L’EMPIRE BYZANTIN ET LA MONARCHIE FRANQUE

 

CHAPITRE V. — L'ALLIANCE GRECQUE.

 

 

I. — L’EMPEREUR NICÉPHORE.

 

La révolution de palais qui précipita du trône l’impératrice Irène pour y porter Nicéphore fut un coup de surprise pour l’Orient comme pour l’Occident. En quelques heures, sans effusion de sang, sans qu’aucun signe précurseur fît prévoir un changement si brusque, une princesse, à qui ses talents, son habileté supérieure, le succès constant de ses entreprises, l’admiration du peuple et l’appui d’un parti puissant, semblaient garantir un long avenir de puissance, passait de l’éclat du palais au silence et à l’oubli d'un monastère. Elle, qui avait pu triompher sans résistance des revendications de son fils, l’empereur légitime ; devant qui s’ôtaient apaisées toutes les révoltes de la dynastie qu’elle supplantait, qui avait osé aux applaudissements de tout un peuple ceindre la couronne impériale, cédait et capitulait, au comble de la faveur et de la gloire, devant un général à peine connu, sans passé militaire, et se voyait reléguée dans Lesbos, sans que personne prît les armes pour la défendre, de ceux que sa confiance avait choisis avec tant de soin pour assurer sa sécurité. Une intrigue mystérieusement ourdie par des patrices mécontents, avec la connivence de quelques cohortes stipendiées, suffit pour réduire à néant les vastes projets dont dépendaient les destinées de deux empires. Si habitué qu’on soit aux suintes révolutions de Byzance, et à la facilité du peuple à s’incliner devant le fait accompli, celle-ci déconcerte par sa brusquerie et son inopportunité. Peu s’en faut qu’elle apparaisse comme un effet sans cause.

Cependant si l’on étudie de près le texte de Théophane, le plus exact et le mieux informé des chroniqueurs contemporains, on s’aperçoit que ces fantaisies de la force cachent le jeu de partis vivaces que le triomphe d’Irène n’avait pas désarmés. En cette circonstance, Nicéphore ne fut que l’instrument des iconoclastes, qui n’avaient pardonné à l’impératrice, ni le concile de Nicée, ni sa politique favorable à la papauté, ni ses projets de mariage avec Charlemagne. L’avènement de Nicéphore fut le signal de persécutions violentes contre les partisans delà réconciliation avec l’évêque de Rome. Les principaux promoteurs de cette politique, Théodore le Studite, J’hégoumène Platon, beaucoup d’autres moins illustres, furent punis par l’exil de leur zèle orthodoxe. Toutefois le coup fut si rapide, si inattendu, que la stupeur paralysa les effets de l'indignation et de la colère. Tous ceux, dit Théophane, qui vivaient suivant la piété et la raison, ne parvenaient pas à comprendre les secrets desseins de la Providence, qui privait ainsi du pouvoir une femme signalée par ses luttes en faveur de la vraie foi et par ses victoires en l’honneur du Christ, pour le donner à un empereur de la plus vile extraction, ennemi de ses autels, un ancien gardien de pourceaux. C’est pourquoi, parmi les fidèles, les uns, frappés d’étonnement, refusaient de croire à un tel événement et se croyaient le jouet des illusions d’un songe ; les autres, plus habitués à pénétrer l’avenir, se répandaient en regrets sur la prospérité passée et redoutaient les malheurs que devait déchaîner sur l’empire un tyran dont ils connaissaient les doctrines perverses. A ces appréhensions et ces regrets, on ne peut douter qu’il s’agisse d’une revanche du parti iconoclaste, qui, terrassé et réduit à l’impuissance pendant le règne d’Irène, rentra subitement en scène.

Mais il faut surtout remarquer le moment choisi pour cette revanche et l’occasion saisie par les ennemis de l’impératrice. La politique de la princesse orthodoxe comportait, nous l’avons vu, l’union des deux Églises d’Orient et d’Occident et la réconciliation avec Rome. Puis, par une pente naturelle, cette réconciliation l’avait conduite à un rapprochement avec le souverain qui avait soumis tous les royaumes d’Occident et dont le pape avait 616 le collaborateur. Celui-ci avait suggéré l’idée d’un mariage qui eût confondu les droits des deux, empires et accordé les prétentions séculaires de Constantinople avec les jeunes ambitions de la dynastie carolingienne. Or c’est à l’instant précis où se débattaient les conditions de ce grand projet et quand les ambassadeurs de Charlemagne séjournaient encore à Constantinople, pour triompher des dernières résistances d’Irène ou plutôt de sa cour, que la faction, jadis vaincue par l’impératrice, avait repris le dessus et prévenu l’accord prêt à se conclure. L’imminence d’une entente définitive entre Charlemagne et Irène semble avoir précipité la conjuration. La politique fournit aux ennemis de l’impératrice le prétexte attendu et recherché par eux. S’ils se refusaient à sacrifier l’indépendance de l’Église d’Orient au siège de Rome, ils ne voulaient pas davantage d’une alliance intime avec le César d’Occident, qui lui aurait permis d’absorber, au profit de l’hégémonie franque, les provinces restées dans l’héritage de Byzance et de rétablir l’empire de Théodose et de Constantin.

La chute d’Irène et l’échec des négociations dont ôtaient chargés les ambassadeurs francs portaient, en effet, le coup le plus sensible aux desseins de Charlemagne. Sa pensée ne paraît jamais s’être arrêtée à l’idée de la restauration de l’empire d’Occident. Pour lui, comme pour les Orientaux, l’empire, par définition, ne pouvait être qu’un. Il avait accepté des mains du pape la couronne, sous le prétexte que cet empire était vacant à Byzance, Irène ayant fait disparaître son fils Constantin. Quand il fut acquis que l’impératrice entendait ne pas se dessaisir de l’autorité, mais gouverner en son nom, et que le sénat, l’armée et le peuple s’inclinaient devant cette prétention exorbitante et nouvelle, le pape avait imaginé le biais ingénieux d’unir les deux couronnes en mariant les deux titulaires Cette combinaison même impliquait la reconnaissance expresse de la nécessité de l’unité de l’empire. Mais, après l’attentat de Nicéphore, l’illusion n'était plus permise. Le monde se trouvait en présence de deux empereurs et de deux obédiences. La question se posait de savoir lequel, de Nicéphore ou de Charlemagne, était l’empereur légitime. Charlemagne avait pour lui la priorité du couronnement ; mais ce couronnement n’avait de valeur qu’autant que l’empire était considéré comme vacant pendant le règne d’Irène. Or la ratification du sénat et du peuple n’autorisait pas cette interprétation, dont s’était prévalu le pape à la cérémonie de Noël de l’an 800. Il est vrai que l’Occident prétendait au droit de désigner l’empereur, au même titre que les provinces de l’Orient. Mais une prescription de quatre siècles portait à considérer comme nulles ces revendications surannées, qui remontaient à l’histoire de l’ancien empire et aux temps du paganisme. Depuis que Byzance avait été fondée, c’était elle qui était devenue la source du droit ; c’était son sénat qui avait reconnu les empereurs, son patriarche qui les avait couronnés. Aux yeux des Byzantins, Charlemagne ne pouvait être regardé que comme un usurpateur ; ses prétentions, par suite de la chute d’Irène, devenaient inconciliables avec le dogme fondamental de l’empire.

La guerre était-elle donc la seule solution au conflit engagé ? Les deux princes rivaux y songèrent ; mais tous deux la redoutaient, soit que Charlemagne se fit illusion sur les forces réelles de l’empire grec, soit que Nicéphore hésitât devant une entreprise grosse de périls avec un adversaire dont la réputation avait pénétré tout l’Orient[1]. Bien souvent le prince franc, dans la vivacité de sa déception, dut répéter les paroles que lui prête le moine de Saint-Gall : Plût au ciel qu’entre lui et nous ne s’étendit pas le gouffre de la mer ! Car nous partagerions ensemble les trésors de l’Orient ou nous les posséderions en commun[2]. Toutefois, il se radoucit et préféra attendre de négociations habiles et de calculs patients le résultat que la fortune des armes pouvait compromettre. De son côté Nicéphore n’osait traiter Charlemagne comme un usurpateur ordinaire et se mettre sur les bras une guerre dont les conséquences ne se pouvaient prévoir. Il donna donc congé aux ambassadeurs francs et les fit accompagner par ses propres envoyés, l’évêque Michel, l’abbé Pierre et le candidat Calliste. L’entrevue eut lieu à Salz[3]. Des propositions faites par Nicéphore, le chroniqueur franc ne nous dit rien ; et en vérité l’embarras du prince grec devait être grand en des circonstances si critiques. Qu’avait-il en effet à offrir à Charlemagne en échange des avantages que son coup d’État lui avait fait perdre ? Reconnaître la légitimité de Charlemagne eût été consentir à sa propre abdication. Lui dénier le titre d’empereur, c’était exaspérer la colère et l’indignation des Francs. Toute la négociation dut donc se réduire à des protestations banales d’amitié et de paix ;et c’est là à peu près ce que rapporte le moine de Saint-Gall : Il déclara qu’il voulait être son ami fidèle, regrettant que leurs royaumes ne fussent pas plus proches, parce qu’il l’aurait traité comme un fils et aurait enrichi sa pauvreté[4]. Cette amitié supposait d’ailleurs un désaveu préalable de l’acte du couronnement, qui ne pouvait convenir à la fierté de Charlemagne. Ce n’était pas en fils qu’il voulait être traité, mais en frère, comme le dit Éginhard. Aussi répondit-il à l’empereur grec par des contre-propositions, dont la teneur ne nous est pas connue, mais qu’il n’est pas téméraire de supposer analogues à celles qui furent portées à Constantinople en l’an 811 et que nous expliquerons plus loin[5]. Nicéphore fit d’abord le plus mauvais accueil à ces ouvertures ; plus tard, vaincu par la fortune, à bout de ressources, il consentit à les accepter. Mais dans l’intervalle, de 800 à 811, s’écoule une période de tiraillements et d’hostilités dont la cause et l’issue devaient influer sur les résolutions définitives des Byzantins.

Charlemagne fut servi dans cette lutte par les diversions puissantes des voisins et des ennemis particuliers de Byzance. Jamais peut-être l’empire ne traversa des périls plus graves que pendant le règne de Nicéphore. C’est le moment où, sous Haroûn al Reschid, la puissance des khalifes de Bagdad atteint son apogée ; c’est le moment aussi où les incursions des Bulgares deviennent le plus fréquentes et le plus audacieuses, au point d’inquiéter les Césars sur la possession de leur capitale. Bulgares et musulmans se relayent pour épuiser les forces défaillantes de l’empire. Dans une première expédition, Haroûn ravage l’Asie Mineure, désole la Phrygie, et pénètre jusqu’à Ancyre, s’apprêtant à franchir le détroit qui le sépare de Constantinople. Nicéphore obtient la paix au prix des plus humiliantes conditions. Il dut s’engager à payer au khalife un tribut annuel de trente mille écus et d’un certain nombre de pièces d’or frappées à l’effigie du khalife et de son fils, consacrant ainsi lui-même leur victoire. Il devait aussi laisser démanteler les places prises par les musulmans et qui couvraient l’empire. Nicéphore ayant rompu le traité, l’année suivante, Haroûn ravagea une seconde fois les provinces d’Asie et poussa son armée jusqu’à Chebasa, pendant que sa flotte prenait Chypre et en transportait par milliers les habitants. Ce fut ensuite le tour de Rhodes, qui fit cependant une meilleure défense. La mort d’Haroûn en 809 et les troubles qui suivirent le règlement de sa succession auraient donné quelque répit aux Byzantins, si d’autre part les Bulgares n’avaient profité de leurs défaites pour pousser leurs hordes jusqu'à Andrinople et aux faubourgs mêmes de la ville impériale. On sait que Nicéphore lui même périt dans l'affreux désastre qu’éprouva son armée près d’Andrinople, que sa tôle coupée fut portée au khan des Bulgares, Krum, qui fit de ce crâne une coupc cerclée d’argent, et qu’avec l’empereur succombèrent la plupart de ses généraux et de ses patrices, la fleur de la jeunesse byzantine. Aucune époque, conclut le chroniqueur Théophane, ne fut aussi calamiteuse pour les chrétiens que le règne de cet empereur[6].

