France et de l'Angleterre (1307-1453) : guerre de Crécy, de Poitiers, d'Azincourt el d'Orléans. La constitution angle s'accroit de l'affaiblissement du pouvoir royal ; en France, accroissement du pouvoir royal par la ruine de la féodalité ; le nord et Le midi réunis définitivement par l'expulsion des Anglais[1].I Les réclamations des barons et des communes en Angleterre avaient été plus fortes que la volonté tyrannique et la gloire d'Édouard Ier ; au contraire en France, l'énergie et les violences de Philippe le Bel assuraient à ses successeurs la suprématie absolue sur la féodalité et sur le peuple. A peine Édouard II de Carnarvon avait succédé à son père, que les barons, relevant la tête, lui contestèrent le droit d'avoir un favori. C'était Piers de Gaveston, le compagnon de sa jeunesse, qu'il avait rappelé de l'exil malgré les dernières recommandations de son père, pour lui donner sa nièce en mariage, le nommer grand chambellan, et lui livrer les trésors réservés à la guerre sainte. En accusant ce favori de mal dispenser les faveurs royales et de tromper le roi dans l'administration, les barons et les communes trouvaient un prétexte commode de faire connaître leurs plaintes et leurs nouvelles exigences. Gaveston, un moment éloigné d'Angleterre, mais chargé du gouvernement d'Irlande (1308), ne satisfit pas la haine de ses ennemis. Avant d'accorder un nouveau subside au roi pour l'année suivante, les députes des communes présentèrent une pétition pour le redressement des griefs, réclamèrent contre les pourvoyeurs royaux qui prenaient leurs provisions sans donner de cautions ; contre les droits additionnels imposés sur le vin, sur le drap, sur d'autres objets importés de l'étranger ; contre l'altération des monnaies ; contre les intendants et les juges de la maison du roi qui jugeaient des procès en dehors de leur compétence ; contre les chartes de pardon trop facilement accordées aux coupables ; enfin contre le roi lui-même, qui avait oublié de nommer, à l'exemple de son père, un secrétaire pour recevoir dans le parlement les pétitions des communes[2]. Édouard, d'abord irrité de ce ton fier des communes, consentit ensuite à céder et à réparer, afin d'obtenir par sa condescendance le retour de Gaveston ; il obtint aussi l'assentiment des barons par ses promesses, et Gaveston reparut. Le favori en abusa ; il était originaire de la Guyenne et depuis, les hommes du midi appelés en Angleterre, élevés en dignité, préférés aux Anglais, étaient une cause continuelle d'accusation contre les rois faibles. A ce premier tort, Gaveston ajouta des injures contre les lords ; il appelait le comte de Lancastre le vieux pourceau ou le comédien, le comte de Pembroke Joseph le juif, le comte de Glocester le coucou, le confite de Warwick le chien noir des bois ; aux injures il ajouta une grande habileté dans les tournois, il désarçonna les lords les plus considérés, et redoubla ses moqueries. Ce triomphe d'un gueux revêtu des faveurs royales était trop insupportable aux nobles lords. On recommença de protester contre lui, et toujours au détriment du roi ; les barons, étant venus au parlement de 1310, suivis de leurs tenanciers armés, firent nommer, pour réformer la maison du roi et les abus du gouvernement, un comité de sept prélats, de huit comtes et de six barons. Ces ordonnateurs, après avoir réglé les droits de l'Église, la paix du roi, le payement de ses dettes, annulèrent toutes les concessions faites par le roi, et lui défendirent d'en faire de nouvelles sans le consentement des barons jusqu'à ce qu'il eût acquitté toutes ses dettes. Ils attaquèrent bien plus directement encore le pouvoir du roi et son favori par ces autres dispositions : le roi ne quittera point le royaume et ne fera point la guerre sans le consentement des barons ; tous les grands officiers de la couronne seront nominés de l'avis et du consentement des barons réunis en parlement ; les nouvelles taxes sur la laine, le drap et les autres marchandises, seront abolies. Gaveston, pour avoir donné de mauvais conseils et dissipé les fonds publics, sera à jamais banni de l'Angleterre. Cette réforme finissait en ordonnant, pour supprimer tout délai dans l'administration de la justice, que le parlemente s'assemblât au moins une fois par an. Le roi, après avoir hésité, comprit qu'il fallait encore céder ; il accordait tout, mais sous la condition de revoir ensuite chaque article, et de déclarer nuls tous ceux qui seraient trouvés contraires aux justes droits de la couronne. Geveston se retira en France ; il s'enfonça dans le Brabant ; et, comme pour s'éloigner de lui davantage, Édouard se porta dans les comtés du nord. Les barons se réjouissaient de la séparation, quand ils apprirent que le roi et le favori avaient été vus ensemble dans la ville d'York ; ils furent bien plus surpris encore quand ils entendirent une proclamation dans laquelle Gaveston défiait ses ennemis, et se donnait le nom de bon et loyal sujet. Cette fois, ils prirent un moyen plus sûr d'en finir. Au lieu de délibérer, de faire des règlements, de prononcer des condamnations illusoires, ils prirent les armes ; ils mirent à leur tête Thomas de Lancastre, petit-fils de Henri III ; rassemblèrent des chevaliers sous prétexte d'un tournoi, forcèrent le roi déconcerté à fuir d'abord, et assiégèrent Gaveston dans le château de Scarborough. Gaveston se rendit, avec le consentement du roi. au comte de Pembroke : il espérait la vie sauve, et, en attendant son jugement, son propre château pour prison ; mais sur la route, il tomba aux mains du comte de Warwick : le chien noir avait juré que le favori sentirait ses dents. Comme on délibérait dans le château de Warwick sur le sort du captif : Vous avez attrapé le renard, dit une voix ; si vous le laissez échapper, vous serez obligé de le chasser encore. Gaveston, condamné par cette parole, fut aussitôt décapité (1312). Le faible Édouard n'osa point punir ; on fit semblant de lui demander pardon, et il pardonna : un tel roi n'était pas non plus capable de soutenir les prétentions de son père sur l'Écosse. Une fois seulement il avait commencé, avec Gaveston, une expédition où le favori prouva sa valeur, et espérait justifier son pouvoir par de grandes actions, lorsque les ordonnateurs le chassèrent. Robert Bruce avait successivement reconquis Perth, Roxburgh, Edimbourg ; Stirling allait se rendre si les secours lui manquaient, et lorsque Édouard arriva, il trouva Bruce soutenu par 30.000 hommes armés de piques, qui s'étendaient depuis le village incendié de Bannock jusqu'au château, et devant eux des fossés recouverts de claies et de gazons, qui portaient bien un fantassin, mais cédaient au poids d'un chevalier (1313). La prière fervente, la messe qui leur fut dite sur une hauteur voisine, la vue du prêtre qui marchait à leur tête portant le crucifix, remplirent les Ecossais d'une vive confiance. Comme ils s'agenouillaient avant de combattre ; Ils sont à genoux, s'écria un Anglais, ils demandent miséricorde. — Non, reprit un autre, ils demandent miséricorde, mais à Dieu seul. Ils se relevèrent pour vaincre. L'infanterie anglaise mise en déroute, la cavalerie voulut renouveler le combat, et s'embarrassa dans les fossés. A cette vue, la réserve écossaise sortit du bois qui la masquait, et, par une subite épouvante, acheva la déroute anglaise[3]. Édouard avait perdu son sceau et ses trésors, ses machines et les vivres de toute l'armée. Quand il proposa un traité, l'Écossais refusa de rien entendre si on ne commençait par lui reconnaître le titre de roi ; il ne crut pas même l'Ecosse vengée si elle ne faisait sentir à la domination anglaise de fâcheuses représailles. Il tenta donc de délivrer l'Irlande, où deux races ennemies vivaient en face l'une de l'autre, depuis plus d'un siècle, en se haïssant ; les indigènes dans les districts sauvages, dans l'Ulster et Connaught, les Anglais sur les côtes orientales et méridionales, et dans les principales villes. Ces Anglais, réunion mélangée d'aventuriers venus d'Angleterre, du pays de Galles, ou de Guyenne, respectaient peu l'autorité du roi d'Angleterre, se fortifiaient dans leurs châteaux, se déchiraient les uns les autres par des guerres privées, et tenaient les indigènes, quand ils en pouvaient prendre, écrasés sous une servitude hideuse, Les Irlandais ne se trompaient point, en étendant jusqu'au gouvernement anglais la haine de ces vexations qu'il n'empêchait pas ; ils avaient, malgré les sommations d'Édouard II, refusé de marcher contre l'Écosse, et ils avaient salué avec espérance la victoire de Bannokburn, remportée par les Écossais leurs frères, qui descendaient de la même origine, qui parlaient la même langue, qui conservaient ces usages pareils, Édouard Bruce, le frère du roi d'Écosse, débarqua avec six mille hommes près de Carrikfergus (1315) ; il battit le justicier et le comte d'Ulster pendant deuz ans, il triompha par des ravages multipliés, et fut substitué à tous les droits de l'indigène Donald-o-Nial, appelé prince de Tyrone et monarque héréditaire d'Irlande ; il entra aussitôt en possession dit pouvoir royal (1316). Les Anglais redoublèrent d'efforts ; le justicier, vainqueur à Tullagh, envoya à Dublin huit cents têtes des O'Moores comme, un témoignage de sa victoire. Lord Birmingham vainquit près d'Athenrée Phelim O'Connor, roi de Connaught, le tua, et avec lui vingt-neuf chefs de tribus du même nom et onze mille hommes ; la vaillante race des O'Connor semblait détruite, mais le roi d'Écosse lui-même, Robert Bruce, arriva avec une armée nombreuse (fin de 1316). Une année de ravages, et surtout l'infatigable ardeur des Irlandais, imprimèrent tant de crainte aux Anglais, malgré le départ de Robert Bruce, qu'ils ne virent plus d'espérance que dans l'autorité de l'Église : ils savaient bien ce que pouvait la voix. de l'Église sur ces nobles âmes de l'Irlande. Ils réclamèrent auprès de Jean XXII, et, en le trompant, provoquèrent contre leurs ennemis une menace d'excommunication. Les Irlandais opposèrent, comme une excuse, leur ancienne indépendance de quatre mille ans à la conquête récente des Anglais, et les promesses de Henri II à la tyrannie de ses successeurs. Le pontife engagea le roi anglais à la modération ; et à peine Édouard l'eut promise, à peine il eut dit que, le mal s'étant fait à son insu, il se chargeait à l'avenir de procurer le bien, que les Irlandais cessèrent de combattre, et se montrèrent satisfaits d'être soumis à la loi anglaise et protégés contre les meurtriers jusque-là impunis. Il ne restait donc plus au roi d'Angleterre qu'à faire la paix avec l'Écosse. Jean XXII employa des efforts assidus ; Édouard appelant Bruce du nom de noble lord gouverneur de l'Écosse, Bruce, de son côté, refusant tout autre titre que celui de roi, et pour les siens toute autre condition que l'indépendance, la conclusion fut arrêtée longtemps ; les Écossais, d'ailleurs, n'avaient pas la loyauté irlandaise. Ils faisaient une trêve en présence dei légats, et Bruce, après l'avoir proclamée à haute voix, continuait le siège de [.....], et, en dépit d'une excommunication, faisait ravager le comte d'York. Il céda enfin par une trêve de deux ans (1320) pour obtenir sa réconciliation avec l'Église, et des conférences commencées quelque temps après n'amenèrent pas de résultat. Tel était sous Édouard II l'état de l'Angleterre. En France des protestations pareilles n'avaient réussi qu'à moitié sous le premier successeur de Philippe le Bel, Louis X le Hutin. Ce prince, roi de France et de Navarre, et maitre de la Champagne, s'était laissé persuader que le supplice ou la disgrâce des principaux ministres de son père serait accepté avec reconnaissance comme une réparation ; il livra ainsi Enguerrand de Marigny, ne sachant pas qu'il satisfaisait par là bien plutôt Charles de Valois que les nobles ou les communes. Il relâcha quelque chose du despotisme de son père ; il donna la Charte des Normands, dans laquelle il promettait de ne plus altérer les monnaies, de ne plus imposer de tailles que les anciennes, de ne plus faire mettre à la question un franc homme de Normandie, s'il n'était violemment suspect de crime capital. Aux nobles du duché de Bourgogne, des évêchés de Langres et d'Autun, et du comté de Forez, il rendit le droit des armes et celui des guerres privées. Les nobles de la Champagne, du Vermandois, du bailliage d'Amiens, réclamèrent et obtinrent le droit de sous-inféoder leurs fiefs, des garanties pour leur justice contre les envahissements de la justice royale et les guerres privées. Les provinces de la Langue d'oc réclamèrent seulement l'assurance que personne ne serait distrait de la justice de son domicile, un règlement exact pour la levée des impôts, et l'abolition de la torture en faveur des magistrats des villes et de leurs familles. A côté de ces restitutions qui semblaient détruire en un jour l'ouvrage de saint Louis et de Philippe le Bel, se plaça une guerre contre le comte de Flandre, Robert, qui ne fut pas heureuse. Louis X envahit la Flandre par le midi, et campa prés de Courtray avec toutes les forces de son royaume, tandis que ses alliés, le comte de Hainaut, les Hollandais et les Zélandais, attaquaient par mer et mettaient le feu à Ruppelmonde. Mais la stérilité de cette année (1315), la cherté des vivres, l'inondation des terres, força le roi à se retirer, et tout ce qu'il put faire, ce fut de bannir les Flamands de la France, quel que fût leur état ou leur condition[4]. Cependant Louis le Hutin avait gardé le ton royal de son père ; il sanctionnait ses ordonnances de cette formule qui s'introduisit en ce temps : De notre certaine science et autorité royale, nous ordonnons ; il affranchit les serfs de ses domaines, pour en tirer leurs épargnes sans doute, mais aussi pour les opposer à la noblesse ; en 1315, il décria routes les monnaies des barons[5], régla de nouveau que la monnaie de chaque baron n'aurait cours que dans sa terre, et en fixa même le poids et Pu marque. Mais son successeur, Philippe le Long (1316-1322), remit en équilibre cette puissance qui avait chancelé un moment. Louis le Hutin avait laissé de son premier mariage avec Marguerite de Bourgogne, une fille nommée Jeanne ; sa seconde femme, Clémence de Hongrie, était enceinte quand il mourut. On attendit pendant quatre mois, sous la régence de Philippe le Long, les couches de Clémence, qui mit au monde un fils qu'on appela Jean ; mais cet enfant mourut au bout de cinq jours ; la question de savoir si une femme pouvait succéder au trône fut alors résolue négativement ; partout ailleurs les femmes succédaient ; en France même elles succédaient dans les fiefs, comme Mahaut en Artois, par décision de Philippe le Bel. Philippe le Long convoqua les pairs de France à Reims, et se fit couronner à huis clos au milieu d'une garde nombreuse, malgré les réclamations de plusieurs. Une assemblée qui avait l'apparence d'une réunion des trois ordres approuva le couronnement, et déclara que les femmes ne pouvaient succéder. L'Université donna son adhésion. Pour faire taire le duc de Bourgogne, oncle de Jeanne, on lui céda la Franche-Comté avec la fille de Philippe le Long, on conclut d'avance le mariage de Jeanne avec Philippe d'Évreux, et bientôt (1317) Philippe le Long, roi de France, fut reconnu roi de Navarre, et exerça les droits souverains sur la Champagne, moyennant 15.000 livres de rente payées à Jeanne, sous la condition que la princesse rentrerait dans ses droits sur la Navarre et la Champagne, si le roi mourait sans enfants mâles. Devenu le maitre par toutes ces transactions, Philippe le Long se mit à régner en suzerain. Il organisa le parlement, la cour du roi, et en régla les séances, les procédures, la place où chacun devait s'asseoir, même la sienne[6] ; il organisa véritablement la chambre des comptes. Il réclama pour le domaine royal les terres qui en avaient été distraites même celles qui avaient payé les services des légistes[7] ; il renouvela l'ordonnance de son frère sur les affranchissements. En accordant aux Français quelques garanties pour la levée des tailles, il imposa une contribution extraordinaire aux marchands étrangers ; il persécuta ou laissa persécuter les juifs, toujours odieux au pouvoir royal pour leurs richesses, et les lépreux, qu'on accusait d'empoisonner les fontaines publiques, par les conseils des Sarrazins[8] ; enfin, il traita la Flandre en maître. Comme la pacification ne se faisait pas, il cita au parlement l'héritier du comte, Louis de Nevers et de Rethel, et confisqua ses deux comtés ; il força ainsi le comte Robert à venir à Paris faire hommage, et imposa pour condition le mariage d'une de ses filles avec Louis de Nevers. Après lui (1322) le trône passa, au détriment de ses filles, à son frère Charles le Bel, de la même manière qu'il avait passé à Philippe le Long. Mais, cette fois, personne ne réclama, pas unième la fille de Louis XI qui pouvait, d'après le traité de 1317, réclamer la Navarre et la Champagne, et qui, parvenue à l'âge de douze ans (1326), fit une nouvelle renonciation en faveur de Charles le Bel, moyennant une augmentation de 20.000 livres. Charles le Bel, comme son frère, reprit les terres du domaine royal qui pouvaient rester encore aliénées[9]. Il abolit la commune de Laon (1322), donnant ainsi l'exemple de fonder le pouvoir royal sur le renversement de la féodalité et des libertés populaires. Il prononça sur la succession de Flandre entre Louis de Nevers, petit-fils du comte Robert, et Mathieu de Lorraine, époux d'une fille de Robert qui repoussait le droit de représentation, et redemandait la Flandre au nom de sa femme. Louis de Nevers, choisi par le roi et par les pairs du royaume, et d'abord accueilli avec enthousiasme par les Flamands, les mécontents ensuite par sa libéralité imprudente, et par les dons qu'il faisait à l'un au détriment de l'antre, sans le savoir. Il augmenta les murmures par des subsides extraordinaires qui parurent levés avec partialité, et pour les effrayer, il mit le feu à la ville de Courtray : il fut pris avec six de ses vassaux[10] ; mais Charles le Bel exigea qu'il fut mis en liberté. Le comte avait promis de respect les privilégies de Gand et d'Ypres ; quand il fut libre, il vint à Paris, et se plaignit devant terni et le parlement de la violence qu'on lui avait faite. L'autorité et la justice royale le délia de son serment, et la menace d'une guerre qui aurait ruiné leur commerce força les Flamands de se soumettre à la vengeance de leur comte. C'est sous le règne de Charles le Bel que la guerre recommença entre le France et l'Angleterre. Édouard II, suivant le conseil du duc de Lancastre, avait remplacé Gaveston par Hugues Spencer ; le nouveau favori déplut à son tour aux barons ; on réclama son exil et même celui de son vieux père. Lancastre prit les armes, obtint par la force que la volonté des barons fût accomplie, puis, par un juste retour de fortune, il fut convaincu lui-même de trahison dans une guerre contre l'Écosse, et décapité en raison de sa royale origine. Une autre conspiration, entreprise pour renverser les deux Spencer rétablis, fut déjouée heureusement : mais la querelle ne devait finir que par la mort d'Édouard. Le roi anglais avait épousé Isabelle de France, sœur de Philippe le Bel. Celui-ci se plaignait que son beau-frère ne fût pas venu lui rendre hommage ; le sénéchal de Toulouse, abusant de la justice royale, citait devant lui les feudataires du duché d'Aquitaine, les condamnait, les dépouillait au préjudice de leur seigneur direct, au profit du roi, le parlement confirmait toutes les spoliations ; enfin le seigneur de Montpezat ayant bâti le château de San-Sardos, les hommes du roi de France prétendirent que ce château était bâti sur les terres françaises ; ils y mirent garnison. Montpezat y accourut, et passa la garnison au fil de Charles le Bel, pour se faire justice, envoya son oncle, Charles de Valois, contre la Guyenne. Edmond, frère d'Edouard, ne sut pas résister, et toute la Guyenne fut soumise. Ce n'était là encore qu'une perfidie à la façon de Philippe le Bel, un acte d'avidité empressée sous l'apparence des droits de suzerain ; il fallait qu'une bien sale intrigue, faisant un infernal usage des crimes les plus odieux, vint flétrir d'une note d'infamie les enfants de Philippe le Bel, aux derniers jours de leur règne. Cette Isabelle, qui avait épousé Édouard II, et qui ne dissimulait pas ses liaisons avec Mortimer, non moins ambitieuse qu'effrontée, haïssait les Spencer et son mari leur protecteur, et préparait la ruine des favoris dans celle du roi. Comme le pape offrait sa médiation, Charles le Bel répondit qu'il fallait remettre la Guyenne pour quelques jours aux mains du suzerain, qui la restituerait au vassal quand celui-ci aurait fait hommage. Edouard II y consentit ; Isabelle vint en France pour faire conclure ce traité, et le malheureux roi d'Angleterre apprit bientôt que sa femme et son suzerain voulaient transférer l'Aquitaine à son fils Edouard de Windsor ; il y consentit. Alors il apprit que Mortimer avait rejoint Isabelle, pour être le surintendant de sa maison, et que le roi de France souffrait ce scandale insolent. Il apprit que sa femme refusait de revenir en Angleterre, se rejetant sur la haine des Spencer, dont elle avait tout à craindre, qu'elle levait des troupes en son nom, que son cher fils donnait contre son autorité des ordres aux barons de Guyenne ; et qu'une correspondance active entre les barons d'Angleterre assurait une armée à une femme sans honneur, aussitôt qu'elle aurait débarqué. Il réclama ; le pape s'y joignant, l'hypocrite Charles le Bel donna ordre à sa sœur de quitter la France ; mais il lui avait préparé un asile chez le comte de Hainaut. Là elle rassembla ses forces, s'entoura de la faction proscrite de Lancastre, et, débarquant en Angleterre, elle fut saluée comme libératrice, car elle annonçait la ruine des Spencer. Londres soulevée, Edouard s'était enfui ; le vieux Spencer, arrêté a Bristol, fut traîné sur la claie sans aucune pitié de ses quatre-vingt-dix ans, décapité et pendu. Edouard s'était embarqué ; on le somma de revenir pour gouverner : on l'enferma pour tuer le jeune Spencer plus à l'aise. Un procès dérisoire ayant été instruit, on prononça que les petits et les grands, les riches et les pauvres, condamnaient unanimement Hugues Spencer, comme voleur, traitre et banni, à être traîné, pendu, éventré, décapité et mis en quartiers : Hors d'ici, s'écria le juge en finissant, hors d'ici, traitre ! vas, et reçois la récompense de ta tyrannie, scélérat et traitre convaincu. On affubla le condamné d'une robe noire, on lui imposa un rouleau d'orties sur la tête, et on le pendit à une potence de cinquante pieds. Cependant la reine, avec Mortimer et son fils Edouard de Windsor, se rendit au parlement : il y fut convenu que la vie de la reine n'était assurée que par la captivité de son mari, et le lendemain on proclama le jeune Edouard à la place de son père. Pour entraîner quelques opiniâtres qui demeuraient fidèles au captif, on publia que Edouard II avait de sa bonne volonté renoncé à la couronne, et l'on osa répéter ce mensonge au couronnement d'Edouard III. Enfin, après avoir été promené de château en château, le roi déposé fut montré mort, à la suite d'une nuit où des cris horribles avaient été entendus du fond de sa prison. Son cadavre n'était marqué d'aucune trace de violence ; mais on soupçonna que ses bourreaux lui avaient introduit un fer rouge dans les intestins, et bientôt personne ne douta plus du régicide commis par la reine et par l'aristocratie (1326). Isabelle l'avait emporté ; Charles le Bel traita avec Edouard III, par considération de la reine d'Angleterre, sa sœur, et promit de restituer tout ce que les Français avaient conquis en Guyenne. Mais la famille de Philippe le Bel semblait, aux yeux des peuples, condamnée par le ciel : Louis X, Philippe le Long, avaient disparu en huit ans ; Charles le Bel lui-même languissait déjà ; et sa mort allait ouvrir de fâcheuses prétentions. II Le jeune Edouard III jouissait peu honorablement des forfaits de sa mère. Robert Bruce, voyant les affaires d'Angleterre agitées, n'avait pas craint de violer la trêve faite avec Edouard II, et la cavalerie des Écossais voltigeait dans les comtés du nord, toujours introuvable, et toujours ravageant. Ces agiles montagnards n'étaient pas embarrassés par le bagage ; chacun d'eux portait à la selle de son cheval un petit sac de farine ; ils ne buvaient que de l'eau de rivière ; ils tuaient le bétail qu'ils rencontraient, l'écorchaient, et le faisaient cuire aussitôt dans sa peau retournée. Ils déconcertèrent pendant deux mois le roi anglais et son armée nombreuse aux environs de Durham, et sur la rive gauche de la Tyne, choisissant pour se reposer le moment où l'ennemi avait perdu leurs traces, ou le bravant en face, du haut d'une position inexpugnable ; ici ils lui faisaient dire qu'ils étaient prêts à combattre ; là ils lui refusaient le passage d'une rivière, et célébraient son embarras par de grands feux et par le son redoublé des cornets. Edouard, par le conseil de sa mère, fit avec eux une paix honteuse (1er mars 1328). Il rendit au très-magnifique prince Robert, roi des Écossais par la grâce de Dieu, son allié illustre, et son ami très-cher, et aux héritiers de Robert et à ses successeurs, le royaume d'Écosse, séparé de l'Angleterre, intact et libre, et quitte à jamais de toute soumission, de tout service et de toute demande[11]. A ce moment, en effet, Isabelle avait besoin de la paix pour hasarder quelques prétentions sur le royaume de France. Charles le Bel venait de mourir, laissant une fille et sa veuve enceinte ; il avait désigné pour régent son cousin Philippe de Valois. En attendant les couches de la reine, des docteurs en droit civil et canonique furent consultés ; ils s'accordèrent à reconnaître que les femmes étaient exclues de la succession royale : ainsi ils éloignaient de nouveau la fille du dernier roi, les quatre filles de Philippe le Long, la fille de Louis le Hutin, et Isabelle, fille de Philippe le Bel, mère d'Edouard III. Quelques-uns croyaient néanmoins que, si la femme était elle-même exclue, ses enfants mâles ne l'étaient pas ; d'autres répondaient que le fils de la femme ne peut avoir droit ni succession de par sa mère, là où sa mère n'y a point de droit[12] ; enfin, la veuve de Charles le Bel étant accouchée d'une fille, Philippe de Valois trancha la question en prenant le nom de roi. Il avait pour lui, sinon l'ancienne loi salique qui ne concernait que les alleux[13], au moins les deux décisions précédentes des états qui avaient donné le trône à Philippe le Long et à Charles le Bel. Il traita sur-le-champ avec Jeanne, fille de Louis X, et son mari Philippe d'Evreux ; il céda la possession de la Navarre retenue par les deux derniers rois, promit quelques rentes sur les comtés de la Marche et d'Angoulême, et se fit céder pour toujours la Champagne et la Brie. Il évita ensuite d'entendre les demandes d'Isabelle, mère d'Édouard III ; il en fut couronné à Reims, et marcha aussitôt contre les Flamands rebelles à leur comte Louis de Nevers. C'était d'ailleurs l'avis des prélats, des nobles, et du peuple de son royaume, qui redoutaient que l'indépendance flamande n'attirât à elles les communes de Picardie et de France[14]. De tous les chefs flamands, le principal était Nicolas Zannekin, hardi homme et outrageux durement, dit Froissart. Ils prirent position près de Cassel, et firent peindre un coq sur leurs étendards avec ces mots : Quand ce coq ici chantera, le roi trouvé ci entrera. Philippe, au lieu de les attaquer en bataille, commença par envoyer le feu et le ravage à droite et à gauche, coupa les vivres à ceux qui étaient sur la hauteur de Cassel, et par la faim les força d'attaquer. Zannekin était venu observer le camp royal sous l'habit d'Un marchand de poissons ; il divisa les siens en trois corps pour attaquer en même temps et séparément le roi Philippe, le roi de Navarre, et le roi Jean de Bohême. Le roi Philippe, surpris à table, s'enfuit précipitamment ; mais les comtes de Hainaut et de Bar, venant au secours, accablèrent les Flamands, que le poids inaccoutumé de leurs cuirasses avait bien vite épuisés. Zannekin fut tué, et à côté de lui on compta treize mille morts en trois tas, aux trois points où il avait dirigé l'attaque. Cassel ouvrit ses portes ; Poperingue, Ypres, la châtellenie de Bergues, enfin la ville de Bruges, redoutant la vengeance du roi, reçurent le comte Louis, leur seigneur, amiablement et paisiblement[15]. Le roi Philippe était durement prisé et honoré de cette emprise qu'il avoit faite sur les Flamands. Si demeuroit en grand honneur, et n'y avait marques mais eu en Franc roi comme on disoit, qui eust tenu l'état pareil au roi Philippe, et faisait faire tournois, joustes et ébatements moult et à grand plenté[16]. Il somma donc le jeune roi d'Angleterre de lui faire hommage. Édouard avait à soutenir de misérables prétentions, il déclarait les femmes exclues de la couronne, autrement les droits de sa mère ne venaient qu'après ceux de la fille de Louis le Hutin ; mais il réclamait cette même couronne pour les enfants mâles issus des femmes, et, comme il y avait des enfants mâles issus des filles de Philippe le Long, il ajoutait que, pour régner, ces-héritiers des femmes devaient être nés du vivant de leur grand-père. Sa mère Isabelle lui conseilla donc de céder. Cette reine homicide ne se maintenait que péniblement à la place de son mari, et n'avait ni temps ni troupes à employer contre Philippe de Valois. Édouard III vint à Amiens (1329) ; il ne refusa pas de mettre ses mains dans celles de son suzerain, et clama qu'il tenoit du roi la duché de Guyenne et ses appartenances comme duc de Guyenne et pair de France ; mais il refusa de rendre l'hommage-lige avant d'avoir examiné si les rois ses prédécesseurs avaient rendu l'hommage de cette manière. La chose traîna pendant un an ; l'évêque de Chartres, l'évêque de Beauvais, et plusieurs seigneurs de France, envoyés en Angleterre pour examiner, avec le parlement, quel hommage Édouard devait à Philippe, purent assister à l'exécution du comte de Kent, un des fils d'Édouard Ier, ennemi de Mortimer, qu'on accusa de conspirer contre Édouard III, et qui fut décapité sans preuves. Enfin, dans les premiers jours de 1331 (30 mars), le roi anglais donna un acte qui déclarait lige l'hommage rendu par lui à la France, et fixait la formule qui serait désormais employée par tous ses successeurs à la cérémonie de l'hommage[17]. Les deux rois semblèrent alors réconciliés, et chacun régna chez soi. Philippe bannit de France, par arrêt du parlement, son beau-frère Robert d'Artois, qui réclamait l'Artois, autrefois donné à sa tante Mahaut, en dépit du droit de représentation. Cette réclamation contrariait le roi de France et le duc de Bourgogne Eudes IV, dont il avait épousé la sœur ; d'ailleurs le prétendant produisit de faux titres, et par ce crime mérita son expulsion ; le roi de France le fit chasser du comté de Namur et du Brabant, et ne lui laissa d'autre refuge que l'Angleterre[18]. Philippe, en effet, exerçait le pouvoir royal en maître redouté : il avait déclaré que le fait de la monnaie n'appartenait qu'au roi, et, de sa certaine science et autorité royale[19], il avait changé a son gré la valeur des monnaies courantes (1330) ; il entrait dans la querelle de Jean XXII et de Louis de Bavière, et se servait du parlement contre l'Église ; il suivait contre les communes elles-mêmes le plan de ses prédécesseurs, détruisait les dernières espérances des bourgeois de Laon, et supprimait à Toulouse l'administration municipale. De son côté, le roi d'Angleterre sortait de la honteuse tutelle où- le retenait l'impunité de sa mère. il commençait à comprendre dans quelle complicité on l'avait entrainé six ans plus tôt, il se reprochait la mort du comte de Kent, si vite jugé et si peu régulièrement ; il résolut donc de se montrer le maitre, et, le parlement étant asse m blé à Nottingham, il se saisit pendant une nuit de la personne de Mortimer. Isabelle ne sauva pas son favori par ses supplications dégradantes : on la laissa s'humilier autant qu'elle voulut, et révéler mieux encore sa honte en appelant le captif son gentil Mortimer, son plus cher ami, son cousin bien-aimé. Édouard III, inexorable à son tour, accusa Mortimer d'avoir tué Édouard II, d'avoir fait périr injustement le comte de Kent, d'avoir dilapidé le trésor royal ; la sentence des traîtres fut prononcée contre Mortimer, et exécutée. Isabelle aurait subi elle-même un procès public, sans une lettre de Jean XXII qui priait le fils d'épargner la pudeur de sa mère. La vie loin de ses courtisans, un manoir solitaire avec trois mille livres de rente au lieu du trésor de l'État ; et de temps en temps la visite de ce fils, qui gardait pour lui seul tout le pouvoir quelle lui avait acquis : tel fut le châtiment d'Isabelle. Il dura vingt-sept ans[20]. La première occasion de guerre qui fut donnée aux deux rois vint de l'Écosse, toujours alliée de la France depuis Philippe le Bel. David, fils de Robert Bruce, régnait sous un régent, affranchi de la suzeraineté anglaise. Plusieurs barons anglais ayant réclamé des terres autrefois possédées par eux en Écosse, et dont la guerre les avait dépouilles, il se trouva que l'un des réclamants était Édouard Baliol, le fils de l'ancien roi de ce nom. Ce dernier apprit avec étonnement que le roi d'Angleterre voulait observer la paix, et qu'il avait défendu à ses shérifs des comtés du nord de laisser envahir l'Écosse ; Baliol prit un détour, entra en Écosse par mer, fit un grand-carnage de ses ennemis surpris, et fut couronné à Scone par ses partisans (1332) ; il traita avec Édouard III, se reconnut son vassal, et, pour obtenir de lui protection, lui céda la ville et le château de Berwick. Quelques jours après, il fut surpris à son tour par David, et ce trône, qu'il avait conquis en sept semaines, il le perdit en moins de trois mois. Édouard n'avait aucun droit à prendre son parti ; mais les Ecossais de David lui donnèrent, par de fréquentes incursions, le droit de la vengeance personnelle. Edouard assiégea Berwick, en se déclarant le défenseur de Baliol ; aussitôt le roi de France expédia une flotte au secours de David ; Édouard fut d'abord vainqueur : comme les Écossais multipliaient les marches pour délivrer Berwick, il déploya son armée sur Hallidon-hill, d'où les flèches frappaient inévitablement l'ennemi embarrassé dans les marais et mal affermi sur la pente de la hauteur ; le régent, six comtes, de nombreux barons, y périrent : David et sa femme furent envoyés en France ; et Beliol reprit le titre de roi. Il s'y croyait assuré, et le parlement, assemblé à Edimbourg, livrait une partie de l'Ecosse, en toute propriété, au roi anglais, lorsque cet accroissement même suscita de nouveaux embarras à Edouard. Baliol fut chassé une seconde fois par les partisans augmentés de Davy, que la France soutenait ; il invoqua le roi d'Angleterre, triompha et succomba tour à tour jusqu'au temps où la guerre de cent ans laissa à David la liberté de revenir[21]. Philippe et Edouard étaient donc mécontents l'un de
