Seul de tous les chefs barbares de son temps, Clovis eut le mérite de saisir, avec une intuition très sûre, dans quelles conditions pouvait réussir rétablissement des Francs en Gaule. Guidé par des prélats intelligents, qu’il sut écouter, il mit les forces de sa nation au service de l'orthodoxie catholique. Par là il conquit et lia à sa fortune tous les Gallo-Romains, qui, fidèles au Credo de Nicée, suivirent docilement l’impulsion des évêques, directeurs de la conscience populaire. De toutes les administrations romaines qui jadis avaient gouverné le pays, l’administration ecclésiastique était la seule qui fût restée debout et qui, par ses traditions, par ses habitudes de discipline et de subordination, se rattachât à l’unité romaine. En même temps qu’il assurait le triomphe de l’orthodoxie en Gaule, et que ses victoires sur les Burgondes et les Wisigoths fondaient la suprématie de l’Église en Occident, Clovis, du même coup, s’associait aux vues de la politique impériale et devenait un des membres de la république. Pour récompenser ses services et pour sceller cette union, l’empereur Anastase lui avait solennellement adressé les insignes de consul et de patrice. Grâce à cette intelligence de ses intérêts et des nécessités du moment, Clovis avait pu fonder une dynastie durable, au lieu de ces royautés éphémères, créations de la force et des circonstances, que les souverains francs virent s’écrouler autour d’eux, et qui ne laissèrent point de traces, parce qu’elles n’avaient point de racines dans les institutions et les mœurs des populations qu’elles prétendaient s’assujettir. C’est une entreprise fort malaisée que d’essayer d’établir, à l’aide des documents originaux, la nature et la suite des relations du royaume franc avec l’empire de Byzance. Non sans quelque vraisemblance, on a pu, sur ce point, tirer des inductions probables de la situation des Burgondes et des Ostrogoths. On sait de quel ton de respect et de soumission l'évêque Avitus, chargé de la correspondance officielle des rois Gondebaud et Sigismond, écrivait à l’empereur d’Orient. Cassiodore, au nom de Théodoric et de ses successeurs, exprime à peu près les mêmes sentiments de vassalité et de dépendance[1]. Nous n’avons pas, en ce qui regarde les Francs, la ressource de semblables correspondances. Mais il n’est pas douteux que les mêmes formules de déférence n’aient été en usage dans leurs rapports avec l’empereur. Toutefois des différences sensibles sont à noter entre ces trois peuples barbares. Les Burgondes, resserrés entre les Francs et les Ostrogoths, menacés par l’expansion conquérante de ces deux nations, n’avaient chance de vivre et de durer qu’autant qu’ils seraient soutenus par le patronage de Byzance. Ils n’avaient rien à perdre à épuiser, pour se maintenir dans les bonnes grâces des Césars, les formes les plus ingénieuses de la flatterie et de l’humilité. Quant à Théodoric, son ambition, très haute pour un barbare, visait certainement à restaurer dans son intégrité l’empire d’Occident. Il voulait fonder au profit de lui- même et des siens une monarchie calquée sur le modèle de celle de Byzance, avec les mêmes institutions et les mêmes organes de vie et de gouvernement. Il ne songeait qu’à une restitution du passé, à un retour à l’unanimité abolie entre Rome et Constantinople[2]. Il s’épuisa à poursuivre cette chimère de restauration et à rapprocher, pour fondre en un tout homogène, des éléments réfractaires à l'amalgame, Romains et Goths, ariens et catholiques. Le hasard avait fait aux Francs une situation bien préférable. Derniers venus parmi les barbares installés en Gaule, au milieu des ruines politiques accumulées par plusieurs invasions successives, el quand déjà les institutions impériales avaient eu le temps de perdre de leur autorité et de leur prestige, ils n’avaient jamais contemplé que de loin la majesté de l’empire, ils n’étaient pas pénétrés envers lui de ce respect presque religieux, qui avait saisi, les uns après les autres, tous les barbares, et les portait à ne rien voir dans leur imagination au delà de l’imitation presque servile de ses usages. Ils ne subirent ce respect du nom et des formes romaines en quelque sorte que par contre-coup, par l’ascendant naturel que prirent sur eux les fils des vieilles familles sénatoriales de Gaule et le sacerdoce, presque complètement gallo-romain. Encore cette influence fut-elle longtemps atténuée par le retard que mirent à se fondre complètement les deux éléments juxtaposés par la conquête. D’une part, l’Église et l’aristocratie gauloise s’efforçaient de rattacher aussi étroitement que possible le présent au passé et de maintenir, entre les princes francs et l’empereur, la concorde et l’union nécessaires entre les parties de la république. D’autre part, la barbarie native des Francs se trahissait par de brusques échappées d’indépendance ; ces cerveaux bruts s’accommodaient malaisément de la conception complexe et raffinée d’une royauté autonome, s’abritant pour ainsi dire à l’ombre du nom impérial, et se conciliant avec la suzeraineté nominale de Byzance ; suzeraineté qui ne se marquait ni par le payement d’un tribut, ni par une contribution régulière de troupes, mais seulement par le cérémonial diplomatique et par l’étiquette des lettres de chancellerie. On continuait, dans l’étendue du domaine des Mérovingiens, à dater les années par le nom des empereurs et le chiffre de leurs consulats ; la loi romaine réglait devant les tribunaux les différends de la partie plus nombreuse et aussi la plus riche de la population ; la loi religieuse était promulguée pour tous au nom des souverains de Byzance. C’en était assez pour rappeler sans cesse à l’esprit des rois francs l’autorité lointaine des Césars, pour justifier des relations officielles et même privées beaucoup plus fréquentes qu’on ne se l’imagine d’ordinaire entre l’Orient et l’Occident[3]. De fait, les historiens francs se préoccupent de tenir la curiosité de leurs lecteurs exactement au courant des événements qui se passent à Constantinople. Mais c’étaient là des liens trop légers pour servir de frein à l’esprit d’indépendance des princes mérovingiens et pour les gêner dans leurs guerres et leurs alliances. Si on lit attentivement Grégoire de Tours, au point de vue des relations de ces princes avec l’Orient, on est frappé de ce fait, que ces relations sont plus fréquentes et plus cordiales sous les petits-fils et les arrières-petits-fils de Clovis que sous ses fils. Ce résultat nous paraît être dû à l’influence personnelle de la reine Brunehaut sur son mari, puis sur ses enfants et ses petits-enfants. Élevée à la romaine, fille d’une nation profondément imprégnée de civilisation latine, elle apportait à la cour des rois francs une culture supérieure, dominée par les souvenirs de la tradition impériale. Elle ne cessa d’avoir les yeux tournés vers Constantinople et vers Rome et d’entretenir des rapports d’amitié avec les empereurs et avec les papes. I. — JUSTINIEN ET THÉODEBERT. Il nous serait impossible, si nous ne disposions que des documents occidentaux, d’établir avec quelque suite et quelque exactitude les rapports de la Gaule avec Byzance, pendant la première moitié du VI c siècle. La chronique de Marius d’Avenches et la continuation de celle de Marcellinus ne comptent que quelques lignes insuffisantes sur les expéditions des Francs en Italie. Grégoire de Tours, si précieux dans les sept derniers livres de son histoire, qui racontent des faits contemporains, est loin de nous être un guide aussi sûr dans les deuxième et troisième livres, où il ne fait que résumer, d’après des traditions orales, les événements écoulés de 400 à 847. Il ne consacre qu’un court alinéa aux expéditions de Théodebert en Italie ; encore ce passage fourmille-t-il d’inexactitudes[4]. Sans quelques lignes éparses dans son œuvre, on ne se douterait pas que le prince mérovingien fut en rapports fréquents avec Byzance[5]. Fort heureusement les Byzantins, si pauvres de renseignements sur la Gaule franque après la mort de Justinien, nous offrent, pour la période où les documents francs font défaut, la plus riche contribution. Nous avons la bonne fortune de rencontrer pour guides Procope et son continuateur Agathias ; le premier surtout, secrétaire de Bélisaire pendant la guerre gothique, au courant de toutes les démarches de la diplomatie byzantine, bien placé pour tout connaître et apprécier avec discernement, et, quoique son caractère ne soit pas à la hauteur de son talent, le dernier des grands historiens grecs. Ayant à parler des Francs, à l’occasion de leurs traités avec l’empire et de leurs incursions dans la haute Italie, il remonte à leurs origines, il nous fournit des détails précieux sur leurs mœurs, sur leurs habitudes de guerre, et, malgré quelque confusion dans la succession de leurs conquêtes, il apprécie avec justesse le caractère général de ces conquêtes. Quant à Agathias, très inférieur comme écrivain et comme historien à son prédécesseur, moins mêlé que lui à la politique active et militante, on lui doit, sur l’état social de la Gaule et sur l’époque immédiatement postérieure à Théodebert, des renseignements d’un grand intérêt, empruntés sûrement à des témoignages contemporains. Il nous reste à parler d’un certain nombre de lettres échangées entre les princes mérovingiens et les empereurs au VIe siècle. Éditées par Marquard Fréher, d’après un très ancien manuscrit de la bibliothèque Palatine, elles ont trouvé place dans le recueil de D. Bouquet[6]. Trois de ces lettres sont adressées par Théodebert à Justinien. Adrien de Valois a émis la conjecture que ces lettres devaient être attribuées, non au petit-fils de Clovis, mais à Théodebert II, roi d’Austrasie et petit-fils de Brunehaut[7]. Mais, sans compter qu’on ne connaît rien des relations qui ont pu exister entre Théodebert II et Maurice, l’unanimité des manuscrits ne permet pas de douter que le destinataire soit autre que l’empereur Justinien. La première de ces lettres date de l’avènement du jeune prince austrasien, puisqu’elle répond aux félicitations adressées par l’empereur à l’occasion de cet avènement. Il s’efforce de disculper son père des reproches assez vifs, dirigés par Justinien contre la mémoire de ce prince. Ces reproches ont fait penser à M. Fréher et à D. Bouquet lui-même que la lettre avait ôté écrite, non par Théodebert, mais par son fils Théodebald, et qu’elle visait la trahison dont Théodebert s’ôtait rendu coupable à l’égard de l’empereur. Mais, au cours de ce document, il n’est fait aucune allusion à la perfidie du roi franc. Les griefs de l’empereur sont tout autres. Il se plaint seulement des outrages commis par le prince défunt contre les églises et contre les serviteurs du culte ; ce que nous savons des déprédations permises à ses soldats par le roi Thierry autorise pleinement les plaintes de Justinien, constitué par sa dignité le défenseur officiel de l’Église universelle[8]. Dans la deuxième lettre, très courte, Théodebert s’excuse de n’avoir pas envoyé, à l’époque fixée par ses engagements, un secours de trois mille hommes au patrice grec qui opérait contre les Ostrogoths en Italie. Nous remarquons le titre de Pater que, dans cette lettre, comme dans la suivante, Théodebert donne à Justinien. C’est probablement à l’époque du traité d'alliance conclu entre les deux souverains que Justinien adopta en fils le prince franc, suivant un usage de la cour byzantine qui se généralise dans ce siècle. L’empereur cherchait par ces adoptions à renforcer par un lien de famille les obligations officielles auxquelles étaient tenus, par leurs traités particuliers avec l’empire, les souverains barbares[9]. La troisième lettre répond à une question qui tout d’abord étonne de la part du César de Constantinople. Il demande à Théodebert de le renseigner exactement sur quels peuples s’étend son autorité, en Germanie. Les lignes qui suivent expliquent d’ailleurs la curiosité de l’empereur. Dans un but à la fois religieux et politique, Justinien n’avait pas de souci plus constant que de répandre parmi les nations païennes les enseignements du christianisme et que de protéger les missionnaires qui se hasardaient à porter la foi dans les régions éloignées. Ils étaient autant d’agents politiques, qui préparaient efficacement les voies à l’action de la diplomatie impériale. Procope nous est témoin que la sollicitude de l'empereur s’étendait aux peuples les plus lointains du Midi et du Septentrion et à des contrées dont personne avant lui no connaissait même le nom[10]. Il chargeait ses alliés soit de le seconder dans cette tâche, soit de protéger ses propres envoyés. C’est d’une commission de ce genre que Théodebert promet de s’acquitter à la satisfaction de l’empereur[11]. Résumons maintenant l’histoire de l’alliance de Théodebert avec Justinien. Lorsque l’empereur, sous prétexte de venger le meurtre d’Amalasonthe, entreprit de replacer sous son obédience directe le royaume d’Italie, que Zénon avait cédé à Théodoric comme province vassale, il résolut de s’assurer tout d’abord le concours des princes francs. Il leur envoya donc des ambassadeurs avec des lettres donc Procope nous a conservé la substance[12]. Il invoquait le souvenir des haines invétérées qui avaient si souvent armé les uns contre les autres les deux peuples barbares, ainsi que la communauté des croyances religieuses qui devaient animer également les Francs et les Grecs contre une nation arienne. Avec sa générosité accoutumée, il s’offrait à solder d’avance leur concours, leur promettant une somme d’argent plus forte, quand il aurait pu apprécier l’efficacité de leurs services. Les princes mérovingiens acceptèrent avec avidité ces propositions. Toutefois ils ne se pressèrent pas de passer les Alpes et attendirent les événements, espérant tirer avantage du conflit qui se préparait. Le roi goth, Vitigès, comprit qu’il ne pourrait résistera Bélisaire, s’il avait par surcroît à redouter sur ses derrières les armées franques. Déjà leur hostilité bien connue, les démarches faites en Gaule par les ambassadeurs byzantins, immobilisaient dans la Provence un corps important de troupes gothiques. Vitigès prit donc le parti, pour désarmer les Francs, de renchérir sur les propositions de Justinien. Il donna à Childebert, Théodebert et Clotaire de l’argent et leur céda, pour prix de leur concours, la Provence, qui avait été la part de Théodoric dans le démembrement du royaume des Burgondes. Les trois princes se partagèrent les trésors et la province et s’engagèrent à secourir les Goths, mais en secret, parce qu’ils avaient déjà des traités avec l’empereur[13]. Les effets suivirent de près les promesses. Par une ruse de barbares, et pour concilier leurs engagements contradictoires, les trois rois envoyèrent à Vitigès dix mille Burgondes, qui