Charlemagne sut habilement profiter de circonstances si favorables. Les ennemis de l’empire grec devinrent ses alliés naturels. Une étroite amitié, fondée sur la communauté d’intérêts, l’unit avec le khalife de Bagdad, qui prisait cette amitié, dit Éginhard, plus que celle de tous les autres princes du monde. Les démarches faites par Charlemagne pour la protection des Lieux saints furent l’occasion de ces relations amicales. Dès l’an 800, au moment du couronnement, Charlemagne avait reçu à Rome les envoyés du patriarche de Jérusalem, qui venait lui offrir les clefs du saint sépulcre, celles de la cité et l’étendard de la ville. Il entendait par là réclamer pour lui-même et les chrétiens de son diocèse le patronage du nouvel empereur, comme jadis, par une ambassade semblable, l'évêque de Rome était venu offrir à Charles Martel de prendre en tutelle les intérêts de la papauté[7]. Charlemagne s’empressa d’envoyer en Palestine le juif Isaac, Lantfried et Sigismond ; afin d’assurer la sécurité des chrétiens d’Orient, il les chargea d’un message pour le souverain des Perses, qui répondit avec empressement aux propositions du prince franc. Par un trait de munificence habile, il fit don à Charlemagne de la propriété des Lieux saints, s’engageant en retour, à titre d’avocat et de procurateur, à couvrir de sa protection les chrétiens d’Orient[8]. Les chroniques franques sont pleines de l’énumération des présents magnifiques envoyées par le souverain de Bagdad, soieries précieuses, bijoux, parfums, horloge au mécanisme ingénieux et compliqué, animaux rares et inconnus en Occident. Jusqu’à la fin de sa vie, qui arriva en 809, Haroûn considéra Charlemagne comme son allié le plus cher et ne cessa par ses prévenances d’entretenir son amitié. Des rapports amicaux s’établirent aussi entre les Francs et les autres souverains musulmans, comme le sultan de Fossatt (le Caire) et l’émir de Carthage[9]. Les reliques de saint Cyprien furent par les soins de ce dernier transportées d’Afrique en Gaule et reposèrent dans une basilique de Lyon. Sagement conseillé par Alcuin, Charlemagne s’efforça de substituer partout, en pays musulman, son patronage à l’égard des chrétiens à celui des empereurs grecs. Ses aumônes pénétraient au fond de l’Asie et de l’Afrique, dans toutes les provinces séparées par la conquête de l’obédience de Byzance. Ces générosités, que secondait l’inimitié des musulmans pour les Byzantins, étendaient la clientèle de Charlemagne à tous les chrétiens qui vivaient hors des limites de l’empire, dans des contrées où le nom des Francs était resté jusqu’alors inconnu, et assuraient au rival de Nicéphore le prestige de la puissance impériale[10]. En même temps que la charité et que la protection du nom des chrétiens, le soin de sa gloire et les intérêts de son pouvoir trouvaient leur compte à ces libéralités intelligentes.

Sur un autre point des anciennes frontières de l’empire grec s’exerçait aussi l’influence envahissante du prince franc. Les Avares, jadis les clients de Byzance, avaient été refoulés par une suite de brillants combats jusque dans les îles du Danube. Les tribus hunniques, oubliant le chemin de Constantinople, envoyaient leurs ambassadeurs aux champs de mai du souverain de l’Occident et imploraient son secours contre les attaques des nations slaves[11].

Une armée franque, sous les ordres du fils de l’empereur, Charles, pénétrait chez les Bohèmes et contenait leurs invasions. L’axe de l’empire du monde se déplaçait visiblement vers l'Occident. En regard des peuples barbares, les intérêts de la chrétienté étaient représentés par Charlemagne plus que par Nicéphore, et leurs hommages prenaient la route d’Aix-la-Chapelle de préférence à celle de Constantinople.

C’est par ce déplacement d’influence, plus que par des hostilités ouvertes, que s’affirme l’antagonisme des deux empires. Leurs capitales étaient trop loin l’une de l’autre pour que les armées franques et grecques eussent chance de se porter de ces coups décisifs qui affaiblissent un royaume et précipitent la solution d’une question de suprématie. Les deux empires se touchaient, en effet, par leurs points les plus excentriques. Dans la nomenclature des provinces qui formaient limite entre les Grecs et les Francs, Éginhard cite les deux Pannonies et, au delà du Danube, la Dacie, — territoires habités par des barbares et dont la possession, réclamée par les deux chancelleries, était plutôt nominale que réelle, — la Calabre, partagée entre les Bénéventins et les Grecs[12], l’Istrie, la Liburnie et la Dalmatie, dont le littoral relevait de Byzance, et l’intérieur de l’empire franc. C’est donc dans les eaux de la mer Adriatique que les forces des deux empires pouvaient le plus facilement se heurter. Au fond de cette mer, la petite république de Venise, plus byzantine qu’italienne, vassale des empereurs grecs, préludait déjà à sa prospérité commerciale. Seule, elle valait la peine de devenir l’enjeu d’une lutte entre Nicéphore et Charlemagne. Par ses possessions de terre ferme, elle tenait les clefs des pays slaves de la Save et, par l’origine de sa population, par sa langue, ses affinités religieuses, se rattachait plutôt au royaume d’Italie. Le caractère ambigu et indécis de sa situation se reflétait dans les factions politiques qui agitaient la république. Deux partis ôtaient aux prises, qui tenaient l’un pour les Francs, l’autre pour les Grecs. Le principal agent de Charlemagne auprès des Vénitiens était l’archevêque de Grado, Fortunatus, prélat ambitieux et astucieux, qui avait à venger, contre les ducs de Venise, une querelle de famille[13]. Chassé par les intrigues des Grecs de son siège épiscopal, Fortunatus se réfugia auprès de Charlemagne, en 803. L’empereur obtint de Léon III, malgré des répugnances justifiées par le caractère turbulent et inquiet du prélat, que Fortunatus obtînt, en attendant d’être restitué dans son siège, l’évêché de Pola dans l’Istrie[14]. Son départ ne termina pas les dissensions qui déchiraient Venise. Les chefs du parti franc, Obelerius, tribun de Metamauco, et son frère Beatus durent chercher asile dans la ville franque de Trévise. A la suite de sa rupture avec Nicéphore, Charlemagne n’hésita plus à intervenir directement dans les affaires vénitiennes. A la fête de Noël de 806, il reçut Obelerius et Beatus, Paulus, duc de Zara, et Donatus, évêque de la même ville ; il donna aux deux premiers l’investiture du duché de Venise, au troisième celle du duché de Dalmatie[15]. Obelerius, aidé des troupes franques, rentra en vainqueur à Venise, et en chassa les ducs Jean et Maurice.

En apprenant cette révolution, Nicéphore envoya dans l’Adriatique une Hotte sous les ordres du patrice Nicétas, qui croisa le long des côtes de Dalmatie et de Vénétie, conclut une courte trêve avec le roi d’Italie, Pépin, mais ne put rien obtenir des Vénitiens. Une seconde croisière, l’année suivante, dirigée par le patrice Paul, eut le même insuccès. Mais, en 810, la bonne harmonie fut rompue entre les ducs vénitiens et les Francs[16], soit que les Grecs aient réussi à détacher Obelerius de l’alliance de Charlemagne, soit que les Vénitiens ne songeassent, à la faveur du conflit entre les deux empires, qu’à ménager leur indépendance[17]. Cette fois Pépin résolut de prendre Venise de vive force. Il s’empara d’Héraclée, de Metamauco, de la plupart des petites îles que peuplaient dès lors les Vénitiens, mais ne put réussir à emporter le Rialto, où s’ôtait concentrée la défense, et qui devint à partir de ce jour la capitale des États vénitiens[18]. La flotte franque, poursuivant son succès, longea les côtes dalmates pour y faire reconnaître son autorité ; elle dut bientôt se replier devant les vaisseaux byzantins, qui quittèrent le mouillage de Céphalonie pour s’engager à la poursuite des Francs.

Dans cette même année de 810, la paix fut conclue entre Charlemagne et Nicéphore. Les côtes de l’Istrie et de la Dalmatie furent rendues à l’empire grec. Les Francs gardèrent tout l’intérieur du pays et placèrent un duc, Cadolach, à la tête des Croates et des Dalmates[19]. Quant à Venise, elle obtint de relever de Byzance ; elle sacrifia ses ducs Obelerius et Beatus, qui payèrent de l’exil l’ambiguïté de leur conduite ; mais elle dut acquitter au roi d’Italie pour le rachat de ses possessions de terre ferme un tribut annuel de trente-six livres d’argent, qu’elle continua à acquitter jusqu’au Xe siècle[20]. À la suite de cette guerre fut signé entre les deux souverains le pacte célèbre qui déterminait la situation respective des deux empires et accordait leurs prétentions rivales. Il nous reste à en apprécier la teneur et la portée.

 

II. — LE PACTE D’ALLIANCE.

 

Les victoires de Charlemagne sur les peuples vassaux de l’empire d’Orient, sa politique d’alliances musulmanes, surtout les défaites répétées qu’infligèrent à Nicéphore les armes du khalife et des Bulgares, triomphèrent enfin de l’opiniâtre résistance de la cour de Byzance et la décidèrent à se soumettre au fait accompli en l’an 800. Dès l’année 811, Nicéphore avait prévenu Charlemagne de ses intentions par une lettre adressée par l’intermédiaire du roi d’Italie, Pépin[21]. Charlemagne envoya aussitôt ses ambassadeurs à Constantinople. Mais déjà Nicéphore avait terminé son règne malheureux ; il avait été massacré dans une grande bataille contre le khan des Bulgares. Ce fut son gendre et son successeur, Michel le Curopalate, qui reçut les envoyés du souverain franc et qui, à son tour, adressa à Charlemagne une ambassade chargée d’arrêter les conditions de la paix définitive.

Voici dans quels termes s’expriment à ce sujet les Annales dites d’Éginhard : L’empereur Michel reçut les ambassadeurs que Charlemagne avait envoyés à Constantinople auprès de Nicéphore. Il les congédia et envoya avec eux les siens, l’évêque Michel et les protospathaires Arsacius et Théognostus, afin de confirmer les conditions de la paix acceptées par Nicéphore. Dans la basilique d’Aix-la-Chapelle, Charles leur remit le texte du traité, et suivant la coutume, c’est-à-dire en langue grecque, ils le saluèrent de leurs acclamations, l’appelant empereur et basileus. Puis, s’en retournant chez eux, ils passèrent par Rome et, dans la basilique de Saint-Pierre, ils reçurent du pape Léon le texte du même traité[22].

Il faut remarquer ici la précision extraordinaire des termes dont se sert à dessein l’annaliste. Le fait rapporté est assez considérable pour qu’il ne croie pas devoir trop insister, atin de ne laisser aucun prétexte à l’équivoque. Les ambassadeurs de Michel ont fait à Charlemagne compliment dans leur langue et l’ont salué publiquement, au nom de leur maître, du nom d’empereur, c’est-à-dire de basileus. Éginhard ne prend pas la peine de consigner dans ses Annales les différents articles du traité, les modifications de territoire survenues entre les deux empires. Pour lui, comme pour ses contemporains, un point domine tous les autres et donne au traité sa signification et sa valeur : la reconnaissance officielle par la cour de Byzance du titre d’empereur, pris par Charlemagne douze années auparavant, la sanction solennelle de l’acte qualifié jusqu’à ce jour d’usurpation par les Césars de l’Orient.

