Dernière des barbares. — Empire grec Hongrie, Bulgarie, Servie, Bosnie attaqués les Turcs ottomans. — Prise de C. P. par les Turcs. — Fin du moyen âge.I L'empire grec d'Orient, tel que Théodose le transmit à son fila aîné Arcadius, avec ses deux préfectures, ses diocèses et ses provinces nombreuses, avait pour limites, au nord, le Danube et le Pont Euxin ; à l'ouest, le Drin Blanc, un des affluents du Danube, la Dalmatie, et la mer Ionienne ; à l'est l'Euphrate et la grande Arménie au midi, la Libye intérieure et l'Éthiopie. Michel Paléologue n'avait reconquis en 1261 qu'une faible partie de cette vaste domination. L'Égypte et la Syrie appartenaient aux mameluks ; l'empire de Trébizonde demeurait indépendant au sud du Pont-Euxin, la sultanie d'Iconium soumise aux Mongols, couvrait la plus grande partie de l'Asie Mineure, l'empire ne possédait plus en Asie que la Paphlagonie, la Mysie, la Bithynie, la grande Phrygie, la Carie, et une partie de la Cilicie[1]. En Europe, le nouveau royaume des Bulgares appelé Valaque-Cuman, Blaquie ou Bougrie, fondé sous Isaac l'Ange, était borné au nord par le Danube, au midi par les gorges de l'Hémus ; il avait pour villes principales Sophia, Trinobum, Varna, La Servie, fondée au temps d'Héraclius par les Sorabes, s'étendait depuis la Bulgarie, le Danube et la Save, le long du Drin Blanc, jusqu'à Durazzo. Les principautés fondées au centre ou au midi de la Grèce par la quatrième croisade subsistaient encore, surtout celles d'Épire et d'Achaïe ; le nouvel empereur n'avait repris que les côtes sud-est du Péloponnèse. En dehors de l'ancien territoire de l'empire, la Bosnie, État slave séparée de la Servie par le Drin Blanc, et traversée par la Bosna, qui lui donne son nom, avait un krale particulier souvent menacé par ses voisins ; la Dalmatie et la Croatie, sur la mer Adriatique, étaient un sujet de contestation entre les Hongrois et Venise ; l'Esclavonie, au nord de la Croatie et de la Bosnie, enfermée entre la Save et la Drave, faisait partie du royaume de Hongrie. Au nord de tous ces peuples, la Hongrie proprement dite, bornée à l'ouest par l'Autriche et la Styrie, avait pour limites, au midi, la Drave et le Danube ; sa dernière province, nommée Transylvanie[2], était terminée à l'est par la rivière d'Aluta. De l'autre côté de l'Aluta, la Valachie, soumise à la suprématie hongroise depuis 1236, était séparée des Bulgares, au midi par le Danube, et des Cumans à l'est, par le Sereth : ses habitants prenaient le nom de Roumanie, pour exprimer leur descendance des anciens Romains[3] ; enfin, de l'autre côté du Sereth et de la Moldavie, sur la pointe N.-O. du Pont-Euxin, la Moldavie, longtemps assujettie aux Cumans, et sur laquelle les rois de Hongrie prétendaient régner comme héritiers du roi Kuthan, chassé en 1235 par les Mongols[4]. La dernière invasion qui soit venue de l'Asie, celle des Turcs ottomans, réunit, aux XIVe et XVe siècles les histoires diverses de toutes ces nations par la communauté du danger. Tout ce qui a été grec même la Bulgarie et la Servie, succombe d'abord ; la Bosnie et la Valachie résistent plus longtemps ; la Hongrie et ses autres provinces ne peuvent être entamées, malgré les attaques fréquentes des sultans. Michel Paléologue avait compris dès le premier jour combien il lui était imprudent de se faire empereur. Son pupille aveuglé (v. ch. XIX, § IV) souleva d'abord contre lui les montagnards de Nicée, et Arsène, le patriarche. Celui-ci, dans sa colère, se frappait la poitrine, se lamentait au ciel et à la terre, appelait les éléments à la vengeance s'arrachait la barbe, se meurtrissait les genoux contre la pierre, en s'écriant : Soleil, frémis, terre, pousse des gémissements, déteste ce crime atroce, ces embûches, cette impitoyable férocité ! Il excommunia l'empereur et tous ses complices[5] : le poursuivit pendant cinq ans d'une obstination inébranlable, et se laissa déposer plutôt que d'accorder l'absolution. Ce fut Joseph, élu par la violence à sa place, qui retira l'anathème. Les ennemis extérieurs de Michel n'étaient pas moins redoutables ; sa conquête et sa résidence à Constantinople portaient un audacieux défi à tous ces Latins qui s'étaient partagé l'empire grec sous la suprématie d'Innocent III. Les Vénitiens, en particulier, ne pouvaient perdre volontairement leur quart et demi de l'empire. Afin de leur opposer des rivaux utiles à. lui-même l'empereur livra aux Gênois le faubourg de Péra démantelé, et souleva entre les deux puissances maritimes une guerre qui pouvait au moins détourner les Vénitiens de la lutte contre les Grecs. Le pape Urbain IV, en réclamant contre cette alliance, et en excommuniant les Gênois, avertit Michel Paléologue d'un danger tout à la fois et d'un moyen d'affranchissement. La réunion à l'Église romaine était bien capable de satisfaire l'Occident, et peut-être de l'intéresser aux dangers de l'empire. D'ailleurs, Charles d' Anjou, qui devint roi de Sicile dans ce temps-là, acquit (1267), par un traité avec l'ancien empereur Baudouin. II, des droits au trône de Constantinople pour sa mie Béatrix, et par réversion pour lui-même. Le chef de l'Église pouvait donc retenir Charles, son vassal, ou le lancer contre l'empire grec, selon qu'il aurait à se louer ou à se plaindre de l'empereur[6]. Michel proposa la réunion au pape Grégoire X, malgré la résistance des évêques d'Orient. Il ne dissimula pas qu'il cherchait en cela une garantie d'existence quand il vit que l'obstination grecque rie pouvait être vaincue, il déclara qu'en reprenant Constantinople par force, il était devenu le propriétaire de toutes les maisons, qu'il ferait grâce du loyer à tous ceux qui seraient dociles, mais qu'il le ferait payer aux récalcitrants. Quelques-uns adhérèrent par impuissance de payer ; d'autres s'exilèrent ; d'autres furent châtiés par l'autorité impériale ; la masse du peuple résista aux supplices. Joseph, le patriarche intrus, jura, dans une lettre pastorale, qu'il ne consentirait jamais ; Arsène, le patriarche déposé, lança une nouvelle excommunication contre l'empereur et le livra à Satan. L'empereur n'avait pas moins traité avec Grégoire X, ses envoyés avaient répété trois fois en grec que le Saint-Esprit procède du père et du fils : et le grand logothète, abjurant le schisme au nom de son maitre, avait accepté ces trois conditions : Le pape sera nommé dans les prières, les appels seront permis en cour de Borne, la primauté du pape sera partout reconnue. Mais à peine dans Constantinople le nom du pape eut prononcé à la messe avec la qualification d'évêque œcuménique, que le patriarche Joseph, et les prélats et les moines, et les familles, et le peuple rassemblé, recommencèrent les séditions. L'empereur donna le titre de patriarche à Veccus, dont il attendait la pacification des esprits ; il ne put attirer à l'obéissance que ses courtisans et quelques prêtres de bonne foi. Quelque temps après, le pape Nicolas III, qui soupçonnait la fidélité grecque, envoya des légats pour recevoir de tous les prêtres de l'empire une profession de foi et le serment de l'observer toujours. L'empereur ne savait plus comment s'y prendre : il craignait que Nicolas, mécontent, ne permit enfin l'expédition de Charles d'Anjou, et il ne pouvait amener son clergé à une profession de foi régulière. Il chercha donc a tromper les nonces du pape ; il conseilla au clergé de s'en tirer par de belles paroles, et obtint un acte ou des phrases ambiguës, ruinées de passages de l'Écriture, paraissaient ressembler au symbole catholique ; il promena les nonces dans les prisons, leur fit voir et leur compta tous ceux qu'il avait enfermés pour résistance, et il envoya à Nicolas III les deux plus opiniâtres, les abandonnant à la vengeance. Le pape les renvoya, en recommandant l'indulgence à l'empereur, et garda ses soupçons. Michel Paléologue, toujours tremblant, ne se lassait pas d'exhorter les esprits à la réunion ; on ne se lassait pas non plus de disputer contre l'Église romaine. Le pape Martin IV se décida enfin à excommunier l'empereur et ses adhérents, comme imposteurs ; l'empereur défendit de nommer le pape dans les prières publiques (1281). Ces agitations intérieures avaient laissé peu de temps à
Michel Paléologue contre ses ennemis d'Europe et d'Asie. Il n'avait pu
dépouiller les princes d'Épire, et il mourut au moment de les combattre lui-même
eu Thessalie (1282). Les Grecs ne
vendaient pas se réunir à l'Église romaine ; Andronic II, fils et successeur
de Michel, tempéra les flots soulevés en mesurant
tout à la volonté des évêques. Il mit tous ses soins à réformer l'Église et à
l'apaiser — car pendant la vie de son père il avait dissimulé ses
vrais sentiments — ; il envoya de toutes parts des
édits impériaux pour rappeler ceux que leur amour de l'Église avait
fait bannir. Il destitua le patriarche Veccus, et le remplaça par le moine
Athanase ; il le chassa de leurs sièges avec déshonneur tous ceux qui
avaient communiqué avec son père et avec le dernier patriarche[7]. Il faisait tout
cela, dit Phranzes, par intelligence et par prévoyance de l'avenir ;
singulière prévoyance, qui ne voulait pas reconnaître dans le schisme la
cause éternelle de Fa-version des Occidentaux, ou qui peut-être préférait
déjà les Turcs aux Latins et le Coran au pape. Le massacre des Vêpres
siciliennes retenait pour le moment en Italie les princes d'Anjou.
Constantin, frère de l'empereur, ayant été convaincu de conspiration, fut
enfermé dans une cage de fer, et Andronic se crut affermi par cette vengeance
; niais il ne tarda pas d'avoir à craindre les mouvements des Turcs d'Asie. Une confusion fort obscure couvre, dans les récits des historiens, les dernières années des sultans d'Iconium ; mais que ces princes seldjoucides aient péri sous les coups des Mongols, leurs maîtres, ou sous les ambitions partielles de leurs émirs, il est certain que, pendant le règne d'Andronic II, plusieurs chefs de tribus se disputant l'Asie Mineure démembrèrent la sultanie d'Iconium, et attentèrent aux possessions grecques : l'un prit Éphèse et la Carie ; un autre, la Lydie jusqu'à Smyrne ; un troisième, la Magnésie jusqu'à Pergame. Les deux plus importants étaient Caraman, qui obtint les côtes méridionales, auxquelles il a laissé le nom de Caramanie, et Osman, ou Othman, fils d'Ertogrul, qui occupa la Bithynie et la Paphlagonie. Ertogrul, admis au service d'un sultan seldjoucide, avait montré son audace en ravageant les îles de la mer Égée, le Péloponnèse, l'Attique et les côtes de la Thrace[8]. Si l'on en croit les Turcs, il avait été averti par un songe de la grandeur de sa postérité. La lune, l'astre de Mahomet, le drapeau des Turcs, s'approchant de lui pendant qu'il dormait, l'avait pénétré de sa lumière, et fait sortir de son corps un arbre à la racine solide, aux rameaux d'or, qui s'allongeaient pour couvrir le monde, et qui portaient sous leurs feuilles, parmi d'innombrables oiseaux, des aigles grands et petits ; un vent violent, les éclaira, le tonnerre frappaient la racine sans l'ébranler, et d'autres aigles, battus par la tempête venaient à leur tour chercher asile sous l'ombrage[9] : les uns perdaient leurs ongles, d'autres leurs ailes, et ne pouvaient plus voler ; d'autres tombaient morts. Cet arbre était l'image d'Othman, fils d'Ertogrul, le véritable fondateur du peuple et de la domination des Osmandis ou Ottomans. Ce nouveau conquérant traversa l'Hellespont, et sa présence formidable dans le Chersonèse en éloigna les habitants, et empêcha la culture des terres pendant dix mois. Andronic lui opposa inutilement les Alains ; il accepta ensuite avec empressement le secours du Latin Roger de Flor, et de ses Catalans Almogavares (1303) : c'était une compagnie d'aventuriers mercenaires, qui avaient combattu en Italie, et qui venaient chercher un allié et une solde pour combattre encore. Ils portaient un réseau de fer sur la tête, un petit bouclier, une épée et quelques javelots. Au moment d'engager le combat, ils frappaient la terre de l'épée en criant : Fer, réveille-toi. Arrivés à Constantinople, ils massacrèrent plusieurs Gênois qui avaient osé rire de leurs figures et de leur costume ; puis, leur chef ayant reçu une femme de la famille impériale et le titre de grand-duc, ils passèrent dans l'Asie. Leur première campagne confondit les espérances des Turcs : ils tuèrent, près de Cyzique, trois mille cavaliers et dix mille fantassins ; Philadelphie de Lydie délivrée d'un siège, une brillante victoire près du mont Taurus, toute l'Asie Mineure ou Natolie parcourue sans résistance, enfin l'arrivée d'un autre aventurier, Bérenger d'Entença (1306), et la bonne intelligence qui s'établit entre lui et Roger de Flor, auraient sans doute sauvé l'empire, si les Grecs avaient pu renoncer à la perfidie, et recevoir franchement, sans dépit et sans inquiétude, les secours de l'Occident. Andronic, pour première récompense, donna aux Catalans une monnaie fausse ; Michel, son fils, attira Roger à un festin, et l'y fit poignarder[10] : ce crime réveillant chez les aventuriers toute la colère de leur nature, ils devinrent terribles à leurs alliés, et massacrèrent les habitants de Gallipoli. Renonçant aussitôt à l'alliance de l'empire, Bérenger d'Entença renvoya à l'empereur les insignes qu'il en avait reçus, et s'enferma dans Gallipoli pour soutenir un siège. Après avoir ravagé les côtes de la Propontide, il tenta d'incendier les vaisseaux grecs dans le port de Constantinople. Sa défaite par les Gênois, et sa