HISTOIRE DU MOYEN ÂGE

SECONDE PÉRIODE

 

CHAPITRE TREIZIÈME.

 

 

Seconde invasion. — Fondation de la Russie. — Pologne, Danemark, Suède et Norvège.

 

Au milieu du IXe siècle, de nombreuses tribus couvraient l'ancienne Sarmatie. Au nord, près de la Baltique, les Tchoudes et les Slaves proprement dits, sur les bords du lac Ilmen, chez qui s'élevait Nowogorod la grande ; au-dessous d'eux les Radimitches sur la Soja, les Viatitches sur l'Oka : les Drewliens, ou peuples des forêts, occupaient la Volhynie moderne ; les Doulèbes et les Boujaniens le long du Boug ; les Loutitches et les Tivertses possédaient quelques villes le long des rives du Dniéper jusqu'à la mer et au Danube ; chez eux s'élevait Kief, la grande ville du midi. Mais les Khosars, établis au nord du Pont-Euxin avaient impos4 tribut à tous ces peuples excepté aux Tchoudes, aux Slaves propres, et aux Krivitches, leurs voisins orientaux. Les Khosars s'étendaient eux-mêmes jusqu'au Volga, et derrière le Volga, les Petchenègues se disposaient à envahir.

On raconte que les peuplades libres du nord, fatiguées d'une liberté tumultueuse, appelèrent des maîtres étrangers. Le Danemark et la Norvège avaient envoyé leurs Danois ou leurs Northmans à la France, à l'Angleterre, à l'Italie même ; la Suède envoya ses Russes ou Warègues aux Slaves ; c'étaient toujours des Scandinaves sous un autre nom.

Vers l'an 862, trois frères, sortis du Ros-Lagen[1], Rurik, Sinéous et Trouvor, arrivèrent près du lac Ilmen. On les reçut comme des amis et des protecteurs, et on leur permit de se bâtir des villes, Rurik fonda le vieux Ladoga ; Sinéous, Bielozero le lac Blanc ; Trouvor fonda Isbork chez les Krivitches. Mais bientôt, par la mort de ses frères, Rurik hérita de leurs domaines. Alors, sentant sa force, ii attaqua les privilèges des Nowgorodiens, tua Vadime le Valeureux, leur plus grand citoyen, et punit tous ceux qui avaient défendu la liberté slave ; il distribua les terres et les villes à ses Russes, fonda la noblesse des boyards en donnant les plus fortes places aux plus braves, et commença à substituer le nom des Russes et leur langue au nom et à la langue des Slaves.

Deux Russes s'étaient séparés de lui : Askold et Dir avaient entendu parler de C. P., et ils descendaient vers le midi pour offrir leurs services aux Grecs : mais sur la route, ils trouvèrent la ville de Kief, tributaire des Khosars, la prirent et y régnèrent. Bientôt ennemis de l'empire grec, ils équipèrent une flotte, se firent craindre des empereurs, et, l'on en croit une tradition, leur demandèrent le christianisme. Beaucoup de Slaves se soumirent, et Rurik ne le vit point d'un œil jaloux.

Les deux dominations russes de Nowogorod et de Kief, séparées par des tribus indépendantes, les menaçaient cependant par le nord et par le midi ; ces deux États furent réunis après la mort de Rurik (879). Il laissait un jeune fils, Igor, sous la tutelle d'Oleg. Le régent tua par une ruse Askold et Dir, déclara Igor seul prince légitime des Russes, et entrant dans Kief, il s'écria : Que Kief soit la mère des villes russes. Il eut bientôt soumis les Drewliens, les Severiens, et les Radimitches ; il affaiblit la domination des Khosars, en la repoussant vers l'est, et osa attaquer l'empire de C. P. Avec quatre-vingt mille hommes sur deux mille barques, il franchit le Borysthène, malgré les dangers de treize cataractes, et pour assiéger C. P. par mer, transporta sa flotte sur des roues. La ville des Césars, la Tsargard, comme l'appelaient les Russes, vit forcer les chaînes de son port, et ravager la campagne sous ses murs ; l'empereur Léon le Philosophe demanda à traiter. Les chrétiens payèrent tribut aux Warègues, et réglèrent le commerce des deux nations ; c'était surtout un commerce d'esclaves de prisonniers ou d'hommes privés de leur liberté par un jugement (912).