devaient feindre démarcher de leur propre volonté et non sur l’ordre de leurs princes[14]. L’année suivante (539) Théodebert, emporté par ses instincts de rapines, jugeant l’Italie, disputée par les armées des Goths et des Romains, une proie facile, résolut de la conquérir pour son propre compte. Sans rien dévoiler de ses intentions, il franchit les Alpes Liguriennes, tomba près de Pavie sur les Ostrogoths, qui attendaient non des ennemis, mais des alliés, les tailla en pièces ; puis s’avança sur Ravenne, où le camp romain, surpris comme l’avait ôté celui des Goths, fut emporté d’assaut. Les Francs, par cette double trahison, restèrent maîtres de toute la vallée du Pô. Mais ils ne purent la garder. La dysenterie fil des ravages terribles parmi eux. Le pays, dévasté par les armées qui l’avaient parcouru en tous sens, ne pouvait plus les nourrir. Ils repassèrent donc les Alpes et rentrèrent chez eux, chargés de butin. Leur retraite fut encore hâtée par une lettre de Bélisaire à Théodebert, qui lui faisait les plus vifs reproches de sa perfidie et le menaçait de la colère et du ressentiment de l’empereur[15]. Procope, qui pour la première fois vit les Francs en campagne, nous a laissé une peinture très vivante et très pittoresque de leur armée. Théodebert, qui commandait aux nations des deux rives du Rhin, avait entraîné avec lui, du fond de la Germanie, plus de deux cent mille barbares. Cette armée comptait peu de cavaliers. Presque tous étaient des fantassins, et portaient, non l’arc et la pique, comme les troupes romaines, mais l’épée, le bouclier et la fameuse hache courte à deux tranchants, appelée francisque, qui était pour eux surtout un arme de trait. Leur christianisme récent se mélangeait des superstitions les plus sanguinaires. Arrivés sur les bords du Pô, ils immolèrent à la divinité des femmes et des enfants et jetèrent leurs cadavres dans les eaux du fleuve, comme les prémisses de la guerre. Ces rites sanglants contribuèrent à semer l’épouvante et l’horreur parmi les populations civilisées de la haute Italie[16]. S’ils devaient renoncer à garder leur conquête, du moins les Francs gagnaient à la continuation de la lutte entre les Romains et les Goths de conserver toute la vallée inférieure du Rhône. Nous avons vu dans quelles circonstances elle leur avait été cédée par Vitigès ; mais ils n’avaient pas jugé par cette cession leurs titres en règle. Ils estimaient en effet que les Ostrogoths ne pouvaient être considérés comme les maîtres réels de la Provence, qu’ils ne l’occupaient eux-mêmes qu’à titre d’usufruitiers, que l’empire en était encore le propriétaire authentique et que la donation de Vitigès ne serait valable qu’autant que l’empereur aurait reconnu formellement l’abandon de ses droits. Justinien consentit à ces exigences et, pour détruire l’effet de la générosité des Ostrogoths, il contresigna et ratifia leur traité[17]. À partir de ce jour-là, les Francs exercèrent dans la Provence tous les droits de l’empire. Leurs rois, dit Procope, dominèrent sur la colonie phocéenne de Marseille, sur toute la côte et même sur la mer. Et maintenant ils président dans la ville d’Arles aux jeux du cirque, et avec l’or gaulois ils frappent des monnaies, non à l’effigie de l’empereur, comme c’est la coutume, mais à leur propre effigie. Non content de la part qui lui revenait de ces avantages et de la cession de la Provence, le roi Théodebert songeait toujours à la conquête de l’Italie, qui lui semblait plus facile encore, depuis ses rapides et éphémères succès. Mais il ne pouvait s’agrandir de ce côté qu’à condition de rompre ouvertement avec la république. Cette rupture fut consommée à dater de 539. II semble qu’elle eut un grand retentissement en Gaule. Du moins croyons-nous saisir la trace des préoccupations qu’elle souleva, dans la notation soigneuse de cet événement par les hagiographes du VIe siècle. Nous lisons dans la vie de saint Trévirius : Au temps où la Gaule vivait sous l’autorité de l’empire, à l’époque du consulat de Justin[18] ; et plus loin : Au temps où les rois de la Gaule et des Francs, rejetant les droits de l’empire et la domination de la république, possédaient en propre les contrées soumises à leur pouvoir. Et pour préciser l’époque dont il parle, l’hagiographe ajoute : Il arriva que le roi Théodebert porta la guerre en Italie et franchit les Alpes[19]. Entre ces deux dates se place le brusque changement survenu dans les dispositions du roi d’Austrasie. Quoi qu’il en soit, au moment où Vitigès, avec la dernière armée des Goths, disputait héroïquement à Bélisaire la ville de Ravenne, des ambassadeurs francs vinrent lui proposer l’alliance de Théodebert. Malgré sa détresse, le roi des Goths n’eut pas la moindre hésitation ; il se souvint de la perfidie des Francs et refusa leur alliance, préférant s’entendre avec son loyal adversaire. Plus tard encore, après la captivité de Vitigès et le rappel de Bélisaire, quand le roi Totila eut réussi à battre les généraux de l'empire et recouvra la plus grande partie des provinces italiennes, Théodebert profita une fois de plus de ses embarras pour mettre la main sur la Ligurie, les Alpes Cottiennes et presque toute la Vénétie[20]. Pendant dix ans environ les Francs commandèrent en maîtres dans la vallée du Pô. Nous avons dos monnaies de Théodebert portant la marque de l'atelier de Bologne. Mais les visées du prince austrasien s’élevaient plus haut. Il supportait impatiemment, dit Agathias, que Justinien, dans la suscription des édits impériaux, obéissant aux usages de la chancellerie de Byzance, osât prendre le titre de Francique, comme s’il eût triomphé de la nation des Francs, qu’il associait, dans l’énumération des peuples soumis par lui, aux Lombards et aux Gépides[21]. Justinien considérait en effet comme faisant officiellement partie de l’empire toutes les provinces qui avaient autrefois relevé de Rome et de Byzance, soit qu’il escomptât à l’avance les futures conquêtes de ses généraux, soit plutôt que pour lui les droits légitimes de la république ne fussent jamais prescrits, soit qu’il regardât les traités conclus avec les nations barbares comme des formes d’adhésion de ces peuples à l’empire. Le grammairien Hiéroclès, qui écrivait son résumé géographique entre les années 530 et 540, compte sept provinces occidentales qui relèvent de Byzance, savoir : l’Italie, le Norique, la Gaule, la Bretagne, l’Espagne, la Pannonie, l’Afrique. Il y joint les trois îles de Sicile, de Corse et de Sardaigne[22]. Il est certain que, de Constantin à Justinien, rien n’a été changé dans la nomenclature des provinces impériales, que la chancellerie de Byzance, si elle tient compte de l’établissement des barbares et de la formation de nouveaux États dans l’Occident, n’admet pas qu’ils soient sortis de l’héritage d’Auguste et de Théodose. Aux sujets se sont substitués des vassaux, mais l’empire n’embrasse pas moins tous les pays que le christianisme a conquis. Le roi Théodebert n'entrait pas dans la distinction de ces subtilités politiques. Il feignit de se montrer grièvement offensé des avantages que se donnait l’empereur, à l’encontre de ses propres droits, et il essaya de faire partager son ressentiment aux Lombards et aux Gépides, dont les frontières confinaient aux limites de son royaume. Il leur envoya ses ambassadeurs pour leur persuader d’entrer dans sa querelle. Il rêvait de se mettre à la tête d’une vaste confédération de peuples barbares, pour pénétrer à leur tête dans la Thrace et porter la guerre jusqu’à Byzance. Comme Attila, comme Alaric, il voulait opposer la Barbarie à la Romanie et songeait à renverser l’empire. Un accident de chasse débarrassa fort à propos Justinien de ce dangereux et entreprenant adversaire (547)[23]. Cependant l’empereur se décida à un dernier et vigoureux effort en Italie, pour prendre sa revanche des succès de Totila et anéantir la puissance des Goths. Il chargea Narsès d’achever l’œuvre de Bélisaire, compromise par l’impéritie de ses lieutenants, et, pour seconder les opérations de ce général, il n'hésita pas, malgré le peu de succès des premières négociations, à envoyer une nouvelle ambassade au fils de Théodebert, Théodebald. Il lui adressa le sénateur Léontius, avec mission de demander le renouvellement des traités jadis conclus avec son père et de réclamer l’évacuation des provinces italiennes, occupées par les armées franques. Procope nous a rapporté, arrangées suivant la tradition classique, les discours échangés entre Léontius et le jeune prince austrasien. Léontius rappela la solennité des engagements contractés par Théodebert avec l’empire, et les audacieuses violations des traités. Il ne lui convenait pas de récriminer contre le passé. Mais il venait à Théodebald, persuadé que le jeune roi ferait honneur aux engagements de son père, et le laverait aux yeux des Romains des reproches de mauvaise foi qu’il avait justement encourus. Théodebald répondit évasivement. Il contesta la valeur des engagements pris par son père. Il refusa d’évacuer les provinces de la haute Italie. Ce n’était pas aux Romains, disait-il, mais aux Goths que les Francs les avaient prises. Sans doute, elles appartenaient antérieurement à l’empire, sur qui les Goths les avaient usurpées. Mais Justinien devait se féliciter que les larrons de l’empire fussent à leur tour dépouillés. Il voulait bien du reste reconnaître que l’affaire prêtait au litige et demandait à être étudiée avec attention. Il annonçait le départ du Franc Leudardus pour Byzance, afin de s’entendre avec l’empereur[24]. On ne sait ce qu’il advint de cette négociation. Tant que dura la lutte de Narsès contre Totila, les Francs gardèrent une attitude expectante, refusant de s’engager soit en faveur des Goths, soit contre eux, comptant manifestement sur l’épuisement des deux adversaires, pour intervenir au moment opportun et écraser le vainqueur[25]. La mort de Totila leur parut l’occasion propice. Mais, alors même, Théodebald, pour ne se compromettre ouvertement dans aucune aventure, s’abstint de descendre en Italie en personne. Seulement il laissa le champ libre à ses deux généraux, Leutharis et Bucelin, qui, à la tôle de bordes innombrables, recrutées surtout parmi les tribus de la Germanie, débordèrent comme un torrent du haut des Alpes. Rien ne résista à l’impétuosité de leur attaque, et, du premier élan, ils conquirent toute la péninsule jusqu’à la Sicile. Mais ces premiers succès ne se soutinrent pas. L’armée des vainqueurs, embarrassée de son butin et décimée par ses excès, se débanda. Leutharis périt dans un engagement sur les bords de l’Adige, défait par les Romains et les Huns auxiliaires. Quant à Bucelin, sa ruine fut encore plus complète. Enveloppée par les savantes manœuvres de Narsès, près de Casilinum, son armée fut anéantie presque jusqu’au dernier homme. L’Italie respira, soulagée de l’épouvante semée par les Francs, et célébra sa délivrance par des jeux extraordinaires et des fêtes en l’honneur de son libérateur. Des panégyristes comparèrent la victoire de Narsès à celles de Marathon et de Salamine[26]. II. — LES MONNAIES DE THÉODEBERT ET LE MONNAYAGE MÉROVINGIEN. Parmi les textes relatifs aux négociations engagées entre les Mérovingiens et la cour de Byzance, aucun n’a plus excité la sagacité des érudits, ni suscité plus de controverses que le fameux passage de Procope, dont nous avons donné un fragment, au sujet de la cession de la Provence. Nous le reproduisons ici complètement. Les Francs ne croyaient pas posséder les Gaules d’une manière sûre, si l’autocrator n’avait sanctionné par ses lettres cette cession. A partir de ce jour, les chefs des Germains ont dominé sur la colonie phocéenne de Marseille, sur le littoral de la Méditerranée et sur la mer elle-même. Et maintenant, dans la ville d’Arles, ils président aux jeux du cirque et ils frappent avec l’or gaulois des monnaies, non à l'effigie de l’empereur, comme c’est la coutume, mais à leur propre effigie. Cependant le roi des Perses peut bien frapper, comme il lui plaît, de la monnaie d’argent ; mais, quanta mettre son effigie sur la monnaie d’or, ni ce souverain, ni aucun des rois barbares, bien que maîtres de l’or, ne le peuvent. De telles monnaies seraient écartées du commerce, même par les barbares. Voilà comment les choses se passèrent avec les Francs[27]. A l’appui de ce texte, on a trouvé une quantité considérable de sous et de tiers de sou d’or, de même poids et de même type que les monnaies de Justinien, avec la légende du revers : VICTORIA AVCCC, et au droit le nom de Théodebert substitué à celui de l’empereur : D. N. THEODEBERTVS PP. AVG. Au revers d’un de ces sous d’or, on a même cru lire, après la légende accoutumée, VICTORIA AVCCC, le mot VICTORI, inscrit dans une intention ironique, comme pour consacrer l’aveu par l’Auguste lui- même des triomphes de son vainqueur[28]. Quelles conséquences n’a-t-on pas cru pouvoir tirer de ce passage de Procope, commenté par l’existence des monnaies à l’effigie de Théodebert ! Nombre d’historiens ont voulu voir dans le traité dont il est parlé l’acte formel stipulant l’abandon définitif des droits que l’empire conservait encore sur la Gaule, et de la suzeraineté qu’il prétendait réclamer des souverains barbares. D’autres, parmi lesquels M. Ponton d’Amécourt, frappés de ce fait que Théodebert, seul parmi les rois francs ses contemporains, a remplacé sur les monnaies le nom de Justinien par le sien, ont supposé l’obtention par le roi d’Austrasie d’un privilège spécial, autorisant ce monnayage extraordinaire. Dans les deux hypothèses, l’empereur aurait consenti, en faveur des Francs, au renoncement de son droit à frapper exclusivement la monnaie d’or. Toutes ces explications nous semblent dépasser singulièrement la portée des paroles de Procope. Il faudrait d’abord replacer le passage de l’historien dans son contexte. Dans ce chapitre 33 et dans les précédents, Procope vient de parler des échecs successivement éprouvés par l’empire en Orient et dans l’Italie, à la suite des succès du roi goth Totila et du double rappel de Bélisaire, de la perte de l’Italie, de l’Illyrie et de la Thrace. Revenant dans le chapitre qui nous occupe sur les développements qu’il a donnés précédemment, il s’exprime en ces termes : A ce moment de la guerre, les nations barbares deviennent maîtresses de tout l’Occident[29]. Les Francs ne sont qu’une de ces nations ; ils figurent dans cette revue générale au même titre que les Ostrogoths, les Gépides et les Lombards, sur lesquels l’empire n’était pas disposé à renoncer à aucun de ses droits. Procope constate seulement qu’en raison de la mauvaise politique de la cour de Byzance, tous les barbares de l’Occident étaient en ce moment en révolte contre l’empire. Mais ce soulèvement ne préjugeait rien pour l'avenir. Procope, en parlant