HISTOIRE DU MOYEN ÂGE

QUATRIÈME PÉRIODE, 1294-1453

 

CHAPITRE VINGT-NEUVIÈME.

 

 

Russie, Prusse et Pologne ; Danemark, Suède et Norvège. Union de Calmar.

 

I

La Horde d'or, fondée par Batou, continuait à tenir la Russie dans sa dépendance ; le khan du Kaptchak nommait le grand-duc ou les princes de second ordre, les citait devant sa justice, ou les mettait à mort sans réclamation. Le christianisme russe lui-même ne vivait que par la protection de la Horde. Le khan Ouzbeck (1313) prit sous sa garde la tranquillité du métropolitain, des archimandrites, des prêtres, des abbés, et la conservation de leurs villes, de leurs districts, de leurs chasses de leurs abeilles. — André II Alexandrowitch (1294-1304), Mikhail II Jaroslawitch (1304-1319), Jourié III Danilowitch (1319- 1323), Dimitry Ier Mikaïlowitch (1325) —. Alexandre II Mikaïlowitch fut le premier qui essaya secouer le joug ; le khan Ouzbeck lui ayant envoyé une petite armée pour recevoir le tribut annuel, il souleva le peuple contre ces Mongols et les fit massacrer à Twer, malgré leur vigoureuse résistance (1327) ; il en fut puni par la perte du titre de grand-duc, et Iwan Ier Danilowitch le remplaça. Iwan Ier continua de résider à Moscou, sa principauté, et y transporta le siège de la dignité grand-ducale il entoura cette ville d'un mur de bois, et y construisit le kremlin, ou la forteresse. On le regarde comme le fondateur de la monarchie, à cause de la suprématie respectée qu'il exerça sur les autres princes. Son successeur Siméon (1340-1363) mérita, pour la même cause, le surnom de Gordoï ou de fier, et prit le premier le titre de grand-duc de toute la Russie. Toutefois les divisions intérieures ne cessaient pas après lui, et les Russes perdirent leur ancienne ville de Kief, dont les Lithuaniens s'emparèrent.

La décadence de la Horde d'or commença en 1369 plusieurs khans se partagèrent l'empire de Batou ; et Dmitry II Iwanowitch, nommé par un de ces khans, se fit installer grand-duc à Wladimir, et siégea à Moscou (1362). Dmitry rebâtit le kremlin en pierres, et repoussa deux fois de ses murs le duc de Lithuanie Olgierd. Reconnu en 1371 par Nowogorod, il s'assujettit le prince de Twer, et supprima dans Moscou les fonctions du millénaire, magistrat élu par les bourgeois, qui les commandait en temps de guerre, et qui recevait d'eux un pourvoir égal à celui du prince. Le Mongol Mamaï, qui avait apaisé les troubles du Kaptchack, et régnait sous un khan fait par lui, commença, en 1377, contre le grand-duc, une guerre qui tourna à l'avantage des Russes. Vainqueur sur la Piana, et maitre du pays de Nijeneï-Nowogorod, qu'il ravagea à l'aise, il fut vaincu l'année suivante sur la Woja. Il obtint inutilement l'alliance du prince de Lithuanie, et vit les Russes passer le Don, et s'arrêter dans la plaine de Koulikof ou des Bécasses (1380). C'est là que fut livrée une bataille célèbre dans cette ennuyeuse histoire de Russie. Dmitry, paré de la croix, refusa, malgré le conseil de ses boyards, de se ménager. Les Mongols y perdirent deux cent mille hommes. Dmitry, retrouvé au pied d'un arbre où l'avait jeté sans connaissance une blessure à la tête, fut surnommé Donski, ou vainqueur du Don. Il eût peut-être achevé la délivrance de son pays, si l'ami de Tamerlan, Toktamisch, n'avait remplacé Mamaï ; il brava ce nouveau khan, et fut inopinément assailli par une armée nombreuse. Moscou, abandonnée par lui, disparut, à l'exception du kremlin, des tours et des murs, que l'ennemi ne prit pas le temps d'abattre ; vingt-quatre mille cadavres couvrirent les ruines. Dimitry se vengea en décroisant Riaisan, dont le prince avait secouru les Mongols ; mais il fut obligé de payer un tribut à Toktamisch, et de livrer son fils Wassilet comme otage. Avant de mourir, il força Nowogorod à le reconnaître de nouveau, et à lui payer tribut. Sa mort l'empêcha de reprendre la guerre contre les Mongols (1389).