La Russie était fondée ; Oleg mourut (913), et Igor devint le maitre ; il maintint cette domination si rapidement établie, il écrasa les Drewliens rebelles, battit les Petchenègues qui avaient fait invasion (924), et attaqua l'empire grec avec l'audace et l'activité des hommes du nord. Dix mille barques (941) portèrent les Russes, à travers le Pont-Euxin, en Paphlagonie dans le Pont, dans la Bithynie. Obligé à la retraite par des forces supérieures, il soudoya des Petchenègues, et s'avança jusqu'à la Chersonèse Taurique. L'empereur lui paya le tribut promis à Oleg, et le Russe, après avoir juré le traité devant la statue du dieu Péroun, envoya les Petchenègues ravager les terres des Bulgares, ennemis des Grecs.

Cependant la domination étrangère pesait aux Slaves. Les Drewliens assassinèrent Igor (945), par haine des tributs. Mais Swiatoslaf, fils d'Igor, lui succéda sous la tutelle de sa mère Olga. Les Drewliens aussitôt attaqués, furent pillés pendant un an, leur ville principale brûlée, et cinq mille hommes rassemblés dans des jeux, massacrés pour venger Igor. Swiatoslaf attaqua ensuite les Viatitches, toujours tributaires des Khosars, les soumit, et s'avança jusqu'au Volga ; restaient les Khosars au midi, le prince russe se joua de leurs efforts, les battit en plaine, emporta leur grande ville, et effaça leur domination ; il put soumettre les Yasses et les Kassogues qui habitaient entre le Pont-Euxin et la mer Caspienne, alors appelée mer des Khosars.

Un autre peuple scythique tomba aussi sous les coups de Swiatoslaf. De riches présents envoyés par l'empereur Nicéphore Phocas entraînèrent soixante mille Russes contre les Bulgares (967). Preslaff, l'ancienne Marcianopolis, fut prise inopinément ; les Russes, déjà séduits par le climat de la Mœsie, voulaient y demeurer, mais une invasion des Petchenègues rappelait Swiatoslaf, ils assiégeaient dans Kiel sa mère et ses enfants. Son retour rapide les chassa ; mais il ne prit pas le temps d'assurer la délivrance de la Russie ; il se contenta d'en partager le gouvernement à ses fils, plaça Iaropolk à Kief, Oleg chez les Drewliens, Wladimir à Nowogorod, et retourna en Bulgarie pour en faire le siége de son empire. Le Bulgare Boris se reconnut son vassal. Mais le nouvel empereur, Jean Tzimisces, ordonna aux Russes d'évacuer la Bulgarie ; comme ils refusaient, il les attaqua, les força à la retraite, et Swiatoslaf ne put regagner Kief ; il Fut tué par les Petchenègues, qui firent une coupe de son crâne (937).

La coutume barbare des partages, qui a si longtemps divisé les nations modernes, et qui devait plus tard amasser tant de douleurs sur la Russie, venait d'ire introduite par Swiatoslaf. Mais le mal cette fois ne fut qu'une guerre civile de sept ans. Iaropolk, prince de Kief, tua son frère Oleg, et força Wladimir à fuir en Suède. Mais en 980, Wladimir reparut avec d'autres Russes, y joignit les Nowgorodiens, les Tchoudes et les Krivitches, assiégea Iaropolk, et le tua comme il avait fait Oleg ; alors Wladimir fut seul maître, et continua l'organisation de la Russie.

