Histoire des chrétiens et des musulmans d'Espagne, depuis le traité de Charlemagne avec Al-Hakem Ier, jusqu'a l'avènement d'Alphonse VI. I Le moyen âge n'a pas vu d'héroïsme chrétien plus opiniâtre que celui des Espagnols. Ce que l'Europe, soulevée tout entière, n'a pu faire contre les Turcs au temps des croisades, les Espagnols seuls l'ont fait contre les races maures, sans cesse renouvelées par l'Afrique. Leur croisade a duré huit cents arts, et leur bras ne s'est pas lassé une fois ; l'Europe, menacée par leurs ennemis, ne les a pas secourus, et ils ont sauvé l'Europe sans réclamer sa reconnaissance, satisfaits de leur courage, et trop fiers pour s'en vanter. Au commencement du me siècle la lutte était organisée ; chaque parti avait su terre et ses espérances. Les rois d'Oviedo dominaient depuis la mer jusqu'au Duero ; les réfugiés de Burgos (Vieille-Castille) leur gardaient fidélité, et la religion enflammait tous les courages. L'Espagne chrétienne avait cru découvrir le corps de saint Jacques le Majeur ; la précieuse relique avait été transportée à Compostella, et Alphonse le Chaste y avait élevé u.ne église de brique qui ne devait pas rester pauvre longtemps (808). Cependant les chrétiens des Marches. Espagnoles soumis aux Francs, étaient inquiétés par les khalifes. Charlemagne lui-même ne pouvait toujours protéger les émirs du nord qui lui avaient fait hommage, et le traité de 810 n'était venu qu'après la punition des émirs de Saragosse et d'Huesca. Aussi les Arabes croyaient à la durée da leur domination. Le khalife Al-Hakem, ami des lettres et des arts, se livrait aux plaisirs de la musique et de l'architecture, et rassemblait une bibliothèque de 400.000 volumes, dont il rédigeait lui-même le catalogue. Il régnait en souverain redouté, et épouvantait la révolte par ses vengeances. Un faubourg de Cordoue s'étant soulevé, le khalife vainqueur en empala 300, en fit embarquer 1.500, ruina le faubourg et défendit de le rebâtir. Les malheureux fugitifs, exclus pour toujours de l'Espagne, n'eurent de ressources que dans la piraterie ; ils s'emparèrent d'Alexandrie, puis de la Crète, et devinrent formidables à l'Orient sous le nom d'Andalous (818). Mais, la décadence du khalifat commençait. Les Espagnols purent l'espérer déjà sous le règne d'Abdérame II al Mouzaffer (le Victorieux), qui succéda à son père Al-Hakem (822). Rien ne commandait l'obéissance aux Arabes dans cet empire fondé par une révolte ; et les chrétiens soumis au khalife, tournant les yeux vers les chrétiens libres du nord, aspiraient de tous leurs efforts à la même liberté. Toute la vie du second Abdérame fut une lutte malheureuse. Il avait à peine gagné son surnom à vaincre un oncle ambitieux que la ville de Mérida refusa de le reconnaître et tua son émir. Mérida, forcée une première fois et démantelée, releva ses murs à la hâte, soutint un second siège, et plutôt que de se rendre, les Arabes s'enfuirent vers Alphonse le Chaste, qui les chargea de défendre sa frontière. Tolède, révoltée à son tour (833), ne céda qu'après trois ans ; puis vinrent les Northmans, chassés de la Galice par Ramire Ier, successeur d'Alphonse (844), qui pillèrent Lisbonne, Cadix, Medina-Sidonia., et remportèrent trois victoires. L'année suivante ils pillèrent Séville, Abdérame, qui n'avait pu sauver ses richesses, voulut au moins se venger sur les chrétiens ; il surprit la ville de Léon ; mais Ramire le battit près de Lagrono (846), conquit Alveda et Calahorra, et imposa une contribution de blé et de vin à tous ses sujets en l'honneur de saint Jacques, l'auteur de la victoire. Abdérame, dans sa colère, s'en prit aux chrétiens de ses États, et persécuta ceux de Cordoue pour leurs déclamations contre Mahomet puis, retournant au nord, il vainquit Ordogno, successeur de Ramire dans une grande bataille, et enleva Barcelone au roi de France. Il n'eut pas le temps de compromettre ta gloire de ce grand succès. Il mourut