Wassilet II, fils de Dmitry, ajouta aux possessions de son père les propriétés de Sousdal et de Nijeneï-Nowogorod (1392), mais ne put arrêter les conquêtes du Lithuanien Alexandre, qui joignit Smolensk aux autres provinces russes conquises par les siens. Il entretint les troubles que l'expulsion de Toktamisch avait soulevés au Kaptchak. Il sauva Moscou, assiégée par les Mongols, et fut à la fin réduit à payer le tribut. Son successeur Wassilet III (1426) combattit tour à tour les princes russes et les Mongols. Installé à Moscou par le khan Oudou-Makmet, il refusa ensuite un asile à ce Tartare, qui s'en vengea par une victoire, et qui fonda un khanat nouveau à Kasan. Vainqueur de son cousin Kossoï, il le fit aveugler. Vainquer en 1444 par Oudou-Makmet, il fut emmené prisonnier à Kasan ; et ne recouvra la liberté que pour être aveuglé à son tour et supplanté par Chemiaka, frère de Kossoï. La fidélité d'un boyard lui forma une armée ; une bataille près de Moscou lui rendit le trône. En 1450, une nouvelle révolte de Chemiaka lui donna le droit d'ajouter à ses domaines la principauté de Halitsch[1]. A l'exception des provinces que les Lithuaniens possédaient, Wassilet avait réuni tous les Russes en un seul État. L'expulsion des Mongols était réservée à son fils Iwan III.

 

II

La conquête de la Prusse par les chevaliers Teutoniques était une cause naturelle de rivalité entre l'ordre et la Pologne. La supériorité de la Pologne devait être le résultat de cette rivalité. D'abord les chevaliers agrandirent leur territoire par le desséchement des marais d'Elbing et de Marienbourg (1288-1294), et par l'acquisition du district de Michelau (1304), que leur vendit un prince polonais de Cujavie. Ils occupèrent La Pomérellie (1388), avec le consentement de l'empereur Henri VII ; en 1309, le chef-lieu de l'ordre fut établi à Marbourg par le grand maitre Sigefroi de Feuchtwangen. La Pologne, au contraire, divisée en principautés nombreuses, était en outre agitée par les difficultés d'une succession élective. Elle ne put retenir la suprématie qu'elle réclamait sur la Pomérellie ; et déjà elle entrevoyait la perte de la Silésie, dont les ducs se tournaient vers la Bohême. A côté de l'un et de l'autre État, les Lithuaniens, séparés des Russes depuis 1250, avaient pour chef le brave Gédimin. Celui-ci reconquit sur l'ordre la Samogitie (1319) ; l'acquisition des principautés russes de Wladimir et Luck, la fondation de Troki et de Wilna, lui créèrent une puissance redoutable. Ennemis de la Pologne et de l'ordre, et tour à tour alliés de Fun et de l'autre, les Lithuaniens décideront la supériorité de la Pologne en se réunissant à elle.

