HISTOIRE DU MOYEN ÂGE

PREMIÈRE PÉRIODE

 

CHAPITRE SIXIÈME.

 

 

Histoire de L'Église depuis la mort de Théodose, 395, jusqu'à l'hérésie des Iconoclastes, 726.

 

L'Église, aux quatre premiers siècles, avait conquis le monde romain, et déjà quelques peuples inaccessibles aux armes romaines. Elle était entrée en Perse, malgré les déserts où avaient péri Valérien et Julien, ses persécuteurs ; elle commençait à chanter les psaumes chez les Scythes que nul conquérant n'avait pu atteindre. Elle avait envoyé des prédicateurs en Arabie et en Ethiopie, plus loin que les légions d'Auguste. De Rome elle dominait le monde : Rome chrétienne n'avait pas à regretter le départ des empereurs ; elle avait en elle le véritable dominateur du monde, le chef de l'Église.

Cependant l'Église lutte encore contre l'empire comme autrefois, et contre un danger nouveau, l'invasion. Le paganisme n'était pas tout fait mort dans l'empire même. La Diane des Ardennes n'était pas renversée ; Autun n'avait pas renoncé aux lupercales. On adorait encore des pierres, des arbres et des fontaines : les campagnes surtout étaient le dernier asile de l'idolâtrie[1]. L'hérésie était aussi dans l'empire. A la puissance de l'arianisme allait succéder Pélage, Nestorius, Eutyches, les Trois Chapitres, les monothélites : cette lutte de controverse qui vient surtout de l'orient grec, finira un jour par le schisme. A côté de ce danger, l'invasion semble détruire l'œuvre de quatre siècles. Les barbares germains apportaient contre l'Église un paganisme nouveau, une hérésie impériale, la seule, du reste, qu'ils aient adoptée en ce temps l'arianisme imposé aux Goths par l'empereur Valens, et embrassé par d'autres peuplades après les Goths. Les barbares Scythes, sectateurs de la guerre divinisée  sous la forme d'un sabre, vont passer pour détruire. Enfin le cimeterre musulman s'appesantira sur la haute Asie, le nord de l'Afrique et l'Espagne. Il faudra huit siècles pour délivrer l'Espagne, et l'Afrique n'a pas encore vu renaître son ancienne gloire chrétienne.

L'Église fut la plus forte ; elle domina les hérésies, et les tua par ses conciles : elle fit même quelques conversions nouvelles en Orient à la faveur de l'empire grec. Elle convertit les barbares Germains, et à côté d'eux, et quelquefois par eux, les nations que Rome n'avait pas connues.

 

I

Lutte de l'Église contre les Romains et les Grecs. — Le grand Jean Chrysostome, l'infatigable ennemi des Ariens et des vices de Byzance, était mort exilé par l'empereur Arcadius (404). L'Orient avait donné le spectacle d'un patriarche traîné pendant soixante-dix jours, malgré sa vieillesse, de C. P. au mont Taurus ; relégué plus tard au Pont-Euxin, et succombant en route aux fatigues que ses guides lui multipliaient. C'était le commencement des controverses qui allaient s'ouvrir, et des querelles honteuses, où l'Occident participa quelquefois, mais dont l'orient porte aujourd'hui la peine invétérée.

Vers 418, un Breton de Bangor, nommé Pélage, nia le péché originel, déclarant que l'homme pouvait vivre sans péché et se sauver par sa seule vertu. Cette doctrine fut prêchée partout. De Bretagne elle passa en Orient. Elle fut combattue par Augustin et par Jérôme ; condamnée dans un concile de Carthage ; anathématisée par le pape Zozime, que l'empereur Honorius soutint par un édit. Elle reçut les derniers coups dans la Bretagne sa patrie, de saint Germain d'Auxerre et de saint Loup de Troyes.

Vint ensuite une hérésie orientale (431). Le patriarche de C. P., Nestorius, avait dit à l'empereur Théodose II : Donnez-moi la terre purgée d'hérétiques, et je vous donnerai le ciel ; prêtez-moi votre bras pour exterminer l'hérésie, et je vous aiderai à vaincre les Perses. Ce mime homme fut hérésiarque il enseigna qu'il y avait deux personnes en Jésus-Christ, comme il y avait deux natures, et que la sainte Vierge n'était pas la mère de Dieu, mais la mère d'un corps et d'une âme humaine. Cyrille, le patriarche d'Alexandrie, le dénonça au pape Célestin ; mais l'empereur protégeait Nestorius. Le troisième concile œcuménique s'assembla à Éphèse. Trois légats de Célestin y présidaient. Nestorius fut condamné dès la première séance, et ce fut une grande joie dans Éphèse. Le mime concile condamna encore les Pélagiens. Théodose adhéra à la décision.