captivité, ne découragèrent pas les siens : ils se donnèrent pour chef Bérenger de Roccafort, et lui adjoignirent un conseil de douze membres ; ils prirent pour eux-mêmes le titre d'armée des Francs régnant en Thrace et en Macédoine, et au nombre de quatorze cent soixante, ils détruisirent trente-six mille Grecs (1307) ; ils surprirent une nouvelle armée, dont le nombre devait les accabler dans Gallipoli, et par l'extermination de vingt-cinq mille impériaux, ils restèrent maîtres de toute la Thrace. Pendant cinq années encore (1307-1312), ils tinrent Constantinople en échec. Avec les renforts de l'Aragonais Ximenez d'Arenos, ils pillèrent les villages voisins de la capitale, et firent prisonnier le Gênois Spinola. Avec les secours d'un prince turc de Natolie, que ces troubles agrandissaient aux dépens de l'empire, ils dévastèrent si bien la Thrace, que n'y pouvant plus vivre eux-mêmes, ils allèrent chercher la terre vierge de Macédoine. La division commençait à les troubler : Bérenger d'Entença, revenu, périt sous les coups de Roccafort ; Arenos passa au service de l'empire ; mais Charles de Valois, frère de Philippe le Bel, qui prétendait au trône de Constantinople par les droits de sa femme, Catherine de Courtenay, offrit son alliance à tous ceux qui combattraient Andronic. Roccafort accepta et prit Cassandrie. Il fallut une perfidie de l'envoyé français pour sauver l'empire. Roccafort et son frère, arrêtés et conduits à Naples y moururent de faim ; les Catalans, désormais sans chef, échouèrent devant Thessalonique, et se replièrent sur la Thessalie ; ils vinrent combattre pour Gautier de Brienne, duc d'Athènes, et disposèrent plusieurs fois de cette principauté. Ils disparaissent alors de l'histoire, mais il resta un long souvenir de leurs violences, et ce proverbe grec : Que la vengeance des Catalans te poursuive ! Othman avait profité de la liberté que lui faisaient les Catalans de s'agrandir. C'est en ce temps qu'il s'empara d'Iconium sur les Mongols. Il n'avait pu empêcher les hospitaliers de Saint-Jean de s'établir à Rhodes, et il avait été repoussé (1315) par le grand maître français Foulques de Villaret. Les misères intérieures des Paléologues le relevèrent bientôt de cet échec : Andronic II se fit l'ennemi de son petit-fils Andronic le Jeune, qui devait lui succéder (1320), et rencontra parmi les adversaires de son projet le martre de la chambre sacrée, Jean Cantacuzène, courtisan adroit, qui a pris soin de justifier lui-même, dans une longue histoire, ses menées, sa faveur, et enfin sou usurpation- Cantacuzène, qui autrefois avait reconnu par serment, avec les autres officiers, les droits du jeune Andronic, se rejeta sur ce serment, et refusa devant l'empereur d'accepter un autre héritier : pendant une guerre civile de cinq années (1320-1326), il fut l'assidu conseiller du jeune prince ; il le vit enfin proclamé une seconde fois par son grand-père, et couronné d'avance[11]. Cette agitation domestique avait permis à Othman de conquérir a l'aise, et d'assiéger Pruse ; le sultan, par un enceinte de terrasses et de fossés, ferma toute issue aux habitants, et les réduisit par la défaite des chrétiens des environs, qui essayaient de les secourir. Il y établit son siège, et Pruse, sous le nom de Bursa, devint la capitale de l'empire ottoman, ou, comme disaient les Turcs, de la Porte d'Osman (1326). Les Grecs n'en furent point assez effrayés pour déposer leurs haines civiles. Le vieux Andronic augmenta les partisans de son petit-fils, en essayant de l'armer par fraude, et il appela Orkhan lui-même, fils et successeur d'Othman, à son secours. Le jeune Andronic battit les Turcs près de Selimbrie ; mais tandis qu'il s'emparait d'Edesse, et occupait Constantinople par une trahison (1328), Orkhan attaquait en Asie les autres Turcs, soumettait la Mysie, la Lycaonie, la Phrygie, la Carie, et s'étendait jusqu'au fleuve Eurymédon. Andronic le Jeune parut apaiser les dissensions grecques : il traita bien son grand-père vaincu ; il lui laissa un revenu considérable et un appartement dans le palais ; il annonça ensuite qu'il châtierait Orkhan pour avoir pris Nicomédie. Il vint livrer une bataille près de Philocrène, et la gagna ; mais il fut blessé au pied, et reprit, avec ses troupes, déjà lasses, le chemin de C. P. Orkhan, maitre du terrain, assiégea Nicée, la dernière ville grecque en Bithynie, prit pour les siens une partie des églises, construisit des mosquées, une école, et un hôpital où se préparait chaque jour la nourriture des indigents[12]. On ne peut refuser à Andronic III une certaine activité. Cantacuzène l'animait sans relâche de ses conseils, et lui défendait le découragement. Le favori refusa une fois l'empire, que l'empereur malade voulait lui abandonner, et que les courtisans le pressaient d'accepter : il lui plaisait peut-être davantage de se faire désirer, et de justifier d'avance, par de grands services, son élévation. Une armée de Turcs, envoyée par Orkhan, fut battue et prise à Trajanopolis (1330) ; le roi des Bulgares, Alexandre, fut puni de ses tentatives de conquêtes (1331), et obligé, malgré ses perfidies, de rendre la ville d'Anchiale. La principauté d'Épire fut reconquise. En 1337, Andronic et Cantacuzène chassèrent trente-six vaisseaux turcs qui approchaient de C. P. Enfin, si l'empereur ne pouvait dompter, dans Péra l'avidité insolente de la nation gênoise, qui se fortifiait pour régner à côté des Grecs ses protégés, il dépouillait hardiment deux seigneurs gênois qui avaient occupé Chio et Phocée. Ce qui nuisit aux succès Andronic III, ce qui le priva des secours de l'Occident, ce furent encore ces chicanes théologiques auxquelles les Grecs ne renonçaient pas. Ils essayaient de soustraire l'île de Candie à l'obédience du pape, tandis que Jean XII, et après lui Benoît XII, s'efforçaient d'armer une croisade contre les Turcs. Andronic III, après avoir lui-même demandé la réunion par l'entremise du moine Barlaam, refusa d'admettre le dogme de la procession du Saint-Esprit, s'il n'était pas discuté de nouveau dans un concile ; il se mêla à la querelle stupide des Ompholopsiques, ou des moines de l'Athos, qui, retirés dans leurs cellules, la tête inclinée sur l'estomac, méditaient en retenant leur haleine, et croyaient voir sortir de leur nombril la lumière incréée qui avait entouré le Sauveur sur le Thabor. Barlaam avait combattu le schisme des Grecs, et cette doctrine de la lumière incréée. Andronic prit parti contre les moines, malgré Cantacuzène ; il assembla un concile à Sainte-Sophie ; mais ne put empêcher la condamnation de Barlaam. L'agitation furieuse de l'assemblée le fatigua ; la longueur du discours qu'il y prononça lui donna une fièvre violente, dont il mourut quelques jours après (1341), laissant un fils de neuf ans, Jean Paléologue ou Calojean[13]. Une autre habileté consolidait le nouvel empire des Ottomans. Orkhan, assisté de son frère Alaeddin, imposa d'abord aux siens de nouveaux usages, pour les distinguer du reste des Orienta/ d ; il leur donna des bonnets ronds de feutre blanc, qui devaient, aux jours de fête, se parer d'un turban de mousseline blanche ; il frappa ensuite une monnaie à son nom, et rejeta, comme un dernier souvenir de l'ancienne dépendance, la monnaie jusque-là courante d'Iconium. Sa plus importante institution fut l'organisation de l'armée et la création des janissaires. A la cavalerie des akendji (coureurs), la seule troupe employée par Ertogrul et Othman, il commença par ajouter une infanterie soldée, sous le nom de piade. Lorsque cette troupe lui eut déplu par son insolence, il consulta le juge de l'armée Kalid-Djendéréli, et il apprit de cet homme terrible à former une milice qui, abjurant sa patrie, sa famille, sa religion, n'eût désormais pour religion, pour famille, et pour patrie, que la volonté de son chef, et l'obéissance passive. Il fut donc ordonné aux officiers du sultan de parcourir tous les cinq ans les provinces de l'empire, chrétiennes ou musulmanes, et d'y choisir les enfants les plus beaux et les plus robustes. On forma de cette façon les jeni tcheri, ou nouvelle troupe, d'où est venu le nom de janissaires ; le nombre en fut porté à quarante mille. Après qu'une éducation d'esclave, dès leur enfance, avait asservi et dégradé leur esprit et leur cœur, il n'était plus besoin, pour les retenir dans une fidélité invincible, que de soigner un peu leur corps ; la soupe leur fut offerte comme leur plus digne récompense et leur plus grand honneur : le commandant d'un régiment s'appelait l'inspecteur de la soupe (tchor badji) ; chefs de cuisine, porteurs d'eau, étaient les titres des officiers supérieurs ; le chaudron du régiment était un meuble sacré, et paraissait présider le conseil qui s'assemblait autour de lui. A l'ancienne cavalerie, Orkhan ajouta une cavalerie régulière, divisée en quatre corps dont l'un est connu sous le nom de sipahi ; à côté des janissaires, il conserva une infanterie irrégulière sous le nom d'asab, et les piade, qui reçurent des terres pour solde, à la condition d'entretenir les routes militaires, et de remplir l'office de pionniers. Ces termes ressemblent aux fiefs des États féodaux par l'hérédité ; elles en diffèrent par cette loi que le fils ne pouvait conserver qu'une partie de la propriété de son père[14]. Ce fut la rivalité de Jean Paléologue et de Cantacuzène qui livra définitivement l'empire grec à l'influence des Turcs, et leur permit de fonder un établissement en Europe. Cantacuzène avoue lui-même que la guerre civile, qui éclata après la mort d'Andronic le Jeune, fut la plus pernicieuse de toutes les guerres civiles des Romains, qu'elle épuisa l'empire, autrefois heureux et florissant, et ne lui laissa qu'une ombre de son ancienne splendeur[15]. Cantacuzène obtint la tutelle de Jean Paléologue par une grande activité, avertissant les gouverneurs des provinces de demeurer dans le devoir s'ils voulaient recevoir le prix de leurs services, les menaçant du châtiment s'ils prévariquaient, et faisant savoir aux questeurs qu'ils auraient à rendre leurs comptes comme si l'empereur était vivant : il écrivit ainsi en trente jours plus de cinq cents lettres qu'il compte avec soin dans son histoire. Il refusa ensuite l'administration, sous prétexte que le patriarche la lui enviait, et, pour la reprendre, il ne céda qu'aux doléances de l'impératrice-mère, et au serment qu'elle lui donna de ne pas croire à ses calomniateurs ; il fit si bien dans toute sa conduite, comme, plus tard dans son livre, qu'il est difficile de prouver son ambition ; on ne peut affirmer non plus qu'il se soit lui-même fait proclamer empereur ; et quand il en aurait inspiré l'idée à ses soldats, il serait encore permis d'en trouver l'excuse dans la haine de ses ennemis. Après avoir, par de grands préparatifs, forcé à la soumission et au tribut les Latins du Péloponnèse[16], il était revenu à C. P. pour confondre ses adversaires, le patriarche Jean d'Apri, et le chambellan Apocauque. Sorti une seconde fois de la ville pour préparer une expédition contre les Latins du midi et contre le krâle de Servie, qui ravageait la Macédoine, Cantacuzène apprit qu'il avait maintenant pour ennemie l'impératrice, entraînée par Apocausue, que sa mère et sa famille étaient gardées à vue dans leur maison, et que malgré le peuple, qui refusait de la piller, il était lui-même déclaré ennemi public[17]. Ses soldats le poussaient à la guerre ; lui-même, se défendant de prendre le titre d'empereur, offrait de se remettre aux mains et à la décision de l'impératrice. Les chefs de l'armée l'en empêchèrent ; ils estimaient dans Cantacuzène la fleur odorante de la noblesse[18], l'habile général qui opposait aux ennemis du dehors une résistance heureuse : ils lui remontrèrent que l'incapable Apocauque, nommé préfet de la ville, laisserait tomber l'empire sous la dépendance des Bulgares ; ils le persuadèrent de prendre le titre d'empereur et s'en réjouirent[19]. Cantacuzène chaussa les brodequins rouges, et fut couronné à Didymotique (1341). La plus grande partie de la Thrace et de la Macédo ne se rangèrent sous son obéissance. Cantacuzène raconte ensuite qu'il offrit la paix, et que l'impératrice, bien disposée pour lui, fut obligée à la guerre par Apocauque ; qu'il envoya les plus saints moines de l'Athos pour offrir la paix une seconde fois, et que le patriarche, ennemi des moines, la fit rejeter ; que ses parents furent mis à mort, et que sa mère, jetée en prison, y mourut de mauvais traitements, après que Jean Paléologue eût été couronné, et Apocauque placé à la tête des affaires. Mais il raconte aussi quels secours il invoqua, et c'est ici qu'il est permis de l'accuser par ses propres aveux sur le choix de ses moyens de vengeance. Il fit alliance avec le krâle de Servie ; il fit alliance avec le khan de Lydie, Oumour, que les chevaliers de Rhodes, les véritables défenseurs du nom chrétien, rappelèrent en 1343, par l'occupation de Smyrne, sa capitale ; il fit alliance avec Orkhan ; il lui donna sa fille Théodora ; il rentra enfin dans C. P. (1357), força dans son palais l'impératrice, qui appelait à son secours les Gênois de Péta, et proclama une amnistie générale. Il fut réglé que les deux empereurs régneraient ensemble, le plus jeune suivant encore, pendant dix années, les conseils du plus âgé. Cantacuzène se hâta de vanter sa modération qui parut incroyable à tous, tant elle était admirable. Qui pouvait penser, dit-il[20], qu'après avoir tant souffert de ses