en 852. La même histoire continue sous Mohammed Ier, successeur d'Abdérame. Ordogno, instruit par sa défaite, avait fortifié les villes de Léon et d'Astorga. En même temps la Navarre, séparée de l'empire carlovingien depuis 824, prenait la forme d'un royaume entre ses montagnes inexpugnables. Garcie, neveu d'Aznar, en était comte, et bientôt son fils, Garcie Ximenez, allait recevoir le nom de roi. L'imprudent Mohammed débuta en chassant tous les chrétiens de son palais, plusieurs furent torturés. Cependant Omar ben Haf, ancien chef de brigands, maintenant émir de Saragosse, enlevait Valence, Huesca, Tudèle, et se faisait reconnaître souverain dans la Celtibérie. Battu par Ordogno, le rebelle fit alliance avec les chrétiens du nord tandis que Mohammed était arrêté devant Tolède. Le khalife prit Tolède, exposa sur les murs de Cordoue les têtes des plus opiniâtres, et frappa les chrétiens d'une persécution nouvelle. Mais Mérida se révoltait (862). Ordogno, passant aussitôt le Duero, conquit Salamanque. Le khalife espérait que par son traité avec Charles le Chauve (864), les chrétiens d'Espagne lui seraient abandonnés sans secours ; mais Ordogno vainquit la flotte musulmane qui menaçait la Galice (866) : Alphonse III (le Grand), successeur d'Ordogno (866), enleva Coïmbre, fortifia Oviedo contre les attaques renouvelées des pirates Northmans, extermina les Tolédains (874) qui faisaient invasion sur les terres chrétiennes, et les soldats de Cordoue qui les soutenaient. Le khalife épuisé demanda la paix. Les rois chrétiens semblaient prévaloir. Alphonse fortifiait Zamora et Toro, fondait le port de Cale (Porto-Cale) et restaurait Chaves et Viseu. Mohammed moins heureux, ne pouvait même réprimer ces sujets rebelles. Omar ben Haf venait d'être remplacé par son fils Calib, et Mohammed mourut au milieu de ses dissertations philosophiques sur la nécessité de mourir (886). Sans de fâcheuses divisions entre les chrétiens d'Oviedo, la ruine du khalifat eût été possible peut-être après Mohammed. Almondhir son fils aîné régna deux ans, et fut tué par Calib (888). Abdala, frère d'Almondhir, lutta pendant vingt-cinq ans contre Calib, qu'il ne put chasser de Tolède, contre ses émirs, et contre ses fils. Quand il osa attaquer la Navarre (907), le roi Sanche Ier repoussa ses troupes de Pampelune, et commença ainsi ses victoires annuelles sur les Arabes ; mais en Oviedo le grand Alphonse n'avait pas vécu en paix. Attaqué par son fils Garcie (910), forcé d'abdiquer, il avait partagé ses États, donnant à Garcie le royaume d'Oviedo, à Ordogno la Galice, et ce qu'il avait conquis de la Lusitanie (911). Dans ces circonstances, Abdala mourut laissant le khalifat à son petit-fils Abdérame III. II Rien n'avait manqué à l'éducation d'Abdérame pour en faire un prince accompli selon les Arabes. Depuis l'âge de huit ans, il avait appris successivement les maximes du Koran, le système des traditions d'après la sunna, la grammaire, la poétique, les proverbes arabes, la biographie des princes, enfin la politique et l'art de gouverner. Le corps n'avait pas été plus négligé que l'esprit, et dès sa onzième année il s'était exercé au cheval, à l'arc, au javelot, au maniement de toutes les armes, Abdérame ne trompa point les espérances de son grand-père Abdala ; il retint ce khalifat qui tombait, et lui donna sa véritable gloire. Il commença par supprimer les monnaies des Abbassides qui avaient cours en Espagne, prit le nom d'Iman, et soumit les rebelles qui partageaient les forces du khalifat ; mais il trouva plus de résistance du côté des chrétiens. La division du royaume d'Oviedo n'avait duré que trois ans ; Garcie Ier étant mort (914), son frère Ordogno II avait réuni les deux États, et, transportant sa résidence dans la ville de Léon, il avait substitué le royaume de Léon à celui d'Oviedo. Sanche Ier régnait encore en Navarre. Ordogno et Sanche s'unirent contre Abdérame, livrèrent une