Il enleva au duc de Pologne, Micislas Ier, les villes de Tcherven, de Peremiszl et quelques autres qu'on appela villes tchervéniennes ; c'est la Russie Rouge, aujourd'hui la Gallicie. Il attaqua et soumit les Bulgares d'Orient, dans le pays de Masan, et honora par de sanglants sacrifices les dieux russes et slaves auteurs de tant de succès. Mais il manquait aux Russes le grand moyen d'organisation des États modernes, le christianisme. Leur grand dieu, c'était Péroun, le créateur de la foudre : son image, élevée sur une colonne, dans la place de Kief, semblait veiller sur le palais du prince, qu'elle regardait en face. Le corps était de bois, mais la tête était d'argent, et la moustache d'or ; sa main tenait une pierre façonnée eu Foudre, brillante de rubis et d'escarboucles. Un feu éternel consumait à ses pieds des animaux, des prisonniers, quelquefois des enfants offerts au dieu par leurs mères. D'autres divinités partageaient avec Péroun, les hommages des sujets de Wladimir, Swailowid, l'œil du monde, le bon génie ; Tchernobog, le dieu noir, le mauvais esprit ; d'autres adoraient Woloss, le dieu du bétail, Stribog, le dieu des vents. Cependant quelques-uns étaient chrétiens. On avait entendu à Kief les missionnaires demandés par Askold et Dir. Olga, mère de Swiatoslaf, était allée à C. P. se faire baptiser, et prendre le nom d'Hélène, et après les dernières conquêtes de Wladimir, comme il fallait à Péroun des victimes humaines, le sort avait désigné deux chrétiens, que l'Église grecque honore sous les noms de saint Féodor et de saint Iwan.

Une tradition rapporte que trois peuples essayèrent alors de convertir les Russes. Les Bulgares offraient à Wladimir le paradis de Mahomet, mais la défense du vin les fit repousser. Les Juifs vinrent ensuite, et parlèrent du Dieu unique ; mais quand ils dirent que ce Dieu les avait dispersés sur toute la surface de la terre, Wladimir les repoussa à leur tour : Je veux une patrie, dit-il ; je ne veux pas d'une religion qui me mette sans patrie. Enfin parut un Grec qui parla du christianisme, de l'Ancien et du Nouveau Testament, des sept conciles, qui décrivit le paradis et l'enfer, et promit au prince le paradis en échange du baptême. Il fut écouté ; par le conseil de ses boyards, Wladimir envoya examiner la religion des Grecs, et sur les rapports de ses envoyés et aux acclamations des boyards, il résolut de conquérir le christianisme.

988. Basile II et Constantin VIII régnaient à C. P. Wladimir s'empare de Théodosie (Caffa), de Cherson, et menace les empereurs d'assiéger C. P., s'ils ne lui donnent en mariage leur sœur, Anne. La princesse fut livrée, et la femme grecque convertit les Russes comme tant d'autres femmes avaient converti les autres barbares. Wladimir, baptisé, éleva une église à Cherson et de retour à Kief, détruisit les idoles, et ordonna aux siens de se faire baptiser. La cérémonie se fit dans le Dniéper. Tous entrèrent dans l'eau jusqu'à la ceinture ; les mères tenant leurs enfants sur leurs bras, tandis que sur les deux bords les prêtres chrétiens récitaient les prières du baptême. En ce grand jour, les cieux et la terre tressaillirent d'allégresse[2], et la Russie sembla cesser d'être barbare. Une église fut bâtie au lieu du martyre de Féodor et d'Iwan, Wladimir abolit la peine de mort, et m'aima plus la guerre ; le pauvre, le malheureux fut protégé par Dieu même ; les lois de Wladimir enlevèrent à la juridiction séculière les moines, les hommes d'église, les médecins, les estropiés, les maisons d'hospitalité. Lee évêques décidèrent sur les poids et mesures, les empoisonnements, la profanation des temples, les spoliations de tombeaux, l'idolâtrie, les injures indécentes, les mariages illégaux, et la magie. Enfin la civilisation commença. Wladimir fonda une école, et força les mères d'y envoyer leurs enfants. Les pansues Femmes, dans leur ignorance, avaient cru d'abord qu'on voulait les tuer, et regardaient l'écriture comme l'invention la plus redoutable des sorciers.