l'autre. Le premier appui d'Édouard dans la lutte contre la France devait être
la Flandre, toujours alliée de l'Angleterre depuis Edouard Ier. Le comte Louis
de Nevers dédaignait les Flamands ses sujets ; et, soutenu par le roi son
suzerain, il entravait leur commerce et leurs libertés par mille petites
vexations ; il venait de faire saisir tous les Anglais qui se trouvaient dans
ses États ; mais tandis que lui-même résidait peu en Flandre, les
bourgmestres acquéraient dans chaque ville une autorité difficile à ravir :
ainsi s'était élevé dans la ville de Gand un homme qui d'abord était brasseur
de miel. Il était entré en si grand'fortune et en si
grand'grâce à tous les Flamands, que c'étoit tout fait et bien fait, quant
qu'il vouloit deviser et commander par tout Flandre de l'un des côtés jusques
à l'autre. Son orgueil de parvenu n'inspirait point de soupçons aux
siens, qui se croyaient puissants et honorés en sa personne. Il pouvait avoir
autour de lui soixante ou quatre-vingts valets armés, et faire tuer par eux,
sous prétexte de sa défense personnelle, tous les citoyens qui ne lui
plaisaient pas. Il pouvait chasser les plus puissants de la Flandre,
chevaliers et écuyers, et prendre la moitié de leurs revenus ; il pouvait
faire le comte à la place de Louis de Nevers, lever
les rentes, les vinages, toutes les revenues qui appartenoient au comte, les
dépenser comme il lui plaisoit ; et quand il vouloit dire que argent il lui
falloit, on l'en croyoit[22]. Cet homme était
appelé Jacquemart Artevelle : sa plus grande célébrité lui est venue de son
alliance avec l'Angleterre, qui n'était qu'une trahison. Déjà Robert d'Artois avait conseillé à Édouard de prendre le nom de roi de France ; Édouard, irrité des vexations dont Philippe tourmentait les Aquitains, avait envoyé l'évêque de Lincoln pour consulter le comte de Hainaut ; l'évêque avait visité les seigneurs des Pays-Bas et de la Basse-Allemagne, pour les attirer dans une ligue contre la France ; il avait ensuite visité les Flamands. Que votre maitre, lui dit Artevelle, prenne le titre de roi de France, car nous avons fait serment au pape, sous peine d'excommunication et d'une amende de deux millions de florins, de ne point nous révolter contre notre roi ; que votre roi encharge donc les armes de France et équartelle d'Angleterre, et nous-lui demanderons quittance de notre foi, et ainsi nous serons absous et dispensés. Édouard suivit ce conseil ; il déclara que le royaume de France lui était dévolu légitimement par droit de succession (1337) ; et venant à Coblentz il fit proclamer ses droits par l'autorité impériale de Louis de Bavière (1338). Toutefois, les premières hostilités furent languissantes ; on hésitait des deux côtés à commencer la querelle, comme si on eût prévu qu'elle devait durer cent quinze ans. Les deux armées, en présence pendant une année dans la Flandre ou dans le Vermandois, ne se combattirent que par des ravages partiels ; il fallut une rencontre fortuite et un mouvement de colère d'Édouard III pour engager une grande bataille navale. Édouard, revenant d'Angleterre, apprît que la flotte française, stationnée dans le port de l'Écluse, avait ordre de lui couper les communications ; il se présente aussitôt pour la combattre, met le vent et la marée de son côté ; et balayant par ses archers les ponts des vaisseaux ennemis, il fait monter ses hommes d'armes à l'abordage. Les matelots français et normands, déconcertés, sautaient des vaisseaux dans les chaloupes, ou tombaient dans la mer : il en périt ainsi plus de deux mille. Presque toute la flotte française fut prise ou coulée à fond. Le désastre était si grand, que personne n'osait l'annoncer à Philippe. Cependant deux cent mille hommes se réunissaient autour d'Édouard ; il envoyait Robert d'Artois contre Saint-Omer et lui-même assiégeant Tournay, il défiait Philippe de Valois à un combat singulier. Robert d'Artois fut abandonné par les siens pendant la nuit ; une garnison de trente mille hommes défendit vaillamment Tournay, et Philippe, posté à Bouvines, continua de couper les vivres aux assiégeants. Alors Jeanne de Hainaut, sœur du roi de France et belle-mère d'Édouard, fit conclure une trêve ; les deux armées furent licenciées. Qui lendemain, sitôt que jour fut, eut vu tentes abattre, charriots charger, gens forhâter, put bien dire : je vois un nouveau siècle[23]. Une seconde tentative d'Édouard ne fut pas plus brillante. Sa querelle de succession n'était pas encore pour les Anglais une guerre nationale : les Anglais prétendaient bien ne pas se ruiner pour la payer. Avant de lui accorder aucun subside, le parlement empêcha le jugement de l'archevêque de Cantorbéry, fit reconnaître qu'un pair ne pouvait être jugé que par la haute chambre, et exigea le redressement des griefs. Édouard promit pour obtenir, puis retira ses promesses quand il eut obtenu, en se rejetant sur la nécessité ; mais il était lui-même si inquiet de son action, qu'il demeura deux ans sans assembler de parlement. Enfin, lorsque à force d'adresse, il eut obtenu l'assentiment de tous[24], il se tourna vers Bretagne française, regardant et imaginant sa guerre du roi de France en seroit embellie, et qu'il ne pouvoit avoir plus belle entrée au royaume, ni plus profitable que par la Bretagne[25]. Ce pays, devenu un fief de la couronne de France par les Normands, puis enlevé aux Plantagenêts, et livré à la famille française de Dreux, protestait encore de son indépendance comme il pouvait. Ainsi les ducs de Bretagne s'étaient fait affranchir de la juridiction du parlement. Le duc Jean III venait de mourir, laissant une nièce, Jeanne de Penthièvre, mariée à Charles de Blois, et un frère, Jean de Montfort. Comme fille d'un frère aîné, Jeanne obtint pour elle le duché, par la décision du roi de France et des douze pairs. Jean de Montfort recourut à la force ; il s'empara de Nantes, de Brest, de Rennes, de Vannes, d'Auray ; et comme les barons de Bretagne refusaient de le reconnaître il alla en Angleterre faire hommage de sa terre à Édouard, qui accepta. Cette guerre de Bretagne est illustre par la valeur et la galanterie de la chevalerie bretonne. Les pairs de France combattant pour Charles de Blois, prirent dans Nantes Jean de Montfort, qu'ils envoyèrent au Louvre. Jeanne, femme de Montfort, ne se déconforta pas ; mais parcourant toutes les bonnes villes, et tenant son jeune fils par la main, elle réconfortait tous ses partisans. Elle se défendit seule dans Heunebon qui était forte ville et grosse, et fort châtel sur la mer. Elle mit le feu au camp ennemi, par une attaque subite, pendant que les chevaliers joutaient dans la plaine. Empêchée par leur retour de regagner la ville, elle erra cinq jours et cinq nuits au dehors, et ne reparut au milieu des siens que pour lutter contre leur inquiétude et leur désir de se rendre. Enfin elle put s'écrier : Voilà le secours que tant ai désiré ! c'était une flotte anglaise. Édouard avait été longtemps retenu par le retour de David Bruce et le ravage du Northumberland ; il envoyait maintenant des vaisseaux qui délivrèrent Hennebon ; bientôt il envoya Robert d'Artois avec une armée, mais celui-ci avait à peine occupé Vannes qu'il y fut assailli et blessé mortellement. Édouard vint lui-même ; il assiégea dans Nantes Charles de Blois ; mais une armée française se présenta, les légats du pape s'interposèrent, et les deux rois convinrent de suspendre les hostilités jusqu'à la Saint-Michel de l'an 1346. Les deux rivaux avaient encore évité d'en venir aux mains (1343). Cette trêve ordonnait la mise en liberté des prisonniers des deux partis, et elle ne devait pas être considérée comme rompue entre les rois, s'il arrivait que la guerre recommençât entre les deux prétendants à la succession de Bretagne. Néanmoins, Jean de Montfort n'obtint pas la liberté ; Philippe ne la lui promettait qu'à la condition de renoncer à son duché ; J'aime mieux, dit-il, ne pas jurer que d'être parjure. Au contraire, Édouard renvoya ses captifs, entre autres Olivier de Clisson, qui avait bravement combattu pour Charles de Blois. Clisson déplut à Philippe par les éloges qu'il prodiguait à la générosité de l'Anglais : il fut invité avec plusieurs chevaliers bretons à un tournoi, arrêté inopinément et mis à mort. Quand Édouard protesta contre cette exécution, Philippe répondit qu'ils avaient violé la trêve. Clisson ne fut vengé que par sa femme Jeanne de Belleville, autre héroïne illustre en Bretagne, qui, avec quatre cents hommes, occupa un château du parti de Charles de Blois, courut ensuite la mer pour surprendre et égorger les marchands français, et vint renforcer Jeanne de Montfort. Mais Philippe continuant d'agir en maitre, accusa de trahison Godefroy d'Harcourt, seigneur de plusieurs villes de Normandie, et l'eût traité comme Clisson, s'il l'eût tenu en son pouvoir. Godefroy s'échappa chez le duc de Brabant, laissant tous ses biens au ressentiment du roi, qui les confisqua, et finit, comme Robert d'Artois, par se réfugier en Angleterre. Cette haine coûta depuis si grossement au royaume de France, et par espécial au pays de Normandie, que les traces en parurent cent ans après. Pour le moment, Philippe VI établissait la gabelle sur le sel, réduisait les monnaies au cinquième de leur valeur, et décidait que les arrêts du parlement étaient sans appel[26]. Édouard, impatienté, déclara, dès les premiers jours de 1345, que la trêve était rompue. Son parlement lui avait accordé des subsides en laine, et comme après l'établissement de la gabelle, il avait dit en riant que le roi Philippe régnait véritablement par la loi Salique, Philippe répondait en l'appelant le marchand de laine. Cette fois la guerre prenait un caractère sérieux. Montfort s'était enfui du Louvre, et arrivé à Westminster, il avait renouvelé son hommage à Édouard ; il mourut aussitôt après son retour en Bretagne ; mais Jeanne, sa femme, était habituée à dire que son mari absent n'était qu'un homme de moins. En même temps le parlement anglais priait Édouard de ne plus se laisser tromper, et de terminer la guerre au plus tôt par des batailles ou par un traité[27]. Le comte de Derby, envoyé dans la Guyenne, sauvait par un brillant exploit le fort d'Auberoche. Au nord, Artevelle avait promis de faire transporter au fils d'Édouard la souveraineté de la Flandre ; le roi anglais se rendait lui-même à l'Écluse pour recueillir le consentement de tous les députés flamands : il fut bien surpris de voir la proposition d'Artevelle mal appuyée ; bientôt même il apprit la mort de cet allié. Ceux de Gand entrèrent les premiers en grande indignation contre le traître ; quand il revint dans leur ville, ils s'écrièrent : Voici celui qui est trop grand maître, et qui veut ordonner de la comté de Flandre à sa volonté ; ce ne fait mie à souffrir. Il voulut en vain se barricader dans son hôtel ; en vain, du haut d'une fenêtre harangua le peuple, mêlant des pleurs et des humiliations volontaires au souvenir de ses services, il fut assommé au bas de son escalier par le chef des tisserands[28]. Édouard se hâta alors de retourner en Angleterre (1346) ; quoique les députés de plusieurs autres villes vinssent l'assurer qu'ils ne feraient point la paix avec leur comte, tant que celui-ci ne reconnaîtrait pas l'Anglais pour roi de France, Édouard comprit la nécessité de frapper un grand coup. Derby avait été assailli en Guyenne par le duc de Normandie, fils de Philippe ; sa valeur opiniâtre le maintenait encore dans Aiguillon, violemment assiégée ; mais de prompts secours étaient indispensables. On apprit donc qu'Édouard, entouré de forces nombreuses, avait fait son mandement pour aller en Gascogne, et tout à coup on le vit débarquer en Normandie, où le guidait Godefroy d'Harcourt (1346). Il prit Barfleur, Valognes, Cherbourg, Saint-Lô, il prit Caen et la pilla, et s'approcha de Rouen ; trouva les ponts de la Seine rompus, et le roi de France sur la rive droite, qui lui refusait le passage et la bataille. Rien ne put émouvoir le calme du roi Philippe ; il laissa piller Vernon, Mantes, Poissy, insulter les faubourgs de Paris, brûler Saint-Germain, Saint-Cloud et Bourg-la-Reine ; il laissa murmurer les Parisiens, se contenta de sauver sa capitale, mais ne put empêcher l'ennemi de trouver enfin un pont, et d'occuper Pontoise. Alors il proposa une bataille dans la plaine de Vaugirard, ou bien entre Pontoise et Francoville : Je suis dans mes domaines, répondit l'Anglais, il n'appartient à personne de me fixer l'heure ni le lieu d'une bataille. Cependant il était obligé de quitter Pontoise, il se vengeait en ravageant Beauvais et la ville de Poix, mais il remontait vers le nord ; son armée souffrait du manque de vivres ; il avait hâte d'arriver dans le Ponthieu, et lorsqu'enfin il eut passé la Somme : Nous n'irons pas plus loin, dit-il, je suis maintenant dans l'héritage légitime de ma mère, il est de mon devoir de le défendre contre mon adversaire : il était prés de Crécy. Le lendemain Philippe partit d'Abbeville, et fit six lieues sous une pluie abondante, avant d'atteindre l'ennemi. Dès qu'on fut en présence, les Anglais se levèrent et se rangèrent en leurs batailles ; ils avaient eu toute la nuit pour se reposer, et le matin, leurs archers avaient eu soin de couvrir leurs arcs pendant la pluie. Philippe les voyant ainsi ordonnés, le sang lui mua, car il les haïssait, et il commanda de placer au premier rang les Gênois, et d'engage le combat. Il oublia que tous les siens étaient fatigués de leur marche, et que la pluie avait détendu les cordes de ses archers. Les Gênois, obligés d'obéir, mais non secondés par leurs arcs, périssaient en grand nombre sous les flèches des Anglais, ou sous les coups bombardes qu'Édouard avait placées au premier rang pour lancer des balles de fer. Ils voulurent fuir, mais une haie de gens d'armes français leur fermait le chemin. Or tôt, s'écriait le roi, tuez toute cette ribaudaille, car ils nous empêchent la voie sans raison. Et pendant que les Anglais continuaient à lancer leurs flèches, qui portaient toutes sur les rangs serrés des Français, ceux-ci se mirent à massacrer les Gênois, et s'embarrassèrent péniblement dans cette exécution. Le roi de Bohème, Jean l'Aveugle, était là : quand on vint lui dire ce qui se passait, il s'écria que la bataille était perdue, et pria ses compagnons de mener si avant qu'il pût férir un coup d'épée. Deux de ses chevaliers, enlaçant à leurs brides celles de son cheval, se portèrent en avant, sans regarder : les seigneurs français ne payèrent pas moins de leur personne ; Philippe se tint saris cesse à la portée des traits, et le jeune prince de Galles, fils d'Édouard, fut un moment menacé. Comme on priait son père de le secourir : Laissez faire, dit le roi, il faut que l'enfant gagne ses éperons. Mais sa valeur ne réparait pas l'imprudence : les seigneurs n'avaient pas été suivis par le gros des gens d'armes, et ils tombaient en grand'foison. Jean de Hainaut, prenant enfin la bride du cheval du roi, l'entraîna hors de la bataille. Philippe arriva pendant la nuit au château de la Broye ; le gouverneur hésitait à ouvrir : C'est ton roi, lui cria le vaincu, c'est la fortune de la France. Il était sorti vivant du combat ; lui cinquième des barons tant seulement, Le lendemain Edouard envoya deux chevaliers pour compter les morts ; ils y trouvèrent onze princes et douze cents chevaliers, trente mille soldats. Il fit relever le corps du roi de Bohême et chargea douze chevaliers de le porter sur leurs épaules jusque dans le comté de Luxembourg. Jean l'Aveugle avait sur sa cotte d'armes trois plumes d'autruche avec la devise Ich dien — Je sers ; le prince de Galles adopta cet emblème[29]. Édouard prit le plus sûr moyen de profiter de sa victoire : au lieu de poursuivre Philippe, qui revenait sur Paris, il considéra que la possession d'un port de mer dans le nord rendrait plus faciles ses communications avec le continent, et ses relations avec la Flandre. Il écrivit donc à toutes ses bonnes villes d'Angleterre et aux lieutenants des comtés, pour leur dire qu'il allait assiéger Calais, et leur demander ce qui était nécessaire à l'approvisionnement des assiégeants[30] ; car les hautes et fortes murailles de Calais ne pouvaient être entamées, et la famine seule pouvait avoir prise à la longue sur les habitants. Il fit donc construire autour de la ville une ville nouvelle, en bois, où ses soldats, préservés des injures de l'air, se reposaient en cernant l'ennemi. Il y demeura lui-même attendant qu'on vint l'attaquer, et recevant de temps en temps quelques bonnes nouvelles du succès de ses amis ou du désastre de ses ennemis. Philippe avait sollicité le jeune roi d'Écosse, David Bruce, d'envahir l'Angleterre, et celui-ci, dans le temps même de la bataille de Crécy, était parti de Perth avec trois mille hommes de pied, et trente mille autres montés sur de petits chevaux. Il ravagea le Cumberland, et dirigea ses ravages vers Durham. Une armée anglaise, lentement formée par les soins de Lionel, duc de Clarence, second fils d'Edouard, vit enfin paraitre au milieu d'elle la reine Philippa de Hainaut, qui n'imita la comtesse de Montfort que par ses exhortations hardies, et se retira dans une place de sûreté, après les avoir tous recommandés à Dieu et à saint Georges. Ce fut pour ainsi dire une armée sans chef qui attaqua David près de Nevil's-Cross ; mais chaque Anglais fit bien bien devoir ; les deux ailes écossaises étant dispersées en quelques moments, David restait au centre, plus brave que ses plus braves nobles qui l'entouraient, et trop fier pour fuir ou se rendre. Blessé deux fois, il tomba à terre, et voyant un Anglais qui s'élançait pour l'entraîner, il se dressa sur les genoux, et cassa deux dents à l'audacieux avant d'être emporté par huit ennemis. Il fut enfermé à la tour de Londres ; Edouard apprenait en même temps que le duc de Normandie avait levé le siège d'Aiguillon pour remonter au secours de son père, laissant à Derby la Saintonge et le Poitou à ravager, et Poitiers à prendre. Il apprenait que le parti de Montfort triomphait en Bretagne. Un chevalier anglais, réuni à la comtesse Jeanne et au Breton Tanneguy du Châtel, s'était emparé du château fort de la Roche-de-Rien. Charles de Blois voulut le reprendre ; il rassembla quatre cents chevaliers, douze cents armures de fer, douze mille fantassins, fut vainqueur d'une division ennemie, et fait prisonnier par une autre. Il alla partager à Londres la captivité du roi d'Écosse. Sa femme, Jeanne de Penthièvre, prit alors le commandement de son parti, et lutta héroïquement contre l'autre Jeanne. Enfin Édouard était sur le point d'assurer la Flandre à sa famille. Le comte Louis de Nevers avait été tué à Crécy ; son fils Louis de Mâle, circonvenu par les promesses de l'Anglais, et par les menaces des Flamands, avait promis d'épouser la fille d'Édouard ; nul ne savait que, la violence seule ayant arraché cet engagement, le jeune comte attendait le moment de le rompre. Lorsque, par une affectation habile de consentir au mariage, il eut écarté la surveillance qui d'abord s'attachait à tous ses pas, il s'échappa, et arrivé dans l'Artois, réclama la protection du roi de France[31]. Ce fut le seul échec de l'ambition d'Édouard : son siège de Calais, sa méthode nouvelle de guerroyer l'ennemi par l'inaction lui avait bien réussi. Jean de Vienne, gentil chevalier de Bourgogne, qui était capitaine de Calais, avec toute sa valeur et son habileté, ne pouvait multiplier les vivres à mesure qu'ils s'épuisaient. Dix-sept cents bouchés inutiles, mises hors des murs, et condamnées par Edouard à mourir de misère entre son camp et la ville, c'était là une bien faible ressource, dont on aperçut à peine l'effet. Après une longue constance, Jean de Vienne écrivit à Philippe : Nous avons mangé les chevaux ; les chiens, tous les animaux que nous avons pu rencontrer : il ne nous reste plus qu'à nous manger les uns les autres. Il ajoutait : Secourez-nous donc promptement, ou bien nos soldats sont tous résolus à attaquer l'ennemi et à mourir avec honneur sur un champ de bataille plutôt que de périr de faim dans la ville. Le roi se mit en mouvement ; mais la ville était séparée de la terre par de vastes marais, dont les Anglais gardaient tous les passages ; les Français pouvaient s'y aventurer que par une bravade inutile. Philippe aima mieux défier au combat Edouard, qui refusa pour ne pas remettre en question un succès certain, mais publia ensuite qu'il avait accepté. Les habitants voyant donc s'éloigner les étendards de Philippe, tombèrent dans la consternation ; elle augmenta quand ils surent qu'Édouard, irrité de leur résistance et de leurs anciennes pirateries, ne voulait accorder aucune capitulation ; et ils firent entendre des cris et des lamentations ineffables, lorsque Jean de Vienne leur annonça qu'Edouard, adouci, les épargnerait pourvu que six bourgeois des plus notables vinssent à son camp se livrer à sa discrétion, la hart au col et les pieds déchaux. L'assurance d'Eustache de Saint-Pierre, qui s'offrit le premier, et de cinq autres, qui firent comme lui, changea leur stupeur en admiration. Après les avoir adorés de pitié sur la place de Calais, on les suivit des yeux au camp d'Edouard. Là, une scène nouvelle entretint quelque temps l'inquiétude. Les six bourgeois se prosternant à ses pieds, le roi les regarda très-sérieusement, et ordonna qu'on leur coupât les têtes ; ensuite on vit la reine, Philippa de Hainaut, se jeter aux pieds de son mari, et puis se relever ; et emmener les six captifs : Edouard s'était laissé fléchir. S'il est vrai, comme un historien moderne le suppose, que tout cela n'était qu'une scène concertée avec Edouard, il est certain du moins que le vainqueur ne voulait pas laisser autre chose aux vaincus que la vie. Il exila toute la population de la ville, et la remplaça par une colonie d'Anglais ; il ordonna même que tout étranger, qui entrerait à Calais, serait obligé d'en sortir le même jour avant le coucher du soleil. Néanmoins, Eustache de Saint-Pierre rentra dans sa patrie, recouvra toutes ses propriétés, et vécut sujet de l'Angleterre, donnant ainsi à l'histoire le droit de soupçonner la sincérité de son dévouement. Calais, conquise par l'Angleterre, resta séparée de la France pendant deux cent dix ans, jusqu'au grand duc de Guise, qui la reconquit en 1558. Le roi de France était vaincu : ce fut la destinée de cette famille des Valois de succomber toujours dans la guerre, et de se relever par la patience et les négociations ; le vaincu avait encore plus gagné que le vainqueur depuis vingt ans. Edouard, malgré ha gloire de Crécy, n'avait repris de son prétendu royaume de France que la seule ville de Calais. Les efforts de l'Église vinrent mettre obstacle à ses armes La peste qui ravageait l'Europe, et dont bien fa tierce part du monde mourut, rendait la guerre odieuse, comme un surcroît volontaire au plus épouvantable des maux une trêve fut conclue pour un an (1348) par la médiation de Clément VI. Philippe de Valois, toujours habile à acquérir, venait de réclamer plusieurs terres du domaine aliénées dans la vicomté de Paris, en déclarant encore une fois le domaine royal inaliénable[32]. Au midi, il acheta le comté de Montpellier, que lui céda le roi de Majorque Jayme d' dragon et hérita (1349) du dauphin de Viennois Humbert, dont le royaume devint l'apanage du fils allié du roi de France (voyez ch. XXVI). Le successeur de Philippe de Palois, Jean le lion, surpassa la mauvaise fortune de son père : un désastre, plus, cruel encore que celui de Crécy, un roi de. France captif des Anglais, l'Aquitaine réclamée en toute propriété par le vainqueur, et un moment abandonnée ; au dedans l'agitation des états généraux, le pouvoir royal menacé de mort avant d'être formé, l'ambition du roi de Navarre, nouveau prétendant à la couronne de France, l'insurrection du peuple des campagnes, et les ravages des grandes compagnies : tel fut le règne du second des Valois, La Fennec en souffrit de sanglantes douleurs ; mais comme elle avait persévéré dans la résistance, elle ne perdit ni l'unité de territoire ni l'unité de gouvernement. Charles V, après Jean le Bon, raffermit la suprématie royale, et annonça par la première conquête de l'Aquitaine l'expulsion des Anglais. Jean le Bon, à son avènement, trouva les deux nations en paix par la trêve de 1348 renouvelée, et il semblait ne tenir qu'à lui que cette paix dure toujours, puisque le roi anglais promettait de ne plus faire la guerre si on lui cédait l'Aquitaine et le Ponthieu en toute propriété. Ce ne fut pas cependant le refus du roi français qui troubla la concorde. Ce fut d'abord le supplice du comte d'Eu et de Guines, connétable de France, qu'on accusa d'alliance avec l'Angleterre, et dont les hommes, pour le venger, livrèrent le château de Guines aux Anglais[33]. une autre occasion de rupture fut la fortune de Charles d'Espagne, un des infants de Lacerda, investi de la charge de connétable et du comté d'Angoulême, au grand déplaisir de Charles le Mauvais. Ce dernier, fils de Philippe d'Evreux, petit-fils, par sa mère Jeanne, de Louis le Hutin, avait commencé à l'âge de quinze ans d'effrayer son royaume de Navarre par sa cruauté. Jean le Bon, lui ayant fait accepter sa fille pour femme, le Navarrois, déjà puissant en France par son comté d'Évreux, réclama le comté d'Angoulême en vertu des conventions de sa mère avec Philippe de Valois, et, ne l'obtenant pas, il fit assassiner le connétable. Il obtint un premier pardon par le traité de Nantes, s'éloigna de la cour pour se faire oublier ; mais, pour se venger de ses possessions normandes envahies pendant son absence, il rassembla des troupes dans la Navarre, s'embarqua pour l'Angleterre, et conclut une alliance avec Edouard III (1355). Edouard avait quelque raison de se plaindre de Jean, qui, après avoir laissé entendre qu'il abandonnerait l'Aquitaine, ajournait sans fin le moment de conclure. Lorsqu'on sut que le roi anglais s'était embarqué à la suite de Charles le Mauvais, et n'avait été retenu que par les vents contraires, on traita de nouveau avec le roi de Navarre. La paix de Valognes stipula obéissance, révérence, honneur, envers monseigneur le roi, de la part de Charles, pardon et quittance de tous excès, crimes, délits, méfaits, mesdits, désobéissances, rebellions, de la part de Jean[34] ; mais en prévenant un danger, cette paix ne rendait pas la résistance plus