Jamais concession plus humiliante et plus grave n’avait été jusqu’alors consentie par la chancellerie de Byzance ; jamais les empereurs ne s’étaient résignés à communiquer à aucun prince barbare le privilège sacré qu’ils prétendaient tenir de Dieu lui-même. C’est à nous de préciser la portée d’une telle concession et de nous efforcer, à l’aide des rares documents que nous a transmis le IXe siècle, de retrouver le sens réel de la négociation poursuivie par Charlemagne avec tant de ténacité et d’insistance pendant douze années.

Afin de bien marquer que la dignité impériale ne se partage pas, que l’empire de la terre est un comme celui du ciel, que l’empereur de Constantinople est le seul empereur, la chancellerie byzantine s’était attachée à réserver pour le seul héritier de Théodose et de Constantin le titre de βασιλεύς. Le nom de roi suffisait pour les autres souverains. Bien plus, pour que l’équivoque ne fût pas possible, pour que le mot ρέξ ne parût pas la traduction latine de βασιλεύς, on transcrivit dans les textes latins le avec des lettres grecques et dans les textes grecs on lui garda sa forme et sa prononciation latines. Mieux valait une anomalie orthographique qu’une confusion possible entre deux titres d’une importance bien différente. Il va de soi que les Byzantins s’attachèrent à cette distinction, surtout depuis la prétendue création du nouvel empire. Elle existait cependant avant le couronnement de Charlemagne, ainsi que l’atteste un texte de Procope, rappelé par Zonaras et souvent invoqué par les historiens byzantins. Il s’agit de Théodoric, roi des Ostrogoths, qui, lui aussi, une fois maître de Rome, sentit quelque velléité de faire revivre en sa personne les droits de l’empire. Il exerça, dit l’historien, le pouvoir sur les Goths et les Italiotes ; mais il ne lui appartint pas de prendre ni le costume ni le nom de βασιλεύς ; des Romains ; toute sa vie, il fut appelé car c’est ainsi qu’il est de règle que les barbares désignent leurs souverains[23].

La distinction devint essentielle à partir de l’an 800 ; elle ne s’appliqua guère du reste, avec une intention politique évidente, qu’à l'égard des princes qui prétendaient au titre d’empereurs d’Occident. Nous savons en effet par Procope que le nom de basileus fut laissé par Justinien à un phylarque ou cheik influent de l’Arabie. Au temps de Constantin Porphyrogénète, le roi des Bulgares, qui venait de s’allier par mariage avec une princesse byzantine, et par qui l’on espérait clore enfin l’ère des déprédations de ces barbares, prit le titre de basileus ; auparavant il n’avait dans les documents officiels que celui d’archonte[24]. A l’égard de ces princes peu dangereux, il n’était pas nécessaire de tenir à la rigueur de la nomenclature officielle, aucune compétition n’étant à craindre de la part de tels homonymes. Pour le souverain de la Perse, il porte assez fréquemment, dans les histoires byzantines, le nom de basileus, qui traduisait exactement le titre persan de sultan. Sultan veut dire roi des rois[25]. Les monarques asiatiques, comme les Césars de Byzance, prétendaient à la domination universelle et escomptaient dans leurs titres officiels la soumission de tous les rois de la terre. Ce n’est pas sans répugnance que les empereurs de Byzance se résignaient à cette parité. Elle leur fut imposée au VIe siècle par l’éclat soudain et la puissance redoutable que prit l’empire persan. Dans leurs relations et leurs échanges diplomatiques, les deux monarques se traitaient réciproquement de frères[26], ce nom que Charlemagne réclame précisément pour lui-même dans ses lettres à Nicéphore et à Michel.

Constantin Porphyrogénète nous a transmis les formules en usage au Xe siècle, dans la chancellerie de Byzance. On écrivait aux souverains de la Saxe, de la Bavière, des Nemetzi (Alamans), au roi des Francs et à celui de Germanie en leur appliquant à tous la même appellation. Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, un seul et vrai Dieu, Constantin et Romain, fidèles empereurs, à leur très cher frère spirituel, l’illustre roi...[27] ; au roi d’Italie, suzerain de la ville de Rome, on écrivait : Au très glorieux prince de Rome. Théophane appelle ρήγας tous les rois barbares indistinctement, Genséric, Odoacre, Théodoric, etc. Anne Comnène désigne l’empereur d’Allemagne, à l’époque des Croisades, sous le nom de ρήγα Άλαμανίας[28], et ρήγα est encore le titre donné par Nicétas Andronicus, au souverain de la Hongrie, Bêla. Ce qui était, au début, une précaution et un artifice de chancellerie devient si bien une habitude nationale que pas un historien byzantin ne se permet d’y manquer. L’usage répondait à une nécessité diplomatique, à une situation hors de pair, qu’il fallait affranchir de toute chance de confusion. La langue grecque étant insuffisante pour caractériser les différences établies par le cérémonial entre les rois barbares et l’empereur, les Byzantins n’avaient pas hésité à recourir à la transcription littérale d’un vocable étranger.

On voit maintenant à quelles difficultés diplomatiques se heurtaient les souverains de l’Occident en prenant le rang et le titre d’empereur. L’empire ôtant par essence et par définition unique, le couronnement de Charlemagne, dans les idées byzantines, devait être considéré comme une usurpation et comme l’acte d’un rebelle. Aussi la chancellerie byzantine refusa toujours d’admettre les rois des Francs à ce titre d’empereur et se montra intraitable, sauf dans la circonstance que nous avons signalée. C’est à tort que plusieurs historiens modernes ont soutenu qu’Irène reconnut le nouvel empire et salua Charlemagne basileus. Le texte de Cédrénus ne dit rien de tel, mais seulement que des ambassadeurs vinrent à Constantinople de la part de Charles[29], c’est-à-dire du prince qui venait d’être couronné empereur de Rome. Sans doute le titre accordé à Charles est assez rare pour qu’il mérite d’être ici relevé. Mais c’est dépasser le droit du traducteur que d’y constater une reconnaissance officielle de la dignité impériale. Cédrénus ne fait que relever le fait de ce couronnement sans notifier l’acquiescement d’Irène, acquiescement qui n’eût été possible que si la combinaison du mariage projeté entre eux avait abouti.

La déclaration solennelle des ambassadeurs de l’empereur Michel en 813 constitue donc une nouveauté extraordinaire, sans précédent dans l’histoire byzantine. Y voir simplement une satisfaction diplomatique arrachée aux Orientaux par la crainte de Charlemagne, c’est se faire une idée incomplète et superficielle de ce que demandait Charlemagne et de ce qu’accordait la cour de Byzance. En réalité, il s’agit de toute une révolution dans le système gouvernemental de l’empire et de l’inauguration d’un régime nouveau entre les deux empereurs. C’est ce régime dont nous allons essayer de caractériser, pour la première fois, les conditions d’existence et le fonctionnement.

Un passage d’Éginhard dont le sens véritable a jusqu’ici échappé aux commentateurs nous met tout d’abord sur la voie. L’historiographe officiel a parfaitement interprété les sentiments qui durent agiter les Byzantins, quand ils connurent le couronnement de l’an 800. Us ne crurent pas un instant que Charlemagne entendît créer un nouvel empire, mais seulement qu’il voulait dépouiller Constantinople de sa prérogative et transférer à Rome le siège de l’ancien empire. Ils jugèrent qu’il s’agissait d’une conquête, d’une usurpation semblable à toutes celles que faisaient naître si fréquemment les compétitions au trône impérial. L’Italie, comme les autres frontières, pouvait prétendre donner à son tour un empereur au monde. Au temps de Léon l’Isaurien, elle avait déjà manifesté des velléités d’arracher la couronne au prince iconoclaste et hérésiarque et de lui donner pour successeur un prétendant, nommé Tibère, que des provinciaux parlaient de conduire à Constantinople. Il était vraisemblable que le grand conquérant caressât la même pensée, quand il connut la vacance impériale produite par la déposition du fils d’Irène. Éginhard nous a transmis l’écho de ces craintes fort légitimes : Les Byzantins, dit-il, suspectaient Charlemagne, à cause du titre d’empereur qu’il avait pris, et parce qu’ils redoutaient qu’en raison de ce titre il voulût leur enlever l’empire[30]. Le mariage de Charlemagne avec Irène, dont l’idée première vint au pape Léon III, conciliait, à la vérité, les prétentions rivales de l’Orient et de l’Occident. Mais la situation fut modifiée du tout au tout par la chute d’Irène et par l’avènement de Nicéphore. Par la force des choses et malgré Charlemagne, il y eut dès lors deux empereurs et deux empires ; et ni le souverain de l’Orient ni celui de l’Occident n’entendaient se dépouiller de leur dignité et abdiquer, pour conserver l’unité et l’intégrité du vieil empire romain, au profit l’un de l’autre. Les deux souverains semblaient donc engagés dans une impasse dont ils ne pouvaient sortir que par une rupture et par le schisme politique de l’empire. C’est à cette solution que s’arrêta d’abord la cour de Byzance. Mais Charlemagne imagina une combinaison différente et finit par l’imposer.

Éginhard ajoute, en effet, que le souverain franc essaya à force de bons procédés et de patience de désarmer la colère des Césars de Byzance et d’atténuer le scandale qui résultait de la création du nouvel empire[31]. Et quel remède trouve-t-il pour apaiser les Byzantins ? Par quels bons procédés s’efforce-t-il de désarmer leur ressentiment ? Il leur envoya, dit l’historiographe, de nombreuses ambassades et des lettres où il les traitait de frères[32]. Était-ce donc là, dira-t-on, le moyen de calmer l’irritation soulevée à Constantinople ? Ne risquait-on pas, au contraire, d’exaspérer l’empereur en le traitant de frère ? n’était-ce pas confirmer par des lettres officielles le scandale, loin de l’apaiser, et déclarer que Charlemagne entendait se dessaisir moins que jamais du titre d’empereur, qui était l’objet même du litige ? Mais si l’on prend la peine d’examiner la suite des idées que traduit le langage d’Éginhard, toute obscurité se dissipe. Il entend nous dire en effet que Charlemagne s’efforça de détruire les préventions que son couronnement avait fait naître, de rassurer les Byzantins sur les craintes qu’ils avaient d’abord conçues ; que son intention n’était pas de conquérir Byzance et de s’emparer de l’empire par la force ; qu’il ne songeait pas non plus à provoquer un schisme politique, en opposant un empire d’Occident à l’empire d’Orient. Il voulait vivre en bonne intelligence avec son collègue de Constantinople et maintenir l’unité de l’empire, en inaugurant un régime de fraternité.

Un pacte de fraternité n’est pas, dans les idées et le langage du IXe siècle, un pacte d’alliance fondé sur les sentiments d’estime et de bienveillance réciproques de deux souverains : c’est un régime politique parfaitement défini, dont nous trouvons plusieurs exemples dans le même siècle. Pour nous rendre un compte exact des conditions que comporte ce régime, il faudrait posséder la collection complète des lettres échangées entre Charlemagne et les souverains de l'Orient. Malheureusement la plupart de ces documents ont péri ; deux lettres seulement, adressées par Charlemagne, l’une à Nicéphore, l’autre à Michel, nous ont été conservées. Par une coïncidence fâcheuse, tandis que le Codex Carolinus nous a transmis la collection presque complète des lettres d’Adrien et de ses prédécesseurs, la correspondance de Léon III n’a pu être sauvée ; et la Vie de ce pape dans le Liber pontificalis est, à partir de l’an 800, d’une insignifiance absolue, au point de vue des renseignements politiques que nous y recherchons. Si restreint cependant que soit le nombre de nos documents, ils nous paraissent avoir dans la question qui nous occupe une importance décisive.

