Les deux empires envahis ; l'Occident seul démembré et détruit. — Alaric, Genséric, Attila, commencement des Francs et des Angles ; Stilicon, Constance, Aetius, — Les Barbares confédérés, Ricimer-Majorien. — Chute de l'empire d'Occident, Odoacre (395-476). I Rome païenne se glorifiait en vain de régner sur le monde ; sa domination, la plus vaste qui fut jamais, n'avait pas été universelle. La Germanie indomptée, la Sarmatie et la Scythie restées inconnues, l'Arabie toujours impénétrable, les Parthes ou les Sassanides, vainqueurs plus souvent que vaincus, formaient au nord et à l'est de l'empire la première ligne de l'humanité libre. Tels étaient les peuples que le peuple-roi essayait de flétrir du nom de Barbares ; mais ce nom si fréquent chez les peuples exprimait bien moins le dédain que l'impuissance et le dépit. Rome, non-seulement n'avait pas vaincu les barbares, elle n'avait pas rie réussi à les contenir au dehors de Sein territoire, Les Germains surtout n'avaient cessé de harceler les empereurs ; ils étaient entrés par force ou par alliance dans l'empire. Ceux qui avaient arraché la langue aux officiers de Varus, qui avaient fait la loi à Domitien, dont les chefs avaient reçu l'argent d'Adrien, ces mêmes hommes avaient été admis comme auxiliaires par Marc-Aurèle. Le Goth Maximin fut empereur au commencement du troisième siècle ; on vit les Goths, les Francs, les Burgundes, se mêler aux guerres des trente tyrans, et vaincus ensuite par Claude II, par Aurélien, par Probus, entrer en plus grand nombre dans les légions où ils apprenaient à se servir des armes romaines contre Rome. Leur importance s'accrut encore sous Constantin et ses successeurs, qui remplacèrent les Romains énervés par une augmentation d'auxiliaires. Les barbares s'élevant rapidement par la supériorité de leur Force et de leur valeur, parvinrent aux premiers emplois, et sacrifièrent souvent aux intérêts de leur nation ceux de l'empire. A la mort de Théodose, ils remplissaient la cour, les dignités, et les camps ; il ne leur restait plus qu'à démembrer le territoire[1]. Rome ne pouvait se vanter davantage d'avoir soumis irrévocablement. les peuples que sa victoire dominait depuis quatre siècles. La moitié de ses vaincus Faisait de continuels efforts pour se séparer, L'Occident était volontiers devenu romain, toute l'Italie, l'Afrique carthaginoise, l'Espagne, la Gaule, la Grande-Bretagne parlaient latin ; mais l'Orient, c'est-à-dire tous les peuples qui parlaient grec depuis Alexandre, n'avait jamais renoncé ni à sa langue, ni à ses coutumes, ni à son indépendance. Dès le temps de la république la Grèce propre, l'Asie, quelquefois l'Égypte, s'étaient liguées contre la conquête avec Antiochus ou Mithridate. Devenus après la défaite, les pédagogues des vainqueurs, et les plus méprisés de leurs esclaves, les Grecs s'étaient ligués de nouveau dans les guerres civiles pour Pompée contre César, pour Antoine centre Octave, dans l'espérance de régner à leur tour sur l'Occident, et de dicter leurs lois au Capitole. Ils ne se laissèrent pas prendre au titre de citoyens romains donné à tous les vaincus par Caracalla ; cet empereur lui-même avait eu la pensée de partager l'empire avec son frère Geta, de telle sorte que l'un eût gouverné les Grecs, et l'autre les Romains. Les Grecs accueillirent comme une libératrice, !a Syrienne Zénobie, et déjà l'Asie Mineure, jusqu'à l'Hellespont s'était soumise a elle, parce qu'elle parlait grec, lorsque les forces supérieures d'Aurélien vinrent y mettre ordre. La tétrarchie commença leur affranchissement. ; la fondation de C. P. leur donna une capitale ; depuis ce temps la division fut possible en empire romain et en empire grec, et Valentinien Ier la rendit irrévocable, en partageant avec son frère Valens. Cette division se faisait sentir même dans la religion ; tout en acceptant le christianisme, l'Orient se réservait le droit de l'interpréter à sa manière. Toutes les hérésies étaient sorties de la philosophie grecque, et la lutte de l'hérésie grecque contre l'orthodoxie romaine fut aux Grecs un moyen nouveau et une garantie d'indépendance qu'ils conservèrent, jusqu'à leur ruine, sous la forme du plus ignoble de tous les schismes. Si donc les empereurs de C. P. prirent quelquefois le titre de Romains, s'ils essayèrent de disputer l'Occident aux barbares, ce ne fut pas pour relever la civilisation et la puissance romaine, ce fut pour s'attribuer le titre auquel on reconnaissait les maîtres du monde, ce fut pour élever le nom, la puissance, le capitale des Grecs, au-dessus des descendants de leurs anciens vainqueurs. L'établissement définitif die l'empire d'Orient ou grec, et l'invasion des barbares sont les deux événements qui ont décidé la ruine de la domination romaine ; l'un et l'autre se rapportent à la mort de Théodose (395). Cet empereur, après avoir vaincu Eugène, n'avait pas réuni les deux empires, il avait déclaré son second fils Honorius empereur d'Occident quand il mourut, il transmit la tutelle de ce jeune prince au Vandale Stilicon, et laissa l'Orient à son fils aillé Arcadius avec Rufin pour tuteur. Le Drin blanc, un des affluents du Danube, et la ville de Scodra, étaient la limite des deux dominations. L'Occident avait ses deux préfectures d'Italie et des Gaules, la première subdivisée en diocèses de Rome, d'Afrique et d'Illyrie ; la seconde en diocèses d'Espagne, des Gaules et de Bretagne. Rome conservait les honneurs de capitale ; mais depuis Maximien Hercule, Milan était la résidence des empereurs d'Occident. L'Orient avait ses deux préfectures, d'Illyrie et d'Orient, la première comprenant l'ancienne Grèce, la Macédoine, la Dacie, et subdivisée en diocèses de Dacie et de Macédoine ; la seconde comprenant la Thrace et tout ce que les Grecs possédaient en Asie et en Afrique, et subdivisée en diocèses de Thrace, de Pont, d'Asie, d'Orient et d'Égypte. Constantinople était la capitale de l'empire d'Orient[2]. En face de l'empire de Rome et de l'empire de Constantinople, il faut maintenant poser les barbares. Il n'est point d'usage de mettre au nombre des familles barbares, les Perses Sassanides, qui avaient un empire, une société organisée, une civilisation. Nous ne