HISTOIRE DU MOYEN ÂGE

SECONDE PÉRIODE

 

CHAPITRE DOUZIÈME.

 

 

Seconde invasion. — Lutte des Anglo-Saxons contre les Danois. — Egbert, Alfred, Canute, Guillaume le Conquérant.

 

I

Au lieu d'une histoire variée, comme dans rem-pire carlovingien, où l'invasion se mêle aux querelles des princes et au démembrement féodal, il n'y a dans l'histoire des Anglo-Saxons, qu'un seul fait, un seul intérêt, la résistance à l'invasion. L'heptarchie s'efforce de s'unir pour opposer l'union d'un grand peuple aux ennemis du dehors. La lutte sera donc plus longue, et les barbares ne prévaudront qu'après trois siècles. Mais leur victoire sera complète ; au lieu d'une province comme la Hongrie ou le duché de Normandie, qui devaient disparaître un jour, ils prendront tout le pays des Anglo-Saxons, pour y fonder une royauté nouvelle qui dure encore.

Egbert, le protégé de Charlemagne, commença la réunion et la résistance. Après neuf ans de repos (800-809), il attaqua les Bretons de Cornwall, conquit les royaumes d'Essex et de Kent (823) ; il combattit les Merciens pour délivrer les Estangles, soumit les rois de Mercie au tribut et au serment de fidélité, et, s'avançant vers la Northumbrie 7 reçut des otages et fut reconnu pour suzerain (828). Quelques-uns des peuples tributaires gardèrent encore des rois, mais Egbert était leur maître ; il était vraiment Bretwalda, et devait transmettre ce titre à ses successeurs au royaume de Wessex. Un ancien auteur l'appelle encore monarque de la Bretagne.

Il montra alors comment on pouvait repousser les Danois ; les barbares avaient pillé l'ile de Shepey (832) ; Egbert réunit tous les peuples de l'heptarchie à Londres, et malgré l'habileté des Danois, alliés des Bretons, il les vainquit dans un grand combat sur les côtes du Wessex. Son successeur, Ethelwulf, chef du pays comme lui, établit dans tous les districts maritimes, des officiers pour rassembler les habitants à la première alarme, et s'opposer au débarquement des barbares : successivement vainqueurs et vaincus, les Danois se lassèrent pour dix ans, et se joignirent a ceux qui menaçaient l'empire carlovingien, mais ils revinrent en grand nombre en 851. Trois cents vaisseaux remontaient la Tamise ; Londres, Canterbury étaient pillées ; mais Ethelwulf les battit à Okeley ; ce fut la plus sanglante défaite des Danois ; vaincus encore dans le Devonshire et sur les côtes de Kent, ils disparurent, laissant à cette année le nom d'année prospère. Bientôt une nouvelle précaution fut prise : dans une assemblée des thanes du Wessex, il fut réglé que le dixième de chaque manoir serait ajouté aux possessions de l'Église : un conseil des États tributaires accepta cette obligation, et en retour, le clergé anglo-saxon désigna le mercredi de chaque semaine, comme un jour de prières publiques contre les Danois.

Jusque alors rien n'avait réussi aux Danois. Ethelwulf leur vainqueur avait pu quitter son royaume, visiter le roi de France, Chartes le Chauve, visiter Rome où il fit couronner d'avance Alfred, son plus jeune fils ; il avait pu encore diviser ses États (858) entre ses deux fils, Ethelbald et Ethelbert, dont l'un régna sur le Wessex, et l'autre sur Essex et Kent ; ce partage n'avait pas été un danger pour les Anglo-Saxons. Ethelbert, qui bientôt régna seul, et que d'anciennes chroniques appellent le conquérant invincible, punit le pillage de Winchester par une brillante victoire ; Regnar Lobrog, l'audacieux roi de la mer qui avait pillé Paris, débarqua en Northumbrie où Osbert et Ælla se disputaient le trône, mais il fut pris par Ælla et livré aux serpents. Les Anglo-Saxons triomphaient.

Mais Regnar, tandis que les serpents le dévoraient, dédaignant le mal et souriant à la mort, avait dit que les fils du sanglier vengeraient leur père. Ethelred Ier (866) venait de succéder à son frère Ethelbert, quand Inguar et Ubbo, fils de Regnar, apparurent en Estanglie. Ils apportaient ce magique étendard que leurs sœurs avaient tissé, ce corbeau qui déployait les ailes quand les Danois devaient vaincre. Ils avaient pris York. Osbert et Ælla ne purent les y forcer ; Osbert tué Ælla fut pris, et Inguar et Ubbo torturèrent avec une joie exquise le meurtrier de Regnar, comme l'aigle qui se venge en déchirant la chair jusqu'aux os. On découpa ses côtes, on arracha ses poumons par les ouvertures ; on couvrit de sel ses blessures saignantes. Ainsi finirent les rois de Northumberland ; les Danois, maîtres des côtes méridionales de la Tyne s'y arrêtèrent pas.

Le roi tributaire de Mercie appela vainement Ethelred. Nottingham reprise n'empêcha pas de nouvelles courses ; la Mercie ravagée pendant six mois, vit périr ses monastères les plus riches, torturer les moines, outrager les religieuses ; le roi mercien, espérant que le torrent passerait comme il était venu, avec rapidité, se tournait contre les Bretons. De la Mercie, les Danois se jetèrent sur les Est-Angles ; le roi Edmond, réduit à ses seuls forces, les licencia et se retirait dans un château quand il fut pris et conduit à Inguar. Il rejeta des offres contraires à sa foi ; on eut beau l'attacher nu à un arbre, le déchirer de coups de fouet, lui percer de flèches les bras et les jambes : le martyr ne céda pas, et sa tête fut tranchée. L'Est-Anglie passa au chef danois Gothrun, et tandis qu'Inguar retournait en Northumbrie, d'autres plus aventureux s'approchèrent du Wessex.

Le bretwalda, Ethelred, résista assez heureusement et gagna la bataille d'Escesdune par la valeur d'Alfred. Alfred (871), successeur d'Ethelred, n'ayant pu vaincre une seconde fois, paya la retraite des Danois. Le roi de Mercie leur offrait des sommes considérables, s'ils voulaient traverser son royaume sans le ravager ; ils acceptèrent l'argent et pillèrent le monastère de Repton, le plus vénéré des Merciens, chassèrent le roi et mirent à la place un de ses thanes. Le misérable, esclave des Danois, se dévoua à les enrichir ; tant qu'il eut quelque chose à prendre pour eux, ils le laissèrent roi, puis lui ôtèrent les insignes de la royauté et le firent périr dans les tortures ; la Mercie n'eut plus de roi.

Il ne restait aux Anglo-Saxons que les districts au sud de la Tamise, et au nord de la Tyne. En 875, Halfdene acheva la conquête de la Northumbrie, marquant son passage par l'incendie des couvents, et les restes mutilés de ses victimes, puis de retour en Bernicie, il la partagea aux Danois, les invitant à l'agriculture. En même temps, Gothrun attaquait le midi ; Alfred, trop confiant, fut vaincu. Il avait d’abord équipé une marine, triomphé des Danois sur mer, et forcé Gothrun à sortir de Wessex ; mais le rusé chef de pirates, attaquant inopinément pendant l'hiver, au lieu de célébrer ses victoires par des fêtes, s'empara de Chippenham. Alfred, déconcerté, renvoya ses thanes et chercha une retraite dans le district de Sommerset : rien ne résista plus à la férocité danoise. Quelques vaincus s'enfuirent sur le côte de France ; d'autres, pour rassasier le vainqueur, livrèrent une partie de leurs biens, et se soumirent. Alfred se cachait, demandant l'hospitalité aux plus pauvres, tandis qu'un eolderman fidèle, errant comme lui, cherchait des partisans et des troupes contre les Danois.