La première lettre à Nicéphore est de 811[33]. Charlemagne a reçu l’ambassadeur byzantin, Arsacius. Il s’est longuement entretenu avec lui des moyens de concilier les prétentions rivales des deux souverains, et tous deux sont tombés d’accord. Les lettres et les instructions apportées par Arsacius donnent entière satisfaction à Charlemagne. Celui-ci répond à son collègue. Il faut avoir parcouru la correspondance entière de Charlemagne, pour sentir combien ici le ton change, combien le souverain naturellement superbe et ombrageux sait assouplir cette fois son langage et lui donner des intentions presque caressantes. Nous sommes, écrit-il, restés longtemps suspendus en proie à l’attente, nous demandant quand nous obtiendrions, soit par ambassade, soit par lettres, une réponse aimable de Votre Fraternité. Et par un penchant naturel à la faiblesse du cœur humain, le désespoir déjà commençait à s’emparer de notre âme. Nous gardions cependant confiance dans le Dieu qui n’abandonne pas ceux qui mettent en lui leur foi, lui qui n’a pas voulu que notre labeur ici-bas fût inutile et vain, et qui a consenti, dans la richesse de sa miséricorde, à exaucer le désir et à conduire à bonne tin le dessein que lui-même, nous en avons la conviction, nous a inspirés. Aussi, dès que nous avons appris l’arrivée de votre légat, le glorieux spathaire Arsacius, nous nous sommes grandement réjouis, comprenant que notre incertitude allait enfin se dissiper et que nous allions recevoir la réponse aux propositions que nous vous avions transmises par vos légats. Et en effet les choses se sont ainsi passées. Quelles étaient donc ces propositions dont le succès tenait si vivement au cœur de Charlemagne et auxquelles il attendait avec tant d’anxiété une réponse favorable, dont l’échec l’eût jeté dans le désespoir ? Le royal écrivain nous l’apprend en une seule ligne : il demande que la paix soit établie entre nous et que les deux empires soient fédérés et unis dans l’amour du Christ[34].

La seconde lettre à Michel confirme la précédente. Elle fut écrite après l’entrevue d’Aix-la-Chapelle en 813, et confiée aux mêmes ambassadeurs qui étaient venus saluer Charlemagne, basileus[35] :

Au nom du Père, du Fils, et du Saint Esprit, Charles par la grâce de Dieu, empereur et Auguste, roi des Francs et des Lombards, à son cher et honorable frère Michel, glorieux empereur et Auguste, salut éternel en Jésus-Christ.

Nous bénissons Notre-Seigneur Jésus-Christ, vrai Dieu, et nous lui rendons grâces de tout notre cœur, de toute la force de notre intelligence, puisque, par un don ineffable de sa bonté, il a bien voulu nous combler de ses biens et accorder à nos jours de voir cette paix, si longtemps désirée et recherchée, assurée par lui entre l’empire d’Orient et l’empire d’Occident, et puisqu’il a daigné pacifier et unir en notre temps les membres de la sainte Église catholique, qu’il dirige et protège, et qui est répandue sur tout le globe... Animés du désir de parfaire cet ouvrage, nous envoyons à Votre Fraternité nos ambassadeurs, Amatharius, évêque de Trêves, et Pierre, abbé du monastère des Saints-Apôtres ; de même que les ambassadeurs de Votre Fraternité, le métropolitain Michel, les glorieux spathaires Arsacius et Théognosius ont reçu de nous le texte du pacte, signé de notre main, et de celle de nos prêtres, de nos patrices et de nos grands, nous désirons que nos envoyés reçoivent de vous, qui le prendrez sur les saints autels, l’exemplaire du traité, revêtu de votre signature et de celle de vos prêtres, de vos patrices et de vos grands, et qu’ils nous l’apportent, parce que la raison demande qu’il en soit ainsi, et parce que telles sont nos conventions.

Ces mots, pax, fraternitas, concordia, caritas, cidunare, fœderare, qui reviennent clans tous ces documents contemporains, ne sont pas des termes vagues, sans nuance et sans précision, exprimant simplement, comme ils le feraient aujourd’hui, les sentiments qui ont remplacé la discorde et la guerre entre deux adversaires depuis si longtemps en conflit. Dans le vocabulaire diplomatique du IXe siècle, ils ont un sens très positif et très particulier. On les retrouve, exactement semblables, dans tous les traités et les édits de pacification qui furent conclus, au cours de ce mémo siècle, entre les petits-fils de Charlemagne ; ils servent à caractériser le régime de concorde qui a prévalu après le partage de l’empire d’Occident, et qui a pour objet de maintenir en un seul faisceau les forces de la famille du grand empereur et de concilier, avec l’indépendance de chacun des princes carolingiens, l'unité supérieure de l’empire, l’unanimité[36]. Ce régime comportait des devoirs réciproques ; les parties contractantes se promettaient aide et secours, consilium et auxilium, dans leurs nécessités ; elles s’engageaient non seulement à ne pas se faire de tort, à ne pas se débaucher mutuellement leurs sujets, mais aussi à se concerter en vue des intérêts ^généraux, à garantir la paix de l’Église et à la couvrir d’une protection commune. C'est ce même régime d’unité et de concorde que Charlemagne a essayé d’établir entre l’empire d’Orient et l’empire d’Occident ; c’est à la réalisation de ce grand dessein qu’il a dévoué les dernières années de sa vie ; c’est lui qu’il poursuit à travers toutes les guerres et toutes les négociations qui remplissent le règne de Nicéphore ; c’est à cette conception qu’il s’attache opiniâtrement, depuis l’échec de son projet de mariage avec Irène, comme à la seule combinaison qui assure l’unité de l’empire et satisfasse à la fois les prétentions de l’Orient et de l’Occident.

Avait-il donc l’intention de faire revivre l'unanimité telle que l’avait conçue Théodose, lorsqu’il partagea l’empire entre ses deux fds Arcadius et Honorius ? Pas un mot ne l’indique dans la littérature politique de l’époque, bien que les souvenirs de Constantin et de Théodose continuent à hanter l’esprit des contemporains de Charlemagne et que le terme d’unanimité soit familier aux écrivains du IXe siècle. Il nous paraît tout naturel que le fond même, l’esprit général de ce régime ait été emprunté à la tradition romaine. Toutefois la conception politique de Charlemagne diffère au moins par deux points essentiels de l’unanimité, telle que l’avait réglée Théodose.

Celle-ci impliquait en effet, au IVe siècle, la subordination de l’Occident à l’Orient, soit que Théodose ait accordé un privilège à l’aîné de ses fils qu’il établissait à Constantinople, soit que la descendance d'Honorius se soit éteinte la première, soit que les malheurs (lui affligèrent l’Italie et l’instabilité du pouvoir à la merci des chefs barbares aient donné une supériorité effective au titulaire du partage d’Orient[37]. Tous les successeurs d’Honorius, jusqu’à Romulus Augustule, furent obligés de demander l’approbation et l’investiture de la cour de Constantinople. Ils envoyaient leurs images laurées avec leurs ambassadeurs à Byzance ; ces images étaient refusées ou acceptées, et de cette acceptation dépendait la validité du titre impérial. Nous avons encore le procès-verbal de la présentation des images d’Anthémius à Léon le Grand[38]. D’autres prétendants furent moins heureux ; Jean, Glycerius, Olybrius ne furent pas admis au partage de la dignité impériale et traités, en conséquence, de rebelles et d’usurpateurs. L’union était étroite entre les deux empires. Ils avaient mêmes consuls et mêmes fastes. Ils étaient soumis aux mêmes lois, jugés par le même code ; les constitutions ôtaient promulguées au nom des deux princes ; chaque citoyen, à Rome comme à Constantinople, pouvait indifféremment se pousser à toutes les charges publiques. Dans l’une ou l’autre capitale, il était citoyen romain.

Après la chute du dernier empereur d’Occident, il n’est plus question d’unanimité. Bien que l’Italie et la Gaule fassent encore officiellement partie de l’empire, Byzance n’exerce plus aucune influence directe sur leur gouvernement et le choix de leurs maîtres ; elles s’isolent, livrées à l’anarchie et aux compétitions de leurs chefs. L’harmonie brusquement interrompue se rétablit, quand l’Ostrogoth Théodoric a renversé Odoacre et restauré l’ancienne discipline et les vieilles institutions. L’unanimité reparaît, mais sous une forme déjà différente. Ce ne sont plus deux empereurs qui la maintiennent ; elle se soutient par l’accord de l’empereur d’Orient et d’un prince barbare qui exerce le pouvoir impérial, sans en avoir le titre. Du reste les magistratures sont de nouveau partagées ; chaque capitale a son consul désigné, et les deux chancelleries s’entendent pour la rédaction des fastes.

Il n’en pouvait plus être de même, à l’époque de Charlemagne. Des liens si intimes, une fusion si complète étaient devenus imposées. L’Orient et l’Occident avaient trop longtemps vécu d’une vie propre, presque étrangers l’un à l’autre, dans un divorce presque absolu d’habitudes et d’institutions. Des éléments si hétérogènes pouvaient désormais difficilement se combiner. Le temps seul pouvait rapprocher ce que le temps avait désuni. Chaque empire, répugnant à une assimilation inspirée par la politique, devait garder son idéal particulier, sa personnalité, ses coutumes, la législation adaptée à ses mœurs. Charlemagne n’était pas non plus disposé à incliner sa toute-puissance devant celle de son collègue d’Orient, à lui reconnaître une supériorité qu’avaient acceptée les successeurs d’Honorius, à faire dépendre de sa volonté les droits de ses fils et de ses petits-fils à sa succession. Les conditions de l’unanimité devaient donc reposer sur des hases nouvelles. Elle ne pouvait subsister que par le concert des deux volontés, appelées à gouverner fraternellement les deux portions de l’ancien empire, et par l’association consentie de leurs forces en vue de la défense de leurs intérêts matériels et de leur foi commune[39].

Ici apparaît le trait original du pacte de 813. Le partage de l’empire entre plusieurs titulaires était antérieur à l’établissement et à l'organisation du christianisme comme religion officielle. L’idée datait de Dioclétien ; Constantin et Théodose n’avaient fait que la reprendre et la modifier selon les nécessités de leur politique. L’Église n’était pour rien dans la conception de l’État romain ; ses origines ôtaient purement laïques et païennes. Ce n’est pas que la religion ne tînt une grande place dans la politique des Césars et dans la vie du peuple de Constantinople ; que les patriarches n’exerçassent une influence parfois prépondérante dans les conseils des souverains et dans les révolutions dont la capitale de l’Orient était le théâtre. Jamais au contraire gouvernement n’eut un caractère théocratique plus marqué que le gouvernement impérial ; nulle part la religion ne fut plus étroitement associée qu’à Byzance à la vie publique. Mais ce caractère théocratique s’attachait à la personne mémo de l’empereur ; c’est en lui que l’Église et l’État reconnaissaient leur chef. Héritiers des anciens pontifices maximi, les empereurs byzantins continuèrent à exercer, au sein même du christianisme, une sorte de sacerdoce laïque. De là leurs prétentions à interpréter le dogme, à imposer leurs décisions théologiques aux évêques et aux conciles ; de là les nombreuses hérésies qu’ils propagèrent en les appuyant du prestige de la puissance publique. De là vient aussi la condition inférieure et subalterne des patriarches de Constantinople, qui placés directement sous la main des Césars, exposés aux vicissitudes de leur faveur ou de leur disgrâce, ne purent jamais émanciper l’Église orientale de la tutelle impériale, et durent se résigner à n’être guère que les instruments des volontés du pouvoir. Si l’empire avait persisté à résider à Rome, il est très probable que la papauté eût vécu dans la même servitude et n’eût jamais développé son action religieuse indépendante. Il n’en fut pas ainsi. Le transfert de l’empire à Constantinople permit à la papauté de croître à l’abri des coups d’autorité des Césars, de pousser dans tous les sens de vivaces racines, de dresser en face de l’omnipotence des empereurs une puissance rivale, toute morale par ses moyens d’influence, fondée sur la communauté des croyances et fortifiée par la solidité des liens hiérarchiques. Pour préserver l’intégrité du dogme, menacée par les empereurs iconoclastes, elle n’avait pas hésité à séparer au siècle précèdent l’Occident de l’Orient.