facile. Le roi obligé, dès son avènement, à des actes violents, avait confisqué les biens des marchands étrangers, altéré les monnaies et changé leur valeur jusqu'à dix-huit fois dans une seule année : il avait consumé les subsides que les états de chaque province lui avait accordés ; il n'avait plus, rien à l'expiration de la trêve (1365). La guerre prit tout d'abord un caractère sérieux. Si le roi Jean réussit à contenir Edouard dans le nord, entre Calais et Hesdin, par le refus de combattre et par les communications adroitement coupées, au midi le prince de Galles, avec une armée divisée en plusieurs corps, traversa le comté d'Armagnac jusqu'aux Pyrénées, revint en pillant jusqu'à Toulouse et mit le feu aux deux villes de Carcassonne et de Narbonne ; en sept semaines, il passa sur cinq cents villes, villages ou cités[35]. Or, ce pays de Carcassonnois, de Narbonnois et de Toulousain, étoit un des gras pays du monde, bonnes gens et simples gens qui ne savoient ce que c'étoit de guerre. Si trouvoient les Anglois et les Gascons le pays plein et dru, les chambres parées de kieutes et de draps, des écrins et des coffres pleins de bons joyaux, Mais rien ne demouroit de bon devant ces pillards : ils emportoient tout, et par espécial Gascons, qui sont moult convoiteux[36]. Une armée française obligea le prince de Galles à la retraite. Une invasion des Écossais rappela Edouard en Angleterre ; car ces montagnards ne se lassaient pas de faire diversion en faveur de la France. Edouard, soutenu par un subside du parlement, et acquéreur des droits du vieux Baliol, arriva jusqu'à Édimbourg mais les provisions lui manquèrent. Sa flotte fut écartée par les vents ; les Écossais qui surveillaient sa détresse, le voyant rebrousser chemin, se mirent à le harceler ; ils massacrèrent les traîneurs, brûlèrent et pillèrent à leur tour, et appelèrent ce désastre de l'Anglais l'incendie de la Chandeleur : ce fut désormais leur cri de guerre dans leurs incursions. En France, les états convoqués (13 nov. 1355) à Paris accordèrent au roi trente mille gens d'armes et cinq millions de livres, qui devaient être levés par une gabelle sur le sel et le huitième du produit des ventes. A ces conditions, ils obtinrent la fixation de la monnaie à une valeur raisonnable, et la réforme du droit de pourvoirie. Comme dans plusieurs provinces on résista à la gabelle, et surtout en Normandie, par les suggestions du comte Jean d'Harcourt et du roi de Navarre, Jean le Bon saisit le moment où ces deux ennemis et plusieurs seigneurs étaient réunis à Rouen, à la cour de son fils le dauphin Charles. Il les arrêta lui-même, malgré les prières du dauphin, et quatre furent à l'instant décapités. Le roi de Navarre fut épargné, mais toutes ses terres confisquées et conquises. Philippe de Navarre, son frère et Godefroy d'Harcourt, dont le neveu venait de périr, implorèrent de nouveau le secours des Anglais[37]. Le prince de Galles sortit de Bordeaux avec deux mille hommes d'armes et six mille archers : Si chevauchoient ledit prince et ces seigneurs et leurs gens ordonnément ; et passèrent la rivière de Garonne à Bergerac, et puis outre, en venant en Rouergue, la rivière de Dordogne. Si entrèrent en ce pays de Rouergue et commencèrent à guerroyer fortement, à rançonner villes et châteaux, ou ardoir, à prendre gens, à trouver pourveances grandes et grosses ; car le pays était lors pourvu et demeuroit tout brisé et exillé derrière eux. Si entrèrent en Auvergne, et passèrent et repassèrent plusieurs fois la rivière d'Allier, ne nul ne leur allait en devant, et prirent leur adresse en Limousin pour venir en ce bon et ci gras pays de Berry, et trouver cette rivière de Loire. Des vivres qu'ils trouvoient faisoient-ils grands superfluités, car ce qui leur demeurait ils ardoient et exilloient[38]. Cette guerre d'extermination fut annoncée au roi de France pendant qu'il assiégeait Breteuil, une des forteresses du roi de Navarre : il se transporta à Chartres, et donna ordre à tous ses nobles et francs-tenanciers de la couronne devenir combattre l'Anglais. Ils accoururent en grand nombre ; car la noblesse avait encore le privilège de combattre et de se faire tuer au premier rang, et quelquefois aussi de perdre les batailles par une impétuosité qui n'était que brave. Les idées chevaleresques, si bien développées par toute la vie du roi Jean de Bohême, demeuraient au cœur de Jean le Bon et de ses nobles. Il venait d'instituer l'ordre de l'Étoile ou de la Noble Maison, dont les chevaliers s'engageaient à être déshonorés s'ils se retiraient d'une bataille honteusement. On venait de voir en Bretagne, dans cette guerre privée des Penthièvre et des Montfort, le combat des trente, où trente chevaliers bretons, faisant dépendre la beauté de leurs dames de leur adresse militaire, avaient combattu trente chevaliers anglais pour décider qui avait la plus belle amie : la victoire était demeurée aux Bretons. Cette frivolité du courage ne laissait aucune patience dans le cœur. Comment pardonner aux Anglais le ravage de tant de provinces paisibles, mais surtout comment les punir autrement que par un combat, et attendre que la famine ou la maladie en fît lentement justice, ces nobles chevaliers ne le comprenaient pas. Ils forcèrent le prince de Galles à s'éloigner de château de Romorantin, brûlé par lui ; ils lui coupèrent les communications tandis qu'il se dirigeait vers Poitiers, et ne lui laissèrent d'autre ressource que de se soumettre ou de combattre. Le cardinal de Périgord, légat du pape, voulut, en effet, réconcilier les deux armées au nom de l'autorité pontificale : Sauvez mon honneur, dit le prince de Galles, et l'honneur de mon armée, et j'écouterai toutes les conditions raisonnables ; il offrit encore de rendre ses conquêtes, son butin et ses captifs, et de s'engager à sept ans de repos. Le roi de France exigea que le prince de Galles, avec cent de ses chevaliers, se livrât prisonnier de guerre ; il savait bien que l'Anglais n'accepterait pas ; il sentait ses forces plus nombreuses, il croyait tenir en sa main une vengeance incontestable : les Français repoussèrent les nouveaux efforts du cardinal de Périgord, et lui firent entendre que, s'il ne se retirait, il pourrait lui en mal prendre. Telle fut la cause qui fit perdre la bataille de Poitiers. Le prince de Galles avait pour lui un terrain plus élevé, couvert de vignes et masqué de haies, où l'on n'arrivait que par un défilé de la largeur de quatre chevaliers. La première division de l'armée française s'y aventura bravement sous la conduite des maréchaux ; mais tout à coup ils furent déconcertés par les flèches, sans voir d'où elles venaient ; le prince de Galles avait placé des archers derrière les haies, d'où ils tiraient à coup sûr ; le passage s'encombra d'hommes et de chevaux. Plusieurs chevaliers arrivèrent à franchir les haies ; mais les autres archers, rangés en forme de herse au-devant des hommes d'armes anglais, les perçaient malgré leurs armures. La division commandée par le dauphin chancela à son tour quand elle aperçut les archers venir à elle, et un corps de six cents Anglais qui franchissaient une hauteur pour la prendre en flanc ; elle se dispersa pour mettre les princes en sûreté ou sauver ses chevaux. Enfui, la troisième division, commandée par k roi, mit pied à terre par un mauvais conseil, croyant pénétrer plus à l'aise dans le sentier ; et l'Anglais Chandos, apercevant Jean le Bon qui s'avançait, Sire, dit-il au prince de Galles, laissez-nous monter à cheval et charger le roi de France : pour celui-là, il ne fuira pas ; et s'il plaît à Dieu et à saint Georges, il sera notre prisonnier. Aussitôt le prince, s'élançant avec ses hommes d'armes, assaillit les Français du haut de ses chevaux ; leur valeur prolongea le combat. Jean, sa hache d'armes à la main, et son fils Philippe à ses côtés, portait adroitement, en tous sens, des coups mortels : Père, lui criait le jeune prince, gardez-vous à droite, gardez-vous à gauche ! Cependant les grands seigneurs tombaient morts ou étaient pris les Anglais, qui se sentaient vainqueurs, criaient au roi : Rendez-vous, ou vous êtes mort ! — A qui me rendrai-je, demanda le roi, où est mon cousin le prince de Galles ? Un chevalier de l'Artois se présenta, qui, banni de France pour un homicide, était forcé de servir l'Angleterre ; il offrit au roi de le conduire au prince de Galles. Jean lui donna son gant droit, et fut emmené au milieu d'une grande presse d'Anglais et de Gascons. Chacun s'efforçoit de dire : Je l'ai pris, je l'ai pris, et ne pouvoit le roi aller en avant ni messire Philippe, son mains-né fils[39]. Les Anglais pouvaient à peine se vanter de cette victoire ; sur les huit mille hommes qui composaient l'armée du prince de Galles, il y avait cinq mille Aquitains. Le prince usa du succès en homme d'esprit ; il affecta de traiter le roi en suzerain, pour triompher lui-même en vassal vainqueur. Il refusa de s'asseoir à la table où soupaient le roi Jean, son fils Philippe, que depuis ce jour on surnomma le Hardi, et les plus illustres personnes ; il les servit lui-même, disant toujours : Qu'il n'étoit mie encore si suffisant qu'il appartint de lui seoir à la table d'un si haut prince, et de si vaillant homme. Ensuite, pour ne pas compromettre sa victoire inespérée, et surtout ce grand avantage de la captivité du roi, qui valait mieux que toutes les conquêtes, il négligea d'attaquer Poitiers, revint à Bordeaux avec ses captifs et son butin, attendant pour agir la volonté de son père, et surtout les troubles où la France allait tomber par l'agitation des partis et l'incertitude du gouvernement. Le dauphin Charles, revenu de sa fuite de Poitiers, avait pris les titres de fils aîné du roi, et de régent ; convoquant les états de la Langue d'oc à Toulouse, et ceux de la Langue d'oïl à Paris, il avait obtenu des premiers treize mille chevaux et deux mille fantassins ; mais une résistance fâcheuse s'était montrée dans les autres. Les trois ordres, et surtout les communes dirigées par Étienne Marcel, le prévôt des marchands de Paris, avant de rien accorder, réclamèrent la mise en jugement des ministres, la délivrance du roi de Navarre, et la formation d'un conseil de quatre prévôts, de douze chevaliers et de douze bourgeois, chargés d'assister le régent dans son administration. Le dauphin ajourna sa réponse en les congédiant, pour aller visiter à Metz l'empereur Charles IV ; mais le mal toujours présent réclamait une décision prompte et ferme ; les paysans souffraient des extorsions de leurs seigneurs, qui, prisonniers des Anglais, et remis en liberté pour venir amasser leurs rançons, prenaient tout ce que leurs vassaux possédaient, et s'habituaient à dire que Jacques Bonhomme payait quand on le rouait de coups ; ou bien la fin de la guerre laissant un grand nombre de soldats des deux partis sans solde ni discipline, tous les villages et même les monastères étaient assaillis et pillés par ces malheureux. Les états s'assemblèrent donc de nouveau au mois de février. Marcel et l'évêque de Laon, Robert le Coq, réclamèrent une réforme dans l'administration, et le dauphin fit la promesse de ne plus rien détourner de l'argent public, de ne plus vendre aucun office, de réformer les prévarications des chambres du parlement, de rétablir la bonne monnaie d'or et d'argent, de renoncer au droit de pourvoirie, et de rie plus aliéner leu domaines de la couronne Il autorisa enfin les députés à porter des armes pour se défendre contre leurs ennemis[40]. Une trêve de deux ans, conclue entre la France et l'Angleterre (1357), en suspendant la guerre régulière, donnait aux états le loisir de parler de réformes. Le roi Jean, conduit en Angleterre, devait employer cet intervalle à conclure une paix définitive, et son fils Charles n'avait à réprimer par les armes que les bandes indisciplinées du Gallois Griffith ou de l'archiprêtre Arnaud de Cervoles ; car la guerre qui continuait en Bretagne, et où commençait à paraître Duguesclin dans le parti de Charles de Blois, n'intéressait plus que de loin 'autorité royale ; mais ces états, qui prétendaient faire la loi au pouvoir, étaient un ennemi bien plus formidable. Le dauphin osa d'abord leur signifier qu'il voulait dorénavant gouverner lui-même, et qu'il n'avait plus besoin de curateurs ; mais lorsque l'argent lui manqua, et qu'il fallut les convoquer de nouveau, le chef de la noblesse, Jean de Pecquigny, commença par mettre en liberté le roi de Navarre. On vit Charles le Mauvais, l'assassin du connétable, l'allié des Anglais, le traître à la nation, reçu en vainqueur dans Paris, rassembler le peuple à côté de l'abbaye Saint-Germain, prêcher sur ses malheurs et sur ses vertus, sur son dévouement au pays, en proclamant, que les hommes justes et innocents s'étaient attachés à sa cause : or, il donna une liste de larrons, de meurtriers, de voleurs de grands chemins, de faux-monnoyeurs, de faussaires, d'assassins, de sorciers, d'empoisonneurs — c'est ainsi qu'il les désignait lui-même —, détenus à Rouen ou à Paris, et dont il demandait la liberté parce qu'ils étaient ses amis. Le dauphin fut obligé de délivrer ces justes et innocents : il rendit à leurs familles les corps de ceux qui avaient été exécutés à Rouen par ordre de son père ; il traita le Navarrois comme un frère, et mangea plusieurs fois avec lui chez l'évêque de Laon ; mais il refusa de lui rendre ses forteresses. Charles le Mauvais sortit de Paris pour recommencer les hostilités : ses amis Robert le Coq, Marcel, et un certain nombre de bourgeois ameutés par eux, se chargeaient de forcer le dauphin à la fuite ou à la soumission. Quelle que fût la misère de la France, le désordre du gouvernement et les habitudes despotiques du pouvoir royal, des hommes d'honneur n'auraient point osé, en présence de dangers imminents, entreprendre une pareille opposition contre une autorité qui était la première intéressée à ta défense de tous. Marcel est à jamais flétri de son alliance avec le roi assassin de Navarre, et tout le reste de sa vie défend de croire à son amour des libertés publiques, malgré la niaiserie ou la mauvaise foi de ses admirateurs ou de ses partisans. De concert avec Marcel, le Navarrois dévastait les environs de Paris, afin de produire une famine, et d'en rejeter l'odieux sur le dauphin, qui refusait obstinément la paix. Par le conseil du prévôt, les bourgeois avaient pris le chaperon mi-parti rouge et bleu. Tout à coup on apprend qu'un assassin vient d'être jugé et exécuté par l'ordre du régent ; Marcel et les siens, revêtus de leurs chaperons, courent au palais ; ils massacrent sous les yeux du dauphin les maréchaux de Normandie et de Champagne, le revêtent lui-même du chaperon mi-parti, et l'entraînent à l'hôtel de ville, pour qu'il approuve devant le peuple assemblé ce qui vient de se faire. Le pauvre prince déclare qu'il approuve tout, et fait enterrer sans solennité les deux maréchaux. Le soir, Marcel lui envoya une pièce de drap rouge et une autre de bleu, pour faire des chaperons à toute sa maison. Le dauphin, sorti de Paris pour aller tenir les états
provinciaux de Champagne et de Vermandois, et secondé surtout par la
noblesse, qui voulait venger la mort des maréchaux, apprit que le roi de
Navarre avait été nommé capitaine général de Paris, et que Marcel avait
occupé et réuni à la ville le château du Louvre. Il rassemblait des forces,
et arrêtait les vivres qui venaient aux Parisiens par la Seine et la Marne,
lorsqu'une insurrection des Jacques
ensanglanta l'Île-de-France : Car aucunes gens
des villes champêtres sans chefs s'assemblèrent, et ne furent mie cent hommes
les premiers, et dirent que tous les nobles du royaume de France, chevaliers
et écuyers, trahissaient le royaume, et que ce serait grand bien qui tous les
détruirait. Et chacun d'eux dit : il dit voir, il dit voir ! Honni soit celui
par qui il demeurera que tous les gentils hommes ne soient détruits. Lors se
assemblèrent et s'en allèrent, sans autre conseil et sans nulles armures,
fors que de bâtons ferrés et de couteaux[41]. On ne peut
reproduire tous les détails de leurs 'vengeances, tant l'oppression avait
exaspéré ces infortunés. Aussi tout se réunit contre eux, les gentilshommes,
le captal de Buch, sujet de l'Angleterre, le comte de Foix, et jusqu'au roi
de Navarre. Charles le Mauvais fit pendre leur chef Guillaume Caillet, qui
lui demandait alliance, et en extermina trois mille dans le Beauvaisis. Cette
action le rendait suspect aux bourgeois de Paris ; il hésita ensuite à
combattre le dauphin : on cria à la trahison, on lui ôta le titre de
capitaine général ; il sortit de je ville en faisant massacrer le plus qu'il
put de bourgeois par ses soldats anglais. Il se posta à Saint-Denis. Là, il
fut sollicité des deux côtés : par le dauphin qui promettait de pardonner aux
Parisiens si on lui livrait six hommes entre autres le prévôt ; de l'autre,
par Marcel, qui se voyait perdu si le Navarrais consentait. Le peuple de
Paris haïssait maintenant le roi de Navarre ; il lui reprochait le ravage des
campagnes, les brigandages de ses soldats ; et comme Marcel essayait toujours
d'opérer un rapprochement, on le soupçonnait de trahison, on lui reprochait
une embuscade où les bourgeois étaient tombés près de Boulogne. Malgré ces
dispositions bien connues, Marcel avait promis au Navarrois de lui faire
rendre le titre de capitaine général ; il de
va l'aussi lui livrer la porte Saint-Denis et la Bastille qui était au-dessus
: et daims la nuit du 31 juillet (1358),
il essaya de changer les gardes de cette porte ; mais l'échevin Maillard, qui
s'était mis du complot pour tout savoir, avait averti de la trahison Pepin
des Essarts et Jean de Charny, amis du dauphin. Ils se trouvèrent à la porte
Saint-Denis, avec une suite nombreuse, au moment où Marcel y arrivait. Aux
cris répétés : A mort ! à mort ! tuez le prévôt et
ses alliés, car ils sont traîtres ! Marcel resta interdit ; il reçut le
premier coup de Jean de Charny, et puis fut féru de
maître Pierre de Fouace et autres qui ne le laissèrent jusques à tant que il fût
occis, et six de ceux qui estoient de sa suite, et plusieurs autres traîtres
furent pris et envoyés en prison[42]. Le dauphin rentra dans Paris à la satisfaction du plus grand nombre. Comme il passait par une rue. un garnement traitre, outrecuidé par trop grand présomption, va dire si haut qu'il le put ouïr : Par Dieu ! sire, si j'en fus cru, vous n'y fussiez ja entré. — Et comme le comte de Tancarville voulut aller tuer le vilain, le prince le retint, et lui répondit en souriant : On ne vous en croira pas, beau sire[43]. Du reste, ce n'était qu'une ville reconquise, et la guerre qui s'agitait tout à l'entour arrêtait indéfiniment la réparation du mal. Ainsi, pour venger la mort de Marcel, commencèrent le roi de Navarre et ses gens, qu'on appeloit Navarrois, à guerroyer fortement et durement le royaume de France, et, par espécial, la noble cité de Paris... Si multiplièrent tellement ces Navarrois, qu'ils prirent la forte ville et le châtel de Creel, par quoi ils étaient maitre, de la rivière de l'Oise, et le fort châtel de la Harelle, à trois lieues d'Amiens. De la ville de Creel sur l'Oise était souverain capitaine un chevalier navarrois qui s'appeloit messire Foudrigais. Cil donnait les sauf-conduits à toutes gens qui voulaient aller de Paris à Noyon, ou de Compiègne à Soissons et à Laon, et ainsi sur les marches voisines et lui valurent bien les sauf-conduits cent mille francs. Au château de Harelle, se tenait messire Jean de Pecquigny, un chevalier de Picardie et bon Navarrois, et contraignaient ses gens durement ceux de Mont-Didier, d'Amiens, d'Arras et de Péronne, et tout le pays de Picardie selon la rivière de Somme. Dedans le châtel de Monconseil avait environ trois cents combattants. Ceux-ci couraient tous les jours sans faute et pillaient tout le pays environ Noyon ; et s'étaient rachetées à ces capitaines toutes les grosses villes non fermées environ Noyon, à payer une quantité de florins toutes semaines, et autant bien les abbayes ; autrement ils eussent tout ars et détruit ; car ils étoient trop crueux sur leurs ennemis. Par telles manières de gens demeuroient les terres vagues, car nul ne les osoit labourer ne ouvrer, dont depuis un très cher temps en naquit au royaume de France[44]. Tout le nord fut gâté pillé, robé, sans que le dauphin y portât remède, à l'exception de quelques villes qui se délivrèrent elles- mêmes. Le centre, le midi, avaient leurs compagnies d'aventuriers, sinon les Navarrois ; et lorsque Charles le Mauvais eut enfin signé une paix, la guerre recommença avec l'Angleterre. Jean le Bon, pour obtenir la liberté, et porter seul le nom de roi de France, avait d'abord cédé au roi anglais (1359), en toute propriété, la Normandie, l'Anjou, le Mairie, toute l'ancienne Aquitaine, le Ponthieu, Montreuil et Calais ; mais le dauphin et les états refusant de ratifier ce traité, Édouard reprit les armes ; il débarqua à Calais avec une armée nombreuse et bien pourvue. Vous devez savoir que les seigneurs d'Angleterre et les riches hommes menoient sur leurs chars, tentes, pavillons, moulins, fours pour cuire, et forges pour forger fers de chevaux, et toutes autres choses nécessaires ; et pour tout ce étoffer, ils menoient bien huit mille chars tout attelés chacun de quatre roucins bons et forts qu'ils avoient mis hors d'Angleterre. Et avoient encore sur ces chars plusieurs nacelles et batelets faits et ordonnés si subtivement de cuir boullu, que c'étoit merveilles à regarder ; et si pouvoient bien trois hommes dedans pour aider à nager parmi un étang ou un vivier, tant grand qu'il fût, et pêcher à leur volonté. De quoi ils eurent grand'aise tout le temps et tout le carême, voire les seigneurs et les gens d'état ; mais les communes se passoient de ce qu'ils trouvoient. Et avec ce, le roi avait bien pour lui trente fauconniers à cheval chargés d'oiseaux et bien soixante couples de forts chiens, et autant de lévriers, dont il alloit chacun jour ou en chasse ou en rivière, ainsi qu'il lui plaisoit ; et si y avoit plusieurs ses seigneurs et des riches hommes qui avoient leurs chiens et leurs oiseaux aussi bien comme le roi. Et étoit toujours leur ost parti en trois parties, et chevauchoit chacun ost par soi[45]. Cet attirail de faste et d'aisance se promena pendant six mois de Calais à Chartres, au milieu des provinces dévastées du roi captif, comme une insulte et un surcroît à leur malheur. Les pluies continuelles n'arrêtèrent point Édouard qu'il ne fut arrivé devant Reims ; et quand il eut aperçu les apprêts d'une longue résistance, il renonça au siège, courut toute la Champagne, et commença de ravager la Bourgogne. Le duc bourguignon acheta une trêve de trois ans, et la restitution de sa ville de Flavigny, moyennant la somme de 200.000 deniers d'or au mouton. Il obtint le droit de rester neutre, mais promit de reconnaître Édouard pour roi de France, si l'accord de la plus grande partie des pairs du royaume en décidait ainsi[46]. Edouard retourna ensuite vers Paris, espérant d'attirer à une bataille le dauphin, qui ne se montrait nulle part. Les Français, attaqués chez eux, tentaient alors une diversion sur l'Angleterre, et faisaient piller Wenchelsey par une flotte[47] ; mais en France, le dauphin, opiniâtre dans une inaction que lui seul comprenait, laissait Edouard s'avancer jusqu'à Bourg-la-Reine, et bientôt s'éloigner faute de vivres. Ses charriots, ses nacelles, ses chiens de chasse, toutes ces décorations d'une puissance riche, ne donnaient pas du pain aux Anglais ; leur nombre, augmenté d'aventuriers de plusieurs nations, redoublait l'activité de la famine. Comme ils suivaient la route de Bretagne, Edouard fut rencontré par le chancelier de France, qui lui fit des propositions modérées ; il les refusa. Comme il avançait toujours avec plus de hâte, sa précipitation, fatiguant les siens, les mit en désordre ; ils laissaient sur la route des cadavres d'hommes et de chevaux, de même que dans une fuite honteuse, aux environs de Chartres, un orage les battit d'un vent violent et d'une grêle énorme ; le bruit et l'éclat du tonnerre, et les gémissements de ceux qui mouraient de faim ; touchèrent le cœur d'Edouard ; il descendit de cheval, et, tendant les bras vers la cathédrale de Chartres il fit vœu à Dieu et à la Sainte Vierge de ne plus s'opposer à une paix qui sauverait son honneur[48]. Ce fut la paix de Brétigny (1360). Édouard III devait renoncer à la couronne de France ; Jean devait céder à Édouard, en toute propriété, l'ancienne Aquitaine, y compris le Poitou, les comtés de Ponthieu et de Guines et la vicomté de Montreuil ; la rançon du roi fut fixée à 3.000.000 d'écus d'or, dont 600.000 seraient payés avant sa délivrance, et le reste par 400.000 chaque année sous la garantie d'otages nobles ou bourgeois. La France n'aurait pu rien payer, si le duc de Milan, Galéas, en demandant pour Jean Galéas, son fils, la sœur du dauphin, n'avait offert les 600.000 écus. Jean, amené à Calais, y signa plusieurs actes déshonorants ; il signifia aux bourgeois de La Rochelle qu'il fallait se soumettre au roi anglais, ordonnant au sénéchal de Saintonge d'y contraindre rudement tous contredisants, désobéissants et rebelles ; il signifia au comte d'Armagnac, son vassal, qu'il fallait transporter son hommage au roi anglais ; il promit de livrer le comté de Montfort à Jean de Montfort, allié de l'Angleterre et de rendre les terres des bannis, et de ceux qui avaient tenu le parti d'Angleterre[49]. Il remit pour otages, entre autres nobles, son frère le duc d'Orléans, ses deux fils, les ducs d'Anjou et de Berri, quatre bourgeois de Paris, et deux bourgeois des dix-huit premières villes du royaume. La conclusion se fit dans l'église de Saint-Jean à Calais. Édouard s'engagea à observer le traité, si le roi de France l'observait de son côté, Jean prit le même engagement ; mais la renonciation de Jean à la suzeraineté de l'Aquitaine, et celle d'Édouard à la couronne de France, étant subordonnée à l'accomplissement des autres articles, fut successivement ajournée, et ne fut jamais jurée[50]. Il s'agissait maintenant de réparer tous les désastres de la France et du pouvoir royal, de rendre la tranquillité aux campagnes et aux villes, et de relever cette suzeraineté, par laquelle les rois Français, depuis Philippe-Auguste, avaient fait une fortune si habile. Le roi Jean, sorti de captivité, laissait voir de bonnes intentions. Il renonçait au droit de pourvoirie, faisait rentrer les juifs, et révoquait tous les domaines aliénés : il déclarait la Champagne réunie au domaine royal, et, le duc de Bourgogne, Philippe de Rouvre, étant mort sans enfants, il acquit également la Bourgogne (1361). Il s'efforçait en même temps de purger la France de ces compagnies d'aventuriers qui avaient joint leurs ravages à la guerre civile et étrangère, et qu'avait augmentées le licenciement de l'armée anglaise : la grande compagnie dans le Lyonnais, les tard-venus en Champagne, la compagnie de la comtesse d'Harcourt en Provence, la compagnie des Gascons et celle des Bretons autour de Paris, semblaient protégées encore par Édouard ; le faible Jean n'osant pas les combattre, demandait contre eux protection au roi anglais, dont les menaces ne furent pas écoutées. Jacques de Bourbon, comte de La Marche, périt en les combattant près de Brignais (1361), et les offres du marquis de Montferrat purent seules entraîner sur l'Italie la plus grande partie de ces brigands. Cependant l'affection et la reconnaissance de Jean pour son quatrième fils Philippe le Hardi, le compagnon de ses dangers à Poitiers, lui fit encore aliéner le duché de Bourgogne ; de vains projets de croisade, où il essaya d'entraîner les autres rois de l'Europe, le détournèrent du gouvernement et lorsque le duc d'Anjou, son fils, eut violé sa parole, et quitté sa prison, il repassa lui-même en Angleterre pour se constituer otage de la paix de Brétigny. Sa mort, en 1364, laissa le trône de France à Charles V. Ce prince, surpris à dix-neuf ans par les difficultés d'une régence dangereuse, avait trop souvent, en présence de Marcel ou du roi de Navarre, laissé paraître la même timidité qu'à Poitiers en présence du prince de Galles. Peu à peu il s'était habitué aux affaires. Devenu roi, il montra une véritable habileté, et ce titre de sage (sapiens), que lui donnèrent ses contemporains pour ses connaissances en astrologie, a été confirmé au sérieux par la postérité pour sa politique et son administration. Il eut été imprudent d'attaquer de front la puissance victorieuse des Anglais : ce fut l'art et la gloire de Charles de les combattre indirectement dans leurs alliés et de ne marcher à eux qu'à coup sûr, quand ils se trouvèrent seuls, repoussés par les populations françaises, et commandés par des chefs affaiblis. C'est ainsi qu'il mit fin à la guerre de Bretagne, el qu'il attaqua le roi de Navarre et le Castillan Pierre le Cruel, avant de conquérir l'Aquitaine. L'instrument de la politique de Charles V fut un chevalier breton, Bertrand Duguesclin, en qui la Bretagne a voulu reconnaître cet aigle annoncé par Merlin, qui devait s'élancer de l'Armorique au delà des Pyrénées, en traînant après lui une armée d'étourneaux. Sa mère l'avait entrevu, avant sa naissance, sous la forme d'une pierre brute, plus précieuse au lapidaire que les diamants et les perles. Dès son enfance, il fut célèbre par sa laideur, par son caractère farouche et par ses colères belliqueuses. Il avait toujours un bâton à la main, menaçant ses frères, leur signifiant qu'il était leur aîné, réclamant la première place, ou frappant les maîtres qui, malgré lui, voulaient lui apprendre à lire. Il n'y a pas de plus mauvais garçon au monde, disait sa mère ; il est toujours blessé, le visage rompu, toujours battant ou battu son : père et moi, nous le voudrions voir sous terre. Devenu plus grand, il s'échappa de la maison paternelle, où les hasards chevaleresques lui étaient interdits : dans un tournoi, il désarçonna l'un après l'autre quinze chevaliers, et ne fut reconnu qu'après un coup de lance qui fit sauter la visière. Dès l'an 1351, il avait paru dans le parti de Charles de Blois ; envoyé en ambassade auprès d'Édouard III, comme celui-ci demandait si la trêve serait bien observée : Sire, lui répondit-il, nous l'observerons comme vous l'observerez ; si vous la rompez, nous la romprons. De grands coups donnés ou reçus, tous les dangers bizarres d'un chef de partisans, tour à tour pris et prenant le chef ennemi, voilà ce qui le rendit, dès le commencement, si redoutable aux Anglais. Son cri Notre-Dame-Guesclin fut leur terreur. Un jour il fit demander au duc de Lancastre la permission d'entrer dans Rennes assiégée ; le duc répondit : J'aimerais mieux qu'il y entrât cinq cents gens d'armes que le seul Duguesclin. Il