Les Danois n'eurent pas le temps d'affermir leur conquête. Les Anglo-Saxons connurent bientôt la retraite de leur roi ; ils y venaient en grand nombre. C'était une île au milieu de marais. Alfred en sortant avec les siens, tombait sur des partis détachés de Danois, et rapportait leur butin. Il bâtit bientôt un pont pour joindre son île à la terre ferme, et un fort pour la défendre.

Cependant Ubbo, reparaissant avec une flotte nouvelle, ne pouvait forcer le château de Kinwith, il perdait le corbeau, et les Anglo-Saxons reprenaient courage de tous côtés. Alfred sortit de son île, il donna rendez-vous aux siens à la pierre d'Egbert (Brixton) et fut salué comme le vengeur de la patrie. Mais déjà Gothrun les avait aperçus. ; il convoquait ses Danois et les rangeait en bataille. Le combat fut long, et digne de la valeur des deux peuples ; à la fin les Danois plièrent ; mais la vengeance anglo-saxonne n'étant pas complète ; ils poursuivirent les fuyards ; puis, traçant des lignes autour du camp ennemi, ils enfermèrent les Danois. Gothrun ne pouvait échapper. Il lutta quinze jours contre le désespoir et la faim ; alors il parla de capituler. Les conditions étaient la délivrance des Anglo-Saxons (878). Gothrun et les principaux chefs durent embrasser le christianisme, évacuer leurs conquêtes, livrer des otages, garantir le traité par un serment. Gothrun se fit baptiser avec trente de ses officiers, prit le nom d'Athelstan, et de retour en Mercie, il ordonna aux siens de cultiver la terre. Au bout d'un an, il retourna dans son royaume d'Estanglie. Nul chef barbare n'a mieux observé sa parole. Un traité ayant déterminé les limites des deux royaumes, et donné pour séparation la Tamise, la source de la Lee et le cours de l'Ouse jusqu'à son embouchure, Gothrun ne réclama rien au delà, et refusa de se joindre aux efforts d'Hasting, qui lui promettait de nouvelles conquêtes. Par un second traité, Alfred et Gothrn s'engagèrent à propager la religion chrétienne, et à punir l'apostasie, les lois danoises furent assimilées aux lois saxonnes, et les deux monnaies eurent également cours pour le payement des amendes. Les Danois de Gothrun, civilisés par son exemple, s'attachèrent au sol nouveau comme à leur patrie, et le défendirent eux-mêmes contre les autres Danois.

Alfred commençait à mériter le nom de Grand, il le mérita mieux encore par son administration. Il partagea la population entre la défense et la culture des terres. Les habitants des villes et des cités furent chargés de les défendre sous les ordres d'un délégué du roi (king's grerefa). Le reste du peuple, partagé en deux classes, faisait alternativement le service, sous les ordres du roi, ou de l'eolderman du comté. Il fit dresser le plan des côtes et des rivières navigables, et construire des châteaux partout où l'ennemi pouvait débarquer. Sa marine s'agrandit, ses vaisseaux plus longs que ceux des Danois eurent un pont plus élevé ; un nombre de rameurs proportionné au poids des vaisseaux en facilitait la manœuvre, et une sage distribution de flottes dans les ports prévint toutes les attaques.

Les frontières étant assurées, Alfred s'occupa de l'administration intérieure, de la justice d'abord. Les ordonnances d'Ethelbert, d'Ina, d'Offa, rassemblées et modifiées, formèrent un nouveau code. Chaque shire ou comté eut son shiremote (tribunal du comté), assemblé deux fois par an, sous le présidence de l'évêque ou de l'eolderman. Tous les thanes y assistaient, mais quand il fallait de plus fréquentes réunions, un shirereve (shérif), convoquait douze prud'hommes qui prononçaient avec lui. Le roi lui-même, deux fois par an, appelait à son wittenagemot les évêques et les abbés, les earls ou comtes et les thanes qui possédaient quarante hydes. Il délibérait avec eux sur les affaires du royaume. Là il recevait les appels contre les magistrats inférieurs, punissant avec sévérité les prévarications : quarante-quatre magistrats furent exécutés dans l'espace d'un an pour des jugements iniques ou irréguliers. Ainsi la tranquillité se rétablit ; le vol ou l'assassinat contenus par un actif châtiment, devinrent rares, et l'on répéta à la louange d'Alfred, ce qu'on avait déjà dit de Théodose, de Théodoric le Grand, d'Edwin ; que des bracelets furent suspendus sur une route, et que personne n'osa les prendre. Plus tard on a dit la même chose de Rollon.

L'invasion des Danois avait détruit les monastères, et avec eux la civilisation. Alfred attira donc des étrangers savants de la Mercie, de la Vieille-Saxe. Asser de Saint-David, engagé par des présents considérables, promit de résider auprès du roi, pendant sis mois de l'année. Agiter a été l'historien, te panégyriste d'Alfred. L'archevêque de Reims, Hincmar, lui envoya Grimbald, le prévôt de Saint-Omer. Alfred avait alors trente-neuf ans ; à peu près à cet âge Charlemagne avait appris à lire ; Alfred s'appliqua dès lors à l'étude de la littérature romaine. Je me suis souvent étonné, disait-il, que les illustres savants qui ont fleuri chez les Anglo-Saxons, aient la tant de livres étrangers, sans penser à les traduire dans notre langue. Il se mit lui-même à l'œuvre traduisit l'histoire de Bède, et l'Épitomé d'Orose, le Traité de la consolation de Boèce, et la Pastorale de Grégoire le Grand ; faisant ainsi connaître aux Anglo-Saxons leur histoire, et celle des peuples anciens, à tous les hommes leurs devoirs, au clergé les ordres d'un grand pape pour son instruction. Chaque évêque reçut une copie de la Pastorale traduite, et dut la conserver avec soin pour l'usage de son clergé. En même temps de nombreuses écoles s'ouvrirent. Les enfants des hommes libres devaient apprendre au moins à lire et à écrire ; le latin était imposé à ceux qui aspiraient aux fonctions ecclésiastiques.

Le revenu d'Alfred se divisait en deux parts. L'une, divisée en trois lots, payait ses ministres et ses domestiques, les étrangers qui le visitaient, les nombreux ouvriers qui bâtissaient des palais. La seconde moitié, divisée en quatre lots, fournissait aux écoles, à deux monastères, l'un de femmes, sous la direction de sa fille, l'autre d'hommes étrangers qui devaient enseigner de nouveau la vie monastique, oubliée pendant l'invasion, en troisième lieu aux indigents, enfin aux nombreuses aumônes qu'il répandait sur les églises du pays de Galles, de la Northumbrie ; de l'Armorique, de la Gaule. On dit même que ses aumônes allèrent chercher les chrétiens de Jérusalem et de l'Inde.