des traités conclus avec les Francs, ne vise que la cession de la Provence. Le terme de Gaule, employé par l’historien pour désigner cette partie du bassin du Rhône, n’a rien qui doive nous étonner : c’est de ce terme que se sert Cassiodore dans les lettres adressées par Théodoric aux préfets qui siègent dans la ville d’Arles. Arles était l’ancienne capitale de la province des Gaules, et le nom de Gaule s’était conservé à la préfecture qui avait encore pour capitale la même cité. Au reste l’équivoque n’est pas possible, en ce qui concerne le passage de Procope, puisqu’il s’agit de la reconnaissance par Justinien de la contrée cédée par les Goths aux princes francs, et qu’il n’est pas question d’autre chose. Pas un mot n’autorise à penser qu’un traité particulier ait été signé par l’empereur, du moins à cette occasion, avec le roi Théodebert. Procope ne cite même pas le nom de ce prince. Il a dit dans un livre précédent que Vitigès s’était décidé à abandonner la Provence aux trois souverains de la Gaule, Childebert, Clotaire et Théodebert, et que les trois souverains se l’étaient partagée, ainsi que les présents considérables qu’il avait joints à cette donation[30]. C’est ce traité que l’empereur est invité à contresigner. En effet, les trois princes furent mis en possession de leur part, et ce fut, non Théodebert, mais Childebert qui reçut la cité d’Arles, lui par conséquent qui dut présider les jeux du cirque. Procope ne dit pas non plus que l’empereur abandonna aux Francs le droit de frapper des monnaies d’or à leur effigie. Il se contente de constater le fait, et ce fait lui paraît si anormal, si contraire à tous les précédents, qu’il croit devoir entrer dans des explications, qui font mieux ressortir l’abusive prétention des souverains francs. Ce n’est pas en vertu des traités, mais contre les traités que ces souverains prirent sur eux de monnayer l’or des Gaules en leur propre nom. Ce droit, que l’empire refusait même aux monarques de la Perse, ils s’en emparèrent, mais il ne leur fut pas donné. Les détails curieux fournis par Procope au sujet du monnayage impérial ont été rigoureusement confirmés par les découvertes récentes de la numismatique. D’Auguste à Aurélien, les empereurs s’étaient réservé exclusivement le droit de frapper la monnaie d’or et d’argent, et laissaient au sénat le droit de monnayer le cuivre. Aurélien attribua à l’empereur la totalité du droit monétaire. Une partie de ce droit fut aliéné par la suite, quand se constituèrent les royaumes barbares au Ve et au VIe siècle. Les souverains établis dans les provinces de l’empire s’emparèrent, probablement avec l’autorisation impériale, puisque la règle est partout observée, du monnayage du cuivre, d’où disparaît toute marque de l’empereur. En ce qui regarde la monnaie d’argent, le droit appartient encore à l’effigie et à la légende impériales ; mais au revers s’étale le nom du souverain particulier, ostrogoth, wisigoth, vandale, franc, qui a fait frapper la monnaie dans ses ateliers. La monnaie d’or continue à appartenir dans son intégrité à l’empereur. Seulement les rois barbares se réservent au revers ou dans une place secondaire d’insérer leur initiale ou leur monogramme. C’est ainsi que les sous et les tiers de sou d’or de Théodoric, à l’effigie du César byzantin, portent un T majuscule. Dans ceux de Clovis, de Clotaire et de Childebert, à l’effigie d’Anastase, de Justin ou de Justinien, M. Ch. Lenormant a relevé les deux C Ɔ affrontés. Les monnaies de Thierry ont un T. On ne connaît aucune monnaie d’or frappée par les rois vandales ; ils ne semblent avoir monnayé que le cuivre et l’argent dans leurs ateliers[31]. Les empereurs attachaient une importance capitale au privilège exclusif de garder sur la monnaie d’or leur effigie et leur légende, à l'exclusion de toutes autres. C’était le signe de la suzeraineté qu’ils prétendaient exercer sur les provinces qui avaient jadis obéi directement à leurs lois. La représentation de l’effigie impériale sur les monnaies et les médailles avait la même valeur que ces images laurées, envoyées solennellement par chaque prince dans les provinces à leur avènement, et réclamait les mêmes honneurs. A l’époque païenne, les dévots à la religion impériale plaçaient ces médaillons dans leur lararium[32]. Ce respect faisait partie du culte officiel rendu à l’Auguste régnant. C’est pourquoi le crime de fausse monnaie était assimilé, dans la législation romaine, au sacrilège et puni de mort[33]. Quand Procope nous dit qu’il était défendu aux souverains barbares de monnayer l’or à leur effigie, il se sert de l’expression caractéristique de θέμις, réservée aux délits contre la religion. Dans la formule relative aux monétaires, que Cassiodore nous a conservée, des imprécations solennelles sont prononcées contre les téméraires qui oseraient altérer ou supprimer sur les flans d’or l’image impériale. L’empereur s’exprime ainsi : Qui peut se flatter de vivre en sécurité, si l’on pèche contre notre effigie et si l’on se permet de profaner d’une main sacrilège l’image que chaque sujet doit vénérer dans son cœur ?[34] Cette soumission, universellement consentie des nations étrangères à l’empire romain, au point de vue monétaire, ne souffre aucune exception. Les souverains de la Perse eux-mêmes, comme l’atteste Procope, ne s’affranchirent pas de cette règle. Depuis le traité conclu par Sapor lit avec Théodose le Grand, à la fin du VI° siècle, jusqu’aux grandes conquêtes de Chosroès (534), les rois de Perse ne frappèrent à leur effigie que la monnaie d’argent[35]. Bien plus, les khalifes qui succédèrent à la dynastie indigène des Sassanides paraissent s’être soumis longtemps aux mêmes usages. L’empereur Justinien Rhinotmète, qui vivait à la fin du VIIe siècle, déclara la guerre aux Arabes, parce que le khalife Abdelmélek avait osé payer le tribut en pièces d’or frappées à un autre type que le type impérial. Car, écrit le chroniqueur Zonaras, il n’était pas permis d’imprimer sur la monnaie d’or un autre type que celui du basileus des Romains[36]. Les chefs barbares, alors même qu’ils s’armaient contre l’empire, ne laissaient pas de fondre et de frapper des monnaies au type impérial. Seulement, ils s’avisaient parfois d’un biais ingénieux pour concilier à la fois leur fidélité à la loi monétaire imposée par l’empire et leurs sentiments personnels d’hostilité contre l’empereur. Ils frappaient des monnaies au type, non de l’Auguste régnant, mais de Césars morts déjà depuis longtemps. Totila et Teïas, au plus fort de leur lutte contre les généraux de Justinien, frappaient de la monnaie impériale, mais faisaient revivre sur les flans l’image et les légendes d’Anastase. Les Suèves d’Espagne s’obstinèrent pendant plusieurs siècles à reproduire sur leurs monnaies les types d’Avitus et d’Honorius. En Gaule même et plus spécialement dans certaines provinces, comme la Bretagne, on garda certains types populaires, ceux d’Anastase, de Justin et de Justinien, alors que ces empereurs avaient depuis longtemps cessé d’occuper le trône impérial. Il est donc a priori contre toute vraisemblance que l’empereur ait accordé aux Francs un privilège dont il se montrait jaloux au point de déclarer cent cinquante ans plus tard la guerre au khalife, pour une usurpation de ce genre. Moins qu’un autre Justinien aurait condescendu à cette faiblesse. Parmi les souverains de la Gaule franque, Théodebert est le seul qui ait non pas obtenu, mais tenté de s’affranchir, au point de vue monétaire, de Byzance. S’il y avait eu concession stipulée par un traité, Childebert et Clotaire n’auraient pas manqué d’imiter son exemple. Ils n’en firent rien. Les sous d’or frappés à Marseille au nom de Childebert et de Clotaire, de l’aveu de tous les numismates sérieux, n’appartiennent pas aux fils de Clovis et se rapportent à une époque postérieure. Le tiers de sou à l’effigie de Justinien avec le monogramme, où M. Senkler a prétendu lire D. N. Eldebertus et qu’il donne à Childebert Ier, est d’une attribution tout arbitraire[37]. Encore n’entre-t-il pas dans la catégorie des pièces où le nom de Théodebert se lit en toutes lettres. Il n’existe, croyons-nous, que deux monnaies qu’on ait le droit d’attribuer certainement aux fils et petits-fils de Clovis. L’une est le triens qui porte les deux noms associés de Childebertus et de Chramnus ; il fut frappé lors de la révolte du fils de Clotaire contre son père, et c’est plutôt une médaille commémorative qu’une monnaie régulière[38] ; l’autre est une pièce frappée à Sens au nom de Gontran, qui monta sur le trône quatorze ans après la mort de Théodebert[39]. La tentative de Théodebert apparaît donc, dans son temps, comme un fait isolé ; ce fut, selon l’expression de François Lenormant, le coup de tête d’un victorieux, une boutade de barbare irrité. Il s’imagina que Justinien considérait comme une victoire personnelle la retraite imposée aux armées franques par le climat d’Italie et par les maladies, et il protesta à sa manière contre les titres de Francique et d'Alamannique, qui lui parurent impliquer un acte d’usurpation sur son pouvoir. Il suffit d’ailleurs d’étudier de près ces monnaies, pour s’apercevoir qu’elles n’ont pas le caractère et la valeur d’un monnayage autonome. Elles reproduisent servilement le type et la légende du prince byzantin. Seul le nom de Théodebert remplace celui de Justinien, et ce nom est suivi immédiatement de l’abréviation accoutumée PP. AVG. (perpetuus Augustus), qui ne convient qu'à l’empereur, au lieu du mot REX, qu’on lit par exemple sur les monnaies de Clotaire II et de Dagobert. Il y a donc là, en même temps qu’une usurpation formelle des droits monétaires de l’empire, une contrefaçon évidente, un simple manifeste de révolte, qui est loin d’avoir la portée et les conséquences que plusieurs ont voulu lui attribuer. Ce monnayage d’ailleurs ne survécut pas à Théodebert. On ne connaît aucune pièce nominale de Théodebald, son fils et son héritier. Il est probable que ce prince donna satisfaction aux réclamations qui lui furent adressées par l’empereur ; ou plus simplement que ce monnayage cessa, parce que la population de la Gaule et même les barbares, comme l’assure Procope, habitués aux sous et aux tiers de sou d’or à l’effigie impériale, marquaient leur répugnance poulies monnaies nominales des princes mérovingiens. III. — CHILDEBERT Ier. Childebert, oncle de Théodebert, était roi d’Arles, après la cession de la Provence aux Francs, consentie par le roi des Ostrogoths et ratifiée par Justinien. Arles, l’ancienne capitale de la préfecture des Gaules, en raison de cette illustration passée, souhaitait de devenir la métropole religieuse du royaume franc. Childebert sollicita de la bienveillance du pape le privilège du pallium pour l’archevêque Auxanius et pour ses successeurs. Mais le pape Vigile ne pouvait prendre sur lui de conférer de sa propre autorité une telle dignité. Le pallium donnait à l’évêque qui en était revêtu un droit de juridiction supérieure sur tous les évêques de l’ancienne province. C’était encore lui qui représentait vis-à-vis de ses collègues le patriarche d’Occident et devenait auprès d’eux l’intermédiaire de ses volontés. L’octroi du pallium, qui concédait une sorte de magistrature politique au métropolitain, appartenait encore à cette époque à l’empereur, regardé comme la source unique d’où dérivait toute délégation de l’autorité publique. L’unité religieuse de l’empire, par suite de la solidité de la hiérarchie ecclésiastique, avait survécu au relâchement de l’unité politique. Elle l’étayait, la soutenait, l'empêchait de se dissoudre complètement. Alors même que les rois barbares se montraient le plus jaloux de leur indépendance, leur qualité de chrétiens les obligeait à reconnaître comme chef spirituel l'évêque de Rome, sujet lui-même du César qui régnait à Byzance. C’est de Byzance que venait pour les peuples d’Occident la loi religieuse ; c’est l’empereur qui la promulguait, après avoir convoqué le concile œcuménique où elle s’élaborait et qu’il présidait en personne. C’est en son nom qu’elle était annoncée par les évêques aux chrétiens de leurs diocèses, comme aussi c’est dans les recueils et dans les codes impériaux qu’elle trouvait place, après avoir reçu la sanction officielle. C’est pourquoi le pape Vigile, en réponse à la requête du roi Childebert, l’avertit qu’il ferait très volontiers et sans délai droit à sa demande, s’il n’était tenu, comme la raison l’exige, de solliciter au préalable le consentement de son très cher fils, l’empereur très chrétien. Il ajoutait : Le prix d’une telle faveur sera par là d’autant plus grand pour vous, et, quant à moi, je me serai acquitté de mes devoirs de fidélité envers le prince[40]. Dans une autre lettre, il annonçait à Auxanius le succès de sa démarche. Il convient que Votre Fraternité adresse à Dieu d’incessantes prières, pour qu’il couvre de sa protection nos princes très cléments, Justinien et Théodora, qui nous ont accordé leur consentement, ainsi que le glorieux patrice Bélisaire, qui a recommandé votre pétition[41]. L’archevêque d’Arles, en relations fréquentes avec le pontife de Rome par les devoirs de sa charge, se trouvait de la sorte appelé à jouer en Gaule un rôle à la fois religieux et politique. S’il devait s’attacher à maintenir dans les diocèses de ses suffragants l’orthodoxie dans toute sa rigueur, à purifier le culte des superstitions locales, à extirper, dès sa naissance, tout germe d’hérésie, le pape lui imposait l’obligation de rappeler sans cesse les princes francs au régime de concorde et d’harmonie nécessaire au maintien de l’unité chrétienne. Le pape Vigile, dans sa correspondance avec Auxanius, puis avec son successeur Aurelianus, ne manque jamais d’insister sur cette partie essentielle de sa tâche[42]. En ces temps de troubles et de divisions, il appartient à la milice du clergé de représenter en tous lieux la république chrétienne, qui est l’empire ; de rappeler en toute occasion la solidarité de tous les membres de cette république. En 650, le roi goth Totila s’était rendu maître d’une grande partie de l’Italie, le bruit courait à Constantinople qu’il avait forcé les portes de Rome. L’armée grecque se sentait impuissante à conjurer un désastre imminent. A cette date, nous avons une lettre de Vigile à Aurelianus, qui le charge auprès de Childebert d’une mission dont le caractère est tout politique[43]. Cette lettre est écrite de Constantinople, où le pape avait été mandé par Justinien ; elle paraît dictée ou inspirée tout entière par l’empereur. L’évêque d’Arles doit représenter au roi franc quel danger court l’orthodoxie catholique, si le Saint-Siège tombe à la merci d’un souverain dévoué à l’arianisme. Il lui suggère la pensée d’intervenir auprès de Totila, de le menacer de ses armes s’il