passa plus tard au service du roi Jean. Il commandait cent hommes d'armes au siège d'Essé en Poitou. Au moment de l'escalade, une poutre manque sous lui ; il tombe dans la cour du château, et se casse la jambe : cinq Anglais s'approchent pour l'achever mais lui, la tête haute et la bouche. écumante, se redresse sur l'autre jambe, s'appuie contre le mur, frappe de sa hache rapide les cinq Anglais, en blesse un à mort, deux autres dangereusement, et, secondé par un chevalier breton, fait fuir les deux qui luttent encore. Il combattit ensuite le roi de Navarre, et lorsque la nouvelle arriva d'Angleterre que le roi Jean se mourait, Boucicaut et Duguesclin avaient été envoyés en Normandie pour surprendre et déposséder Charles le Mauvais. Mantes ayant été prise, Meulan le fut à son tour, la veille de la mort de Jean. Duguesclin, au moment où la France avait un nouveau roi, conçut la pensée d'étrenner sa couronne. Le captal de Buch, Jean de Grailly, arrivait à Cherbourg, envoyé par le roi de Navarre ; il rassembla de grandes forces à Évreux et essaya de se faire route vers Reims pour troubler le couronnement de Charles V ; mais Duguesclin avait résolu de donner le captal au roi, pour étrenne de sa noble royauté. Il l'atteignit à Cocherel ; et tandis que chacun faisait ses dispositions et préparait tous ses mouvements, il mit à part trente cavaliers, les plus braves de sa troupe, montés sur les trente meilleurs chevaux et les chargea d'enlever le captal. Les Navarrois engagèrent la bataille au cri de leur chef : En avant saint Georges ! Les Français reçurent vigoureusement le choc en crient : Notre-Dame-Guesclin ! Les forées se balançaient, quand les trente cavaliers, s'élançant sur le captal, l'enlevèrent au galop et disparurent. L'opiniâtre résistance des Navarrois ne servit qu'à les faire exterminer en grand nombre avec tous leurs chefs, et la nouvelle de la victoire portée à Reims augmenta la joie et les fêtes du couronnement. Si en acquit messire Bertran Duguesclin grand'grâce et grand'renommée de toutes manières de gens au royaume de France ; et fut son nom moult élevé[51]. Le roi le dirigea aussitôt vers la Bretagne, où la trêve rompue remettait les armes aux mains des deux compétiteurs, et permettait aux deux rois Charles et Édouard de prendre parti chacun pour son allié. Duguesclin arrivant avec mille lances au secours de Charles de Blois, vit arriver l'anglais Chandos avec deux cents lances deux cents archers, au secours du nouveau Jean de Montfort. On se rencontra près d'Auray. Duguesclin eut en face Robert de Knolles ; les deux prétendants étaient opposés l'un à l'autre ; chaque armée était partagée en trois batailles et une arrière-garde ; et on remarqua dès les premiers mouvements qu'un chien qui suivait toujours Charles de Blois, devenu infidèle par pressentiment, passait du côté de Montfort. En effet, Duguesclin, violemment attaqué, fut renversé et pris. Charles de Blois, qui avait cru tuer Montfort en frappant un chevalier revêtu des armes de son rival, ne put retenir sa bannière et tomba lui-même blessé mortellement. Presque tous les nobles et chevaliers de son armée furent pris ou tués. Les barons anglais et bretons, réunis autour de Montfort ; l'invitèrent a faire bonne chère pour avoir conquis enfin l'héritage de la Bretagne ; ils ne savaient pas que le roi de France n'y perdrait rien. Charles V, plus habile que tous les autres, jugea l'occasion venue de mettre fin à cette guerre, qui était un point d'appui pour l'Anglais, et en satisfaisant le vainqueur, de s'en faire un vassal. Il conclut donc le traité de Guérande (1365), reconnut Montfort pour duc de Bretagne, sous le nom de Jean IV, et vit ce prince, dont le père avait fait hommage à l'Angleterre, s'agenouiller devant lui, et, les mains dans les siennes, lui rendre le même hommage que ses prédécesseurs. Il venait de traiter avec le roi de Navarre, et par la promesse vaine de céder à Charles le Mauvais le comté de Montpellier, il lui enlevait pour toujours les seigneuries de Meulan, de Mantes et de Longueville ; il le faisait renoncer à ses prétentions sur le duché de Bourgogne, qu'il confirmait à son frère Philippe le Hardi, et pour remettre les provinces aux mains de sa famille, il donnait la Touraine à son autre frère Louis, duc d'Anjou[52]. Il restait à opérer une autre pacification : cette guerre sans chevalerie ni sans règle, que promenaient par toute la France les grandes compagnies, surprenait et ravageait sans résistance les forteresses, les villages, les maisons de campagne. Ces fils de Bélial, ces guerroyeurs de nations diverses, qui n'avaient pat de nom, inspiraient tant de terreur, que nul n'osait porter la main sur eux pour les punir, même quand ils étaient dispersés. Charles V chercha quelque aventure à leur offrir, quelque bonne espérance de butin ; et comme il venait de traiter avec Henri de Transtamare, prince castillan[53], il destina les compagnies à la guerre contre Pierre le Cruel. Nul chef n'était plus capable de les y conduire que ce Duguesclin, qui avait toute l'audace d'un chef de bandes, qui allait en avant sans regarder, et combattait sans souci de son corps ni de sa liberté. Il le racheta pour 100.000 francs des mains de Chandos ; et Duguesclin, chargé de rassembler les compagnies, se mit à leur dire : Mes amis, nous avons assez fait, vous et moi, pour damner nos âmes, et vous pouvez même vous vanter d'avoir fait pis que moi : faisons honneur à Dieu, et le diable laissons. Le chef ne valait guère mieux que les soldats, si l'on en juge par la dérision avec laquelle il tira de l'argent du pape ; mais il n'en était que plus capable de leur commander. Son entrée en Espagne, favorisée par le roi de Navarre, mettait les Pyrénées entre les compagnies et la France : les brillantes récompenses dont Henri de Transtamare, après une victoire facile, paya leurs commandants, les trésors de Pierre le Cruel livrés en grande partie à leur discrétion, ne purent cependant les décider à tourner leurs armes contre le roi de Grenade. Duguesclin avait accepté volontiers le titre de comte de Transtamare, et la dignité de connétable de Castille. Il demeurait près de son nouveau maître avec quinze cents cuirassiers, pour soutenir son œuvre. Les autres aventuriers se firent donner leur congé, et reprirent le chemin de la France. Heureusement une nouvelle guerre les ramena en Castille, dans le parti contraire. Pierre le Cruel vint demander l'assistance du prince de Galles : il fut accueilli comme un roi ; les seigneurs gascons lui promirent leur secours ; le roi de Navarre promit le passage ; les grandes compagnies offrirent leur service contre le prince dont elles avaient ravit l'argent[54]. Tous se mirent en mouvement vers l'Espagne. Charles V, profitant de leur départ pour réunir des états généraux, réforma les abus de la perception des aides ; il régla l'armement des forts qui pourraient un jour être menacés par d'autres compagnies, et il encouragea les efforts des bourgeois et des paysans qui avaient organisé des rondes contre les brigands pour la sûreté des chemins[55]. Nous retrouverons ailleurs les détails de cette guerre d'Espagne, la bataille de Navarrette, où Duguesclin demeura captif aux mains du prince de Galles, les défaites nouvelles de Pierre le Cruel, et le triomphe de maison de Transtamare (v. ch. XXVIII). Ce dernier résultat n'était pas encore accompli, que déjà Chartes V s'efforçait d'en tirer parti contre le prince anglais ; car depuis quelque temps une occasion bien favorable de rupture s'était présentée. On se trompe véritablement ; lorsqu'on appelle rivalité de la France et de l'Angleterre ces longues guerres qui avaient commence au conquérant Guillaume, et qui ne finirent qu'au temps de Charles VII. Il vaudrait mieux y reconnaitre la lutte du roi de France contre ses grands vassaux dont le roi anglais faisait partie, et la rivalité des provinces franciques du nord de la France contre les provinces romaines du midi, dont quelques-unes avaient accepté le roi anglais pour suzerain. Ce qui le prouve c'est que les Anglais ne se sont jamais hasardés au combat avec leurs seules forces et sans le secours de quelque province de France, c'est que, dans les armées d'Edouard III et de son fils, les Anglais ne formaient souvent que le moindre nombre ; c'est, enfin, que le jour où les seigneurs aquitains consentirent à s'unir au roi de France, ce jour-là commença avec une facilité inespérée la ruine des rois d'Angleterre. Tandis que le prince de Galles s'en allait ait delà des Pyrénées, les seigneurs de l'Aquitaine se mirent à se plaindre d'avoir été abandonnés à la propriété souveraine de l'Anglais ; ce n'était pas sans doute par dévouement au roi, ni par amour de la nationalité française, deux sentiments qu'on ne pouvait avoir en ce temps-là surtout de l'autre côté de la Loire et sur la Garonne. Une seule chose avait soulevé leur mécontentement, le gouvernement du prince de Galles, qui exigeait des subsides, des gabelles ; des fouates, inconnus avant la paix de Brétigny. Le comte d'Armagnac protesta le premier, et, pour échapper à l'oppression présente, il préféra le roi de France au prince anglais ; il prit froidement le ton et le langage du droit ; il déclara qu'il était toujours arrière-vassal du roi de France, qu'un roi n'avait, pas le droit de renoncer à ses sujets, et, par cette renonciation, de leur ravir le recours à sa justice. Charles V traita d'abord secrètement avec Henri de Transtamare, qui promit d'armer une flotte égale à celle de France, et s'il prenait le roi anglais ou son fils, de se livrer à son allié. Il traita de nouveau avec le roi d'Écosse, et convint avec le comte d'Armagnac de recevoir son appel et de ne pas faire les renonciations[56]. Il fit examiner ensuite la paix, de Brétigny dans tous ses articles : et là disoient bien les prélats et les barons de France, que le roi d'Angleterre ni le prince de Galles ne l'avoient en rien tenue ni accomplie, mais pris avaient forts châteaux et villes, et séjourné et demeuré audit royaume à grand dommage, rançonné et pillé le peuple, st pourquoi le payement de la rédemption du roi était encore en partie à payer[57]. Cette dernière accusation s'appliquait au moins aux grandes compagnies, qui, licenciées par le prince de Galles après le retour d'Espagne, avaient parcouru la Champagne, l'archevêché de Reims, les évêchés de Soissons et de Noyon, en se donnant pour Les alliés de l'Angleterre. Le roi informait encore des dispositions de chaque province ; après s'être assuré de la fidélité du midi, il tâtoit bellement et secrètement ceux d'Abbeville et de Ponthieu, quels il les trouveroit, et s'ils demeuroient Anglois ou François. Ceux d'Abbeville ne désiroient autre chose que d'être François, tant haïoient-ils les Anglois. Ainsi acquéroit le roi de France amis de tous lez (côtés), car autrement il n'eût osé faire ce qu'il fit. D'autre part le prince de Galles dépérissait son corps se consumait lentement par la maladie, tandis que sa gloire était ternie de son alliance avec Pierre te Cruel, et de la mauvaise fortune de ce dernier. Une adroite imputation de crainte l'avait porté à remettre Duguesclin en liberté : Monseigneur, lui avait dit un jour messire Bertran, on dit parmi le royaume de France et ailleurs que vous me doutez tant et ressoigriez, que vous ne m'osez mettre hors de votre prison. Le prince, piqué de ce mot, lui laisse le droit de fixer lui-même sa rançon, et fut encore plus étonné quand Duguesclin l'eût fixée à 100.000 florins : Monseigneur, lui dit le prisonnier, ne vous étonnez pas ; il n'y a pas de bonne femme dans mon pays qui ne se cotise pour ma rançon, et d'ailleurs tel qui ne s'y attend pas payera pour moi. La princesse de Galles donna tout d'abord 20.000 florins. Duguesclin parti ensuite pour aller compléter la somme, la distribua sur sa route à tous les malheureux ruinés par la guerre avec une générosité non moins aventureuse que sa bravoure. Il revenait à Bordeaux les mains vides, lorsqu'un messager du roi de France paya pour lui. Cette délivrance avait achevé de ruiner Pierre le Cruel, et en affermissant Henri de Transtamare, elle assurait un allié puissant à la France (v. ch. XXVIII). Charles V se décida donc ; il cita le prince de Galles à sa cour pour y être jugé sur l'appel des seigneurs gascons, et lui fit signifier cet ordre par un clerc en droit bien enlangagé et un chevalier de Beauce. Le prince, un moment déconcerté, répondit qu'il viendrait à la cour du roi de France le bassinet en tête et soixante mille hommes en sa compagnie. Cette menace, qu'il ne put jamais tenir, annonçait la guerre (1369). Après avoir bien préparé l'attaque sur tous les points, et consulté les états de Langue d'oïl, Charles V envoya un valet de sa cuisine pour défier Edouard III à Londres ; en même temps il fit prononcer par la cour des pairs la confiscation de toutes les terres possédées en France par les Anglais. Que nous veut ce praticien avec ses procédures ? demande le duc de Lancastre. — Vous faire payer les dépens, répondit le roi. En effet, le Ponthieu fut enlevé rapidement, et déjà une escadre française s'approchait de Portsmouth. Edouard ordonna des armements considérables ; il confisqua les biens des moines français établie en Angleterre[58], et envoya le duc de Lancastre à Calais. Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, avait ordre de lui tenir tête, mais non de le combattre. Malgré son impatience belliqueuse, Philippe le Hardi passa la campagne à cerner l'ennemi, demandant par des messages multipliés le droit de livrer batailler et ne l'obtenant pas. Lorsqu'il se retira au commencement de l'hiver avec le sobriquet de Philippe Tourne-t'en, il avait sauvé l'Artois et la Picardie, et ruiné sans coup férir une armée anglaise. Au midi, le duc d'Anjou attaquait la Guyenne par le Languedoc, le duc de Berri par le Poitou ; ils vainquirent dans le Limousin, dans le Quercy et le Rouergue, et tuèrent Chandos, le plus modéré des Anglais. Or, furent trop durement dolents et déconfortés ces barons et ces chevaliers de Poitou, quand ils virent là leur sénéchal, monseigneur Jean Chandos, gésir en tel état, et qu'il ne pouvait parler si commencèrent à regretter et à dolorer moult amèrement, en disant : Gentil chevalier, fleur de tout honneur, messire Jean Chandos, à mal fut le glaive forgé dont vous êtes navré et mis en péril de mort. Là pleuroient moult tendrement ceux qui là étoient ; là tordoient les mains et tiroient leurs cheveux, et jetoient grands cris et grands plaints, par espécial les chevaliers et les écuyers de son hostel[59]. Le prince de Galles en fut aussi courroucé, mais sa colère n'eut plus de borne quand il apprit que le duc de Berri venait de prendre Limoges. Il partit donc de Bordeaux en jurant par rame de don père qu'il punirait cette ville ingrate. Il employa un mois il saper les murailles, et lorsqu'une large brèche lui eut livré les habitants ans défense, il sembla que l'âme cruelle de Pierre de Castille eût passé dans le sein du héros anglais[60]. Veci le prince, le duc de Lancastre, le comte de Cantebruge, le comte de Pennebroch et leurs gens qui entrèrent dedans, et pillards à pied qui étoient tous appareillés de mal faire et de courir la ville, et de occire hommes et à femmes et enfants, et ainsi leur étoit-il commandé. Là eut grand pitié ; car hommes et femmes et enfants se jetaient à genoux devant le prince et criaient : Merci, gentil sire. Mais il étoit si enflammé d'ardeur, que point n'y entendait, et nul ni nulle n'était ouïe ; mais tous mis à l'épée, quant que on trouvait et encontroit. Ni je ne sais comment ils n'avoient pitié des povres gens, qui n'étoient mie taillées de faire trahison... Il n'est si dur à cœur que s'il fût adonc en la cité de Limoges, et il lui souvint de Dieu, qui n'en pleurât tendrement du grand meschef qui y était ; car plus de trois mille personnes, hommes et femmes et enfants, y furent délivrés et décollés cette journée : Dieu en ait les âmes, car ils furent bien martyr ! ..... Fut là cité de Limoges courue, pillée, robée isole déport et toute arse, et mise à destruction ; et puis s'en partirent les Anglois, qui emmenèrent leurs conquêts et leurs prisonniers, et se retrairent vers Cognac, où madame la princesse était, et donna congé le prince à tous ses gens d'armes, et ne fit pour cette saison plus avant ; car il ne se sentoit mie bien haitié (sain, bien portant), et tous les jours aggravoit ; dont ses frères et ses gens étaient tous ébahis[61]. Pour se venger dignement de ces ravages, Charles V appela
Duguesclin. Celui-ci, depuis qu'il avait vaincu Pierre le Cruel, s'était
montré toujours terrible dans quelques combats en Aquitaine. Par l'avis et conseil des nobles et prélats, et la commune
voix de tout le royaume, qui bien y aida, Duguesclin fut nommé
connétable de France. Il s'en voulait défendre, disant qu'il était un povre chevalier et petit bachelier : Messire Bertran, lui répondit le roi, ne vous excusez point ; car je n'ai frère, cousin ni neveu
ni comte, ni baron en mon royaume, qui ne obéisse à vous ; et si nul en étoit
au contraire, il me courrouceroit tellement qu'il s'en apercevroit : si
prenez l'office lieraient et je vous en prie[62]. Le Breton sans
peur avait maintenant à sa disposition toute la puissance utilitaire de
France ; il avait pour second le fils d'un proscrit, Olivier Clisson, à qui
les bienfaits de Charles V faisaient oublier la mort violente de son père,
Clisson, qu'on a surnommé le Boucher,
et qui, une fois, après une capitulation exécuta un à un de sa longue épée
tous les Anglais qui s'étaient rendus. Le roi les envoya, non plus contre le
prince de Galles, car le malheureux, fatigué de la vie sous une langueur
incurable, laissa l'Aquitaine pour aller attendre la mort en Angleterre, mais
contre Robert Knolles, ce hardi aventurier qui avait vaincu à Auray, et qui,
débarque Calais tout récemment, avait parcouru le nord et l'est, provoquant
les garnisons des villes, et ravageant les villages, sans pouvoir obtenir une
bataille sur tout ce chemin. Il avait entouré Paris de l'incendie des
campagnes, sans que personne sortit à sa rencontre. Duguesclin le suivit vers
le Maine et l'Anjou, mit l'insubordination dans son armée, et la dispersa. Le
danger éloigné, Charles V, épiant de son palais de Saint-Paul toutes les
intrigues de ses ennemis, les déconcertait par une habile politique. Déjà il
avait marié son frère, le duc de Bourgogne avec l'héritière de la Flandre ;
il empêcha une alliance entre l'Angleterre et le roi de Navarre. David Bruce
venait d'être remplacé par son neveu Robert Stuart ; Charles V traita
avec le nouveau prince, lui imposant ses haines et ses amitiés ses guerres et
ses trêves[63]. Il entretenait la bonne volonté des Bretons, que la
faveur de Duguesclin et de Clisson, leurs compatriotes, avait tournés vers la
France, et qui commençaient à dire à leur duc : Chier
sire, sitôt que nous pourrons apercevoir que vous vous ferez partie pour le
roi d'Angleterre nous vous relinquerons et mettrons hors de Bretagne.
Il pouvait donc s'inquiéter peu de l'alliance de Montfort avec l'Angleterre,
et du double mariage du duc de Lancastre et du comte de Cambridge, tous deux fils
d'Edouard, avec les deux filles de Pierre le Cruel (1). Les événements prouvèrent que Charles V avait bien fait. Parmi tous les succès que l'habileté de ce prince avait ainsi prépares, on admira dans le temps même la guerre de La Rochelle (1372). L'amiral de Castille, Ambroise Boccanegra, ferma le port de cette ville a la flotte dit comte de Pembrock, la prit tout entière, et la conduisit captive en Galice ; les préparatifs du duc d'Anjou et les efforts de Duguesclin continuèrent sur terre cette première victoire ; le captal de Buck pris une seconde fois, fut condamné à une captivité perpétuelle. Poitiers, repris par le connétable, entraina la conquête entière du Poitou, et le château de La Rochelle, gardé par quelques centaines d'Anglais, fut occupé par une ruse sans coup férir. Edouard III n'avait eu que le temps de songer à délivrer la ville de Thouars ; il venait lui-même pour faire lever le siège, quand il apprit qu'il était trop tard ; il retourna chez lui en murmurant : Jamais, disait-il, on n'a vu en France un roi qui combatte si peu, et qui donne tant à raire. Il dut le mieux comprendre encore lorsqu'il vit arriver le duc de Bretagne, qui, attaqué par le connétable, et se défiant de ses sujets, sollicitait une puissante diversion (1373). Les Bretons étaient, en effet, très-fort enracinés en l'amour du roi de France et du connétable qui étoit leur voisin[64]. Le connétable, qui avait la commission du roi de France de prendre et de saisir tout le pays de Bretagne y entra efforcément à plus de quatre mille armures de fer, et tous à cheval, et ne prit mie le chemin de Nantes premièrement, mais celui de la bonne cité de Rennes et de la Bretagne bretonnante, pour tant qu'ils étoient et ont toudis été plus favorables au duc de Bretagne, que les François appelaient comte de Montfort, que la douce Bretagne. Quand les bourgeois sentirent venant sur eux le connétable et les François si efforcément, si n'eurent mie conseil d'eux clorre, mais se ouvrirent et les recueillirent doucement, et se mirent tantôt en l'obéissance du roi de France. Ledit connétable en prit les fois et elles serments qu'ils se tiendroient estables, et s'en vint jusqu'à la bonne ville de Dinant. Cils de Dinant firent autel, et puis chevauchèrent jusqu'à la cité de Vannes, qui se ouvrit tantôt, et se mit en l'ordonnance du connétable, et puis se rafraîchirent les François et les Bretons quatre jours[65]. D'autres succès suivirent. Clisson se distingua plus d'une fois par sa brutale cruauté et attira rhème sur les Français quelques représailles de Robert. Les Anglais ne possédaient plus en Bretagne que Brest et Derval ; ils perdaient peu à peu toute l'Aquitaine ; Édouard III envoya une nouvelle armée pour ravager toute la France, sous la conduite de Lancastre, son fils, accompagné du duc de Bretagne. Ce dernier, dans un manifeste écrit de sa main, défiait le roi de France, son suzerain, qui avait fait envahir son duché par le connétable, prins tout plain de ses villes, chasteaux et forteresses, et fait tout plain d'autres outrages, tors, dommages et villenies non réparables[66]. En même tempe, l'armée de Lancastre, partie de Calais, trouvoit la marelle grasse et pleine de tous vivres, car il était en temps de vendanges. Et si rançonnoient le pays et gros villages à non ardoir, parmi vin et sacs de pain, et de bœufs et moutons que on leur apportoit et amenoit en leur ost. A ce que les Anglois montraient, ils ne désiraient autre chose que ils pussent avoir la bataille ; mais le roi de France, qui doutoit les fortunes, ne s'y vouloit nullement assentir ni accorder que ses gens se combattissent : si les faisoit-il côtier et hérier de cinq cents ou six cents lances qui tenoient les Anglois si courts, et en tel doute, que ils ne se osoient deffoucquer. Ils livraient quelques escarmouches, brûlaient quelques villages. Mais le conseil du roi disoit ainsi : Laissez-les aller ; par fumières ne peuvent-ils venir à votre héritage ; il leur ennuira, et iront tous à néant. Quoique un orage et une tempête se appert à la fois en un pays, si se départ depuis et dégâte de soi-même. Ainsi adviendra-t-il de ces gens anglois. Cette parade, qui résume la politique et l'adresse de Charles V, mais contre laquelle protestaient plusieurs barons et chevaliers, était aussi la pensée de l'impétueux Duguesclin et de Clisson, devenus non moins prudents que braves. Sire, disait Duguesclin, tous cils qui parolent de combattre les Anglois ne regardent mie le péril où ils en peuvent venir. Non que je die qu'ils ne soient combattus, mais je veuille que ce soit à notre avantage. Clisson parlait dans le même sens : Anglois sont si grands d'eux-mêmes, et ont eu tant de belles journées, que il leur est advis qu'ils ne puissent perdre ; et en bataille ce sont les plus confortés gens du monde ; car plus voient grand effusion de sang, soit des leurs ou de leurs ennemis, tant sontils plus chauds et plus arrêtés de combattre : si que, tout considéré, de mon petit advis je ne conseille pas que on les combatte, si ils ne sont pas pris à meschef, ainsi que on doit prendre son ennemi. — Par ma foi, dit le roi, sire de Clisson, je n'en pense ja à issir ni à mettre ma chevalerie ni mon royaume en péril d'être perdus pour un peu de plat pays... Et vous, qu'en diriez-vous, mon frère d'Anjou ? — Par ma foi, répondit le duc d'Anjou, qui vous conseilleroit autrement ne le ferait pas loyaument ; nous guerroyerons toujours les Anglais, ainsi que nous avons commencé. Quand ils nous cuideront trouver en une partie du royaume, nous serons à l'autre, et leur toldrons toujours à notre avantage ce petit que ils y tiennent. Aussi chevauchèrent le duc de Lancastre et le duc de Bretagne parmi le royaume de France, et menèrent leurs gens ; ne oncques ne trouvèrent à qui parler par manière de bataille. Si ne demandoient-ils autre chose, et envoyaient souvent leurs hérauts devers les seigneurs qui les poursuivoient en requérant bataille, en donnant et faisant plusieurs parçons ; mais oncques les François ne voulurent rien accepter ; ni élection, ni parçon que les Anglois leur fissent ne put venir à effet ; mais ils les cotioient une heure à dextre et une heure à senestre, ainsi que les rivières se adonnoient et se logeoient presque tous les soirs ès forts et ès bonnes villes, où ils se tenoient tout aises ; et les Anglois aux champs, qui eurent plusieurs disettes de vivres, et en l'hiver de grandes froidures, car en Limosin, en Rouergue et en Agénois ils trouvèrent moult povre pays ; et n'y avoit si grand ni si joli de leur route qui dedans cinq jours ou six mangeassent point de pain. Bien souvent leur advint, depuis qu'ils furent entrée en Auvergne ; car ils étoient poursuivis sur la fin de leur chevauchée de plus de trois mille lances ; si n'osoient aller fourner fors tous ensemble. Toutefois en ce meschef ils passèrent toutes les rivières qui sont courantes outre la Seine jusques à Bordeaux, la Loire, l'Allier, la Dordogne et Garonne, et plusieurs autres grosses rivières qui descendent des montagnes en Auvergne ; mais de leur charroi, qui en voulut ouïr nouvelles, je vous le dirai. Ils purent pas la tierce partie remettre en la cité de Bordeaux ; tant par Les chevaux qui leur faillirent, que pour les détroits des montagnes où ils ne pouvoient passer ; et si leur moururent plusieurs chevaliers et écuyers de froidure et de povreté, qu'ils passent l'hiver sur le chemin. ; car il fut le Noël passé ainçois que ils rentrassent en la cité de Bordeaux, et en y eut encore de bons chevaliers qui y conçurent des maladies de quoi ils moururent depuis... Ainsi fut traite cette grande chevauchée à fin[67]. En 1374, les Anglais ne conservaient plus en France que Calais, Brest, Bordeaux, Bayonne, et quelques places de la Dordogne[68] ; le vieil Édouard III, qui avait égalé, par la durée de son règne, les trois règnes de Philippe VI, de Jean et de Charles V, languissait enfin sous de honteuses faiblesses, en même temps que sa gloire et sa puissance reculaient à grande pas devant ses ennemis relevés. Il accepta donc une trêve proposée par le pape Grégoire XI ; car une paix définitive aurait eu pour première condition la restitution de Calais : une trêve était plus commode son orgueil humilié, puisqu'elle laissait le droit de recommencer la guerre, et l'espérance de conserver la paix par une prolongation. Il retomba alors sur lui-même, sur les misères de sa famille, sur le mécontentement du peuple anglais. Il vit mourir à quarante-six ans Édouard, son fils aîné, prince de Galles et d'Aquitaine, fleur de toute chevalerie du monde en ce temps et qui le plus avoit été fortuné en grands faits d'armes et accompli de telles besognes (1376). Si moult fut plaint, et sa bonne chevalerie moult regrettée ; et eut le gentil prince à son trépas la plus reconnoissance à Dieu, et la plus ferme créance et repentance que on vit oncques grand seigneur [illisible][69]. Edouard III, parvenu à la cinquantième de son règne, après avoir perdu ses espérances, sa domination outre-mer, son fils enfin, voyait sa vieillesse méprisée par la fierté de la nation. Il sentait chaque jour diminuer le pouvoir royal ; il cédait avec douleur, et cachait son affaiblissement dans sa solitude d'Eltham. Ses serviteurs eux-mêmes le trahirent servilement. Une femme qui le suivait partout, Alice Perrers, s'apercevant qu'il allait mourir, lui ôta du doigt son anneau, et partit ; les autres domestiques n'attendirent pas qu'il eût expiré pour piller son palais. Un prêtre, qui se trouvait là par hasard, fut le seul qui eut pitié du roi : il lui présenta un crucifix, et l'exhorte à la mort. Edouard le remercia, baisa le crucifix, se mit à pleurer, et mourut (1377). Edouard III laissait après lui le parlement constitué et puissant par le souvenir des concessions qu'il avait obtenues du roi. La convocation annuelle du parlement imposée par les ordonnateurs à Edouard II, avait été acceptée comme une loi par son fils. Si Edouard III, dans un règne de cinquante-un ans, obtint soixante-dix fois des subsides pour les guerres d'Écosse et de France, les soixante-dix ordonnances de convocation étaient un hommage au libre vote du peuple. Ces assemblées avaient pris une forme régulière. Le clergé, qui composait d'abord le premier ordre, et dans lequel on comprenait tous les dignitaires de l'Église, les chapitres et les abbayes avait peu à peu obtenu de n'être plus réuni-en corps ; il lui suffisait d'être représenté par quelques prélats qui siégeaient parmi les lords. Il n'y avait donc au parlement que deux ordres : les grands hommes de la terre, et les petits hommes des communes. Le premier nom voulait dire : 1° les hommes qui dépendaient par baronnie de la couronne ; 2° les chevaliers bannerets qui possédaient de la même façon, mais pouvaient ne pas être toujours convoqués ; 3° les juges des cours du roi et les membres de son conseil telle était la chambre des lords. L'autre nom désignait : 1° les chevaliers des provinces au nombre de soixante-quatorze, chargés surtout de lutter contre le roi pour la conservation des droits ; 2° les représentants des cités et des bourgs, choisis par leurs concitoyens : telle était la chambre des communes. Le parlement était une protection pour tous contre les officiers royaux, et la garantie du maintien des libertés. Sous Édouard III, il répara les erreurs, détruisit les abus, et commanda l'exécution des nouvelles lois qui, sans sa vigilance, seraient tombées en désuétude. Plusieurs de ces assemblées ont conservé des surnoms qui témoignent de la reconnaissance nationale On appela bon parlement celui qui, avec