parlerons non plus des Arabesque lorsqu'Ils commenceront leur conquête au septième siècle. Ici nous dirons quelques mots sur les trois familles barbares qui, avant Théodose ou immédiatement après lui, ont fait invasion sur les deux empires ; ce sont les Scythes ou Tartares, les Slaves ou Sarmates, les Germains. La Scythie bornée à l'est par le grand Océan, et au midi par les monts Altaï, n'avait pas de bornes bien déterminées à l'ouest. Pendant longtemps une grande partie de la Russie d'Europe fut comprise sous ce nom aussi bien que la Russie d'Asie ; et la Scythie commençait au Danube aussi bien qu'à l'Iaxarte. Les mœurs des Scythes qui n'avaient pas changé d'Hérodote à Ammien Marcellin, dans un intervalle de neuf siècles, survivent encore en partie dans celles des Tartares de la Russie d'Asie. Leur laideur annonçait leur férocité. On les prendrait, dit Ammien Marcellin, pour des bêtes à deux pieds, ou pour ces pieux grossièrement façonnés qui forment les parapets des ponts ; leurs mères leur écrasaient le nez, dès leur naissance, pour que le casque s'appliquât mieux sur le visage, et eux-mêmes se tailladaient les joues à coups de sabre pour empêcher la barbe d'y croître. Toutes les familles scythiques qui ont paru en Europe, les Huns, les Avares, les Hongrois, y ont laissé par cette laideur la même impression d'effroi. Leur férocité était entretenue par leurs habitudes guerrières, et par leur religion. Le plus beau trophée chez les Scythes c'était la tête de l'ennemi changée en coupe, et la peau de cette tête suspendue à la bride du cheval du vainqueur ; leur plus grand dieu était celui de la guerre : chez eux point de temples, ni de statues de dieux, mais un sabre enfoncé en terre, ou sur un autel carre de bois sec qu'on adorait comme le dieu du pays d'alentour, et qu'on arrosait du sang des prisonniers. La pauvreté de leur pays ne permettait pas l'agriculture ; leurs troupeaux étaient leur seule propriété et leur seule nourriture : ils les conduisaient de pâturage en pâturage, cherchant le midi pendant l'hiver et le nord pendant l'été. Toute la nation menait ainsi la vie nomade ; des chariots couverts trainés par des bœufs portaient les femmes et les enfants ; les hommes ne quittaient jamais leurs chevaux, d'où ils avaient contracté une si grande habileté d'équitation que le cavalier scythe paraissait ne faire qu'un avec sa monture. Cette habitude errante fut la cause de toutes leurs invasions, de celle qui s'étendit sur l'Asie centrale et jusqu'en Égypte au temps du roi mède Cyaxare, comme de l'invasion de Balamir et d'Attila. A la race tartare ou scytique se rapportent les Huns ou Hiong-Nou, les Bulgares, les Avares, les Hongrois, les Turcs, les Mongols, et peut-être les Alains[3]. Les Germains sont bien mieux cosinus. Tacite s'était complu à faire du tableau des mœurs germaines la satire des mœurs de Rome, et à montrer dans un peuple vertueux les plus constants ennemis du peuple-roi. Le Samnite, disait-il, ni les Carthaginois, les Espagnes, ni les Gaules, ni les Parthes, ne nous ont plus souvent avertis ; la liberté des Germains est plus ardente que l'empire d'Arsace ; car que peut nous opposer l'Orient, si ce n'est la mort de Crassus, et encore nous lui avons tué Pacorus, et Ventidius l'a soumis. Mais les Germains ont mis en fuite ou pris Carbon et Cassius, Scaurus A urelius et Servilius Cepion, et Cn. Manlius : ils ont ravi cinq armées consulaires au peuple romain, Varus et trois légions à César. Ce n'est pas impunément que Marius en Italie, le divin Jules en Gaule, Drusus et. Germanicus dans leurs propres demeures, les ont Frappés. Les grandes menaces de C. César ont tourné en dérision. S'ils ont ensuite demeuré en repos, nos discordes et nos guerres civiles leur ont donné l'occasion d'emporter les quartiers d'hiver des légions et de réclamer les Gaules ; chassés de là une seconde fois, on a triomphé d'eux en ces derniers temps, plutôt qu'on ne les a vaincus[4]. Telle apparaissait au premier siècle de notre ère cette nation qui devait vaincre Rome, et fonder les peuples modernes en ranimant de son énergie, sous l'influence du christianisme, les vieilles populations de l'empire. Ils se prétendaient indigènes ; il est certain du moins qu'en repoussant l'alliance des autres nations, ils avaient conservé pure leur race et leur caractère propre. De là, malgré leur nombre, la ressemblance de tous, leurs yeux bleus et terribles, leur chevelure rousse, leur grande taille, si redoutable aux petits hommes du midi, que les soldats de César eux-mêmes en avaient été effrayés[5]. Ils rapportaient au dieu Tuiscon, fils de la Terre, leur origine et leur nom de Teutons, qui dure encore aujourd'hui dans celui de Deutsch ; le nom de Germains était moins ancien ; après avoir désigné la première tribu qui eût franchi le Rhin au détriment des Gaulois, il avait été étendu à tous les Teutons par les étrangers, de la même manière que le nom particulier des Allemands a été étendu à toute la Germanie par les modernes. Tacite a voulu retrouver dans les principales divinités germaines quelques-uns des dieux romains, comme Mars, Hercule, Mercure, à qui l'on offrait, à certains jours, des victimes humaines, et jusqu'à l'Égyptienne Isis. Il parle aussi de la déesse Hertha, ou la Terre mère, adorée par plusieurs peuplades du nord. Le bois chaste d'Hertha, dame une île de l'Océan (l'île du Rugen ?), interdit à tout autre qu'à son prêtre, renfermait son char couvert, où elle descendait quelquefois, sans se laisser voir, pour apporter à tous la paix et l'allégresse[6]. Un autre dieu que Tacite ne connaît pas, était Woden ou Odin, d'abord honoré par les Germains de l'est, et dont le culte a dû se répandre successivement au nord de la Germanie, et dans la Scandinavie, où on le retrouve encore au IXe siècle. Odin, le génie de la bravoure et du carnage, promettait à ses adorateurs une autre vie, un wahalla dans lequel ils combattaient à l'aise, et après s'être taillés en pièces ressuscitaient pour boire la bière et recommencer le lendemain. Ce culte de la guerre était né sans doute de la fougue belliqueuse des Germains ; on peut dire qu'ils aimaient la guerre. Lorsqu'une tribu était en paix, elle ne voulait pas