La papauté avait favorisé les débuts et présidé aux grandeurs de la maison de Charlemagne. Elle avait fait entrer la royauté, puis l’empire dans sa famille. C’est encore un empire chrétien et théocratique que l’empire carolingien ; mais, au lieu qu’en Orient le caractère laïque et le caractère religieux restent confondus dans la personne impériale, en Occident l’empire existe, pour ainsi dire, en deux personnes, le pape et l’empereur. La papauté est étroitement associée à l’œuvre de Charlemagne, elle est comme la pierre angulaire, la clef de voûte de l’édifice ; mémo dans l’ordre politique, toutes les dispositions constitutionnelles, de nature à modifier le pacte primitif, doivent être prises de concert avec l’évêque de Rome et soumises à sa signature. Il est le garant de l’ordre social fondé par Charlemagne. L’État ne se sépare pas de l’Église. L’Église comme l’État consistent dans l’union des deux personnes, sacerdotale et royale, à l’image de Dieu, qui est à la fois roi et pontife[40].

Les sentiments réciproques que doivent nourrir l’un pour l’autre l’Église et l’Étal, la puissance temporelle et la spirituelle, s’expriment, dans tous les textes du IXe siècle, par le terme de in Deo ou in Christo caritas. L’amour en Dieu ou en Christ est le fondement de la concorde sociale. C’est cet amour que les fils et petits-fils de Charlemagne s’engagent dans toutes leurs conventions à entretenir et à raviver ; car c’est par lui que peuvent se maintenir l’accord et l’unanimité de tous les membres de la famille carolingienne ; il est le lien mystique de tous ces royaumes démembrés de l’ancien empire. C’est en Dieu, représenté ici-bas par son Église, que s’opère l’union des princes chrétiens ; c’est de lui qu’elle descend dans les cœurs, les pénètre et les incline à l’accomplissement de ses volontés[41]. Une sorte de pacte secret lie le ciel à la terre et Dieu à sa créature ; par la bouche de ses prêtres, il a déclaré qu’il se plaît à la concorde, à la paix matérielle des États, comme à leur paix morale, qui consiste dans l’accord avec le Saint-Siège et dans l’orthodoxie de la foi ; et chaque fois que les rois se réunissent pour aviser aux intérêts généraux de l’empire et rétablir la tranquillité publique troublée, c’est ce Dieu qu’ils prennent toujours à témoin, gardien de la religion des serments et sans cesse présent dans son Église.

Quand donc, dans les lettres de Charlemagne à ses collègues d’Orient, nous lisons qu’un accord est conclu entre eux, en vue de constituer la paix, de fédérer et d’unir dans l’amour du Christ les deux parties du monde chrétien (ad constituendam pacem et fœderanda atque adunanda hœc duo in Christi caritate), nous savons ce qu’il faut entendre par ces expressions. Par l’identité des termes et l’analogie des situations, nous comprenons qu’il s’agit d’un pacte semblable à ceux qu’imaginera, quelques années plus tard, l’Église pour lier entre eux les descendants du grand empereur. Us procèdent d’un type uniforme et de la même conception théologique sur le gouvernement de l’univers. Sans doute le texte même de l’instrument diplomatique, rédigé par les soins de Charlemagne, remis par lui entre les mains des ambassadeurs d’Orient et contresigné par le pape, ne nous est point parvenu. Mais si nous recueillons les indications éparses dans les documents contemporains, si nous les rapprochons l’un de l’autre, il ne nous est pas impossible d’en reconstituer, sinon la lettre, du moins l’esprit et les dispositions principales. Par Éginhard nous savons qu’avec une patience que rien ne rebuta, le souverain franc s’achemina vers son but : détruire les soupçons et les appréhensions des Byzantins à son égard et se faire reconnaître comme frère par son collègue d’Orient, protestant qu’il n’était ni un compétiteur au trône ni un fauteur de schisme. Loin de diviser, il veut unir. Loin d’accentuer la séparation de l’Occident, consommée en réalité depuis des siècles et qui ne tient plus à l’empire que par des liens théoriques, il songe à revenir à l’ancienne unanimité, à rapprocher et à ressouder les deux moitiés du monde chrétien (fœderanda atque adunanda hæc duo). Le signe visible de cette union, ce sera la reconnaissance du chef des Francs comme collègue de l’empereur ; ce sera le partage avec lui de ce nom de basileus, qui, depuis l’extinction de la dignité impériale en Occident, sert à distinguer le descendant de Théodose des rois barbares, nés de la dissolution et de la décrépitude de l’empire. Mais cette union ne peut être solide ; elle reposera sur le sable, si elle n’est fondée sur Dieu et sur son Église ; c’est Là le roc sur lequel il convient de bâtir l’édifice futur et contre lequel rien ne prévaudra. L’union de l’Église latine et de l’Église grecque est le gage de la stabilité de l’union de l’Orient et de l’Occident[42]. En se reconnaissant orthodoxes, les sujets de Charlemagne comme ceux de Nicéphore ne verront en eux que des frères. La fraternité chrétienne préparera et consolidera la fraternité politique[43]. Dans les idées mystiques du premier moyen âge, il n’y a qu’un empire, qui est l’empire de Dieu. L’unanimité est dans les desseins de la Providence. Un seul empire ; deux empereurs égaux, fraternellement unis par les liens temporels et les liens spirituels, le pape médiateur entre eux, comme représentant de la catholicité, tels sont les éléments de la conception politique de Charlemagne.

Un texte d’une date postérieure, mais d’un sens très précis, confirme pleinement ces vues que nous prêtons au souverain franc sur le gouvernement du monde. L’empereur Basile, soixante ans plus tard, ne gardant plus aucun ménagement envers le représentant de l’empire d’Occident, affaibli par des partages successifs et ruiné par ses dissensions continuelles, refusait au roi d’Italie, Louis II, le titre de basileus, sous prétexte que la tradition apostolique ne reconnaissait qu’un seul empire, qui était celui d’Orient. Le successeur de Charlemagne répondait, comme aurait fait son ancêtre : Oui, les patriarches, pendant le saint sacrifice, ne mentionnent qu’un empire unique, et ils ont raison. Car l’empire est un, à savoir celui du Père, du Fils et du Saint-Esprit. L’Église constituée sur la terre en est une partie intégrante, et Dieu n’a pas donné cette part à gouverner à moi seul ni à vous seul, mais à tous les deux, à cette condition que nous soyons tellement unis entre nous par les liens de la charité divine, qu’aucune division ne subsiste entre nous et que nous ne fassions qu’un[44]. A soixante ans de distance, c’est en ces termes que Louis II rappelait son collègue d’Orient à l’observation du traité conclu entre Charlemagne et Nicéphore, retrouvant en cette circonstance et l’esprit et probablement la lettre de la convention de 813, élevant en face des prétentions romaines et païennes de l’empire d’Orient à la domination universelle, le souvenir du pacte de fraternité chrétienne conçu par Charlemagne et par Léon III.

L’œuvre tout entière de Charlemagne fut fragile, et l’harmonie entre les deux empires ne devait pas durer. Elle ne s’était établie que par la crainte momentanée inspirée par la puissance des Francs et ne pouvait se maintenir que par cette crainte. A mesure que s’éclipse l’éclat éphémère de l’empire carolingien, grandit le dédain des Orientaux, et les restrictions au pacte de 813 se multiplient. La gradation de ces sentiments est intéressante à suivre. Sous Louis le Pieux, le bon accord se maintient entre les deux souverains de Constantinople et d’Aix la-Chapelle, mais avec une nuance de supériorité marquée de la part de l’empereur d'Orient. En 825, les Byzantins s’étaient assez enhardis pour adresser au successeur de Charlemagne une lettre, dont la suscription était ainsi libellée : Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, seul vrai Dieu, Michel et Théophile, empereurs des Romains, à leur cher et honorable frère, Louis, glorieux roi des Francs et dos Lombards, appelé par eux empereur[45].

Deux points devaient particulièrement blesser les Occidentaux dans la rédaction de cette pièce officielle. Contre toutes les convenances et les usages entre souverains frères, les noms des titulaires d’Orient précédaient le nom et le titre du destinataire. La suscription aurait dû régulièrement être ainsi libellée : A Louis, notre cher et honorable frère, etc. Mais bien plus graves étaient, les restrictions significatives de la fin. Louis n’était plus considéré par l’empereur comme égal en dignité à lui-même, comme un collègue et un basileus authentique. Il n’était plus que le roi des Francs et des Lombards, et s’il plaisait à ses sujets de le traiter d’empereur, ce titre était de pure fantaisie, un contresens qu’on pouvait passer à des barbares, que l’on tolérait par complaisance, mais que la chancellerie de Byzance n’avait garde de reconnaître et qui n’entamait en rien la prérogative de l’empereur universel de Constantinople.

Ce fut bien pis encore lorsque l’empire passa des mains de Théophile et de Michel l’Ivrogne, à celles du Macédonien Basile, qui tenta de restaurer dans tout son éclat le vieil empire romain. Sous ses prédécesseurs, la cour de Byzance s’était refusée à admettre les souverains de l’Occident au partage du titre de basileus ; elle souffrait du moins qu’ils fussent tenus pour empereurs par leurs sujets. Basile retira même celle concession, qu’il estimait offensante et injurieuse pour son pouvoir. On le vit bien dans les rapports qu’il entretint avec Louis II, fils de Lothaire I or, prince impuissant et brouillon, sans cesse en querelle avec les pontifes de Rome ou en guerre contre ses vassaux rebelles et contre les Sarrasins. Avec un tel prince, qui ne se soutenait dans le sud de l’Italie que grâce au secours des flottes grecques et des catapans byzantins, il n’était plus nécessaire de garder aucun ménagement ; on pouvait impunément déchirer le dernier lambeau de l’humiliant traité consenti par Nicéphore. C’est pourquoi, au huitième concile œcuménique, réuni à Constantinople, Basile lit biffer clans les actes officiels le terme d’empereur appliqué à la personne de Louis II ; et dans une lettre adressée à ce prince, il lui lit défense de prendre à l’avenir ce titre, qui n’était réservé qu’au titulaire d’Orient.

Les maîtres de l’empire d’Orient, dont la longévité tenace devait survivre pendant de longs siècles encore à l’éphémère existence de l’empire carolingien et du saint-empire chrétien d’Allemagne, ne voulurent jamais relâcher rien delà rigueur de leurs prétentions. Ils persistèrent dans leur exclusion systématique, et pendant le rapide éclat de l’empire des Ottonides, et quand le mouvement des croisades mit de nouveau en fréquents rapports les souverains de l’Orient et ceux de l’Occident. Ils prétendirent garder pour eux, et pour eux seuls, le nom de basileus.

Le récit de l’ambassade de Luitprand auprès de Nicéphore Phocas nous en offre un premier exemple. Luitprand arrivait à Constantinople, persuadé que son maître Otton faisait grand honneur aux Byzantins, en demandant pour son fils la main de la princesse grecque Théophanie. Il lui fallut rabattre singulièrement de son assurance et s’entendre adresser, pour les rapporter à son souverain, de sensibles injures. Nicéphore, en recevant la lettre d’Otton, s’écria : Quel scandale plus criant ton maître peut-il commettre que de se proclamer empereur et de mettre la main sur les provinces de notre empire ?... Il ne se peut souffrir, il ne se peut entendre qu’on le nomme empereur. El Luitprand ajoute, s’adressant à Otton : Il ne vous appelle pas empereur, c’est-à-dire basilea dans leur langue, mais ρήγα, c’est-à-dire roi dans la nôtre ; tant il est vrai que ce langage était de tradition à la cour de Constantinople[46].