entreprend quelque chose contre les intérêts de l’Église et au profit de l’hérésie qu’il professe, s’il trouble l’administration des diocèses. La crainte de l’hostilité des Francs détournera les Goths de toute tentative préjudiciable à la foi et aussi à l’empire. Les occasions malgré tout n’étaient pas rares où la situation du pape devenait difficile, placé entre ses devoirs de sujet respectueux de l’empereur et l’obligation de sauvegarder, dans les royaumes d’Occident, l’orthodoxie menacée par des Césars théologiens. Le péril fut surtout pressant pour la papauté pendant le règne de Justinien, qui entendait que les évêques de Rome ne fussent que les serviteurs obéissants de ses caprices, même en matière de foi. Trois d’entre eux, Agapet, Silverius et Vigile, éprouvèrent cruellement ce qu’il en coûtait de lui résister. Le premier mourut à Constantinople, victime des dégoûts et des difficultés que lui suscita l’humeur querelleuse de l’empereur. Le second, suspect de favoriser le parti des Goths, fut déposé par Bélisaire, dépouillé de ses ornements pontificaux, et relégué dans une île du Pont-Euxin. Le pape Vigile fut à peine plus heureux. Transporté à Byzance, maltraité par les gens de l’empereur, pendant de longs mois on ne cessa de le tourmenter pour qu’il consentît à condamner purement et simplement les trois chapitres de Théodore de Mopsueste, d’Ibas et de Théodoret de Cyrrlia. Justinien avait cru démêler dans ces écrits des traces de l’hérésie d’Eutychès, et, quoique le concile de Chalcédoine eût absous leurs auteurs, il poursuivait par tous les moyens leur condamnation solennelle. Vigile s’obstina à refuser la satisfaction que réclamait l’empereur, et ne fut rendu à son église qu’après un exil très rude. Cette querelle émut l’Occident, comme elle avait déjà troublé l’Orient. Justinien envoya des émissaires en Gaule pour rallier à ses doctrines les princes francs et les amener à prendre parti contre le pape. Childebert demanda des explications au pape Pélage. Nous avons deux lettres de ce pontife relatives à la question des trois chapitres. Il dissuade Childebert de prêter l’oreille aux suggestions des envoyés de l’empereur. Il lui prescrit de rester fortement attaché au concile de Chalcédoine, et de ne pas se départir du texte de la confession de foi, dont il lui adresse un exemplaire, s’il ne veut tomber dans l’hérésie[44]. L’Église n’en avait pas fini avec les prétentions de l’empereur à interpréter le dogme et à l’imposer aux consciences. Sur la fin de la vie du prince, en l’année S6S, parut un édit impérial sur l’incorruptibilité du corps du Christ qui réveillait toute la querelle des deux natures. L’empereur soutenait que le corps du Christ, en raison de son origine divine, avait dû, pendant sa vie mortelle, être affranchi des souffrances de l’humanité, et que par conséquent il n’avait pu pâtir dans sa chair, même sur la croix. L’édit fut envoyé, suivant la coutume, aux églises d’Occident, avec l’injonction de se conformer partout aux déclarations qu’il contenait. La Gaule entière s’émut du péril de l’orthodoxie ; on s’alarma de rencontrer un hérésiarque dans le tuteur de l’Église universelle et son recteur temporel. Le respect ne permettait pas de formuler contre lui l’excommunication ; ces libertés ne se prirent que plus tard. Le métropolitain de Trêves, le vénérable Nicétius, adressa à Justinien les plus pressantes remontrances pour l’amener à révoquer son édit. Et voici sur quel Ion il s’exprime : Autrefois lu brillais dans le monde entier comme un soleil ; et nous tous, par la grâce de Dieu, directeurs des églises, nous nous réjouissions de la sagesse. Mais, par suite de l’erreur dans laquelle tu as glissé, et dont le bruit n’aurait jamais dû parvenir jusqu’à nous, nous sommes accablés de tristesse et prosternés jusqu’à terre. Ô notre doux Justinien, qui a pu t’égarer de la sorte, quel conseil t’a persuadé de tomber dans une hérésie si coupable ? Nous te conjurons, par ces présentes, au nom de Dieu, de revenir à la saine doctrine. Sache que l'Italie entière, que l’Afrique, l’Espagne et la Gaule, tout en pleurant sur ta perdition, te disent anathème[45]. Il est probable que cette lettre ne parvint pas à destination et que Justinien était mort avant qu’elle arrivât à Constantinople. Elle n’en montre pas moins, dans sa naïve expression, quelle solidarité régnait encore entre tous les membres de la république chrétienne, quel écho éveillait à l’extrémité du monde les fantaisies des théologiens de Byzance, quelle place enfin tenait encore dans les préoccupations des Gallo-Francs du VI° siècle la personne de l’empereur romain. IV. — L’EMPEREUR MAURICE ET L’AVENTURE DE GONDOWALD. Aux règnes effacés de Justin II et de Tibère succéda celui de Maurice, illustré sous les précédents empereurs par de glorieuses campagnes contre les Perses[46]. Il prit à tâche de relever le prestige amoindri de l’empire et reprit la politique active de Justinien à l’égard des barbares. Il intervint dans les affaires des Lombards, des Wisigoths d’Espagne et des Francs. En Italie, après avoir vainement essayé d’expulser par les armes les Lombards, il s’efforça par une habile politique de les retenir dans l’unité romaine. Il appuya en Espagne la révolte d’Herménigild, converti par sa femme à l’orthodoxie catholique, contre son père l’arien Léovigild. En Gaule, il paraît avoir secondé diverses tentatives pour ramener cette province à une vassalité réelle à l’égard de l’empire, ou du moins pour la rattacher plus étroitement à l’alliance impériale. Il suffisait d’y attiser les discordes qui mettaient aux prises les héritiers de Clovis. Évagre et Théophylacte Simocatta, les principaux historiens de Maurice, trop préoccupés des querelles religieuses qui agitent Constantinople et des grandes luttes contre les Perses et les Avares, ne nous disent rien des obscures et patientes intrigues poursuivies en Occident par la diplomatie byzantine. Pour apprécier ses efforts et son activité, il nous faut recourir aux documents occidentaux ; pour les Goths d’Espagne, à la chronique et à l’histoire d’Isidore de Séville ; pour les Lombards, à Frédégaire et à Paul Diacre ; pour les Francs, à Grégoire de Tours, le contemporain de Maurice ; pour toute cette période, à la correspondance si variée du grand pape Grégoire Ier, intimement mêlé aux événements politiques de son temps. Les débuts de l’aventure de Gondowald répondent au commencement du règne de Maurice[47]. La hardiesse de sa tentative, les péripéties romanesques de son existence, sa fin lamentable, semblent avoir vivement ému l’opinion de ses contemporains. La preuve en est dans l’insistance très significative de Grégoire de Tours à ne nous laisser rien ignorer de ce qui le concerne. Sur les dix livres qui composent l’histoire ecclésiastique, il en consacre trois ou la plus grande partie de ces trois à nous entretenir avec quelque sympathie des projets, des succès et enfin de la catastrophe de ce bâtard mérovingien, qui fut quelque chose de plus qu’un aventurier vulgaire. Nous nous contenterons d’abord de résumer, d’après l’écrivain franc, cette singulière histoire. Gondowald se donnait pour un fils de Clotaire Ier. Élevé avec le plus grand soin, il portait les longs cheveux tombant en boucles sur les épaules, qui distinguaient les enfants de la race de Mérovée. Sa mère le confia à Childebert Ier, qui, n’ayant pas encore de postérité, le garda près de lui. Plus tard, Clotaire le réclama à son frère, lui fit raser la tète et refusa de l’avouer pour son fils. Après la mort de Clotaire, il passa à la cour de Caribert, puis à celle de Sigebert, qui le fit raser une seconde fois et garder à vue dans la ville de Cologne[48]. Pour gagner sa vie, il fut réduit à descendre au métier d’artisan, et il ornait de peintures les murs des chapelles et les maisons des riches. Il réussit à s’échapper de Cologne et à atteindre l’Italie, où Narsès l’accueillit avec faveur. Il vécut quelque temps auprès du général byzantin ; il se maria, puis, sa femme étant morte, il partit avec ses deux enfants pour Constantinople. Il y demeura quatorze ans, bien vu des empereurs et soutenu par leurs libéralités. La ville impériale était de tout temps l’asile des princes bannis, des victimes des partis, des réfugiés politiques des royaumes barbares, héritiers de prétentions qu’ils n’attendaient qu’une occasion pour faire valoir. Les empereurs les attiraient et les gardaient sous leur patronage intéressé, pour en faire, si besoin était, des instruments de leur politique d’intervention et des agents de discorde dans les royaumes barbares, soit qu’il s’agît d’inquiéter des alliés turbulents, soit que l’empire se sentît de force à revendiquer ses droits prescrits sur des provinces aliénées du patrimoine impérial. Gondowald reçut à Constantinople la visite du duc bourguignon Gontran Boson, qui venait tenter son ambition. Cet ambassadeur lui peignit l’état de la Gaule sous les couleurs les plus favorables à ses convoitises. Tout semblait conspirer au succès d’une tentative de Gondowald pour recouvrer sa part de l’héritage de Clotaire. Le roi Gontran n’avait pas d’enfants ; Childebert, fils de Sigebert, n’avait pas atteint l’âge d’homme ; la postérité de Chilpéric semblait près de s’éteindre. Un parti considérable, ayant à sa tôle Boson et le patrice Mummolus, n’attendait qu’un signal de Gondowald pour se rallier à lui et lui conduire une armée. Gondowald, partagé entre ses inquiétudes et son ambition, conduisit Gontran Boson dans douze églises de Constantinople et lui fit jurer sur les reliques des saints que toutes ces nouvelles étaient exactes[49]. Plus rassuré, il s’embarqua pour la Gaule et aborda à Marseille. L’évêque Théodore le reçut comme un fils de roi. Il gagna de là Avignon, résidence du patrice Mummolus, qui lui fit l’accueil promis. Mais les plans de campagne furent subitement déconcertés par la trahison de Gontran Boson, qui profita de la confiance de Gondowald pour lui dérober ses trésors. Gondowald et Mummolus se séparèrent. Pendant que le prétendant, retiré dans une île au large du littoral, attendait les événements, Mummolus, dans Avignon, soutenait un siège dirigé par le traître Boson, qui cherchait à force de zèle pour le roi de Bourgogne à faire oublier son équipée de Constantinople[50]. Quand Avignon fut dégagé par la défaite de l’armée bourguignonne, Gondowald s’y rendit de nouveau, et il y fut rejoint par les ducs Didier et Bladaste, qui le pressèrent de hâter ses préparatifs. Sur ces entrefaites mourait Chilpéric, ne laissant pour héritier qu’un fils en bas âge, sous la tutelle de la reine Frédégonde[51]. Le moment parut propice aux partisans de Gondowald. Ils conduisirent leur prince à Brive sur Corrèze et l’élevèrent sur le pavois. Puis on mit la main sur les villes de l’Ouest qui faisaient partie du double héritage de Chilpéric et de Gontran. L’armée échoua devant Poitiers, mais s’empara de Périgueux, Angoulême, Bordeaux, Toulouse. Presque tout le bassin de la Garonne se soumit à Gondowald. Partout où il passait, le prétendant recevait le serment de fidélité des habitants, nommait les fonctionnaires, intronisait des évêques dans les sièges vacants. Le roi Gontran se décida enfin à agir vigoureusement contre l’usurpateur. Il se réconcilia avec son neveu Childebert, roi d’Austrasie, dont l’hostilité avait jusqu’alors paralysé ses mouvements. Gondowald, chassé de ville en ville, fut assiégé dans la petite place de Comminges, au pied des Pyrénées. Le patrice Mummolus, qui, d’accord avec Boson, avait dans le principe ourdi toute cette trame, essaya de se racheter par une trahison nouvelle. Il livra Gondowald aux troupes de Gontran, qui le massacrèrent misérablement[52]. Telle fut la fin de cette aventure, dont les origines secrètes n’ont pas encore été clairement démêlées. Récemment encore, un savant érudit, M. Ch. Robert, a contesté la participation de l’empereur Maurice à la tentative de Gondowald[53]. Or cette participation nous semble établie d’une manière formelle par le récit de Grégoire de Tours lui-même. Il serait incroyable a priori que l’empereur se fût désintéressé d’une entreprise qui avait pour fin dernière de resserrer les liens de vassalité, singulièrement relâchés, qui devaient unir l’Occident à ses anciens maîtres. Une intervention de ce genre rentrait tout à fait dans les habitudes et dans la tradition de la cour de Byzance, qui n’accueillait que dans ce but les princes étrangers dépouillés ou chassés par les nations barbares. La neutralité de Maurice eût été sans précédent. Sans doute, rien, dans les textes contemporains, n’autorise l’hypothèse de Bonamy, reprise par Ch. Lenormant, que Maurice aurait fourni une flotte et des troupes pour appuyer les revendications du prétendant en Gaule[54]. Grégoire de Tours ne dit rien de pareil et Gondowald ne fait rien entendre qui le suppose. Il semble même qu’il soit venu presque seul, puisque l’évêque de Marseille dut lui fournir une escorte de cavaliers pour rejoindre Mummolus à Avignon[55]. Mais il est fort vraisemblable que Maurice ne le laissa pas dégarni de toutes ressources et subventionna l’entreprise ; car Gondowald apportait avec lui un trésor considérable, une immense quantité d’argent dont une partie fut pillée par le duc Boson et mise en sûreté en Auvergne[56]. Plus tard, Gondowald répara ses pertes en faisant main basse sur le trésor de la fille de Chilpéric, Rigonthe, fiancée au roi des Wisigoths, Reccarède, et délaissée par son escorte au pied des Pyrénées. R n’est pas probable que les seules ressources de Gondowald, qui vivait à Constantinople des bienfaits du prince, aient suffi à commanditer une expédition de ce genre. De telles dépenses dépassent les facultés d’un particulier ; il y faut les ressources d’un État, ou celles d’un parti. Supposer que les ducs austrasiens et bourguignons, qui poussèrent Gondowald à cette aventure, aient fait les avances des premiers frais, ne se concilie guère avec la cupidité et l’avarice de ces mêmes ducs, qui exploitèrent dans la suite l’ambition et la crédulité du prétendant. L’un, Boson, le dépouilla de son trésor, quelques jours après son débarquement. Les autres, Didier et Bladaste, n’eurent rien de plus pressé, après le désastre de Comminges, que de mettre à l’abri les richesses dont ils craignaient d’être dépouillés par le roi Gontran. Les contemporains ne se sont pas trompés sur l’origine de
la tentative de Gondowald, et en attribuent nettement l’initiative à
l’empereur d’Orient. Quand Gontran Boson arrêta par l’ordre de son maître
l’évêque de Marseille, Théodore, le prélat fut accusé d’avoir introduit un étranger dans les Gaules, et d’avoir ainsi voulu
soumettre le royaume des Francs à l'autorité impériale[57]. Ce texte est
décisif, du moins en ce qui concerne les données de l’opinion publique.