C'est un curieux spectacle que cette invasion vaincue et réparée, cette renaissance des lettres et des arts alors que les lettres et les arts disparaissaient du Continent, et ce roi, puissant et magnifique, renouvelant Charlemagne, au moment où l'œuvre de Charlemagne subissait, sans retour et sans vengeance, tous les malheurs de l'invasion. De tristes prévisions n'affligèrent pas les dernières années d'Alfred. Suzerain des Danois de l'Estanglie et du Northumberland, maitre absolu de la Mercie qui n'avait plus de rois, il en donna le gouvernement à son gendre Ethered, et reçut l'hommage des rois gallois fatigués de leurs dissensions. Hasting ne put réussir à se faire un royaume, lorsque de nombreux hommes du nord rassemblés dans le port de Boulogne et embarqués sur trois cents vaisseaux, abordèrent sur deux points de la domination anglo-saxonne (893). Gothrun, le fidèle allié d'Alfred, était mort, et les Danois établis se révoltaient. Mais une lutte de trois ans sauva Alfred ; il força Hasting au départ, malgré ses perfidies ; vainquit les Normands qui restaient après Hasting, et les obligea à recevoir un établissement en Estanglie, ou à fuir. De petites escadres qui parurent ensuite furent punies par de sanglantes défaites et l'exécution de leurs chefs.

Alfred mourut l'an 900. Le dixième siècle s'ouvrait donc plus favorable Anglo-Saxons qu'aux autres peuples. Alfred avait réduit les Danois au repos et à la culture des terres, sous son autorité, mais il ne les avait pas chassés. La Mercie était gouvernée par un eolderman à peu près indépendant, comme les grands vassaux de France, l'union n'était pas complète ; mais Edouard Ier, fils d'Alfred, la décida ; il abolit le gouvernement national de la Mercie qui fut réunie à la couronne, il soumit les Danois de l'Estanglie, et déjà les Danois et les Angles du nord lui offraient de le reconnaître, quand il mourut (924) ; son œuvre fut achevée par Athelstan, son fils aîné.

Athelstan chassa les chefs danois de la Northumbrie, rasa le château d'York, effraya le roi d'Écosse, Constantin, qui reconnut sa suprématie, intimida les Bretons de Galles, borna leurs vassaux à la rive gauche de la Wye, leur imposa un tribut de vingt livres d'or et de trois cents livres d'argent, refoula les Bretons de Cornwall au delà du Tamar, et convoqua dans un lieu nommé Eadmote, tous les princes écossais, cambriens et bretons ; ils placèrent leurs mains dans les siennes, et lui prêtèrent serment comme les vassaux à leur lord (seigneur). En vain une expédition étrangère menaça cette grande suprématie. Anlaff (937), fils du dernier roi danois de Northumbrie, parut dans les États de son père ; cinq nations formaient son armée ; Norvégiens, Danois, Écossais, Irlandais et Bretons ; mais cent bannières flottaient au-dessus de l'armée d'Athelstan, chaque bannière était défendue par mille guerriers. La bataille se donna à Brunanbourg. Jamais, depuis l'arrivée des Saxons et des Angles, ces artisans de la guerre, on n'avait vu un pareil carnage en Angleterre. Anlaff échappa, mais en laissant sur le champ de bataille cinq rois de la mer. Alors les hommes du nord saluèrent Athelstan du nom de Conquérant, les chefs danois avaient disparu, les princes bretons vivaient soumis. Tandis que les royaumes du continent perdaient l'unité par le démembrement féodal, l'heptarchie réunie ne portait plus qu'un nom : Athelstan se nommait lui-même roi d'Angleterre.

 

II

La tranquillité qui commence alors pour soixante ans, rarement troublée par quelques efforts des barbares, ne fut pas sans gloire au dedans, ni même au dehors. Athelstan, respecté du roi de Norvège Harold Harfager, reçut de lui un magnifique vaisseau, aux voiles de pourpre, à l'éperon couvert de plaques d'argent, garni à l'intérieur de boucliers dorés. Il éleva le fils d'Harold, Haco, qu'il mit ensuite en possession du trône de Norvège, et le fit accompagner de missionnaires chrétiens. Il avait reçu le fils de Charles le Simple, son neveu, et le renvoya au trône de France, quand les grands vassaux le redemandèrent. Enfin les Bretons de l'Armorique, menacée par les Normands de Rollon, fuyaient en Angleterre. Là fut élevé le petit-fils d'Alain le Grand, qui revint défendre la Bretagne et la maintenir indépendante. Déjà Hugues le Grand avait demandé en mariage une sœur d'Athelstan ; il l'avait obtenue par de magnifiques présents : des chevaux, des parfums, des joyaux, des reliques, l'épée du grand Constantin, et la lance de Charlemagne. Henri l'Oiseleur en demanda une autre pour son fils Otton, la quatrième épousa un prince d'Aquitaine.

Edmond, frère d'Athelstan, dans un règne de six années (940-946) consolida cette royauté en réduisant les cinq bourgs de Mercie, dont il chassa les Danois pour les remplacer par des colons anglais, et en combattant les Northumbres. Ce peuple mixte, d'origine saxonne ou danoise, toujours prêt à la révolte, avait encore reçu Anlaff et Reginald qui se disait roi d'York. Forcés tous deux au baptême par Edmond, ils voulaient se révolter après son départ, et furent chassés par l'archevêque d'York et l'eolderman de Mercie, mais il fallait un dernier coup aux Northumbres. Edmond étant mort assassiné, son frère Edred fut couronné, à la place de ses fils trop jeunes pour gouverner le quadruple royaume des Anglo-Saxons, des Northumbres, des païens et des Bretons. La Northumbrie, aidée encore par les Danois, reconnut pour roi un exilé de Norvège. Edred ravagea le pays sans pitié, mit aux prises Anlaff et le nouveau roi, les détruisit l'un par l'autre, enferma l'archevêque d'York dont la fidélité était suspecte, emmena les nobles northumbres, divisa la Northumbrie comme le reste de l'Angleterre, en comtés, districts et cantons, et fit un comte de Northumberland, sous les ordres du roi.

La délivrance était complète ; l'ennemi du dehors vaincu suspendait pour longtemps ses menaces. Edred finit son règne dans la paix, relevant les monastères, et donnant sa confiance à Dunstan, l'abbé de Glastonbury. Le repos qu'il avait établi ne fut troublé à l'intérieur qu'après sa mort (955), lorsque régna son neveu Edwy, fils aîné d'Edmond. Débauché furieux, ennemi de tous les amis d'Edred, prodigue effronté, Edwy ne pardonna pas à Dunstan qui lui reprochait sa rapacité et ses vices[1], et l'exila ; tandis que les West-Saxons le supportaient parce qu'il descendait de Cerdic, les autres nations se soulevèrent ; Edwy ne put vaincre les Merciens ; son frère Edgar fut reconnu roi dans la Mercie et dans la Northumbrie, et bientôt la mort d'Edwy lui donna le Wessex (959).

Edgar a été surnommé le Pacifique. Son règne semble en effet la pacification de tous les maux, et l'organisation des peuples soumis et de la royauté. Dunstan, rappelé de l'exil, devint archevêque de Cantorbéry, et fut chargé de la réforme du clergé.