Les chevaliers soulevèrent en 1328 le roi Jean de Bohême contre le roi de Pologne Wladislas IV, et contre les païens de la Lithuanie ; ils le firent reconnaître pour roi de Pologne, en appelant Wladislas roi de Cracovie, et obtinrent de lui l'abandon de toute la Pomérellie et du district de Dobrzyn. Casimir III, successeur de Wladislas (1333), ne put terminer cette guerre que par de nouvelles concessions ; il signa avec le roi de Bohême la paix de Trentchin (1335), qui abandonna la Silésie à la maison de Luxembourg, et par la paix de Visegrad (1335), renouvelée à Kalisch (1343), il n'obtint que la Cujavie et Dobrzyn, en laissant à l'ordre la Pomérellie, Culm et Michelau. Casimir III, malgré ces pertes, a mérité le surnom de grand ; il força à l'hommage Ziemovit, duc de Masovie, et réunit toute la Pologne sous un seul suzerain ; il régla l'administration intérieure par un code de lois obligatoires pour tous ; il appela aux états les députés des villes immédiates ; il accorda aux paysans le droit de faire apprendre des métiers à leurs enfants ; il détermina les services auxquels ils seraient tenus envers leurs seigneurs, et les conditions sous lesquelles ils pourraient acquérir des propriétés ; il interdit aux nobles le commerce et l'industrie. La noblesse se vengea en appelant Casimir le roi des paysans elle se fit céder les droits régaliens de la chasse et de l'exploitation des mines, et fut admise à décider sur la paix et sur la guerre. Si l'on peut rapporter à Casimir III l'affaiblissement du pouvoir royal, on doit lui rapporter à Casimir III l'affaiblissement extérieur de la Pologne. C'était pour lui que le Lithuanien Olgierd, fils de Gédémin, combattait les Mongols et les Russes, et que l'ordre Teutonique renouvelait sans relâche la lutte contre les Lithuaniens. Olgierd enleva la ville et la principauté de Kief aux Russes ; il conquit la Podolie. Les chevaliers amenèrent, en 1337, Jean de Bohême contre la Lithuanie ; avec les chevaliers français et anglais, que la bataille de Poitiers (1366) laissait dans l'inaction, ils furent si complètement vainqueurs, qu'Olgierd, pour les apaiser, demanda le christianisme. En 1362, renforcés d'aventuriers anglais, danois, bohémiens et allemands, ils assiégèrent et détruisirent à coups de bombardes la forteresse de Kovno ; en 1370, ils exterminèrent à Rudan une armée de soixante-dix mille Lithuaniens qui avaient envahi leur territoire. Malgré tant de succès, le résultat n'était pas pour eux : leurs pertes étaient énormes à chaque victoire ; en 1309, lorsqu'il fut question d'un échange de prisonniers, il y avait quatorze commandeurs et quatre-vingt-seize chevaliers aux mains des Lithuaniens ; ils ne conservèrent pas même l'Esthonie, qu'ils avaient délivrée des Danois (1343), et la cédèrent pour vingt mille marcs à l'Ordre de Livonie ; ils furent bientôt réduits à louer des mercenaires. Casimir III, qui s'était maintenu habilement dans leur alliance, avait (1340) acquis la principauté russe de Haliez, à l'extinction de ses princes : il prit à Olgierd la Podolie, la Wolhynie et les palatinats de Belz et de Brzesc. Pour civiliser le pays de Haliez, ou Russie-Rouge, il y établit des colons polonais et allemands, fonda des églises catholiques et des villes ; il prit le nom de seigneur et d'héritier de la Russie.