L’acte d’accusation émane du roi Gontran lui-même, dont la conviction devait
avoir pour base des informations certaines. Ce texte du reste n’est pas
isolé. Il est appuyé par la déposition de l’évêque de Saintes, Palladius.
Accusé d’avoir participé à la consécration de l’évêque de Dax, sur l’ordre de
Gondowald, il répondit : Je n’ai pu faire autrement
que d’obéir à cet homme, qui témoignait avoir reçu tout le principal des
Gaules[58]. Le roi se montra violemment troublé par cette réponse.
Que pouvait être ce témoignage, qui levait tous les scrupules et forçait
l’obéissance des évêques, sinon une commission semblable à celle que reçut
Théodoric de l’empereur Zénon, et de qui Gondowald pouvait-il la tenir, sinon
de Maurice ! Enfin la simple prise d’armes d’un aventurier, sans autre
soutien que les mécontents du royaume, pareille à tant d’autres que les
historiens nous signalent en passant, ne justifierait pas l’émoi
extraordinaire de toute la Gaule, les défections empressées des villes et de
tant d’évêques du Midi et de l’Ouest, la colère soutenue et les longs
ressentiments du roi Gontran. Toute sa vie, il resta sous l’impression vivace
du danger qu’il avait couru. Il jugea la situation si grave, qu’après le couronnement
de Gondowald à Brive, il prit le parti de restituer à Childebert tous les
territoires qu’il détenait sous prétexte de tutelle. Il sentit si vivement
l’affront, qu’il ne cessa jusqu’à sa mort de poursuivre de ses vengeances les
leudes et les prélats qu’il soupçonnait d’avoir trahi sa cause. Grégoire de
Tours, si favorable en général à ce roi débonnaire par comparaison, va
jusqu’à se féliciter d’une maladie grave de ce prince, qui mit ses jours en
danger, mais sauva de nombreuses victimes, impliquées dans cette conspiration
et promises à l’exil ou à la mort. L’examen des textes suffirait seul à mettre hors de doute la participation de la cour d’Orient à l’affaire de Gondowald. Si cependant la question est demeurée si longtemps pendante, c’est qu’elle a été examinée jusqu’à ce jour plutôt par des numismates que par des historiens, et que les médailles ont été plutôt consultées que les textes. L’aventure de Gondowald soulève en effet un problème de numismatique très intéressant, tl s’agit d’expliquer l’existence de nombreuses pièces, à l’effigie de l’empereur Maurice, frappées dans les ateliers monétaires de la vallée du Rhône à une époque qui concorde avec le débarquement du prétendu fils de Clotaire. L’académicien Bonamy éveilla le premier, au XVIIIe siècle, l’attention sur cette coïncidence, dans un savant mémoire publié dans le Recueil de l'Académie des inscriptions[59]. Il concluait à une relation évidente entre les deux faits et pensait que Gondowald avait fait frapper ces monnaies en signe de la souveraineté revendiquée par l’empereur Maurice sur l’ancienne province romaine. De nos jours, la question a été reprise et résolue dans le même sens par MM. Charles et François Lenormant, de Saulcy, et tout récemment par M. Deloche[60]. Au temps où écrivait Bonamy, on ne connaissait qu’un petit nombre de pièces de Maurice, sept triens environ, tirées du cabinet de M. de Clèves. Depuis lors, ces découvertes se sont multipliées ; on en compte aujourd’hui plus de trente, ce qui témoigne d’un monnayage exceptionnellement actif dans les ateliers de Marseille, d’Arles, de Viviers, de Vienne, de Valence et d’Uzès, dont ces pièces portent la marque. Cette abondance est d’autant plus remarquable, que sont plus rares les monnaies des deux prédécesseurs de Maurice, Justin II et Tibère Auguste et celles de ses deux successeurs, Phocas et Héraclius. On ne connaît en effet qu’une seule monnaie dont l’attribution à Justin paraisse certaine, et les collections n’en possèdent aucune de Tibère. Un tiers de sou d’or au type d’Héraclius, trois au type de Phocas complètent les séries byzantines de la Gaule franque. Cette fréquence d’une part, de l’autre cette disette, ne semblent pouvoir s’expliquer que par un événement extraordinaire, comme fut la tentative de Gondowald. Nous admettons volontiers une relation entre l’expédition du prétendant en Gaule et le monnayage exceptionnel au type de l’empereur Maurice. Mais nous tenons pour exagérées et même pour inexactes quelques-unes des assertions de Ch. Lenormant et de ceux qui l’ont suivi. Le monnayage byzantin ne fut jamais interrompu en Gaule, jusqu’à l’époque de Clotaire II et de Dagobert. Dans l’intervalle qui s’étend de la mort de Justinien à l’avènement de Maurice, on continua à frapper des monnaies au type plus ou moins altéré de Justinien, de Justin Ier et même d’Anastase. Les règnes de Justin II et de Tibère furent trop courts pour que leur monnayage ail eu le temps de se développer. Il est donc imprudent de conclure que de la mort de Justinien date pour la Gaule une période d’indépendance monétaire, qui fut interrompue par l’initiative énergique de Maurice. Les relations de la Gaule avec Byzance furent les mêmes, sous Justin le Jeune et Tibère, qu’elles avaient été sous leurs prédécesseurs. Grégoire de Tours parle avec les plus grands éloges des éminentes qualités de Tibère. Il signale une ambassade de Sigebert à Justin II, qui obtint le renouvellement des traités conclus entre les deux cours sous Justinien, et le maintien de la paix[61]. Il mentionne, sous le règne de Chilpéric, une ambassade à Tibère, qui revint de Constantinople en 881, et qui apportait au roi franc de magnifiques présents : entre autres des médailles d’or, de grand module, pesant une livre chacune, portant au droit, avec l’effigie de l’empereur, la légende : TIBERI CONSTANTINI PERPETVI AVGUSTI, et au revers : GLORIA ROMANORVM. Il ressort de ces faits que les rapports de bonne harmonie entre la Gaule et Byzance ne furent pas troublés de Justinien à Maurice, et que la rareté du monnayage byzantin, durant cette période, tient surtout à la brièveté du règne des deux empereurs Justin et Tibère. Il importe de remarquer, sur les monnaies de Maurice, l’indication des ateliers où elles furent frappées. Ces ateliers sont tous situés dans la vallée du Rhône et ne dépassent pas la région de l’Auvergne. Faut-il en conclure avec Bonamy que l’empereur manifestait ainsi l’intention de replacer sous sa suzeraineté l’ancienne province romaine, ou, comme M. Ch. Robert, que cette coïncidence du séjour prolongé de Gondowald dans les villes du Rhône et de la frappe des monnaies de Maurice est purement fortuite ? Nous n’admettons ni l’une ni l’autre de ces conclusions. R n’est pas vraisemblable que l’empereur ait jamais songé à replacer sous sa domination directe la partie méridionale de la Gaule, qui avait appartenu tour à tour aux Burgondes, aux Wisigoths, aux Ostrogoths et aux Francs. Il ne pouvait penser qu’à favoriser la tentative d’un prétendant, disposé à reconnaître formellement la suzeraineté de Constantinople. Dans tous les cas, la frappe de monnaies à son effigie n’impliquait pas un acte d’autorité ayant le sens d’une prise de possession nouvelle, puisque les monnaies franques du VI c siècle portent presque toutes l’effigie impériale. Si le monnayage s’était fait au nom de l’empereur, et comme signe du rétablissement de son autorité, toutes ces pièces auraient le même poids que celles qui se fabriquaient dans les ateliers d’Orient. M. Ch. Lenormant a remarqué très judicieusement que, tandis que le sou d’or byzantin pèse 84 grains et le triens 28, et que de la livre d’or purifié se tirent, d’après les prescriptions du Code Théodosien, soixante-douze solidi ; en Gaule, les monnaies de Maurice, comme celles de la fin du VIe siècle, ne pèsent plus, le sou d’or que 72 grains et le triens 24 grains. Ces monnaies rentrent donc dans le système franc et non dans le système byzantin, malgré le type et la légende. Si l’on consulte les excellentes cartes dressées par M. Longnon pour la géographie de la Gaule au VIe siècle, et si l’on vérifie l’attribution à chaque royaume des villes où furent frappées les monnaies de Maurice que nous possédons, on s’aperçoit qu’Arles, Vienne et Valence appartenaient au roi Gontran, Uzès et Viviers à Childebert II ; la ville de Marseille, à cause de l’importance de ses douanes, restait indivise entre les deux souverains. Or Gondowald venait en Gaule avec le dessein de revendiquer aux dépens de Gontran la part qu’il s’attribuait dans l’héritage de son père Clotaire. Ce n’est que plus tard, après la mort de Chilpéric, qu’il se résolut à mettre aussi la main sur les États de ce prince. Il ne fit donc pas difficulté, se trouvant sur le territoire de son ennemi, de faire travailler pour lui les monétaires du roi Gontran. Quant à Childebert, nous établirons qu’il était l’allié et le complice de Gondowald : rien ne s’oppose, dans cette hypothèse, à la frappe des monnaies de Maurice dans les ateliers austrasiens. Nous croyons donc que le monnayage extraordinaire, au type de Maurice, que l’on observe dans la Gaule méridionale, se rattache très probablement a l’entreprise de Gondowald ; que ce monnayage fut exceptionnellement abondant, parce que Gondowald éprouva le besoin de faire frapper immédiatement une partie des lingots qu’il apportait de Constantinople, pour faire face aux dépenses de son entreprise ; c’est pour la même raison qu’on ne trouve aucune monnaie de Maurice à la marque des villes de la Garonne et de la Dordogne. Il resta plus d’une année et demie dans la vallée du Rhône, avant de se diriger sur l’Auvergne et le Limousin. Pour en finir avec la question des monnaies de Maurice, rappelons que l’une d’entre elles a excité spécialement la curiosité des érudits. Publiée pour la première fois par Bouteroue en 1666, elle porte au droit la légende circulaire : D. N. MAVRI ∞CIVS. PP. AV. et au revers, autour du chrisme posé sur un petit globe : VIENNA DE OFFICINA LAVRENTI ; c’est-à-dire : Dominus noster Mauricius, perpetuus augustus. A Vienne, de l’atelier de Laurentius. Le détail qui a frappé particulièrement l’attention est le signe ∞, dans lequel Dubos et, après lui, Ch. Lenormant ont voulu voir un S couché, intercalé entre l’I et le C de Mauricius. Pour expliquer l’existence de cette lettre intercalaire, Dubos, le premier, a invoqué le passage suivant de Frédégaire : La vingt-septième année du règne de Gontran, le comte Syagrius fut envoyé par ce prince, comme ambassadeur, à Constantinople. Là il fut par fraude ordonné patrice. La fraude eut un commencement d’exécution, mais elle n’aboutit pas[62]. Ce passage énigmatique a pu donner lieu à une conjecture fort vraisemblable. Après l’échec de la tentative de Gondowald, Gontran, redoutant pour lui et pour son royaume l’hostilité de Maurice, lui dépêcha un de ses comtes, nommé Syagrius, pour conclure un accord avec la cour d’Orient. Maurice, désireux peut-être de reprendre à frais nouveaux l’entreprise de Gondowald, corrompit la fidélité de l’ambassadeur et lui donna ses pouvoirs en Gaule avec le titre de patrice. Celui-ci accepta, trahissant ainsi les intérêts de son maître et la foi jurée. Frédégaire ne dit pas en quoi consista le commencement d’exécution auquel il fait allusion. A plus forte raison ne savons-nous pas si le comte Syagrius tenta une prise d’armes en Provence et dans le Viennois. Nous devons nous en tenir aux indications sommaires du chroniqueur, sans essayer de résoudre un problème dont les principaux éléments nous échappent. Le document est précieux, en ce qu’il nous montre l’hostilité persistante de Maurice à l’égard de Gontran et qu’il nous donne un spécimen des intrigues qui s’ourdissaient à Byzance contre les royaumes barbares. Mais aller plus loin, voir l’anagramme de Syagrius dans le signe ic de la monnaie de Vienne, qui n’est très probablement qu’une erreur orthographique ou un caprice du graveur ; rapprocher ce signe de la trahison du haut personnage dont parle Frédégaire, c’est déserter le terrain de l’histoire, pour entrer de plain-pied dans l’arbitraire et l’hypothèse[63]. V. — CHILDEBERT II ET L’EMPEREUR MAURICE. L’aventure de Gondowald eut des ramifications secrètes fort étendues, qu’il est intéressant de démêler et de suivre, si l’on veut se faire une idée exacte des rapports de la Gaule avec l’Orient. Rien ne favorisa davantage les progrès du prétendant que les encouragements qu’il reçut des souverains de l’Austrasie. Childebert ne pardonnait pas à son oncle Gontran d’avoir profité de son bas âge pour garder, sous prétexte