ennemis, il n'usât pas de sa victoire pour les massacrer, et qu'il invitât les vaincus à traiter d'égal à égal, quand il pouvait les anéantir en un moment : cette manière d'agir avait quelque chose de supérieur à la nature humaine. Mais il restait de funestes traces de la guerre : les Turcs, alliés de Cantacuzène, avaient ravagé les campagnes, et emmené par troupeaux, pour les vendre, les femmes, les enfants, les prêtres, les moines ; des Romains, sous les yeux des Romains, avaient été frappés par les barbares comme des esclaves scythes et abasges et tous ceux pour qui il ne s'était pas présenté d'acheteurs en Europe avaient été transplantés en Asie[21]. Le cérémonial lui-même, ce dernier reste de la grandeur de Constantin, et le plus précieux aux empereurs, ne pouvait plus dissimuler sa décrépitude. Au couronnement de Cantacuzène, au mariage de sa fille Hélène avec Jean Paléologue, on vit une réunion d'empereurs et d'impératrices, de maîtres et de maîtresses, telle qu'on représentait autrefois l'assemblée des douze grands dieux ; mais de faux diamants ou du verre coloré remplaçaient les pierreries impériales ; l'étain remplaçait la vaisselle d'argent, et le cuivre les coupes d'or. Un règne de dix années apprit à Cantacuzène que la ruine des Grecs était irrémédiable. Il fit bien, dès le commencement, la proposition obligée de se réunir à l'Église romaine, et demanda un concile des évêques d'Orient et d'Occident, afin que l'autorité universelle de l'Église ouvrit les oreilles des Grecs toujours rebelles à l'autorité personnelle de l'empereur. Sa demande n'eut pas de suite ; il en donne pour cause les affaires de l'Italie et la mort du pape Clément VI[22] ; et les plus redoutables ennemis qu'il eut à combattre durent des Occidentaux, les Gênois de Péra. Nous avons parlé ailleurs de cette guerre, ou le secours et la victoire des Vénitiens ne purent anéantir les Gênois (v. ch. XXV, § II). Dans l'intervalle de la première attaque et de l'arrivée de Nicolas Pisani, avec le secours du pacha Soliman, fils d'Orkhan, il reprit au despote de Servie (1351) Thessalonique, Berrhæa, et la plus grande partie de la Macédoine[23] ; il empêcha encore une alliance du krâle vaincu, et de Jean Paléologue, par laquelle ce dernier espérait demeurer seul maitre du trône. Il contint cette ambition quelque temps après par l'influence de la veuve d'Andronic III, et lorsque enfin les princes de Servie et de Bulgarie, et la république de Venise, eurent pris parti pour le jeune prince, il fit revenir Soliman avec dix mille cavaliers : il ne put contenir la fougue de son allié ; Soliman écrasa les Bulgares et les Serviens, et rapporta à C. P. le butin de la Bulgarie. Rentré en Asie, Soliman se promenait un soir sur les bords de la Propontide ; la lune éclairait devant lui et prolongeait sur la mer les ruines de Cyzique ; tandis qu'il méditait sur ce grandiose de la mort, il entendit des voix célestes qui, lui rappelant le songe d'Ertogrul, semblaient l'inviter à conquérir l'Europe. Après avoir longtemps cherché de quelle manière il pourrait traverser le détroit sans être vu, il se hasarda à le passer avec un ami sur un radeau, et ayant surpris un Grec sur l'autre bord, il le ramena en Mysie pour s'en faire un guide ; le Grec n'hésita pas à trahir les siens. Soliman, suivi de trente-neuf soldats déterminés, commit encore une fois sa fortune à un radeau, et saisit, à deux lieues de Gallipoli, le fort de Tzymbe, où trois mille hommes qui le suivaient de près furent placés en garnison[24]. Cantacuzène réclama d'Orkhan la restitution de la place pour une somme de dix mille pièces d'or ; mais au moment où l'accord allait se conclure un violent tremblement de terre renversa plusieurs villes de la Thrace les, maisons de Gallipoli s'écroulèrent, et les murailles, ouvertes par des brèches, donnèrent un facile passage aux soldats de Soliman. En même temps Konour Boulaïr Malgara Kypsele et Rodoste furent livrées à de nouvelles colonnes de Turcs. Cantacuzène offrit quarante mille pièces d'or pour la rançon de ces places ; il ne voulait pas abandonner aux Turcs ce poste fortifié à l'entrée de l'Europe, qui ferait à leur invasion un chemin si commode. Orkhan promit d'accepter, et éluda toujours la conclusion dernière : l'abdication de Cantacuzène garantit aux Turcs la possession de leur première conquête européenne (1357). Jean Paléologue, en effet, réussit à régner seul. Il n'avait pu empêcher son beau-père de déclarer empereur son fils Matthieu ; avec le secours d'un noble génois, qui possédait plusieurs galères, il entra dans C. P. (1357), et troubla l'esprit des habitants incertains entre leur bonne disposition pour lui, et la crainte de Cantacuzène, qui avait à ses ordres des troupes réglées et des Catalans. Ils furent bien surpris lorsque, pour éviter la guerre civile, Cantacuzène proposa la paix, et ordonna à ses Turcs de défendre C. P. contre l'avidité des Catalans, qui réclamaient la guerre et son butin. L'étonnement redoubla après plusieurs jours de réconciliation et de partage de pouvoir, lorsque Cantacuzène renonça au monde, et se fit moine sous le nom de Joseph. On ne comprenait pas cet homme incompréhensible, chez qui l'ambition et le désintéressement, l'amour du pouvoir et l'amour du repos, semblaient habiter ensemble. Divers bruits en coururent ; le .plus grand nombre attribuait sa retraite à la violence de Jean Paléologue ; Cantacuzène a cru devoir à son gendre cette orgueilleuse justification : Cantacuzène, dit-il[25], a quitté le trône de sa propre volonté, et non malgré lui ; s'il eût voulu le conserver, personne ne le lui eût arraché. Paléologue ne l'a pas offensé par une violation de son serment ; il faut que personne n'ignore qu'il n'a rien fait, rien médité pour contrister son beau-père... Cantacuzène avait acquis l'empire contre sa volonté propre ; violemment agité par les armes de ses concitoyens, il a subi diverses chances de fortune ; il a résisté de toutes ses fortes, avec un esprit et un cœur que rien n'a pu abattre. Après avoir triomphé de tous ses adversaires, il s'est vu contraint, par la malice des siens, à subir encore une fois la nécessité de la guerre civile : alors il a désespéré des Romains, qui n'ont plus leur antique sagesse, et ne savent plus comprendre ce qui leur est bon, et il a abdiqué l'empire. Matthieu Cantacuzène, après la retraite de son père, essaya, avec le secours des Turcs, de se maintenir dans les villes de la province de Rhodope et dans Andrinople. Vaincu, il ne se résigna qu'avec peine à une renonciation formelle. Jean Paléologue, libre de tout rival, avait acquis l'alliance du pape Innocent VI, et les chevaliers de Rhodes, les Gênois et les Vénitiens, avaient été invités à secourir l'empire. Le pacha Soliman était mort avant son père. Orkhan, qui mourut lui-même en 1360, fut remplacé par son second fils Amurat Ier (Mourad). II Les Ottomans n'avaient encore touché que l'empire grec, soit comme ennemis, soit comme alliés mais toujours à leur profit ; ils n'avaient pas atteint les peuples du Danube ; la Bulgarie n'avait été inquiétée que par les Serviens, et la Servie, sous le krâle Étienne IV Douchan, avait acquis une grande puissance. Ce conquérant, dans un règne de vingt et un ans, fit quinze campagnes contre ses voisins (1335-1356) ; il imposa un tribut aux Bulgares, il assujettit la Bosnie, il descendit jusqu'au centre de l'ancienne Grèce, et il put se parer fièrement du titre de tzar, laissant celui de krâle aux gouverneurs de ses provinces. La constitution, qu'il donna aux siens, en 1349, est entachée du schisme byzantin : elle ordonne le retour et la fidélité à la religion grecque ; elle consacre, avec le dédain barbare, l'esclavage des paysans ; elle mesure la composition pour les meurtres et les injures à la qualité de l'offensé. Mais elle contient aussi quelques sages dispositions : elle punit les crimes de mœurs, elle punit, même dans un noble, les discours déshonnêtes ; elle ordonne que celui qui vend un chrétien à un infidèle ait la main et la langue coupées. Douchan avait commis une grande faute en divisant le gouvernement aux krâles et en multipliant les charges de la cour ; son fils Ourosch en porta la peine : la guerre civile éclata sur tous les points, l'empire servien se démembra, et ne présenta plus aux Ottomans que des hommes braves sans unité. La Hongrie s'était mieux préparée à ces menaces musulmanes, dont elle devait par de longs efforts, délivrer l'Europe occidentale. Deux règnes despotiques avaient resserré chez les Hongrois les liens du pouvoir royal. Après la mort d'André le Vénitien, le dernier héritier d'Arpad, plusieurs compétiteurs s'étant disputé le trône, Carobert d'Anjou, petit-fils du Napolitain Robert le Bon, l'avait emporté par la protection du pape Clément V (1307). Carobert assoupit les discordes si fréquentes jusqu'à lui. En attribuant au trésor du roi les deux tiers des mines et un tiers des annates, en destituant à son gré les fonctionnaires nobles en excluant les évêques de toute part dans l'administration, il surprit par tant de hardiesse les magnats et le clergé, qui n'osèrent se plaindre et demeurèrent en repos. Il altéra les monnaies, comme il voulut, tous les cinq ans ; il exigea des archevêques et des évêques, outre le service féodal et militaire, un don annuel de cinquante, de cent ou de deux cents livres d'argent ; il ordonna encore l'abolition des combats judiciaires. Ces nouveautés sanctionnées par un règne de trente-cinq ans, et maintenues malgré l'intervention prudente de Benoît XII, furent transmises (1342) à Louis le Grand, fils et successeur de Carobert. Ce prince, qui réclama le royaume de Naples, et qui plus tard régna sur la Pologne, se fit craindre de ses sujets hongrois ; il revendiqua les domaines royaux aliénés ; il diminua le pouvoir et l'importance de la noblesse en décorant des prérogatives de noble tout grand propriétaire, et en déterminant les charges des paysans. Il maintint la suprématie des Hongrois et des Valaques, et chargea son frère Étienne de surveiller en Transylvanie les colonies trop remuantes des Saxons. Une guerre heureuse contre Venise lui acquit (1358) Trau, Zara, Raguse, Spalatro et tout ce que la république possédait de la Dalmatie et de la Croatie. Louis le Grand avait encore décidé la prospérité intérieure de son royaume : le commerce des indigènes s'animait par les privilèges accordés aux négociants étrangers ; les vignobles de Tokai furent plantés et exploités, et l'agriculture encouragée nourrit abondamment la nation. Ce prince est le premier roi de Hongrie qui ait combattu les Turcs. Amurat Ier surpassait les plus illustres rois ou chefs d'armées par sa promptitude et son ardeur infatigable dans l'action : c'était la rage qui l'entraînait au combat. Il ne pouvait supporter le repos, et quand les ennemis lui manquaient, il se livrait à la chasse pour combattre encore. Il a fait plus de carnages que tous ses prédécesseurs ensemble[26]. Ce jugement d'un Byzantin nous fait connaître quelle terreur inspira aux Grecs la rapidité d'Amurat. Dès son avènement, Nebetos, Tscharli, Kechan Didymotichon, augmentèrent la conquête de Soliman son frère. Andrinople succomba l'année suivante (1361), après une défaite des chrétiens sous ses murs. Doriscus, Berrhæa, Philippopolis, furent prises en 1362, et ouvrirent la route aux musulmans à travers la Thrace vers le nord. Alors se présenta contre Amurat une armée commandée par Louis le Grand, et composée de Hongrois, de Serviens et de Bulgares (1363) : on combattit près de la Maritza, non loin d'Andrinople ; la victoire du sultan fut complète et la plaine s'appelle encore aujourd'hui Ssirf Vindughi, ou défaite des Serviens. Cet échec des belliqueuses peuplades du Danube faisant craindre d'autres désastres, Jean Paléologue quitta sa capitale, et vint visiter l'Occident. Il réclamait de prompts secours, il protestait de son dévouement à l'Église romaine, il abjurait le schisme à Viterbe entre les mains du pape Urbain V ; mais il ne ramena pas un soldat en Orient. Privé de tout appui par la mort d'Urbain, il passa par Venise, et y séjourna quelque temps : au moment de s'embarquer, ses créanciers l'arrêtèrent, et ne lui rendirent la liberté que lorsque son fils Manuel eût vendu tout ce qu'il possédait[27]. Tout réussissait au sultan : le despote de Servie Ourosch ayant péri dans une bataille contre ses nobles (1367), Boulko Lazare se fit proclamer tzar, mais ne put retenir que la Servie septentrionale ; Woucassowitch, qui avait occupé la partie méridionale, fut surpris par les Turcs pendant une nuit, et Amurat s'empara de l'Acarnanie et de la Macédoine servienne. Il obligea l'empereur grec au tribut, et lui enleva Giustendil, l'ancienne Ulpiana (1371) ; avec une égale activité, il soumit le roi des Bulgares Sisman, dont il épousa la fille, et Boulko Lazare, qui se reconnut tributaire. Maitre des Grecs, et déjà redouté sur la rive du Danube, il se crut assez puissant pour consentir à quelques années de repos : il acheva l'organisation militaire des siens ; il divisa les terres données aux Sipahi en grandes ou siamet, et en petites ou timars, et donna aux propriétaires des timars le nom de timarli ; il institua les Voïnacks, ou troupes de chrétiens exempts de tributs, mais chargés de faire, en temps de guerre, le service des écuries et des transports militaires. On eût dit qu'il prenait plaisir à venger par tant d'humiliations les peuples d'Occident du schisme des chrétiens grecs ; il manda ensuite son tributaire, l'empereur Jean Paléologue, pour l'avoir à ses côtés dans sa guerre contre l'Asie Mineure. L'empereur put voir le roi chrétien d'Arménie, Livon de Lusignan, dépouillé et banni ; l'émir seldjoucide de Kermian céder sa fille avec la plus belle partie de la Phrygie à Bajazet pacha ; le prince de Pisidie vendre six de ses villes pour garder le reste ; et l'émir de Karamanie, vaincu près d'Iconium, se soumettre au tribut. L'obéissance de l'empereur, pendant cette guerre même, en était venue jusqu'à l'atrocité ; son fils Andronic, chargé du gouvernement de Constantinople, avait conspiré avec Saoudji, fils d'Amurat, chacun aspirant à détrôner son père. Amurat fit crever les yeux à son fils, et ordonna à Jean Paléologue de traiter le sien de la même manière, s'il voulait n'être pas suspect. Le Grec obéit : Andronic, condamné à perdre la vue par une injection de vinaigre bouillant, n'échappa que par la maladresse de l'exécuteur, et fut enfermé dans la tour Anemas[28]. La brillante fortune d'Amurat ne rencontrait pas de contradicteurs. La mort de Louis le Grand (1382) sembla renverser les barrières qui protégeaient la Hongrie. Ce roi avait laissé le trône à sa fille Marie, sous la régence de sa femme Élisabeth. Les grands, comprimés par les deux derniers règnes, commencèrent à remuer, à l'instigation du grand prieur de Saint-Jean et du ban de Croatie : ils offrirent la couronne à Charles de Duras, roi de Naples (1385), et lorsque ce prince eut péri par la ruse de la reine-mère, ils reconnurent Ladislas, son fils. Les deux reines furent arrêtées ; les têtes du palatin et du grand échanson, qu'elles favorisaient, furent envoyées à la veuve de Charles de Duras. Marie ne fut délivrée que par Sigismond de Luxembourg, à qui elle était promise, et qui se fit couronner roi (1387). Ce prince, destiné à trois royautés laborieuses, contraint d'acquérir la première par une guerre difficile, n'aurait pu sans doute contenir les Ottomans ; mais Amurat, après tant d'exploits, vint se briser contre ce même despote de Servie qui lui avait payé tribut. En 1389, Sisman et Boulko Lazare refusèrent l'obéissante au sultan. Amurat envoya au dernier un sac de millet, emblème des troupes innombrables qu'il dirigerait contre la Servie ; le despote distribua aussitôt le présent à la volaille de sa basse-cour, et se tournant vers les ambassadeurs : Vous voyez, dit-il, comment ces oiseaux ont dévoré vite votre millet ; rapportez au sultan que ses hommes, quelque nombreux qu'ils soient, seront dévorés à leur tour par les Serviens La promesse fut tenue ; la première armée envoyée par Amurat fut anéantie. Le sultan vint alors lui-même (1389) : il dépouilla le roi bulgare de ses États, et atteignit les Serviens à Cassovo, ou champ du Merle. Il était déjà vainqueur et tenait le despote captif, lorsque tout à coup un Servien se présente devant Amurat, lui baise les pieds avec respect, et le poignarde au ventre en se relevant. Le sultan, blessé à mort, ordonna de sabrer le despote en sa présence, et expira. Son corps fut porté à Pruse[29]. Le fils d'Amurat, Bajazet, a été surnommé Ilderim (la foudre) par les Turcs, et Λαιλαψ (le tourbillon) par les Grecs. Il surpassa peut-être, en effet, son père lui-même, et il répandit certainement plus de terreur dans la chréteonté. Son premier acte fut de crever les yeux à son frère Jacoub. Il s'occupa ensuite d'humilier les Grecs. Il détrôna Jean Paléologue, et mit à sa place ce même Andronic dont Amurat avait ordonné le supplice. Il changea bientôt de parti, et, accueillant Jean Paléologue avec son autre fils Manuel, il promit de le rétablir moyennant un tribut de 30.000 écus d'or, un subside continuel de douze mille hommes, et l'abandon de Philadelphie, la seule ville de Lydie que les Grecs n'eussent pas perdue, et qu'il enleva sous les yeux des deux princes[30]. Jean Paléologue rétabli s'imagina qu'il avait le droit de fortifier sa ville ; il construisit près de la porte d'Or deux tours qu'il garnit du marbre enlevé à d'anciens édifices. Le sultan lui fit savoir sa volonté en ces termes : Tu abattras ces tours, ou ton filss Manuel, qui sert à la porte, aura les yeux crevés[31]. Jean Paléologue obéit encore une fois, et mourut (1391). Manuel, seul héritier, n'osait pas réclamer tout haut l'héritage ; il osa s'enfuir du camp de Bajazet. La colère du sultan tomba d'abord sur les esclaves qui n'avaient pas empêché cette fuite ; puis, laissant à Manuelle droit de vivre pour obéir, il lui écrivit : Il faut qu'un cadi (juge) musulman a réside à Constantinople ; car il ne convient pas que les musulmans qui font le commerce dans cette ville soient privés de leurs vrais juges telle est ma volonté. Si tu ne veux pas obéir, ni accorder ce que je demande, ferme les portes de ta ville, et règne dans ses murs ; tout ce qui est hors des murs m'appartient[32]. Manuel ayant refusé, le tyran, dit un Byzantin, traita les Grecs comme sa possession. Il prit Thessalonique, rasa tous les villages au tour de Constantinople, et en transporta les habitants en Asie. Cependant, en Natolie, l'occupation de Tekke (Pisidie), la spoliation des émirs de Karaman et d'Amisus, assuraient de ce côté l'unité de l'empire ottoman[33]. Pendant cinq ans, Constantinople fut assiégée : il n'y avait pas de moissonneurs dans ses murs ni de meuniers pour broyer le froment ; la colère, la faim, le désespoir, travaillaient les citoyens ; le tyran, pour faire souffrir la ville, ne renversait pas les murs, et ne les frappait pas de ses machines, mais il avait dix mille soldats, disposés à l'entour, qui la surveillaient, empêchant que rien, n'y entrât, que rien n'en sortît, Aussi la famine augmentait par le manque de blé, de vin, d'huile ; le bois manquait aussi pour cuire le pain et les autres aliments que préparent les cuisiniers ; on abattait de hautes maisons pour en avoir les poutres à brûler. Manuel, dans son dénuement, écrivit au pape, au roi de France, au roi de Hongrie, qu'il était réduit à la misère, et que, sans un prompt secours, Constantinople allait tomber aux mains des ennemis de la foi. L'Occident lui-même paraissait menacé plus dangereusement que par Amurat ; les troubles intérieurs de la Hongrie armant Sigismond contre sa noblesse, trente-deux rebelles, et à leur tête Étienne Conthus, parcouraient le pays en refusant l'obéissance. Arrêtés enfin, et amenés à Bude, pieds et poings liés, ils ne fléchirent ni le genou ni la tête devant le toi ; ils furent décapités. Sigismond, voyant un serviteur de Conthus qui pleurait amèrement, le loua de sa fidélité, et lui dit : Je serai ton maitre maintenant. — Jamais, répondit l'esclave, je ne servirai un porc bohémien, et il se tua lui-même. Cette cruauté produisit d'autres conjurations, et la révolte passa des individus aux peuples tributaires qui regrettaient leur iadép4ndance. Les Valaques refusèrent le tribut, et, peu confiants en leurs propres forces, ils appelèrent à leur secours les Turcs, et leur confièrent la défense de Nicopolis la Petite, sur l'Ister, Sigismond reprit Nicopolis, et provoqua une nouvelle croisade ; il parvint à rassembler 130.000 hommes, aventuriers d'Italie, chevaliers français : Jean de Nevers, fils du Bourguignon Philippe le Hardi, les comtes de la Marche et de Bar, le connétable Philippe d'Artois, Boucicaut, le sire de Coucy, et Frédéric de Hohenzollern, grand prieur des chevaliers Teutoniques en Allemagne, Philibert de Naillac, grand maitre de Saint-Jean, et le comte de Cilley, et le Bavarois Schilterberg, l'historien de cette expédition. A la vue de tant de braves, Sigismond, ne doutant plus du succès : Qu'avons-nous à craindre des Turcs ? disait-il, le ciel lui-même peut tomber, nous avons assez de lances pour le soutenir au-dessus de nos têtes. Bajazet, à cette nouvelle, fortifia, sur la côte asiatique du Bosphore, le château d'Anatoli-Hissar, et passa en Europe pour amortir le choc des croisés ; il se fit un chemin par la ruine jusque chez les Bulgares. Sigismond le sommant d'abandonner un pays qui ne lui appartenait pas, il montra aux envoyés hongrois (1396) ce qu'il avait fait : Voilà mes droits, dit-il ; ils sont écrits sur ces ruines. Les deux armées se rencontrèrent près de Nicopolis. Le sultan, comme s'il eût connu l'impétuosité française, avait placé quarante mille hommes en embuscade ; les Français réclamèrent le premier rang : par une attaque furieuse ils firent reculer les Turcs, et, sans tourner la tête pour voir s'ils étaient suivis ils commencèrent la poursuite loin du corps principal des Hongrois. Alors les quarante mille hommes, fondant sur eux, les cernèrent de toutes parts, et ne laissèrent vivre que vingt-quatre prisonniers, parmi lesquels Jean de Nevers, que l'admiration des deux partis surnomma sans Peur. Les Hongrois ne tinrent plus ; les Bavarois et les Styriens rétablirent la bataille, et ne cédèrent qu'après que le sultan eût perdu soixante mille hommes ; mais il était maître du terrain, et le reste des chrétiens s'était dispersé : Sigismond regagna Constantinople sur une barque, et de là son royaume. Le lendemain, Bajazet ordonna, pour venger les musulmans morts, le massacre de dix mille prisonniers, qui dura depuis le matin jusqu'à la quatrième heure après midi. Il ne cessa qu'à la prière des grands de l'empire qui implorèrent le sultan à genoux. Jean sans Peur échappa ainsi, et fut racheté, avec quelques autres, par l'argent des rois de France, de Hongrie et de Chypre[34]. Pour comble d'infortunes, la Hongrie retomba dans ses dissensions. Les ennemis de .Sigismond firent courir le bruit de sa mort, et proclamèrent le roi de Naples Ladislas. Au lieu de venir ôter par sa présence toute cause à ce mouvement, Sigismond courut se mêler aux troubles de la Bohême ; Bajazet envoya des troupes entre la Save et la Drave, et fit dévaster les champs de l'ancienne Sirmium, autre fois bien garnis de forteresses et de villes. Toutefois, la difficulté de sa victoire de Nicopolis l'avait instruit à ne pas attaquer les Européens au hasard ; la victoire lui avait été donnée facile sur le territoire grec et non au delà. Les peuples qui n'avaient jamais subi l'influence byzantine pouvaient être quelquefois vaincue, mais non assujettis à une soumission éternelle. Une sorte d'instinct le ramena donc contre les Grecs, que Dieu livrait à ses coups et à son mépris, comme à un fléau vengeur et inévitable, somma l'empereur Manuel de livrer Constantinople, et, furieux d'un refus énergique auquel il ne devait pas s'attendre, il reprit le siège interrompu par l'arrivée de Sigismond. Comme ce n'était pas assez de n'attaquer à la fois qu'une seule ville, cinquante-six mille musulmans entrèrent dans le Péloponnèse ; ils s'avancèrent jusqu'à Coron et jusqu'à Modon. Le prince grec de Sparte., Théodore Paléologue, animé d'un dévouement extraordinaire, voulait se sacrifier lui-même au bien de la chrétienté, et céder sa ville au grand maître de Rhodes Philibert de Naillac. Les habitants s'y opposèrent ; ils déclarèrent qu'on les livrait, pour les perdre, aux Latins nazaréens, et qu'ils ne le souffriraient pas. Ils s'armèrent de pierres et de bâtons pour assommer les chevaliers qui venaient prendre possession de la ville, et ne purent être apaisés que par leur évêque ; ils voulaient rester Grecs, et périr sous ce nom, plutôt que de vivre sous la protection des Latins, tant ils haïssaient l'Occident. Tandis qu'ils mettaient leur évêque à leur tête, les musulmans occupaient Argos, et emmenaient trente mille habitants, qu'ils remplacèrent par une colonie d'Orientaux. Andronic, frère, aîné de Manuel, que le sultan Amurat avait condamné à perdre la vue, et que Bajazet lui-même avait élevé au trône, puis déposé, était mort, laissant un fils nommé Jean de Selymbrie, au service des Turcs. Pour doubler les embarras de Manuel, Bajazet excita le jeune prince à réclamer l'empire : il ne doutait pas de sa docilité ; peut-être même il lui avait arraché la promesse de céder Constantinople pour la Morée. Aux prises avec la misère qui dévorait sa ville, avec les prétentions du sultan, avec les clameurs des amis du prince Jean, qui lui reprochaient son usurpation, Manuel consentit au partage : il accueillit son neveu dans son palais, et promit an sultan de venir, quand il en serait requis, faire son service à la porte (1399). Le Français Boucicaut survint dans ces conjonctures avec six cents hommes d'armes et huit cents hommes de troupes réglées. Il sauva Galata ; mais il ne put prendre Nicomédie. Obligé de partir pour la France, il engagea Manuel à le suivre, lui promettant que sa présence remuerait l'Occident, et armerait une croisade. L'empereur le crut, et s'embarqua pour le Péloponnèse, d'où il gagna l'Italie. Jean, resté maître de Constantinople, fut aussitôt rappelé au devoir par Bajazet ; il laissa bâtir une mosquée dans la ville, et établir un cadi pour juger en leur langue les procès des musulmans[35]. Le long voyage de Manuel à travers l'Europe occidentale a fourni au Byzantin Chalcondyle l'occasion de raconter en mauvais grec, et avec une confusion inextricable de siècles et de noms, des évènements qu'il ne comprend pas, la guerre de Charlemagne contre les peuples de la Libye, et la mort de Roland, la rivalité de la France et de l'Angleterre, la prise de Calais, et les exploits de Jeanne d'Arc. Manuel, en effet, visita l'Italie, la France, l'Angleterre, et put rapporter aux Grecs ce qu'il avait appris de l'histoire de ces peuples : son voyage n'eut