du moins laisser le repos à sa jeunesse ; elle l'envoyait au loin chercher les combats ; leurs jeux mêmes étaient tout guerriers et pleins de périls : il fallait sauter entre des pointes et des tranchants d'armes. Ils commençaient les batailles par des cris, comme les guerriers d'Homère, ils les soutenaient par une valeur intrépide ; le plus grand déshonneur était un bouclier perdu, et le lâche un criminel qu'on étouffait en le cachant. Mais leur valeur n'était point aveugle ; savoir reculer pour recommencer avec plus d'avantage, c'était de la prudence et non de la crainte. Ils savaient encore ne pas former leurs rangs au hasard, mais se diviser par familles, et placer près d'eux le plus grand encouragement de la valeur, leurs femmes et leurs enfants, dont ils pouvaient entendre les cris. Les princes, dans chaque tribu, avaient en outre leurs compagnons, leurs fidèles, jeunes gens choisis, désignés d'avance à cette distinction par leur noblesse ou les mérites de leurs pères. Il était honteux au prince d'être surpassé par la bravoure de ses compagnons, honteux aux compagnons de ne pas égaler la bravoure du prince. Défendre le prince, le préserver, rapporter à sa gloire les hauts faits de chacun, tel était leur plus grand serment ; le prince combattait pour la victoire, les compagnons pour le prince ; après le succès, les compagnons demandaient au prince ou son cheval de bataille, ou sa framée sanglante et victorieuse ; le butin fournissait à la récompense de tous. Ainsi s'était formé ce dévouement de l'homme à l'homme ; cette fidélité qui a été le premier nom des noblesses modernes, et qui distingue encore les Allemands entre les peuples de l'Europe. Ce dévouement n'était point un esclavage ; le Germain n'était pas, comme le Scythe, assujetti sans retour au cimeterre d'un seul homme ; il était libre et prononçait sur ses affaires. Les princes, dit Tacite, décident les petites choses, tous sont consultés sur les plus grandes, de telle manière cependant que celles dont la décision appartient au peuple se traitent devant le prince. Ils se rassemblent à des jours fixes, lorsque la lune commence ou lorsqu'elle est dans son plein... Ils s'assoient tout armés ; le silence est commandé par les prêtres. Alors, un roi ou un prince, selon l'âge de chacun, selon sa noblesse, sa gloire militaire ou son éloquence, se fait entendre biens plus par l'autorité de la persuasion que par la puissance du commandement. Si leur avis déplaît, on le désapprouve par un frémissement ; s'il plaît au contraire, on agite les framées : la plus honorable manière d'approuver, c'est la louange par les armes. Il était encore permis d'accuser dans ces assemblées, et d'intenter un procès capital. On y choisissait aussi les princes qui devaient rendre la justice dans les bourgs et dans les villages, et auxquels s'adjoignaient cent assesseurs pris dans le peuple, pour être tout à la fois leur conseil et leur autorité. On aime à reconnaître dans une nation barbare ce respect de la justice, et cette distinction des peines d'après le délit. Les traîtres et les transfuges étaient pendus aux arbres ; mais les lâches et les infâmes étaient étouffés sous une claie dans la boue d'un marais. On laisse voir, dit Tacite, le châtiment des crimes, on cache celui des abominations. Ainsi le commandait la pureté naïve des mœurs germaines ; aucun peuple, en effet, hors de la religion juive avant le christianisme, n'approcha si près de la vertu. Personne ne se faisait un jeu de vice ; corrompre ou être corrompu, ne s'appelait pas le siècle. Les barbares faisaient honte ici à la civilisation du paganisme. La femme, esclave dans l'Asie, a moitié esclave dans Rome même, demeura dans la Germanie la compagne de nomme, et de ses devoirs dignement accomplis naquit l'amour qu'on lui porta respectueusement. Une simple et solennelle cérémonie consacrait et assurait la foi conjugale. En présence des parents et des proches, le mari offrait une dot à sa femme, des bœufs attelés ensemble, un cheval bridé, un bouclier, une framée et un glaive. C'était là le nœud le phis étroit, les auspices du mariage par où la femme était avertie qu'elle était la compagne des travaux et des dangers de son mari ; que dans la paix, que dans la guerre elle devait oser et souffrir ce qu'il osait, ce qu'il souffrait : voilà ce que signifiaient ces bœufs attelés, ce cheval prêt au combat, ces armes données ; ainsi devait-elle vivre, ainsi mourir. L'épreuve des ha-tailles fit toujours voir qu'elles comprenaient leurs engagements ; elles portaient des vivres et des exhortations aux combattants ; elles comptaient, elles suçaient sans peur les blessures de leurs maris ; elles rétablissaient quelquefois la fortune par leur courage. Les soldats de Marius ne rencontrèrent rien de plus terrible aux plaines d'Aix que les femmes des Teutons sur leurs chariots, repoussant à coups de hache les vainqueurs et les vaincus, ou s'étranglant pour n'être pas réduites à un second mariage, loin de la Germanie. Quelle que soit du reste l'étonnante différence qui sépare les Germains des mœurs des autres peuples, l'admiration ne doit pas aller au delà du vrai, ni dissimuler des défauts dont la vérité chrétienne pouvait seule corriger l'homme, Le plaisir de boire la bière dégénérait quelquefois en ivresse et en combats sanglants ; l'amour du jeu compromettait quelquefois tout ce que possédait le joueur, qui, après avoir tout perdu, ne craignait pas de jouer sa liberté, et se livrait en esclavage s'il la perdait. Le mépris de l'agriculture imposée aux esclaves, et des soins domestiques abandonnés aux femmes et aux enfants, produisait chez les hommes avec l'ennui de l'oisiveté, un désir impatient de combattre. C'est cet amour de la guerre qui rendit les Germains si cruels et si redoutables aux Romains, dans les premières invasions. Voici les noms des principaux peuples Germains : les Goths, subdivisés en Visigoths, Ostrogoths et Gépides ; les Suèves ; les Francs, confédération de plusieurs tribus, dont la réunion remonte au IIIe siècle ; les Allemani, autre confédération contemporaine des Francs ; les Vandales, les Lombards, les Saxons, les Angles, les Bourguignons, les Hérules, les Boiarii ou Bajuvarii (Bavarois), reste des Boïens autrefois établis à l'extrémité orientale de la Germanie, et qui, refoulés vers l'ouest par les Marcomans avaient occupé le Noricum. Il nous reste à dire quelques mots sur les Slaves. Les Slaves et les Alites, dit Procope, ne sont pas gouvernés par un seul homme ; ils vivent en démocratie, et toutes leurs affaires, heureuses ou malheureuses, se traitent en commun. Ils adorent un seul Dieu, auteur de la foudre, seul maître de tout : ils lui sacrifient des bœufs et toutes sortes de victimes. Ils ne connaissent point la destinée, et rie lui attribuent aucune influence sur les affaires des hommes mais quand la mort se présente par la maladie ou paria guerre, ils promettent à leur dieu un Sacrifice en échange de leur vie conservée. Ils honorent les fleuves et les nymphes, et les autres génies. Ils habitent dans de pauvres huttes éloignées les unes des autres, et changent souvent le lieu de leur habitation. Ils vont au combat à pied portant de petits boucliers et des javelots, mais jamais de cuirasses ; quelques-uns n'ont pas même de tuniques ni de manteaux. Leur langue commune à tous est barbare. Ils sont grands et forts ; leurs corps et leurs cheveux ne sont ni tout à fait blonds, ni tout à fait blancs, ni tout à fait noirs. On voit rarement chez eux des traîtres et des malfaiteurs. Les Slaves ou les. Antes avaient autrefois un même nom, on les appelait Spori (Épars), sans doute parce qu'ils étaient dispersés. Ils couvrent une grande étendue de territoire ; car ils habitent tout ce qui est au delà de l'Ister[7]. II Il est digne de remarque que chaque empire ait eu ses barbares à lui. Si l'invasion germaine commence par l'Orient, elle ne s'y arrête pas et n'y reparaît plus. L'Occident seul était promis aux Germains ; c'est en Occident qu'ils viennent chercher leur ville sainte ; et qu'ils la trouvent dans le christianisme et dans les terres démembrées des Romains. L'Orient semble appartenir aux Scythes et aux Arabes. Attila peut bien attaquer tout à la fois Valentinien et Théodose II. Cet ennemi du genre humain ne tient pas contre la moitié du genre humain réunie ; mais les Scythes Avares et Bulgares lui succèdent, et usurpent déjà une portion de l'Orient. Les Arabes peuvent bien envahir l'Espagne et y combattre pendant huit cents ans ; mais ils sont chassés par les chrétiens ; ils n'ont pas été chassés de l'empire grec, non plus que les Turcs, ces autres Scythes qu'une relier commune a confondus avec les Arabes. On se rappelle l'arrivée des Huns en 375, et la soumission des Ostrogoths et des Gépides par Balamir ; les Huns depuis ce temps dominaient au nord du Danube, dia Pont-Euxin à la Pannonie. Les Visigoths, fuyant l'esclavage, étaient entrée dans l'empire par la permission de Valens, puis avaient tué cet empereur, pour le punir des vexations de ses agents. Ils furent contenus par Théodose, combattirent encore quelques années pour les empereurs, et méritèrent ainsi de demeurer dans l'empire, à la garde du Danube. Ils avaient pour chef Alaric, lorsque la mort de Théodose fit régner à sa place ses deux fils, deux enfants, Arcadius, sous la tutelle du Gaulois Rufin, Honorius sous la tutelle de Stilicon. Ces deux hommes étaient les véritables empereurs (395). Stilicon, devenu Romain par son mariage et par sa charge, semblait capable de sauver l'empire. Il s'était montré, dès les premiers jours de son pouvoir, à tous les ennemis de l'empire d'Occident, franchissant les Alpes, en plein hiver, courant les bords du Rhin, et recevant partout l'hommage des barbares. Par la terreur de son nom, les barques saxonnes n'approchèrent plus de l'Armorique ; les Pictes, contenus dans la Calédonie, respectèrent les remparts romains, les Francs eux-mêmes se soumirent. On ne sait pas bien quelle était la pensée de Stilicon, ni s'il voulait du titre impérial, dont il avait déjà la puissance. Mais il prétendit à la tutelle des deux empires, et les perdit pour avoir voulu les gouverner. Rufin n'avait pas de gloire encore moins de génie, il n'était que cruel et odieux ; il avait gagné autrefois la préfecture d'Orient, en accusant et en jugeant lui-même le préfet Tatien. On venait de le voir traverser toute l'Asie de C. P. à Antioche, pour faire périr sous le fouet le préfet d'Orient, coupable d'une juste désobéissance. Il comprit qu'il avait besoin du titre d'empereur, pour maintenir et justifier son pouvoir. Il avait compté sur le mariage de sa fille avec Arcadius, pour arriver à l'empire. Supplanté par le comte Bauton et par l'eunuque Eutrope, il gardait au moins son crédit ; mais il apprit avec terreur les prétentions de Stilicon. Dans son effroi il appela les barbares à son aide, et l'invasion commença[8]. Alaric, un des chefs visigoths, entendit Rufin, réclama le prit de ses services, et parut devant C. P. Rufin en le payant pour l'éloigner des murs, et Tas.- suret' Arcadius, ne stipula pas que les Goths sortiraient de l'empire. us y restèrent d'abord sous la protection du régent. En vain Stilicon, l'homme de l'Occident, voulait sauver l'Orient. Il amenait avec lui l'armée qui avait vaincu Eugène, où se trouvaient réunies des troupes des deux empires, et même des barbares. Arcadius et Rufin pour l'empêcher de vaincre rappelèrent aussitôt les troupes qui appartenaient à l'Orient. Tout ce que put alors Stilicon, ce fut de conspirer, avec les soldats qu'il était contraint de renvoyer, la mort de Rufin qui fut tué devant C. P. Mais l'eunuque Eutrope, qui remplaça Rufin, aima mieux les Goths et leurs ravages que les secours intéressés peut-être de l'Occident. Alaric traversa toute la Grèce ; les commandants des villes avaient ordre de le laisser faire. Il chassait devant lui les femmes et les enfants, achevant de dépouiller Athènes, ruinant le Péloponnèse, quand Stilicon parut une seconde fois. Vainement il l'enferma sur le mont Pholoë, et tout en le luisent échapper par imprudence, le força à fuir jusqu'en Épire ; Eutrope craignait avant tout Stilicon, il le fit déclarer ennemi de l'empire d'Orient, et traita avec Alaric. On donna au Visigoth le titre de maître de la milice dans la préfecture d'Illyrie ; de là le barbare apercevait l'Occident. Eutrope qui ne craignait plus