Mais la colère de Nicéphore fut au comble quand Luitprand lui remit une lettre du pape où celui-ci appelait Otton empereur des Romains et appelait Nicéphore empereur des Grecs. L’indignation des Byzantins, à ce coup, déborda en virulentes invectives, que tourne en ridicule la verve railleuse de Luitprand. Ils éclataient en reproches, ils lançaient l’anathème contre les flots, qui, s’entr’ouvrant subitement, n’avaient pas englouti dans leurs abîmes le navire porteur d’un pareil message. Eli quoi, disaient-ils, un barbare, un misérable Romain, oser appeler empereur des Grecs Nicéphore, lui, l’universel, l’auguste, le grand, le seul empereur des Romains. Ô ciel ! ô terre ! ô mer ![47]

Les papes en effet, depuis le milieu du IXe siècle, semblent s’être enfin rendu compte que la constitution d’un empire chrétien avec deux empereurs ne rallierait jamais l’assentiment des Byzantins et qu'il fallait pour toujours renoncer à cette conception politique. On ne pouvait faire fond sur l’orthodoxie des princes et du clergé de Constantinople, toujours disposés à s’émanciper de la tutelle religieuse de Rome et à revendiquer pour eux-mêmes la direction spirituelle de la catholicité. De plus les deux empereurs ne liraient pas leur dignité de la même source : le souverain de l’Occident empruntait la sienne à la consécration pontificale ; le souverain de l’Orient se réclamait d’une institution divine directe. L’unanimité réalisée par Dioclétien cl par Théodose, quand les titulaires des divers partages procédaient tous d’une origine unique, devenait difficile, pour ne pas dire impossible, au IXe siècle. Quand le schisme politique fut consommé, à la suite du schisme religieux, entre l’Orient et l’Occident, les deux empereurs ne pouvaient porter tous deux en mémo temps, dans les actes publics, le nom d’empereur des Romains. Nicolas l or semble le premier avoir eu l’idée de conserver ce titre aux successeurs de Charlemagne et de laisser celui d’empereur grec aux successeurs de Constantin, puisque la capitale des uns était Rome, la capitale des autres Constantinople. Dans une lettre violente adressée à l’empereur Michel, ce pape écrivait : Considérez combien il est ridicule à vous de prendre le nom d’empereur des Romains ! Et plus loin dans la même lettre : Cessez de vous appeler l’empereur des Romains, puisque, selon vous, ceux-là sont des barbares, dont vous prétendez être l’empereur[48]. Est-il besoin d’ajouter que les Grecs protestèrent de toutes leurs forces contre cette terminologie, mais qu’elle eut meilleure fortune en Occident, où les souverains de Constantinople sont encore aujourd’hui improprement appelés dans nos histoires les empereurs grecs. Le contact direct avec les princes allemands et français à l’époque des croisades sembla raviver les rancunes des Byzantins et exaspérer la blessure de leur amour-propre. Les historiens latins des croisades, peu au fait de ces querelles, s’étonnent de la hauteur des empereurs de Byzance, de la violence de leurs revendications, et se mettent en frais d’explications. Guillaume de Tyr écrit : Ils ne peuvent souffrir que le roi des Allemands se dise empereur des Romains ; il semble qu’il fasse tort à leur empereur, qu’ils appellent eux-mêmes monarque, entendant par ce mot qu’il est le singulier prince de tous les souverains et comme l’unique et seul empereur des Romains[49].

Il faut lire, d’autre part, dans les historiens grecs de la même époque, les critiques pleines d’amertume qu’ils adressent aux chefs croisés, parés de titres que leur empereur seul est en droit de porter. A propos de Conrad, empereur d’Allemagne, qui vient de donner à un de ses vassaux le titre de roi, Jean Ginname reprend l’histoire de l’usurpation des Occidentaux et du pape.

Depuis longtemps le nom impérial était aboli à Rome, depuis que cet Auguste, qu’ils appellent Augustule, en raison de son âge, était mort, et que le principat avait passé aux mains d’Odoacre, puis de Théodoric, roi des Goths. Ce Théodoric portait le nom de ρήξ et non de basileus, comme l’atteste Procope.

Rome elle-même, depuis le temps de Théodoric et depuis plus longtemps encore jusqu’à nos jours, demeura séparée du reste de l’empire. Cependant Bélisaire et Narsès, généraux de Justinien, recouvrèrent, cette ville qui fit retour quelque temps à l’empire romain. Mais, plus tard, elle retomba dans la servitude des tyrans barbares, qui, à l’exemple de Théodoric, premier roi et tyran, s’appelèrent ρήγες. Comment donc se peut-il faire que des souverains, n’ayant rien de commun avec le rang impérial, puissent conférer des dignités qui émanent de la majesté impériale et en sont comme des rayons ? Mais il ne leur suffit pas d’attenter, sans y avoir aucun droit, à la sublimité impériale et à la majesté de l’empire, appelant empire leur propre pouvoir ; voici qu’ils en sont venus à ce degré d’audace de faire une distinction entre l’empire de Byzance et l’empire romain, et de ce sacrilège les larmes me montent aux yeux chaque fois que j’y pense ![50]

Par la vivacité de ces plaintes, on peut juger à quel point les Byzantins, même à cette heure de leur déclin, tenaient encore à ces revendications et s’attachaient à un droit qui leur paraissait le plus glorieux joyau de l’héritage d’Auguste. Impuissants à faire revivre et passer dans la réalité leurs prétentions à la domination universelle, ils gardèrent, avec un soin jaloux et une rigueur qui n’admettait pas le partage, le titre au nom duquel ces revendications surannées pouvaient être légitimées. Cette foi dans le principe auquel la monarchie impériale devait sa stabilité et sa durée a quelque chose de rare et de touchant. Seuls, à travers le moyen âge, les Byzantins conservèrent dans son intégrité la tradition de l’ancien empire, et la préservèrent de toutes les altérations qu’elle devait subir en Occident.

Cette fidélité obstinée à ces traditions donne toute sa valeur à la tentative de Charlemagne. Par l’éclat de ses victoires et la crainte qu’inspirait le renom de ses armes, il réussit à faire fléchir la ténacité de la cour de Byzance, à la contraindre à un partage contre lequel protestait tout le passé de l’empire. Il put se flatter d’avoir réalisé l’unité du monde chrétien et de l’avoir assise sur des bases assez solides pour braver le temps. Il mourut avant que les événements infligeassent un démenti à ses espérances. Toutefois son œuvre ne périclita pas immédiatement après lui ; compromise par la faiblesse de son successeur immédiat, elle survécut néanmoins dans ses parties principales pendant presque tout le règne de Louis le Pieux.

 

III. — L’EMPEREUR LOUIS LE PIEUX.

 

Le pacte de concorde et de fraternité, inauguré par Charlemagne, accepté par Nicéphore et par Michel le Guropalate, ne se maintint qu’autant que durèrent la crainte de la puissance franque et la crise redoutable que traversa, dans la première moitié du IXe siècle, l’empire byzantin. Les Bulgares d’une part, les Arabes de l'autre, acharnés à la destruction du vieil empire, travaillaient inconsciemment au succès de la politique carolingienne. Catastrophes militaires, révolutions de palais se succèdent avec une fréquence sans exemple, même dans les annales byzantines. Après Nicéphore, massacré par le khan bulgare, son successeur Michel subit une défaite presque aussi sanglante et n’échappe à la mort, que lui préparent ses généraux, que par l’abdication et la fuite dans un couvent, où il réussit à se faire momentanément oublier. On proclame à sa place un vigoureux soldat, Léon l’Arménien, qui relève la fortune de l’empire, mais dont les sévérités et la rigueur toute militaire provoquent une conspiration. Il succombe dans l’église du palais en se défendant avec le bois de la croix, qui ne suffit pas à le préserver des coups de ses meurtriers. Iconoclaste fougueux, il mérita par ses talents de général et d’administrateur que le patriarche orthodoxe Nicéphore fît de lui cet éloge, que l’Église avait perdu avec ce prince un ennemi, mais la république un vaillant défenseur[51]. Le chef des conjurés, Michel d’Amorium, reçut l’empire, qui resta dans sa famille durant trois générations. Son fds Théophile et son petit-fds Michel III lui succédèrent, fait rare à Byzance. Mais, malgré la vaillance personnelle des deux premiers princes de cette dynastie, l’empire compta avec eux plus de revers que de succès. Si les Bulgares laissèrent quelque répit à Byzance, les Arabes, après une éclipse passagère, reprirent sous le principat d’Al Mamoun et de Motassein le cours de leurs conquêtes, aux dépens des provinces romaines d’Asie. Occupés à défendre péniblement leurs places fortes contre les assauts des musulmans, refoulés à plusieurs reprises jusqu’au littoral du Bosphore, les Césars de Constantinople n’eurent garde de recommencer la faute de Nicéphore et de s’aliéner l’amitié des princes de l’Occident. Les nécessités politiques leur commandaient le respect des engagements conclus avec Charlemagne. Aussi restèrent-ils fidèles au pacte de 812 et s’attachèrent-ils à entretenir avec Louis le Pieux et ses lils des relations d’amitié, qui assuraient leur liberté d’action en Orient. Les chroniques franques attestent la régularité et la fréquence des ambassades qu’échangent les souverains des deux empires. A chaque avènement nouveau, les Césars byzantins s’empressent de notifier au carolingien leur prise de possession du pouvoir et de demander le renouvellement intégral du traité consenti par leurs prédécesseurs[52].

Ce régime de concorde et de fraternité comportait une alliance politique, le règlement à l’amiable des questions de frontière qui pouvaient surgir entre les deux empires, un appui réciproque contre leurs ennemis communs, enfin l’entente et l’union en matière religieuse, l’unité de l’empire étant fondée sur l’unité de foi et de croyance. Toutes ces conditions furent successivement mises à l’épreuve pendant le règne de Louis le Pieux.

En 817, Léon l’Arménien demanda par l’intermédiaire de son légat Nicéphore une rectification de frontières entre la Dalmatie grecque et la Dalmatie franque. Comme cette opération touchait à beaucoup d’intérêts particuliers, une commission fut nommée pour instruire l’affaire sur les lieux et départager les deux empires. Elle s’acquitta de ses fonctions délicates à la satisfaction de toutes les parties[53]. En 824, l’empereur Louis reçut pour la première fois une ambassade des Bulgares. Ces nouveaux venus furent reçus avec étonnement et méfiance[54]. Depuis que l’empire s’était étendu le long de la Save et dans les deux Pannonies, il touchait au nouveau royaume que ces barbares essayaient de constituer dans la péninsule des Balkans. De ce contact pouvaient naître ou des occasions de rapprochement, ou des difficultés de voisinage. Les documents ne nous permettent pas d’apprécier s’il s’agissait d’autre chose, en cette occasion, que d’une contestation de territoire. Il est toutefois vraisemblable, vu l’état de guerre permanent qui existait entre les Bulgares et les Grecs, que le roi barbare avait saisi ce prétexte pour entrer en relations avec les Francs et sonder leurs dispositions à l’égard de Byzance. L’empereur, pour éclaircir les obscurités de ce message, envoya ses légats au roi barbare et les lit escorter par un Bavarois, nommé Mécheln, qui probablement connaissait le pays. A la suite du rapport qui lui fut adressé, il rompit brusquement avec les Bulgares et leur déclara la guerre. Les hostilités furent dirigées du côté des Francs par le duc de Frioul, Cadolach. À sa mort, l’empereur lui donna pour successeur Baldric. Mais bientôt, mécontent de ce général, il le remplaça par quatre comtes, entre lesquels il partagea la Slavie franque. Nous ignorons comment se termina cette guerre. Quelle qu’en fût l’issue, elle servait efficacement les intérêts de Byzance et opérait en sa faveur la plus utile des diversions. Obligés de porter leur effort principal sur la Save, les Bulgares furent détournés de leur objectif habituel, qui était Constantinople, laissant les Grecs libres de consacrer toutes leurs forces à la lutte contre l’islam.