l'appui du prince de Galles, réprimanda l'administration du vieux roi ; celui de 1315, qui fixa les cas de trahison, fut appelé le divin parlement. On peut réduire à quatre titres principaux les objets sur lesquels la puissance royale fut limitée au temps d'Edouard III : la confection des lois, la levée des subsides, le droit de pourvoirie, l'administration de la justice. Depuis ce règne, il fut établi en principe que les lois, pour être obligatoires à tous, devaient être votées par tous les ordres. Il fut également reconnu que les subsides devaient être votés, et que le peuple s'imposerait lui-même. Par le droit de pourvoirie, le roi et toute sa suite, malgré tant de réclamations, avaient encore le privilège de requérir sur leur route les chevaux et les voitures, ou les provisions nécessaires à leur nourriture, et souvent se faisaient un plaisir de perdre ce qu'ils ne pouvaient consommer. On éludait ensuite le paiement en renvoyant les plaintes d'un juge à l'autre ; Édouard III appelait cela un des droits les plus importants de la couronne. Le parlement fut le plus fort : il restreignit le droit de provision au roi, à la reine, à l'héritier du trône, en les obligeant à se fournir eux-mêmes de chevaux et de voitures. Les personnes de leur maison, logées chez les habitants sur des billets délivrés par les officiers de chaque municipalité, seraient obligées de payer les petites dépenses en vingt-quatre heures, et les plus considérables en quatre mois. Tous les délinquants seraient punis comme voleurs et félons. Quant à l'administration de la justice, on remédia aux prévarications des cours royales, aux extorsions des officiers du roi, shérifs, coroner, ou procureurs ; on ordonna que ces magistrats, choisis parmi les principaux propriétaires de la-province, ne garderaient leur pouvoir que pendant douze mois : on fixa à quatre par an les sessions des conservateurs de la paix ; on ordonna que l'instruction serait faite, et les plaidoiries prononcées en anglais, et non plus en français, dans cette langue des conquérants, que la partie vaincue de la population ne comprenait pas. Enfin le divin parlement (1351) mit fin aux abus que l'autorité royale pouvait faire de l'accusation de haute trahison. Ce crime fut restreint, à sept cas : tentative contre la vie du roi, de la reine, de leur fils ; outrage à l'honneur de la reine, de la fille aînée du roi non mariée, de la femme du prince de Galles ; soulèvement à main armée dans l'intérieur du royaume ; alliance avec les ennemis étrangers du roi ; contrefaçon du grand sceau, contrefaçon de la monnaie ; assassinat des grands officiers de l'État ou des juges royaux dans l'exercice de leurs fonctions. Toutes ces réformes ne se firent que lentement et par l'obstination patiente des communes, dont les réclamations souvent éludées, mais toujours reproduites, forçaient le gouvernement à consentir au moins par pudeur. Sur la fin de ce règne, le parlement en vint à attaquer le roi personnellement, à désigner ses conseillers, et même son fils, le duc de Lancastre, comme concussionnaires, à porter enfin une sentence contre Alice Perrers[70]. Le roi de France s'entourait d'une force et d'une considération bien autrement respectées. Charles V avait à peine appris la mort d'Edouard III et l'avènement de son petit-fils, Richard II, qu'il profita de l'expiration de la trêve, et envoya ses vaisseaux ravager l'ile de Wight, brûler la ville de Hastings, et menacer les côtes de l'interruption du commerce. Le duc d'Anjou rentra dans la Guyenne avec Duguesclin ; et Charles le Mauvais, accusé d'avoir empoisonné sa femme et la femme du roi de France, fut attaqué dans son comté d'Évreux. Duguesclin et le duc de Bourgogne lui enlevèrent en quelques jours toutes ses villes excepté Cherbourg (1378). Le roi résolut d'en agir de même avec la Bretagne. Montfort, cité à comparaitre devant le parlement, n'ayant pas répondu, son duché fut confisqué et déclaré rétabli au domaine de la couronne. Ce fut là une imprudence, la seule qui ait démenti la patience de Charles V ; les Bretons, qui n'avaient pas voulu être Anglais, voulaient toujours garder leur indépendance féodale sous un duc. Duguesclin n'osa pas refuser à Charles V d'entrer en Bretagne à la tête de l'armée française ; mais il agissait à contre-cœur : la Bretagne se soulevait ; les seigneurs bretons s'engageaient par une confédération, à défendre leur nationalité : tous les Bretons qui servaient dans l'armée du roi désertaient en foule. Montfort était accueilli par ceux qui l'avaient chassé, comme le représentant de l'indépendance. Duguesclin retourna bientôt en Aquitaine, où il mourut devant le château de Randan ; et les Anglais, à qui le roi de Navarre avait livré Cherbourg, envoyèrent le duc de Buckingham pour soutenir la Bretagne. Celui-ci traversa toute la France, de Calais à la Sarthe, n'y fut arrêté qu'un moment, et rejoignit Montfort. Charles V mourait à ce moment-là, a l'âge de quarante-trois ans. Si Charles V n'avait pas achevé la ruine de la féodalité qui semblait dépendre de l'expulsion des Anglais et du châtiment de Montfort, il avait refait entièrement le pouvoir royal. Comme ses prédécesseurs depuis Philippe le Bel, il prit aux grands et au peuple ; il renouvela contre les grands la défense des guerres privées (1372) ; il rendit plusieurs ordonnances contre les bourgeoisies[71], et cassa plusieurs communes qu'il réunit au domaine royal. Les états généraux, cette assemblée du peuple et des grands, qui avaient tourmenté sa régence par leurs prétentions turbulentes, ne furent réunis que deux fois pour rétablir la sûreté publique (1367), et pour déclarer la guerre aux Anglais (1369) ; à leur place, Charles V substitua une assemblée de notables. Aucun prince, avant lui, n'avait tant publié d'ordonnances pour rappeler à son domaine des provinces, des villes, quelquefois un péage ou un moulin, que la féodalité ne devait plus posséder désormais. Aucun non plus n'avait parlé si magnifiquement de la majesté royale. Lorsque Urbain V quitta Avignon pour Rome, Charles V se fit donner le privilège, ainsi qu'à ses officiers, de ne pouvoir être excommuniés tant que le pape serait au delà des monts. En 1374, après l'humiliation d'Édouard III, il publia cette ordonnance qui fixait la majorité des rois au premier jour de leur quatorzième année. La fin prochaine du monde, la malice des pervers qui menacent l'héritage des pupilles, n'en sont pas les plus curieux considérants ; il y est dit encore et au besoin, prouvé par des exemples, que le fils du roi a plus d'esprit qu'un autre, parce qu'il est de plus noble origine et entouré de meilleurs soins. Il y joignit des règlements sur la régence, fixa d'avance aux tuteurs les revenus qui devaient servir à leur entretien. Enfin ses règlements sur les apanages avaient pour but de conserver au domaine les provinces trop souvent détachées en faveur des fils du roi. Tous ces actes sont toujours suivis de cette formule : de notre certaine science, et de la plénitude de notre puissance royale. C'est le langage du chef de L'Église, enseignant le monde au nom de Dieu. IV La guerre n'était pas finie. La mort prématurée de Charles V laissait aux Anglais assez de places et d'alliances pour continuer la rivalité ; mais l'agitation intérieure de l'un et de l'autre royaumes suspendit forcément les hostilités du dehors pendant trente-cinq ans (1380-1415). Richard II, fils du prince de Galles, semblait le roi des communes, qui l'avaient réclamé pour héritier présomptif après la mort de son père. Aussi, dès son avènement, les communes prirent une importance qui effraya les lords et les officiers royaux. Le jeune roi avait trois oncles, Jean, duc de Lancastre, Edmond, duc d'York, Thomas, duc de Glocester. Aucun des trois ne faisait partie du conseil de régence. Lancastre, toujours suspect, s'était justifié publiquement en répétant qu'il n'avait pas besoin de justification ; mais les communes, toujours soupçonneuses, prenaient leurs garanties contre l'aristocratie et contre la cour. Au premier subside qu'on leur demanda, elles firent choisir deux marchands de Londres pour en être les trésoriers ; à la seconde demande (1378), elles se firent représenter les comptes publics et donner copie des registres de l'impôt ; elles s'assurèrent qu'il avait été bien réparti, avant d'accorder un droit additionnel sur la laine, les peaux de moutons en laine et les cuirs. Convoquées une troisième fois (1379), elles établirent une taxe personnelle, proportionnée au rang et aux propriétés de chacun. Étonnées, quelques mois après (1380), d'entendre dire que cet argent n'avait pas suffi, elles demandèrent le renvoi du conseil, et firent nommer un comité de finances, qui avait droit d'inspection sur la dépense de l'État, et même sur les dépenses de la maison royale. On y admit des lords et des chevaliers, et jusqu'à trois représentants des cités de Londres et d'York. Un quatrième impôt fut encore déclaré insuffisant ; les communes protestèrent contre les demandes intolérables du pouvoir, puis elles consentirent à une capitation levée sur tout individu, homme ou femme qui avait passé l'âge de quinze ans ; elles se laissèrent ensuite dissoudre, et attendirent que la masse du peuple soulevée donnât au pouvoir une terrible leçon. En effet, les prédications de Wikleff et de ses partisans (v. chap. XXIV) avaient remué la masse souffrante. Une des erreurs de Wikleff, c'était que le droit de propriété est fondé sur la grâce et que tout homme coupable de péché, et traître à Dieu, ne peut exiger les services des autres. Les pauvres n'eurent pas de peine à croire que les riches étaient pécheurs et indignes de posséder. Aussi la nouvelle taxe ne suffisant pas encore, l'avidité raffinée des collecteurs exaspéra le mécontentement public. En Essex, on refusa de payer et de se laisser juger par le tribunal des plaids communs ; les habitants de Fobbings massacrèrent les jurés, promenèrent leurs têtes sur des piques, et soulevèrent les communes voisines par l'audace de leur chef Jack Straw. Dans le pays de Kent, Wath the Tyler — Gauthier le Couvreur — brisa de son marteau la tête d'un collecteur qui avait insulté sa fille, et, tous les voisins applaudissant, la division occidentale du comté prit les armes. Wath the Tyler, nommé chef des insurgés, fut secondé par un prêtre de l'hérésie de Wikleff appelé John Ball. Celui-ci, devant une multitude de cent mille hommes, prit pour texte d'un premier discours... Quand Adam bêchait et quand Ève filait, qui était gentilhomme ? Il en conclut que tous les hommes naissaient égaux, que les puissants avaient seuls établi la distinction de la servitude et de la liberté, qu'il fallait donc abolir toutes les distinctions, pour que tous fussent libres, et déposer l'archevêque, les comtes, les barons, les juges, les hommes de loi et les moines quêteurs. De semblables paroles retentirent des côtes de Kent à la rive droite de l'Humber. Le peuple, partout préparé, pillait les manoirs des seigneurs, démolissait les maisons, brûlait les registres des tribunaux, coupait la tête aux juges, et exigeait de ceux qu'on laissait vivre le serment de ne jamais reconnaître un roi qui s'appelait Jean. Mais d'être fidèles au roi Richard et aux communes. Ils avaient le dessein de s'emparer du roi pour agir en son nom, d'anéantir tous les ordres privilégiés de l'Église et de l'État, de ne conserver que les frères Mendiants ; car il fallait bien que quelqu'un fût chargé des offices de la religion, et de se débarrasser du roi lui-même, pour créer dans chaque commune un roi des communes. La princesse de Galles, mère du roi, qu'ils rencontrèrent sur leur route, fut forcée d'embrasser leurs chefs en signe de fraternité, et ils vinrent se placer devant la tour de Londres, où le roi s'était enfermé. Lorsque Richard se montra pour entendre leurs
réclamations, ils poussèrent de tels hurlements, qu'on aurait cru que tous
les diables de l'enfer étaient de leur compagnie. Le roi se retira, et les
insurgés, pour se faire craindre par l'énergie de leurs vengeances, entrèrent
dans la ville mirent en liberté les prisonniers, pillèrent le palais du duc
de Lancastre, mais sans rien prendre pour eux-mêmes et punissant les voleurs
qui prétendaient au butin. Pour qui tiens-tu ?
disaient-ils à tous ceux qu'ils arrêtaient ; il fallait, sous peine de mort,
répondre : Pour le roi Richard et pour les communes.
La promesse d'écouter leurs demandes s'ils se retiraient à Mile-End en éloigna
soixante mille, à qui le jeune roi vint lui-même accorder l'abolition de
l'esclavage, la réduction de la rente des terres, la franchise d'achat et de
vente dans les marchés, et le pardon de tout ce qui s'est fait. Ceux-là
partirent avec la bannière du roi, et des chartes scellées du sceau royal ;
mais dans le même temps, Tyler et Straw qui étaient demeurés dans la ville,
avaient envahi la Tour, tué l'archevêque, et mis sa tête au bout d'une pique,
avec son bonnet cloué au crâne. Le jeune roi, à son retour, trouva sa mère
encore tremblante de la visite brutale que les insurgés avaient faite dans
ses appariements ; lui-même, comme il chevauchait dans Smith-Field avec
soixante cavaliers, il vit arriver à lui Wath Tyler et vingt mille insurgés. Le
couvreur donna ordre aux siens de s'arrêter, et s'avança vers le roi pour
s'entendre sur les chartes qu'on leur avait envoyées ; il tenait un poignard
à la main et l'agitait par manière de jeu. Tout à coup il saisit le cheval du
roi par la bride, mais au même instant le lord-maire le frappe à la gorge
d'un coup d'épée, et le fait reculer à trente pas, où il tombe mort. A cette
vue, les insurgés poussent des cris, tendent leurs arcs, et vont frapper le
roi ; mais celui-ci galopant vers eux : Mes amis,
leur crie-t-il, que faites-vous ? Wath Tyler est
mort ; c'était un traître ! Venez avec moi : vous n'aurez plus d'autre chef
que moi. Cette parole sûre, ce ton fier, dans un jeune homme de seize
ans, déconcertent les insurgés. Ils le suivent où il veut les conduire, et
bientôt ils se trouvent entourés de mille hommes d'armes, réunis par le
lord-maire. Ils s'agenouillèrent devant Richard ; ils demandèrent pardon de
leurs excès, et avant de l'avoir obtenu, ils reçurent, sans murmurer, l'ordre
de retourner à leurs demeures. Ce mouvement, avec ses crimes populaires, avait effrayé la classe moyenne aussi bien que la noblesse. La mort de Wath Tyler rendit le courage à ceux qui n'avaient pas osé se défendre ; des renforts nombreux amenés au roi, et la vigueur du belliqueux évêque de Norwich, Henri Spencer, accablèrent de tous côtés la rébellion. Straw et Ball furent mis à mort avec Lister et Westbroom, qui avaient pris le titre et l'autorité de rois, et le parlement étant assemblé, lorsque le roi demanda s'il serait sage d'abolir entièrement l'état de servitude, les lords et les communes répondirent que personne n'avait le droit de leur ravir les services de leurs vilains, et qu'eux-mêmes ils n'y donneraient jamais leur consentement. On abolit donc les chartes d'affranchissement que le roi avait signées à Mile- End ; seulement comme les communes donnaient pour cause à la dernière révolte l'insolence et l'avidité des pourvoyeurs, la rapacité des officiers royaux, et le poids des taxes et des subsides, on nomma une commission d'enquête, on imposa des règlements de réformes aux cours judiciaires et à la maison du roi, et l'on supprima les associations illégales. Les communes finirent par accorder pour trois ans la taxe sur la laine, les peaux en laine et les cuirs et l'on put croire à ce moment que l'agitation populaire n'avait servi qu'à fortifier le pouvoir du roi (1382). Une courte expédition en Flandre signala le rétablissement de la tranquillité. L'évêque de Norwick allié d'Urbain VI, vint soutenir les Flamands, que le roi de France combattait (voir plus bas) ; mais il fut empêché d'agir par le duc de Lancastre, qui retint sur la côte d'Angleterre une partie des troupes nécessaires au succès. L'armistice conclu entre les deux rois comprenait les Écossais. Ceux-ci refusant de déposer les armes, une armée anglaise passa les frontières, brûla les cabanes des villes écossaises, et quatre-vingt mille haches furent employées à abattre les forêts où les Anglais ne pouvaient poursuivre les vaincus. La France, par un secours de mille hommes d'armes et de quarante mille francs d'or, entretint la guerre (1385). L'alliance, du reste, était bien mal comprise des deux côtés. Les Français, arrivés en Écosse, dans un pays sauvage, chez un peuple qui n'était pas civilisé, se plaignirent de ne trouver ni banquets, ni tournois. Ils achetaient fort cher une nourriture grossière, et échappaient difficilement aux pièges des indigènes. Quand on leur fit voir le roi, ils le méprisèrent à cause de ses yeux rouges et chassieux, et de ses sandales couleur bois ; ils en conclurent qu'il n'était pas guerrier. Ils s'étonnèrent que le peuple écossais ne voulait plus combattre ; ils furent obligés de distribuer les francs d'or pour relever les courages et pénétrèrent enfin dans le Northumberland. Richard II les en chassa, prit à son tour l'offensive, et brûla Édimbourg. Mais on vint lui annoncer que les Écossais ravageaient le Cumberland et les Westmoreland. Pendant qu'il était incertain, le chancelier réussit à lui donner de nouveaux soupçons sur le duc de Lancastre ; il prit le parti de la retraite, et licencia son armée. Ses ennemis se vantèrent de lui avoir fait plus de mal qu'ils n'en avaient éprouvé, et la maison de Stuart put dès ce moment se croire affermie sur le trône. Soit tradition de famille, soit abus d'un pouvoir qu'il avait sauvé de la fureur des insurgés, Richard II prétendait gouverner seul, et choisir librement ses ministres et ses conseillers. Les faveurs dont il comblait ces hommes, presque tous choisis dans des familles obscures, chagrinaient l'orgueil des nobles et des princes, et en retour le roi s'indignait des plaintes comme d'une insulte ou d'un complot contre son gouvernement. Mais la réunion des princes, des lords des communes, était bien formidable ; Richard II l'éprouva lorsque la France rassembla un armement dans le port de l'Écluse pour envahir l'Angleterre (1386). Au lieu de délibérer sur les moyens de résistance, le parlement, encouragé par le duc de Glocester, oncle du roi, commença par demander le renvoi des ministres. Il l'obtint : aussitôt les communes mirent en accusation la chancelier disgracié, et acquirent par là le droit d'accuser les ministres de la couronne ; avec une menace de déposition, le parlement fit créer un conseil permanent de onze prélats et pairs pour surveiller les officiers de la maison du roi et les cours judiciaires, pour examiner les comptes de la trésorerie, et recevoir les plaintes dans tous les cas non prévus par les lois : Glocester était du nombre des conseillers. Les communes avaient décidé que si l'on mettait obstacle à leur autorité, le paiement du subside voté cesserait à l'instant ; mais l'examen des comptes prouva qu'on avait calomnié, au moins en partie, l'administration précédente. La destruction de la flotte française dans le part de l'Écluse (voir plus bas) dissipait les inquiétudes nationales. Richard résolut de se montrer le maître ; il rassembla des juges, fit déclarer que l'institution du conseil permanent était la ruine du pouvoir royal ; et après avoir attiré à. lui les diverses corporations de Londres., il rentra dans cette ville ; il ne savait pas que des troupes nombreuses, commandées par Glocester, stationnaient aux environs. Comme il voulait faire valoir contre eux l'autorité royale, les lords répondirent qu'ils avaient pris les armes par amour d u. roi, afin de le délivrer des traîtres qui l'avaient fait leur esclave ; et pour premier acte de fidélité, ils appelèrent cinq des favoris du roi comme coupables de trahison (1387). Richard tergiversa, promit de faire justice avec l'aide d'un parlement, et cependant encouragea ses favoris fugitifs à prendre les armes. Quand il fut évident que ce nouvel effort était inutile, il rassembla (1388) le parlement, surnommé par les uns l'admirable, et l'impitoyable par le plus grand nombre. Il voulut faire dire aux lords, par les sages en lois civiles et coutumières, que leur acte d'accusation était informe et illégal ; les lords appelants le forcèrent lui-même à reconnaître que leur appel était bon, et conforme à la loi et à la coutume du parlement. Les favoris furent jugés et condamnés ; le duc d'Irlande, le comte de Suffolk, l'archevêque d'York, étaient les principaux. On condamna ensuite les quatre juges du roi, le premier baron de l'échiquier, et l'avocat du roi, comme traitres ; on condamna l'évêque de Chichester ; on mit à mort Simon Burley ; malgré les prières du roi et de la reine Anne de Luxembourg, qui invoquait, les mains jointes, la clémence de Glocester : le roi ne put obtenir pour quelques-uns que la mort par la hache au lieu de la potence. Glocester, dans toutes ces cruautés, semblait populaire. Les communes avaient juré de défendre les lords appelants, et de vivre et de mourir avec eux envers et contre tous[72]. Pendant un an, la volonté impérieuse du roi fut comprimée par les opposants vainqueurs. Enfin les Écossais le délivrèrent par une défaite des Anglais, qui fit perdre à Glocester toute sa considération. Le 3 mai 1389, dans un parlement tenu après Pâques, Richard demanda inopinément à son oncle : Quel âge croyez-vous que j'aie maintenant ? — Vingt et un ans, répondit le duc. — Eh bien ! reprit le roi, je suis en âge de conduire moi-même mes affaires : je vous remercie, milords, de vos services, et je ne vous en demanderai aucun désormais. Glocester se retira ; le roi, pendant plusieurs années, gouverna paisiblement. Il adoucit peu à peu le sort de ses amis qui n'étaient qu'exilés ; et pour effacer les distinctions de partis, il appela à son conseil le duc de Lancastre et le duc de Glocester ; il apaisa l'Irlande, toujours rebelle à la tyrannie anglaise ; il prolongea la trêve avec la France et épousa la fille de Charles VI. Ce fut ce mariage, et le mécontentement que le duc de Glocester voulut en inspirer à la nation, qui porta Richard II à essayer une tyrannie dont il fut la victime. Sa fermeté déconcertant toutes les résistances, il avait dernièrement lancé un reproche sévère aux communes, lorsque celles-ci, par prétexte d'économie, avaient trouvé mauvais que le roi défrayât à ses dépens les dames nombreuses qui suivaient la cour ; il avait un moment menacé de mort, comme coupable de trahison, le premier auteur de la remontrance, et ne lui avait fait grâce que par considération pour les prélats. Glocester osa, à son tour, reprocher au roi sa société de dames, sa pusillanimité, sa paix avec la France ; il fut facilement soupçonné de mauvais desseins avec l'archevêque de Cantorbéry, et les comtes d'Arundel et de Warwick (1397). On les arrêta tous les quatre ; on les emprisonna séparément ; on les appela comme ils avaient appelé autrefois les ministres. Un parlement plus servile et plus lâche qu'un courtisan, commença par demander la révocation du statut qui avait créé autrefois le conseil permanent et de tous les pardons accordés par le roi au duc de Glocester, aux comtes d'Arundel et de Warwick. Arundel fut jugé le premier déclaré traître par le duc de Lancastre, et décapité dans la Tour. Glocester était enfermé à Calais : au moment où on le citait devant le parlement, la nouvelle arriva qu'il était mort et le bruit circula qu'il avait été étouffé entre deux matelas. L'archevêque fut banni pour la vie, et son temporel confisqué au profit de la couronne, Warwick, condamné à mort, eut grâce de la vie, et fut relégué dans l'ile de Man. Ce qu'il y eut d'odieux dans ces procédures, c'est que plusieurs accusateurs et plusieurs juges avaient pris part aux événements dont Richard II se vengeait par leur sentence. Ce qu'il y eut de plus dégradant encore dans ces lords et dans ces communes, si fiers contre les rois faibles, ce fut leur obéissance absolue aux volontés d'un prince qu'ils croyaient devenu fort. Ils décrétèrent que comploter la mort et la déposition du roi, lui retirer son hommage ou marcher en armes contre lui, était un crime de trahison ; que tous les jugements et ordonnances prononcés par le présent parlement auraient force de loi en tout temps, et que celui-là serait coupable de trahison qui chercherait à les faire abolir. L'assemblée, prorogée, fut réunie de nouveau après les fêtes de Noël. L'orateur des communes demanda de lui-même la révocation de tous les actes du parlement impitoyable ; ils furent tous révoqués, et pour enchaîner l'avenir à la même soumission, tous les délibérants ordonnèrent l'observation éternelle de ce qu'ils venaient de faire : ils la jurèrent les premiers sur la croix de Canterbury. Il fut convenu que le pape serait sollicité d'excommunier le prince qui, après Richard II, voudrait détruire une si belle œuvre ; et le peuple, consulté par un héraut, consentit en levant les mains au ciel, et par de grandes acclamations. Richard II n'en avait pas assez ; il se fit donner, non pour un temps, mais pour toute sa vie, la taxe sur la laine, les peaux en laine et les cuirs ; et pour se passer désormais de parlement, il fit décréter que le comité de douze lords et de six membres des communes, qui demeurait avec le roi après la dissolution des assemblées, aurait désormais le droit d'écouter, examiner et résoudre toutes les questions agitées en présence du roi, avec toutes leurs dépendances. A la faveur de ces expressions captieuses, le comité s'arrogea les droits d'un parlement complet (1398). Ainsi Richard II était parvenu à reprendre la plus grande partie de ce pouvoir royal perdu par Jean sans Terre. Mais un nouvel abus de sa toute-puissance amena une révolution qui renversa le roi et son œuvre. Le fils du duc de Lancastre, Henri de Bolingbroke, d'abord institué comte de Derby, et tout récemment duc de Hereford, avait autrefois pris parti pour Glocester, et déplu au roi par l'appel des ministres. Une soumission prompte et des services contre les ennemis de la royauté lui avaient ensuite obtenu un pardon formel proclamé par le roi en plein parlement. Mais il parut bientôt que Richard II avait dissimulé sa rancune en attendant l'occasion de se venger. Le duc de Hereford multipliait les bassesses pour garder la faveur royale ; il vint révéler au roi une conversation dans laquelle le duc de Norfolk, son ancien complice, lui avait avoué sa défiance du roi et des lords, et ses craintes d'une vengeance imprévue et subite. Norfolk, amené devant le comité qui représentait le parlement, déclara que Henri de Lancastre avait menti ; l'accusateur et l'accusé furent arrêtés. Une haute cour de chevalerie rut convoquée pour assister au combat singulier des deux adversaires, et au moment où Hereford mettait sa lance en arrêt, le roi, jetant son sceptre entre les deux combattants, déclara qu'il prenait la bataille en ses mains. L'assemblée et les combattants attendirent avec inquiétude ce que cela voulait dire ; et l'on fut bien surpris lorsque, par le bon plaisir du roi, et pour la sûreté du royaume, le duc de Hereford reçut l'ordre de quitter l'Angleterre pour dix ans, et le duc de Norfolk, de rester en exil toute sa vie. Ils obéirent. Richard ne trouvant plus d'ennemis, se laissa aller sans frein à tous les désordres de ses caprices : il leva de l'argent par emprunts forcés, il imposa ses volontés aux juges dans l'interprétation des lois, et pour faire son gré des amendes, il mit hors de la protection de la loi dix-sept comtés. Le duc de Lancastre était mort trois mois après le bannissement de son fils. Le banni, prenant aussitôt le nom de son père, chargea des fondés de pouvoir de recueillir sa succession. Richard s'y opposa, en disant qu'un banni était incapable d'hériter, et un des fondés de pouvoir fut même accusé de trahison pour ce seul fait, et banni à toujours. Les partisans du nouveau duc de Lancastre étaient nombreux : plusieurs milliers d'amis l'avaient accompagné à son départ de Londres ; ils commencèrent à s'agiter ; Lancastre lui-même, malgré la surveillance du roi de France, préparait de Paris ses moyens de retour. Richard II, que sa tyrannie prospère empêchait de rien prévoir, s'embarqua pour l'Irlande[73]. Le 4 juillet 1399 le duc de Lancastre aborda à Ravenspurn
dans l'Yorkshire ; il avait pour toute armée vingt partisans ; mais,
comme il annonçait l'intention de réclamer les biens de son père, personne ne
s'opposait à sa marche, et un grand nombre venait augmenter ses forces. Il
eut ainsi soixante mille hommes quand il approcha de Londres. Le duc d'York,
régent pendant l'absence du roi, traita volontiers avec lui. Richard II,
surpris par cette nouvelle, se hâta de quitter l'Irlande, et fit prendre les armes
au pays de Galles. Ses forces, encore nombreuses, lui donnaient l'espoir de
châtier un rebelle, quand, un matin, il s'aperçut que la plus grande partie
avait déserté. Il visita plusieurs châteaux qu'il croyait forts, et, les
trouvant sans garnison ni approvisionnement, il écouta les propositions que
le duc de Lancastre lui fit faire par le comte de Northumberland. Le comte,
pour attirer le roi à une entrevue, ne recula devant aucune promesse : il
jura toutes les conditions sur l'hostie consacrée, et partit pour rendre
réponse à son maitre. Richard, sans défiance, avec une suite de vingt-deux
personnes, se mit en route pour Flint, où Lancastre devait se rendre, Comme
il arrivait à une descente rapide, entre la mer à ses pieds et un rocher
énorme sur sa tête, il vit dans la vallée des bannières et des pennons : Je suis trahi s'écria-t-il ; Dieu du paradis, assistez-moi ! En même temps,
Northumberland reparut : Comte de Northumberland,
dit Richard, si je vous croyais capable de me
trahir, il n'est pas trop tard pour m'en retourner. — Vous ne pouvez retourner, s'écria le comte, j'ai promis de vous conduire au duc de Lancastre ;
et l'infortuné, entouré aussitôt par cent lances et deux cents archers, n'eut
plus que la liberté de se plaindre : Puisse le Dieu
sur lequel vous avez étendu la main vous récompenser, ainsi que vos
complices, au jugement dernier... Rappelez-vous
que Notre-Seigneur fut aussi vendu et remis entre les mains de ses ennemis...
Fou que j'étais, j'ai sauvé trois fois la vie de Henri
de Lancastre. Une fois, mon cher oncle, son père, voulait le faire mourir
pour sa trahison et sa scélératesse. Dieu du Paradis ! je courus à cheval toute
la nuit pour le sauver..... Oui, nous n'avons
pas de plus cruel ennemi que l'homme que nous avons préservé de la potence.
Une autre fois, il tira son épée contre moi dans la chambre de la reine. Il fut
complice du duc de Glocester et du comte d'Arundel, il consentit à ce qu'on
m'assassinât ; il consentit au meurtre de son père et de tout mon conseil.
