannem arch.
Ravennatum.
[87] Ep. 106. ad Berengariam comitem.
[88] Pertz, Monum. Script., I ; Annales
Fuldenses, ad ann. 878.
[89] Ep. 117, ad Carolomannum ;
ep. 140, ad Carolum Crassum.
[90] Ep. 138, ad comitem Supponem.
[91] Ep. 139, ad Carolomannum.
[92] Ep. 115, ad Ludovicum Balbum.
[93] Baronius, Ann. ecclesiast.,
ad ann. 878.
[94] Voir Héfélé, Hist. des conciles, t. VI, § 505.
[95] Annales Hincmari, ad ann. 878.
[96] Ad Ludovicum Balbum, ep. 242. Voir la lettre du pape aux fils de Louis le Bègue, Louis et Carloman, ep. 277.
[97] Voir la lettre 204, ad Carolucn Crassum, datée du mois d’avril 819 et celle à Carloman (214) datée de mai 819, dans lesquelles il promet l’empire à l’un et à l’autre.
[98] Ep. ad Carolum Crassum, 142.
[99] Ad. Anspertum arch.
Mediolan., ep. 200.
[100] Ad Wibodum episcopum, ep. 122.
[101] A la date de juillet 879, on a encore une charte pour le monastère de Saint-Sauveur signée de son nom.
[102] Ad Carolum Crassum, ep. 215.
[103] Ann. Hincm., ad ann. 879.
[104] Ad Carolum Crassum, ep. 260.
[105] Ad Carolum Crassum, ep. 273.
[106] Ad Bosonem, ep. 222.
[107] Ad Carolum Crassum, ep. 295.
[108] Eadem epistola.
[109] Ad Carolum Crassum, ep. 298.
[110] Ad Carolum Grassum, ep. 303.
[111] Citons la victoire du patrice Nicétas Oripha dans les eaux de la Crète ; la flotte de secours, commandée par le navarque Adrien, et envoyée au secours de la Sicile, trop tard pour conjurer la prise de Syracuse ; l’expédition du patrice Nicéphore Phocas en Sicile et dans la Calabre. — Voyez la Vie de Basile, par Constantin Porphyrogénète (continuateur de Théophane).
[112] Erchempert, Hist. Langob., cap. XXXVIII, XXXIX ; XLI et XLII. Tout ceci se passe de 878 à 880.
[113] Erchempert, Hist. Langob., cap. XXXIX.
[114] Revue numism., an. 1849, t. XIV, dissert, de M. Pfister. On lit au droit de cette médaille : BASIL. IMPE, et dans le champ : NEAPOL ; au revers : SCS. IANVARI. A Naples, les prêtres apprenaient le latin et le grec ; la liturgie s'y célébrait dans les deux langues (Vita Athanasii, ep. Neap., cap. VI. Translatio sancti Athanasii, cap. I. Translatio sancti Severini, cap. CI.) Sur les alliances des ducs et des évêques de Naples, voyez Johannes, Gesta episc. Neap., cap. LXI, LXIV.
[115] Erchempert, Hist. Langob., cap. LIV. Voyez aussi cap. LXVII.
[116] Erchempert, Hist. Langob., cap. XLVII.
[117] Erchempert, Hist. Langob., cap. LXXI-LXXIX.
[118] Erchempert, Hist. Langob., cap. LXXII.
[119] Voyez dans Constantin Porphyrogénète (De admin. imper., cap. XXVII) quel est, au Xe siècle, le gouvernement de l’Italie méridionale.
[120] Ad Gregorium imperialem
predagogum, ep. 73.
[121] Ad Gregorium imperialem
predagogum, ep. 73.
[122] Ad Basilium imperatorem, ep. 114.
[123] Voir les deux lettres : ad Pandenulphum comitem, ep. 207, et ad Gregorium primicerium, ep. 211.
[124] Ad Gregorium primicerium, ep. 220.
[125] Ad Gregorhun spatharium,
Theophylacium turmachum et Diogenem comitem, ep.
236,
[126] Ad Imperatores augustos, ep. 296.
[127] Cinname, lib. V, cap. VII.
[128] Liber Pontificalis : Vita Leonis IV, n° 554 et 555.
[129] V. la lettre fameuse de Photius à Anastase. (Migne, Photii op., lib. II, ep. 66.)
[130] Ad Basilium, Constantinum
et Alexandrum imperatores, ep. 243. Ad
Constantinopolitanos, ep. 244. Ad clericos Constantinopolitanos, ep.
245 ; ad Photium, ep. 248.