pas d'autres résultats. Bien reçu à Venise, il vint à Milan visiter le duc Jean Galéas, qui lui donna de l'argent, des chevaux et des guides pour le conduire au roi de France. Il trouva Charles VI malade, entouré de conseillers peu bienveillants pour l'empire grec. Il passa en Angleterre, et vit Henri IV à Londres. Il n'inspira d'intérêt à personne. Il ne pouvait se débarrasser du schisme byzantin : dans Paris, il composa un écrit pour défendre la doctrine de l'Église grecque. On laissa dire, sans l'écouter, ce suppliant orgueilleux, qui croyait peut-être déguiser sa misère en bravant ceux qu'il implorait. Bajazet n'avait pas même à redouter la Hongrie. Sigismond, revenu de Bohème, avait trouvé de nombreux ennemis dans les partisans de Ladislas, augmentés par son absence. Il fut surpris (28 avril 1401) par quelques-uns de ses magnats, et enfermé dans un château. Ses deux plus fidèles serviteurs ne purent obtenir qu'une grâce : c'était qu'on le confiât à leur garde dans le château de Siklos. Bajazet, résidant à Bursa (Pruse), jouissait à la manière orientale de sa fortune, soumettant tout ses caprices dans la paix, comme dans la guerre, à ses armes. Malgré la loi de Mahomet et l'exemple d'Amurat, d'Orkhan et d'Osman, il avait pris l'usage du vin, qu'il poussait jusqu'à l'ivrognerie. Il s'entourait de nombreux captifs, qui chantaient dans les repas chacun en sa langue, et dont il faisait les ministres de ses plus dégradantes volontés : c'étaient des Grecs, des Serviens, des Valaques, des Albanais, des Hongrois, des Saxons, des Latins[36]. Les Ottomans l'imitaient à l'envi, et surpassaient la corruption des anciens Grecs. C'est ainsi qu'ils croyaient régner sur le monde, lorsqu'une nouvelle, venue d'Orient, inquiéta leur orgueil. La dynastie mongole de Djagataï était partagée en petites principautés, gouvernées par des novians ou généraux, sous un khan supérieur qui portait pour la forme le nom de grand khan. Cothbeddin-Timour, surnommé Lenc, ou boiteux et désigné par les Occidentaux du nom de Tamerlan, était novian de Kesch, près de Samarcande. Il n'avait que trois ans, lorsqu'un conquérant lui enleva sa petite principauté, et ne lui laissa qu'un cheval et un chameau. Il grandit obscur dans les forêts de la Haute-Asie ; et, quand il eut acquis la force de se venger, il forma par son ascendant une armée nombreuse qu'il exerça aux courses militaires. Il fonda vers 1363 une principauté dont Samarcande était le centre, et onze ans plus tard, il fut proclamé souverain de Djagataï, avec les noms de maître des cornes et de kurkhan — souverain de l'Orient et de l'Occident, allié par le sang aux khans —. Une couronne d'or sur la têta et ses émirs agenouillés devant lui, il fit le serment solennel de combattre tous les princes de la terre. Il grava ces deux mots sur son sceau : rasti rusti, c'est-à-dire toujours par le droit chemin, toujours prêt à combattre. Il soumit le Khowaresme, tout le côté oriental de la Caspienne, et toutes les dynasties sorties d'Hulagou, qui régnaient sur la Perse. Il établit Toktamisch, son allié, sur le trône du Kaptchak, et l'en chassa pour son ingratitude. Il se montra près de l'Oural dans toute sa splendeur, vêtu d'une robe magnifique, la tête ceinte d'une couronne, la main chargée d'un globe d'or, symbole de sa domination universelle. Il entendit avec complaisance les chants d'esclaves qui célébraient ses triomphes ; et, après une seconde victoire sur Toktamisch, il s'avança vers Moscou. Dédaignant, ou peut-être redoutant l'Europe, il revint par Azoff, qu'il pilla, jusqu'au pied du Caucase ; et après avoir donné à son armée le repos d'une fête splendide, et pris le nom de grand khan (1397), il se dirigea vers l'Inde, et entoura Delhi d'un cercle de quatre-vingt-douze mille hommes. Il en vit tous les habitants périr sous ses coups dans une bataille, ou dans leurs maisons incendiées de leurs propres mains. Il poussa jusqu'aux sources du Gange, et, en l'honneur de Mahomet, il extermina les adorateurs du feu, renversant les villes, et inondant les ruines de sang humain. Il revint ensuite conquérir la Géorgie, et il passait l'été dans les plaines de Karabagh, lorsque les émirs seldjoucides, dépouillés par Bajazet de leurs possessions d'Asie Mineure, vinrent implorer sa protection[37]. Tamerlan ne douta pas du succès de ses remontrances, et il fit dire à Bajazet : Il ne t'appartient pas de ravir le bien d'autrui ; garde ce que tu as enlevé aux infidèles, par la permission de Dieu ; mais les autres provinces que tu as ravies aux autres princes à la manière d'un voleur rends-les, si tu veux que Dieu te soit propice. Si tu refuses, avec l'aide de Dieu, je serai leur vengeur[38]. Bajazet fit couper la barbe aux envoyés du grand khan, et après cet affront, il leur dit : Allez, rapportez à votre maître que je l'attends ; qu'il se hâte donc de venir ; s'il ne vient pas, qu'il soit séparé de ses femmes par le triple divorce. Il se retourna ensuite vers C. P., comme pour ne pas oublier qu'il avait aussi le droit de commander en maitre à des esclaves ; et il somma le neveu de Manuel de livrer sa capitale : Je t'ai fait régner dans cette ville, disait le sultan, pour l'ajouter à mon empire ; abandonne-la, si tu veux m'avoir pour ami. Je te donnerai toute autre province que tu choisiras. Si tu refuses, j'en jure par Dieu et par son grand prophète, je n'épargnerai personne ; je détruirai tout de fond en comble. Tamerlan lui ôta le loisir de tenir sa parole. Les Mongols, fondant sur la Natolie (1400), attaquèrent d'abord Biwas, l'ancienne Sébaste du Pont, et la sommèrent en vain de se rendre. Ils commencèrent des tranchées à un mille de distance, pour arriver par-dessous terre jusqu'aux murs, et les miner sans être vue. Quand l'ouvrage fut achevé, une seconde sommation fut faite, que les habitants accueillirent par des injures. Alors les murs tombèrent, et les Mongols, entrant de toutes parts, tuèrent, pillèrent, dispersèrent au hasard. Tamerlan fit creuser une fosse énorme, et y jeta tous les habitants qui avaient survécu au carnage, le corps ployé en deux, et la tête attachée entre les cuisses. Il lui sembla que ce monument de sa vengeance devait suffire à l'instruction de Bajazet ; et, en attendant que ses réclamations fussent reçues, il reprit la route de la Syrie, pour châtier le sultan mameluk. Vainqueur près d'Alep (oct. 1400), fit occupa Hama et Baalbeck, et fut encore vainqueur près de Damas. Il tira de cette ville un million de pièces d'or, et se ressouvenant tout à coup que Damas avait été le siège des ennemis d'Ali, il la réduisit en cendres. Il extermina Bagdad, dispersa les décombres, et à la place de l'ancienne capitale de l'islamisme, il éleva une pyramide de quatre-vingt-dix mille têtes humaines[39]. L'arrivée de Tamerlan avait rendu aux Grecs l'espoir de vivre : le jour du châtiment était venu pour Bajazet. Le grand khan, n'ayant rien obtenu, reparut dans la Natolie (1402), et s'approcha d'Angora (Ancyre) avec huit cent mille barbares, que les Byzantins comparent à l'armée de Xerxès. Bajazet amenait d'autre part cent vingt mille hommes, parmi lesquels dix-huit mille Tartares et dix mille Serviens ; il affectait un grand dédain pour Tamerlan (1402). Il prit position près d'un fleuve, et, voyant, au contraire, l'ennemi dans une plaine sèche et aride, il fit publier dans toute son armée l'ordre d'une chasse générale pour le lendemain et les deux jours suivants ; mais tandis qu'il se livrait à ce plaisir, Tamerlan changea de place, et occupa la position des Turcs près du fleuve. Ce premier échec n'abattit pas l'assurance de Bajazet : on lui conseillait de ne pas livrer bataille, et d'épuiser lentement ses ennemis jusqu'au dernier ; il repoussa le conseil. Son armée, mal payée, murmurait, les auxiliaires surtout : il ne put se résoudre à entamer ses trésors pour acheter une victoire dont il ne doutait pas. Tamerlan rangea enfin les siens et leur ordonna d'attaquer en silence, Bajazet se mit à rire, et chargea d'injures ces hommes qui lui semblaient lâches parce qu'ils ne criaient pas. Cependant un chef seldjoucide qui servait à contre-cœur dans l'armée ottomane, apercevant son frère parmi les soldats de Tamerlan, fit défection avec cinq cents hommes et son drapeau. En un instant, il fut suivi des Seldjoucides de Mentesche, de Ssarou et de Karamanie. Bajazet, étonné, commença de craindre, lorsque la longue multitude des Mongols se déploya en demi-cercle et bientôt poussa en avant ses deux ailes aux deux côtés de l'armée ottomane, pour se refermer derrière elle. Le Servien Étienne V, qui combattait pour Bajaset, son seigneur et son beau-frère, ne put supporter l'affront d'être entouré et de se rendre en ne voulait pas mourir. Il fait irruption sur les Mongols avec tant d'impétuosité, qu'il les rompt et s'ouvre un passage. Alors revenant sur ses pas, il les rompt une seconde fois malgré leur profondeur, et s'approche du Sultan pour l'emmener hors du combat : Quels sont ces derviches, demanda Tamerlan, qui combattent avec tant de fureur ? — Ce ne sont pas des derviches, répartit un Mongol, ce sont des chrétiens ; et on les vit au même instant entraîner au milieu d'eux Soliman, fils aîné de Bajazet, et s'ouvrir un troisième chemin par une rapidité irrésistible. Bajazet demeurait ferme, malgré le départ des Serviens et l'extermination des Ottomans ; il saisit enfin, avec dix mille-janissaires, un tertre d'où la résistance était plus facile. Mais les hordes mongoles se divisaient impunément, et attaquaient avec avantage sur tous les points. Tandis que les uns poursuivent les Serviens sur la route de Bursa et que d'autres dispersent ou massacrent le corps principal des Ottomans, une troisième division s'élance sur les janissaires. Ce fut une mêlée hurlante de bêtes enragées, où, la force étant égale, et les blessures rendues aussitôt que portées, il n'y avait de victoire que pour la multitude : les janissaires y périrent jusqu'au dernier. Bajazet, monté sur un cheval arabe, dominait seul les cadavres étendus des siens : Descends, lui cria Un Mongol, le khan Timour te demande. L'orgueilleux sultan se laissa conduire et trouva le grand khan occupé d'une partie d'échecs. En apprenant qu'on lui amenait Bajazet, Tamerlan, certain de la victoire, avait affecté de la mépriser, et s'était mis à jouer avec son fils sous sa tente sans montrer aucun empressement de voir sa capture. Lorsque les Mongols lui dirent : Voici le prince des Turcs que nous avons conduit devant vous, il demeura là tête inclinée sur son jeu, comme s'il n'entendait pas. Des cris, des acclamations redoublées, le forçant enfin d'entendre : Voilà donc, dit-il, celui qui nous menaçait du triple divorce si nous refusions de lui faire la guerre. — C'est moi, reprit Bajazet, mais il ne t'appartient pas d'insulter les vaincus ni de les mépriser tu es prince comme moi ; apprends à mettre des bornes à ta domination. Cet orgueil de vaincu plut à l'orgueil du vainqueur : Tamerlan fit asseoir son captif à son côté sur le même tapis, et lui donna une tente pour s'y reposer après une bataille si laborieuse ; il se contenta de le faire surveiller par une bonne garde, et ne lui mit les chaines aux pieds et aux mains pendant la nuit que lorsque Mahomet eut essayé de délivrer son père au moyen d'une mine. L'histoire de la fameuse cage de fer ne s'appuie sur aucune autorité raisonnable[40]. III La seule journée d'Angora avait anéanti tous les travaux d'Amurat et de Bajazet. Tamerlan parcourut l'Asie Mineure, et rétablit les émirs seldjoucides au nom desquels il avait combattu les Ottomans. Bajazet avait cinq fils, dont le second, Mousa, partageait sa captivité, et dont le dernier, Moustapha, avait disparu sans laisser de traces Pour mieux ruiner les vaincus, Tamerlan partagea aux trois autres ce qu'il n'avait pas occupé de la domination de leur père : il investit Soliman des possessions ottomanes d'Europe, Isa, d'une partie de la Natolie, et Mahomet, de la ville d'Amasie. Bajazet étant mort d'apoplexie (1403), Tamerlan rendit à Mousa la liberté et le droit de réclamer une part de ses frères ; le grand khan, après ces dispositions, remonta vers la Chine, qu'il voulait conquérir, et mourut lui-même en 1405. Une grande espérance revenait aux chrétiens. Manuel, rentré à Constantinople après son long voyage, avait relégué à Lemnos son neveu Jean, pour le punir de sa docilité aux Turcs, Soliman, échappé au désastre d'Angora, se mit sous la protection de l'empereur, et lui rendit avec Thessalonique toutes les villes situées au nord du Strymon, et toutes celles du Pont-Euxin depuis Panis jusqu'à Varna[41]. Sigismond, enfin délivré et vainqueur du Napolitain Ladislas, pacifiait la Hongrie au profit de son autorité (1403) ; il put disposer d'avance du trône pour le duc d'Autriche, son allié ; il interdit les guerres privées et régla le droit de défense ; il augmenta les droits des paysans, et réserva exclusivement au roi le soin de battre monnaie. La guerre civile des princes musulmans entretenait la sécurité de leurs ennemis. Mahomet commença en dépouillant Isa, son frère, et en s'emparant de Bursa. Soliman fut la seconde victime ; tandis qu'il passait en Asie pour arrêter les progrès de Mahomet, il apprit que Mousa avec le consentement de Manuel, s'efforçait de lui enlever ses possessions d'Europe. Il revint pour le battre (1406) ; mais surpris une seconde fois au milieu de sa mollesse, il fut vaincu et tué (1410). Mousa ne se crut pas assez fort pour dépouiller