La Russie commençait il faire une nation : deux peuples s'y trouvaient mêlés, les Russes et les Slaves ; mais Les Russes dominaient. Toutes les fonctions leur étaient réservées ; ils formaient le conseil du prince, partageaient son pouvoir ; tous les traités étaient conclus au nom du prince et de ses boyards.

Ceux qui gouvernaient les villes s'appelaient princes, et leurs enfants pouvaient leur succéder, plaisait au souverain. Déjà des lois civiles avaient lité imposées à tous aux vainqueurs et aux vaincras : la composition, la peine du talion était en usage : le serment était une garantie ; celui qui affirmait par serment qu'il ne pouvait payer l'amende, était absous : le voleur était forcé à rendre le double ou le triple. Enfin le commerce avait déjà enrichi les Busses. Nowogorod, centre du commerce avec les peuples du nord, vendait aux Scandinaves des étoffes, des vêtements d'or et des pelleteries. Au temps d'Oleg on connaissait les vins grecs, et ces fruits des pays méridionaux qui avaient attiré les Normands en Italie. A la cour de Wladimir, on vit une vaisselle d'argent, des vêtements de soie et de pourpre, et des chaussures de maroquin.

Les Russes avaient donc la terre, le christianisme, un peu de civilisation il leur manquait une législation complète, elle leur fut donnée par Iaroslaf.

Wladimir était mort en 1015. Avec lui disparut l'unité de la Russie. Il avait douze fils qui reçurent de lui des principautés sous sa dépendance. Les deux .principaux étaient Iaroslaf, prince de Nowogorod, et Swiatopolk, fils adoptif de Wladimir, qui s'empara de Kief. Cependant l'unité était encore possible. Swiatopolk tua un de ses frères, puis fut battu et chassé par Iaroslaf. Celui-ci, maître de Kief, partagea quelque temps le titre de grand-duc avec Mstislaff, prince de Tmoutarakan, en prenant le Dniéper pour limite. A la mort de Mstislaff, il réunit de nouveau toute la monarchie, soit comme seul duc, soit comme suzerain redouté des autres princes (1036).

Le nom d'Iaroslaf est grand en Russie. Il fut célèbre aussi hors de son royaume. Ses filles épousèrent un duc de Pologne, un roi de Norvège, et Henri Ier, roi de France, un de ses file épousa une princesse grecque. Il aimait les arts comme Wladimir, et attira à Kief des artistes grecs, qui ornèrent les églises de peintures et de mosaïques ; mais sa véritable gloire ce sont ses lois, les rouskaia pravda, ou les vérités russes, promulguées sous son règne.

La nation est partagée en trois classes, comme chez tous les barbares. Au premier rang, les boyards qui remplissent les hautes fonctions dans l'État. Au second, les hommes de guerre et de cour, les marchands et les laboureurs libres ; au troisième, les esclaves qui appartiennent-aux princes, aux boyards et aux monastères. Sont esclaves : l'homme acheté par devant témoins, le débiteur insolvable, celui qui épouse une femme esclave sans aucune condition, celui qui convient d'être esclave pour un temps, et qui prend la fuite.

Le grand-duc est le chef suprême de la justice. La composition pour les meurtres ou tes coups est régularisée. Un homme tue peut être vengé par ses parents, qui ont droit de tuer l'assassin ; mais n'y à pas de vengeurs, l'assassin paye au trésor une amende qui varie selon que le mort était boyard homme libre, Femme, chef de village, pédagogue nourrice ou esclave.

Les coups sont payés par une somme qui varie selon la qualité de l'arme qui a frappé, et la nature des blessures. Le maitre qui, dans un état d'ivresse, a frappé un esclave innocent, lui doit la même composition qu'à un .homme libre.