Quelques années plus lard, d’autres voisins des Grecs, des Russes apparurent à la cour de Louis. Ils venaient avec des lettres de leur khan, sous prétexte de lier par un traité leur nation avec celle des Francs. Ces démarches parurent suspectes à l’empereur, qui, en bon allié, les dénonça à Théophile, qui régnait alors à Constantinople. Comme ces messagers demandaient à être reconduits sous escorte dans leur patrie, par crainte des nations barbares qu’ils pouvaient rencontrer dans leur voyage, il les dirigea sur Byzance, mandant à Théophile de les rapatrier, s’il jugeait leurs intentions désintéressées, et d’en faire à sa volonté, dans le cas contraire[55].

Une question religieuse, la reprise de la querelle des images, vint fournir aux deux empereurs d'Orient et d’Occident l’occasion nouvelle d’affirmer, même aux dépens de la papauté, la bonne harmonie et la cordialité de leurs relations. En 824, Louis le Pieux reçut une ambassade byzantine qui lui apportait une longue lettre de Michel le Bègue[56]. L’empereur commençait par s’excuser d’avoir tant tardé à annoncer son avènement à son frère spirituel. Les discordes qui avaient affligé l’empire pendant trois années l’avaient détourné de ce devoir. Un usurpateur, nommé Thomas, appuyé suites dissidents religieux et sur l’ancien parti d’Irène, aidé par les forces des Sarrasins, avait cherché à lui disputer le trône. Mais, aujourd’hui que cette faction était dispersée et vaincue, il s’empressait de renouveler et de confirmer le pacte de paix et d’amitié qui unissait les Grecs et les Francs. Dieu lui-même était le médiateur entre eux. N’a-t-il pas dit : Je vous donne et vous laisse la paix qui est mienne ? Cette paix fondée sur un mutuel amour, il nous faut, si vos intentions sont conformes aux nôtres, lui donner plus de lustre et de solidité, en resserrant les liens de notre affection. Le Seigneur a dit : Qui m’aime, respecte mes commandements. Et encore : Je reconnaîtrai que vous êtes mes disciples à l’amour que vous aurez les uns pour les autres.

En conséquence Michel signale à son frère les troubles qui divisent l’Eglise d’Orient et lui demande de l’aider à y porter remède. Sous prétexte de rendre un culte aux images, un grand nombre de chrétiens glissent dans l’idolâtrie et dans les abus reprochés aux païens. Ils chassent les croix des temples saints pour installer des images en leur place. Devant elles, ils allument des flambeaux, brûlent l’encens ; ils leur rendent les mêmes honneurs qu’au bois vénérable sur lequel Jésus-Christ a voulu être crucifié pour le salut commun. Ils leur chantent des psaumes, les adorent, leur demandent protection. La superstition va plus loin encore. Quelques-uns les habillent de linges et veulent que leurs enfants nouveau-nés soient tenus par elles sur les fonts baptismaux. D’autres, sur le point de prendre l’habit religieux, dévouent aux images leur chevelure, à mesure qu’elle tombe sous les ciseaux. Des prêtres et des clercs raclent les couleurs qui les recouvrent et mêlent cette poussière au vin du sacrifice, puis offrent ce mélange à la communion des fidèles. Ceux-ci déposent le corps du Christ entre les mains de ces statues, afin de recevoir d’elles l'oblation sacrée. Ceux-là, enfin, désertent l’église, dressent dans leurs maisons des autels pour les images, et y célèbrent clandestinement les saints mystères. Tels sont les abus que l’empereur a voulu déraciner. Il a donc réuni un concile à Constantinople, qui les a condamnés sévèrement. Mais, parmi les adorateurs des images, un grand nombre, criant à la persécution, ont fui et sont venus à Rome. Ils ont blasphémé et calomnié notre foi auprès du pontife de cette ville, alors que, comme tous les orthodoxes, nous reconnaissons le symbole des six conciles universels et en observons dans notre cœur la teneur inviolable. C’est pourquoi l’empereur a écrit au pape pour dissiper ces bruits fâcheux, et en même temps il lui a envoyé pour l’autel de saint Pierre un exemplaire des saints Évangiles, couvert d’or et incrusté de pierres précieuses, ainsi qu’un calice des mêmes matières.

On remarquera que, dans cette lettre, l’empereur ne faisait mention que de six conciles œcuméniques. Il déclarait, par cette omission, ne pas reconnaître le septième, celui de Nicée, réuni sous le principat d’Irène, et qui avait rétabli le culte des images. Cette omission n’était pas pour déplaire à l’Église nationale des Francs, qui, elle aussi, au lendemain du concile de Nicée, n’avait pas hésité à renier, à Francfort, ce même culte et à condamner la complaisance du pape Adrien pour les Grecs. Pendant tout le IXe siècle, les évêques de Gaule ne se départirent pas de leur aversion pour ce qu’ils appelaient une forme nouvelle de l’idolâtrie. Encore au lendemain du huitième concile, de 869, qui condamna une fois de plus les iconoclastes, Hincmar de Reims protestait contre les doctrines approuvées par la papauté, et Anastase le Bibliothécaire constatait que, seuls désormais parmi les chrétiens, les Francs repoussaient encore un culte reconnu par tous les fidèles[57].

Le souverain franc ci ses conseillers, recrutés surtout parmi le haut clergé des Gaules, firent donc bon accueil à la requête de l’empereur byzantin. Loin de nuire aux bons rapports des deux souverains, une déclaration de l’épiscopat franc, conforme à celle du synode de Constantinople, ne pouvait que cimenter entre eux l’union et la concorde. Deux évêques, Freculf de Lisieux et Adegarius, furent chargés de demander au pape Eugène l’autorisation de tenir un synode en France au sujet des images. Ce synode se réunit à Paris, en 824. Le clergé franc manifesta un zèle extraordinaire contre les images. L’évêque de Taurinum, Claudius, donna l’ordre de briser et de détruire toutes celles qui se trouvaient dans les basiliques de son diocèse. Tout en blâmant ces excès, Jonas d’Orléans et Agobard de Lyon réprouvèrent l’intempérance des superstitions idolâtriques de ceux qui rendaient un culte à des statues, faites de bois ou de pierre. Adorer les images, placer en elles quelque espoir, implorer d’elles un secours, c’est tomber dans l’erreur des anthropomorphistes. On ne doit même pas appeler des images, saintes. La représentation figurée des bienheureux doit réveiller leur mémoire, et non pas inspirer un culte. Ces idées, qu’avait déjà consacrées le concile de Francfort, prévalurent au synode de Paris. On y arrêta le texte d’une lettre de l’empereur au pape, celui d’une lettre du pape aux souverains de l’Orient, Michel et Théophile, enfin des instructions à l’adresse de Jonas et de Jérémie, chargés de négocier l’adhésion du pape à ce projet de lettre officielle.

Ce document est de tous le plus instructif. L’empereur, écrivant sous le nom et le couvert du pape, reprenait dès l’origine l’histoire de la querelle des images, critiquait au nom de la raison et en s’appuyant sur les textes sacrés, tour à tour les fureurs de Constantin Copronyme et la réaction superstitieuse de l’impératrice Irène. Il blâmait le pape Adrien d’avoir secondé les entreprises de cette princesse et opposait à ses décisions les arguments des pères de Francfort, consignés dans les livres Carolins. Le pape, s’inspirant du rôle que Charlemagne lui avait attribué dans sa conception du nouvel empire, devait agir comme un médiateur entre les deux empires, apaiser les troubles, aplanir les dissentiments et procurer l’union religieuse de la chrétienté, condition essentielle de l’union politique. C’est pourquoi, ajoutait-il, l’Occident tout entier nous a prié d’intervenir. Les deux empires, les plus grands du monde entier, sont étroitement unis parles liens mutuels de l’amour divin, mais il est nécessaire d’arracher du sein de l'Église le trait empoisonné qui l’atteint, afin que la paix de Dieu règne dans toute sa plénitude sur ce peuple bienheureux.

Louis n’ignorait pas les difficultés de la mission délicate dont il chargeait les deux évêques, Jonas et Jérémie. Elle n’allait à rien moins qu’à presser le pape de désavouer son prédécesseur Adrien. Aussi recommandait-il à ses légats d’user de patience et de modestie, de ne pas précipiter par une insistance maladroite les résolutions du pape, et de ne pas le jeter dans une résistance invincible. Il conseillait de s’adresser à sa raison, de feindre même de condescendre verbalement à ses exigences et de le ramener peu à peu à seconder les vues de l’empereur et du concile parisien. Dans le cas où le pontife ne se butterait pas à un refus obstiné, on lui demanderait d’envoyer ses légats, avec ceux de l’empereur, à Byzance, afin d’arriver de concert à une solution qui satisferait également l’Orient, l’Occident et l’Église romaine.

Nos documents sont muets sur la suite de ces négociations ; nous ignorons si le pape céda aux instances de l’empereur et consentit à seconder sa politique de modération et de paix. Les légats impériaux, l’évêque Halitgar et l’abbé de Nonantula, Ansfried, vinrent bien à Byzance ; nous ne savons si ceux du pape les accompagnèrent. Nous ne voulons retenir des passages que nous avons résumés ou transcrits que ce point : la fidélité de Louis à l’œuvre de son père, du moins en ce qui concerne la politique orientale, son désir de maintenir à tout prix l’accord avec le souverain de Constantinople, dût-il peser sur les résolutions de l’évêque de Rome, pour l’incliner à penser sur la question des images comme les Églises de Gaule et d’Orient. Il estimait avec raison que l’entente sur le terrain religieux était la plus sûre garantie de l’entente politique. Malheureusement, dans la conception de Charlemagne, l’accord de trois volontés était nécessaire au fonctionnement régulier de son système politique. Ce mécanisme était trop compliqué pour ne pas se déranger fréquemment et ne pas tromper les prévisions des intéressés. La rivalité religieuse des sièges de Constantinople et de Rome devait, autant que la jalousie ombrageuse des empereurs grecs à l’égard de toute puissance se réclamant d’une origine semblable à la sienne, compromettre l’équilibre et l’harmonie rêvés par Charlemagne, sous le nom d’unanimité.

La loyauté et la cordialité du souverain franc durent être fort appréciées à Byzance et sans doute payées de retour. Les chroniqueurs francs remarquent la magnificence des réceptions qui sont faites aux ambassadeurs byzantins et le soin que l’empereur prend de leur plaire[58]. Ceux qui vinrent en 827, apportant à l’Église franque les œuvres de saint Denys l’Aréopagite[59], furent, dit l’Anonyme, noblement reçus, splendidement traités, rémunérés avec libéralité et ramenés heureusement chez eux. L’archevêque d’Éphèse et le protospathaire impérial qui conduisirent l’ambassade de 833 assistèrent avec stupeur et chagrin à l’humiliante déposition de Compiègne. Les tragédies du palais de Byzance elles-mêmes ne les avaient pas habitués à pareil spectacle. Ils virent, en même temps et du même coup, l’autorité paternelle abaissée et la majesté impériale ravalée par l’attentat de Lothaire et de ses frères. Ce fut Lothaire qui accueillit les Byzantins, reçut leurs présents et les congédia, sans doute édifiés désormais sur la solidité de l’œuvre de Charlemagne[60].