Mais il restait des partisans à Nestorius. Eutyches en disputant contre eux, tomba dans l'erreur opposée, et soutint qu'il n'y avait en Jésus-Christ qu'une seule nature, c'est l'hérésie des monophysites (449). Condamné par Flavien, patriarche de Constantinople, dans un concile national et par le pape Léon Ier, Eutyches obtint, par la faveur de Dioscore d'Alexandrie, la réunion d'un autre concile de cent trente évêques à Éphèse. C'est le brigandage d'Éphèse ; on y déposa Flavien, patriarche de C. P. On l'accabla de coups, parce qu'il en appelait au Saint-Siège. Des soldats surveillaient le concile, et montraient des chaînes. Les magistrats déclarèrent que l'empereur ferait examiner la foi par ses commissaires, et ces prélats y consentirent, L'empereur força l'Orient an silence par les dépositions, les emprisonnements et les exils. Ce fut sous Marcien que le concile de Chalcédoine (451) répara ce mal. La suprématie du pape y apparut bien puissante[2]. Le concile, après avoir condamne Eutyches, avait donne au siège de C. P. le premier rang après celui de Rome. Les légats du pape réclamèrent ; le pape Léon Ier cassa le canon, et les évêques reconnurent son autorité par ce mot célèbre : Pierre a parlé par la bouche de Léon. Toutefois, malgré ce concile, la doctrine d'Eutyches ne fut pas détruite : Jacques Baradée évêque d'Édesse, s'en constitua le défenseur, et ses partisans, nommés Jacobites ont ouvert l'Égypte aux Arabes (v. chap. V). La lutte continuant donc entre les partisans du concile de Chalcédoine et ceux du conciliabule d'Éphèse, l'empereur Zénon crut tout pacifier (482) par son hénoticon (édit d'union), réconciliation trompeuse qui favorisait les Eutychiens, el, augmentant leur nombre, les divisa en dix sectes. Plus tard, Théodora, pour mieux protéger ces hérétiques, contribua à faire élire le pape Vigile, à condition qu'il se déclarerait contre le concile de Chalcédoine. Silvère, élu à Rome, par l'ordre de l'Ostrogoth Théodat, ayant refusé de condamner le concile, fut exilé par Bélisaire. Vigile, qui prit sa place, anathématisa les Eutychiens.

Sous Justinien encore, une autre querelle religieuse s'émut en Orient et gagna l'Occident. Trois hommes avaient défendu Nestorius, Ibbas d'Édesse, Théodoret de Cyrrha, et Théodore de Mopsueste. On appelait leurs écrits les Trois Chapitres. Justinien attaqua les Trois Chapitres par un édit que souscrivirent les évêques d'Orient. Le pape rejeta cet édit. L'empereur, ne pouvant se faire obéir, invita le pape Vigile (654) à se rendre à C. P. Ne pouvant le convaincre, l'empereur le traita avec cruauté. Vous me tenez captif, lui dit le pape, mais vous ne tenez pas saint Pierre, et il excommunia le patriarche de C. P. et Théodora. Justinien consentit à un concile général, mais voulut qu'il se tint à C. P. C'est le cinquième concile œcuménique. Il condamna les Trois Chapitres, et Vigile l'approuva. De cette condamnation résulta le schisme d'Aquilée. On appelait ainsi la résistance de plusieurs évêques d'Occident, dont l'évêque d'Aquilée était le chef. Ce schisme dura cent cinquante ans.

Le temps marcha sans mettre rendre dans les esprits. Le dévergondage de la subtilité grecque, pour réunir les opinions, ajouta, en 630, une nouvelle erreur. Héraclius conférant avec un patriarche des Eutychiens, celui-ci promit la soumission de la secte si les Grecs voulaient reconnaitre qu'il n'y avait eu dans Jésus-Christ qu'une seule volonté. De là l'hérésie des monothélites. Le patriarche de C. P. l'ayant approuvé, Héraclius la confirma par un édit. Le pape Honorius trompé par un faux exposé de la doctrine, traita la chose comme une question de mots. Mais la querelle continua. Elle ne fut terminée ni par l'Ecthèse (exposition) que publia Héraclius en 639, et que condamna le pape Jean IV, ni par le Type (formulaire) de l'empereur Constant II (648) que le pape Martin fit condamner dans un concile. Il faut attendre le règne de Constantin Pogonat, et le pontificat d'Agathon, pour voir à C. P. le sixième concile œcuménique (680). Ce concile condamna les monothélites, et les six patriarches qui les avaient soutenus.

Jusque-là les empereurs avaient soutenu les hérésies, mais n'en avaient pas été les auteurs. Il était réservé à Léon l'Isaurien de prendre le rôle d'hérésiarque. La doctrine des iconoclastes, qui fut son œuvre, amena des révolutions qui appartiennent à l'époque suivante.

Au moins la vraie foi s'était maintenue. Au milieu de ces agitations, l'Église avait acquis de nouveaux disciples en orient ; Justinien avait achevé le paganisme par la clôture des écoles païennes. Les Lazes, les Abasges, avaient dû leur conversion à Justinien et à Justin II. Les Nestoriens eux-mêmes avaient pénétré jusqu'en Chine. Mais le grand triomphe de l'Église fut la conversion des barbares d'Occident.

 