Stilicon se montra un digne héritier de Rufin ; il chassa les hommes de bien, et conservant la lie, il souilla les honneurs qu'il vendait, il souilla davantage encore ceux qu'il se réservait à lui-même. Le mauvais goût du poète Claudien ne peut affaiblir l'énergie de ses protestations contre Eutrope, et contre le pouvoir des eunuques qui commença avec lui[9]. Sans doute l'Orient qui avait appelé, protégé, cantonné les barbares, en porta le premier la peine. D'autres Goths auxiliaires que l'empereur avait en Asie, commencèrent à parler haut. Le goth Gainas qui avait tué Rufin, voulait remplacer Eutrope. Il fit révolter les Goths de Phrygie, les épargna quand il fallut les combattre, les déclara invincibles, et conseilla de livrer Eutrope, dont les rebelles demandaient la disgrâce. Il fallut bien céder. Eutrope fut relégué en Chypre, et bientôt mis à mort pour avoir attelé à son char des chevaux de Cappadoce, dora la race appartenait aux chars impériaux. Ce fut ensuite un autre danger. Gaïnas se déclara l'ennemi d'Eudoxie, l'altière Augusta qui se faisait honorer autant que l'empereur, il cita l'empereur à Chalcédoine, se fit donner le titre de général et le consulat, et rentrant à C. P., demanda une église pour les ariens. Comme ou la refusait, il éloigna de la ville toute la garde impériale, n'y retint que ses Goths ; mais il échoua dans tous ses projets. Il y avait encore quelque énergie dans les hommes de l'Orient. Gaïnas fut poussé hors de la ville, et vint mourir au delà du Danube, de la main d'Uldes, roi des Huns (400). 401. Invasion en Occident. Tout le mal de l'invasion gothique passa à l'Occident. Alaric s'était fait proclamer roi par les Goths. Il avait doublé ses forces, il les les avait armées aux dépens des arsenaux de l'Illyrie. Tandis que les troupes romaines combattaient en Rhétie, Alaric passa les Alpes, et apparut aux Vénètes et aux Liguriens. Les Goths ne trouvant pas de résistance, devinrent les plus cruels de tous les hommes. Toutes les villes qu'ils prirent, ils les détruisirent laissant çà et là une tour, une porte, ou quelque vestige misérable de ce qui avait été. Ils tuaient tout ce qu'ils rencontraient, vieillards et jeunes hommes femmes et enfants. L'Italie, un siècle plus tard, en était encore dépeuplée[10]. Ainsi s'annonça pour les citoyens romains la vengeance des barbares. On fuyait déjà dans les lagunes de l'Adriatique. Honorius voulait quitter Milan pour la Gaule, on tremblait pour Rome. Stilicon seul rassura l'empereur, il répara les murs de Borne ; courut en Rhétie, soudoya d'autres barbares qu'il joignit aux Romains. Cette campagne fut un chef-d'œuvre. Stilicon éloigna Alaric d'Asti par la promesse d'un établissement au delà des Alpes, mais il le suivit dans sa retraite. Le Visigoth s'arrêtait à Pollentia, pour célébrer la fête de Pâques. Stilicon le surprit, enleva son camp, enleva sa femme et ses enfants. Mais Alaric voulait rester sur l'Apennin, et dans son désespoir il pouvait se porter sur Rome ; lui rendit sa femme pour le faire partir, mais le suivit encore. Comme Alaric n'allait pas assez vite, il le battit une seconde fois près de Vérone. Le Visigoth avait vu l'empire, il ne voulait pas le quitter, il essayait de gagner la Gaule par les Alpes rhétiennes. Stilicon le bloqua au pied d'une colline, Alaric n'avait pas de vivres ; les Romains lui montraient ses enfants prisonniers ; les Goths gagnés par l'or désertaient en foule, Alaric au moins ne se rendit pas. Il échappa et revint en Illyrie[11]. L'Occident pouvait se croire délivré. Honorius vint triompher
à Rome, place Stilicon à son côté, et ne voulut pas que le sénat marchât à
pied devant son char, car il avait relevé la dignité du nom romain. Mais ni
Rome ni Milan ne lui paraissait plus un asile assuré. Il aima mieux Ravennes,
qu'on ne pouvait prendre ni par une flotte, ni par
une armée de terre. Les vaisseaux n'abordaient pas au rivage que protégeaient
des écueils ; les fleuves qui descendent des montagnes de la Gaule environnaient
Ravennes du côté de la terre. Le matin la mer, comme un fleuve profond,
s'avançait vers la ville et couvrait la campagne. Alors seulement le commerce
et l'approche étaient possibles, mais fallait en connaître l'heure pour se
retirer sans dommage[12]. La dignité
impériale se mit sous la garde de ces fleuves, de ces écueils et de cette mer
incertaine. 406. Radagaise. Bientôt apparurent les Suèves, peuple sauvage, le plus nombreux et le plus belliqueux de la Germanie, disait autrefois César. C'était leur gloire de n'avoir pas de voisins, et de se donner de vastes déserts pour limites. Cela voulait dire qu'ils avaient beaucoup détruit, et qu'eux-mêmes on ne pouvait les atteindre. Radagaise, qui les entraînait alors vers les Alpes, comme autrefois Arioviste vers le Rhin, y rencontra les Vandales, nation incertaine, moitié germaine, moitié slave, qui avait épuisé par ses ravages les côtes de la Baltique, et venait au midi chercher un nouveau butin. Il s'y joignit quelques tribus d'Alains, et les trois peuples se promirent l'Italie. Une partie escalada les Alpes, sous les ordres de Radagaise. Ce fut une terreur nouvelle, les païens seuls se réjouissaient. Rome allait donc porter la peine de leurs temples détruits et périr avec son christianisme, le fléau des états et la ruine de l'univers. Stilicon, seul encore, organisa la défense. Il opposa encore des barbares aux barbares et chassa Radagaise qui assiégeait Florence. Enfermé dans les montagnes de Fésule, Radagaise essayait de se sauver seul, mais il fut pris et décapité ; sa tête tomba sous les yeux de ses barbares qui se soumirent. Stilicon les vendit comme des troupeaux, une pièce d'or par tête. Les maladies survinrent et débarrassèrent les acheteurs d'esclaves incommodes et dangereux. Les deux victoires de Stilicon sur Alaric et Radagaise ne délivraient pas l'empire. L'Italie seule avait souffert. L'invasion se communiqua à la Gaule et à l'Espagne, et retomba encore sur l'Italie. Une guerre civile la compliqua ; Stilicon périt dans cette confusion qui décida la dissolution du monde romain. Invasion de la Gaule et de l'Espagne. Les autres Suèves, Vandales et Alains apprenant le désastre de Radagaise, se joignirent