La situation précaire de l’empire d’Orient ne permit pas à ses souverains de mettre immédiatement à profit les renseignements qui leur venaient de l'Occident. L’empereur Théophile, fils de Michel, soutenait une lutte acharnée contre les khalifes de Bagdad. Bien servi par deux généraux de talent, Théophobus et Manuel, il débuta par de glorieuses campagnes. Il reprit la Syrie, s’empara deSozopetra.la patrie du khalife Motassem, et la rasa complètement. La vengeance du khalife fut terrible. Il réunit une immense armée, dans laquelle il appela les Bédouins nomades et les hordes turques ; puis, parlant de Tarse, il marcha droit sur Amorium, berceau de la dynastie byzantine, afin de rendre à l’empereur injure pour injure. Sous les murs de la ville se livra une grande bataille. Les Grecs furent taillés en pièces. La plupart des stratèges et des princes restèrent sur le champ de bataille ou furent emmenés captifs au fond de la Perse. L’empereur échappa par miracle au désastre. Les musulmans s’obstinèrent au siège de la place, qui résista héroïquement pendant cinquante-cinq jours, et ne fut prise que par trahison. Elle fut détruite, comme l’avait été Sozopetra. Cette vengeance coûta au khalife, disent les historiens, soixante-dix mille des siens[61].

Désespéré de cet échec, mais décidé à tout faire pour le réparer, Théophile dépêcha à Louis le Pieux un de ses parents, le patrice Théodose, pour le presser de lui envoyer des secours. Il destinait cette armée franque à un débarquement entre la Libye et l’Asie c’est-à-dire vraisemblablement en Égypte ou en Syrie, afin de diviser les forces des musulmans, en les inquiétant sur la possession de quelques-unes de leurs plus riches provinces[62]. Chemin faisant, Théodose devait s’arrêter à Venise et obtenir le concours de la marine vénitienne contre ceux des Sarrasins qui envahissaient la Sicile et l’Italie méridionale[63]. En un mot, Théophile méditait une croisade de toute la chrétienté d’Orient et d’Occident contre les musulmans. Il est surprenant que les chroniqueurs francs, si exacts à mentionner toutes les ambassades byzantines, ne nous disent pas un mot de celle-là et du grand projet quelle comportait. A la date de 839, l’annaliste Prudentius rapporte que Louis reçut à Ingelheim le métropolitain de Chalcédoine, Théodose, et le spathaire Théophanius, qui venaient de la part de Théophile renouveler le pacte de paix, d’amitié et de charité. Ils annonçaient en même temps les grandes victoires remportées par l’empereur sur les Perses, et demandaient amicalement que les Francs joignissent leurs actions de grâces à celles des Orientaux[64]. C’est en congédiant ces ambassadeurs que Louis confia à leur surveillance ces messagers russes qui étaient venus solliciter l’amitié du souverain franc. Les détails fournis par l’annaliste sur la qualité des personnes et sur l’objet de l’ambassade sont beaucoup trop précis pour qu’il soit permis de la confondre avec celle qui suivit le désastre d’Amorium[65]. La première fait clairement allusion aux succès de Théophile en Syrie et surtout à la prise de Sozopetra, qui dut avoir un grand retentissement dans tout l’Orient. Quant au patrice Théodose, nous savons, par la chronique vénitienne, qu’il s’acquitta de sa mission auprès du doge et resta à Venise jusqu’à la fin de l’année 840. On serait tenté de croire qu’il y mourut avant de parvenir jusqu’à l’empereur Louis. Cette mort, qui, d’après les historiens byzantins, fit échouer les négociations et trompa toutes les espérances de Théophile, expliquerait le silence absolu des chroniqueurs francs. Mais le continuateur de Théophane dit positivement que le souverain des Francs accueillit avec bienveillance les ouvertures de son allié[66]. Quoi qu’il en soit, la mort du patrice Théodose, mais plus sûrement encore celle de Louis le Pieux, et les guerres civiles qui en furent la suite, empêchèrent d’aboutir ces résolutions. Consumé de regrets et de douleur, l’empereur Théophile, forcé d’ajourner ses espérances de revanche, fut emporté par la dysenterie. Après lui, la minorité de son fils, gouverné par sa mère Théodora, d’autre part les dissensions qui s’élevèrent entre les fils de Louis le Pieux, firent perdre de vue les grands résultats politiques que Charlemagne avait attendus de l’union des deux empires.

 

 

 



[1] Voir le portrait de Charlemagne par Constantin Porphyrogénète, de Administr. imper., cap. XXVI.

[2] Mon. San-Gall., lib. I, cap. XXVI.

[3] Ann. Eginh., ad ann. 803, et Annal. Mett., eod. ann.

[4] Mon. San-Gall., lib. I, cap. XXVI.

[5] Ann. Eginh., ad ann. 803.

[6] Voir le règne de Nicéphore dans la Chronographia de Théophane, § 403-417.

[7] Ann. Eginh., ann. 800.

[8] Éginhard, Vita Karoli, cap. XVI. — Monachus San-Gall., lib. II, cap. XIV.

[9] Eginhard, Ann., ad ann. 801. — Cf. Monach. San-Gall., lib. II, cap. IX.

[10] Eginhard, Vita Karoli, cap. XXVII. — Cf. Constant. Porphyrogénète, de Administr. imper., cap. XXVI.

[11] Ann. Mettenses, ad ann. 805.

[12] Eginhard, Vita Karoli, cap. XV.

[13] Voir, sur les événements de Venise à cette époque, la Chronique d’Andréas Dandolo (Muratori, Script. Ital., t. XII) et celle de Jean de Venise (Monumenta Germ. Script., t. VII).

[14] Jaffé, Monum. Carolina, Epist. Leonis, 5.

[15] Ann. Eginh., ad ann. 806.

[16] Ann. Eginh., ad ann. 810. — Chron. Johan. Venet., ad ann. 810.

[17] Chron. Johan. Venet., ad ann. 807

[18] Les chroniqueurs francs mentionnent une victoire complète remportée sur les Vénitiens ; les écrivains vénitiens et byzantins contestent l’étendue de cette victoire, et prétendent que Pépin ne put forcer le réduit du Rialto. (Voir Jean de Venise, Chron., ad ann. 810 ; Constant. Porphyrog., de Administr. imp., cap. XXVIII.)

[19] Eginhard, Vita Karoli, cap. XV.

[20] Const. Porphyr., de Adm. imp., cap. XXVIII. Les collections renferment encore des monnaies ail monogramme de Venise avec le nom de Louis le Pieux et de Lothaire. (VENECIAS) ou VENE CIAS MO NETA. Les numismates vénitiens contestent que ces monnaies aient été frappées à Venise (San Quintino, Observations critiques sur l’origine et l’antiquité de la monnaie vénitienne, Turin, 1847). Ils prétendent qu’elles viennent de la ville de Vannes en Bretagne. Mais il n’existe pas de monnayage indépendant des Vénètes sous les Garolingiens.il faut reconnaître que ces monnaies sont bien celles qui servaient à payer le tribut de Venise aux princes francs. (Voir Revue numismatique, 1849, p. 190, article de M. E. Cartier.)

[21] Jaffé, Monum. Carolina ; Epist. Carol., ep. XXIX.

[22] Ann. Eginh., ad ann. 812.

[23] Procope, de Bell. Gothico, lib. I, cap. I.

[24] Constantin Porphyrogénète, de Cerimon., lib. II, cap. XLVIII.

[25] Voir la traduction de Nicéphore Bryennius et Scylilzés dans du Gange, Dissertatio XVI. Khosroès et Cabadès portaient le nom de sultans, que leur empruntèrent les souverains musulmans. — Simocatta, lib. IV, cap. VIII.

[26] Chron. Paschale, ad ann. 522 ; J. Malala, t. II, p. 219.

[27] Constantin Porphyrogénète, de Cerimon., lib. II, cap. XLVIII.

[28] Ann. Commen., Alexiad., lib. III.

[29] Cédrénus, Chron., éd. 1647, p. 474.

[30] Eginhard, Vita Karoli, cap. XVI.

[31] Eginhard, Vita Karoli, cap. XVI.

[32] Eginhard, Vita Karoli, cap. XXVII. En effet, dans ses lettres aux empereurs d’Orient, Charlemagne les traite toujours de frères.

[33] Jaffé, Monum. Carolina, Ep. Carol., XXIX.

[34] Jaffé, Monum. Carolina, Ep. Carol., XXIX.

[35] Jaffé, Monum. Carol., Ep. Carol., XL.

[36] Ce régime de concorde entre les petits-fils de Charlemagne a été étudié avec une grande abondance de documents et un rare talent par M. Bourgeois, le Capitulaire de Kiersy-sur-Oise, ch. VII.

[37] Constantin Porphyrogénète, de Cerim., lib. I, cap. LXXXVII.

[38] Constantin Porphyrogénète, de Cerim., lib. I, cap. LXXXVII.

[39] On lit dans une chronique postérieure aux événements, mais qui a dû être rédigée d’après des documents grecs (Epit. chronic. Casinensis ; Muratori, Script. Ital., t. II) : Iste est qui propter virtutum insignia magnus dictus est et a Nicephoro imperatore totum occidentem cum corona et consulatu suscepit. Il est clair que beaucoup d’Orientaux ont dû interpréter dans ce sens les événements de 800 à 813.

[40] Concile de Paris (829). Concile de Thionville (844). — Theodulfi carmina ad regem, VI : Coll. Migne, t. CV, p. 327. — Edictum Tusiacense, 865.

[41] Capit. Marsnæ (847). Part. 1. Capit. de Coulaines. Capit. de Kiersy (877). Capit. Pistense (869). Voir G. Bourgeois, le Capitulaire de Kiersy-sur-Oise, ch. VII.

[42] Ep. Caroli ad Michaelem ; Jaffé, Epist. Carolinus, XL.

[43] Voir comment l’anonyme qui a écrit la vie de Louis le Pieux résume l’œuvre de Charlemagne (Vita Ludovici, p. 1 ; Pertz, t. IL)

[44] Lettre de Louis II à l'empereur Basile, Anonyme de Salerne, cap. LXXXIII et suiv.

[45] Epist. Michaelis Balbi Imp., Acta conventus Parisiensis (825).

[46] Monum. German. (Pertz), t. III : Legatio Luitprandi, cap. XXV.

[47] Mon. Germ. (Pertz), t. III : Leqatio Luitprandi, cap. XLVII.

[48] Ep. Nicolaï ad imper. Michaelem, ep. 1.

[49] Guillaume de Tyr, lob. XVI, cap. XXI.

[50] Jean Cinname, lib. II, cap. XII ; lib. II, cap. XVII ; surtout lib. V, cap. VII.

[51] Genesius (Migne, t. CIX), lib. I, § 11.

[52] Ann. Eginh., 814. Avènement de Léon l’Arménien. Renvoi d’une ambassade franque. Vita Ludov. imp., cap. XXV, ann. 815.

[53] Vita Ludov. imp., cap. XXVII ; Annal. Eginh., ad ann. 817.

[54] Vita Ludov. imp., cap. XXXIX ; Ann. Eginh., ad ann. 824.

[55] Annal. Prudent., ad ann. 839.

[56] Lire cette lettre dans Baronius, ad ann. 824.

[57] Ann. Hincmar., ad ann. 870 ; Anast. Bibl., in Præfat. VIIe synodi ad Joannem VIII.

[58] Vita Ludov. imp., cap. XLI (ann. 827).

[59] Hilduinus abbas, Rescriptum ad Ludovicum imp.

[60] Vita Ludov. imp., cap. XLIX.

[61] Voir Genesius, lib. III, § 65-73.

[62] Genesius, lib. III, § 71-72 ; Theophan. Continuat., cap. XXXVII.

[63] Chron. Johann. Venet. (Monum. Germ. scrip., VII, p. 17).

[64] Ann. Prudent., ad ann. 839.

[65] M. Hirsch, trompé par le nom de Théodose porté par les deux ambassadeurs, l’un patrice, l’autre archevêque, nous paraît avoir confondu les deux ambassades. (Byzantinische Studien, p. 147-148.)

[66] Theophan. Continuat., lib. III, cap. XXXVII.