II

Lutte de l'Église contre les barbares d'occident. — Les Goths, les Vandales, les Suèves, les Hérules, étaient Ariens quand ils envahirent ; les Bourguignons, les Lombards le devinrent après l'invasion ; les Huns, les Francs, les Saxons étaient païens. Ces barbares ne discutaient pas, ils persécutaient. On n'a pas assez remarqué cette persécution-là. Sidoine Apollinaire, le panégyriste des Romains et des Goths, devenu évêque de Clermont, avait bien changé de langage : Que le roi des Goths, Euric, disait-il, défende par les armes les limites de son royaume, ou les étende, nous autres pécheurs, devons-nous l'accuser ? Non sans doute ; il est dans l'ordre que ce riche soit couvert de pourpre et de lin précieux, et que ce Lazare soit frappé d'ulcères et de pauvreté. Il est dans l'ordre que Pharaon marche avec le diadème, et l'Israélite avec le panier. Il est dans l'ordre que jetés, nous aussi, dans la fournaise de Babylone, nous soupirions avec Jérémie vers la spirituelle Jérusalem, et qu'Assur, orgueilleux de son faste royal, foule aux pieds les sanctuaires des saints. Et moi, considérant les vicissitudes des choses présentes et des choses futures, je porte plus patiemment tous ces maux : car si je regarde en moi quels ont été mes mérites, je trouve ces adversités trop légères encore, et je sais certainement que le remède de l'homme intérieur, c'est que l'homme extérieur soit broyé par les fléaux divers des souffrances. Cependant il faut l'avouer, malgré la force terrible de ce roi des Goths je le redoute moins pour les remparts romains que pour les lois chrétiennes, tant son visage, tant son cœur s'irritent au seul nom de catholique. On le croirait plutôt prince de sa secte que prince de sa nation. Apprenez donc aujourd'hui le sort des peuples catholiques, et hâtez-vous d'y apporter remède. Burdigala, les Petrocorii, les Rutènes, les Lémovices, Gabalitani Helusani, Vasates Convenœ, Auscenses et un plus grand nombre encore, ont. perdu leurs évêques par la mort, et ne les ont pas vus remplacés par d'autres. La ruine spirituelle a porté au loin ses limites. Voyez les églises renversées, les portes enlevées de leurs gonds, l'entrée des basiliques fermée par des ronces hérissées. Voyez, cl douleur, les troupeaux qui se couchent dans les vestibules a moitié ouverts, et qui vont manger l'herbe qui a poussé à côté des autels. La solitude s'est étendue des paroisses rustiques aux villes mêmes, où les assemblées deviennent plus rares, car à la mort de chaque évêque le sacerdoce meurt avec lui. Et je ne parle pas de Crocus, de Simplicius, chassés de leurs chaires et exilés.....[3] Plus tard la politique se mêla à la différence des croyances. Volusien, évêque de Tours, suspect d'attachement aux Francs devenus catholiques, fut exilé. L'évêque Verus fut exilé pour la même cause, et finit sa vie dans cet exil[4]. En Espagne les Visigoths ne montrèrent pas plus de douceur pour les catholiques. Amalaric accablait de coups sa femme, fille de Clovis. Elle appela à sa vengeance ses frères Childebert et Clotaire, en leur faisant passer ses vêtements pleins de sang. Le roi Léovigild ternit sa gloire par ses erreurs. Rempli de la fureur d'une perfidie  injuste, il souleva une persécution contre les catholiques, exila plusieurs évêques, retira les privilèges des églises, et confisqua leurs revenus. Il en poussa d'autres par la crainte, à l'hérésie pestilentielle de l'arianisme ; mais il séduisit le plus grand nombre par l'or. Il osa rebaptiser les catholiques, et non-seulement les laïques, mais ceux mêmes qui avaient la dignité du sacerdoce, comme l'évêque apostat de Saragosse, Vincent, qui sembla tomber du ciel dans l'enfer[5].

Léovigild n'épargna pas même sa famille. Son fils Herménigilde, converti par sa femme Ingunde, fille de Sigebert d'Ostrasie irrita violemment son père. Poussé à bout par les mauvais traitements, il prit les armes, et s'allia aux Grecs qui guerroyaient alors en Espagne. Mais le général grec le trahit pour trente mille sous d'or, et le livra au roi. Herménigilde emprisonné refusa de recevoir la communion des mains d'un évêque arien, et fut tué. Sa femme Ingunde, prise par les Grecs, fut emmenée en Afrique où elle mourut.

Les Suèves, les Vandales, persécutèrent aussi. Genseric avait donné l'exemple. Son fils Huneric renouvela les persécutions les plus cruelles des trois premiers siècles. On compte quarante mille catholiques tués par ses ordres, en moins de deux ans ; plusieurs eurent la largue et la main droite coupées[6]. Les églises d'Afrique, fermées par ses ordres, se rouvrirent par la permission de Gunthamond, mais son successeur Thrasamond, n'ayant pu attirer par l'or les catholiques à l'apostasie, recourut aux supplices, et relégua en Sardaigne deux cent vingt-cinq évêques, et parmi eux saint Fulgence. Avant de mourir, il exigea de son successeur Hilderic le serment de ne pas ouvrir les églises des catholiques, et de ne pas rappeler les évêques exiléx. Les Vandales demeurèrent ariens et persécuteurs jusqu'à leur destruction par Bélisaire.

Le mal fut moins grand chez les autres ariens. Les Bourguignons ne démentirent. pas envers les catholiques leur douceur envers les vaincus. Les Hérules ne firent que passer. Après eux, Théodoric, roi des Ostrogoths affecta, dans la première partie de son règne, une grande impartialité. Lorsque le pape Symmaque fut élu, en 498, Laurent s'opposa, et fit un schisme, le clergé, le sénat se divisèrent. Les deux partis étant convenus de s'en remettre au jugement du roi, Symmaque et Laurent vinrent à Ravennes ; ils y trouvèrent ce jugement d'équité, que celui qui avait été élu le premier et qui était reconnu du plus grand nombre, siégeât sur le siège apostolique. Mais au bout de quatre ans le schisme recommença ; les partisans de Laurent accusèrent Symmaque, et envoyèrent de faux témoins à Ravennes, demandant un visiteur du siège apostolique. Théodoric l'envoya malgré les canons. Symmaque, ayant assemblé un concile, se justifia des accusations, et condamna Laurent et l'évêque envoyé par le roi, Festus, le chef du Sénat, organisa alors une guerre civile. Le clergé fut battu, les vierges chassées de leurs monastères, les femmes dépouillées de leurs vêtements pour être mieux frappées. Beaucoup de chrétiens périrent par le bâton ou l'épée. Le clergé ne pouvait paraitre dans les rues ni le jour ni la nuit. Faustus, ancien consul, combattit seul pour l'Église[7].