Le vol est puni par des amendes proportionnées à la valeur des objets volés. On peut tuer le voleur de nuit, ou bien le garrotter ; dans ce cas il est défendu de le tuer. Défense de renverser les limites des champs, d'abattre un arbre creux rempli d'abeilles, défense de nuire aux oiseleurs ; défense d'incendier une maison, sous peine de livrer tout son bien au prince qui estimera le dommage et le réparera.

Le vol et la fuite d'un esclave doivent être annoncés au marché ; celui qui a acheté un objet volé doit le prouver par témoins ; celui qui a donné asile l'esclave fugitif, et qui ne le déclare pas, paye l'amende au trésor.

Il faut sept témoins pour condamner un étranger. Deux témoins suffisent à un varègue qui se plaint. Les témoins doivent être libres. On peut recourir au combat judiciaire. Les affaires se décident en présence de douze prud'hommes. Si les affaires sont portées au tribu.nal du prince, il faut payer l'officier qui partage avec lui le soin de rendre la justice.

Le bien d'un homme de basse condition, mort sans enfants, sera versé au trésor ; s'il laisse des filles, elles ne gardent qu'une partie de l'héritage ; mais le prince ne touche pas aux successions des grands. Les testaments seront fidèlement exécutés. Si un homme meurt sans testaments, ses enfants héritent. Une partie seulement est donnée a l'Église pour le repos de l'âme du mort. La maison paternelle appartient au fils cadet la veuve garde ce que son mari lui a laissé.

Iaroslaf avait maintenu la monarchie, mais lui-même avait renouvelé les causes de discorde, en donnant des principautés à ses fils. Il eut beau, en mourant (1054), nommer son fils Isiaslaf, grand-duc ; ses frères ou les fils de ses frères, qui con.ser%raient encore des principautés, recommencèrent la guerre civile. En même temps les invasions de Petchenègues devinrent plus fréquentes ; on vit apparaître les Poloytsi, ou Cumans, qui erraient depuis longtemps aux anges de la Caspienne, et qui s'établirent au nord de la mer Noire jusqu'en Moldavie. Isiaslaf, attaqué par son cousin, le prince de Polotsk qui réclamait le titre de grand-duc, comme fils du fils aîné de Wladimir, fut chassé un moment, puis rétabli par les secours du Polonais Boleslas II. Attaqué de nouveau en 1073 par deux de ses frères, il passa en Allemagne pour réclamer l'appui de l'empereur Henri IV, et bientôt du pape Grégoire VII.

 

II

Pologne. — La Pologne s'était formée dans la première invasion ; elle ne fut pas touchée par la seconde. Elle a cependant une histoire pendant cette époque ; elle devient chrétienne, el se mêle aux affaires de l'Allemagne ou de la Russie.

Vers l'an 842 commence la dynastie des Piast qui ne devient pourtant célèbre qu'à son cinquième prince, Micislas Ier. Il régnait sur le pays situé entre la Warta et la Vistule, et avait épousé la fille de Boleslas Ier, duc de Bohème (964). Cette femme le porta au christianisme déjà prêché aux Polonais par les apôtres des peuples slaves, Methodius et Cyrille. De nouveaux missionnaires, envoyés par le pape Jean XIII (968) fondèrent deux églises ; et Micislas fit la guerre pour propager sa foi. Il aida les prédications de saint Adalbert, qui fonda en Poznanie l'église épiscopale de Gnezne ; et les Polonais convertis, trouvant trop douce le discipline ecclésiastique, commencèrent le carême à la septuagésime, et eux jours d'abstinente ajoutèrent le mercredi de chaque semaine. Celui qui mangeait de la viande au jour défendu était puni par la perte des dents, à moins qu'il ne payât une grosse amende, On rapporte encore à cette époque l'usage invariable chez tes grands Polonais, de tirer leurs sabres pendant la lecture de l'Évangile. Vers l'an 999, l'église de Gnezne fut érigée en métropole par les soins de l'empereur Otton III.