D'abord Edgar répara la tyrannie d'Edwy, annula ses actes, satisfit les thanes offensés. La population northumbre, pour être vaincue, n'était pas moins mêlée de Danois impatients. Edgar divisa le Northumberland en deux comtés plus faibles qu'un seul, et plus faciles à surveiller et à contenir ; dans un wittenagemot, à York, il laissa aux Danois leurs coutumes, en soumettant les Angles du pays aux statuts qu'il aurait décrétés avec ses conseillers ; il ajouta qu'il voulait faire vivre en paix le riche et le pauvre dans toutes les parties de ses États, chez les Danois, les Bretons, les Anglais. Il recommanda l'exécution des amendes qu'il avait imposées pour les différents crimes. Mais il ne se fiait pas encore à la fidélité de ces Danois de Northumbrie, qui l'avaient fait roi, et dont il aimait les mœurs ; il prévint leur défection, par l'entretien de flottes nombreuses sur les côtes, toujours prêtes contre les rois de la mer, et lui-même visitait souvent par mer les différentes parties de ses États. Il voyageait aussi sur terre, réformant les abus et les prévarications des magistrats. Il fit cesser les querelles de famille, et les força à céder aux décisions des tribunaux. La monnaie recouvra son poids et sa pureté ; le vol, puni avec justice, cessa presque entièrement, et les habitants de Thanet, depuis longtemps pirates, furent attaqués par l'eolderman de Kent ; le pays fut ravagé, et les plus coupables punis sans jugement. Enfin des loups nombreux ravageaient l'Angleterre. Edgar mit leurs têtes à prix ; chaque noble dut apporter au roi, chaque année, dix têtes ou dix peaux de loups ; le fils aîné du roi devait en apporter cent ; il ne resta pas un loup en Angleterre.

La réforme ecclésiastique, la réparation des maux de l'Église fut plus difficile. La discipline s'était relâchée au milieu de l'invasion ; les monastères détruits, leurs terres, sans propriétaires, avaient passé aux thanes voisins. Edwy avait pillé encore, par haine pour Dunstan. Le clergé libre ne rappelait guère à Dunstan la primitive église ; les clercs autrefois vivaient en communauté, loin des affaires temporelles. L'invasion les ayant dispersés, ils s'étaient partagé les revenus de leurs églises, et de retour dans leurs familles, ils se livraient aux plaisirs, comme les laïques : le célibat ecclésiastique ne s'observait plus avec la même rigueur. Dunstan, primat d'Angleterre, commença par les établissements monastiques. Edgar fut supplié de rendre les terres qui leur appartenaient ; les possesseurs nouveaux consentirent à les vendre, ou les abandonnèrent de bonne grâce. La vie monastique, prêchée par les évêques, protégée par le roi, reprit faveur : on vit s'élever les grandes abbayes d'Ely, de Peterborough, de Thorney, de Malmsbury ; on y accourut de toutes parts. Dunstan s'occupa ensuite du clergé libre. Une commission autorisée par Renie surveilla la réforme. Les prêtres, diacres ou sous-diacres, durent garder la chasteté sous peine de perdre leurs bénéfices ; l'évêque de Worcester réunit en communauté religieuse les chanoines de sa cathédrale ; celui de Winchester, trouvant plus de résistance, appela à son aide le pouvoir royal. la vie monastique l'emporta de toutes parts. Voilà la gloire de Dunstan, il fut en Angleterre le précurseur de Grégoire VII.

Le roi qui opérait tout cela par lui-même ou par sa protection, s'enorgueillissait de son règne heureux et bienfaisant. Il s'appelait lui-même roi des Anglais et de toutes les nations, monarque d'Albion et de tous les rois des îles. Les princes écossais et bretons se reconnaissaient ses tributaires, mais il ne se crut lui-même roi qu'après seize ans, lorsqu'il eut fait le bien. Alors seulement il se fit couronner à Bath. De là il vint à Chester pour recevoir l'hommage de sept rois, les rois d'Écosse, de Cumberland, d'Anglesey et des îles, de Westmoreland, de Galloway, et de trois rois de Galles. On se rendit par eau à l'abbaye de Saint-Jean-Baptiste. Le roi Edgar tenait le gouvernail, et les rois ses vassaux agitaient les rames. Derrière suivaient les prélats et les thanes, dans d'autres barques, et sur les deux rives la multitude frappait l'air de ses acclamations. A la fin de la cérémonie, Edgar dit à ceux qui l'entouraient : Mes successeurs pourront se croire rois, quand ils commanderont à tant de princes. Mais il n'eut pas d'héritier de son règne. Aucune flotte n'avait été assez orgueilleuse, aucune armée assez hardie, pour venir en Angleterre chercher sa nourriture, tant que ce noble roi vécut. Rois et comtes s'inclinaient devant lui, et faisaient sa volonté ; et sans-combat il avait tout gouverné comme il avait voulu. Mais le régulateur des Est-Angles, la joie des West-Saxons, le défenseur de la Mercie[2], mourut quelques mois après son couronnement (975) ; et l'Angleterre perdit sa gloire. Jamais tant de calamités ne l'ont accablée qu'après la mort d'Edgar.

 

III

Une querelle de famille ouvre par un meurtre cette nouvelle époque. Edgar avait deux fils, Édouard et Ethelred, celui-ci né de sa seconde femme. Édouard eut d'abord peine à succéder à son père quoique et lorsque l'éloquence de Dunstan lui eut acquis les suffrages de totales les nations, sa belle-mère le fit assassiner : Ethelred devint roi à dix ans (978).

Les rois de France, en acceptant Rollon, avaient mis fin aux ravages des hommes du nord. Les Normands-Français, devenus ennemis de leurs compatriotes, les repoussaient à leur tour. Il n'en fut pas ainsi de l'Angleterre. Les ravages purent recommencer sans qu'Ethelred II trouvât du secours dans ces Danois, établis près de l'Humber et trop favorisés par Edgar. Le premier aventurier qui parut en 980, pilla sans résistance pendant plusieurs années l'île de Thanet, les côtes de Cornwall, l'île de Portland. Un armement plus considérable en 991 fut éloigné par dix mille livres d'argent. Les rois de France avaient connu l'impôt des Normands ; le danegeld, l'argent des Danois, n'était pas une nouveauté en Angleterre : Ethelred voulut se consoler par ce souvenir de honte.

Mais le danger, toujours renouvelé, paraissait grand. Le wittenagemot ordonna la réunion d'une flotte considérable à Londres soudes ordres de deux eoldermen et de deux prélats. La précaution n'était pas vaine. En 994 parurent Sweyn (Suénon), roi de Danemark, et Olave (Olaüs), roi de Norvège. Avec quatre-vingt-quatorze navires, ils menaçaient la ville de Londres, et pour mieux ravager la terre, ils avaient formé un corps de cavalerie. Ethelred n'osait point résister : il payait déjà 16.000 livres, et cantonnait les barbares à Southampton. Heureusement, Olave, dans une de ses courses avait été converti par un ermite ; il reçut en Angleterre le sacrement de confirmation, promit à Ethelred de ne plus attaquer les peuples chrétiens, et partit ; Suénon affaibli fut obligé de le suivre, mais il ne lui pardonna pas. La rivalité de ces deux hommes permit à Ethelred de respirer. Olave, occupé à la conversion de ses sujets de Norvège, fut attaqué par Suénon ; surpris en pleine mer, trop faible contre des ennemis nombreux, il se précipita dans les flots. Pendant ce temps la flotte d'Ethelred s'emparait de l'île de Man, et en chassait les pirates.