Théodoric laissa faire, plus tard il agit lui-même. L'empereur d'Orient, Justin Ier, voulait consacrer au culte catholique les églises des ariens. Le roi hérétique, entendant cela, s'enflamma, et voulut exterminer toute l'Italie. Il manda le pape Jean Ier (523) à Ravennes, et le chargea d'aller plaider en Orient la cause des ariens. Jean, infirme et malade, se mit en route en pleurant, avec quelques sénateurs et anciens consuls. On est partagé sur le résultat de la démarche. Mais pendant qu'ils étaient à C. P., Théodoric avait fait périr Boëce et Symmaque (voir. ch. II). Il prit en haine le pape Jean et ses compagnons ; n'osant les tuer, parce qu'il craignait l'indignation de l'empereur Justin, il les mit en prison où les douleurs abrégèrent leur vie, et l'évêque du premier siège du monde mourut dans les fers[8].

Les Lombards ne firent pas de persécutions préméditées. Ils tuèrent ou ravagèrent sur leur passage sans distinction. Ils prirent tous les biens des églises, quand ils suivaient encore les erreurs de la gentilité[9]. Ils pillèrent les monastères quand ils furent chrétiens ; ce qui les rendit surtout redoutables, c'est qu'ils étaient voisins de Rome, le centre de l'Église.

L'Église avait à craindre davantage des barbares païens, d'Attila, des Francs, des Saxons. Les Huns firent des martyrs, mais passèrent comme un torrent qui ne creuse pas même son lit. Les Francs n'eurent pas le temps d'être persécuteurs. Le christianisme les prit dès leur arrivée, quand ils commençaient à prendre leur part de l'ancien empire. C'est en Bretagne que le paganisme barbare exerça ses violences. La conquête fut la persécution. Les Saxons détruisirent partout la religion des vaincus, et la poursuivirent jusque dans la retraite des Bretons. En 614, quand le roi de Northumberland, Adelfrid, envahit le pays de Galles, il renversa le monastère de Bangor, après avoir tué douze cents moines.

Ainsi l'Église subit un double mal ; elle fut envahie comme l'empire, et persécutée dans sa doctrine. Sa force divine adoucit les maux de l'empire, guérit et vengea les siens. Les papes sauvèrent l'Italie d'Attila, et même de Genséric et des Lombards. La fermeté de saint Loup protégea la Gaule. L'évêque de Lyon, Patient, ce chasseur apostolique, ce fortuné pécheur des âmes, après les ravages des Goths, après l'incendie des moissons, secourut la-misère des Gaules désolées : à ses frais, il envoya du blé aux peuples exténués par la faim. On vit les routes rendues étroites par ses convois ; on vit sur les rives du Rhône et de la Saône plus d'un grenier rempli par un seul homme. On vit deux fleuves, plutôt que deux bateaux, couverts des bienfaits du Triptolème chrétien. La reconnaissance fut grande à Arles, Avignon, Riez, Orange, Alby, Troyes. Sidoine Apollinaire lui rendit d'abondantes actions de grâces au. nom de la ville des Arvernes. Sa gloire fut portée dans toute l'Aquitaine ; il fut aimé, loué, désiré, honoré par tous les cœurs et tous les vœux[10].

Cependant les barbares faisaient dominer avec eux l'hérésie et le paganisme. Partout ils furent vaincus. Les femmes servirent admirablement l'Église dans ces conversions. Et, certes, il appartenait bien à cette moitié du genre humain, la plus douce et la plus tendre, oui chaque homme trouve sa mère et la compagne de sa vie. La femme, condamnée la première dans l'ancien monde, pour avoir perdu l'homme, esclave ou du moins humiliée, avait toujours apparu en tête de l'histoire du mal. Mais dans le monde nouveau du christianisme, quand la femme eut sauvé l'homme en devenant la mère de Dieu, la femme, relevée la première par la pureté et l'égalité, donna à l'homme et propagea la foi de vertu et de douceur. Clotilde chez les Francs, Berthe chez les Saxons, Théodelinde chez les Lombards, Ingunde chez les Visigoths, en changeant le cœur de leurs maris décidèrent le changement des peuples.

La conversion de l'Irlande avait précédé l'établissement définitif des barbares. Un Scot, moine de Lérins, que le pape Célestin Ier nomma Patricius, avait, dans son enfance, gardé les troupeaux en Irlande. Il y fut envoyé comme prédicateur. Au milieu du Ve siècle, il fonda l'évêché d'Armagh. L'Irlande, promptement convertie, devint l'île des saints, et d'elle sont sortis de zélés et heureux propagateurs du christianisme.