Casimir III fut remplacé en 1370 par son neveu Louis le Grand, qui régnait déjà sur la Hongrie ; les nobles, pour accepter le nouveau roi, le firent capituler. Louis le Grand s'engagea à n'exiger des nobles que-les anciennes impositions, à ne pas employer la force pour lever les Subsides accordés par les états, à ne pas voyager sur les terres des nobles sans leur consentement, et à n'y rien prendre sans payer, à ne jamais emmener les nobles à leurs frais au-delà des frontières. Telle est l'origine des pacta conventa. Ils exigèrent davantage lorsque ce roi, qui dédaignait le séjour de la Pologne pour la Hongrie, voulut assurer la succession à ses filles. Après avoir réduit la contribution que payaient les terres des nobles, et admis les seuls nobles indigènes aux charges publiques ou au partage des domaines royaux, Louis le Grand renonça au droit de réunir à la couronne les fiefs vacants par mort ou par félonie. A ces conditions, sa fille Hedwige fut, après lui, couronnée roi de Pologne (1382). Une nouvelle exigence des nobles décida l'acquisition de la Lithuanie. Hedwige était fiancée au prince autrichien Guillaume ; mais Jagellon, fils d'Olgierd, la demandait en mariage, en promettant de se faire chrétien, et de réunir la Lithuanie à la Pologne. Hedwige, malgré ses répugnances, épousa Jagellon (1387). La Lithuanie se composait des palatinats de Wilna et Troki, de la Podlésie, de Brzesc, de la Russie-Noire ou de Nowgorodeck de la Russie-Blanche ou de Minsk, Polock, etc., de la Samogitie, de la Podlachie, de la Kiovie et de la Séverie. Il laissa le nom de grand-duc de Lithuanie, sous la suzeraineté de la Pologne, à son frère Casimir, la Samogitie, la Podlachie et la Polésie à son cousin Witold ou Alexandre. Jagellon avait pris au baptême le nom de Wladislas ; dans une diète tenue à Wilna, il fit décréter l'introduction du christianisme en Lithuanie ; l'idole de Peroun brisée par la hache, et son feu éteint par l'eau sans que le ciel fit entendre sa colère, convainquirent les païens que Peroun n'était pas le vrai Dieu ; ils accoururent en foule autour de Wladislas pour apprendre le Credo et le Pater, et pour recevoir, après le baptême, une belle robe de laine blanche. En 1401, Wladislas, tout en laissant à son cousin Alexandre, qui avait remplacé Casimir, le titre de grand-duc, proclama et sanctionna l'union de la Pologne et de la Lithuanie ; il régla que dans l'un et l'autre état les nobles seraient égaux, et que le clergé jouirait des mêmes droits. L'exercice de la religion catholique était indispensable pour l'admission aux charges ou aux droits de la noblesse.

L'ordre Teutonique s'était mis en mesure de combattre la Pologne agrandie ; dès l'an 1393, il s'était fait céder la Samogitie par le grand-duc Alexandre. Une expédition n'ayant pas réussi contre Wilna, l'ordre se fit céder par le roi de Suède l'île de Gothland (1397). Il acheta de Sigismond la Nouvelle-Marche par où la Prusse communiquait avec l'Allemagne. Cinquante-cinq villes entourées de murs, quarante-huit châteaux forts, dix-neuf mille villages, une population de deux millions, et un revenu annuel de huit cent mille mares d'argent : telle était la puissance des chevaliers. Wladislas V, ne voulant pas leur laisser le temps de s'accroître encore, les attaqua en 1410. Il leur livra la bataille de Tannenberg, et tua le grand maitre, six cents chevaliers et quarante mille de leurs soldats. Il somma la Prusse de reconnaître sa domination, et assiégea Marienhourg. C'en était fait de l'ordre, si le brave Henri Reuss de Plauen n'eût défendu cette ville et forcé les vainqueurs à la retraite. Le libérateur fut élu grand maître par acclamation ; mais la décadence de l'ordre avait été décidée à Tannenberg.