première bataille (916) à San Estevan de Gormaz, tuèrent les deux généraux du khalife, et dispersèrent son armée. Ordogno ravagea le pays jusqu'à la Guadiana ; et Sanche, pour se reposer de tant de victoires, alla chercher la paix dans un monastère, sans renoncer à la couronne, mais seulement au commandement des troupes qu'il confia à son fils Garcie Ier. Le khalife espéra se venger en 919. Il attaqua Ordogno et Garcie, les défit à la sanglante bataille de la Jonguera près de Salina de Oro, et rien ne l'arrêtant plus, il franchit les Pyrénées et dévasta la Gascogne et parut devant Toulouse. Mais il ne repassa pas impunément par la Navarre. Comme il revenait chargé de butin, le vieux Sanche, sorti de son cloître, reprit la guerre et dépouilla le victorieux. Abérame comprenait bien qu'il y avait au moins égalité entre les deux partis, même habileté et même courage ; il se sentit le plus faible après cette seconde défaite ; il détourna les yeux des chrétiens, et les tourna vers l'Afrique. Le bouleversement de la dynastie des Edrisides, lui permit (930) de prendre Ceuta, Tanger, Fez, et tout le Magreb ; il ne profita pas de l'affaiblissement du royaume de Léon. Ordogno soupçonnant les plus influents des réfugiés de Burgos, les avait fait assassiner, et les vieux Castillans, rejetant à leur tour la suprématie des rois de Léon, s'étaient fait une magistrature élective de deux juges siégeant à Burgos, qu'ils remplacèrent, quelques années après, par un comte. Après la mort d'Ordogno (923), son frère, Froïla II ne régna que treize mois pour transmettre le trône à son fils Alphonse IV, qui bientôt préféra le cloître. Ramire, fils d'Alphonse (927), força le khalife à la guerre. La nouvelle Castille envahie, Madrid prise et détruite (932), la victoire d'Osma, l'émir de Saragosse reconnaissant la suzeraineté du roi de Léon, telles furent les causes de cette troisième guerre ou Abdérame ne fut pas vaincu. Malgré l'alliance de Ramire et des Navarrais, la bataille de Simancas (938) resta incertaine, et le khalife assiégea Zamora. Toute l'opiniâtreté espagnole s'acharna à défendre cette ville. Sept murs l'entouraient ; les deux premiers forcés les Arabes rencontrèrent la garnison entre le troisième et quatrième derrière un large fossé. Ils combattaient de loin et tombaient en grand nombre sans avancer ; à la fin, les morts comblant la place, les autres passèrent par-dessus, et la garnison recula ; mais trois enceintes restaient ; pour les enfoncer, il fallut les détruire sous les coups de l'ennemi ; la ville fut prise ; mais à peine Abdérame en avait relevé les fortifications, que déjà Ramire en était maitre. Le khalife combattit encore pendant un an pour la reprendre, et vainqueur à San-Estevan de Gormaz (940), conquérant une seconde fois de Zamora, il fit la paix en 942. C'est la gloire éternelle d'Abdérame III, que d'avoir résisté à de pareils ennemis. Il acquit ainsi le droit de jouir de sa puissance. Ramire resta en repos jusqu'à la fin de son règne (960). Son fils Ordogno III combattit pendant cinq années, sans rien conquérir, pilla Lisbonne et la démantela, mais ne la conserva pas (955) ; après lui, des troubles intérieurs agitèrent Léon. Le khalife, tranquille enfin, correspondait avec l'empereur d'Orient, et avec le nouvel empereur d'Occident, Otton qu'il essayait de convertir à l'islamisme. Il déployait aux yeux des Arabes une magnificence inconnue en Europe. Ses revenus particuliers s'élevaient à 12.945.000 dinars (325.000.000 de francs) ; ceux de l'État, bien plus considérables, étaient entretenus par l'Almonarefazgo, le droit de douze pour cent sur l'entrée et la sortie des marchandises, l'alcavala ou le dixième de la vente des immeubles, l'azaque ou la dîme du produit des terres, enfin le cinquième de la fortune annuelle des juifs et des chrétiens. Toutes ces richesses payèrent de magnifiques constructions, mais aucune n'égala le palais de Zehra, bâti en