Cependant, parmi les barbares les Francs renonçaient aux idoles. Clovis, après la victoire de Tolbiac, reçut le baptême, brûla ce qu'il avait adoré et adora ce qu'il avait brûlé. Les Francs lui avaient permis d'adorer le Dieu de Remi, l'évêque de Reims. Un grand nombre se convertit alors. Ainsi les France furent catholiques dès le premier jour. Ils se firent gloire dans le préambule de la loi salique d'être libres d'hérésie. Ils reçurent de grandes félicitations des évêques de la Gaule et du pape : Nous louons le Seigneur, disait le pape Anastase, dont la providence a donné à son Église un si grand prince pour la défendre, et revêtir le casque du salut contre les efforts des hérétiques. Et saint Avitus, l'évêque de Vienne, lui ayant écrit : Partout où vous combattez, c'est nous qui triomphons. Clovis répondit à cette pensée[11]. Il se déchira dans la Gaule l'ennemi des ariens ce fut son mot contre les Visigoths et son prétexte de guerre : Je ne peux souffrir que ces ariens possèdent la plus grande partie des Gaules. Le respect des monastères et des églises, et leur enrichissement suivit la conversion. Les Francs devinrent les fils aînés de l'Église, et souvent l'Église s'en est servie pour se défendre ou pour convertir.

La conversion des Bourguignons fut opérée par les Francs. Clovis avait imposé à Gondebaud la nécessité de se faire catholique ; le roi vaincu (499) permit un colloque à Lyon entre Avitus, évêque de Vienne, et les ariens. Convaincu par Avitus, il n'osa pas se déclarer publiquement. Plus tard, il reçut le baptême, mais en secret. Sigismond, son fils, professa tout haut la foi catholique et entraina les Bourguignons (517).

Les Suèves vinrent ensuite. Le roi Cariaric, pendant une maladie de son fils, ayant entendu parler des miracles de saint Martin fit vœu au saint d'embrasser la foi prêchée par lui, si son fils guérissait. Le fils guérit, et le roi se convertit avec toute sa famille (551). Théodomir, son fils, abjura solennellement, et soumit les Suèves à la foi catholique. Mir, qui lui succéda, s'interposa pour les catholiques auprès du roi visigoth, et marcha au secours d'Hermenigilde.

Les Visigoths eurent leur tour en 587. Déjà le roi Agila avait renoncé à l'arianisme, mais sans effet sur le peuple. Récarède, frère d 'Hermenigilde, beau-frère d'Ingunde, mit en présence les deux doctrines, déclara par sa conversion la supériorité des catholiques, et au troisième concile de Tolède, il fit une profession de foi en son nom et en celui des Goths. Depuis ce temps les évêques devinrent une puissance en Espagne, et le concile de Tolède remplaça l'ancienne assemblée des Visigoths.

La conquête des Saxons au christianisme était la plus difficile ; elle fut l'œuvre du grand pape saint Grégoire Ier, l'adversaire victorieux des Saxons tout à la fois et des Lombards. En 596, le moine Augustin, suivi de quarante missionnaires, passa par les royaumes des Francs ; le pape les avait recommandés à la reine Brunehaut, et le roi de Neustrie, Clotaire II, leur donna des interprètes. L'invasion chrétienne suivit la même route que l'invasion barbare ; les missionnaires s'arrêtèrent dans l'île de Thanet, et firent savoir au roi de Kent, Ethelbert, qu'ils arrivaient d'un pays lointain pour lui ouvrir les voies du bonheur éternel. Cet Ethelbert avait épousé Berthe, fille du roi franc Caribert, et le prélat Liudhard, qui accompagnait la reine, avait déjà étonné les Saxons par la sainteté de sa vie, Ethelbert consentit donc à recevoir les envoyés du pape ; mais il voulut les recevoir en plein air, de peur de quelque magie.

L'histoire de l'Église n'a rien de plus beau que l'entrée du saint moine Augustin, dans le royaume de Kent, avec quarante de ses compagnons qui, précédés de la croix et de l'image du grand roi N. S. J.-C., faisaient des vœux solennels pour la conversion des Anglo-Saxons[12]. Ethelbert les écouta, les remercia de tant de générosité et leur promit sa protection. La reine avait découvert près de Cantorbéry les ruines d'une ancienne église, bâtie par les Bretons en l'honneur de saint Martin : les missionnaires s'y établirent, y célébrèrent l'office divin, surprirent les sens des barbares par la magnificence du culte, et leur cœur par la prédication de la doctrine. Ethelbert osa se déclarer chrétien ; plus de deux mille Saxons l'imitèrent au jour de Noël, et la joie du pape fut si grande qu'il en écrivit au patriarche d'Alexandrie. Sa prudence assura la fidélité des nouveaux baptisés.. Les Saxons avaient l'usage de joindre des repas à leurs solennités religieuses. Le pape le conserva. Au jour de la fête des martyrs chrétiens, on élevait des tentes autour de l'Église, et après les cérémonies chrétiennes, on invitait les convertis à ces repas, où ils rendaient grâces au Dieu qui nourrit le genre humain.