La Pologne avait subi la suzeraineté allemande au temps d'Otton Ier (v. chap. X, § II). Boleslas Ier, fils de Micislas, osa cependant prendre le nom de roi sans le demander à l'empereur. C'est lui qui s'empara par trahison de la Bohême, et fut obligé par Henri II de la rendre ; il se trouva mêlé à la querelle de Swiatopolk et d'Iaroslaf, et mourut en 1025. Un pieux souvenir s'attache pour les Polonais au nom de Boleslas ; il leur avait ordonné de chanter toujours un hymne religieux avant de livrer bataille.

Son fils Micislas II ne prit. que le nom de duc régna douze ans, et mourut (1037). Casimir, fils de Micislas, obligé de fuir avec sa mère, chercha un asile à l'abbaye de Cluny : rappelé après un interrègne de quatre ans, et délié par le pape de ses vœux monastiques, il vécut en paix et fut surnommé le Pacifique. En 1058, son fils Boleslas II le remplaça, soutint Jaromir en Bohème (v. chap. X, § III), reçut le grand-duc de Russie Isiaslaf, le rétablit, mais se corrompit en Russie. Ce prince contemporain de Grégoire VII rentre désormais dans l'histoire de ce pontife.

 

III

Danemark, Norvège, Suède. — Nous n'avons va jusqu'ici que l'histoire extérieure de ces trois pays, les excursions des hommes du nord, et les royaumes fondés par eux. Il faut indiquer maintenant leur première histoire intérieure. C'est surtout le récit de leur conversion au christianisme. La nouvelle religion en les civilisant les attache peu à peu au sol, et nous explique la fin de leurs invasions.

1° Le Danemark apparaît le premier par les guerres de Charlemagne contre Godefried, l'alliance de Louis le Débonnaire avec Harald, et l'établissement de la marche de Sleswick, au temps de Gorm le Vieux, par Henri l'Oiseleur. Le Débonnaire avait préparé la conversion des Danois au christianisme, en leur envoyant Anschaire moine de Corbie ; Otton Ier la décida.

On commence la chronologie des rois de Danemark au règne de Harald II, Blaatand (Dent-Bleue, 935). Cet homme qui vint secourir Richard de Normandie contre Louis d'Outremer, exerça le premier la suprématie sur la Norvège, qu'il donna selon sa volonté à différents compétiteurs. Vaincu par 04- ton ter, il consentit à se faire chrétien, et reçut les missionnaires de l'archevêque de. Hambourg. Détrôné par son fils Suénon que soutenaient les Danois païens, et rétabli par Richard de Normandie il fut enfin remplacé par ce fils en 985. Suénon, conquérant de l'Angleterre (voyez chap. XIII), soumit également la Norvège, pour se venger du roi Olaüs, et la partagea à trois comtes. Ce règne des trois comtes dura seize ans. Suénon fut remplacé par son fils Canute le Grand, roi d'Angleterre, et le véritable conquérant de la Norvège mal défendue par le roi de Suède un instant trois royaumes furent réunis sous la suprématie de Canute. Le règne de Canute fut utile au Danemark, comme à l'Angleterre. Il encouragea l'agriculture et le commerce pour faire aimer la patrie à ces infatigables aventuriers qui s'étaient montrés à toutes les mers, il corrigea les mœurs barbares des Danois, et surtout leur penchant à l'ivrognerie, et leur donna un code criminel, appelé Withenlog. Il aida à la propagation du christianisme, fonda des évêchés en Fionie, en Seeland en Scanie, il enrichit le clergé et les couvents ; les heureux résultats de son pèlerinage à Rome furent commune aux Danois et aux Anglais.