Mahomet ; obligé de partager le titre de sultan, il annonça aux grands de son empire qu'il fallait rétrécir la domination des chrétiens. Sigismond avait forcé le souverain de Bosnie à se reconnaître son vassal, et l'Allemagne l'avait choisi pour empereur (1412) ; Mousa envahit la Servie ; détruisit près de Sémendrie l'armée hongroise (1412), et dîna sur une table que supportaient les cadavres amoncelés des vaincus. Il retourna aussitôt contre Constantinople, où l'empereur avait rassemblé les habitants des villes voisines ; il la cerna de loin, et plus d'une fois ne put soutenir les vigoureuses sorties des assiégés. Il périt en 1413, sous les coups de son frère Mahomet, qui dut à l'alliance de Manuel l'honneur de régner seul sur les Ottomans. Cette alliance fut bien observée par le Turc jusqu'à sa mort. Manuel refusa même de livrer au sultan Mahomet un imposteur qui se donnait pour Mustapha, le cinquième fils de Bajazet, et qui avait cherché asile dans Thessalonique ; il jura qu'il le tiendrait captif pour conserver la paix. Mahomet tourna ses armes contre l'Asie Mineure ;il dépouilla un des officiers de Tomerlan, Djouneïd, qui avait occupé en son propre nom Smyrne, Sardes et Philadelphie ; il obligea à la soumission le prince de Karamanie. De son côté, Manuel rebâtit à l'isthme de Corinthe le mur commencé par les anciens Grecs au temps de la guerre médique, réparé par Justinien, et qui tombait en ruine[42]. Il avait sept fils ; cinq furent appelés par avance au partage de ses villes. Jean fut destiné au titre d'empereur et à la ville de Constantinople ; Théodore fut déclaré despote de Lacédémone ; Andronic, de Thessalonique ; Constantin, de Mésembrie et de Selymbrie ; André, de Riscinium (en Dalmatie). A cette époque, les Vénitiens conservaient Négrepont et Candie ; les Gênois, Chio et Lesbos ; les Acciuoli de Florence gouvernaient dans la Grèce et dans le Péloponnèse l'État qu'ils s'étaient formé de l'Achaïe de la Béotie, de La Phocide et d'Athènes ; la famille de Tocco régnait sur l'Étolie, l'Acarnanie et l'Épire méridionale ; l'Épire septentrionale, ou Albanie, appartenait à la famille Castriota dont le chef était alors Jean Castriot[43]. L'empire grec, réduit à six villes éloignées l'une de l'autre, et déjà partagées entre divers princes, ne pouvait plus vivre que d'une vie précaire, par la bienveillance peu honorable ou par les embarras de ses ennemis. Manuel le comprenait si bien, qu'après la mort subite de son allié Mahomet Ier (1421), il se hâta de brouiller les affaires des Ottomans : il réclama l'exécution du testament de Mahomet, qui lui confiait la tutelle de ses deux plus jeunes fils, et ne l'obtenant pas du nouveau sultan Amurat II, il remit en avant le faux Mustapha. Cette menée commença par réussir ; Mustapha, soutenu des Grecs, s'empara de Gallipoli et attira à lui toute l'armée de Bajazet-pacha, envoyé d'Asie pour le combattre ; il fortifia la citadelle de Gallipoli, mit une garnison dans la tour qui dominait le port, et revint à Andrinople s'emparer des trésors de Mahomet. Amurat semblait s'être résigné ; mais quand il apprit que Mustapha abusait du pouvoir dans une indigne mollesse, et qu'il s'était aliéné Manuel en refusant de restituer Gallipoli, il vit clairement par quel moyen il rentrerait dans tout l'héritage de son père. Il fit parler d'alliance à l'empereur sans rien conclure, pour le retenir dans l'inaction par l'incertitude, et passa lui-même en Europe sur les vaisseaux du Gênois Adorno. Il conquit à son tour Gallipoli, chassa le prétendant en Asie, d'Asie en Europe, et l'atteignit à une journée d'Andrinople. Mustapha, que plusieurs regardaient comme le fils de Bajazet et comme l'oncle du sultan, fut condamné au supplice des scélérats, et pendu sur la voie publique[44]. C'est ainsi que recommença la guerre de l'islamisme et de la chrétienté, guerre suprême pour l'empire, et que les efforts des Occidentaux ne purent arrêter qu'au Danube, la limite fatale de l'invasion ottomane. Amurat, débarrassé de son rival, annonça d'abord l'intention de punir l'empereur, qu'il avait successivement redouté et trompé ; il assiégea Constantinople (1422). Il ne put la prendre encore : la ville de Comtantin avait pour elle sa position heureuse, l'alliance des Gênois, et une population nombreuse à qui les historiens attribuent toujours une indomptable résolution en présence des Turcs assiégeants. Aussi bien, Manuel avait excité à la révolte un autre Mustapha, frère d'Amurat, que ses partisans couronnèrent à Nicée. Le sultan leva le siège pour aller châtier les rebelles et étrangler son jeune frère ; de retour en Europe, il se dirigea sur cette Grèce centrale, depuis longtemps gouvernée par les Latins, que ses prédécesseurs avaient quelquefois visitée, et qu'il devait lui-même combattre avec succès et épuiser définitivement. Il parut en Thessalie, en Épire, dans le Péloponnèse. Jean Castriot, seigneur d'Albanie, se soumit à ses armes, et comme garant de sa fidélité lui livra ses quatre fils, dont le plus remarquable s'appelait George. Revenu à Andrinople, il fit un traité avec le nouvel empereur Jean II Paléologue, successeur de Manuel (1425). Jean II Paléologue avait cru acheter par un tribut annuel
une tranquillité que rien ne troublerait plus ; son frère Constantin, ayant
échangé ses villes de Mésembrie et de Sélymbrie contre la principauté de
Lacédémone, se formait dans le Péloponnèse une domination respectable aux
dépens des Acciuoli, qui lui prêtaient hommage ; son autre frère Andronic
avait cédé sa ville de Thessalonique aux Vénitiens, dont l'habileté maritime
et l'avidité commerciale faisaient espérer une alliance utile contre les
Ottomans. Amurat, occupé à contenir l'Asie, recevait les ambassades de
l'empereur, des despotes de Servie et de Valachie, des Gênois de Chio, et
même des chevaliers de Rhodes. Il renouvelait son alliance avec tous ; mais
on vit avec effroi qu'il ne voulait pas traiter avec les Vénitiens. La ville de Thessalonique, disait le sultan, fait partie de mon héritage ; Bajazet, mon aïeul, l'a
enlevée aux Romains ; si les Romains l'avaient reprise, ils pourraient ne pas
me la rendre ; mais vous êtes des Latins d'Italie, de quel droit vous mêlez-vous aux affaires de l'Orient ?
Et aussitôt il reparut en Europe pour occuper Thessalonique ; les Vénitiens
attendirent en vain des galères de Venise. Au moment de donner l'assaut, le
sultan cria aux siens : Je vous livre tout ce qui
est dans la ville, hommes, femmes, enfants, or et argent ; je ne veux pour
moi que la ville même. Cet ordre de pillage fut compris : les
habitants furent enchaînés, les maisons pillées, les temples désolés ; les
ornements et des vases sacrés passèrent aux mains des impies. Les murs
restèrent au sultan, comme il l'avait demandé, et furent remplis d'une
colonie de Turcs à la place de l'ancienne population (1429). Une paix conclue avec les Vénitiens ne permettant pas
au vainqueur de leur enlever Négrepont, il se tourna contre les peuples à qui
sa parole n'était pas engagée. La famille de Tocco offrait une belle occasion
par ses querelles intestines : les enfants naturels du grand duc Charles
disputaient à son neveu la possession de l'Acarnanie ; les généraux musulmans
survinrent qui les mirent d'accord. Janina (l'ancienne
Cassiope) se soumit sans résistance ; les seigneurs d'Épire,
d'Acarnanie, d'Étolie, acceptèrent la paix et n'obligation de faire leur
service à la porte dès qu'ils en seraient requis (1431). Le Péloponnèse ne fut sauvé que par un nouveau mouvement
de l'émir de Karamanie. Amurat avait réclamé de ce sujet un cheval arabe dont
on vantait la beauté, et ne l'avait pas obtenu : il fit une expédition en
Asie pour châtier l'insolent, et après avoir pris deux villes, il accorda la
paix aux prières de sa sœur, qui avait épousé l'émir[45]. La Bulgarie avait disparu avec son dernier prince, sous le règne de Bajazet, la Servie existait encore sous des princes tributaires des Turcs, et quelquefois leurs alliés utiles- Le despote Étienne V, qui avait sauvé Soliman à la bataille d'Angora, recommanda aux siens en mourant de choisir pour le remplacer le vieux George Brandowich. George, sommé par le sultan de livrer la Servie, se tira du danger en lui donnant sa fille avec une partie de ses États p9ur dot ; il obtint en retour la permission de bâtir la forteresse de Sémendrie. Le sultan célébra ses noces avec une grande magnificence ; mais bientôt, poussé par un mauvais conseil, il exigea l'abandon de la nouvelle forteresse (1435). George recourut à Sigismond. Ce roi hongrois semblait capable de reprendre heureusement la lutte contre les Tures ; il venait de déterminer par une loi fondamentale l'organisation militaire du royaume et les services des vassaux : le Servien lui céda sa forte ville de Belgrade contre quelques villes de la Hongrie. Malheureusement la mort de Sigismond transmit non sans peine à son gendre Albert et à sa fille Élisabeth ses trois couronnes de Hongrie, de Bohème et d'Allemagne, avec les embarras de chacune d'elles. En quelques jours une rivalité sanglante mit aux prises les Hongrois de Bude et les Allemands amenés par Albert ; la mort d'un seigneur hongrois fut vengée par le massacre de tous les étrangers, Allemands, Bohémiens, Italiens, et Albert comprit qu'il fallait pardonner pour rester roi. Déjà les Turcs, rassurés par la mort de Sigismond, avaient envahi la Servie, pris Sémendrie, et forcé George à la fuite ; ils invitaient le roi de Pologne Wladislas à porter la guerre en Bohême[46], pour éloigner Albert du Danube. En vain l'empereur Jean II Paléologue, qui craignait que la ruine des Serviens et des Hongrois ne retombât sur lui, avait essayé d'appeler l'Occident contre les Turcs. Son père lui avait donné le conseil de parler de la réunion pour plaire aux Latins, et de ne la pas opérer, pour ne pas déplaire aux Grecs[47] ; il avait méprisé cet avis, et il vint à Ferrare (1438), puis à Florence ; pour terminer le schisme avec le pape Eugène IV. Il abjura toute doctrine contraire à l'Église romaine, et fut imité par le patriarche et les évêques grecs qui l'avaient suivi. L'un d'eux, Bessarion, resta même en Italie et devint cardinal ; mais ce fut la seule conversion : le patriarche mourut avant le retour ; les autres eurent à peine touché le sol grec qu'ils se rétractèrent. Nous avons, disaient-ils, vendu notre foi, nous avons changé de religion avec impiété, nous avons trahi le pur sacrifice pour les azymes. Si on leur demandait : Pourquoi avez-vous souscrit ? ils répondaient : Nous avions peur des Francs. Si on ajoutait : Les Francs vous ont-ils donc torturés, flagellés, mis en prison ? ils répondaient : Non, ils n'ont pas employé la violence ; mais que cette main qui a souscrit soit coupée, que cette langue qui a juré soit arrachée ! Ils ne pouvaient répondre autre chose. Réunis au peuple et au clergé, ils repoussèrent pendant trois ans le patriarche catholique nommé par l'empereur, et après sa mort ils firent vaquer son siège pendant trois ans. Infortunés Romains, s'écrie l'historien Ducas, vous êtes insensibles à la juste colère du Dieu qui se venge ; vos entrailles ne sont émues par aucune pensée, par aucun désir de paix. Si un ange descendait du ciel pour vous dire : gardez la paix et l'unité, et je chasserai l'ennemi de la ville, vous n'y consentiriez jamais, ou bien vos paroles seraient hypocrites et menteuses. Ils savent que je dis vrai ceux qui préfèrent la domination des Turcs à celle des Francs[48]. En attendant que cette vengeance portât le dernier coup à l'empire grec, Amurat, maitre de la Servie, et soutenu par le despote de Valachie, marchait vers les Hongrois de nouveau troublés par la mort subite d'Albert (1439). Les uns appelaient au trône Wladislas, roi de Pologne ; d'autres, avant de prendre un parti voulaient attendre les couches d'Élisabeth. Lorsque la reine eut mis au monde Ladislas le Posthume, elle désespéra de résister aux Polonais ; elle s'enfuit en Autriche, emportant pour son fils la couronne de Saint-Étienne, et une guerre civile commença, qui dura plus de deux ans. Amurat en profita pour assiéger Belgrade (1440). Il entoura les habitants de terrasses, de machines à lancer les pierres, et de cent vaisseaux sur le Danube, Il ne savait pas que la Hongrie ne lui avait pas été livrée, et que Belgrade était le premier boulevard de la chrétienté catholique. L'activité de Jean, prieur d'Aurana, et de Jean de Raguse, aidée par l'artillerie, se joua d'un siège de six mois, et força le sultan à la retraite. C'était le moment où paraissait, pour la défense de l'Europe, le wayvode de Transylvanie, Jean Huniade Corvin, connu dans l'Europe sous le titre modeste de Chevalier blanc de Valachie, mais à qui les Hongrois, dans leur admiration, appliquaient ces paroles de l'Évangile : Il fut un homme envoyé de Dieu qui s'appelait Jean. Les Turcs retrouvèrent en lui une terreur puissante comme au temps des croisades : ils rappelaient le Diable et le nommaient à leurs enfants pour les effrayer ; ils pleurèrent sa mort, qui laissait à jamais impunies les grandes injures qu'il avait faites à leur orgueil. Ce chrétien délivra la Hongrie de la guerre intérieure et de la guerre étrangère : dix fois il combattit les Turcs en bataille rangée ; quatorze fois il les prit au dépourvu et les dispersa. Vaincu deux fois, il ne leur abandonna qu'une victoire chèrement achetée. Sans lui non-seulement la Hongrie, mais la Bavière, mais la Germanie, mais toute la république