Par saint Jean, je lui pardonnai tout, et ne voulus pas en croire son père, qui
me dit plus d'une fois qu'il méritait la mort. Ces plaintes, ces crimes, cette captivité, cette usurpation, tout cela ne dégénérait pas des premiers Plantagenets. Il était encore dans leur destinée de ne pas s'aimer, comme le disait jadis le frère de Richard Cœur de lion : c'était là leur héritage et aucun d'eux n'y avait renoncé. On enferma Richard II à la Tour, on mit une garde autour de lui, tout en lui disant qu'il était encore roi ; on convoqua le parlement en son nom, et bientôt l'on produisit une prétendue abdication par laquelle Richard, renonçant à la couronne désignait pour roi Henri de Lancastre. Les chambres, assemblées au milieu d'un grand concours de peuple, acceptèrent cet acte, et le peuple approuva par ses acclamations. On parla ensuite de prononcer la déposition de Richard : l'évêque de Carlisle fut le seul qui s'opposât, et il fut aussitôt conduit en prison. Le trône étant déclaré vacant, le plus proche héritier c'était Roger Mortimer, comte de March, petit-fils de Lionel, duc de Clarence, le second des fils d'Édouard III. Mais le duc de Lancastre réclama formellement la couronne par droit de conquête et de convenance, et par droit d'héritage. Par sa mère, il descendait du second fils de Henri III, Edmond, comte de Lancastre. Il prétendit que cet Edmond, quoique l'ainé, avait été exclus du trône par Édouard Ier, et qu'en dépossédant les princes qui n'avaient d'autre titre que de descendre de cet Édouard, il rétablissait à son rang la race légitime, injustement dépossédée. On consentit à croire tout cela ; l'archevêque de Canterbury, prenant la main du duc de Lancastre, le conduisit au trône, et Henri IV régna. Un retour sur le passé, une annulation légale des ordonnances proclamées éternelles sous le dernier règne, étaient inévitables. Comme dans la vingt-et-unième année de Richard II, on avait détruit l'œuvre de la neuvième, ainsi l'œuvre de la vingt-et-unième fut déclarée mauvaise, et défaite dans la première année de Henri IV. Telle était, dans l'histoire d'Angleterre la révolution périodique des vengeances, tout à la fois comique et sanglante, où l'on ne sait qui détester le plus, du roi tour à tour despote et tremblant, et du parlement tour à tour audacieux et servile. Cette fois, cependant, lorsqu'on demanda compte de leur conduite eux lords qui avaient accusé Glocester, il y eut comme une bataille dans l'assemblée entre les accusateurs et les accusés ; ils se jetaient leurs gantelets et les noms de traîtres et de menteurs en signe de défi. Henri IV fut obligé de modérer les châtiments, et d'enlever seulement quelques honneurs à ceux que d'abord il aurait voulu exterminer ; il fut encore obligé d'en revenir aux statuts du divin parlement touchant la trahison et de renoncer à garder près de lui le comité, qui survivait à la réunion du parlement. Ce fut la première concession : l'incertitude de ses droits, la crainte des révoltes, et bientôt la nécessité présente de les comprimer, lui imposèrent ainsi pendant tout son règne une prudence de ménagements qui tourna contre le pouvoir royal au profit des communes. Une première révolte fut tentée (1400) par les cinq lords que Henri IV avait été contraint d'épargner : elle fut punie par des massacres populaires ou par des supplices atroces, et elle coûta la vie à l'infortuné Richard, qu'on avait gardé jusque-là dans le château de Pontefract. On ne sut jamais si Richard II était mort de faim ou par un assassinat : on le vit exposé la figure découverte, et Henri IV assista à ses funérailles. Deux ans après (1402), une expédition n'ayant pas réussi contre l'Écosse, Henri IV, pour comprimer par de nouveaux supplices les espérances des amis de Richard, mit à mort un fils naturel du prince de Galles et neuf franciscains. Il venait de vaincre les Écossais à Homildon par la valeur du comte de Northumberland et de son fils Henri Percy, lorsque les Percy eux-mêmes se révoltèrent (1403), et, entourés d'auxiliaires nombreux, le défièrent par un cartel en bonne forme, comme coupable de faux et de parjure. Ils lui reprochaient d'avoir, contre sa parole, réclamé autre chose que l'héritage de son père, d'avoir fait mourir Richard de faim, et d'avoir levé des subsides de sa seule autorité. La bataille de Schrewsbury décida encore pour Henri IV ; le comte de Northumberland, humblement soumis, jura fidélité au roi, au prince de Galles aux autres fils du roi et à leurs descendants. Une amnistie, publiée ensuite, n'excepta que trois personnes ; mais ni la sévérité, ni la clémence, n'assuraient la pacification. Une femme essaya de mettre en liberté le jeune comte de March, l'héritier de Lionel, détenu à Windsor (1405) ; le duc d'York, puni de la confiscation et de la prison comme complice, ne découragea pas le comte de Northumberland ni l'archevêque d'York, partisan fidèle du comte de March, ni le comte-maréchal, fils du dernier duc de Norfolk : ils furent encore les plus faibles ; l'archevêque et le comte-maréchal, habilement circonvenus par le troisième fils du roi, furent arrêtés et mis à mort. Tout ce que put faire le comte de Northumberland, ce fut de livrer Berwick aux Écossais, et d'errer pendant deux ans, aussi habile à éviter les poursuites, que le roi était empressé de le prendre. Il périt enfin sur un champ de bataille (1408). Son corps et ceux de ses gentilshommes, coupés en quartiers, furent envoyés aux principales villes. Néanmoins Owen Glendour ne posa pas encore les armes : c'était un Gallois, dépouillé de sa terre par un lord, et qui avait en vain demandé justice au parlement et au roi ; il se vengeait lui-même depuis 1400 par l'insurrection de ses compatriotes. Le roi l'ayant mis hors la loi, Owen se déclara souverain légitime des Galles : la jeunesse galloise quitta les universités d'Oxford et de Cambridge pour reprendre sur la terre de la patrie les arcs, les flèches et les épées. Owen vainquit le roi lui-même et le prince de Galles, qui devait être Henri V. Il acquit la réputation d'évoquer les esprits du vaste abîme ; il semblait avoir dans son parti les éléments et les tempêtes. Le roi redoubla d'activité en 1408 : quatre ans de guerre soumirent la partie méridionale du pays de Galles ; le nord abandonna aussi par lassitude l'étendard d'Owen ; lui seul ne s'abandonna pas : il demeura impuni dans les montagnes de Snowdon, effrayant les Anglais d'alentour de sa présence invisible, et survécut à Henri IV. Voilà ce qui explique la fierté du parlement sous Henri IV. Lorsque pour la première fois il monta contre les Écossais (1401) il n'osa pas demander un subside à la nation : les pairs spirituels et temporels convinrent seuls de le seconder de leur argent ou de leur corps. Après la tentative d'évasion du comte de March, et l'emprisonnement du duc d'York, deux conseils de prélats et de barons, tenus à Londres et Saint-Alban, repoussèrent à son grand dépit, mais impunément, toutes les mesures qu'il proposait. Lorsque l'archevêque d'York et le comte-maréchal eurent été exécutés, il requit les pairs temporels de déclarer traîtres les deux morts. On refusa de le faire ailleurs que dans un parlement légalement assemblé, et autrement que par une ample délibération : le roi y consentit. Il avait consenti également à l'accroissement des communes. Pour prévenir, dans les élections de chaque comté, l'influence des ministres et la fraude du shérif, il avait ordonné qu'aux premières assises de la cour du comté on procéderait à l'élection immédiatement après la lecture de l'ordonnance qui convoquait le parlement, et que les noms des élus, certifiés par procès-verbal, seraient mis sous la garde des sceaux ries électeurs. Une amende de cent livres imposée au shérif qui présenterait une nomination fausse, et le jugement de ce délit renvoyé aux juges d'assises, étaient les meilleures garanties. La liberté des délibérations, gênée une fiais sous Richard II, se vengea sous Henri IV ; l'orateur des communes la réclamait au commencement de la session et dans tous les discours qu'il adressait au roi. La liberté des demandes et des censures embarrassa plus d'une fois de ses progrès hardis les privilèges royaux, que Henri IV avait à cœur de conserver. Malgré ses ordres formels, les communes introduisirent l'usage de faire leurs demandes, non plus par écrit, mais de vive voix, forçant ainsi le roi à répondre immédiatement, et souvent à se compromettre, faute de temps pour réfléchir ; elles blâmèrent les ministres des sommes dépensées contre l'Écosse, de l'Irlande troublée et impunie, des villes et des châteaux perdus en Guyenne ; et elles firent entendre que la détresse du royaume réclamait des ministres plus expérimentés. AU commencement du règne, le primat, au nom du roi, avait répondu à une demande de la chambre basse : que les membres des communes n'étaient que des pétitionnaires et des demandeurs ; que le roi et les lords avaient toujours été et seraient toujours seuls juges dans le parlement ; mais que le roi voulait avoir l'avis et l'assentiment des communes pour la création des ordonnances, et obtenir d'elles les concessions, subsides et choses semblables relatives au bien commun du royaume. Ce reste de dédain aristocratique ne reconnaissait pas moins aux pétitionnaires le droit de consentir, et implicitement, le droit contraire de refuser aussi les communes, à chaque subside accordé par elles, inséraient dans la concession la clause Formelle que le roi ne pouvait lever de tels subsides sur son peuple que par l'assentiment des lords et des communes. Depuis l'an 1404, les deux chambres déterminèrent l'emploi de l'argent voté, une certaine somme exceptée, qu'en laissait à la disposition du roi. Enfin le roi, ayant un jour appelé les lords devant lui, leur exposa sa détresse, et se fit accorder un subside considérable. Une députation des communes, appelée ensuite, fut avertie que le roi attendait de la seconde chambre la même preuve d'affection que des lords à cette nouvelle, les communes s'émurent ; elles. crièrent à la violation de leurs privilèges, et empêchèrent le cours des affaires publiques, Henri IV, effrayé, céda à cette clameur, et, renonçant à intervenir dans les débats des subsides, il publia la déclaration suivante : Il sera légal, dans ce parlement et dans tous les parlements à venir, que les lords confèrent ensemble, en l'absence du roi, sur la situation et sur les besoins de l'État ; il sera aussi légal que les communes confèrent ensemble sur la même situation et sur les mêmes besoins, pourvu toutefois que les lords, de leur côté, et les communes, de l'autre, ne fassent aucun rapport au roi sur le don accorder au roi par les communes, et consenti par les lords, jusqu'à ce que les lords et les communes soient entièrement d'accord à ce sujet : alors on en fera part au roi d'après les formes accoutumées, afin que les lords et les communes reçoivent ses remercîments. Cette reconnaissance royale ordonnée par un roi, cette égalité des deux chambres, contre laquelle l'aristocratie ne réclamait pas, en élevant les deux ordres à la même autorité, mettait le roi dans la dépendance de l'un et de l'autre. Pour comprendre les rapports de Henri IV avec la France, il faut maintenant rechercher la situation de ce pays depuis la mort de Charles V. Charles VI, âgé de onze ans, entouré de trois oncles ambitieux ou avides, Anjou, Berri et Bourgogne, ressemblait fort à Richard II, entouré des ducs de Lancastre, d'York et de Glocester : la différence, c'était que Charles VI avait un frère de huit ans, Louis d'Orléans, et un oncle maternel, le duc de Bourbon, vertueux et économe, désigné comme un de ses tuteurs par le feu roi. Louis, duc d'Anjou, maître de l'Anjou et de la Touraine, venait d'être institué par la reine Jeanne de Naples héritier de la Provence et du royaume de Sicile. Il voulait gouverner la France en qualité de premier prince du sang ; il voulait surtout de l'argent pour suffire à la conquête de son royaume d'outre-mer ; et à peine Charles V avait rendu le dernier soupir, qu'il s'empara du trésor royal : dans le premier arrangement avec les autres princes, il se fit céder la propriété des meubles, de la vaisselle, de l'or et de l'argent qu'il avait ainsi dérobés, et, par la crainte du dernier supplice, il força le trésorier à lui faire connaitre d'autres trésors cachés par ordre de Charles V. Le duc de Berri voulait aussi de l'argent : il se fit céder le gouvernement du Languedoc et de tout ce qu'on avait conquis en Guyenne, avec le droit de convertir à son propre usage tous les revenus du domaine royal et de la province, sana avoir jamais de compte à rendre. Le duc de Bourgogne, Philippe le Hardi, qui allait hériter de la Flandre, était le digne chef de cette maison orgueilleuse dont l'ambition n'a cessé de menacer la royauté française qu'après la mort de Charles le Téméraire. Celui-ci voulait surtout du pouvoir ; il faisait valoir le testament par lequel Charles V le chargeait, avec le duc de Bourbon, de l'éducation et de la tutelle des jeunes princes. Au sacre de Charles VI, il réclama fièrement le premier rang comme premier pair, méconnaissant dans le duc d'Anjou le premier prince du sang, et tout prêt à soutenir par une bataille son droit et la préséance (1380). Après le sacre, les princes convinrent que toutes les affaires importantes seraient décidées dans un conseil de régence présidé par le duc d'Anjou, et dont seraient membres les trois autres ducs et douze conseillers choisis par lui. Ce pouvoir des oncles ne satisfit personne. Une vive réprobation avait accueilli en Languedoc le gouvernement du duc de Berri : le comte de Foix, le gouverneur destitué prit les armes au nom et par la volonté de la province, et battit honteusement le prince du sang. Lorsque la première résistance eut cédé, le duc de Berri souleva une autre révolte par ses impôts et par les supplices dont il exterminait ceux qui ne voulaient point payer ; les paysans se réunirent en bandes errantes, et sous le rom de Tuchins, devinrent le fléau des nobles. Les prétentions du duc de Bourgogne sur la Flandre étaient menacées par la révolte des Flamands contre Louis de Mâle, son beau-père. La rivalité marchande de Bruges et de Gand suspendait parfois la guerre, ou donnait au comte quelque supériorité, mais la seule ville de Gand suffisait, au milieu de la soumission générale, à entretenir sans fin les inquiétudes du seigneur. Les Gantois venaient de prendre pour chef Philippe Artevelle (1381), fils de celui qu'ils avaient tué en 1337. Un capitaine flamand, qui avait la gloire de quelques succès, Pierre Dubois, se chargea d'instruire le nouveau maître : Sois cruel et hautain, lui dit-il, ainsi veulent les Flamands être menés ; ne on ne doit entre eux tenir compte de vies d'hommes, ne avoir pitié non plus que de arrondeaux ou d'allouettes qu'on prend en la saison pour manger. Artevelle, par une police impitoyable, mit l'ordre dans la ville, et soutint courageusement un siège et la famine : pour ne pas accepter des conditions plus dangereuses encore qu'humiliantes, il tenta une sortie, et vint livrer au comte la bataille de Bruges, qu'il gagna avec quatre mille hommes contre quarante mille. Le comte s'enfuit à Lille, travesti en artisan. Cependant, à l'intérieur de la France, d'autres violences excitaient d'autres colères : le duc d'Anjou voulut établir à Rouen un impôt sur les comestibles ; la sédition de la Harelle en sortit. Un marchand nommé Legros, proclamé roi par une troupe d'artisans, reçut l'ordre d'abolir les impôts. A Paris, le régent mit à ferme l'impôt du douzième sur les comestibles. On ne l'annonça au peuple qu'à la dérobée ; et dès que les percepteurs parurent au marché, la sédition des maillotins commença, ainsi nommée des maillets de plomb que les insurgés enlevèrent de l'arsenal et de l'hôtel de ville. Le tumulte de Rouen ne dura qu'un jour ; le duc d'Anjou y conduisit le jeune roi, et le fit entrer dans la ville par un pan de mur abattu : les bourgeois désarmés, quelques-uns pendus et les impôts rétablis, les princes revinrent devant Paris. Les bourgeois hésitaient à accepter toutes les conditions du duc d'Anjou, entre autres la punition des chefs de métiers. Le régent les força bien à céder par le ravage des campagnes, et à payer cent mille francs pour prix de sa clémence. Cependant le duc d'Anjou était parti pour la Provence et pour l'Italie. Le favori de l'antipape d'Avignon s'en allait guerroyer le parti de Duras, que le pape légitime combattait lui-même en ce moment (v. ch. XXV) ; le duc de Bourgogne restait le maitre du roi. Le comte de Flandre, par la mort de sa mère Marguerite (1382), venait d'hériter de l'Artois, et de la Franche-Comté : le duc de Bourgogne, à qui cet héritage devait revenir un jour, avait à cœur d'y ajouter la Flandre ; et comme Artevelle n'avait pas craint d'appeler les Anglais contre le comte, le duc de Bourgogne conduisit au secours du comte le roi de France[74]. En forçant le passage de la Lys, en soumettant Ypres et la Flandre maritime, les Français atteignirent Artevelle près de Rosebecque. Le Gantois ne doutait pas du succès. Faisant d'avance la part à chacun de ses ennemis qu'il croyait vaincre, il recommanda de n'épargner que le roi : C'est un enfant, disait-il, on doit lui pardonner ; il ne sait ce qu'il fait : il va ainsi qu'on le mène. Nous le mènerons à Gand pour apprendre à parler flamand. Les dispositions habiles du connétable de Clisson donnèrent un cruel démenti à la valeur indisciplinée des Flamands et d'Artevelle : il y périt lui-même. Audenarde, dans laquelle le comte était assiégé, fut délivrée ; Courtray fut pris et saccagé, et la Flandre brûlée jusqu'aux portes de Gand. Le roi revint ensuite pour châtier Paris, qu'on soupçonnait de complicité avec les Flamands, et qui d'ailleurs n'avait pas payé assez cher la sédition des maillotins. Les bourgeois, pour faire honneur au roi, étaient sortis en armes. Il leur fut ordonné avant tout de se désarmer, et de rentrer dans leurs foyers, ensuite d'abattre leurs portes, et de ne plus tendre de chaînes dans les rues pendant la nuit. L'indignation affectée qui contrastait sur son visage avec sa jeunesse, son silence de quatre jours, annonçaient dans le roi de sévères intentions : elles éclatèrent par le supplice de cent bourgeois les plus considérés, et par l'exécution de l'avocat général Jean Desmarets, qui, après avoir passé à servir quatre rois les quatre-vingts ans de sa vie, en reçut la récompense sur l'échafaud ; d'autres, gardés en prison, furent taxes à d'énormes rançons pour recouvrer la liberté ; le rétablissement des gabelles, du douzième sur le prix des marchandises, et une augmentation de deux sous sur l'entrée des vins, tel fut le dernier châtiment. Rouen, comme Paris, déjà châtié avant la guerre de Flandre, fut châtié de nouveau après la victoire de Rosebecque ; trois classes de coupables furent faites par les vengeurs du roi : la première fut punie de mort, la seconde de la confiscation, la troisième forcée de prêter des sommes qu'on ne devait jamais rendre. Cependant toutes ces vengeances ne rétablissaient pas même une tranquillité apparente : les tuchins se multipliaient dans le Languedoc, et la guerre de Flandre, soutenue par l'Angleterre, continuait jusqu'à ce que le comte Louis de Mâle eût été assassiné par le duc de Berri (1384). Le duc de Bourgogne hérita, par sa femme, de la Flandre, de l'Artois, de la Franche-Comté. Une seconde expédition du jeune roi servit à établir son oncle dans la Flandre. On songeait en même temps à combattre l'Angleterre : des trêves souvent renouvelées n'avaient point empêché une expédition des Anglais en Flandre, ni une expédition des Français en Écosse. Le duc de Lancastre étant parti pour réclamer la Castille, le duc de Bourbon fut envoyé pour soutenir la maison de Transtamare, et un armement considérable fut rassemblé dans le port de l'Écluse, pour envahir le royaume de Richard II. On avait construit sur les vaisseaux une ville en bois, pour y loger le roi de France aussitôt qu'il aurait débarqué sur le pays ennemi. Cette expédition manqua par la lenteur du duc de Berri : une partie des vaisseaux furent livrés par une tempête aux mains des Anglais, et l'armée fut licenciée sans en être payée (1386). De nouveaux préparatifs confiés au connétable de Clisson furent tout à coup interrompus par le duc de Bretagne. Ce duc apprit que Clisson cherchait à obtenir la liberté du fils de Charles de Blois, donné aux Anglais en otage de la rançon de gon père, et qui n'avait jamais été racheté ; il craignit un compétiteur : par une invitation perfide il se rendit maure de la personne du connétable ; et après avoir donné l'ordre, qui ne fut pas exécuté, de le jeter à la mer, il lui vendit chèrement la liberté. Clisson recourut au roi de France ; le duc se tourna vers l'Angleterre. Au moment où une alliance allait se conclure avec Richard II, le duc, cité devant le parlement de Paris, s'y présente et se laisse condamner à restituer ce qu'il avait extorqué au connétable ; une trêve fut ensuite conclue entre la France et l'Angleterre (1389). Mais la querelle de Clisson et du duc de Bretagne était le commencement des malheurs de Charles VI. Après une expédition contre le duc de Gueldre, Charles VI avait déclaré à ses oncles qu'il prétendait gouverner lui-même. Le duc d'Anjou était mort dans son expédition de Naples ; Berri et Bourgogne s'éloignèrent ; le duc de Bourbon resta seul, à la satisfaction générale, auprès du roi. Des fêtes brillantes accueillirent l'entrée dans Paris de la jeune reine Isabelle de Bavière, et d'autres fêtes célébrèrent bientôt le mariage de Louis d'Orléans, frère du roi, avec Valentine Visconti. Tout à coup on apprend que le connétable a été assailli, dans la rue Culture-Sainte-Catherine, par des assassins, et laissé pour mort (1391), et que l'auteur du crime c'est Pierre de Craon, un ami du duc de Bretagne, chez qui il a cherché un asile. Charles VI promit à Clisson de le venger ; et, malgré les ducs de Berri et de Bourgogne, par le conseil de son frère le duc d'Orléans, il se mit en route. Comme il traversait la forêt du Mans, un spectre vêtu de blanc, pieds nus, s'avança tout à coup vers lui, et, saisissant la bride de son cheval : Noble roi, lui cria-t-il, ne chevauche pas plus avant, tu es trahi. Le roi avait tremblé et pâli. Comme il continuait sa route, la tête baissée, la lance d'un page tomba et résonna sur son casque. Il se crut trahi alors, et se retournant vers les siens, l'épée à la main, il en blessa plusieurs. Un gentilhomme normand le saisit par derrière, et le désarma : il fut ramené au Mans sur une charrette à bœufs. Ce premier accès de folie avait donné aux ducs de Beri et de Bourgogne l'espérance de reprendre l'autorité. Le duc d'Orléans, par une mauvaise plaisanterie de jeune homme, se rendit odieux, et augmenta la considération des oncles. Dans une fête nocturne, le roi, déguisé en sauvage, était couvert d'étoupes collées sur la toile : le duc d'Orléans y mit le feu ; le roi échappa par l'activité de la duchesse de Berri ; mais son mal devint plus fréquent et l'opinion publique attribua à son frère l'intention de lui ôter la vie pour régner à sa place. Berri et Bourgogne régnèrent donc sous le nom de leur
neveu : ils écartèrent les ministres : ils écartèrent Clisson, qui fut
privé, par un jugement, du titre de connétable ; ils conclurent, en 1304, une
nouvelle trêve avec l'Angleterre, pour quatre ans, et l'année suivante, le
mariage de Richard II avec Isabelle, fille de Charles VI. Une sorte de
tranquillité suivit, qui permit aux chevaliers les plus aventureux d'aller faire
la croisade contre le sultan Bajazet, et d'être vaincus à Nicopolis (1396). Après la révolution d'Angleterre, qui
substitua Henri IV à Richard II (1400),
la trêve fut encore continuée, à condition que la dot de la jeune Isabelle
serait restituée à son père ; mais cette paix extérieure ne réparait pas le
mal que produisait au dedans la rivalité sourde du duc de Bourgogne et du duc
d'Orléans. Les liaisons de ce dernier avec sa belle-sœur, la reine isabelle,
devaient lui donner une certaine prépondérance. Le roi, toutes les fois qu'il
recouvrait sa raison, et qu'il reprenait la volonté de gouverner, se livrait
sans réserve à quiconque se trouvait près de lui. Les absences obligées du
duc de Bourgogne lui enlevaient ainsi son pouvoir, qui passait à son rival.
Enfin, Philippe le Hardi mourut (1404)
; Louis d'Orléans espéra qu'il n'aurait plus de rival. La reine, sans souci
de sa propre réputation, délaissait odieusement son pauvre mari. Dans un
violent accès de mal, le roi resta cinq mois sans se coucher, sans changer
d'habits ni de linge, sans que personne songeât à soigner une blessure qu'il
s'était faite, et où le fer était demeuré. Ses enfants n'étaient pas mieux
traités souvent ils n'avoient que manger ne que
vêtir. Cependant la reine et le duc d'Orléans dilapidaient scandaleusement
les finances. Un jour qu'ils descendaient tous deux dans un charriot couvert
la montagne de Saint-Germain, les chevaux s'emportant faillirent les
précipiter dans la Seine. Le duc d'Orléans s'effraya de la mort qui l'avait
menacé ; il fit annoncer à tous ses créanciers qu'ils pouvaient venir à son
hôtel réclamer ce qui leur était dû. Quand il en vit arriver huit cents, il
les congédia avec quelques paroles. On laissa parler devant la cour un moine
augustin qui se plaignit de l'état du royaume ; on l'épargna pour ce qu'il y
avait de singulier et de piquant dans son audace, mais rien ne se réforma. On
ne commença à craindre qu'à l'approche du nouveau duc de Bourgogne c'était
Jean, surnommé sans Peur, un des
captifs de Nicopolis, qui avait étonné Bajazet par son intrépidité ; il avait
marié sa fille au dauphin Louis ; il an ponça l'intention de réformer l'État.
La reine et te duc d'Orléans, s'enfuyant à son approche, essayèrent vainement
d'emmener comme otages le dauphin et sa femn.ie ; le duc de Bourgogne, reçu
en triomphe dans Paris, avait besoin d'être ménagé : par l'entremise des ducs
de Berri et de Bourbon, une réconciliation fut tentée. Jean sans Peur accorda
toutes les garanties demandées le souvenir d'une offense personnelle qu'il ne
voulait point pardonner lui faisait chercher par la dissimulation une
vengeance plus certaine. Les deux réconciliés couchèrent dans le même lit,
communièrent à la même messe, et mangèrent à la même table. Trois jours
après, vers huit heures du soir, comme le duc d'Orléans sortait de l'hôtel
Barbette, précédé de quelques valets de pied, chantant et battant sa cuisse
de son gant, des assassins fondent sur lui ; il croit se sauver en criant :
Je suis le duc d'Orléans ! — C'est ce que nous demandons, répond un des assassins
; et les coups de hache et de massue se multipliant, sa main gauche est
tranchée, son bras droit fracassé, sa cervelle dispersée sur le pavé. Tandis
que les assassins approchaient des flambeaux pour voir s'il était bien mort,
un homme sortit d'une maison voisine, caché sous un large chaperon, et frappa
le visage d'un dernier coup de massue : Éteignez
tout, allons-nous-en : il est mort. Une pauvre femme, qui avait vu tout
cela de sa fenêtre, ayant voulu crier au meurtre, Les assassins lui avaient
dit : Taisez-vous, mauvaise femme, taisez-vous.