l'honneur de la sultane favorite. Il coûta 96 millions et 25 années. Douze cents colonnes de marbre d'Espagne, de Grèce, d'Italie, soutenaient l'édifice ; la salle d'audience était incrustée d'or et de pierreries. Les Arabes en font une description somptueuse, comme d'un palais enchanté. Cordoue n'était pas moins brillante. On y comptait deux cents douze mille maisons, quatre-vine-cinq mille boutiques, six cents mosquées, neuf cents bains publics, soixante-dix bibliothèques et dix-sept grands établissements pour l'instruction de la jeunesse. Au milieu de tant d'éclat, Abdérame avait pourtant senti le néant des grandeurs humaines ; il laissa un journal de ses actions, où il exprime ce sentiment : J'ai maintenant régné plus de cinquante ans, toujours victorieux ou en paix ; j'étais chéri de mes sujets, redouté de mes ennemis, et respecté de mes alliés. J'ai obtenu, au gré de mes désirs, la richesse et les honneurs, la puissance et le plaisir, et il semble que rien sur la terre n'ait dû manquer à ma félicité. Dans cette situation, j'ai compté avec soin les jours de bonheur véritable qui ont été mon partage, ils se montent à quatorze....... Ô homme ne place pas ta confiance dans ce monde ! Quand il mourut (961) le peuple de Cordoue s'écria : Notre père n'est plus ; son glaive est rompu, le glaive de l'Islam ; il était le soutien de la faiblesse, la terreur de l'ambition et de la violence, il n'est plus. Toutefois cette crainte d'une ruine prochaine était encore mal fondée. Al-Hakem II, fils d'Abdérame, continua la prospérité musulmane. Il avait passé ses plus belles années à former une riche bibliothèque, réunissant à grands frais les livres les plus précieux de géographie, d'histoire, de généalogie. Ses nombreux agents, répandus en Syrie, à Bagdad, en Perse, achetaient ou faisaient copier les meilleurs ouvrages arabes. Le catalogue de la bibliothèque de Méruan comprenait quarante-quatre volumes de cinquante feuillets chacun ; devenu khalife, Al-Hakem éleva un de ses frères à la dignité de bibliothécaire ; un autre reçut la direction des académies, ou sociétés savantes que les hommes les plus célèbres de l'Orient avaient établies à Cordoue. Un riche habitant de cette ville y avait fondé une académie de quarante membres qui se réunissaient souvent pendant les trois mois de l'hiver, dans une salle richement décorée et parfumée des plus précieuses essences. Après de longues dissertations de littérature ou de philosophie, le fondateur les recevait à une table splendide, pour les délasser des travaux du jour. L'agriculture et le commerce fleurirent sous Al-Hakem. Les aqueducs construits dans les plaines de Grenade, de Murcie et de Valence, servirent à l'arrosement des champs et des prairies. Chaque province se couvrit de plantations appropriées au sol et au climat. Les plus riches Arabes cultivaient eux-mêmes leurs jardins délicieux, tandis que la masse de la nation, préférant la vie nomade, introduisait l'usage de la mesta, conduisant ses troupeaux de brebis du nord au sud, de l'est à l'ouest pour chercher alternativement la chaleur et la fraicheur. Le khalifat comprenait alors, outre Cordoue la capitale, six grandes villes, Tolède, Mérida, Saragosse, Valence, Grenade et Murcie, où siégeaient les gouverneurs militaires appelés Wali, quatre-vingts villes du second rang, et trois cents villes du troisième rang. Les rives du Guadalquivir étaient bordées de douze cents villages. Il ne faut pas chercher de comparaison entre ces hommes au luxe asiatique, et les chrétiens du nord. A leur tour les Arabes semblaient l'emporter. La vieillesse tenait en repos le Navarrais Garcie Ier après tant de fatigues. En Léon, Sanche Ier, fils d'Ordogno III, persécuté par ses vassaux, avait eu besoin des secours d'Abdérame pour se maintenir sur le trône. Attaqué en 963 par Al-Hakem, il vit prendre San-Estevan, Salamanque et Zamora ; il demanda la paix en 965, et avant de mourir (967) reconnut