chrétienne semblait perdue. Il fut le rempart des nations orthodoxes ; le roi Wladislas le Polonais lui rendait ce témoignage, qu'il attirait sur lui tous les regards sans exciter l'envie[49] ; l'antipape Félix V lui envoyait des ambassadeurs, aussi bien que le pape Eugène IV. A peine il eut paru, que le sultan Amurat sentit un changement de fortune : le pacha Mezethus mis à mort dans sa fuite, les Valaques et les Moldaves ramenés à l'obéissance des Hongrois, et un trophée de têtes et d'armes sur un char que dix chevaux pouvaient à peine traîner, apprirent à la Hongrie de quoi son défenseur était capable. Le Turc Bassée[50] ne fut pas plus heureux que Mezethus. Huniade était redoutable par sa cavalerie, et non moins par ses charriots, derrière lesquels la cavalerie se retirait si elle était trop faible, et combattait comme dans un fort. Un immense butin, près de Vascaplus, enrichit tous les soldats d'Huniade ; de nouveaux secours, envoyés par les Valaques et les Polonais, décidèrent la victoire de Sophia (1442), sur les limites de la Bulgarie et de la Servie. Huniade, après le succès, voulait descendre de cheval pour saluer le roi Wladislas, celui-ci l'en empêcha, et le proclama digne de l'empire romain. Le mont Hémus n'avait pas permis de poursuivre les Turcs au delà ; une nouvelle victoire sur le Turc Carambus fut célébrée par un magnifique triomphe à Bude, où Huniade parut précédé des étendards ennemis, escorté d'un légat et d'un despote de Servie, et d'un chœur de prêtres qui chantaient les louanges de Jésus-Christ et de sa mère, la patronne de la Hongrie. La solennité s'augmenta par l'arrivée des ambassadeurs d'Eugène IV, de Venise, de Gênes, de Philippe, duc de Bourgogne ; tous excitaient Huniade à continuer la guerre, et promettaient leurs secours. Amurat, attaqué sans relâche, et fatigué d'être vaincu, demanda la paix : elle fut conclue à Segedin. Il gardait la Bulgarie, mais rendait la Servie à George, et promettait de ne plus ravager la Hongrie, à condition que les Hongrois ne toucheraient pas à ses possession d'Europe. Le traité fut juré par les chrétiens sur l'Évangile, par les Turcs sur le Coran. Les Ottomans évacuèrent toutes les villes qu'ils occupaient encore en Servie, renvoyèrent à George ses enfants, et payèrent quarante mille pièces de monnaie d'or à Huniade pour la rançon de Carambus[51]. Les succès des Hongrois, en fermant aux Turcs la route de l'Europe, avaient aussi préservé l'empire grec. L'empereur Jean Paléologue, craignant que la paix de Segedin ne tournât contre son repos, sollicita du pape, des Francs, du duc bourguignon, une nouvelle croisade qui vengeât le désastre de Nicopolis. Le cardinal d'Ibert, qui commandait une Flotte chrétienne dans l'Hellespont, écrivit en même temps que le sultan Amurat, après avoir puni une nouvelle révolte de l'émir de Karamanie, avait abdiqué en faveur de son fils Mahomet, et se livrait au repos dans les délicieux jardins de Magnésie. Le cardinal Julien Cesarini n'était pas moins impatient de terminer la guerre des Turcs ; il oublia la foi jurée, et conseilla au roi Wladislas de rompre la paix conclue avec Amurat. Une nouvelle croisade fut organisée : des Hongrois, des Polonais, des Allemands, des Bohémiens, des Valaques, se dirigèrent vers le Pont-Euxin, pour en suivre les côtes jusqu'à l'Hellespont. Le sultan sortit de sa retraite, et repoussé du Bosphore par la flotte d'Albert, il passa l'Hellespont sur des vaisseaux génois. Il atteignit l'armée hongroise près de Varna en Bulgarie (1444) ; en avant de ses quarante mille hommes, il faisait porter sur une pique le traité juré à Segedin, et invoquait contre les chrétiens leur Dieu qui avait reçu leur serment. Une bataille furieuse, engagée au point du jour, durait encore à la neuvième heure ; mais les Turcs commençaient à fléchir, lorsque Wladislas attaqua imprudemment les janissaires, et tomba mort aux pieds d'Amurat ; sa tête, coupée et enfoncée dans une autre pique, fut élevée aux yeux des Hongrois à côté du traité. Huniade reconnut la vengeance divine, et partit en criant aux siens : Fuie qui peut. Amurat, étonné de vaincre, éleva sur le champ de bataille un monument à la valeur de Wladislas, et content d'avoir sauvé son empire, il voulait revenir à sa retraite. Mais nos péchés, dit le sage Ducas, ne le lui permirent pas. Et, en effet, les Latins seuls, et non les Grecs, avaient porté la peine de cette perfidie dont l'empereur byzantin était le premier auteur. Une révolte des janissaires fit connaître dans Andrinople que le jeune Mahomet n'était pas encore digne de commander. Amurat reparut, et laissant la paix au possesseur de C. P., il descendit sur la Grèce centrale avec soixante mille hommes. Il reçut à Thèbes l'hommage du prince florentin Neri Acciuoli, et vint forcer le mur, que le despote de Lacédémone, Constantin, avait achevé à l'isthme (1446). Le Péloponnèse fut ravagé : Corinthe, Patras, périrent par le feu ; soixante mille Grecs furent pris et emmenés en esclavage. Constantin se soumit au sultan, son maitre, et garda, sous la suprématie ottomane, la despotie de Lacédémone ; Thomas, son frère, par une soumission pareille, obtint la despotie d'Achaïe[52]. Ce ne furent pas les Grecs qui empêchèrent Amurat de consommer leur ruine après la conquête du Péloponnèse. Le sultan ne voulut pas comprendre que ses victoires ne rebutaient pas les Hongrois, et lui coûtaient trop cher pour lui profiter. Il continua de harceler la Hongrie, comptant sur les embarras d'Huniade. Huniade, choisi pour régner jusqu'à ce que Ladislas le Posthume fût remis en liberté par Frédéric III, passa deux années à ravager l'Autriche, ou à pacifier la Hongrie, ou à combattre les Turcs. On le voyait avec admiration rendre la justice en tous lieux, en tout temps, assis ou à cheval, et avec une si grande sagesse, qu'il assoupit toutes les discordes des nobles. Il se montra terrible à l'empereur d'Allemagne, aux Valaques et aux Moldaves, et contint les Turcs sur la rive droite du Danube ; il les surveillait pendant le jour, et allumait de grands fer pendant la nuit pour éviter les surprises. Il eut soin par-dessus tout d'entretenir la révolte de l'Albanais Scanderbeg. George Castriot, livré par son père au sultan Amurat, avait été élevé dans l'islamisme avec le jeune Mahomet : il surpassait tous ses compagnons par son adresse, par sa force et son courage ; il abattait d'un seul coup la tête d'un taureau ; ii avait sauté seul dans les murs d'une ville assiégée, et les Turcs l'avaient eux-mêmes surnommé Scanderbeg, ou le prince Alexandre. Amurat, ayant recueilli, en 1436, la succession de Jean Castriot, tardait à la remettre à Scanderbeg, selon sa promesse. Celui-ci, après la victoire d'Huniade à Sophia, arracha au secrétaire du sultan un acte par lequel la ville de Croïa en Albanie lui était cédée ; il poignarda le secrétaire pour cacher la fraude, et s'enfuit de l'armée ottomane. Il entra dans Croïa : avec six cents hommes dévoués, il massacra la garnison turque ; et libre enfin d'abandonner l'islamisme, il se déclara soldat de Jésus-Christ. Il souleva la population de l'Albanie, qui, mélangée d'Occidentaux par la quatrième croisade, et habituée à la vie de montagnes, retrouva une énergie qui semblait perdue sur la terre grecque. Une armée de douze mille hommes, toutes les villes attachées à sa cause, et un revenu de 200.000 ducats, avec l'alliance de la Hongrie : telle fut la puissance nouvelle que Scanderbeg opposa au vainqueur de Varna. Il repoussa Ali-Pacha malgré ses quarante mille soldats ; il brava le sultan, qui vint en personne (1417) assiéger Croïa. Il avait mis les femmes et les enfants en sûreté chez les Vénitiens ; il campait lui-même sur une hauteur inaccessible, qui dominait la ville et les forces ennemies ; il prévoyait l'attaque et la troublait sans relâche ; il laissa les canions du sultan abattre un pan de mur, et à l'assaut des Ottomans, il opposa les rangs serrés des Albanais, comme un mur impénétrable. Il opposa ensuite au blocus une patience contre laquelle la faim ne pouvait rien, et fut délivré par la nouvelle d'une invasion d'Huniade. Amurat remonta vers la Servie, et fut secondé par la perfidie du despote George, qui devait à Huniade d'avoir recouvré ses États, mais qui lui enviait son titre de régent. Sous le prétexte de la générosité du sultan, qui lui avait conservé la Servie, malgré la foi violée à Varna, George refusa de se joindre à l'armée chrétienne ; il ajouta une trahison dans le genre grec, et livra les plans d'Huniade à ses ennemis ; il put s'attribuer la victoire du sultan à Cassovo (1418), et arrêta Huniade dans sa fuite. Mais Amurat n'en profita pas : il revint chercher Scanderbeg et les défenseurs de Croïa. Après s'être épuisé devant ces murs imprenables, il leva une seconde fois le siège pour mourir à Andrinople (1451). Cassovo avait prouvé, comme Varna et Nicopolis, la difficulté de vaincre les Latins. Pour tuer huit mille chrétiens et ne pas reculer sous les yeux des autres, le sultan avait perdu trente-quatre mille hommes. Mahomet II, successeur d'Amurat, fit une paix de trois ans avec Huniade ; et, après un nouveau châtiment de l'émir de Karamanie, il prit le parti d'assiéger Constantinople. Constantin XII avait remplacé son frère Jean II Paléologue (1448) sur le trône impérial, par la décision d'Amurat II, en abandonnant à ses autres frères, Démétrius et Thomas, sa despotie du Péloponnèse. Il s'était engagé à entretenir, moyennant une pension alimentaire, Orkhan, fils de Mahomet Ier, à Constantinople, comme dans une prison. La pension ne fut pas exactement payée ; l'empereur réclama, en menaçant de mettre Orkhan en liberté : Romains, répondit aux envoyés le grand vizir Ali Pacha, vous êtes des sots ; notre dernier sultan avait la conscience droite et une grande douceur ; il savait garder une amitié sincère il n'en est pas ainsi de Mahomet ; sa main, son audace, sa férocité, sa fougue, me sont connues ; si vous échappez à sa vengeance, c'est que votre Dieu n'a pas encore résolu de punir vos calomnies et vos mauvaises pensées. Mahomet II, en effet, s'était animé à la conquête du monde et au despotisme, en lisant la vie des grands conquérants. Musulman zélé dans sa jeunesse, et professant au dehors un grand zèle pour le Coran, il apparaissait, à l'âge de vingt et un ans, comme le plus redoutable ennemi des chrétiens. Il brisait avec rage tous les obstacles qui arrêtaient sa volonté. Un jour qu'un melon avait disparu d'un petit jardin qu'il cultivait lui-même, il coupa le ventre à dix pages, cherchant inutilement le coupable. Sa science du grec, du latin, du chaldéen, de l'arabe et du persan, ses connaissances en histoire, en géographie, en astrologie, n'adoucirent jamais cette âme farouche, On raconte qu'il fit sauter la tête d'un esclave, pour montrer à un peintre le mouvement des muscles et de la peau dans un homme décapité. Un tel sultan n'était pas propre à écouter les réclamations d'un empereur grec. Il mit opposition sur les revenus que les habitants des bords du Strymon payaient encore au maître de C. P., et fit publier dans tout son empire que chaque ville ou village eût à lui envoyer un certain nombre d'ouvriers pour bâtir une forteresse sur la rive européenne du Bosphore. L'empereur comprit que cette forteresse fermerait le détroit aux vaisseaux de l'Europe ; et, redoutant que tout secours lui fut enlevé par-là, il offrit un tribut, quelque considérable qu'on l'exigeât, pourvu que le projet fût abandonné : Je ne touche pas, répondit le sultan, aux choses de votre ville, qui ne possède plus rien au delà de ses murs. Souvenez-vous du danger que mon père a couru, lorsque les Hongrois alliés de l'empereur, s'avançaient vers la Thrace, et que les Francs, avec leurs vaisseaux, lui ont fermé le chemin de l'Hellespont : il fit vœu alors de bâtir sur le Bosphore, en ce lieu même, une forteresse qui regardât celle d'Asie. Rapportez donc à votre maitre que le sultan des Turcs ne peut être comparé à ses prédécesseurs, qu'il fait vite ce qu'ils n'ont pas pu faire, qu'il veut fortement ce qu'ils n'ont pas voulu. Allez ! celui qui viendra désormais me parler de ces choses sera écorché vif[53]. La forteresse fut construite, et fut appelée Bashesga, ce qui veut dire coupe-tête ; quatre cents hommes y furent placés en garnison, avec l'ordre de faire payer tous les vaisseaux qui passeraient devant. Un fondeur hongrois avait coulé pour les Turcs un canon énorme qui lançait à mille pas un boulet de six cents livres, et que soixante bœufs purent seuls traîner. Cette monstrueuse machine, placée dans le fort, enfonça un vaisseau vénitien qui avait refusé de baisser son pavillon ; le capitaine et trente matelots, croyant échapper sur une chaloupe, furent arrêtés et mis à mort avec des tortures. Malgré cette surveillance rigoureuse, Constantin XII avait jeté à l'Occident un dernier cri d'alarmes, et communiqué avec le pape Nicolas V. Le cardinal de Pologne, Isidore, apporta une dernière formule de réconciliation, qui était celle du concile de Florence. Mais la mort même ne pouvait dompter l'orgueil de la théologie grecque. L'empereur et le sénat se rendirent à Sainte-Sophie pour célébrer et sanctionner par les saints mystères la concorde rétablie dans l'Église ; mais l'empereur n'avait pas signé de bon cœur. Les moines, les religieuses, les archimandrites, le peuple, moins dissimulés dans leur aversion pour l'Occident, tinrent de leur côté une assemblée où le plus ardent des