Pour n'être pas poursuivis, ils semèrent des chausse-trapes dans les rues, et
s'enfuirent dans l'hôtel de Bourgogne (1407). Tel fut le commencement d'une haine et d'une rivalité qui amassa sur la France d'ineffables horreurs, et qui fit un moment régner sur Paris un roi anglais. On sut bientôt que le duc de Bourgogne était l'auteur du meurtre ; lui-même il avoua au duc de Berri et à Louis II d'Anjou qu'il s'était laissé tenter et surprendre par le diable ; mais il ne s'enfuit en Artois que pour rassembler des forces, et, reparaissant redoutable, il fit justifier son action devant le parlement par le cordelier Jean le Petit. Quoique Valentine de Milan demandât une trop juste vengeance, Charter VI déclara que son frère avait été légalement, pour ses machinations coupables, mis hors de ce monde, et garda son cousin de Bourgogne en son singulier amour. Cette déclaration donnait tout le pouvoir au Bourguignon. Une révolte des Liégeois l'ayant obligé à quitter Paris, la reine, suivie de la duchesse d'Orléans, entra dans la capitale pour se faire présidente du conseil ; mais le massacre de vingt-quatre mille Liégeois sur le champ de bataille ne permit pas à la résistance de se former. Jean sans Peur reparut : la mort de Montagu, grand-maître de la maison du roi, annonçait de quelle manière il serait le maitre ; l'approbation de cette mort par Charles VI, et l'alliance forcée de la reine avec l'assassin du duc d'Orléans, attestaient la terreur et la docilité de tous (1409). La mort de Valentine privait ses enfants de leur plus hardi défenseur, et l'on ne prévoyait pas encore ce qui pourrait régulier du mariage du jeune Charles d'Orléans avec la fille du comte d'Armagnac. Un grand secret couvrit pendant quelque temps l'alliance des ducs de Berri, de Bourbon, d'Orléans et de Bretagne, et des comtes d'Armagnac, de Clermont et d'Alençon (1410). Lorsque quelque chose en eut transpiré, au commencement de l'hiver, dans l'attente d'une famine inévitable, les deux partis firent le traité de Bicêtre, qui envoyait le duc de Bourgogne au nord, le duc de Berri au midi, et éloignait tous les princes du conseil. Mais les ennemis du Bourguignon ne pouvaient se résoudre à lui laisser l'impunité ; ils commençaient à prendre le nom d'Armagnac, du plus important de leurs chefs ; ils attaquèrent enfin (1411), par un manifeste dans lequel Charles d'Orléans et Jean, comte d'Angoulême, son frère, défiaient au combat le duc de Bourgogne, assassin de leur père. Le Bourguignon répondit en se vantant du meurtre, et en promettant une guerre à outrance[75]. Les bourguignons et les armagnacs étaient aux prises. Le roi tenait pour les bourguignons : la ville de Paris était gouvernée par le comte de Saint-Pol, favori de Jean sans Peur. Sain-Pol organisa et arma les bouchers, les Légoix, les Saint-Yon, les Thibert, l'écorcheur de bêtes Caboche, et le chirurgien Jean de Troyes. Leur tyrannie de cannibales excitant les armagnacs, ceux-ci, dans le Vermandois, et bientôt aux environs de Paris, se montrèrent comme autant de voleurs, de chauffeurs, de bêtes furieuses, répondant aux plaintes de leurs victimes : Allez vous adresser à votre fainéant de roi, allez chercher votre captif, votre idiot. Le duc de Bourgogne, appelé au secours par les bouchers et par le conseil du roi, fut le plus fort. Henri IV d'Angleterre lui envoya mille archers et huit cents lances. Il entra à Paris, et en sortit pour exterminer à Saint-Cloud neuf cents chevaliers armagnacs sur le champ de bataille, et trois cents autres qui s'étaient cachés dans les caves après la défaite. La retraite du duc d'Orléans le laissant libre, il se mit à exterminer ses prisonniers, dont les corps, portés hors de la ville, étaient mangés des chiens, oiseaux et autres bêtes. Cependant on avait découvert un traité des vaincus avec le roi anglais ; leur négociateur Jacques le Grand avait perdu ses instructions, dans lesquelles les princes, en échange d'un secours, offraient à Henri IV l'exécution du traité de Brétigny. Les princes apparaissaient comme les ennemis de la royauté ; et Jean sans Peur, sollicité de nouveau par Charles VI, pouvait se dire le défenseur de la France contre les amis de l'étranger. Le roi prit lui-même l'oriflamme pour aller combattre le duc de Berri : toutefois la peste qui se mit dans son camp devant Bourges amena la paix d'Auxerre (1412). Bourgogne, contraint de la jurer, ainsi que le duc d'Orléans, sur l'Évangile et sur un morceau de la vraie croix, s'était promis une autre vengeance. Les états, assemblés à Paris, et congédiés le sixième jour, avaient dénoncé les abus sans y remédier sur la demande de l'Université, Bourgogne fit rendre une ordonnance qui suspendait tous les financiers de leurs fonctions (1413). Le prévôt de Paris, Pierre des Essarts, redoutant l'examen de ses comptes, s'enferma dans la Bastille qui dominait la porte Saint-Antoine, d'intelligence avec le dauphin gendre de Jean sans Peur. Le Bourguignon voulait aussi punir son gendre, l'auteur de la paix d'Auxerre : il lâcha donc Caboche et sa milice contre la Bastille ; mais la trouvant trop bien défendue, les cabochiens se rabattirent sur l'hôtel Saint-Paul, en criant qu'ils voulaient voir le dauphin. Tandis que Bourgogne conférait avec son gendre sur l'inutilité de la résistance, la populace entra dans l'hôtel et saisit tous les traîtres, comme elle disait, pour les emprisonner. Elle prit le chaperon bleu, signifia au dauphin combien elle était mécontente de ses mœurs dépravées, et fit nommer des commissaires pour juger les captifs. Les bons bourgeois, ceux qui avaient horreur des massacres, lui déplaisant elle en réclama soixante comme armagnacs ; on les arrêta, et leurs biens ont confisqués pour remplir plus vite le trésor. 'Foui ensemble elle tuait juridiquement par des sentences précipitées, et ruinait par des impôts les bons bourgeois. Les femmes de la reine, de la dauphine, le duc de Bavière., le duc de Bar, attendaient leur tour pour être jugés ; et par un épouvantable contraste, le dauphin donnait toutes les nuits un bal à l'hôtel Saint-Paul, et dansait jusqu'au jour. Il sollicita enfin les princes de faire servir leurs troupes à sa délivrance. La bonne bourgeoisie, devenue plus courageuse par l'excès du mal, voulut que le duc de Bourgogne se rendit à Pontoise (1413) pour conférer sur la paix. Jean sans Peur refusa d'accepter immédiatement les conditions ; il rentra dans Paris pour examiner la force des siens ; mais la modération des armagnacs, qui ne demandaient que l'oubli des anciennes injures et la paix pour tous, diminua visiblement les partisans de Caboche. Les bons bourgeois aidèrent le dauphin à ouvrir les prisons. La paix ayant été publiée, il fut défendu de désigner les citoyens du nom de bourguignon ou d'armagnac Jean sans Peur, voyant destituer ses partisans, quitta Paris, où les armagnacs rentrèrent : les cabochiens furent déclarés coupables de lèse-majesté et bannis du royaume. On respirait un peu : on fut bien surpris lorsque le dauphin, irrité des reproches que les princes adressaient à ses mauvaises mœurs, rappela encore une Fois le duc de Bourgogne comme un libérateur Les armagnacs ne se laissèrent point abattre : ils conduisirent leur roi à leur tête, et repoussèrent le Bourguignon jusqu'en Artois, où ils assiégèrent Arras. Jean sans Peur s'humilia, et accepta une paix qui lui défendait de s'allier à l'étranger, et de revenir à Paris s'il n'y était pas mariai par le roi ou par le dauphin (1414). V Le roi d'Angleterre Henri IV était mort le 20 mars 1413 ; Henri V lui avait succédé. La vie immorale de ce jeune prince, son Ambition effrénée, avaient plus d'une fois attristé les derniers jours du meurtrier de Richard II. Son père avait à peine expiré, qu'il se retira dans sa chambre ; et après une journée de solitude et de prières, il alla trouver son confesseur, qui l'engagea à réparer par une vie régulière la mauvaise réputation de sa jeunesse. Henri V commença par mettre en liberté le comte de March, dont les droits au trône faisaient tout le crime ; et pour expier l'usurpation sanglante qui lui avait transmis le pouvoir, il fit transporter solennellement les restes de Richard II à l'abbaye de Westminster. Il venait d'anéantir une révolte des Lollards, hérétiques disciples de Wikleff, qui déjà, sous Henri Iv, avait menacé l'Église d'Angleterre, et il avait consenti à renouveler la trêve avec le roi de France. Le10 juillet 1414, il revendiqua inopinément la couronne de France, et tout ce qui en dépendait, comme héritier d'Isabelle, mère d'Édouard III. Repoussé fièrement par les princes français, il réclama du moins la souveraineté absolue de la Normandie, du Maine, de l'Anjou et de l'Aquitaine, et une partie de la Provence, héritage légitime des deux belles-sœurs de saint Louis, Éléonore, femme du roi anglais Henri III, et Sanchette, femme de Richard de Cornouailles, jadis roi des Romains. Le duc de Berry fit répondre que Charles VI consentirait peut-être à donner au roi anglais sa fille Catherine, avec la souveraineté de l'Aquitaine, et Henri V annonça la guerre en se faisant voter un subside de deux dixièmes et de deux quinzièmes. Le duc de Bedford, un de ses frères, fut nommé régent : la noblesse anglaise se montra livide de conquêtes ; et après une traversée rapide, Henri V débarqua à l'embouchure de la Seine, et se rendit maitre de Barfleur. Les hommes d'armes qui l'avaient défendu eurent ordre de se constituer prisonniers du gouverneur de Calais : les habitants, hommes et femmes, furent bannis pour toujours de leur patrie. Malheureusement un grand nombre d'officiers et de soldats anglais avaient péri : par les morts, les blessés ou les malades, l'armée victorieuse se trouva bientôt réduite de moitié ; la retraite était nécessaire. On conseillait au roi de se rembarquer ; il déclara que, pour ne pas fuir devant ceux qui l'avaient dépouillé de son héritage, il voulait regagner Calais à travers les provinces de Normandie, de Picardie et d'Artois[76]. Charles VI s'était porté à Rouen ; toute la noblesse française y accourait : le connétable d'Albret, le duc d'Orléans, le roi de Sicile, les ducs d'Orléans, d'Alençon et de Bar ; mais le duc de Bourgogne était absent, et pas un seul Bourguignon ne paraissait. Quatorze mille hommes d'armes étaient réunis : noblesse, fière de sa valeur, ne voulait point partager le droit de combattre, et le dauphin avait refusé les services de six mille bourgeois de Paris, bien armés. On suivit les Anglais dans leur longue marche, on les harcelait, on leur faisait passer des jours entiers sans nourriture. Henri V, qui espérait mettre bientôt la Somme entre lui et ses ennemis, fut cruellement déconcerté lorsqu'il trouva tous les ponts rompus, et le connétable campé près d'Abbeville. Cerné de hautes parts, il ne pouvait plus même se fier aux siens, qui murmuraient hautement. Il trouva enfin un gué près de Béthencourt ; il passa la Somme et reprit quelque espérance. Charles V, qui était demeuré à Rouen, assembla un conseil de guerre ; on y résolut de livrer bataille ; mais le duc de Berri empêcha le roi de rejoindre l'armée. Il vaut mieux, disait-il, perdre la bataille, que la bataille et le roi. Le connétable avertit Henri V qu'il avait ordre de le combattre. L'Anglais, voulant faire oublier qu'il était le seul auteur de la guerre, répondit froidement : J'aurais désiré qu'on eût adopté à d'autres conseils, et qu'on ne versât pas le sang des chrétiens. Il fit ensuite d'habiles préparatifs pour n'être pas vaincu sans gloire. D'Albret avait choisi unie forte position devant le village d'Azincourt, par où l'armée anglaise était contrainte de passer ; il voulait se laisser attaquer, redoutant l'impétuosité française de Poitiers et de Crécy. Henri V partagea son armée en trois divisions flanquées de deux ailes. Ses archers, en avant des hommes d'armes, portaient chacun sur les épaules un pieu pointu des deux bouts, qu'Us fichaient en terre pour opposer un rempart de bois a la cavalerie française. Quelques-uns, pour avoir les mouvements libres, s'étaient découvert la poitrine et les bras. La première division des Français était commandée par le connétable, la seconde par les ducs de Bar et d'Alençon, la troisième par les comtes de Marle et de Falconberg. La terre était humide et retenait les pas. D'Albret ordonna aux siens de s'asseoir en attendant l'attaque ; Henri V se résigna à commencer. Une volée de flèches troubla d'abord le front des Français : les chevaux blessés et furieux se reportaient en arrière, et déjà les archers avaient dressé leur rempart. Huit cents hommes d'élite, qui étaient chargés de les disperser, s'avancèrent alors ; mais la boue en arrêta le plus grand nombre ; les archers, saisissant leurs haches d'armes, fondent sur ces agresseurs, les refoulent jusqu'à la première division et tuent le connétable. Ils reculent ensuite par l'ordre de Henri, reforment leurs rangs et chargent la seconde division : ce fut un combat de deux heures. Henri V, menacé par dix-huit chevaliers français, qui avaient juré de le prendre, fut renversé sur les genoux ; le duc d'Alençon fendit la couronne d'or placée sur son casque, mais fit-même, frappé, tomba mort : la seconde et la troisième divisions étaient en déroute, et un grand nombre de prisonniers avaient été faits. En ce moment on vint dire au roi que des forces nombreuses s'avançaient sur son camp ; furieux de perdre un si beau succès, il ordonna d'égorger les prisonniers ; et à peine l'ordre s'exécutait, qu'on reconnut quelques paysans qui s'éloignaient après avoir pillé les bagages. L'armée française avait couvert de morts le champ de bataille. Henri s'y promenant pour compter les vaincus : Quel est, dit-il, ce château que je vois là-bas ? — On le nomme le château d'Azincourt, répondit un prisonnier. — Eh bien ! reprit le roi, que la postérité connaisse cette bataille sous le nom de bataille d'Azincourt. Le vainqueur gagna ainsi la liberté de la retraite ; il retourna en Angleterre, emmenant captifs les ducs d'Orléans et se Bourbon, et les comtes d'Eu, de Richemond et de Vendôme (1416). Le duc d'Orléans était captif ; mais aussitôt que le roi fut rentré dans Paris, le comte d'Armagnac fut nommé connétable. Jean sans Peur, qui avait été prévenu de vitesse, s'arrêta près de Lagny, et ses partisans, raillant son inaction, l'appelaient Jean de Lagny, qui n'a hâte d'aller. Le dauphin Louis, son gendre, qui plus d'une fois lui avait donné le pouvoir, mourut sur ces entrefaites : les armagnacs triomphaient. Si le connétable ne réussit pas à reprendre Harfleur, il garda au moins l'autorité ; il se déclara l'ennemi du nouveau dauphin, Jean de Touraine, qui faisait alliance avec le Bourguignon, et la mort subite de ce dauphin transmit son titre à son frère Charles, plus docile aux armagnacs. Le connétable se débarrassa de la reine Isabelle, que le roi, pour ses débordements honteux, relégua à Tours ; ii fit noyer Boisredon, qui ne fléchissait pas assez humblement sous son autorité ; il extorqua les richesses des églises, et contraignit les bourgeois à travailler aux fortifications et aux égouts de la ville ou à s'en racheter par de fortes contributions. Cette manière de triompher n'a rien d'honorable pour le parti des armagnacs : mais les fautes et les crimes de ses ennemis ont placé de son côté le bon droit, en le forçant de rester désormais le parti de la royauté et de la nationalité française. Leurs ennemis, c'étaient Jean sans Peur, la reine Isabelle, et le roi anglais : tous les trois s'entendirent. Le duc de Bourgogne, après un manifeste publié contre le connétable, enleva Isabelle de la ville de Tours, et se fit céder par elle l'administration du royaume (1417). Henri V que Jean sans Peur s'était engagé à reconnaître pour roi de France, débarqua de nouveau en Normandie : il prit Villiers, Caen, Bayeux, l'Aigle, et força le duc de Bretagne à la neutralité. Sa protection, promise à tous ceux qui le reconnaîtraient pour roi de France, lui attirait de nombreux paysans, affamés de repos après de si longs malheurs. La reine et le Bourguignon attaquaient de leur côté les armagnacs par des démonstrations populaires. Réunis à Troyes, ils abolissaient tous les impôts ajoutés à la gabelle ; ils annulaient toutes les condamnations portées par le parlement de Paris, et créaient un parlement nouveau. Les Anglais et les Bourguignons avançaient chaque jour. Henri V (1418), maître du château de Falaise, formait de ses troupes quatre armées pour entreprendre quatre sièges à la fois ; Vire, Coutances, Saint-Lô, Ivry, Évreux, se rendirent. Jean sans Peur et Isabelle obtinrent à Paris un plus grand succès, digne d'eux et des cabochiens. Un marchand, Perinet Leclerc, se vengea, par une trahison, du prévôt de Paris, qu'il n'aimait pas, et du connétable, qui avait refusé un traité offert par l'église : il déroba les clefs de la porte Saint-Germain, dont son père avait la garde, et ouvrit la ville au comte de l'Isle-Adam, commandant des Bourguignons. C'en était fait des armagnacs : les bourgeois, réveillés aux cris de vive la paix ! vive le roi ! vive Bourgogne ! se joignaient à la troupe de l'Isle-Adam. Le chancelier, les évêques de Senlis, de Bayeux, de Coutances, le comte d'Armagnac, mal protégé dans sa fuite, étaient arrêtés. Le pauvre roi, promené sur un cheval, approuvait la nouvelle révolution. Mais le dauphin n'était pas pris : Tanneguy du Châtel, l'ayant réveillé à la hâte, l'avait emporté presque nu à la Bastille, et de là se sauva avec lui à Melun. Du reste la vengeance des Bourguignons fut complète : les partisans de Jean sans Peur affluèrent dans Paris ; le pillage commença les atrocités ; les bouchers étaient revenus ; un potier d'étain exhortait le peuple à massacrer tous les prisonniers. L'Isle-Adam aurait voulu les sauver ; quand il vit quarante mille hommes armés de maillets, de haches et de massues, il n'osa dire qu'un mot : Mes enfants, vous faites bien. Le connétable fut assommé : on lui enleva la chair, de l'épaule droite au côté gauche, pour figurer l'écharpe, qui était l'insigne de son parti. Toutes les prisons, livrées aux écorcheurs, furent inondées de sang : au Châtelet, trois évêques égorgés, et deux présidents du parlement ; ailleurs, des femmes enceintes ; dans toute la ville, seize cents cadavres et des ruisseaux de sang ; puis les corps jetés pêle-mêle, par forme de sépulture, près du marché aux Pourceaux : voilà l'œuvre des Bourguignons, alliés de Henri V. Celui-ci investissait Rouen : Le benoist Dieu, disait-il, m'a inspiré et donné volunté de venir en ce rovaulme pour chastier les subjectz, et pour en avoir la seigneurie comme vray roy[77]. Les bourgeois de Rouen criaient le grand haro au roi et au duc de Bourgogne, Jean sans Peur était bien plus pressé de voir Paris : il y entra triomphalement avec la reine ; la populace les reçut avec transport, et voulut leur montrer un massacre. Le bourreau Capeluche se mit à la tête des bouchers pour assommer ce qui restait encore dans les prisons, Jean sans Peur, qui commençait à craindre la férocité de ses amis, craignait plus encore de compromettre sa popularité : il donna la main à Capeluche, et justifia ainsi le meurtre de cent personnes en un seul jour. Il prit un parti plus sage pour sa sûreté personnelle et pour sa réputation d'ami du peuple : ce fut d'envoyer les massacreurs contre les armagnacs, qui occupaient Montlhéry, espérant se délivrer d'eux par la main des ennemis et garder le droit de se plaindre de leur mort quand ils ne seraient plus à craindre. Six mille hommes sortirent ainsi ; et à peine les portes de la ville étaient refermées sur eux, que Capeluche fut arrêté et exécuté par son valet. Un ordre fut publié de ne plus massacrer dans les prisons ; le duc se réservait le soin de tuer juridiquement les armagnacs par des jugements et par la potence. De son côté, le dauphin, retiré à Poitiers, avait pris le titre de lieutenant général du royaume ; il y avait formé un parlement, et son refus de se rendre à Paris, malgré l'invitation du roi et de la reine, annonçait une volonté opiniâtre de ne point transiger avec la faction bourguignonne. Déjà quatre mois s'étaient passés depuis que Rouen résistait seul aux Anglais. Quinze mille citoyens armés sous le commandement de Gui le Bouteiller, les murailles réparées et pourvues de machines, l'ordre de sortir signifié à tous ceux qui n'avaient pas de vivres pour dix mois ; voilà ce que les assiégés opposaient aux neuf divisions de l'armée anglaise, la ligne de circonvallation tracée autour des murs, et aux chaînes tendues au-dessus et au-dessous de l'eau pour fermer le passage de la Seine. Bourgogne, sollicité par eux, promit des secours, et au lieu de combattre, entama des négociations : il offrait à Henri V la fille de Charles VI, la cession de la Normandie, et les provinces abandonnées par la paix de Brétigny. Henri V refusa, disant que le duc de Bourgogne n'avait pas autorité pour accorder ces conditions. Le dauphin envoya a son tour des négociateurs ; il offrit les provinces abandonnées par la paix de Brétigny, et au lieu de la Normandie, une partie des États du Bourguignon ; Henri refusa encore, disant que le dauphin n'avait pas autorité pour traiter au nom du roi. Les assiégés de Rouen persistaient cependant ; la nouvelle que Chartes VI se mettait en marche avec l'oriflamme augmentant leur espoir, ils se mirent à manger les chevaux, les chats, toutes les choses immondes qui pouvaient ressembler à de la nourriture : ils virent périr douze mille bouches inutiles entre leurs murs et le camp anglais, qui resta impitoyablement fermé. Pour prix de leur héroïsme, le duc de Bourgogne leur fit dire qu'il manquait de troupes pour les délivrer, et leur conseillait de traiter. La première capitulation proposée par le roi anglais fut impitoyable ; il fallait se livrer à sa discrétion. Les assiégés firent alors le projet de mettre le feu à la ville, et d'abattre un pan de mur qui était miné pour fuir par la brèche. La crainte de perdre sa conquête adoucit Henri V ; il demanda une rançon, les armes, les équipages de guerre, le serment de fidélité, et, par un lâche dépit, la mort d'Alain Blanchard, commandant de la ville, de trois autres bourgeois, d'un chevalier et de deux bateliers, afin de venger dans le sang l'orgueil anglais offensé par huit mois de résistance. Alain Blanchard fut décapité ; Henri, maître de Rouen, y fit frapper une monnaie à son effigie, avec ces mots : Henri, roi de France (1419). De toutes parts, la misère invoquait la paix. Par cette maldicte guerre, dit un contemporain[78], tant de maulx ont été fait, que je cuide en telx soixante ans
passez par devant il n'y avoir pas eu au royaulme de France, comme il a été
de mal depuis douze ans en ça. Hélas ! tout premier, Normandie en est toute
exillée ; et la plus grant partie, qui soulloit faire labourer et entre en
son lieu, lus, sa femme, sa messine (enfants), et entre sans danger ; marchands, marchandises, gens
d'église, moynes, nonnains, gens de tous estats, ont esté boutez hors leurs
lieux, comme eussent esté bectes saulvaiges, dont il convient que les ungs
truandent (mendient) qui soulloient donner ; les aultres servent qui
soulloient estre servis ; les autres, larrons et meurtriers par désespoir.
Une trêve fut d'abord conclue par le besoin de tous, et une entrevue eut lieu
à Meulan, entre Henri V, d'une part, et de l'autre le duc de Bourgogne, la
reine Isabelle, et sa fille Catherine, dont la beauté devait être offerte au
roi anglais comme un motif de pacification. Un cérémonial superbe, observé
parles deux partis, excluait la confiance réciproque, et le ton hautain de
Henri commença de déplaire au Bourguignon, son allié Jean sans Peur aurait
rougi d'accorder à l'étranger tout ce qu'il demandait ; ses observations, mal
accueillies, le rapprochaient insensiblement au parti des armagnacs. Ceux-ci,
craignant que la paix ne fût faite sans eux, lui offraient des conditions ;
il rompit avec l'Anglais, et tandis que Henri ev, regrettant. de perdre la
main de la princesse Catherine, s'efforçait de prolonger la trêve et les
négociations, Jean sans Peur et le dauphin se virent sur le ponceau de
Pouilly : ils convinrent de gouverner ensemble le royaume, de s'aimer comme
frères, de défendre les droits l'un de l'autre[79]. Cette
réconciliation aurait ruiné les Anglais sans doute ; Henri V le comprit si
bien que, la trêve à peine expirée, il fit surpren.dre Pontoise, et la traita
comme une ville prise d'assaut, des fuyards, refluant sur Paris, apprirent à
toua comment le prétendant au trône de France punissait ceux qu'il réclamait
pour sujets. Toute la sepmaine ne finèrent de ainsi
venir, que de Pontoise, que des villaiges d'entour, et estoient parmi Paris
moult esbahis à grans tropeaulx, car toute victaille était moult chère,
especialement le vin ; car on n'avoit point de vin qui rien vaulsist, pour
moins de huit deniers la pinte, lung petit pain blanc, huit deniers parisis,
les aultres choses de quoi l'homme povoit vivre, par cas pareil[80]. Le dauphin
avait rassemblé vingt mille combattants : l'inaction de Jean sans Peur était
bien plutôt un résultat de son indolence ordinaire qu'une preuve de trahison.
Malheureusement les armagnacs, qui entouraient le dauphin, n'avaient pas
pardonné aux bourguignons ; les hommes du duc d'Orléans n'avaient pas vengé
l'assassinat de leur maitre ; ils vengèrent Orléans sur Bourgogne, au profit
du dauphin, à l'entrevue de Montereau. Le milieu du pont avait été choisi
pour la conférence : chaque prince devait s'y rendre avec dix chevaliers ;
des barrières aux deux extrémités empêchaient la foule de les suivre.
Tanneguy du Châtel alla recevoir le duc à sa barrière ; et le séparant de ses
chevaliers, il lui fit hâter le pas vers le dauphin : le duc ôta son chaperon
et fléchit le genou devant l'héritier du trône ; à ce moment, Tanneguy le
poussa en avant et leva sa hache d'armes. Pendant qu'un combat s'engage entre
les armagnacs et les bourguignons, le duc reçoit un grand coup d'épée et un
coup de hache de Tanneguy, qui l'abat aux pieds du dauphin ; deux autres
relèvent sa cotte d'armes, et lui enfoncent leurs poignards dans le sein. En
même temps, les gendarmes armagnacs, traversant le pont, envahissent les
chevaliers bourguignons les prennent tous, à l'exception d'un seul, et
dispersent vers la ville toute sa suite, qu'on avait retenue en dehors des
barrières. Le dauphin se chargea au moins de justifier ce meurtre : il écrivit
aux Parisiens que le duc, l'ayant menacé de son épée, avait trouvé sur la
place la punition de sa folie (1419).
La plupart des meurtriers se vantèrent des coups qu'ils avaient portés ; le
seul Tanneguy du Châtel prétendit se disculper, et dit que, dès le
commencement du tumulte, il avait emporté le dauphin hors du pont. Le parti du dauphin sembla perdu. De toutes parts on réclama contre l'assassinat : les bourgeois de Paris, la reine, et surtout Philippe le Bon, fils de Jean sans Peur ; un seul homme, le dominicain Pierre Floure, prêchant devant la cour de Bourgogne l'oraison funèbre du mort, osa parler d'oubli et de pardon ; tette hardiesse chrétienne fut blâmée. Philippe le Bon, après avoir reçu l'hommage de la Flandre, reçut une députation des bourgeois de Paris, auxquels il déclara que ses moyens du vengeance étaient prêts ; il déclara ensuite au roi d'Angleterre qu'il le reconnaissait pour roi de France, et se rendit à Troyes (1420) pour assister au traité honteux par lequel la reine Isabelle se vengeait de son fils le dauphin. Par le traité de Troyes, Henri V épousait Catherine de France ; il était nommé régent du royaume jusqu'à la mort de Charles VI, et après cette mort il hériterait du royaume de France et le transmettrait à ses enfants, à l'exclusion éternelle du dauphin. Il devait combattre le dauphin et réunir au royaume toutes les terres qu'il enlèverait à ce prince dépossédé. Pour obtenir l'assentiment de la nation française à un traité qui, tout en la dégradant, lui donnait quelque repos, il fut réglé que Henri V ne lèverait aucune imposition sans cause raisonnable. Charles VI, Henri V, Philippe le Bon, s'engageaient à ne jamais traiter avec le dauphin, à cause des horribles et énormes crimes qu'il avait commis. Les trois états consultés acceptèrent solennellement le traité de Troyes, et le déclarèrent loi de la monarchie. Ainsi les deux partis armagnac et bourguignon subsistaient encore, et les armagnacs demeuraient évidemment le seul parti français. Henri V, pour commencer l'exécution du traité, assiégea Melun, défendu, pour le dauphin par Barbazan ; quand la famine l'eut rendu maitre de la place, il ne pardonna à personne, et se vengea par des supplices ou par la prison. Lorsqu'il fut entré dans Paris, il affecta une arrogance qui sentait le despotisme d'un conquérant. Le maréchal de l'Isle-Adam lui parlant avec assurance, Henri lui demanda comment il estoit si hardy que de le regarder au visaige ? — Très-redoubté seigneur, répondit le guerrier, c'est la guise de France ; et si aulcun n'ose regarder celluy à qui il parle, on le tient pour mauvais homme et trahistre... — Ce n'est pas notre guise, répliqua Henri ; et quelques jours après l'Isle-Adam fut enfermé à la Bastille[81]. Il fit ensuite ajourner le dauphin a son de trompe, et le fit déclarer banni et exilé à jamais du royaume. Le dauphin appela de cet arrêt, pour soi et pour ses adhérents, à la pointe de son épée, et fist vœu de relever et poursuyvre sa dicte appellation, tant un France qu'en Angleterre, et par tous les pays du duc de Bourgogne. Mais les cruautés de ses partisans donnaient en certains lieux gain de cause à l'étranger. Ceux qui, oubliant l'assassinat de Louis d'Orléans ne pardonnaient pas au dauphin la mort de Jean sans Peur, lui pardonnaient bien moins encore les cruautés du seigneur de Vaurus, gouverneur de Meaux, qui surpassait Néron, qui attachait ses prisonniers à la queue de son cheval, et les menait battant jusques à Meaux pour les pendre à son orme, s'ils ne payaient une forte rançon, et quelquefois même lorsqu'ils payaient. On répétait dans Paris[82] que l'orme de Vaurus avait des cadavres pour feuilles, que le tyran y avait fait attacher par le milieu du corps une jeune femme enceinte, et que, pendant une nuit où les pieds des pendus touchaient sa tête sous le souffle des vents, l'infortunée avait été dévorée par les Loups. Ce seigneur et les alliés d'Écosse étaient presque la seule ressource du dauphin. Henri venait de passer en Angleterre pour faire couronner sa femme Catherine ; des fêtes merveilleuses entourèrent a Londres le conquérant de la France. Là fut faicte telle et si grande pompe, et bobant et jolivité, que depuis le temps que jadis le très-noble et combattant Artur, roy des Bretons et des Anglais commença à régner, jusques à présent, ne fust veue en ladite ville de Londres la pareille feste de nuls des rois anglais[83]. Le duc de Clarence, frère du roi, laissé au commandement de la Normandie, fut atteint près de Baugé par le maréchal La Fayette, qui avait réuni une armée de paysans, et par le comte de Buchan, qui conduisait sept mille Écossais : il vint au combat sans attendre ses archers, et vit périr douze cents Anglais, et lui-même, reconnu à sa couronne d'or et de pierreries, fut renversé d'un coup de hache ; le chef écossais, en mémoire de ce service, fut nommé connétable par le dauphin (1421). Ce succès ne fut pas soutenu ; les Anglais offrirent d'eux-mêmes des subsides à leur roi ; Henri V, pour avoir aussi des Écossais, prit à sa solde Archibald, comte de Douglas, et emmena même avec lui le jeune roi d'Écosse, Jacques Ier, qui, jeté par une tempête sur les côtes d'Angleterre, avait été retenu prisonnier contre le droit des gens. Il chassa le dauphin des murs de Chartres, prit Dreux, et en pendit le gouverneur, et pour plaire aux Parisiens, assiégea Meaux. La farouche intrépidité du seigneur de Vaurus lui permit d'attendre plus de deux mois les secours du dauphin. Il pendait à son orme tous les prisonniers anglais, ou promenait sur les remparts un âne couronné qu'il appelait le roi d'Angleterre. Abandonné à lui-même, il se retira dans le marché, entre la Marne et un canal qui l'entourait d'eau de toutes parts. Son infatigable activité soutint pendant cinq mois le courage des siens. L'artillerie anglaise avait brisé tous les remparts, et Henri hésitait à donner un dernier assaut. Enfin, après sept heures d'un atroce combat où le sang des deux partis inonda à flots les décombres, Vaurus fut livré par les chefs de la garnison qui capitulèrent : on le traîna dans les rues, on enfonça son étendard dans sa poitrine ; on pendit son corps à son orme, et l'on éleva au-dessus de la cime de l'arbre sa tête enfoncée dans une pique. Henri V, laissant ce digne trophée d'une telle guerre, revint triompher à Paris, et étala avec les Anglais, dans une cour plénière, une magnificence insultante à côté de la folie et de la misère du pauvre Charles VI. Tout à coup la mort se présenta