Le christianisme passa du royaume de Kent au royaume d'Essex. Une femme, Edilberge, fille d'Ethelbert, sembla le porter en dot au roi de Nothumberland, Edwin. Pressé par sa femme et par le missionnaire Paulinus, Edwin consulta son vittenagemot (621). Le grand prêtre du royaume parla le premier. Rappelant tous ses malheurs, il s'efforça de démontrer que la religion de Woden était inutile ; puis un thane dit à Edwin : Ô roi, lorsque tu es assis à table pendant l'hiver, et que le feu pétille dans le foyer, un oiseau, chassé peut-être par le vent et la neige, entre par une porte et s'échappe par l'autre. Pendant qu'il passe, il jouit de ta chaleur, et quand il est sorti, on ne le voit plus. Tel est le sort de l'homme. On le voit vivre quelques années, mais ce qui a précédé sa vie, et ce qui doit la suivre, échappe aux yeux des mortels. Si la religion nouvelle peut nous éclairer sur ces choses, elle mérite notre obéissance. Paulinus exposa alors les dogmes du christianisme. Edwin s'y portait avec ardeur. Le grand prêtre lui-même offrit de renverser les autels de Woden, et prenant l'habit d'un guerrier, il monta le cheval favori d'Edwin. Il insulta les dieux de ses pères, souilla les autels qu'il avait lui-même consacrés, brûla les temples et les bois qui les environnaient[13]. Après la mort d'Edwin, au milieu des attaques, la Mercie, les Northumbres cherchèrent un appui dans la foi chrétienne, et la victoire qu'ils remportèrent sous la protection d'une croix élevée à la halte sur le champ de bataille, en décidant le triomphe d'Oswald, affermit pour toujours l'œuvre d'Edilberge et de Paulinus.

Vers 630, un prélat de Bourgogne, Félix, convertit les Est-Angles. En 634, le missionnaire Birinus, affronta les habitants farouches du Wessex. Une femme, fille du roi de Wessex Kinegils, aida encore le prédicateur. Le roi de Northumberland, Oswald, la demandant en mariage, elle se fit chrétienne, son père se fit chrétien, et les Saxons suivirent. Birinus, vainqueur du Wessex, se portait déjà vers la Mercie. Une autre femme convertit la Mercie ; Peada, fils de Penda, demandant la fille d'Oswin (de Northumberland) fut repoussé comme païen. Il étudia le christianisme, et obtint son Alefleda. Malgré son père, il aida les missionnaires, et la conduite passagère de la Mercie par les Northumbres, acheva ce que Birinus avait commencé.

Les habitants de Sussex entrèrent les derniers dans l'Église. Leur roi, Edilwach, avait reçu le baptême (661), mais ne pouvait rien contre l'opiniâtreté des siens. Wilfrid, prélat northumbre, reçut de lui l'ile de Selsey et deux cent cinquante esclaves. Wilfrid convertit d'abord ses esclaves, et le jour de leur baptême, les déclara libres, disant qu'il n'y avait pas d'esclavage pour les enfants du Christ. Cette grande nouvelle de l'affranchissement attira la multitude. En cinq ans, la religion chrétienne fut solidement établie dans le Sussex.

Ainsi fut achevée en quatre-vingts ans l'œuvre entreprise par Grégoire Ier. Il n'en avait pas vu la fin. Mais en Italie, celui qui avait arrêté les Lombards devant Rome, les ramena encore de l'arianisme à la vérité. La reine Théodelinde, en 602, convertit son mari Agilulfe ; depuis Grimoald, les rois lombards furent toujours catholiques ; cependant ils maintinrent dans tous les diocèses deux évêques, l'un catholique, l'autre arien.

L'Église avait donc soumis les barbares envahisseurs à l'Occident. En même temps, elle conquit l'Écosse et commença la conversion définitive de la Germanie. De l'Irlande sortit saint Columban, le prédicateur des Scots et des Pictes, au commencement du VIIe siècle, et qui fonda dans l'île d'Iona le monastère de Columbkill. De la Bretagne, Columban passa dans le pays des Francs, et détruisit les restes du paganisme sur la rive gauche du Rhin, mais fut poursuivi par la reine Brunehaut pour la liberté de ses prédications. C'était le temps où une femme, la fille de Theudebert d'Ostrasie, en épousant le duc de Bavière Théodon III, rendait le christianisme aux Bavarois. Saint Gall refusa de suivre Columban en Italie, s'arrêta dans l'Helvétie pour la convertir, et Kilian, Irlandais aussi, prêcha dans la Franconie — le pays des Francs proprement dit.

Du pays des Anglo- Saxons  convertis sortirent les véritables apôtres de la Germanie, Wilfrid, Willebrord, qui s'adressèrent aux Frisons. L'apostolat de Willebrord dura cinquante ans (680-731) ; tous devaient être surpassés par Winfried, qui prit le nom romain de Boniface. Mais ses travaux appartiennent à une autre époque, et la soumission définitive de la Germanie au christianisme, est unie indissolublement à l'élévation de la maison carlovingienne, et à la puissance nouvelle des Francs- Ostrasiens alliés de l'Église.

 

III

Ainsi Rome chrétienne prenait possession de ces barbares qui avaient détruit l'empire de Rome païenne. Tous ces peuples, toua ces rois nouveaux inclinaient la tête devant le pontife romain. Sans cotte ils portèrent quelquefois leur lourde main sur l'Église. Avant eux les évêques avaient été choisis par l'Église même, quelquefois par le peuple, quelquefois aussi par un évêque voisin. Presque partout les rois barbares s'attribuèrent ce choix. Les Francs le donnèrent à leurs rois ; et un concile d'Orléans (549) le leur confirma. Un concile de Paris (557), et rassemblée de 614 que Clotaire II approuva, sus, pendirent ce droit, qui revint bientôt au pouvoir royal, sous la domination des maires du palais. Idéale prétention chez les Visigoths ; le sixième canon du treizième concile de Tolède mit le choix des évêques au nombre des droits royaux. L'ignorance de la discipline ecclésiastique en fit autant chez les Anglo-Saxons. L'élection des évêques se faisait en présence du roi qui la dirigeait, pour écarter un ennemi au besoin ; et encore que ces évêques fussent choisis par eux ou selon leur volonté, plus d'un évêque eut à souffrir les caprices barbares.