aux Burgundes (Bourguignons), et se portèrent sur le Rhin. La Gaule n'avait pas d'armée romaine. Les Francs, qui convoitaient le pays, se dirent alliés de l'empire, et voulurent arrêter l'invasion. Ils tuèrent le roi des Vandales, mais furent exterminés par la cavalerie des Alains. Le Rhin fut forcé, et les Bourguignons s'établirent aussitôt dans l'Helvétie, où ils demeurèrent. Le reste du pays fut parcouru par les trois autres peuples et changea de face par le ravage. Deux villes seules résistèrent, Laon et Toulouse. Alors les légions de Bretagne s'effrayèrent. Comme elles ne voyaient pas l'empereur et qu'elles voulaient rester romaines, elles se donnèrent un empereur, Constantin, qui s'annonça comme le vengeur des Gaules (407). Les Gaulois le reçurent avec transport, et il défit tout à la fois les barbares dans le pays des Nerviens, et les troupes de Stilicon près de Valence : puis il s'établit à Arles, envoya son fils Constant pour enlever l'Espagne : Honorius fut obligé de le reconnaître pour collègue, car il était lui-même pressé par Alaric. Le Visigoth d'impatientait dans l'Illyrie, il voulait voir Rome ; c'était là le plus ardent désir des Germains : un moine suppliant Alaric de renoncer aux meurtres et au carnage ; il avait répondu : Ce n'est pas moi qui veux aller en avant, mais il y a quelqu'un qui me presse chaque jour, me tourmentant et me disant : Va, pille la ville des Romains[13]. D'abord, craignant de ne pouvoir rentrer en ennemi dans l'Italie, il avait recherché l'alliance de ses vainqueurs, et, comme garantie de sa fidélité, il leur avait promis son secours pour enlever l'Illyrie à l'empire d'Orient. Ce projet fut retardé par les invasions des autres barbares, et Alaric fatigué d'attendre se présenta en Rhétie, réclamant 4.000 livres d'argent comme indemnité de son temps perdu. Le sénat assemblé à Rome, en présence de l'empereur, fut étonné que Stilicon appuyât la demande du barbare, et accorda la somme en murmurant (498). Alaric n'avait plus de prétexte pour ne pas rentrer en Épire ; mais l'empereur et ses courtisans en firent plus qu'il ne fallait pour l'attirer une seconde fois sur l'Italie : on l'attaqua dans ses amis en commençant par Stilicon. Depuis longtemps les flatteurs d'Honorius ne pouvaient pardonner au vainqueur de Pollentia, de Vérone, et de Florence, la haute réputation et de pouvoir sans bornes où le maintenait sa gloire ; ils commencèrent à dire que le sauveur de l'Italie voulait devenir le seul maître de l'empire ; ils lui reprochèrent l'invasion de la Gaule et l'usurpation de Constantin ; ils représentèrent les barbares auxiliaires qu'il avait fait servir contre les barbares eux-mêmes à la défense de Rome, comme autant de satellites dévoués à ses projets, et les plus dangereux ennemis du trône d'Honorius. Une autre accusation paraissait mieux fondée. Eucher le fils de Stilicon, avait été élevé dans le paganisme, et l'on pouvait croire que son père comptait sur les païens pour s'élever au titre impérial. Un ami connu de saint Augustin, Olympius céda sans doute à ce soupçon mais il eut le tort d'employer des violences que saint Augustin n'eût pas approuvées : il fit partager ses craintes à l'empereur. Il ne fut pas plus difficile de gagner les soldats romains, jaloux des barbares que Stilicon leur préférait. Une armée romaine rassemblée à Pavie fut soulevée la première, et sans attendre l'ordre de l'empereur, massacra sous ses yeux tous les amis de Stilicon. Le ministre était à Bologne avec une armée d'auxiliaires ; il ne pouvait douter de son propre danger ; il savait que les auxiliaires étaient comme lui destinés à la mort il ne voulait pas cependant marcher contre l'empereur et il demeurait incertain, quand ses alliés eux-mêmes le soupçonnant de les trahir à leur tour, tirèrent l'épée contre lui, et le forcèrent à fuir seul à Ravennes : Olympius l'y attendait ; il ordonne de le saisir, le fait arracher d'une église, et égorger sur le seuil (408). Ainsi périt Stilicon de la main de ceux qui lui devaient la vie. Claudien n'exagère pas quand il le compare à Camille ou à Marius[14]. Alaric et Radagaise n'étaient pas moins difficiles à vaincre que les Cimbres et les Teutons, et Stilicon n'avait pas, comme Marius, pour soutien de ses talents, l'habileté du vieux sénat romain, ni l'antique énergie du peuple-roi non moins infatigable à défendre sa conquête qu'à l'entreprendre. Il était seul, et il avait tout à faire à la fois ; rassurer les Romains tremblants, réparer les murs, organiser les armées, opposer les barbares aux barbares, gouverner et combattre. Si l'ambition vint se mêler à ces grandes pensées, s'il voulut être empereur, on serait presque tenté de dire que la faiblesse d'Honorius et la lâcheté de ses ennemis l'ont justifié. Cependant Olympius, après avoir fait périr l'ami d'Alaric, mit obstacle au payement des 4.000 livres d'argent, et fit massacrer les femmes et les enfants de tous les barbares auxiliaires. Ceux-ci s'enfuirent vers Alaric ; le Visigoth, s'emparant de leur haine, franchit les Alpes avec eux, et marcha droit sur Rome. Les douze portes cernées par les barbares ne laissèrent plus entrer de vivres, et les envoyés du sénat perdirent leurs paroles à braver Alaric dans son camp ; ils étaient venus pour faire les conditions, ils reçurent celles qu'il plut à Alaric de fixer : 5.000 livres d'or, 30.000 d'argent, 4.000 tuniques de soie, 3.000 pièces d'écarlate, et 3.000 livres de poivre. Que laissez-vous donc aux habitants demandèrent-ils ? Je leur laisse la vie, répondit le vainqueur, et il leva le siège avant même qu'on eût payé cette rançon. C'est dans ces circonstances qu'Honorius reconnut Constantin pour son collègue ; mais en même temps, afin de diminuer ses embarras il diminua l'étendue de l'empire (409). Il déclara la Bretagne libre ; il en fit autant de l'Armorique ; on appelait ainsi tout le pays compris entre la Seine et la Loire. Il consentait à perdre ces deux pays, pour les enlever à Constantin, mais il ne pouvait lui enlever le reste de la Gaule et l'Espagne : il est vrai qu'on laissait à Constantin, par impuissance, un effroyable empire. Les barbares auxiliaires qui avaient aidé Constant à soumettre l'Espagne, la