de tutelle, les villes et les territoires que Sigebert avait laissés à son fils, au sud de la Loire et dans la vallée du Rhône. Quand Childebert fut en âge de régner et qu’il réclama son patrimoine, Gontran refusa obstinément de le lui rendre. Puisque mon neveu doit être mon seul héritier, disait-il, qu’il me laisse donc, sans tracas ni dispute, la jouissance du tout, ma vie durant[64]. Il fut impossible, malgré des ambassades réitérées, de tirer autre chose de ce vieillard entêté et cupide. Des troubles graves éclatèrent à Marseille. Cette ville, indivise entre l’oncle et le neveu, ne recevait de fonctionnaires que de Gontran, qui percevait à son profit toutes les taxes. Son préfet, Dynamius, chassa même de la ville l’évêque Théodore, chef du parti austrasien, et souleva contre lui une partie de son clergé[65]. Childebert envoya sommation à Gontran de le remettre en possession de la moitié de Marseille et, sur son refus, le menaça de lui faire perdre la plus grande partie de son royaume, pour avoir voulu retenir la portion qui ne lui appartenait pas. Il fit alliance avec son autre oncle Chilpéric et envoya à Marseille le duc Gondulf, qui rétablit solennellement l’évêque Théodore dans sa cité. Dynamius réussit encore, après le départ de Gondulf, à chasser une seconde fois l’évêque. Par là, ajoute le chroniqueur[66], de graves inimitiés s’élevèrent entre le roi Gontran et son neveu Childebert, et, toute alliance étant rompue entre eux, ils se dressaient réciproquement des embûches. C’est pour réaliser ces menaces que Childebert suscita Gondowald contre Gontran. Il ne faut pas oublier qu’à cette époque le jeune roi était étroitement allié à l’empereur Maurice, ni s’étonner que celui-ci prêtât la main à une aventure où l’empire devait trouver son profit. C’est une intrigue austrasienne qui arracha Gondowald à sa tranquille retraite de Constantinople. C’est au nom des grands d’Austrasie que Gontran Boson fit ses offres au prétendant. Les hérauts de Gondowald, Zotan et Zahulf, faits prisonniers par le roi de Bourgogne, proclamaient cette complicité, et Gondowald lui-même, enfermé dans la place de Comminges et trahi par son allié, la rappelait dans ses manifestes[67]. Ce fut encore l'évêque austrasien, Théodore, qui reçut à Marseille le fils de Clotaire, débarqué de Constantinople, et lui donna les moyens de rejoindre Mummolus à Avignon. Quand Théodore fut accusé de lèse-majesté, pour avoir essayé de replacer une partie de la Gaule sous la domination impériale, il produisit, dit-on, un ordre signé des principaux grands de la cour de Childebert et ajouta : Je n’ai rien fait de moi-même, mais seulement ce qui m’était commandé par mes maîtres et seigneurs[68]. Le même évêque, après la catastrophe de Gondowald, fut poursuivi sans trêve par le ressentiment de Gontran ; il fut toujours défendu avec une extrême énergie par Childebert et ne dut son salut qu’à cette intervention. Le roi d’Austrasie poussa les choses jusqu’à menacer de rompre son traité avec Gontran et de lui déclarer la guerre, s’il ne renonçait à ses projets de vengeance contre le prélat. Il protégea jusqu’au bout l’homme qui, dans cette occasion, avait été son instrument, plus que son complice[69]. Quant à Gondowald, si l’on y prend garde, il évita avec le plus grand soin tout acte d’hostilité contre Childebert. Dès le début, le jeune roi avait protégé son entreprise. Il avait envoyé son général Gondulf pour débloquer Mummolus dans Avignon et contraindre à la fuite l’armée bourguignonne. Aussi, quand Gondowald partit pour se faire couronner à Brive et qu’il s’empara des villes du sud de la Loire, dans ces territoires qui relevaient les uns de Chilpéric, les autres de Gontran, dont quelques-uns faisaient partie de l’héritage de Sigebert, il ne se présenta pas partout avec la même qualité. Il exigea le serment de fidélité en son nom dans les villes qui appartenaient à Chilpéric et à Gontran ; mais, dans celles qui provenaient de l’héritage de Sigebert et que le roi de Bourgogne détenait indûment, il lit prêter le serment au nom de Childebert ; comme si leur cause était commune, et comme s’il se conformait rigoureusement aux termes d’un pacte convenu à l’avance entre eux[70]. De Childebert seul, en effet, dépendit la fortune de Gondowald. Tant qu’il fut soutenu par le roi d’Austrasie, le succès ne l’abandonna pas ; dès que cette protection se retira de lui, il fut considéré comme perdu. Or la défection de cet allié date du jour où Gontran, effrayé des conquêtes du prétendant, consentit enfin à restituer le patrimoine de son neveu[71]. La crainte fut chez lui plus forte que la cupidité. Il se rapprocha de Childebert et lui rendit tout l’héritage de son père ; bien plus, il l’adopta comme fils et le déclara son unique héritier. Il lui mit dans les mains une lance et lui dit : Par ce signe, je te remets tout mon royaume. Va et soumets à ton pouvoir toutes mes cités, comme si elles étaient tiennes. A cause de mes péchés, il n’est resté de toute ma race que toi, qui es le fils de mon frère. Succède-moi donc dans tout mon royaume, à l’exclusion de tout autre[72]. En reconnaissance de cette capitulation, Childebert abandonna la cause de Gondowald, qui ne larda pas à succomber dans Comminges. Il n’est pas inutile d’ajouter qu’à celle date les rapports de Childebert avec l’empereur Maurice avaient perdu leur caractère de cordialité et que l’alliance avec la cour de Byzance était sur le point de se rompre[73]. Derrière Childebert, il faut voir la main de sa mère Brunehaut. Bien qu’il eût déjà conduit en personne une expédition en Italie, Childebert n’avait en effet que quinze ans en 884[74]. Pendant les années de son adolescence, c’est elle qui lient tous les fils des intrigues dont l’Austrasie est le centre. Restée veuve avec des enfants et plus tard des petits-enfants en bas âge, à une époque et dans une société où ni la femme ni l’enfant n’étaient respectés, où la force était la seule règle, il fallut à cette reine un esprit de ruse et une énergie incroyables, pour sauver d’une ruine presque inévitable son autorité et celle de sa famille. Elevée à la romaine et dans le respect de l’empire, elle chercha de bonne heure un appui moral à Rome et à Constantinople, auprès du pape et de l’empereur. Toute sa vie, elle resta fidèle à l’alliance impériale et à l’idée de l’unité romaine. Tandis qu’en Espagne sa fille Ingonde et son gendre Herménigild se mettaient dans Séville sous la protection des années byzantines, pour éviter le ressentiment du roi des Wisigoths, elle suscitait contre le roi Gontran, spoliateur de son fils, les revendications de Gondowald. Gontran ignorait si peu d’où venait le coup de partie dont il se sentait atteint, que lorsqu’il se résigna, pour désarmer Childebert, au sacrifice dont nous avons parlé, il le supplia de ne pas retourner auprès de sa mère, de peur qu’elle ne rompît leur accord en lui donnant le moyen d’écrire à Gondowald, ou d’en recevoir quelque lettre[75]. Et il est si vrai que Gondowald recevait les instructions de Brunehaut et se dirigeait d’après ses conseils, que pour entraîner Gondowald dans un piège, Gontran n’imagina rien de mieux que de supposer une lettre de la reine qui lui conseillait de prendre ses quartiers d’hiver près de Bordeaux[76]. Bien plus, même après la mort de Gondowald, il continuait à redouter les artifices de la mère de Childebert. Elle avait fait fabriquer un bouclier d’or, enrichi de pierreries, d’une grandeur inusitée, et deux bassins de même métal, qu’elle destinait au roi des Wisigoths, Reccarède. Gontran fit arrêter le messager Ébrégisil, chargé de remettre ces présents, soupçonnant qu’ils étaient, non pour le roi, mais pour les fils de Gondowald, réfugiés en Espagne, afin de les appeler en Gaule pour venger leur père[77]. Une autre fois, dans un accès de violente colère, il vomit mille injures contre la vieille reine, et l’accusa de chercher à s’unir en mariage avec un des fils de Gondowald[78]. En raison de l’âge de Childebert, c’est donc à Brunehaut qu’il faut faire remonter l’initiative de l’entreprise de Gondowald, et des négociations qui conduisirent le prétendant de la cour de Constantinople à Marseille. L’empereur trouvait d’ailleurs son avantage à servir les projets de Brunehaut. Dès le début de son règne, Maurice avait résolu de chasser d’Italie le peuple lombard, qui, désertant ses cantonnements de Pannonie, avait envahi la vallée du Pô, sans le consentement de la cour de Byzance. Il rechercha donc l’alliance des Francs d’Austrasie pour seconder contre les Lombards les efforts de l’exarque de Ravenne. Un traité fut conclu entre l’empereur et le jeune roi, à peine âgé de quatorze ans. Maurice acheta le concours de sa nation au prix de cinquante mille sous d’or[79]. C’est probablement aussi à l’occasion de cette alliance et pour resserrer l’union du prince franc et de la république, qu’il l’adopta en fils, ainsi que le témoignent les suscriptions des lettres échangées entre eux et le contenu de ces lettres elles-mêmes[80]. Childebert passa les Alpes avec une armée innombrable, dit Paul Diacre ; les Lombards, saisis de crainte, se renfermèrent dans leurs villes fortes et demandèrent la paix au roi d’Austrasie, promettant de reconnaître sa suzeraineté, de lui payer tribut et d’être désormais pour lui des sujets fidèles[81]. Childebert ne résista pas à ces promesses brillantes. Mais Maurice, indigné de la mauvaise foi de son allié, le mit en demeure d’exécuter son traité ou de lui restituer les cinquante mille sous d’or, dont il n’avait fait usage que dans l’intérêt de la nation franque. Childebert, dit le chroniqueur, confiant dans ses forces, ne prit même pas la peine de répondre à l’empereur[82]. Cependant, quelques mois plus lard, le jeune roi, pressé par les envoyés impériaux, se décida à tenter une nouvelle descente en Italie. L’exarque se disposait à joindre ses troupes aux armées franques. Mais la discorde éclata entre Francs et Alamans ; les ducs agirent sans entente. Le roi Autharis obtint de nouveau la paix et se fit promettre par Childebert sa sœur en mariage[83]. L’empereur se plaignit de cette nouvelle infraction au
traité. Il réclama l’envoi d’autres ducs mieux disposés à servir les
intentions du roi, et demanda en même temps la liberté des Romains que les
soldats francs retenaient prisonniers pour en tirer une rançon[84]. Childebert
rompit avec Autharis ; il lui refusa sa sœur en mariage, et la fiança au roi
des Wisigoths, puis, d’accord avec l’exarque sur le jour et le lieu de son passage,
il franchit les Alpes[85]. La jonction des
deux armées ne put s'opérer. Les Francs furent taillés en pièces et éprouvèrent
de telles pertes, que de mémoire d’homme, dit
le chroniqueur, on ne se souvenait d’un tel carnage[86]. Ces insuccès
répétés auraient découragé tout autre allié. Mais Maurice ne cessait de
gourmander le zèle du jeune homme et de lui reprocher sa tiédeur et sa
mollesse. Il lui écrivait sur un ton d’admonestation sévère[87] : Vos lettres adressées par l’intermédiaire de l’évêque
Jocondus et du cubiculaire Gottron nous assurent que votre intention est de
conserver envers nous et notre république sacrée les sentiments d’un ami et
l’affection d’un fils. D’autres de vos envoyés nous ont fait à maintes
reprises en votre nom les mêmes protestations. Aussi sommes-nous étonnés,
s’il est vrai que vous vouliez maintenir l’ancienne unité de la race franque
et de l’empire romain, que vos actes aient jusqu’ici mal répondu à vos assurances
d’amitié, sans cesse renouvelées par lettres, confirmées par l’autorité
sacerdotale, garanties par les serments les plus solennels. A quoi bon
fatiguer vos envoyés par les roules de terre et de mer, si ce ne sont là que
propos de jeune homme qui ne doivent se traduire par aucun effet ? Si vous
voulez véritablement mériter notre amitié, nous désirons que vous laissiez de
côté toute tergiversation et que vous exécutiez virilement, et comme il
convient à un roi, nos conventions. Vous sentirez en retour tous les effets
de notre pieuse bienveillance. Il convient que Votre Gloire réalise enfin ses
promesses jusqu’au bout, afin de consommer, à cette occasion, l’unité de
votre nation et de la république et qu’aucune contestation ne s’élève plus
entre nous. Que Dieu vous conserve pendant de longues années, fils très
chrétien et très cher. Childebert s’empressa de répondre à cet appel.