Cependant une nouvelle flotte avait porté la dévastation jusqu'au canal de Bristol ; un danegeld de 24.000 livres avait pu seul les éloigner. Ethelred chercha un allié au dehors ; il s'unit aux Normands de France, contre les Northmans de Danemark. Ethelred venait de perdre sa femme ; par la médiation du pape Jean XV, qui fit cesser une vieille animosité, Ethelred épousa Emma, fille de Richard Ier, duc de Normandie. Le traité établissait une paix perpétuelle entre le roi d'Angleterre et le duc normand, entre leurs enfants nés ou à naître : des amendes répareraient les infractions. Aucun des deux princes ne donnerait asile aux sujets ou ennemis de l'autre sans une permission écrite ; ainsi les Danois n'auraient plus le secours des Normands ; mais Ethelred ne se crut pas assez fort par cette alliance. Il tenta une perfidie qui le perdit (1002). Tous les Danois établis dans l'ile furent massacrés le même jour, à la même heure. Les églises ne furent pas un asile ; on massacra au pied des autels. La sœur de Suénon, devenue chrétienne, et restée en Angleterre comme otage des traités avec les Danois, vit périr ses enfants, et périt elle-même lentement sous des coups de lance ; mais dans son désespoir, elle dit un mot qui allait s'accomplir : Dieu vous punira, et mon frère me vengera.

Suénon les vengea d'abord par une guerre de quatre ans (1003-1007) ; Ethelred, trahi par le gouverneur d'Exeter et par l'eolderman de Mercie n'opposa aucune résistance. Le ravage passa d'un comté à l'autre jusqu'au dernier, chaque village, chaque cité eut son incendie. Le mal ne s'arrêtait pendant l'hiver que pour reprendre avec une force nouvelle au printemps. En quelques lieux le courage des indigènes faisait obstacle, mais les armées anglaises ne pouvaient tenir en pleine campagne contre les Danois. Suénon cependant se fatigua, et pour se retirer se contenta d'un danegeld de 36.000 livres d'argent.

La seconde vengeance vint deux ans après ; le wittenagemot avait formé une flotte, exigeant un vaisseau de celui qui possédait trois cent dix hides de terre, et de celui qui possédait huit hides, un casque et une cuirasse ; mais la division des chefs ôta bientôt tout espoir. Suénon envoyait alors le féroce Thurchil qui avait un frère à venger. Le Danois ravagea les comtés du sud, prit l'Estanglie, découvrit les marais où fuyaient les indigènes, et revint assiéger Cantorbéry. Un traître mit le Feu à quelques maisons, et tandis qu'on travaillait à l'éteindre, les Danois s'élancèrent par une porte forcée. Les moines, le clergé, les femmes, les enfants, s'étaient enfuis dans la cathédrale, l'archevêque accourait au-devant des barbares pour demander la vie des habitants. Il fut enchaîné et condamné à voir périr son église. Une pile de bois fut élevée le long des murs, et les Danois y mirent le feu en hurlant. Bientôt le feu atteignit le toit, le plomb fondait, les charpentes tombaient embrasées sur les réfugiés, ils voulaient fuir, mais à mesure qu'ils passaient, ils apercevaient leur primat enchaîné et tombaient morts sous les sabres danois. Sept mille avaient péri, huit cents étaient captifs ; on épargnait, encore l'archevêque pour en tirer une forte rançon. Il paya enfin son refus par la mort (1012). Alors Thurchil offrit son amitié à Ethelred pour 48.000 livres ; pour de l'argent, les hommes de quarante-cinq vaisseaux donnèrent serment de fidélité, et obtinrent des terres. On voulait à tout prix mettre un terme à cette lutte inégale : on croyait qu'un homme du nord valait dix Anglais.

Mais à la nouvelle des succès de Thurchil, Suénon avait conçu la pensée de conquérir l'Angleterre. Une flotte magnifique, parée des anciennes dépouilles, entra dans l'Humber (1013). Les Anglais surpris, et ne sachant comment se défendre, reçurent l'ordre d'envoyer des soldats et des provisions à l'envahisseur. Il soumit ainsi les Northurnbres, les cinq-bourgs, et tout ce qui est à l'ouest de la Mercie, au nord de Kent ; alors des ordres atroces furent publiés pour la soumission des autres peuples ; ravager le pays ouvert, piller les églises, brûler les villes, tuer par l'épée les hommes et les enfants mâles. Repoussé de Londres, défendue par Ethelred, Suénon appela à Bath les thanes de Wessex, de Mercie, de Northumbrie, et arracha par violence leur serment. Aussitôt Ethelred désespéra ; il recommanda sa femme et ses enfants à son beau-frère, Richard de Normandie et s'enfuit à Wight, et bientôt chez Richard. Cependant ni cette honte, ni ce lâche abandon ne perdaient encore l'Angleterre. Les Anglais ne se croyaient pas vaincus ; Suénon étant mort (1014), ils refusèrent de reconnaître son fils Canute, rappelèrent Ethelred et massacrèrent les Danois ; Canute, contraint de fuir, n'eut que le temps de mutiler les otages anglais ; il leur coupa les oreilles, le nez, les mains, et les laissa tout sanglants sur la côte.

Il était possible peut-être d'achever la délivrance. Les grands se serraient enfin autour du roi, à condition qu'il oublierait les anciennes offenses, et suivrait les avis du grand conseil ; on maudissait la domination d'un étranger. Le fils d'Ethelred, Edmond Côte de Fer, semblait capable par sa valeur opiniâtre de repousser loin l'invasion. Thurchil, fidèle depuis qu'il avait reçu des terres, avait combattu contre Suénon. Mais l'insensé Ethelred s'imaginant qu'il suffisait de massacrer, pour être sauvé, se remit à cette œuvre, sans adresse et sans succès : il frappa les Danois établis, sur leurs terres, ou dans les festins et jusque dans les églises ; Thurchil s'enfuit en Danemark ; en même temps Edmond avait levé une armée ; Edric, gouverneur de Mercie, et favori d'Ethelred, en leva une autre, se prit de querelle avec Edmond, et passa à Canute qui reparaissait. Les efforts d'Edmond furent vains. Roi par la mort de ton père (1016), il lutta pendant un an, livra cinq batailles, sauva Londres, effraya Canute par sa valeur ; mais fut vaincu près d'Ashdown ; alors il traita ; on lui laissa le midi de la Tamise, mais on lui imposa le danegeld pour défrayer le flotte danoise ; et quand il mourut (1017) ses deux fils furent exclus de sa succession ; Canute fut proclamé roi d'Angleterre par toutes les nations.

Canute a été surnommé le Grand, et son règne en fut digne. Son habileté le délivra des princes anglais qui pouvaient réclamer ; les deux fils d'Edmond furent envoyés en Suède, et de là chez Étienne, roi de Hongrie ; les frères d'Edmond, Édouard et Alfred étaient en Normandie avec leur mère Emma, ils espéraient peut-être la protection de leur oncle ; Canute demanda et obtint la main d'Emma, s'allia ainsi au duc de Normandie, et convint que les enfants qui naîtraient de ce mariage lui succèderaient en Angleterre. Les grands pouvaient être dangereux, Canute divisa son royaume en quatre gouvernements, prit sous sa juridiction immédiate le Wessex, donna l'Est-Anglie au Danois Thurchil, le Northumberland à Éric, laissa à Edric la Mercie ; mais bientôt Edric se plaignant que sa trahison n'était pas récompensée, Canute le fit mettre à mort avec ses principaux vassaux, coupables peut-être, de complot contre les Danois.