La paix de Thorn (1410), renouvelée en 1422 à Melno, livrait à la Pologne la Samogitie, la Sudavie, et la moitié de la Vistule, depuis l'embouchure de la Drewenz jusqu'aux environs de Bromberg ; la paix de Brzesc (1436), qui confirmait toutes ces dispositions, fut déclarée perpétuelle. La Pologne ne ressentait pas encore ces tristes effets de la puissance des nobles qui ont abouti au partage abhorré du dernier siècle, ou à cette lamentable infortune que ces imprévoyants vaincus promènent sous nos yeux dans toute l'Europe. Les nobles, impunément, à la mort de Wladislas V, rendirent le trône électif tout en choisissant pour roi son fils, Wladislas VI. Ils se firent réserver la jouissance des domaines royaux, et assurer des indemnités pour toutes les guerres qu'ils auraient à soutenir hors du royaume. Le consentement des états devint nécessaire pour la Fabrication de la monnaie, et aucun noble ne put être arrêté pour cause de crime, avant d'avoir été convaincu par autorité de justice. Les agitations de la Prusse compromettaient bien davantage l'existence de l'ordre Le caractère ferme du grand maître, Henri de Plauen, irrita les chevaliers, qui se partagèrent en factions du Vaisseau d'or et de la Toison d'or. Les Prussiens réclamèrent a leur tour contre les impôts que la guerre rendait nécessaires, et (1416) dans une assemblée générale des états, les orateurs du peuple firent entendre leurs doléances, et obtinrent la formation d'un conseil national. Ire grand, martre ne pouvait phis rien ordonner sans ce conseil, composé de dix nobles et de dix sénateurs des villes ; on y substitua, en 1430, un autre conseil composé de six grands officiers de l'ordre, de six prélats, de six députés de la noblesse, de six députés des villes, qui devait s'assembler une fois par an, veiller à la conservation de let monnaie, et accorder où refuser les impositions. En 1440, les villes et la noblesse se confédérèrent contre l'ordre, et leur ligue fut confirmée par l'empereur Frédéric-III. Le grand maître, Conrad d'Erlichsausen s'efforça de réformer les mœurs des chevaliers, qui les rendaient odieux. Son neveu Louis, élu pour le remplacer (1460) malgré ses conseils, subit contre les Prussiens et contre le roi de Pologne Casimir IV, successeur de Wladislas VI, une guerre qui ne se termina qu'en 1466 par la paix de Thorn, au détriment et à la honte des chevaliers.

 

III

Il serait sans intérêt d'étudier en détail les troubles qui ont agité les trois États Scandinaves pendant le XIVe siècle avant l'union de Calmar. Dans le Danemark, Eric VI, contraint à combattre les meurtriers de son père, absorba le dixième des produits du sol en contributions indispensables, et ne suffisant pas encore aux frais de la guerre, il vendit ou engagea les domaines de la couronne, la Fionie, et des îles entières. Son frère Christophe II (1319) ne parvint à lui succéder qu'en se mettant dans la dépendance des états, dont la diète annuelle, composée des prélats, de la noblesse, des bourgeois et des paysans, exerçait seule le pouvoir législatif Il ne régna pas pour cela avec plus de tranquillité ; il fut un moment déposé et remplacé par le duc de Steswick : à sa mort le Danemark était partagé entre six princes indépendants (1333). Au bout de sept ans (1340), Waldemar III, le plus jeune des fils de Christophe, signa une capitulation pareille à celle de son père, et rentra en possession de la royauté. Sa fermeté et sa puissance faillirent le perdre nomme ses prédécesseurs. On se révolta pendant son absence ; on prit pour de la faiblesse un premier pardon ; les comtes de Holstein ne furent contenus que par une défaite complète à Glamborg (1357). Plusieurs guerres entreprises par Waldemar III présagèrent au Danemark la suprématie qu'il devait exercer sur le Nord. Les provinces de Scanie, de Halland, de Bleckingie, furent conquises en 1359, les îles de Œland et de Gothland en 1360, malgré la résistance de Wisby, une des villes hanséatiques. Une coalition du roi de Norvège, des comtes de Holstein, du duc de Mecklembourg, et des villes hanséatiques, fut dissoute et Marguerite, fille de Waldemar, fiancée au roi de Norvège (1362) ; une seconde conspiration des villes hanséatiques fut prévenue (1364) par de prudentes concessions. Tant d'activité et de bonne fortune n'avait pas même assuré le repos à Waldemar. Le roi de Suède, les villes de la Hanse, le duc de Mecklembourg, les nobles du Jutland, conclurent la ligue de Weimar (1368) pour se partager le Danemark ; Waldemar crut prudent de sortir de son royaume ; il fut soutenu par l'empereur Charles IV, qui cita les Danois à son tribunal, mais obligé de signer la paix de Stralsund (1371), qui cédait la Scanie à la Hanse, en dédommagement de la perle de Wisby. Waldemar III laissa pour héritier du royaume (1375) son petit-fils Albert de Mecklembourg ; mais sa fille Marguerite, femme du roi de Norvège, réclamait la couronne pour son propre fils Olaüs, âgé de quatre ans. Cette guerre de succession tourna au profit de Marguerite, et fut décidée par la mort de son mari Haquin de Norvège (1380).