trouvant bonne à garder, appelèrent les Suèves, les Alains et les Vandales, qui ne se firent pas attendre. L'invasion d'Espagne fut atroce. Ils pillèrent d'abord les villages : les habitants s'enfuirent vers les villes, et abandonnèrent l'agriculture. Les villes regorgeant bientôt d'habitants, la famine donna d'horribles spectacles. Une mère mangea ses quatre enfants. Alors quelques-uns s'enfuirent des villes vers les montagnes, aimant mieux la société des bêtes féroces. Cependant les campagnes étaient couvertes de cadavres. Les loups en faisaient curée, puis habitués à la chair humaine, ils se jetaient sur les vivants. Tout cela fut surpassé par une peste. Il y eut des villes où elle ne laissa pas un seul fidèle. Les évêques purent quitter leurs églises. Cependant Honorius s'obstinait à braver ces barbares qu'il ne savait plus repousser. Il osa ne pas exécuter les conditions du traité conclu avec Alaric, et les Visigoths reparurent devant Rome pour la seconde fois (410). Alaric consentait encore à traiter ; mais les stupides officiers d'Honorius avaient juré par sa vie qu'ils n'accepteraient pas d'accommodement avec les Goths, et ils affirmaient que violer leur serment c'était compromettre auprès de Dieu la vie de l'empereur. Alaric cependant prenait Porto, déclarait le préfet Attale empereur ; Attale n'accepterait pas même Honorius pour collègue, il lui laisserait la vie dans quelque île éloignée, avec une pension. Rome enfin pressée par la famine entendait ce cri : Qu'on mette en vente la chair humaine et qu'on en fixe le prix. Toutefois Attale, voulant faire l'empereur sans servir Alaric, le Visigoth s'en dégoûta, lui ôta le diadème et se rapprocha de Ravennes pour traiter avec Honorius. Mais les conférences furent troublées par le Goth Sarus, ennemi d'Alaric, qui servait dans l'armée impériale. Alaric reparut devant Rome et le troisième siège fut décisif. La ville fut livrée, le pillage permis, les habitants à peine épargnés ; on ne respecta même pas toutes les églises (410). III L'empereur d'Orient, Arcadius, était demeuré insensible aux calamités de son frère et de l'Occident plus occupé de persécuter le patriarche Jean Chrysostome que de défendre son propre empire, il avait laissé les Huns parcourir la Thrace, les Isaures ravager l'Asie, de petits peuples sans nom harceler la Tripolitaine, la Libye et l'Égypte, et assiéger dans Cyrène le gouverneur de la Cyrénaïque[15]. Théodose II, son fils, n'avait que sept ans lorsqu'il lui succéda en 408. Soutenu par l'habileté du sage Anthémius, et par l'alliance du roi Sassanide Isdegerd, le jeune prince brava les menaces d'Uldes, roi des Huns, et vainquit sur le Danube plusieurs milliers de barbares. Toutefois Anthémius ne regarda pas l'Occident où l'empire romain semblait détruit. La Bretagne et l'Armorique étaient abandonnées. Constantin tenait la plus grande partie des Gaules ; les Vandales et les Suèves pillaient l'Espagne. L'Italie était aux mains des Visigoths ; mais il y avait encore un empereur. Il se résigna au démembrement, s'il pouvait y mettre quelque ordre, et garder quelques provinces. Le Romain Constance, successeur de la toute-puissance de Stilicon, se chargea de cette œuvre. Il commença par la guerre civile. Constantin rebelle avait trouvé des rebelles dans ses soldats et dans son général Géronce qui l'assiégeait à Arles. Constance parut en Gaule appela à lui les soldats de Géronce, le força de se tuer, et pressant le siège d'Arles, malgré une armée de Francs, prit Constantin et le tua à son tour. C'était le moment où les Visigoths arrivaient en Gaule. Alaric était mort après avoir pris Rome (411). Athaulf, son beau-frère, qui le remplaça, eut d'abord la pensée de substituer l'empire gothique à l'empire romain. Mais il considéra que les Goths encore indisciplinables ne porteraient pas le joug des lois. Il vit surtout, parmi les captifs d'Alaric, Placidie, sœur d'Honorius, il l'aima et pour gagner son cœur il épargna son frère, il fut l'allié de l'empire et son défenseur (412). Il trouva d'abord en Gaule un usurpateur, Jovin de Mayence, établi à Trêves, qui s'était associé son frère Sébastien. Athaulf avait promis leur mort pour une certaine quantité de blé. Il prit Sébastien à Narbonne, et le fit périr, Jovin atteint à Valence fut envoyé au préfet des Gaules qui le décapita de sa main. Honorius n'avait plus de rival romain, restaient les barbares. On ne pouvait les chasser : il fallait, en reconnaissant leur établissement les tenir dans la dépendance. On commença par les Burgundes. Ils étaient les plus doux des barbares : Les Romains n'étaient point leurs sujets mais leurs frères dans le christianisme ; ils menaient au milieu d'eux une vie douce et tranquille. Constance traita avec eux, il leur laissa ce qu'ils avaient conquis avec le titre d'alliés (413). Les Burgundes se donnèrent alors un roi Gundicaire qu'ils avaient besoin de récompenser. Telle fut l'origine du royaume des Bourguignons. Vint ensuite le tour des Visigoths, des Suèves et des Vandales. Athaulf, mal payé de ses services, avait pris Toulouse et Narbonne ; repoussé de Marseille, il avait épousé Placidie, étalant à ses noces toutes les dépouilles de Rome, et remettant en évidence cet Attale qu'Alaric avait fait roi. On lui proposa donc un établissement en Espagne, en deçà de l'Èbre. On ne lui laissait ni vaisseaux, ni liberté de commerce avec les étrangers, on l'envoyait surtout contre Les barbares qui pillaient la presqu'île. Ce fut son successeur Wallia (417) qui accomplit ce projet poux les Romains. Il battit les Vandales près de Cordoue ; il battit les Alains en Lusitanie, et força ce qui restait de se confondre avec les Vandales[16]. Il préparait le même sort aux Suèves, lorsqu'ils demandèrent la paix à Constance ils promettaient de vivre tranquilles sous la protection de l'empire. La paix leur fut donnée. Ainsi commença le royaume des Suèves, d'où allaient sortir tant de calamités pour l'Espagne (419). Enfin les Visigoths, eurent aussi le royaume. On donna à Wallia, pour prix de ses services, tout le pays compris entre la Garonne, les Pyrénées et l'Océan. Toulouse fut sa capitale (419). IV Ainsi la politique de Constance, en consacrant la