Il pénétra une fois de plus en Italie, à la tôle d’une armée commandée par
vingt ducs. Près de Milan, il fut rejoint par des envoyés de l’empereur, qui
lui annonçaient sous trois jours l’arrivée des troupes impériales et lui
marquaient à quels signes il reconnaîtrait leur approche. Mais pendant six
jours les Francs attendirent vainement l’arrivée de l'exarque. Alors ils se
répandirent dans l’Italie du nord, la traversant en tous sens, sans
rencontrer de résistance sérieuse, exigeant le serment de fidélité des
habitants des villes. Au bout de trois mois, l’été vint ; de terribles
maladies décimèrent l’armée. Il fallut repasser les Alpes, sans avoir pu même
atteindre Autharis, retranché dans d’inaccessibles retraites[88]. Le roi des Lombards, pour prévenir le retour de telles calamités, se hâta d’envoyer des messagers à Gontran, le priant de s’entremettre auprès de son neveu en faveur de la paix. Autharis mourut pendant ces pourparlers. Sa veuve, Théodelinde, lui donna pour successeur le duc Agilulf, qui réussit à signer avec les Austrasiens un traité de paix définitif[89]. Pour avoir pu si longtemps disposer de Childebert, il fallait que l’empereur eût entre les mains un gage qui lui assurait la fidélité docile du roi d’Austrasie et de sa mère. Ce gage ôtait le petit-fils même de Brunehaut, Athanagild. La fille de Brunehaut, Ingonde, avait épousé le fils du roi des Wisigoths, Herménigild. Après l’avoir converti à la foi orthodoxe, elle l’avait poussé, avec l’aide des Grecs et des Suèves galiciens, à détrôner son père. Léovigild parvint à se rendre maître de son fils, qu’il retint en prison. Mais Ingonde échappa avec son jeune enfant, Athanagild. Elle se réfugia sous la protection du général des troupes impériales, qui la dirigea par la route de mer vers Constantinople[90]. Ingonde mourut en Sicile pendant la traversée. Son fils fut amené à Maurice, qui l’éleva dans son palais et le garda comme le meilleur répondant de la foi de Childebert et de sa grand’mère, Brunehaut. Soit que les souverains d’Austrasie aient réellement éprouvé de vifs sentiments d’affection pour un enfant qui leur rappelait une fille et une sœur chérie[91], soit qu’ils craignissent de voir se renouveler un jour à leur détriment une tentative semblable à celle de Gondowald, ils demandèrent cet enfant à l’empereur avec des instances incroyables. Ils envoyèrent à Constantinople une ambassade solennelle, composée de l’homme illustre Sennodius, du spathaire Gripon, du cubiculaire Radan et du notaire royal Eusèbe. Ils chargèrent leurs messagers d'un volumineux paquet de lettres, adressées à l’empereur Maurice, à l’impératrice, à leur fils, au patriarche, aux principaux officiers du palais et en général à tous les personnages influents de la cour[92]. Ces lettres avaient un double objet : obtenir la restitution d’Athanagild et resserrer le pacte d’alliance qui unissait l’Austrasie à la république[93]. On ne sait quels furent les résultats de cette requête cl quel fut le sort d’Athanagild. Les rares documents qui restent de cette époque sont muets sur ce personnage. Peut-être mourut-il à Constantinople avant de reprendre le chemin de la Gaule. Il n’apparaît pas dans l’histoire de l’Austrasie ; et la cordialité des rapports des deux souverains donne à penser qu’il ne subsista aucun nuage gros de menaces entre les deux cours. En 690 s’arrête la série des lettres échangées entre Childebert et l’empereur Maurice. Le récit de Grégoire de Tours finit en l’année 694-695. Seule, la correspondance de Grégoire le Grand nous permet dans une certaine mesure de suppléer à ces sources et de nous convaincre que la bonne harmonie ne fut pas troublée entre l’Orient et l’Occident. Le souci des intérêts de la foi entraînait le pape, presque malgré lui, à devenir un agent politique de l’empire, et l’obligeait à intervenir dans les affaires des royaumes barbares, dans un sens favorable aux intérêts temporels des Césars. L’unité de la société chrétienne n’avait pas pour lui de plus sûre garantie que le maintien de l’unité de l’empire. Rattacher les barbares à l’orthodoxie, c’était établir des liens nouveaux entre eux et Rome, et par extension avec Constantinople. C’est dans ce sens que Grégoire le Grand agit, par l’intermédiaire de la reine Théodelinde, sur l’esprit du Lombard Àgilulf. C’est ainsi qu’en Espagne, après la conversion au catholicisme du roi des Wisigoths, Reccarède, il s’entremit pour rétablir des relations d’amitié entre ce prince et l’empereur Maurice[94]. Le premier des souverains goths, Reccarède, prit, dans les actes publics, le surnom byzantin de Flavius, et la justice fut rendue en Espagne, dans les tribunaux ecclésiastiques, au nom de l’empereur[95]. La correspondance de Grégoire le Grand avec la reine Brunehault touche à bien des sujets différents. Le pape félicite la souveraine de son orthodoxie ; il l'encourage à extirper chez les peuples soumis à son autorité les derniers restes de l’idolâtrie et les pratiques superstitieuses léguées par l’odinisme. Il la remercie de ses secours aux missionnaires italiens qu’il envoie en Grande-Bretagne, pour convertir les Anglo-Saxons, et des lettres de recommandation qu’elle leur remet pour les princes et princesses de Bretagne, apparentés aux rois francs. Deux de ces lettres nous mettent sur la trace de négociations politiques dont le pape s’est fait l’intermédiaire. A la mort de son fils Childebert, Brunehaut était restée tutrice de ses deux petits-enfants, Théodebert et Thierry : le premier, roi d’Austrasie ; le second, roi de Bourgogne. Chassée d’Austrasie en 599 par Théodebert, elle gouvernait l’ancien royaume de Gontran sous le nom de Thierry. Animée d’un vif ressentiment contre l’aîné de ses petits-fils, elle cherchait à le détrôner, pour réunir l’Austrasie et la Bourgogne sous la même autorité. Mais, en butte aux factions fomentées par l’aristocratie, menacée par une coalition des Austrasiens, des Neustriens, des Wisigoths d’Espagne et des Lombards[96], elle sentit le besoin de se rapprocher de l’empire et de chercher un appui dans l’alliance de Byzance. Tel fut, croyons-nous, le motif de l’ambassade des leudes Burgoald et Varmaricaire auprès du pape Grégoire. Le pape répondit par deux lettres, à peu près identiques, adressées à Brunehaut et à Thierry[97]. Elles se terminaient ainsi : Nous vous louons de disposer avec sagesse le présent et de vous prémunir dans l’avenir par une paix perpétuelle entre vous et la république ; aiin que, ne faisant plus qu’un avec elle, vous puissiez consolider votre royaume et l’étendre tous les jours davantage. Quant aux conditions de celle alliance, elles firent l’objet d’un entretien secret des messagers avec le pape. Nous n’en connaissons pas les termes, non plus que de la réponse qui fut faite par la cour de Byzance à ces propositions[98]. Brunehaut profila encore de ses relations avec le pape et avec l’empereur, pour obtenir l’octroi du pallium à l’évêque d’Aulun, Syagrius. Dans cette Gaule, si morcelée, en proie aux rivalités de tant de rois de la même race, il n’était pas indifférent pour elle qu’un de ses sujets exerçât sur ses collègues des royaumes voisins la suprématie religieuse, et lui permit ainsi, sous le couvert des intérêts ecclésiastiques, de s’immiscer dans les affaires des autres princes francs. Mais alors, comme du temps de Justinien, il ne dépendait pas du pape seul de déférer au désir de Brunehaut. Il y fallait encore l’autorisation de l’empereur. La demande de la reine fut donc communiquée à Constantinople. La réponse fut favorable, comme nous l’apprend une lettre de Grégoire. Le diacre, chargé de nos affaires auprès du prince, nous assure que la volonté du prince est toute portée en votre faveur, et qu’il désire qu’il soit fait droit à votre requête[99]. Si l’on réfléchit à la rareté des documents qui nous sont parvenus du VIe et du VIIe siècle et surtout à la qualité de ces documents, on conclura que ceux que nous avons mis en œuvre suffisent à établir la continuité de rapports réguliers entre l’Occident et Byzance et la persistance des liens qui rattachaient encore la Gaule franque à l’empire. VI. — DAGOBERT ET HÉRACLIUS. La puissance de la dynastie mérovingienne atteint son apogée sous le règne de Dagobert. Le royaume franc, réuni entre les mêmes mains, s’étend des Pyrénées à la mer de Frise, de l’Océan aux forêts de la Thuringe et de la Bohême ; il avoisine le monde des Slaves qui s’agite entre l’Illyrie et le moyen Danube. Comparé pour son goût de la magnificence et aussi pour son amour des plaisirs à Salomon, Dagobert exerce une autorité redoutée des grands laïques et ecclésiastiques ; il réalise dans sa plénitude, et plus exactement qu’aucun de ses prédécesseurs, l’idéal du pouvoir monarchique, tel que Rome l’a conçu et en a légué l’exemple. A la même époque, l’empire est occupé par Héraclius, un des souverains de Byzance qui ont éprouvé, à quelques années de distance, les plus éclatantes faveurs de la fortune et ses plus cruels retours. En six campagnes héroïques, dignes des plus beaux temps de Rome, il a détruit l’empire des Perses, rasé la capitale de Chosroès, reconquis les lieux saints ; mais il s’est heurté aux Arabes, qui, dans le premier élan de leur fougueuse expansion, lui ont enlevé la Syrie et la Phénicie, et lui ont infligé les plus humiliants désastres. Quels ont été les rapports de ces deux grands princes ? L’histoire est à peu près muette sur ce point. Le chronographe Théophane, les auteurs de la Chronique Pascale, sont tellement dominés par l’importance de la guerre persique, guerre nationale et religieuse, par les craintes que donnent à l’empire les incursions des Arabes, qu’il leur reste peu d’attention pour les négociations entamées avec les souverains de l’Occident, dont les destinées ne sont jamais directement mêlées à celles de leur patrie. Nous ne citons que pour mémoire les poèmes précieux et ampoulés de Georges Pisidès, où l’histoire tient peu de place. Nous sommes à peine plus heureux avec les écrivains de l’Occident. La prospérité de la Gaule franque sous Dagobert est toute superficielle, l’éclat de sa cour tout barbare. L’appauvrissement de l’esprit, la décadence intellectuelle, qu’accusait déjà si naïvement Grégoire de Tours au siècle précédent, ne font qu’augmenter sous ses continuateurs. Ni la curiosité d’information, ni le goût de l’exactitude, ne sont les qualités qui distinguent Frédégaire. Moins sûrs encore sont les récits de l’auteur des Gesta Dagoberti, œuvre d’un moine, plus soucieux de glorifier son patron saint Denis que d’écrire fidèlement les annales du règne. C'est cependant à Frédégaire qu’il nous faut demander les rares détails que nous ayons sur les relations de Dagobert et d’Héraclius. Frédégaire a gardé la tradition ecclésiastique ; il a les yeux constamment tournés vers Byzance, qui est toujours pour lui la capitale du monde. Il connaît les exploits d’Héraclius, qu’il appelle ses miracles[100] ; il les raconte avec complaisance dans des récits où la fable tient plus de place que l’histoire. Il laisse du moins deviner quel retentissement profond eut, jusqu’à l’extrémité de l’Occident, le renom de ces merveilleuses campagnes et de la victoire des chrétiens sur les adorateurs du feu. Les combats d’Héraclius contre Chosroès furent un des thèmes familiers de la littérature et de l’art grossier de ce moyen âge arriéré. M. de Longpérier cite ce fait, qu’encore au XIIe siècle, à Limoges, on retraçait sur des chapes émaillées la lutte corps à corps de l'empereur grec contre le souverain sassanide[101]. Une présomption en faveur de relations fréquentes entre Dagobert et Héraclius se tire de la contiguïté des deux empires. Entre eux s’agitait une masse mouvante de nations barbares qui subissaient à la fois les influences franques et grecques. Telle était, dit Frédégaire, la crainte inspirée par les armes de Dagobert, que tous ces peuples venaient au-devant de son joug et lui demandaient de se mettre à leur tôle pour réduire les Avares et les Slaves, qui s’étendaient jusqu’aux frontières de la république[102] ! Héraclius devait redouter de telles entreprises et craindre pour lui-même ce dangereux voisinage, si le roi franc, à la tête de la confédération de ces nations barbares, s’avançait jusqu’au Danube. Nous surprenons l’écho de ces craintes dans un vers de Georges Pisidès. Dieu, dit-il dans l’invocation de son poème, sois pour nous un juge plus équitable que le Rhin celtique ![103] Une ambassade de Dagobert, envoyée à Constantinople, la huitième année de son règne, calma ces appréhensions. Les ambassadeurs Servatus et Paternus revinrent auprès du roi, dit Frédégaire, annonçant qu’ils avaient conclu une paix perpétuelle avec Héraclius[104]. Frédégaire mentionne une autre ambassade des Grecs en
Gaule. Héraclius, dit-il, ayant découvert, avec l’aide de l’astrologie, que l’empire
serai t détruit par les nations circoncises, députa vers Dagobert, roi des
Francs, pour qu’il ordonnât que tous les Juifs de son royaume fussent baptisés
et convertis à la foi catholique ; ce que Dagobert fit aussitôt. Héraclius
ordonna la même chose dans toutes les provinces de l’empire. Car il ignorait
d’où surgirait cette calamité contre l’empire[105]. A la même
époque, en Espagne, le roi des Wisigoths, Sisebodus, comme obéissant aux mêmes
suggestions, persécutait les Juifs avec une violence qui fut blâmée par
l’évêque de Séville, Isidore[106]. L’historien
goth ne prétend d’ailleurs, ni dans sa Chronique, ni dans son Histoire,
qu’Héraclius fût la cause de cette persécution. La coïncidence des mêmes
faits en Espagne et en Gaule autorise seule la conjecture d’un plan général
de conversion, conçu par l’empereur grec. Quoi qu’aient pensé Lecointe et Adrien de Valois, le récit de Frédégaire repose sur quelque fondement[107]. Constantin Porphyrogénète et Cédrénus nous ont conservé la prédiction de l’astrologue Etienne d’Alexandrie, qui concerne, il est vrai, plutôt les Sarrasins que les Juifs[108]. Quant au zèle des empereurs grecs pour la conversion des Juifs, il est attesté par maints passages des chroniques byzantines. Héraclius lui-même, quand il reprit Jérusalem sur les Perses et y rétablit le patriarche Zacharie, chassa de la ville sainte les Juifs, qu’il accusait d’avoir favorisé ses ennemis. Mais, à considérer même le fait comme faux et le rapport de Frédégaire comme controuvé, il n’en reste pas moins curieux que le chroniqueur franc et ses contemporains aient pu admettre comme normale l'intervention législative de l’empereur de Constantinople dans le gouvernement du royaume de Dagobert[109]. Après Dagobert et pendant près d’un siècle, l’histoire est muette sur les relations de la Gaule avec Byzance. Les documents, de plus en plus rares et de plus en plus secs, ne jettent aucune lumière sur la question qui nous a occupé. L’Orient et l’Occident semblent vivre à part l’un de l’autre, sans communication ni influence réciproque. Il faut en venir à Charles Martel et aux premiers Carolingiens pour constater la rencontre de noms francs et byzantins dans les mêmes documents. Doit-on imputer ce silence à l’insuffisance des chroniqueurs ou à l'interruption de tout commerce diplomatique entre les deux cours ? Nous pencherions pour la première hypothèse. Il se peut que les rapports aient été de moins en moins fréquents pendant la longue et misérable agonie de la dynastie mérovingienne et le règne à Constantinople de princes sans vertu et sans gloire. Mais il n’y eut jamais rupture officielle de la part des Francs, ni renonciation à aucun de ses droits, de la part de la cour de Byzance. Les chroniqueurs et les hagiographes continuent, comme par le passé, à mentionner le nom des empereurs et à dater leurs récits des années de leur règne. La tradition de l’ancien empire se soutient, obscurément entretenue à l’ombre des cloîtres par les souvenirs du clergé, jusqu’à ce que des temps plus heureux et des princes plus énergiques la fassent revivre au VIIIe siècle. Il en fut d’elle comme de ces ruisseaux qui parfois se perdent dans le sable et dans les fissures du sol, pour reparaître plus loin à la lumière ; ils cheminent mystérieusement loin des regards, mais les eaux qu’ils ramènent descendent des mêmes sources et des mêmes sommets. On peut juger de la situation de la Gaule, sous les
derniers princes mérovingiens, par le régime politique qu’accepte l’Espagne
avant l’invasion des Maures. Dans son Histoire des rois goths, Isidore
de Séville raconte les luttes soutenues par les souverains de l’Espagne
contre les postes et les garnisons romaines des côtes méditerranéennes et de
la Cantabrie, luttes incessantes, depuis le jour où Athanagild appela les
légions de Justinien contre son compétiteur Agila[110]. Les rois
Sisebotus et Suintila, ses contemporains, achevèrent l’expulsion des derniers
soldats romains ; et cependant, par une contradiction qui n’est qu’apparente,
qui ne choquait ni l’évêque ni ses lecteurs, il écrit dans l’Éloge de
l’Espagne qui forme le prologue de son Histoire : Rome,
la capitale des nations, t’a bien des fois désirée avec passion. Mais, bien
que la vertu romaine t’ait tout d’abord conquise, la nation florissante des
Goths, après des victoires multipliées remportées dans le monde entier, t’a
aimée et t’a possédée. Aujourd’hui, entre tes rois ceints de bandelettes et
les abondantes richesses, tu jouis en sécurité de la félicité de l’empire[111]. L’indépendance
de ces royaumes d’Occident restait entière, et cependant ils s’abritaient
sans répugnance sous le nom de cet empire chrétien, dont Byzance était la
capitale politique, Rome la capitale religieuse. Pour empêcher l’Occident de se détacher lentement de l’Orient et d’oublier peu à peu le passé qui le liait à Byzance ; pour que la fiction de la suzeraineté impériale ne s’évanouît pas tout à fait, il restait une ressource suprême aux empereurs. Maintenant que l’Asie était à peu près perdue pour eux et qu’après l’avoir laborieusement recouvrée sur les Perses, ils venaient de se la laisser arracher par les Arabes, ils pouvaient déserter Constantinople, qui n’était plus qu’un poste avancé de la république, et replacer le centre de l’empire à Rome, qui en avait été la première capitale. L’empereur Constant eut le sentiment de cette situation nouvelle et donna à ce projet un commencement d’exécution. Il voulut, dit Théophane, dépouiller la ville impériale de son principal ornement et restituer l’empire à l’ancienne Rome, semblable à l’homme qui dépouillerait une belle jeune fille de sa parure pour en revêtir une vieille, qui aurait l’âge de trois corneilles[112]. Mais Constant, après un long séjour en Italie, mourut assassiné en Sicile, et nul parmi ses successeurs n’essaya de renouveler cette aventureuse tentative. |
[1] Voir dans la Correspondance de Cassiodore, surtout lib. I, ep. 1 ; lib. X, ep. 32 ; lib. XI, ep. 13.