imminente : il la vit sans trembler ; il confia la tutelle de son fils, âgé de dix mois, au comte de Warwick, la régence du royaume de France à son frère le duc de Bedford ; la régence de l'Angleterre à son frère le duc de Glocester. Il leur recommanda de demeurer fidèles à l'alliance du Bourguignon, et expira en déclarant qu'il avait pendant toute sa vie médité le projet de délivrer la terre sainte. Deux mois après, Charles VI mourut à l'hôtel Saint-Paul, et les larmes des Français, qu'il avait trahis sans le savoir, ne manquèrent pas à ses funérailles (1422). Henri VI et Charles VII devinrent rois presque au même moment. Le parlement anglais avait encore gagné quelque chose sous Henri : les communes avaient obtenu la déclaration expresse qu'aucun statut n'aurait force de loi s'il n'était revêtu de leur consentement. Après sa mort, le parlement n'exécuta pas ses dernières volontés ; il ne voulut pas que le duc de Glocester fût régent de la couronne, mais seulement président du conseil, et protecteur du royaume et de l'Église d'Angleterre, en l'absence du duc de Bedford. Les deux régences, ainsi réunies dans une seule main, conservaient mieux à la nation anglaise l'unité de forces contre la France. Bedford commença par attirer à son parti le duc de Bretagne : il le vit à Arras, chez le duc de Bourgogne (1423). Tous les trois firent le serment de s'aimer comme frères, et de se secourir mutuellement contre leurs ennemis[84], Charles VII traita de nouveau avec la régence de l'Écosse. Douglas lui amena cinq mille hommes et le jeune roi par reconnaissance, choisit ses gardes parmi les Écossais auxiliaires ; il fut néanmoins battu près de Crevant, sur l'Yonne. Bedford rendit aussitôt la liberté au roi d'Écosse, à condition qu'il ne serait pas l'allié de la France : Jacques ne put tenir parole. Les Écossais le reconnurent volontiers pour leur souverain, mais persistèrent dans leur alliance avec Charles VII. Bedford continua ses succès, et apprenant que le comte de Buchan avait occupé Verneuil, dans le Perche, il accourut pour la lui enlever. Le connétable eut l'imprudence d'accepter la bataille ; malgré l'habileté de son plan,- il fut vaincu. Cette bataille de Verneuil était un désastre égal à ceux d'Azincourt, de Poitiers et de Crécy ; le résultat imminent en était même bien plus déplorable : la seule armée dont Charles VII pût disposer était perdue ; l'importance d'un pareil avantage semblait affermir la couronne de France sur la tête du mineur anglais. Les vainqueurs n'en doutaient pas ; et comme ils dépossédaient Chartes VII de toutes ses places, l'une après l'autre, ils lui donnaient ironiquement le nom de roi de Bourges. L'infortuné Charites VII touchait au moment de n'avoir plus rien. On a beaucoup parlé des fêtes qu'il ne se lassait pas de célébrer malgré sa détresse. Ce mot d'un chevalier : On ne peut perdre plus gaiement un royaume, est devenu banal. Cependant sa pauvreté, bien connue, rend ces folies impossibles, et par conséquent douteuses Un jour que Lahire et Poton Le vindrent veoir pour festoiement, N'avait qu'une queue de mouton Et deux poulets tant seulement. Las ! cela est bien au rebours De ces viandes délicieuses Et des mets qu'on a tous les jours En dépenses trop somptueuses[85]. Le même poète ajoute immédiatement : Princes qui ont de la misère Si sont plus enclins de moitié A soulager le populaire. Et en ont plus grande pitié. Je doute qu'une pensée de ce genre ait alors ému Charles VII. Cette âme, faible, abattue par le malheur, endormie dans une volupté longtemps indifférente aux affaires, aurait cédé bientôt à la force des événements, et abandonné toute prétention au trône, si des circonstances étrangères n'eussent ralenti les succès de Bedford. L'Angleterre tirait un grand parti de l'alliance bourguignonne : tout à coup Philippe le Bon se refroidit. Il réclamait le Hainaut, la Hollande, la Zélande et la Frise, devenues vacantes par la mort de Jacqueline de Bavière ; le duc de Glocester les réclamait également. Philippe le Bon rappela les troupes qu'il avait fournies aux Anglais, disposé à les combattre, le fallait, pour faire reconnaître ses droits. Bedford, plus empressé de prévenir une rupture que de continuer la guerre, apprit en même temps que l'Angleterre était affilée par la querelle du duc de Glocester et de l'évêque de Winchester, Henri de Beaufort : il passa la mer pour les réconcilier. Ces lenteurs et cette absence permirent à Charles VII d'acquérir la Bretagne. Arthur de Richemond, frère du duc breton, devint connétable. Il avait exigé, pour condition préalable, que le roi disgraciât ses favoris : aussitôt Tanneguy du Châtel s'était de lui-même retiré de la cour, sacrifiant son intérêt personnel à son dévouement, pour assurer par sa retraite la couronne de France à son maître, après lui avoir autrefois sauvé la vie par son activité. La délivrance de Montargis fut la conséquence de ces événements favorables. Richemond, Dunois, Lahire, renouvelèrent à ce siège les antiques prouesses de la chevalerie. Dunois était engagé, dès l'enfance, à détester et à combattre le parti anglo-bourguignon. Malgré sa naissance méprisée, il avait été élevé parmi les princes d'Orléans, par la bienveillance de Valentine. Il avait six ans lorsque, Valentine demandant à sa maison rassemblée quel serait celui pu marcherait le premier pour venger son mari, il répondit : Ce sera moi, madame ! Il tint parole : il se vantait plus tard d'avoir immolé de sa main dix mille Bourguignons. Lahire, âme ardente et loyale, aux manières dures et franches, combattait pour son devoir, sans ambition ni jalousie. Au moment de surprendre les Anglais, il faisait sa prière, les mains jointes, avec cette rondeur de langage : Dieu, je te prie que tu fasses pour Lahire ce que tu voudrais que Lahire fit pour toi s'il était Dieu et que tu fusses Lahire, et il cuidait très-bien prier et dire. A ces deux hommes, il faut ajouter Poton de Xaintrailles, et d'autres braves qui croyaient encore à la cause du roi, malgré lui. Montargis, délivré par eux, fut décoré du surnom de Franc. Malheureusement ces premiers avantages furent bientôt démentis par de nouveaux désastres. Bedford avait réconcilié Glocester et Beaufort ; il avait conservé l'alliance bourguignonne ; il ramena par la force le duc de Bretagne à son parti : les états bretons furent contraints d'approuver le traité de Troyes. Il ne restait plus qu'à prendre Orléans ; Bedford l'assiégea (1427). Une résistance opiniâtre, à laquelle les femmes elles-mêmes prirent part, seconda pendant plusieurs mois les efforts de Dunois, de Lahire et de Xaintrailles, qui, au dehors, combattaient pour les assiégés. Mais Dunois ayant été blessé et vaincu à la journée des harengs, les assiégés offrirent de remettre leur ville au duc Bourgogne. Le refus de Bedford, qui voulait cette ville pour les Anglais eux-mêmes, prolongea seul l'existence d'Orléans. Charles VII voulait se retirer dans le Dauphiné : les instances, le généreux dévouement de la reine Marie d'Anjou, qui vendit tout ce qu'elle avait de précieux pour subvenir à la guerre, eurent, dit-on, moins d'influence sur lui que la volonté d'Agnès Sorel, une femme de la cour. Il consentit à attendre encore quelque temps sur les bords de la Loire, et bientôt sa libératrice apparut. Depuis plusieurs mois la fille d'un paysan de Domremy sollicitait le gouverneur de Vaucouleurs de la faire conduire auprès du roi. Elle avait dix-huit ans ; elle ne savait pas lire, elle savait coudre et filer, et prier Dieu : elle s'appelait- Jeanne d'Arc. Elle disait que des voix célestes la pressaient depuis longtemps d'aller sauver le roi ; elle avait prédit le siège d'Orléans avant qu'il fuit commencé ; elle prédisait qu'elle ferait lever ce siège, et qu'elle conduirait le roi à Reims pour l'y faire sacrer. Après une longue hésitation, le gouverneur de Vaucouleurs consentit à la laisser partir, accompagnée de son frère Pierre d'Arc. Sa première entrevue avec Charles VII annonça une mission surnaturelle. Elle se présenta humblement, comme une pauvre petite bergerette, mais elle alla droit au roi, et, le distinguant de la foule où il voulait se confondre : Gentil dauphin, lui dit-elle, j'ai nom Jeanne la Pucelle, et vous mande le Roi des cieux, par moi, que vous serez sacré et couronné en la ville de Reims, et serez lieutenant du Roi des cieux, qui est roi de France. Cette assurance modeste surprit le roi ; des réponses fermes, précises, victorieuses, à toutes les questions par lesquelles les savants prétendaient l'embarrasser, lui attirèrent quelque confiance. Comme on la sommait de faire des miracles, elle avait répondu : Je ne suis pas venue à Poitiers pour faire des miracles. Le signe qui m'a été donné pour montrer que je suis envoyée de Dieu, c'est de faire lever le siège d'Orléans : qu'on me donne des gens d'armes, en si petite quantité qu'on voudra, et j'irai. On résolut donc de la mettre à l'épreuve qu'elle proposait elle-même. On lui donna, selon sa demande, l'épée de Charles-Martel, une armure complète, un étendard où étaient écrite les deux noms de Jésus et de Marie, et le titre de chef die guerre. Elle partit pour Orléans avec une armée. L'histoire de Jeanne d'Arc est la plus délicieuse, la plus merveilleuse histoire du moyen âge... Vous étés belle, suave et brillante comme Jérusalem, terrible comme une armée rangée en bataille ! Nous reprochera-t-on d'appliquer ces paroles Je l'Écriture à cette jeune fille si pure et si humble, à cette pauvre ignorante à qui la foi enseigna si extraordinairement la science de la victoire ? La voilà qui approche d'Orléans elle dicte une lettre où elle somme les Anglais de Faire raison au Roi du ciel, et de sen alter dans leur pays. On verra, dit-elle, aux horions (coups) qui a le bon droit, de Dieu, el le roi du ciel, ou de vous les Anglois. Elle réforme, par son exemple, par ses exhortations, les mœurs d'une armée dissolue. Elle entre dans Orléans, malgré la surveillance des assiégeants, malgré les embarras que lui suscite déjà la jalousie des seigneurs, dont elle efface l'importance. En huit jours elle accomplit ce qu'une résistance de sept mois n'avait pu faire. Elle enlève l'une après l'autre les bastilles construites par l'ennemi, et tue sept mille hommes en trois combats. Blessée au pied de la bastille des Tournelles, elle se relève pour conduire à l'assaut, et les chevaliers et les soldats, et les Orléanais, qui voilent leur part du succès. Elle rentre dans la ville au milieu d'un peuple immense et du chant du Te Deum, et le lendemain l'ennemi lève le siège en frémissant. Dominus omnipotens nocuir eum, et tradidit eum in manus feminæ, et confodit eum (Judith). La jeune fille avait accompli elle-même sa prophétie. Pouvait-on clouter encore de la vérité de sa mission ? Cependant Charles VII n'en paraissait pas convaincu : il ne voulait pas venir à Reims. Jeanne, pour l'y décider, alla s'emparer de Jargeau et de Beaugency ; elle fit prisonnier le comte de Suffolk. Malgré les appréhensions du duc d'Alençon, elle engagea contre Talbot la bataille de Patay : Qu'on aille hardiment contre les Anglois, criait-elle, on aura bon succès ; s'ils étoient pendus aux nues, nous les aurions, car Dieu nous a envoyés pour les punir ; et la défaite de l'armée anglaise, et la captivité de son chef, justifièrent ces promesses. Tant de succès ne suffisaient pas à Charles VII. Homme de peu de foi, il n'osait se mettre en route : ce roi qu'on a plus tard surnommé le Victorieux, avait peur, parce que la cité de Reims, et toutes les villes et forteresses de Picardie, la Champagne, l'Île-de-France, la Brie, le Gâtinais, l'Auxerrois, la Bourgogne, étaient au pouvoir des Anglais. Enfin il partit, mais il voulut que Jeanne d'Arc le précédât d'un jour. Sur toute la route il multiplia les preuves de sa terreur ; il n'osa pas combattre les habitants d'Auxerre ; arrivé devant Troyes, il eût renoncé à prendre cette ville, si la Pucelle ne l'y eût contraint par sa noble indignation ; la ville prise, il n'osa point y entrer avant que Jeanne d'Arc eût visité les rues, et disposé les archers sur deux baies, depuis la porte jusqu'à la cathédrale. La soumission volontaire de Châlons ne l'empêcha pas de trembler aux approches de Reims, et de s'arrêter à quatre lieues de cette ville. Il fallut, pour le rassurer, que les habitants de Reims vinssent lui apporter les clefs de ville, comme Jeanne l'avait prédit. Le sacre fut fait par l'archevêque de Reims. Jeanne se tenait debout, près de l'autel, son étendard à la main. Quand la cérémonie fut finie s'agenouilla devant le roi, et lui dit, en pleurant à chaudes larmes : Gentil roy, la volonté de Dieu est exécutée ; j'ai fait lever le siège d'Orléans, et vous ai amené dans la ville de Reims ; elle demandait aussi la permission de retourner dans sa famille. Aucune pensée humaine, aucun désir de grandeur n'avait altéré, au milieu de tant de gloire, sa simplicité première : J'ai été envoyée, disait-elle, pour la consolation des pauvres et des indigents... Si on lui parlait de ses exploits, elle répondait : Mon fait n'était qu'un ministère... Plût à Dieu, mon créateur, que je pusse maintenant partir, abandonnant les armes, et aller servir mon père et ma mère, en gardant leurs brebis avec mes sœurs et mes frères qui moult se réjouiraient de me voir. Charles VII, enfin reconnaissant, enfin convaincu de la mission de la Pucelle, ne put se résoudre à la laisser partir. Il attribuait à sa présence ses succès nombreux et rapides ; Vailly, Soissons, Laon, Provins, Château-Thierry, Beauvais, recevaient l'armée royale ; des châteaux de l'Oise, Compiègne, Château-Gaillard, furent repris : déjà le duc de Bourgogne promettait au roi de faire la paix. Jeanne se réjouissait à de ces avantages, mais elle laissait pressentir sa fin prochaine ; elle ne voulait pas qu'on assiégeât Paris, et ce siège, en effet, ne réussit pas. Le roi, pour la retenir, lui donna, ainsi qu'à sa famille, des lettres de noblesse, et exempta de toutes contributions son hameau de Domremy : elle ne se laissa pas prendre à ces vanités humaines. Elle avait dit, après la délivrance d'Orléans : Je ne durerai qu'un an, et guère au delà. Elle touchait à l'accomplissement de sa prédiction. Après avoir combattu dans le Nivernais, et emporté la ville de Saint-Pierre-le-Moustier, elle s'enferma dans Compiègne pour résister au duc de Bourgogne : elle tenta une sortie, et, abandonnée sans défense, die fut prise et livrée au seigneur de Luxembourg (23 mai 1430). Les Anglais se crurent sauvés à cette nouvelle. Pour expliquer leurs défaites après tant de succès, ils avaient attribué au démon les œuvres de la Pucelle ; ils l'accusaient de sorcellerie ; ils tenaient à prouver la vérité de cette accusation. Jeanne, remise par le seigneur de Luxembourg au duc de Bourgogne, fut réclamée par Bedford, et enfermée dans la grosse tour de Rouen. Une cour ecclésiastique, vendue à l'Angleterre, fut chargée de la juger elle 'était présidée par Pierre Cauchon, évêque de Beauvais, que ses diocésains avaient chassé à l'arrivée de Charles FH. Personne n'essaya de délivrer la prisonnière. Le croira-t-on ? les chevaliers qui avaient vu les œuvres de la Pucelle étaient tous, excepté Lahire, jaloux de sa gloire. Charles VII oublia qu'il lui devait la couronne ; il la délaissa, selon une tradition, pour satisfaire encore Agnès Sorel. Cette femme vicieuse ne croyait pas à la vertu ; elle craignait de trouver un jour une rivale dans Jeanne d'Arc. La Pucelle, seule en présence de ses ennemis, ne se déconcerta pas. Dieu assista sa pauvre servante : il lui mit sur les lèvres ce qu'elle avait à répondre, il lui donna la simplicité de la colombe, et la prudence du serpent. Ses ennemis voulaient contester sa vertu, et calomnier même les années de son enfance des preuves accablantes les forcèrent de renoncer à ce moyen d'attaque. Ils voulaient la prendre, par ses paroles, et lui faire dire au moins un mot hérétique ses réponses, claires et simples, échappaient à tous les pièges : On l'interrogeait sur ses armes : Quelle bénédiction fîtes-vous faire, ou fîtes-vous vous-même sur cette épée ? — Jamais je ne fis aucune bénédiction, et n'en saurais faire aucune. J'aimais beaucoup cette épée, parce qu'elle s avait été trouvée dans l'église de Sainte-Catherine, que j'aime bien. On l'interrogea sur son étendard : Qu'aimiez-vous le mieux de votre étendard ou de votre épée ? —J'aimais plus, voire quarante fois plus, mon étendard que mon épée. Je portais moi-même cet étendard quand j'attaquais l'ennemi, pour éviter de tuer quelqu'un ; je n'ai jamais tué personne. — L'espérance de vaincre était-elle fondée en votre étendard ou en vous ? — Elle était fondée en notre Seigneur, et non ailleurs. — Si un autre a Pilait porté que vous, eût-il eu aussi bonne fortune que vous ? — Je n'en sais rien, je m'en attends à notre Seigneur. — Ne fit-on pas flotter ou tourner votre étendard autour de la tête de votre roi ? — Non, que je sache. — Pourquoi fut-il plus porté en l'église de Reims, au sacre, que ceux des autres capitaines ? — Il avait été à la peine, c'était bien raison qu'il fût à l'honneur. — Faisiez-vous croire aux troupes françaises que cet étendard portait bonheur ? — Je ne faisais rien croire ; je disais aux soldats français : Entrez hardiment au milieu des Anglais, et j'y entrais moi-même. On trouva un moyen plus court d'avancer le procès. On dénatura ses réponses ; on les présenta, ainsi falsifiées, à des docteurs en théologie ; on les lut dans une assemblée publique en les lui attribuant expressément, et on la somma d'abjurer. Ce qu'on lui demandait, comme abjuration, c'était peu de chose ; ne plus porter l'habit d'homme, renoncer aux armes, et laisser pousser ses cheveux. Elle signa d'une croix une cédule qui devait contenir ces trois points ; mais comme elle ne savait pas lire, il se trouva que la cédule signée par elle contenait d'autres articles par lesquels elle se reconnaissait dissolue, hérétique, schismatique, idolâtre, séditieuse, invocatrice des démons, sorcière. Sur cette déclaration, elle fut condamnée à la captivité perpétuelle. Mais ce châtiment ne suffisant pas aux Anglais, on trouva moyen de lui faire revêtir pour un moment l'habit d'homme, et, surprise en cet état par des témoins apostés, elle fut condamnée au feu comme relapse. La sentence fut exécutée sur la place du vieux marché à Rouen. Jeanne expira en prononçant le doux nom de Jésus (30 mai 1431). La mort de Jeanne d'Arc ne releva point les affaires des Anglais : le coup qu'elle leur avait porté était irréparable. Xaintrailles à Germigny ; Barbazan à la Croisette près de Châlons, Dunois à Chartres, vengèrent le crime qu'ils avaient laissé commettre. Tout réussissait aux Français. Le duc de Bourgogne (1435) conclut avec Charles VII le traité d'Arras. Philippe le Bon exigea le châtiment des meurtriers de son père, et fit augmenter ses États des comtés de Macon, d'Auxerre, de Ponthieu, et des villes de la Somme. En même temps se termina la rivalité des bourguignons et des armagnacs. Charles d'Orléans, prisonnier depuis la bataille d'Azincourt, réclamait sa délivrance, et sollicitait le duc de Bourgogne de lui avancer le prix de sa rançon[86]. Philippe le Bon promit de le faire, et réconcilia ainsi les deux partis. Bedford avait fait couronner Henri VI à Paris, comme pour protester contre la force des évènements il mourut en 1436, presque en même temps qu'Isabelle de Bavière. Alors Richemond s'approcha de Paris ; les bourgeois de Paris firent eux-mêmes main-basse sur les Anglais, et le roi Charles VII, après avoir forcé Montereau, rentra dans sa capitale où il installa le parlement qu'il avait établi à Poitiers (1437). Ces succès inespérés étaient sans doute un heureux présage, mais il s'en fallait bien que la partie fût perdue pour les Anglais : l'étranger tenait encore la Normandie, le Maine et l'Anjou, et une partie de la Guyenne. Les vainqueurs n'avaient pas même la prudence de conserver la paix entre eux. La Praguerie (1439) inquiéta le pouvoir royal à peine reconstitué. Le dauphin, qui fut depuis Louis XI, Bourbon, Alençon, Vendôme, Dunois soutenaient La Trémoille contre le connétable : il fallut que Charles VII combattit son fils, le poursuivit de province en province, et l'obligeât, avec tous ses complices, à demander des lettres de rémission. Ce furent les dissensions des Anglais qui achevèrent de délivrer la France : d'abord la rivalité toujours vivante de Glocester et du cardinal de Winchester ; le cardinal parvint à faire rendre la liberté au duc d'Orléans, dont le parti contraire redoutait la présence auprès du roi français ; ensuite la faveur du duc de Suffolk, qui décida Henri VI à épouser Marguerite d'Anjou. Cette princesse était fille de René, comte d'Anjou et du Maine, comte de Provence, prétendant au trône de Naples, et dans ce moment prisonnier des Bourguignons. Charles VII, vainqueur de la Praguerie, maître de Creil (1441) et de Pontoise après trois mois de siège, triomphant dans la Gascogne et le Languedoc, se voyait pourtant menacé d'une seconde ligue où entraient les ducs d'Orléans et de Bourgogne, et dont le manifeste avait paru à Nevers. Il la dissipait par ses promesses, et reprenant la guerre du midi, il laissait les provinces du nord sans défense. Talbot en profita pour investir Dieppe ; Dunois défendit cette ville avec peine jusqu'à l'arrivée du dauphin, qui fit lever le siège. Le mariage de Henri VI avec Marguerite d'Anjou eut de bien meilleurs résultats. Suffolk conclut d'abord une trêve à Tours (1444), et rendit au roi René le Maine et l'Anjou. Marguerite fut vraiment reine d'Angleterre, et commença d'attirer contre elle et contre son mari une haine secrète par la faveur de Suffolk et la disgrâce de Glocester, qui fut arrêté comme suspect de trahison, et en mourut de chagrin. On irrita aussi le duc d'York, Richard, arrière petit-fils d'Edouard III, héritier par sa mère, Anne Mortimer, des droits de Lionel ; on lui donna le gouvernement de l'Irlande au lieu de la régence de France qu'il avait exercée pendant cinq ans : on le remplaça en France, par le duc de Sommerset, de la famille de Beaufort, qui descendant aussi de Jean de Gant (Gaunt), inspirait plus de confiance à la famille de Lancastre. Sommerset reçut ainsi la triste commission de voir toutes les conquêtes de Henri retourner à la France, Fougères, surprise par les Anglais fut la rupture de la trêve (1448) ; Pont-de-l'Arche et Verneuil furent aussitôt saisis par des Français. Dunois parut avec une bonne armée ; il soumit la moitié de la Normandie ; Sommerset à qui l'Angleterre n'envoyait pas d'armée, regardait de Rouen les progrès de l'ennemi sans pouvoir les arrêter. Talbot, par une sortie vigoureuse, retarda de quelques jours la prise de Rouen. Lorsque les habitants et la garnison eurent capitulé, le duc voulut s'enfermer dans la citadelle ; mais il fut réduit à donner 60.000 francs pour sa rançon et les forteresses du district de Caux. Le ministère anglais lui envoya trois mille hommes, qui périrent ou furent dispersés à la bataille de Formigny. La joie que cette victoire répandit en France put se prolonger par la prise successive d'Avranches, de Bayeux, de Valognes, par le siège et la capitulation de Caen, et par l'acquisition de Cherbourg. Un an et six jours avaient suffi à reconquérir la Normandie (1450). La Guyenne ne tint pas davantage : Charles VII prit Bergerac ; Dunois força à une capitulation Bayonne et Bordeaux (1451). En 1453, Talbot fut tué à la bataille de Castillon, et l'Angleterre ne garda pies sur le continent que la ville de Calais[87]. Cette honte de Henri VI préparait avec une effrayante rapidité la querelle des deux roses et la ruine des Lancastre. On avait attribué à Suffolk la cession du Maine et de l'Anjou, et la perte des villes normandes qu'il n'avait pas empêchée. Lord Cromwell l'accusa le premier : les communes le firent enfermer à la Tour. Le roi, obligé de céder pour obtenir des subsides, voulut du moins lui sauver la vie ; il le condamna à cinq ans d'exil ; mais des soulèvements éclataient toutes parts. Suffolk fut arrêté en mer par ses ennemis, jugé devant les matelots, et décapité ; on pouvait soupçonner le duc d'York de complicité (1451). La bataille de Formigny fut accueillie par de nouveaux mécontentements le bruit adroit e-ment répandu que Henri VI avait rassemblé assez de forces pour ne point pardonner, excita un Irlandais, Jean Cade, à prendre le nom de Mortimer, et à diriger l'insurrection de Kent. On vit cet aventurier traiter avec le roi, réclamer bannissement des parents de Suffolk, et l'élévation des ducs d'York, d'Exeter, de Buckingham et de Norfolk ; on le vit entrer dans Londres, faire décapiter lord Say, le trésorier, piller quelques maisons, et, vaincu à son tour, périr par la main d'un écuyer. Le duc d'York crut alors nécessaire de se montrer lui-même : il quitta son gouvernement d'Irlande sans permission, et vint signifier au roi qu'il fallait assembler un parlement. D'autre part, Sommerset, quittant la France, vint offrir ses services au roi et à Marguerite. Au crime d'avoir perdu la Normandie, il ajoutait celui de posséder la faveur du parti français, comme disaient les mécontents. La session du parlement ne satisfit guère les Yorkistes ; le roi refusa de souscrire un décret qui flétrissait la mémoire de Suffolk, et le duc d'York prit les armes ouvertement (1452) : on l'épargna lorsqu'on pouvait le juger et le mettre à mort ; on apprit bientôt la nouvelle de la mort de Talbot à Castillon. Le roi étant tombé malade, le duc d'York devint le chef du conseil, et Sommerset fut enfermé à la Tour (1454). Un autre résultat suivait en France la défaite des Anglais. La conquête de la Guyenne réunissait enfin le midi au nord ; la chute des ducs d'Aquitaine ruinait inévitablement la féodalité. Il ne restait plus des grands fiers que le duché de Bretagne, celui de Bourgogne, augmenté de la Franche-Comté, de l'Artois, de la Flandre, et renforcé du comté de Namur, des duchés de Limbourg et de Brabant, des comtés de Hainaut, de Hollande, de Zélande, de Frise, et de Luxembourg, états allemands acquis par Philippe le Bon, sous la dépendance de l'Empire ; enfin les possessions du roi René, maitre du plaine, de l'Anjou, de la Provence, et duc de Lorraine par son mariage, En attendant que la politique de Louis XI mît fin à ces dominations éparses, Charles III, victorieux sur tous les points, avait surpassé ou complété l'œuvre de son aïeul Charles V. Un parlement établi à Toulouse, sur le modèle du parlement de Paris (1443), assurait à la Guyenne et au Languedoc la présence de la justice royale. La création d'une armée permanente (1443-1448) rendait vaine la résistance ou la mauvaise volonté des troupes féodales. A la place des grandes compagnies, des écorcheurs ou retondeurs que le dauphin alla faire tuer par les Suisses à la bataille de Botteleur, quinze compagnies de gens d'armes, et l'infanterie des francs-archers, étaient toujours prêtes à combattre pour le roi. Une taille annuelle et perpétuelle imposée par le roi, de sa propre autorité, sous prétexte du besoin perpétuel d'argent pour entretenir ces forces militaires, éludait les réclamations des états, et le roi osait dire que, pour imposer les tailles, n'était plus nécessaire d'assembler les trois ordres. Ainsi les grands et le peuple, également courbés sous le niveau de la monarchie, venaient confondre leurs privilégies contraires dans l'autorité d'un maitre commun, et la France, organisée en nation, avait son centre dans le pouvoir royal désormais constitué. |
[1] L'histoire d'Angleterre aura la plus grande part dans ce chapitre ; pour la France, ce sera plutôt une indication qu'un développement des faits ; nous tâcherons toutefois de ne rien omettre dans cette indication. Nous rappelons à nos lecteurs que l'histoire de France, d'après notre plan, doit toujours être résumée dans cette histoire du moyen âge.
[2] Voyez Lingard, t. III.
[3] Continuateur de Nangis, apud Achery, t. III.
[4] Genealogia comitum Flandriæ, Anon. apud Martène, t. II, p. 413. Continuat. de Nang. apud Achery, t. III.
[5] Ordonnances des rois de France.
[6] Ordonnances.
[7] Ibid. Ordonnance au bailli de Senlis.
[8] Genealogia comitum Flandriæ.
[9] Ordonnance au bailli de Mâcon.
[10] Genealogia comitum Flandriæ.
[11] Voyez Martène, t. I, p. 1374.
[12] Froissart, liv. I, ch. IV.
[13] Loi salique, titre 62.
[14] Genealogia comitum Flandriæ.
[15] Genealogia, etc. Froissart, t. I, ch. 49. Cont. Nang., ibid.
[16] Froissart, ibid.
[17] Froissart, t. I, 53 ; Martène, t. I, p. 1381.
[18] Froissart, t. I, 53.
[19] Ordonnances.
[20] Lingard, t. IV.
[21] Froissart, t. I, p. 58 ; Lingard, t. IV.
[22] Froissart, t. I, p. 76.
[23] Froissart, t. I, p. 144. Continuateur de Nangis.
[24] Voyez Lingard, t. IV.
[25] Froissart.
[26] Froissart, t. I, p. 246.
[27] Lingard.
[28] Froissart, t. I, p. 248. Genealogia comitum Flandriæ, apud Martène, III.
[29] Voyez Froissart, t. I, de 287 à 292. Lingard, t. IV.
[30] Genealogia comitum Flandriæ.
[31] Voyez Froissart, t. I, p. 311.
[32] Ordonnances.
[33] Froissart, t. I, 2e part., ch. 10.
[34] Martène, t. I, p. 1401.
[35] Lingard, t. IV.
[36] Froissart, t. I, 2e part., p. 29.
[37] Froissart, t. I, 2e part., p. 20.
[38] Froissart, t. I, 2e part., p. 20. Voyez aussi Lingard, t. IV.
[39] Froissart, t. I, 2e part., p. 44. Lingard, t. IV.
[40] Ordonnances des rois de France. Pour toute cette histoire intérieure, il ne peut y avoir de monument plus curieux et plus officiel que ces ordonnances, dont les préambules expliquent souvent les faits qui les ont amenées.
[41] Froissart, t. I, 2e part., ch. 65.
[42] Froissart, t. I, 2e part., p. 73. Voyez aussi l'ouvrage de M. Naudet : Conspiration d'Étienne Marcel, ou Histoire des états généraux.
[43] Christine de Pisan.
[44] Froissart, t. I, 2e part., p. 74.
[45] Froissart, t. I, 2e part., p. 121.
[46] Martène, t. I, p. 1415.
[47] Lingard, t. IV.
[48] Lingard, t. IV.
[49] Martène, t. I, p. 1427 et suivantes.
[50] Lingard, t. IV.
[51] Froissart, t. I, 2e part., de 170 à 179.
[52] Froissart, t. I, 2e part., de 170 à 179 ; Martène, I, p. 1491.
[53] Martène, I, p. 1500. Voyez le chapitre XXVIII.
[54] Froissart, t. I, 2e part., p. 216.
[55] Sismondi, obligé de reconnaitre à ce moment une amélioration dans l'état de la France, ne veut pas en rapporter la cause au gouvernement de Charles V, mais à la marche naturelle du temps. Il porte, en effet, bien loin sa haine contre les rois de France : il est bien rare qu'il leur attribue autre chose que des fautes ou des malheurs ; il ne craint pas d'approuver ou de justifier toutes les actions de leurs ennemis, quels qu'ils puissent être, et tout cela sous prétexte d'amour pour les libertés populaires, et d'aversion pour les pouvoirs despotiques. Il aime beaucoup Charles le Mauvais, comme le défenseur du peuple ; il le plaint de son surnom et en conséquence il supprime de temps en temps les faits qui le lui ont mérité. Il aime beaucoup Marcel et Robert le Coq, et en conséquence il leur permet d'user de l'assassinat ou de la trahison, quand ces deux moyens sont la seule condition du succès. Il déteste Charles V, et en conséquence les historiens qui ont bien parlé de ce roi ne sont que des pédants qui n'ont point de sentiment vrai, ni de pensée digne d'éloges. Voilà ce qui m'a empêché de citer jusqu'à présent cette histoire, dont je me suis du reste fort peu servi. L'érudition de cet écrivain, déjà lourde et confuse dans ses autres ouvrages, est ici encore faussée par une partialité sans égale. L'Histoire des Français de Sismondi n'est pas une véritable histoire de France.
[56] Voir Martène I, p. 1503 et 1505. Copie des alliances du roi d'Écosse, et après, du roi de Castille et du norme d'Armagnac.
[57] Froissart, I, 2e part. ch.
258.
[58] Martène, I, p. 1508.
[59] Froissart, I, 2e part. 299.
[60] Lingard.
[61] Froissart, I, 2e part. 320 et 321.
[62] Froissart, I, 2e part. 322.
[63] Martène, I, p. 1512.
[64] Froissart, I, 2e part. 359.
[65] Froissart, I, 2e part. 364.
[66] Martène, I, p. 1514.
[67] Froissart, I, 2e part. 374 et 377.
[68] Lingard, t. IV.
[69] Froissart, I, 2e part. 389.
[70] Lingard, t. IV.
[71] Voyez Ordonnances des rois de France, et Martène, I, p. 1515.
[72] Voyez Lingard, t. IV.
[73] Voyez, pour tout le règne de Richard II, Lingard, dont les notes ne sont pas moins curieuses que le texte. Une des principales autorités citées par lui dans cette histoire parlementaire, ce sont les registres du parlement.
[74] Froissart, liv. 2, ch. 174 et suivants.
[75] Monstrelet, ch. 72.
[76] Voyez Lingard, t. V.
[77] Juvénal des Ursins.
[78] Journal d'un bourgeois de Paris.
[79] Monstrelet.
[80] Journal d'un bourgeois de Paris.
[81] Juvénal des Ursins.
[82] Journal d'un bourgeois de Paris.
[83] Monstrelet. Voyez Lingard, t. V.
[84] Lingard, t. V.
[85] Martial de Paris, Vigiles du roi Charles le septième.
[86] Poésies de Charles d'Orléans.
[87] Poésies de Charles d'Orléans, dernier livre.