schismatiques, Gennadius, déclama contre les Francs, et fit honte à ses amis d'abandonner la foi de leurs ancêtres pour la servitude. La populace en sortit pour se répandre dans les cabarets, et là, le verre à la main, elle anathématisait les partisans de l'union. Puis, réunie devant une statue de la sainte Vierge, elle invoquait, en buvant encore, l'assistance de la Mère de Dieu contre les Turcs ; elle s'écriait : Nous n'avons pas besoin du secours des Latins ; loin de nous le rite des azymes ! Le cardinal ne pouvait croire à la bonne foi de ceux même qui avaient souscrit ; et, de retour en Occident, il mit moins de zèle à rassembler des secours. Toutes ces misères profitaient au sultan : il fit ravager le Péloponnèse jusqu'à Messène. Il prit lui-même les forts que l'empereur possédait sur la Propontide, et, après un siège difficile, emporta Sélembrie[54]. Constantin XII, prévoyant un siège prochain, avait rassemblé des provisions et les hommes de la campagne. Sa ville avait pour se défendre la Propontide et son vaste port, qui la séparait du faubourg de Péra ; au sud-ouest, du côté de la terre, deux fortifications étaient séparées par un fossé rempli d'eau, qui faisait communiquer le port à la Propontide. Des cent mille citoyens renfermés dans ses murs, le grand chambellan Phranzes ne trouva que quatre mille neuf cent soixante-dix hommes capables de combattre. On gagna deux mille étrangers vénitiens ou gênois, sous le commandement du Gênois Justiniani, à qui la souveraineté de Chio fut promise s'il faisait lever le siège. Rien ne put gagner ni apaiser les schismatiques, plus ardents encore à disputer contre les orthodoxes, qu'à dépendre la capitale de leur schisme. Ils allaient jusqu'à imposer dans la confession de rudes pénitences à ceux qui avaient communiqué avec les hénotiques (unitaires) ; une femme sur le point d'accoucher refusa la communion des mains d'un prêtre qu'on avait vu dans l'église avec les hénotiques, et qui n'avait cependant pas communiqué avec eux. Ils ne voulaient plus approcher de Sainte-Sophie, où le cardinal Isidore avait dit la messe. Quelques-uns préféraient hautement le turban de Mahomet à la tiare du pape. Enfin, le 6 avril 1453, le sultan commença le siège. Il campa au S. O. devant les deux lignes de fortifications, et disposa en quatorze batteries toutes ses machines, canons ou béliers, pour dégarnir à la fois toutes les parties de la ville : ses vaisseaux, sur la Propontide, avaient ordre d'intercepter les secours par mer. Une résistance inattendue augmenta sa colère. On eût dit que l'énergie tant vantée des vainqueurs de Marathon et de Salamine se réveillait au dernier jour de l'indépendance des Grecs ; et c'est une justice de reconnaître que la catastrophe suprême de la ville de Constantin ne fut pas sans gloire pour ses défenseurs. Il faut reconnaître ensuite que les Occidentaux y pourvurent par leur exemple. C'était l'intrépidité de Justiniani qui animait tous les autres. Sous ses ordres, les assiégés tentaient des sorties, découvraient les mines, rompaient à coups de canon les lignes ennemies, et réparaient pendant la nuit les pans de murailles abattus pendant le jour. Sur mer, quatre vaisseaux génois venus de Chio triomphèrent, sous les yeux de Mahomet, de dix-huit galères musulmanes, et entrèrent dans le port aux acclamations des assiégés. Dans son dépit, le sultan fit amener devant lui le commandant de sa flotte, le renversa à terre, et le frappa cent fois de son bâton d'or, qui pesait cinq livres. Il comprit qu'avant tout il avait besoin de se rendre maitre du port : les chaînes énormes qui en défendaient l'entrée ne pouvant être rompues, il conçut un projet incroyable. Il creusa un chemin à travers les hauteurs qui cernaient le faubourg de Péra, et, sur des planches enduites de graisse, il fit glisser pendant la nuit toute sa flotte, depuis le Bosphore jusqu'au fond du golfe qui servait de port. Les assiégés, à leur réveil, ne comprenaient pas comment ces vaisseaux étaient, venus par terre jusqu'au cœur de leur ville ; et leur effroi redoubla quand ils virent s'élever un môle long de cent coudées, à l'endroit le plus resserré du golfe, vers la partie des murs la plus facile à escalader. Constantin XII leur défendit, par sa fermeté, le découragement. ; mais les Vénitiens, qui voulurent brûler ce môle et la flotte ottomane, furent trahis par un valet génois : une querelle s'éleva aussitôt entre les deux nations, et l'empereur, qui ne pouvait plus compter sur ses plus braves alliés, qui entendait les murmures d'un peuple affamé, offrit au sultan la soumission et un tribut. Le sultan refusa, disant qu'il prendrait la ville, ou que la ville le prendrait. La nouvelle d'une armée de Hongrois et d'Allemands, qui arrivait, disait-on, sous la conduite d'Huniade, ne troubla qu'un moment sa résolution. Il annonça aux siens qu'il leur livrait tous les habitants et toutes leurs richesses, et ne retenait pour lui que les maisons. Il rappela aux janissaires les voluptés du Paradis de Mahomet ; il ordonna un jeûne de vingt-quatre heures et sept ablutions, et des réjouissances solennelles pour célébrer d'avance la victoire. Constantin s'était préparé à mourir, et il y avait exhorté les siens. Le 29 mai, à trois heures du matin, Mahomet s'avança vers le fossé : il avait placé au premier rang ses plus mauvaises troupes, et les poussait à l'assaut à coups de bâton ou de plat de cimeterre, les destinant à faire de leurs corps un pont sur lequel tous les autres passeraient pour atteindre la seconde ligne des murs. Ses marins attaquaient par le port, et lançaient sur les tours des échelles de cordes pour escalader. Telle fut la valeur des assiégés, que deux heures de combat opiniâtre, malgré l'infériorité de leur nombre tournèrent à leur avantage. Le fossé fut comblé de cadavres, comme le sultan l'espérait, mais les murs ne furent pas atteints. Les marins, renversés de leurs, échelles, ou écrasés sous les pierres, retombaient sur leurs vaisseaux ou dans le port. Une seconde attaque ne réussit pas davantage. Dans la ville, Constantin paraissait sur tous les points ; au dehors, Mahomet ordonnait aux janissaires de tuer tous les Ottomans qui reculeraient. Théophile Paléologue et Démétrius Cantacuzène décidèrent une seconde retraite des musulmans. Constantin criait victoire, lorsque Justiniani reçut une flèche à la main, et se dirigea vers un vaisseau pour se faire panser. De quel côté croyez-vous donc vous retirer ? lui demanda l'empereur. — Par le chemin que Dieu a ouvert aux Turcs, répondit le Gênois ; et, sortant par la brèche, il gagna le faubourg de Péra. Les Gênois l'imitèrent tous et quittèrent la ville. Allons, dit Constantin, achever de faire notre devoir. La valeur des assiégés avait jusque-là remplacé les murs rompus de tous côtés par le canon ; mais le nombre des assaillants était cinquante fois plus considérable. A la vue des Grecs découragés par le départ des Gênois, les Ottomans tentent un troisième assaut. Dix huit janissaires s'efforcent successivement d'occuper une tour ; le dix-neuvième l'envahit enfin, et y plante les enseignes ottomanes : les brèches sont envahies par une multitude qui pousse des cris de joie furieux. Du côté de la mer, une tour escaladée semble dégarnir et livrer les autres, qui succombent rapidement. Les Grecs reculaient, et, se repliant vers Sainte-Sophie, ils abandonnaient le terrain aux vainqueurs. Constantin, pour les entraîner par son exemple, se précipite avec quelques braves contre la plus grande brèche. Il y combat comme un lion, renverse tous ceux qu'il rencontre, et s'inonde de son propre sang et du sang des infidèles.. A ses côtés, François de Tolède surpasse, Achille, comme un aigle qui déchire sa proie du bec et des ongles. Théophile Paléologue s'écrie : J'aime mieux mourir que vivre, et il disparaît dans un gros d'ennemis. Constantin demeurait seul debout : Quoi donc, dit-il avec douleur, il n'y a pas un seuil chrétien pour me délivrer du peu de vie qui me reste, et au même instant deux Turcs lui fendent la tête de leurs cimeterres. Ainsi périt la ville et le nom de Constantin. Les Turcs massacrèrent à l'aise une population effrayée qui n'encombrait à Sainte-Sophie pour y recevoir range de la délivrance qu'elle attendait encore. On porte à soixante mille le nombre de ceux qui périrent ou furent réduits en esclavage dans le sac qui dura trois jours. Mahomet entra à cheval dans l'église de Sainte-Sophie ; et, après avoir prié sur l'autel, il donna ordre de l'abattre ; il entra dans Péra, d'où les Gênois avaient fui, et les fit tous revenir par la menace de confisquer leurs biens, qu'ils n'avaient pu emporter. Il recherchait le corps de l'empereur, et l'honora des funérailles que méritait son courage ; enfin, assuré de sa conquête, il voulut en faire sa capitale. Pour ne pas régner sur un désert, il y appela cinq mille familles de la Natolie et de la Thrace ; il racheta de ses soldats et affranchit le plus grand nombre des captifs ; et, afin d'encourager au retour ceux qui avaient fui, il permit le libre exercice de la religion chrétienne[55]. Tous les Grecs ne répondirent pas à cet appel. Plusieurs allèrent demander asile aux peuples de l'Occident, et redoublèrent les alarmes de la chrétienté. La prise de C. P. n'était que l'inauguration du règne de Mahomet. La ruine de Thomas et de Démétrius Paléologue dans le Péloponnèse, et des Florentins dans l'Attique (1458), la destruction de l'empire de Trébizonde (1462), l'occupation de Lesbos (1462), de la Bosnie et de la Servie (1463), de la Karamanie (1464), de Négrepont (1469), et de la plus grande partie de l'Albanie, après la mort de Scanderbeg (1478), l'invasion d'Otrante et du Frioul, toutes ces acquisitions, tous ces défis portés aux chrétiens, ont constitué l'empire des ottomans et fait de Mahomet le plus grand dé leurs empereurs. Mais l'Europe occidentale s'était bien vite remise de son premier effroi. Trois ans après la prise de C. P., Huniade sauva Belgrade d'un second siège, et transmit l'héritage de ses exploits à son fils Mathias Corvin ; les chevaliers de Rhodes défendirent seuls contre toutes les forces navales de Mahomet leur rie et leurs murs, ce poste avancé du christianisme au milieu des nations musulmanes. Bientôt il fut évident que les limites de l'empire grec étaient aussi les limites de l'empire ottoman. Les races barbares n'avaient plus rien à réclamer de l'ancienne puissance des Romains : les invasions étaient finies ; la dernière avait livré l'Orient aux Scythes, comme les premières avaient livré l'Occident aux Germains. Les temps modernes commençaient. FIN DU TROISIÈME ET DERNIER VOLUME |
[1] Ducas, ch. II.
[2] La Transylvanie est appelée par Chaleondyle Ardelium ou Pannodacie, à cause des idiomes dace et pannonien. Soumis au roi de Pannonie (Hongrie), les Pannodaces en reçoivent un chef (αρχοντα), et lui doivent le service militaire et un tribut variable à sa volonté (Chalcondyle, De rebus turcicis, lib. 5).
[3] Chalcondyle et Bonfinius (Rerum hungaricarum decades) font venir les Valaques des Romains, et leur nom άπό τοΰ βάλλειν καί άκιδος.
[4] Voyez, dans l'Atlas de Kruse, les deux cartes traduites par M. Ansart, du IVe et du XIIIe siècle.
[5] Phranzes, 1-5.
[6] Phranzes, 1-5, 6. Georges Pachymère.
[7] Phranzes, 1-5, 7.
[8] Chalcondyle, liv. 2. Phranzes, 1-25. Ducas, ch. 3.
[9] Phranzes, 1-25. Annales turcici a Joanne Gaudier ex Turcico Germanice translati, 1562.
[10] George Pachymère ; Phranzes, 1-25, 3. Voyez encore de Hammer cité par Schœll.
[11] Cantacuzène, liv. I tout entier.
[12] Chalcondyle, Ann. turc. Phranzes. Cantacuzène, liv. 2.
[13] Cantacuzène, liv. 2.
[14] Schœll et de Hammer cité par lui.
[15] Cantacuzène, liv. 3, chap. I.
[16] Cantacuzène, 4-11.
[17] Cantacuzène, 4-11, 22.
[18] Ducas, 5.
[19] Cantacuzène, 3-26.
[20] Cantacuzène, liv. 3, ch. 100.
[21] Ducas, voyez ch. 5, 6, 7, 8, 9, 10.
[22] Cantacuzène, liv. 4-2, 9, 10.
[23] Cantacuzène, liv. 4-2, 20, 21, 22.
[24] Annales turcici.
[25] Livre 4-42.
[26] Chalcondyle, liv. 1, vers la fin.
[27] Chalcondyle, liv. 1, vers la fin.
[28] Chalcondyle, liv. 1. Ducas, ch. 12.
[29] Chalcondyle.
[30] Phranzes, 1-18.
[31] Ducas, ch. 13.
[32] Ducas, ch. 13.
[33] Annales turcici.
[34] Bonfinius, Rerum hung. decades. Troisième décade, liv. 2. Ducas, ch. 13. Annales turques, et le récit toujours si confus de Chalcondyle, liv. 2.
[35] Phranzes, 1-20, 29. Chalcondyle, liv. 2, Annales turques. Ducas, 13 et 14. J'ai suivi de préférence l'ordre de cet auteur, qui, de tous les byzantins de ce temps, paraît comprendre le mieux les événements.
[36] Chalcondyle, liv. 2. Annales turques. Ducas, 15.
[37] Voyez Schœll, liv. 5, ch. 21, t. X.
[38] Ducas, ch. 15.
[39] Schœll, liv. 5, ch. 21, t. X. Ducas, ch. 15. Chalcondyle, liv. 3.
[40] Annales turques. Ducas, 16. Phranzes, 1-29.
[41] Ducas, 18.
[42] Phranzes, 1-34.
[43] Ducas, 21, 22. Schœll, 5-23, t. XI.
[44] Ducas, de 23 à 27.
[45] Ducas, 28, 29. Phranzes, 2-1, 2, 3. Chalcondyle, liv. 5. Annales turques.
[46] Bonfinius, déc. 3, liv. 4.
[47] Phranzes, 2-13.
[48] Ducas, 31, 39.
[49] Bonfinius, déc. 3, liv. 4 et 6.
[50] Appelé encore Sciabadin par Bonfinius, Sabatines par Chalcondyle, et Abedin par les Annales turques.
[51] Bonfinius, déc. 3, liv. 3. Ducas, ch. 32. Chalcondyle, 6. Annelles turques.
[52] Ducas, 32. Phranzes, 2-19. Chalcondyle, 7. Annales turques.
[53] Ducas, 34.
[54] Ducas, 36. Phranzes, 3-7.
[55] Phranzes, de 7 à 18. Ducas, 38, 39. Chalcondyle, liv. 8. Annales turques.