Les rois de Norvège successeurs d'Éric II (mort en 1299) sont : Haquin VI, qui proscrivit les objets de baie importés par la ligue hanséatique, et qui régla la succession au trône et les devoirs des régents ; Magnus III, de la race suédoise des Folkungiens (1318-1350), et déjà roi de Suède, dont la mauvaise administration occasionna et entretint des guerres civiles, et à qui ses sujets attribuèrent les malheurs de la peste de 1348 ; ils le forcèrent d'abdiquer en faveur de son fils Haquin VII. Ce dernier, élu roi de Suède en 1362, épousa Marguerite et mourut en 1380.

Olaüs, fils de Haquin VII et de Marguerite, fut d'abord proclamé roi de Norvège ; dans l'espérance de réunir la Norvège au Danemark, les Danois ne firent pas difficulté de le reconnaître pour leur roi sous la tutelle de sa mère. Sa mort prématurée, en 1387, ne troubla pas la réunion ; les états de Danemark proclamèrent Marguerite, dame, princesse et tutrice da royaume ; la Norvège lui laissa également toute l'autorité, en désignant, pour la remplacer, son neveu Éric de Poméranie. Marguerite appela près d'elle ce jeune prince afin de le montrer aux Danois, et de le faire reconnaître roi de Danemark. Au milieu de ces soins, elle fut appelée au trône de Suède.

Birger, fils et successeur du roi de Suède Magnus Ladulas (1292), passa un règne de vingt-sept ans à combattre ses frères ; il leur sacrifia son ministre Torkel Knutson, fut emprisonné par eux (1306), et rétabli par les menaces du roi de Danemark ; il partagea le royaume avec eux (1310), et les fit assassiner (1318). L'indignation du peuple le renversa du trône ; son fils fut exclu de sa succession, et exécuté comme complice de l'assassinat de ses oncles. La diète, composée du clergé, des nobles, des bourgeois et des paysans, reconnut Magnus II, le neveu de Birger. Magnus II, sorti de tutelle (1334), s'empara du denier de saint Pierre pour suffire à ses dépenses ; il conquit Wibourg en Finlande, mais ne réussit pas dans une guerre contre les Russes de Nowogorod. Obligé de céder la Carélie et la petite Savolaxie, et d'engager les domaines royaux, il encourut le mécontentement de ceux qui l'avaient fait roi, et qui mirent à sa place son fils Éric XII (1350), comme les Norvégiens l'avaient obligé de céder leur couronne à son autre fils Haquin. Magnus trouva le moyen de garder une part de la Suède, et même de reprendre tout le royaume à la mort d'Eric. Renversé une seconde fois par son fils Haquin, roi de Norvège, il vint à bout de partager encore jusqu'à ce que la diète de Stockholm (1363) eût déposé le père et la fille pour leur substituer Albert Ier, duc de Mecklembourg. Les Suédois soutinrent ce nouvel élu contre les prétendants étrangers ; ils emprisonnèrent Magnus, et continrent Haquin dans sa Norvège. Alors ils se ressouvinrent qu'Albert était allemand ; ils craignirent sa préférence pour les Allemands ; ils lui reprochèrent la dilapidation de finances, et en 1386, lorsque déjà Marguerite gouvernait la Norvège et le Danemark, ils offrirent la couronne de Suède à cette princesse.