Cependant l'autorité supérieure de l'élague de Rome fut écoutée malgré la distance. Ethelred, ce roi de Kent, converti par Augustin, demandait au pape Boniface III la permission d'introduire une colonie de moines dans l'église de Cantorbéry[14]. Sous le roi de Northumberland, Egfrid (678), l'évêque Wilfrid déposé par lui, appela à Rome, et fut rétabli par le pape Agathon[15]. Gontran, ennemi des deux évêques Salonius et Sagittaire, les ayant fait déposer, ils en appelèrent à Rome, et l'évêque de Rome envoya l'ordre de les rétablir sur leur siège : Gontran les rétablit. Les exemples sont fréquents en Espagne. Les conciles quelquefois suspendent leurs séances pour envoyer consulter l'évêque de Rome[16].

En même temps que l'autorité. des chefs de l'Église, les résultats du christianisme se développèrent chez les barbares. L'Église adoucit les mœurs, protégea les vaincus, sauva la civilisation. Ce n'est pas a dire que les barbares sortirent du baptême entièrement changés ; Clovis resta cruel, Chilpéric a été nommé le Néron des Francs ; Dagobert fit voir aux prêtres qui l'entouraient, de scandaleuses débauches. Mais la douceur chrétienne entrait dans les vainqueurs malgré eux, par la crainte ou le respect. Lorsque Clotaire II tua les fils de Theuderic II, il épargna celui pour qui il avait répondu sur les fonts baptismaux. Lorsque le roi northumbre Edwin fut devenu chrétien, il établit le bon ordre, fit rendre la justice exactement, et un enfant aurait pu traverser le Northumberland, une bourse d'or à la main, sans qu'il se rencontrât personne pour la lui enlever. Il faut lire, dans Grégoire de Tours, comment cet évêque apaise une querelle de deux familles, devenue la querelle de toute la ville, en payant avec le prix des vases sacrés la composition exigée par une des parties ; comment il résiste lui-même Chilpéric. et défend hardiment l'évêque de Rouen Prétextat, refusant de partager le repas du roi qui ne sait pas se nourrir de la volonté de Dieu[17] ; comment, après l'assassinat de Prétextat, sur l'ordre de l'évêque voisin, le service divin cesse partout, jusqu'a ce que l'assassin ait été découvert, tandis que Frédégonde tremble et fait périr le coupable qu'elle a payé[18]. La simplicité du récit est une preuve de sa vérité : le bon évêque de Tours ne s'aperçoit pas qu'il fait avec son propre éloge, l'éloge des bienfaits de l'Église.

Pour mieux défendre la vie menacée des vaincus, là vie même des barbares ; pour conserver la science et préparer la civilisation chrétienne, multiplie à l'Occident la vie monastique.

Le nom du pape Grégoire le Grand se rencontre encore à la tête de ce bienfait. Avant lui les deux grands monastères de Lérins et de Marseille (v. l'Hist. Rom.) avaient élevé de grands hommes, comme des montagnes vers le ciel, Le vieux Caprasius, le jeune Lupus. Là venaient se reposer Eucherius et le grand Hilaire[19]. De là aussi étaient sortis les moines de Saint-Claude qui défrichèrent au temps de l'invasion les terres du Jura. Ainsi travaillaient déjà les moines à la nourriture des hommes. Grégoire le Grand, qui de préfet de Rome, s'était fait moine, protégea cette vie de dévouement, quand il fut pape. En Sicile, son patrimoine soutenait six familles de moines, et le reste entretenait à Rome le monastère de Saint-André. II imposa une règle nouvelle. Au lieu que les autres employaient une partie du jour à des travaux du corps, il assigna le même espace de temps à l'étude, voulant faire de ces communautés des séminaires de prédicateurs qui, après avoir prêché l'Évangile, sauraient encore le défendre par la discussion. Ainsi se forma Augustin et ses compagnons, les apôtres de l'heptarchie. Mais Grégoire fit plus encore, il approuva et dispersa sur le monde l'ordre de Saint-Benoît.

Benoît (Benedictus), né à Nursie en Toscane, au commencement du VIe siècle, s'était enfui, à quatorze ans, loin de la corruption de la jeunesse romaine, dans une caverne profonde au milieu des montagnes de Subiaco. Enlevé comme par miracle à sa retraite, on vit sa foi, son ardeur ; des solitaires se rangèrent autour de lui et peuplèrent sou disert. Ils le reconnaissaient pour leur père, et révéraient ses lois, quand une calomnie le força de fuir encore, il vint dans l'ancien territoire des Volsques, au mont Cassin. Il y avait là encore un temple et un bois consacré à Apollon. Il brisa l'idole et coupa le bois. A la place, il éleva deux oratoires, sous l'invocation de saint Jean-Baptiste et de saint Martin, et établit ses compagnons à l'entour, ainsi commença le monastère du mont Cassin. Bientôt les grands de Rome confièrent leurs enfants à Benoît ; Totila le visita et reçut en tremblant ses reproches. La règle fut sévère : six heures de sommeil ; l'office nocturne chanté à minuit, sept visites dans le jour à l'église pour les autres offices canoniques ; sept heures au travail des mains, deux heures à l'étude. La nourriture simple ; de douze à dix-huit onces de pain, une hémine de vin, deux plats de légumes, nulle chair de quadrupèdes, si ce n'est pour les enfants, les vieillards et les infirmes : le vêtement approprié au climat, mais toujours semblable à celui du pauvre artisan on ne le quittait pas même pour dormir, afin qu'au moment du réveil chacun fût toujours prêt pour l'église. La propriété commune, le bien de chacun devenait le bien de tous entre les mains du supérieur. L'admission difficile et longtemps différée celui qui demandait à entrer s'agenouillait devant la porte. Repoussé d'abord avec un dédain apparent, il devait persévérer pendant quatre jours, alors les moines cédaient. Le nouveau venu passait dans la chambre des étrangers, puis dans. la chambre dei novices. Un vieux frère observait sa conduite et l'instruisait de ses devoirs. Avant la fin de l'an on lisait trois fois la règle devant lui, l'avertissant à chaque fois qu'il était libre encore de partir. Au bout de l'an il entrait dans l'église, déclarait devant Dieu et ls communauté qu'il voulait vivre moine, et il dei osait son engagement sur l'autel. Telle est la règle que Grégoire le Grand approuve. Saint Maur la porta dans la Gaule, Wilfrid chez les Anglo-Saxons. Les bénédictins ont sauvé la science antique et fondé l'érudition.