l'indépendance de la Vieille-Castille., et du comte de ce pays, Ferdinand Gonçalez. Cependant cette vie d'élégance et de plaisir que menaient les Arabes, hâtait leur affaiblissement par la mollesse. Les docteurs avaient averti Al-Hakem que le climat de l'Espagne énerverait les musulmans si l'usage du vin leur était défendu ; le khalife refusa de le croire, et fit extirper les deux tiers des vignes. Mais déjà son fils, Hescham II (976), était la victime de cette mollesse. Sobetha, veuve d'Al-Hakem, donna toute sa confiance à l'adjeb Mohammed, qui, pour aimer les lettres et la société des poètes, n'était ni moins brave, ni moins ambitieux ; Mohammed fit périr l'oncle d'Hescham, et les grands qui auraient gêné son autorité ; rassembla une armée formidable d'esclaves égyptiens et berbers, et enferma le khalife à l'intérieur de ses palais et de ses jardins, dans les délices d'une insouciante sécurité. Il se chargea seul de la guerre, et chaque année dirigea ses courses vers la Catalogne, la Galice ou Léon. Tant qu'il vécut, il soutint son surnom d'Almanzor ; chaque année fut marquée par plus d'une victoire. En 985 il envahit les Marches Espagnoles, et prit Barcelone qu'il garda trois ans. En 990, tandis que d'autres musulmans pénétraient en Navarre, et s'en faisaient chasser par le roi Sanche II, Mohammed envahit le royaume de Léon ; le roi Bermude II, ne se fiant pas aux fortifications de la capitale, avait transporté à Oviedo les saintes reliques et les trésors des églises. Après un an de résistance, Léon fut prise. Tous ceux qui ne périrent pas furent esclaves des Maures. Cinq ans après (995), Mohammed gagna la bataille de l'Ezla, pénétra en Galice (997), et pilla Saint-Jacques-de-Compostelle. Mais le danger réunit tous les princes chrétiens. Le comte de Castille, Garcie Fernandez, joignit Bermude II ; le Navarrais Garcie III, le Trembleur, envoya ses troupes. Bermude, malade de la goutte, voulut assister au combat, porté dans une litière. Ce fut près du château de Calcanasar, dans la province de Soria, que fut livrée à Almanzor la cinquante-septième bataille où ce vainqueur assista, et la première qu'il perdit. Sa déroute fut complète, il ne put survivre à son désastre, et sa mort décida la ruine du khalifat de Cordoue. Sobetha mourut l'an 1000, l'année même où apparaissait en Navarre Sanche III, le Grand dont la Famille était destinée à régner sur toute l'Espagne chrétienne. III Le fils d'Almanzor, Abdelmelic, perdit ses efforts soutenir l'indolent Hescham II. Un des proches du khalife, Mohammed, fit proclamer la mort du prince, et ordonna les obsèques d'un cadavre qui lui ressemblait. Mais Mohammed ne dura pas ; la garde africaine, qu'il voulait écarter de Cordoue, animée par son chef Soliman, et soutenue par le comte de Castille, tua vingt mille ennemis, entra dans la ville et proclama Soliman. Mohammed, vainqueur à son tour, puis vaincu fit reparaître Hescham II. Mais Soliman revint ; Mohammed était mort décapité, Hescham disparut pour toujours, et Soliman devint khalife (1012). Cette chute rapide des Ommiades hâta bien mieux la fin du khalifat. La révolte engendrant la révolte, Soliman crut la prévenir en livrant à ses amis des villes et des provinces à titre héréditaire. Aussitôt les gouverneurs de Grenade, de Carmona, Xérès, Séville, Badajoz, Valence Tolède, Saragosse, déclarèrent leur indépendance, et le gouverneur de Ceuta, Ali-ben-Hamoud, qui se disait issu d'Ali, détruisit Soliman dans une bataille, se nomma défenseur de la loi de Dieu (anasir Ledinala), et régna quelques mois (1016). Mais la famille Ommiade réclamait. Abdérame IV se faisait reconnaître à Jacca ; Hamoud étant mort dans un bain, son frère Al-Casim lui succéda, et fut aussitôt attaqué par son neveu Yahyé. Ainsi les prétendis Alides luttaient entre eux et contre les Ommiades. Yahyé l'emporta sur son oncle, le chassa, le poursuivit, et finit par le mettre à mort. Il crut un