[2] Cassiodore, Variar. lib. I, ep. 1.
[3] Les Orientaux étaient très nombreux dans la Gaule mérovingienne. Lors de son entrée dans la ville d’Orléans, Gontran était harangué en trois langues : en latin, en langue franque et en syriaque. Des artisans, des médecins, allaient fréquemment d’Orient en Occident et réciproquement. Voir aussi (Grégoire de Tours, livre X, chap. XV) le procès intenté à l’abbesse Basine.
[4] Grégoire de Tours, lib. III, cap. XXXII.
[5] Grégoire de Tours, Ambassade de Secundinus, lib. III, cap. XXXIII ; Idem, Ex gloria martyrum, lib. I, cap. XXXI (Ambassade de Mummolus).
[6] T. IV, Epistolæ variorum.
[7] Adrien de Valois, Rerum Franc, lib. VIII.
[8] D. Bouquet, t. IV, ep. 14. — Dubos (Hist. crit. de la monarch. franque, liv. V, chap. I) suppose qu’il s’agit non de Thierry, mais de Clovis lui-même. Cette supposition ne soutient pas l’examen.
[9] D. Bouquet, t. IV, ep. 13.
[10]
Procope, de Bello Goth., lib. III, cap. XXXIII ; Hist. secret., cap XX.
[11] D. Bouquet, t. IV, ep. 15.
[12] Procope, de Bell. Goth., lib. I, cap. V.
[13] Procope, de Bell. Goth., lib. I, cap. XIII.
[14] Procope, de Bell. Goth., lib. I, cap. XIII.
[15] Procope, de Bell. Goth., lib. II, cap. XXV.
[16] Procope, de Bell. Goth., lib. II, cap. XXV.
[17] Procope, de Bell. Goth, lib. III, cap. XXXIII. Voir aussi Zonaras, lib. XV, cap. IV.
[18] Vita sancti Trevirii (D. Bouquet, t. III, p. 411). Justin fut consul en l’année 519 et en l’année 524.
[19] Vita sancti Trevirii (D. Bouquet, t. III, p. 411. Voir aussi, p. 412).
[20]
Procope, de Bell. Goth., lib. IV, cap. XXIV.
[21] Agathias, Histor., lib. I, cap. IV. On lit en effet en titre des édits de Justinien : In nomine Dei et Patris et unigeniti ipsius Filii Jesu Christi, Domini nostri, et Spiritus Sancti, Imperator, Cæsar, Christi amans, Justinianus, Alamannicus, Gothicus, Francicus, Germanicus, Anticus, Alanicus, Vandalicus, Africanus, pius, felix, inclytus, victor, triumphator. A ces titres, dans d’autres édits, s’ajoutent ceux de Longobardicus et de Gepidicus.
[22] Hieroclis grammatici Synecdemus (coll. Migne, Patrol. Græca, t. CXIII, p. 155).
[23] Agathias, Histor., lib. I, cap. IV.
[24] Procope, de Bell. Goth., lib. IV, cap. XXIV.
[25] Procope, de Bell. Goth., lib. IV, cap. XXXIV ; Agathias, Hist., lib. I, cap. XX.
[26] Agathias, Hist., lib. II.
[27] Procope, de Bell. Goth., lib. III, cap. XXXIII.
[28] Ch. Lenormant, Lettres à M. de Saulcy (Revue numismatique, 1848-1854) ; Fr. Lenormant, La monnaie dans l’antiquité, t. II, p. 390 et suiv.
[29] Procope, de Bell. Goth., lib. III, cap. XXXIII.
[30] Procope, de Bell. Goth., lib. I, cap. XIII.
[31] Voir Fr. Lenormant, Histoire de la monnaie dans l’antiquité, t. II.
[32] Suétone, Octav. Aug., cap. VII.
[33] Cod. Theodos., lib. IX, tit. 23.
[34] Cassiodore, Variar., lib. VII, 32 (formula qua moneta committitur).
[35] Fr. Lenormant, La monnaie dans l’antiquité, t. II, p. 389.
[36] Zonaras, Hist., lib. XIV, cap. XXII. Ces monnaies nouvelles d’Abdel Mélik sont peut-être les pièces bilingues signalées par de Saulcy (Essai de classification des séries byzantines, p. 127).
[37] Lettre de M. Senkler à M. Duchalais (Revue numismatique, 1848, t. XIII).
[38] Le premier nom est au droit, le second au revers : disposition à tout le moins singulière. Un numismate distingué, M. Cartier, a soutenu qu’il s’agissait de Childebert II, et que Chramnus était le nom du monétaire. (Annales archéologiques, 1848.)
[39] Lettres de Ch. Lenormand à M. de Saulcy (Revue numismatique, 1853).
[40] Vigilius papa ad Auxanium, ep. VI (Coll. Migne, Patrologie latine, t. LXIX).
[41] Vigilius papa ad Auxanium, ep. VII. Voir aussi la lettre 10 à Aurelianus, successeur d’Auxanius.
[42]
Epist. Vigili papae
ad Auxanium (D.
Bouquet, t. IV, p. 61). — Epist. Vigili ad Aurelianum (ibid.).
[43] Ep. Vigili ad Aurelianum, ep. XXV.
[44] Epist. Pelagii papae ad Childebertum regem. (D. Bouquet, t. IV, p. 71.) Voir aussi p. 74.
[45] D. Bouquet, t. IV, p. 78.
[46] Il succéda à Tibère au mois d’août 382.
[47] Fréret (t. XXI de l’Hist. de l’Acad. des inscr.) place le départ de Gondowald aux derniers mois de l’année 382.
[48] Grégoire de Tours, lib. VI, cap. XXIV, et lib. VII, cap. XXXVI.
[49] Grégoire de Tours, lib. VII, cap. XXXVI. Il y a une erreur dans ce récit de Gondowald. Lors de l’ambassade de Boson, Chilpéric n’était pas mort. Mais il ne vivait plus au moment du siège de Comminges, ce qui explique cette confusion dans la bouche de Gondowald.
[50] Grégoire de Tours, lib. VI, cap. XXVI.
[51] Grégoire de Tours, lib. VI, cap. XLVI.
[52] Grégoire de Tours, lib. VU, cap. XXXVI.
[53] Ch. Robert, De la prétendue restauration du pouvoir de l’empereur Maurice dans la Province (Mém. de l’Acad. des inscr., t. XXX, 2e partie). Lire en réponse les deux mémoires de M. Deloche, sur le même sujet, dans le même volume.
[54] Bonamy, Mém. de l’Acad. des inscr., t. XX, ancienne série. — Ch. Lenormant, Lettre à M. de Saulcy (Revue numismatique, 1854, p. 305).
[55] Grégoire de Tours, lib. VI, cap. XXXIV.
[56] Grégoire de Tours, lib. VI, cap. XXIV.
[57] Grégoire de Tours, lib. VI, cap. XXIV.
[58] Grégoire de Tours, lib. VIII, cap. II.
[59] Ancienne série, t. XX.
[60] Ch. Lenormant, Lettre à M. de Saulcy (Revue numismatique, 1854). — Fr. Lenormant, Histoire de la monnaie dans l’antiquité, t. II. — M. de Saulcy, Essai de classification des suites monétaires byzantines : Cette explication, dit ce savant très prudent, paraît réunir de très grandes probabilités, et j’ai pensé ne pouvoir mieux faire que de l’adopter. — Deloche, Mém. de l’Acad. des inscr., t. XXX (deux mémoires sur le monnayage en Gaule).
[61] Grégoire de Tours, lib. IV, cap. XXXIX.
[62] Frédégaire, Chron., cap. VIII. Le fait se rapporte à l’année 581.
[63] Parmi les monnaies mérovingiennes, on peut citer beaucoup d’exemples de l’S renversé. Voir le mémoire de M. Deloche intitulé : Sur la transformation du C guttural latin en une sifflante. (Mém. de l’Acad. des inscr., t. XXX, 2e partie, p. 374.)
[64] Grégoire de Tours, lib. VI, cap. III.
[65] Grégoire de Tours, lib. VI, cap. XI.
[66] Grégoire de Tours, lib. VI, cap. XI.
[67] Grégoire de Tours, lib. VII, cap. XXXIII, XXXIV et XXXVI.
[68] Grégoire de Tours, lib. VI, cap. XXIV.
[69] Grégoire de Tours, lib. VII, cap. XII et XIII.
[70] Grégoire de Tours, lib. VI, cap. XXVI.
[71]
Grégoire de Tours, lib. VI, cap. XXXI ; lib. VII, cap. VI, VII, XIV.
[72] Grégoire de Tours, lib. VII, cap. XXXIII.
[73] Grégoire de Tours, lib. VI, cap. XLII.
[74] Il n’avait, dit Grégoire de Tours, qu’un lustre à la mort de son père Sigebert en 575.
[75] Grégoire de Tours, lib. VII, cap. XXXIII.
[76] Grégoire de Tours, lib. VII, cap. XXXIV.
[77] Grégoire de Tours, lib. IX, cap. XXVIII.
[78] Grégoire de Tours, lib. IX, cap. XXXII.
[79] Grégoire de Tours, lib. VI, cap. XLII ; Paulus Diacon., Hist. Lonqobard., lib. III, cap. XVII ; Chronic. Johannis Biclariensis, ad ann. 584.
[80] D. Bouquet, Script.., t. IV, ep. 49. On lit dans une lettre de Childebert à Théodose, fils de Maurice (ibid., p. 89) ; Et quia ad serenissimum atque piissimum patrem nostrum, genitorem vestrum, Mauricium. Dans ses lettres à Childebert, le pape Pelage appelle toujours l’empereur : pater vester.
[81] Grégoire de Tours, lib. VI, cap. XLIII, 6.
[82] Grégoire de Tours, lib. VI, cap. XLIII, 6. Paul Diacon., Hist. Long., lib. III, cap. XVII.
[83] Grégoire de Tours, lib. VIII, cap. XVIII ; Paulus Diacon., lib. III, cap. XXII ; Chronic. Johan. Bidariensis, ad ann. 686.
[84] D. Bouquet, t. IV, p. 86.
[85] D. Bouquet, t. IV, p. 88 ; voir la lettre de l’exarque à Childebert.
[86] Grégoire de Tours, lib. IX, cap. XXV ; Paulus Diacon., lib. III, cap. XXIX.
[87] Voici la suscription de cette lettre : In nomino D. J. Ch., imperator, Caesar, Flavius, Mauricius, Tiberius, fidelis in Christo, mansuetus, maximus, beneficus, pacificus, Alamannicus, Gothicus, Anticus, Alanicus, Vandalicus, Erulicus, Gepidicus, Africanus, pius, felix, inclytus, victor ac triumphator, semper Augustus, Childeberto, viro glorioso, régi Francorum.
[88] Grégoire de Tours, lib. X, cap. II à IV ; Paulus Diacon., lib. III, cap. XXXI.
[89] Paul. Diacon., lib. IV, cap. I.
[90] Voir, sur ces événements, Grégoire de Tours, généralement mieux informé des événements d’Espagne que de ceux d'Italie, et Isidore de Séville, Chronique et Histoire des rois goths.
[91] Voir, dans D. Bouquet, t. IV, la lettre touchante adressée par Brunehaut à son petit-fils.
[92] Voir toutes ces lettres dans D. Bouquet, t. IV, p. 82-89.
[93] On y remarque des expressions comme celles-ci : Childebert à Maurice : Et quoniam seniores parentes nostri, Francorum reges, cum tranquillissimo Romanæ reipublicæ principe caritatis studia deliberaverunt excolere, ideo nos magis elegimus ampliare.
[94] Gregor. Magn., Epistolæ, lib. IX, ep. CXXII, ad Reccaredum.
[95] Gregor. Magn., Epistolæ, lib. XIII, ep. XLVII. La mission confiée au défenseur Jean, pour juger la cause des évêques Januarius et Stéphanus. La sentence est ainsi libellée : In nomine Domini, imperatore illo, ilia die, ilia indictione.
[96] Sur cette coalition, dans laquelle entrèrent Wilterich, Agilulf, Clotaire II et Théodebert II, voir Frédégaire, chap. XXXI.
[97] Greg. Magn., Epistolæ, lib.
XIII, ep. VI et VII (ad ann. 602).
[98] Greg. Magn., Epistolæ, lib. XIII, ep. VI et VII (ad ann. 602). Peut-être faut-il rattacher à ces négociations le passage de l’historien grec Théophylacte Simocatta (lib. VI, cap. III), qui mentionne une ambassade franque à Maurice, lui proposant de faire en commun la guerre aux Avares. Le chroniqueur byzantin dit qu’elle fut envoyée par Thierry. Il doit confondre avec son frère Théodebert II, qui, comme roi d’Austrasie, se trouvait en contact avec les Avares.
[99] Greg. Magn., lib. IX, ep. XI.
[100] Frédégaire, Chron., cap. LXII et seq.
[101] De Longpérier, Revue archéologique, ann. 1849 : De l’introduction des noms perses dans l’Occident.
[102] Frédégaire, Chron., cap. LVII.
[103] Acroasis, I, vers 41.
[104] Frédégaire, Chron., cap. LXII.
[105] Frédégaire, Chron., cap. LXV ; Gesta Dagoberti, cap. XXIV.
[106] Isidore de Séville, Histor. de regibus Gothorum, cap. LX. Idem, Chronic., cap. CXX. Voir aussi le 4e concile de Tolède.
[107] Cointius, Annal, ecclesiast., ad ann. 629 ; Adrian. Vales., Gesta Francorum, lib. XIX.
[108] Const. Porphyrog., de Administrat. Imperii, cap. XVI ; Cédrénus, Ad ann. Heraclii.
[109] Remarquer qu’Héraclius, dans ses Edits, prend les titres de : Francicus, Alamannicus, Germanicus, Gothicus, bien qu’il nait fait la guerre à aucune de ces nations. Il les comptait donc parmi les vassales de l’empire.
[110] Isidore de Séville, Hist. de regibus Gothorum, cap. LVIII à LXII.
[111] Felicitas imperii est une expression officielle, consacrée par l’usage pour exprimer le patronage de l’empire.
[112] Théophane, Chronograph., § 289, édit. Migne ; Constantinus Manass., Compendium (vers 3836-3842).