Cependant il ne voulait pas favoriser les Danois, au préjudice des Anglais. Il commençait à comprendre le christianisme, et déplorait les souffrances des vaincus, la rapacité de son père et la sienne. Il renvoya son année danoise, ne retint que trois mille hommes dont il forma sa garde, et répara les maux de l'invasion.  L'abbaye de Saint-Edmond, cruellement ravagée par Suénon, fut réparée avec magnificence, et richement dotée, pour devenir la plus grande abbaye du royaume. Une église s'éleva sur le champ de bataille d'Ashdown, pour faire oublier le triomphe des païens. Dans un wittenagemot à Oxford, il confirma les lois d'Edgar, et engagea les thanes anglais et danois à oublier les anciennes injures et à vivre amis éternellement. Dans une autre assemblée à Winchester il fit de nouvelles lois, recommandant aux juges la vigilance dans la recherche des crimes, et l'indulgence envers le repentir. Il ordonnait la pitié pour le faible et l'indigent, que l'oppression ou la misère poussent au crime. Défense de vendre les chrétiens à des étrangers, de peur qu'emmenés en des pays lointains, ils ne perdent leur foi par éloignement ou par crainte ; défense d'adorer les faux dieux, le soleil et la lune, le feu et l'eau, les pierres et les fontaines, les forêts et les arbres ; châtiment à celui qui se mêle de magie, et qui se nomme ouvrier de la mort. Le même code distingua et confirma trois sortes de lois, celles des West-Saxons, celles des Merciens, et celles des Danois. Les vassaux du roi ne lui fourniront plus de provisions gratuites ; la table du roi ne sera entretenue que du produit de ses fermes ; enfin aucun lord ne pourra forcer la fille de son vassal à se marier contre son gré. Les Danois et les Anglais devaient observer ces lois, sous peine d'un weregild pour la première infraction, de deux weregild pour la seconde ; et pour la troisième de la confiscation de tous les biens. Les Anglais s'attachèrent donc à cet étranger qui se naturalisait par sa sagesse, et l'impartialité de son gouvernement ; ils le suivirent en Norvège, et la conquirent pour lui. (voyez ch. XIII.)

Son pèlerinage à Rome fut encore utile aux Anglais. Il obtint de l'empereur Conrad II, qu'à l'avenir ses sujets anglais et danois, pèlerins ou marchands, pourraient traverser l'Allemagne sans subir tous les péages établis dans ce pays, et le pape Jean XIX exempta les évêques anglais des sommes exigées jusque-là quand ils allaient à Rome chercher le Pallium. Dans la lettre où il faisait connaître le résultat de son voyage il recommandait encore la justice, l'équité envers les pauvres : Je n'ai pas besoin, disait-il, d'argent levé par injustice. On peut donc croire que, partout où il passait, le peuple s'écriât : Que la bénédiction du Seigneur descende sur Canute, roi des Anglais.

L'invasion que ce roi de la mer, adouci et devenu chrétien, avait établie en Angleterre, aurait été sans doute définitive, si les fils de Canute eussent voulu lui ressembler. Mais à sa mort (1036), les Anglais et les Danois ne s'entendirent pas ; les conditions du mariage de Canute et d'Emma furent violées ; Hardeknut (Hardicanut), né de ce mariage, devait succéder en Angleterre ; mais le comte anglais Godwin, assura la couronne à Harald, fils aîné de Canute et d'une autre femme. Harald attira Emma et les deux fils d'Ethelred ; fit crever les yeux à Alfred, et força Emma de repasser la mer avec Édouard. Emma, dans sa colère, excita son fils Hordicanut, roi de Danemark contre Harald : mais le roi danois irrita encore plus les Anglais. A son arrivée, il n'avait pas trouvé son frère vivant ; il fit jeter son cadavre dans la Tamise, imposa une taxe exorbitante pour le payement de sa flotte, et brûla la ville de Worcester, qui refusait l'argent ; mais bientôt il mourut ; il avait reçu avec honneur le dernier fils d'Ethelred, son frère par sa mère Emma ; le jeune Édouard, surnommé le Confesseur, fut proclamé roi (1042), et la domination étrangère disparut ; le danegeld fut aboli, toutes les lois confondues sous le nom de lois communes, et il ne resta aux Danois que leurs terres.

Cette restauration de la race anglo-saxonne ne prouvait qu'une chose : la haine des Anglais pour les étrangers ; mais l'Angleterre, quoi qu'elle fit, était destinée à une invasion qui ne devait lui laisser que son nom. La Normandie française avait été pour les hommes du Nord une grande station. De là étaient déjà partis les fondateurs du royaume de Naples ; de là devaient partir aussi les conquérants de l'Angleterre. Édouard le Confesseur, élevé en Normandie, avait pris les habitudes normandes ; beaucoup de Normands l'avaient suivi ; on parlait normand pour lui plaire ; on prenait les vêtements, les formules et jusqu'à l'écriture des Normands ; le roi anglais bannissait de son palais les coutumes anglaises. Ce n'est pas qu'il voulût lui-même livrer l'Angleterre aux étrangers. Sachant bien qu'il n'aurait jamais d'enfants, il avait fait revenir de Hongrie un des fils d'Edmond Côte de Fer, pour lui assurer sa succession, mais le jeune prince était mort, laissant un enfant de quelques années, nommé Edgar. L'homme qui semblait alors capable de la royauté, c'était Harald, fils du comte Godwin, beau-frère d'Édouard, et Anglais comme lui ; mais il avait un compétiteur dans Guillaume de Normandie, fils de Robert le Diable, parent éloigné d'Édouard par Emma. On raconte qu'un naufrage jeta Harold sur la côte de Normandie, et que Guillaume exigea de lui l'hommage et la promesse de ne pas lui disputer le trône d'Angleterre.

On n'a jamais bien su ce qui se passa à la mort d'Édouard le Confesseur ; avait-il fait un testament qui donnait la couronne à Guillaume, ou bien avait-il désigné Harald pour son successeur ? L'un et l'autre éleva des prétentions (1066). Harald, sans s'inquiéter du jeune Edgar, fut proclamé à Londres dans une assemblée de thanes, se fit reconnaître par les Northumbres ; mais déjà il était trahi. Son frère Tostig, comte de Northumberland, exilé par lui, s'entendait avec Guillaume. Le Normand annonçait qu'il soutiendrait par les armes ses prétentions, et sommait Harald, par un héraut, de lui céder la place. Harald répondit qu'il avait été choisi par le peuple, et qu'il s'en montrerait digne ; il s'en montra digne en effet

Il fallait défendre l'Angleterre contre les deux races des hommes du nord, les Danois et les Normands-Français. Tostig avait demandé les secours de Harald Hardrada, roi de Norvège. Avec une flotte de soixante vaisseaux, rassemblés à Bruges, il rançonnait l'île de Wight, et après un échec, il attendait chez le roi d'Écosse l'arrivée du Norvégien. Cependant, malgré ses forces nombreuses, Hardrada ne put vaincre près d'York, et bientôt Harald l'atteignit. La confiance du roi anglais était grande. Hardrada tomba de cheval en visitant son armée. Hardrada, dit Harald, est un brave guerrier, mais sa chute annonce sa dernière heure ; en même temps il envoya offrir à Tostig le comté de Northumberland. Si j'accepte la proposition, dit Tostig, que donnera-t-on au roi de Norvège ?Sept pieds de terre pour sa tombe, répondit le messager. Tostig aima mieux combattre, pour sa ruine et celle de son allié. Hardrada étant percé d'une flèche, Tostig prit le commandement des Norvégiens ; mais ils pliaient encore. Tostig les ayant ranimés par l'arrivée d'un secours, il tomba mort lui-même ; alors ils se dispersèrent. C'est la bataille de Stramfordbrige ; cinquante ans plus tard la plaine était encore blanche d'ossements.