En attendant que cette règle fût connue, les prédicateurs irlandais avaient fondé d'autres monastères : Patricius, celui de Bangor dans le paya de Galles ; Columban, ceux de Luxeuil et de Bobbio ; saint Gall, disciple de Columban, a laissé son nom à sa communauté. Mais la règle de saint Benoît envahit peu à peu tous les monastères de l'Occident.

Enfin les femmes avaient aussi leurs maisons d'asile et de science. Scolastique, sœur de Renon, avait Fondé, à quatre milles du mont Cassin, le monastère de Plombariole. Chez les Francs, des vierges savantes ouvrirent les retraites de Poitiers, d'Arles, de Maubeuge, de Chelles, où se retira la reine Bathilde. Car les monastères étaient le refuge de toutes les grandeurs déchues et de tous les persécutés ; l'Église renfermait ceux qu'elle ne pouvait défendre au dehors.

L'Église rendait donc des services, et c'était l'usage des barbares de récompenser les services par des donations. Les églises, les monastères reçurent des terres, et avec ces terres, les hommes libres et les esclaves qui les habitaient et qui passaient ainsi sous la dépendance des églises. Ce fut m'émue une loi en Gaule et en Espagne, que le fondateur d'une église Fit une donation suffisante pour l'entretien du clergé. Mais longtemps ces dons furent volontaires. Au VIe siècle s'introduisit la dîme. Dès les premiers temps de l'Église, Origène, Ambroise, Augustin, Jean Chrysostome, avaient demandé pour les prêtres chrétiens ce que la loi de Moïse avait donné aux prêtres juifs. Le synode de Tours (567) déclara que les fidèles devaient aux églises la lime de tous leurs revenus. Avec cette dîme les évêques devaient racheter les captifs. Le synode de Mâcon (585) sanctionna cette ordonnance par la peine de l'excommunication. On ne sait point en quel temps la dîme fut introduite chez les Anglo-Saxons, mais elle était déjà au milieu du VIIIe siècle, un usage ancien.

Enfin l'Église conserva, sous les barbares, sa juridiction. Depuis Constantin le clergé était exempt de la juridiction des tribunaux laïques. L'Église acquérant des terres sous les barbares, loua les hommes qui habitaient ces terres ressortirent de la juridiction des églises. Les barbares renvoyèrent même aux tribunaux ecclésiastiques toutes les causes de mariages et de testaments. Le temps n'était pas venu encore où l'Église prononcerait sur l'inceste, la fornication, la bigamie, l'ivrognerie.

Telle avait donc été la vie de l'Église au milieu des barbares ; elle s'était défendue d'abord, elle avait obtenu ses immunités pour protéger les vaincus et mime les vainqueurs. Le moment approchait où elle devait commander u tous et même aux rois.

 

 

 



[1] De là le nom de païens, dérivé de paganus. Le nom des derniers idolâtres est devenu celui de tous les autres. — Voyez l'Histoire générale du Moyen Age, par M. Desmichels, tom. I, chap. 9.

[2] Voyez sur la suprématie du Saint-Siège, toujours active et toujours maintenue, à l'Orient comme à l'Occident, deux articles de M. Édouard Dumont, dans les Annales de philosophie chrétienne, n° 37 et n° 46.

[3] Sidoine Apollinaire, Lettres 7-6.

[4] Grégoire de Tours, liv. 10. Catalogue des évêques de Tours.

[5] Isidore de Séville. Chronicon Gothorum.

[6] Procope, De Bello Vandalico.

[7] Anastase, biblioth. De vita romanorum pontificum.

[8] Anastase, biblioth. De vita romanorum pontificum.

[9] Paul Diacre, 4-6.

[10] Sidoine Apollinaire, Lettre 6-12.

[11] Script. rer, franc., t. IV. Variorum epistolæ.

[12] Bossuet, Histoire universelle.

[13] Bède, liv. 11. Alcuin.

[14] Epist. Bonif., III.

[15] Voyez Lingard, Antiquités de l'Église anglo-saxonne.

[16] Voyez les conciles d'Espagne, dans Ferreras, t. 1.

[17] Grégoire de Tours. liv. V, ch. 19 et suivants.

[18] Grégoire de Tours, liv. VII.

[19] Sidoine Apollinaire, Eucharist. ad faustum.