Marguerite accepta. Elle leva deux armées, l'une de Suédois, l'autre de Danois ; elle vainquit Albert à Falkiöping (1389) et le fit prisonnier. Les partisans d'Albert conservant Stockholm, Marguerite lui rendit la liberté par la paix de Lindholm, à la condition que s'il ne payait pas en trois ans une rançon de 60.000 mares d'argent, il rentrerait en captivité. Albert accepta cette clause, qu'il ne pouvait remplir, remit Stockholm aux mains d'arbitres, et retourna dans le Mecklembourg (1395). Marguerite, sans perdre de temps, conseilla aux états de Suède de reconnaître pour roi son neveu Éric de Poméranie ; la diète de Nykkiping accepta : Eric fut couronné roi de Suède à Calmar (1397), et dans cette solennité, l'union de Calmar fut conclue, par laquelle les trois royaumes de Danemark, de Suède, de Norvège, furent réunis sous un même gouvernement. Les lois nationales conservées à chaque royaume, le séjour alternatif du roi dans chacun, la défense de l'un confiée aux deux autres en cas d'attaque étrangère, furent les principales conditions Stockholm et l'île de Gothland, reconquises en 1398 et 1399, la renonciation d'Albert (1405), et une guerre heureuse contre le Holstein, furent les derniers actes de Marguerite, qui mourut en 1412, emportant le surnom de Sémiramis du Nord.

Éric le Poméranien consuma inutilement les forces de ses trois royaumes à envahir le Sleswick, qu'il se fit adjuger par l'empereur Sigismond (1424), et que les villes hanséatiques délivrèrent (1426) par sine déclaration de guerre. Bergen, en Suède, fut pillée par l'armateur Barthélemy-Watt (1429), et en 1435, Éric laissa le Sleswick au duc Adolphe VII. Cette guerre malheureuse, et la vie déréglée du roi, ruinaient déjà l'œuvre de Marguerite. En Suède, les Dalécarliens se soulevèrent contre la tyrannie du gouverneur danois Jœsse Ericson, et prirent pour chef Engelbrecht, qui se trouva à la tête de cent mille hommes. Les sénateurs, réunis à Wadstens, reçurent l'ordre de renoncer à l'obéissance d'Éric ; le roi lui-même, qui avait voulu défendre Stockholm, abandonna la Suède (1434), dont Engelbrecht fut proclamé régent. Il accepta les conditions des révoltés, et promit de ne confier les places de la Suède qu'aux indigènes ; il hésita ensuite à venir à la diète d'Arboga, qui devait tout pacifier ; il laissa impuni le meurtre d'Engelbrecht, renouvela (1436) à Calmar l'union de 1397, et montrant la même défiance à tous ses sujets, essaya de ne résider, malgré ses promesses formelles, ni en Suède, ni en Danemark. Les Danois prononcèrent les premiers sa déposition (1438), et choisirent à sa place son neveu Christophe de Bavière, comte palatin du Rhin. Les Suédois le déposèrent à leur tour, en 1439, et proclamèrent Christophe en 1440. La Norvège se décida en 1442. Le Bavarois fut reconnu à Rypen avec le nom d'archi-roi de l'Empire danois. Christophe publia en Danemark le droit municipal appelé berkeriht, et transféra sa résidence à Copenhague. Il chercha par quel moyen il délivrerait ses trois royaumes du commerce de la ligue hanséatique Il favorisa les Hollandais ; il renouvela les privilèges anciennement accordés par ses prédécesseurs aux négocia ns de Livonie et de Prusse. N'avant pu livrer aux Hollandais le commerce de Bergen, dont la Hanse avait le monopole, il s'entendit avec les princes de Brunswick, de Mecklembourg et de Brandebourg pour occuper Lubeck (1447). Déjà plusieurs soldats des princes &étaient glissés dans la ville lorsqu'un incendie découvrit le complot et le fit échouer. Ce contre-temps était d'autant plus fâcheux, que les pirateries d'Eric le Poméranien empêchaient le blé de venir en Suède, et que les Suédois étaient réduits à mêler à leur farine des écorces pulvérisées Christophe fut méconnu dans tous ses efforts par ceux qui l'avaient appelé au trône ; les Suédois le surnommaient le roi d'écorces ; les Danois l'empêchaient, par jalousie nationale, de délivrer la Suède des pirates ; la turbulence des trois états renaissait menaçante : Christophe mourut de chagrin le 5 janvier 1448. Après lui, l'union de Calmar fut dissoute.

 

 

 



[1] Il ne faut pas confondre ce pays avec la principauté de Haliez ou Gallicie.