Harald, vainqueur, faisait reposer son armée et lui partageait le butin ; mais quatre jours après sa victoire, Guillaume de Normandie débarquait en Angleterre. Le pape Alexandre II avait prononcé pour lui, contre Harald, l'homme de Guillaume, son vassal qui lui avait fait hommage, et maintenant lui disputait son héritage. Guillaume fit un habile emploi des usages féodaux ; il appelait Harald le parjure ; quand on vint lui dire que le roi anglais commandait lui-même son armée : Comment, dit-il, il ose, avec la conscience de son parjure, se hasarder dans une bataille ? Les Anglais eux-mêmes étaient troublés de cette pensée. Les frères d'Harald voulaient l'éloigner du combat : il avait juré fidélité à Guillaume, au nom de Dieu, il ne pouvait le combattre légitimement. Guillaume affermit par un mensonge l'assurance des siens : un moine qui savait voler en l'air, était venu lui prédire la victoire. Ce fut près de Hastings que cette grande querelle se décida. Les Normands attaquèrent en criant : Dieu est notre aide, mais les Anglais reçurent le choc avec leur cri : Croix du Christ, la sainte Croix ; leur front impénétrable et les coups terribles de leurs haches d'armes déconcertaient les Normands, une partie fuyait déjà, et Guillaume tombant à terre, on le crut mort. Mais tout coup ii se releva, en criant : Je vis encore, et avec l'aide de Dieu je serai encore vainqueur. Cependant la colonne anglaise, comme un roc inébranlable, ne pouvait être entamée, ni repoussée. Guillaume avait perdu trois chevaux, il combattait maintenant à pied ; enfin il donna ordre aux siens de fuir sur plusieurs points ; les Anglais se débandant pour les poursuivre, ils furent vaincus et exterminés. Les deux frères d'Harald étaient morts à ses côtés, la bannière anglaise était prise ; Harald combattait seul ; mais vers la fin du jour, une flèche l'atteignit à l'œil, il tomba. Sa mort termina la bataille. La nuit suivante, Guillaume entendit une voix d'en haut qui, lui disait : Guillaume, tu as vaincu ; tu régneras toi et tes enfants (1066).

Cependant la victoire n'était pas complète. Les Witans, rassemblés à Londres, proclamaient le jeune Edgar, le petit-fils d'Edmond Côte de Fer, sous la tutelle d'Edwin et de Morkar. Guillaume ne s'arrêta pas, il s'empara de Douvres, et marcha sur Londres, incendia les faubourgs, et s'éloigna pour ravager les comtés voisins. La discorde s'étant mise entre les conseillers d'Edgar, le métropolitain Stigand vint offrir son hommage à Guillaume ; aussitôt la noblesse et le clergé envoyèrent une députation au conquérant pour lui offrir la couronne ; Guillaume prit le consentement des barons normandes fixa les fêtes de Noël pour son couronnement.

Guillaume, instruit par la résistance des Anglais, n'annonçait pas encore l'intention de les opprimer ; il laissait leurs lois intactes, donnait aux habitants de Londres de nombreux privilèges, défendait aux officiers de son fisc toute perception non autorisée ; protégeait le commerce par la paix du Roi accordée aux voyageurs et aux marchands. Il recevait les plaintes du peuple, et pour consoler Edgar de la perte d'une couronne, il en faisait son ami et le dotait richement. Mais déjà l'Angleterre était serrée d'une chaîne invincible. Les promesses du conquérant y retenaient une partie de ses vassaux, et des terres leur étaient assignées. Des forteresses s'élevaient Londres, à Winchester, menaçant cette race d'hommes riches, intrépides et perfides. Guillaume s'éloignait pour revoir la Normandie, mais il emmenait des otages anglais, et laissait l'Angleterre à deux Normands, Odo, son frère, évêque de Bayeux, et Guillaume Fitz-Osbern.

Le conquérant n'attendit pas longtemps un prétexte d'exterminer les vaincus. Les brigands de Guillaume[3] opprimèrent la nation ; Odo et Osbern les protégèrent par l'impunité. Aussitôt la révolte se montra sur tous les points. Le thane Copsi, gouverneur de la Northumbrie sous Édouard, et que Guillaume avait fait comte, refusait de se soulever ; il fut tué par ses vassaux. Dans le comté de Herefort, Edric le Sauvage, repoussant les Normands, appelait les rois bretons ; les Anglais de l'est appelaient Eustache, comte de Boulogne : d'autres proposaient au roi de Norvège, Suénon, la couronne de Carnac ; quelques-uns, moins hardis, aimèrent mieux l'exil, et s'en allèrent en Orient combattre pour l'empereur Alexis ; Edgar se montrait dans le nord ; Edwin et Morkar soulevaient tout le pays depuis la Mercie jusqu'à l'Écosse.

Guillaume, rappelé par ce danger (1067), se promit une cruelle vengeance. Il embrassa au retour les thunes anglais, et déclara une seconde guerre à l'Angleterre. Déjà il avait forcé Exeter, surpris Edwin et Morkar, obligé le roi d'Écosse, Malcolm, à l'hommage, et Edgar à la fuite, quand une nouvelle confédération remua tout le Nord. York était indomptable ; l'évêque de Durham avait massacré une garnison normande ; les fils de Harald amenaient soixante vaisseaux, et le Norvégien deux cent quarante : déjà trois mille Normands avaient péri. Guillaume y courut comme un lion furieux, jura rit que pas un Northumbre n'échapperait. Mais le Midi se révoltait derrière lui, Edric assiégeait Shrewsbury ; les Gallois se joignaient à ceux de Chester ; Montaigu était emporté (1069). Pour épouvanter les rebelles, Guillaume, vainqueur des Danois, ravagea la Northumbrie, exterminant les hommes, les bestiaux, les maisons, les instruments du labourage, et jusqu'aux fruits de la terre ; les indigènes allaient attendre la mort dans les montagnes. Pendant neuf ans, la terre resta sans culture entre York et Durham ; un siècle après les ruines couvraient encore la contrée.

Alors il descendit au midi. La neige, la pluie, la grêle exténuaient ses mercenaires ; ils murmuraient : Laissez-les partir, dit-il, je n'ai pas besoin de leurs services, et il les retint par cette parole. Il reprit les dévastations. Et en effet, les plus ardents insurgés demandaient pardon ; Edgar fuyait une troisième fois. Une forteresse menaçait chaque bourg, renfermant les principaux habitants comme otages. Qui eût osé murmurer ? Il se mit à organiser la conquête. Des légats du pape Alexandre II arrivèrent pour réformer le clergé anglais. La réforme fut surtout le remplacement des prélats anglais par des Normands ; il est vrai que ces derniers méritaient la préférence par leur savoir. Les évêchés, les abbayes passèrent aux Normands. Lanfranc parut alors. Il avait longtemps refuser ; il ne savait pas, disait-il, la langue des barbares ; il accepta sur les sollicitations des légats : ce fut au moins une consolation pour les indigènes. Le nouvel archevêque de Cantorbéry releva la cathédrale, fonda des hôpitaux, répara, selon ses forces, les maux de l'invasion. La vertu de Lanfranc fut plus d'une fois utile à Guillaume lui-même.