moment vaincre aussi les Ommiades, en tuant Abdérame IV (1023) ; mais les Ommiades lui opposèrent successivement Abdérame V et Mohammed III. L'Ommiade régnait à Cordoue, l'Alide sur Malaga, Algésiras, Ceuta, Tanger. Les exactions de Mohammed III le faisant détester, Yahyé réunit le khalifat et siégea à Cordoue. Mais à sa mort (1026), l'Ommiade Hescham III, le remplaça. Ce fut le dernier khalife d'Occident. Pendant trois ans il avait refusé de résider à Cordoue ; il essaya de ramener les gouverneurs indépendants à l'obéissance, et toutes les possessions arabes à l'unité. Comme on méprisait ses avis, il prit les armes, fut vaincu, et en parlant de traiter avec les rebelles, fit murmurer le peuple de Cordoue qui demanda sa déposition. Hescham III se retira (1031), et le khalifat finit en lui. A la place du khalifat, dix-neuf royaumes indépendants se partageaient l'Espagne arabe. Les principaux étaient ceux de Tolède, de Saragosse, de Valence, de Murcie, Cordoue, Grenade Malaga, Séville, Badajoz, Algarve et Majorque. Il en était bien autrement des royaumes chrétiens. Le roi de Léon, Alphonse V, fils de Bermude II (1006-1027), avait profité de l'embarras des musulmans pour réparer les victoires d'Almanzor et restaurer Léon. La Navarre avait acquis par le mariage du roi Sanche II, le comté de Jacca institué par Charlemagne, et qu'on nommait encore Aragon, de la vallée d'Aragues qui en faisait partie. Le comte Sanche de Castille (1019) avait conquis Sepulvéda, une des plus fortes places de l'Espagne. Cependant le roi de Navarre, Sanche III, avait épousé la sœur du comte de Castille. Ce prince ayant été tué en 1028, Sanche de Navarre prit possession de la Castille, au nom de sa femme. Un fils de Sanche, Ferdinand, avait épousé la sœur de Bermude III, roi de Léon, il fut décidé que Ferdinand serait roi de Léon, si Bermude ne laissait pas de postérité. Sanche III mourut en 1035. La Navarre passa à son fils Garcie III, l'Aragon à Ramire, les provinces de Soprarbe et de Ribagorce à Gonçalez, la Castille à Ferdinand. Mais Gonçalez mourut après trois ans, Ramine hérita de ses domaines. Ferdinand, en 1037, hérita du Léon, Ainsi la famille d'Aznar remplaça en Léon la famille de Récarède ; les Wascons s'imposèrent pour rois aux fils des Goths : et une même famille gouverna les trois royaumes de Navarre, d'Aragon et de Léon-Castille. Le nom de Léon s'effaçant peu à peu, celui de Castille prévalut. IV Le grand roi de l'Espagne, après Sanche III, c'est le roi de Castille, Ferdinand Ier, qui combattit les infidèles pendant trente ans, et légua aux chrétiens la valeur du Cid qu'il avait armé chevalier. La Navarre et l'Aragon semblaient avoir renoncé pour quelque temps à la lutte chrétienne ; Ramire et Garcie se faisaient la guerre ; Ferdinand lui-même, obligé de se faire reconnaître par la force en Galice, s'occupa d'abord de consolider sa puissance par des institutions. Pendant ce temps, quelques-uns des petits rois arabes essayèrent de régner. A Cordoue, Aboul-Housam Gehouar, le principal ministre du dernier Ommiade, arrivait au trône, pour sa justice et sa sagesse. Il substituait au pouvoir despotique du khalife, une aristocratie représentée par un divan dont il se réservait la présidence. Il refusait d'habiter le palais du khalife, supprimait les avocats, et chassait les nombreux charlatans qui prétendaient exercer la médecine malgré leur ignorance ; enfin les marchés bien pourvus entretenaient l'abondance dans tout le royaume. Mais celui qui devait détruire Cordoue régnait à Séville depuis 1022. C'était Aboul Casim Mouhamed Aben-Abad, fils d'un riche musulman de l'Andalousie. Son père s'était fait par ses richesses une grande réputation de bienfaisance et de vertu. Le fils, nommé cadi de Séville, s'en empara, et fonda la dynastie des Abadides, une des plus célèbres de l'Espagne musulmane, surtout par les malheurs de son dernier prince. Enfin Tolède, la ville si souvent