Hardicanut, qui lui succéda en Danemark, perdit la Norvège ; et à sa mort (1042), un prince norvégien fut roi des Danois. C'est Magnus le Bon. Mais un petit-fils de Suénon Ier, Suénon Estrithson le remplaça en 1047, et fonda la dynastie des Estrithides. Ce prince vicieux fut l'ami d'Adalbert, l'archevêque de Brême, qui gouvernait l'enfance de Henri IV, et un moment prit parti pour cet empereur contre les Saxons, puis se retira pour ne pas combattre les anciens amis du Danemark. Ses vices donnèrent aux Danois le spectacle d'une pénitence publique, que lui imposa l'évêque de Roskild.

2° L'histoire de la Norvège pendant cette époque, ou plutôt l'histoire du christianisme dans ce pays, ne commence véritablement qu'en 995. Alors parut Olaüs qui avait connu le christianisme, au milieu de ses courses aventureuses, et qui reçut la confirmation en Angleterre (voyez ch. XII). Dès qu'il fut roi, il s'occupa de convertir ses sujets, donnant aux convertis ses sœurs en mariage, ou les biens confisqués de ceux qui refusaient. Saint Martin de Tours fut proclamé le patron de la Norvège. Olaüs détruisit le grand temple de Hlada bâtit (997) Drontheim, où il fit sa résidence, et se mit à la tête d'une armée pour convertir le Helgeland la province la plus peuplée de la Norvège.

Battu par Suénon de Danemark, Olaüs périt (1000), et pendant seize ans régnèrent les trois comtes. Enfin en 1016, Olaüs II, surnommé le Saint, rétablit l'indépendance de la Norvège, et reprit la prédication du christianisme. Il établit des instituteurs qui devaient apprendre au peuple cette religion, et régla l'organisation des églises par le kriglinrett ou droit ecclésiastique, qu'un évêque anglais avait rédigé. Canute renversa Olaüs, mais sans préjudice pour la vraie foi ; il fonda lui-même, près de Drontheim, le premier monastère de Bénédictins.

Les Norvégiens revinrent encore une fois à l'indépendance après la mort de Canute. Suénon, son fils qu'il leur avait donné pour roi, fut dépossédé par le fils de saint Olaüs II, Magnus Ier. Le successeur de Magnus, Harold-Hardrada, périt en Angleterre (1066, v. ch. XII). De ses deux fils, l'un Magnus II, régna trois ans ; l'autre, Olaüs III, travailla à la civilisation du pays commencée par le christianisme. Il adoucit les mœurs des Norvégiens, favorisa le commerce, et introduisit les corporations ; les Norvégiens s'habituèrent à la terre, et renoncèrent aux expéditions lointaines.

3° Enfin la Suède apparaît. Vers les premières années du Xe siècle, les fables font place à l'histoire. On connaît un Olaüs qui régna de 933 à 964, et Éric VI, surnomme le Victorieux, qui, selon une tradition, aurait soumis la Finlande, l'Esthonie, la Livonie, la Courlande ; mais ce n'étaient encore que des rois d'Upsal. Olaüs III s'appela le premier roi de Suéa ou Suède, et bâtit la nouvelle Sigtuna. L'ancienne, la demeure d'Odin, fut détruite en 1008 par les Norvégiens, et en effet, la religion d'Odin n'avait plus besoin de temples. Olaüs venait d'être converti au christianisme par l'évêque Sigurd, et de fonder un évêché à Skara dans la Westrogothie. Sigurd et quelques prêtres anglais furent les apôtres de la Suède. Le successeur d'Olaüs, Amand Jacques (1026) et Emund III propagèrent le christianisme. Après Emund III finit la ligne des rois lodbrokiens. Alors on élut Stenkell, iarl ou duc de Westrogothie, qui cependant n'eut pas son fils pour successeur immédiat, mais fut remplacé par Haquin le Roux (1067).

 

 

 



[1] Le Ros-Lagen est une province de Suède, dont les  habitants s'appellent encore aujourd'hui Ros, Rots, Routses (Voyez Karamsin, Histoire de Russie.)

[2] Nestor.