Cependant l'Angleterre n'était pas tout fait morte. Un dernier défenseur vivait invaincu dans les marais et les lagunes du comté de Cambridge. C'était Hereward, le héros des Anglais, leur orgueil, leur glorieux souvenir. Exilé autrefois par son père, qui ne pouvait réprimer sa turbulence, il était accouru de Flandre pour venger ce père dépossédé par Guillaume, D'autres proscrits l'avaient rejoint, et bâti dans l'ile d'Ely une forteresse en bois pour garder leurs trésors, Ils défiaient la puissance du conquérant, attaquaient les abbés normands, pillaient les monastères ravis aux Anglais ; Guillaume, qui le dédaignait, s'effraya enfin (1071). Il voulut le cerner par terre et par mer : mais la forteresse, au milieu d'un lac, semblait imprenable. Guillaume essaya une chaussée, des ponts, mais Hereward dispersait l'œuvre par des attaques rapides. Le conquérant le crut sorcier, et appela une sorcière à son aide ; il la plaça dans une tourelle de bois à la tête des travaux ; mais Hereward brûla la tourelle, la sorcière et les ouvriers. Cependant les Normands l'emportaient par leur nombre ; l'ouvrage avançait ; les réfugiés demandaient la vie. Guillaume les condamnant à perdre un œil, une main ou un pied, Hereward s'échappa à travers les marais, et recommença bientôt. Guillaume, cette fois, ne voulut pas combattre ; il estimait Hereward, il lui rendit son patrimoine et obtint son serment.

Ainsi finir la résistance par les armes. A ce moment, Malcolm faisait hommage, le comté de Northumberland était transféré à un Normand, un château construit à Durham en protégeait l'évêque étranger, et Edgar, satisfait d'une pension, obtenait un asile en Normandie. Rien ne gêna plus le victorieux Guillaume, il put à l'aise établir les conquérants sur le sol de la conquête.

Les Anglo-Saxons autrefois avaient voulu effacer les Bretons de la terre de Bretagne ; ils furent effacés à leur tour de la terre anglaise. Le roi était Normand ; les évêques et les abbés Normands ; bientôt tout comte et tout vassal fut Normand ; la terre, la seule propriété au moyen âge, passa vite aux Normands. Guillaume possédait mille quatre cent trente-deux manoirs ; Odo, son frère, deux cents dans le comté de Kent, deux cent cinquante en d'autres contrées ; son autre frère Robert, neuf cent soixante-treize ; Alain Fergant, comte de Bretagne, quatre cent quarante-deux ; Guillaume de Varenne, deux cent quatre-vingt-dix-huit. Ce sont là les plus riches ; mais les autres Normands avaient encore bien gaaigné. Le roi avait donné d'abord les domaines des rois anglais, puis les biens des Anglais morts à Hastings, puis les biens de ceux qui s'étaient révoltés ; maintenant il leur permettait d'envahir ce qu'il n'avait pas confisqué. L'Anglais dépossédé par un vassal normand, appelait d'abord au roi, et obtenait quelquefois justice. A la fin Guillaume ne voulut plus les entendre, et décida que ces querelles se termineraient par des transactions entre les parties intéressées ; la seule ressource des Anglais désormais, ce fut de se faire vassaux des Normands ; à ce prix ils gardèrent comme fiefs leurs propriétés franches autrefois.

Les vassaux normands, qui recevaient ces terres du roi, avaient le droit d'inféoder une partie de leurs domaines à des vassaux inférieurs ; ce sont les chevaliers tenanciers ; c'est dans cette classe qu'il faut ranger les Anglais qui gardèrent quelques propriétés ; mais au lieu que chez les autres nations les arrière-vassaux ne prêtaient serment qu'à celui de qui ils relevaient, en Angleterre les arrière-vassaux prêtèrent serment au roi ; ils eurent deux suzerains, le roi et celui de qui ils tenaient des terres ; par là tous les seigneurs féodale dépendaient de Guillaume, tous lui devaient des hommes, des chevaux, des armes, et surtout fidélité ; les évêques les abbés, tous les ecclésiastiques furent obligés à ce service. Guillaume cependant créa aussi des gouvernements héréditaires. Ses earldoms ou comtés, furent gouvernés par des earls ou comtes, tous Normands ; ils y commandaient le service militaire, et levaient les impôts ; mais ils n'avaient pas ces droits royaux qui faisaient de tous les grands vassaux de France autant de rois. Guillaume n'établissait la féodalité qu'au profit de la royauté.

Quant aux Anglais, ils avaient cessé d'être un peuple. Le danegeld rétabli ne portait que sur ces malheureux. Guillaume les avait désarmés. Tous les soirs, à huit heures, la cloche annonçait pour les vaincus le couvre-feu ; ils étaient obligés d'éteindre chez eux toute lumière. La chasse leur était interdite ; pour en assurer le plaisir à ses Normands, le roi (1079) choisit dans le Hampshire un terrain appelé l'Itène, de trente milles de circuit, en détruisit toutes les bourgades et les églises qui formaient trente-six paroisses, sans indemniser les propriétaires, et il en fit ce qu'on appela la nouvelle-forêt. Des lois sévères conservèrent le gibier aux Normands : un homicide se rachetait par une légère amende ; l'Anglais qui avait tué un lièvre, était condamné à perdre la vue. Ce fut encore contre les Anglais que Guillaume imagina le Doomsday Book, le livre du jugement, qui devait contenir le dénombrement de toutes les propriétés, et la valeur des anciennes taxes que ces terres avaient payées aux rois saxons. Ce livre fut placé dans l'échiquier, pour être consulté au besoin, c'est-à-dire quand on voudrait savoir combien de laine on pourrait encore ôter aux brebis anglaises.

Cependant cette tyrannie de la conquête devait faire la gloire de l'Angleterre ; elle était maintenant une et forte. Isolée jusque-là du reste de l'Europe, elle devenait rivale de la France, par ses rois vassaux des rois français ; elle allait commencer avec le continent une lutte glorieuse de quatre siècles[4].

 

 

 



[1] Nous ne parlons pas ici des rapports du roi avec Ethelgive. Cette histoire, défigurée à plaisir, a été enfin, rétablie par Lingard (toute Ier, note). On ne croit plus que l'archevêque de Cantorbéry, Odon, ait fait marquer cette femme d'un fer rouge, ni qu'il lui ait fait couper les jarrets. L'archevêque l'avait éloignée en vertu d'une loi d'Édouard Ier qui bannissait les femmes de mauvaise vie, et quand elle revint d'Irlande, ce furent les Merciens révoltés qui la tuèrent. Il est assez singulier que dans une histoire de France récente, Dunstan, qui vivait cent ans avant Grégoire VII, soit représenté comme un instrument de la réforme opérée par ce grand pape, et qu'on lui attribue à ce sujet le mutilation d'Ethelgive, alors qu'il était en exil par la volonté d'Edwy, et vivait fort tranquille au monastère de Saint-Pierre, à Gand.

[2] Fragment d'un poème sur la mort d'Edgar.

[3] Orderic Vital.

[4] Voyez pour tout ce chapitre Lingard, t. I et II.