rebelle aux khalifes, tant de fois révoltée et tant de fois vaincue, après avoir, sous les derniers Ommiades, suivi la fortune de l'émir Ben-Naïs, avait passé à Ismaël-ben-Dylnun, le véritable fondateur de ce royaume. Cependant Ferdinand de Castille était prit pour la guerre ; l'an 1044, il se tourna vers cette partie de la Lusitanie, conquise autrefois par le grand Alphonse, et perdue depuis pour les chrétiens ; il prit Viseu et Lamégo qui passait pour imprenable ; l'année suivante, il prit Coïmbre ; en 1046, il chassa ce qui restait de musulmans dans la Vieille-Castille. Son père avait distrait quelques domaines de la Castille, pour en augmenter la Navarre. Ferdinand (1051) attaqua son frère Garcie, le tua, reprit ses domaines ; puis il revint contre les Maures. Depuis 1045, il n'y avait plus de royaume de Cordoue, Aben-Abad de Séville l'avait usurpé par une perfidie. Ferdinand s'efforça de rendre tributaires les rois maures de Saragosse de Tolède a de Séville. Déjà la Castille lui avait donné Rodrigue, fils de Diègue, né à Bivar. C'est le héros de l'Espagne chrétienne, le Campeador (Campidoctus), le Cid ou seigneur des Arabes vaincus. Dès l'an 1061, il partagea la gloire de Ferdinand. Dun côté le roi castillan attaqua le roi de Tolède, Almamoun, fils d'Ismaël et l'obligea au tribut. De l'autre, Sanche, fils aîné de Ferdinand, aidé par le Campeador, rendit tributaire le roi de Saragosse, Almoktader, et battit, à Graos, Ramire d'Aragon que l'humiliation de Saragosse avait effrayé et armé contre les siens. Ferdinand allait encore soumettre au tribut le second Abadide de Séville, quand celui-ci se délivra en remettant aux chrétiens le corps de saint Isidore, qui fut transporté en grande pompe dans la ville de Léon. Zamora, fortifiée de nouveau et repeuplée par des familles des Asturies et de la Galice, fut le dernier acte du grand Ferdinand. Une imprudence pareille à celle de son père ralentit après lui les efforts des chrétiens. Il avait trois fils et deux filles ; il les admit tous au partage. Sanche reçut la Castille, la partie orientale des Asturies et la suzeraineté de Saragosse ; Alphonse eut Léon, le reste des Asturies, Salamanque et le tribut de Tolède ; Garcie la Galice, une partie de la Lusitanie et le tribut de Badajoz. Les deux filles reçurent les villes de Topo et de Zamore ; ce fut leur infantaticum ou leur apanage d'infants, titre dont on se sert pour désigner les enfants des rois d'Espagne. Pendant quelque temps il n'y eut que le second roi d'Aragon, Sanche Ier Ramirez, qui combattit les Maures par une lutte acharnée autour de Balbastro. D'autres soins occupaient les héritiers de Ferdinand ; la valeur de Rodrigue même se perdait dans les querelles intérieures. Sanche de Castille, après avoir dépouillé son frère Garcie, enfermait Alphonse, qui, s'évadant par une ruse, s'enfuit auprès du roi de Tolède Almamoun. Sanche voulait encore dépouiller ses sœurs, mais il périt assassiné devant Zamora (1072). Alphonse reparut aussitôt ; les Castillans offrirent de le reconnaître s'il affirmait par serment qu'il n'était pour rien dans la mort de Sanche : et le Cid reçut ce serment que les autres n'osaient plus recevoir après l'avoir demandé. Garcie reparaissant aussi pour réclamer son ancien royaume, Alphonse le fit saisir et enchaîner. Garcie s'obstina à garder ses chaînes pour déshonorer son frère. Il voulut même que l'on gravit sur sa tombe son effigie enchaînée, Alphonse VI[1] fut donc seul roi comme son père : quelques années après (1076) le roi d'Aragon s'empara de la Navarre. Il ne restait plus que deux royaumes chrétiens en Espagne. Le Cid grandissait aussi. Il venait d'épouser la belle Chimène, petite-fille de par sa mère, d'un ancien roi de Léon, et ajoutait de vastes domaines aux domaines de son père. La crainte revint aux musulmans. Les succès d'Alphonse, en augmentant cette crainte, allaient attirer sur l'Espagne une nouvelle invasion[2]. |