formation de trois royaumes barbares, avait permis à l'empire d'Occident de se reconnaître encore et de se reposer un moment. Tous ces barbares établis ne pouvaient s'unir ; partout ils trouvaient les Romains entre eux ; Constance obtint pour récompense la main de Placidie et le nom d'Auguste. L'empire d'Orient avait conservé sa tranquillité par l'habileté d'Anthémius ; un fonds d'argent perpétuel destiné à acheter du blé prévenait les retards de la flotte d'Alexandrie : les villes d'Illyrie fortifiées, Constantinople entourée d'un mur plus épais et plus élevé, bravaient les menaces des barbares. Après Anthémius (414), Pulchérie, sœur aîné de Théodose II, prit malgré sa grande jeunesse la tutelle de l'empire et de l'empereur. Elle donna l'exemple de la vertu au palais, en faisant vœu de célibat, et éloigna du jeune prince l'eunuque Antiochus, qui s'était chargé d'instruire Théodose pour faire sa propre fortune ; elle combattit de toutes ses forces par les enseignements de la religion le mauvais naturel de son frère que sa faiblesse rendait accessible à tous les vices, à tous les intrigants ; elle se fit admirer par son administration, et aimer par ses bienfaits ; elle fonda et dota sur le trésor public des hôpitaux pour les pauvres et les étrangers ; plus tard, lorsqu'elle fut disgraciée, elle emporta les regrets des gens de bien ; nous la verrons régner après Théodose[17]. La mort prématurée de Constance (421) détruisit son œuvre de pacification, et l'invasion recommença. Gundicaire le Burgonde remuait déjà dans la Gaule ; le Vandale Gunderic s'établissait en Bétique par la force ; les Suèves couraient la Galice, et le successeur de Wallia, Théodoric Ier, menaçait les villes de l'Aquitaine. Honorius étant mort en 424, Théodose II, qui devait lui succéder par droit de parenté, ne voulut pas de l'empire d'Occident ; Jean le Secrétaire avait osé prendre la pourpre, et sollicité pour se soutenir, le secours des Huns. Théodose refusa de le reconnaître ; il donna au jeune Valentinien, fils de Constance et de Placidie, le titre de nobilissime, à Placide elle-même le nom d'Augusta, et la chargea d'administrer l'empire romain pendant la minorité de son fils. L'usurpateur fut aisément vaincu ; livré par ses propres troupes, il eut la main droite coupée, et fut exposé dans le cirque d'Aquilée, sur un âne, à la risée de la populace[18] : un de ses complices, le Scythe Aétius, fut épargné pour son habileté reconnue. Il fut élevé au titre de comte, et devint le plus brave défenseur des Romains. L'empire d'Occident, pour ne pas périr encore, avait besoin d'un général aussi habile ; les Francs allaient se joindre aux barbares déjà établis Genséric et Attila commencer leurs ravages sur terre et sur mer. Aétius combattit pendant vingt ans pour Rome, il triompha des Francs, des Burgundes, des Visigoths, il brisa la puissance d'Attila et périt ensuite de la main de l'empereur. Théodose II continuant de régner à C. P., et Valentinien III régnant à Rome, le roi visigoth Théodoric rompit la paix et mit le siège devant Arles en 425. Battu par Aétius sons les murs et dans sa retraite, il revint en 429, pour essuyer un nouvel échec. Presque en même temps, le nord de la Gaule était envahi par le chef des Francs Cloio, Clodion (vers 430). Ce roi très-noble et très-vaillant, le premier des chefs francs qui ait occupé quelques villes en deçà du Rhin, renouvelait dans les terres des Atrébates ces courses aventureuses autrefois réprimées par le premier Constance, ou par Julien, Aétius le vainquit et lui imposa, avec la paix, la nécessité de ne plus troubler les possessions romaines. Cette défaite de la plus belliqueuse tribu germaine commençait dignement la fortune d'Aétius ; mais tandis qu'il protégeait le nord, il faisait perdre le midi. Ce fut une faute irréparable, et que les plus beaux succès ne compensèrent pas. Jaloux du comte Boniface, gouverneur d'Afrique, il l'accusa de trahison auprès de Placidie, puis il lui écrivit que Placidie irritée ne pardonnerait pas. Il lui conseilla la révolte, que Boniface accepta comme le seul moyen de salut. L'Afrique n'avait pas encore vu de barbares, Boniface y appela les Vandales, l'Afrique fut perdue, et bien d'autres provinces avec elle (429). On a bien fait d'appeler Aétius et Boniface les derniers des Romains ; leur rivalité n'a pas laissé de Romains après eux. Genseric, le roi vandale, fit à l'Espagne des adieux dignes de lui ; il extermina une armée de Suèves, et partit, laissant pour souvenir les ruines de Carthagène. Ceux qui le suivaient, Vandales, Alains, Visigoths mêmes, prétendaient bien s'enrichir, car il l'avait promis, et le pillage était la vie des Vandales. Le repentir de Boniface vint trop tard. Vainement Augustin l'évêque d'Hippone l'avait rappelé à la soumission, et Placidie avait pardonné. Lorsque Boniface pria les Vandales de quitter la Mauritanie, Genseric s'indigna de l'insulte, et répandit par une guerre d'extermination. Il tuait les hommes, coupait les arbres, les moissons, ceux qui se cachaient dans les cavernes n'avaient plus de ressource que la mort par la faim. Il assiégeait les forteresses jusqu'à leur ruine, et massacrait les prisonniers. Boniface, ayant hasardé une bataille rangée, fut battu, et assiégé dans Hippone il vit mourir Augustin, et avec lui la gloire de l'Afrique. Quelques secours venus d'Orient lui rendirent le courage ; mais une seconde bataille perdue décida la ruine d'Hippone par le feu : l'empire ne conserva que Cirthe et Carthage. Aétius avait bien continué ses services dans le nord ; il avait battu Gundicaire, le roi bourguignon, qui, maître de toute la Séquanaise, menaçait la seconde Belgique. Cependant Valentinien crut prudent de traiter avec Genseric, et pour un tribut annuel, il céda la proconsulaire excepté Carthage, la Byzacène et tout ce que le barbare avait conquis de la Numidie (436) : c'était renoncer à toute l'Afrique. Attila, roi des Huns avait paru depuis deux ans (433) ; homme puissant à ébranler les nations par la renommée formidable qu'il répandait devant lui. Il était superbe dans sa démarche, portant les yeux çà et là, exprimant par les mouvements de son corps la fierté hautaine de son autorité ; ami de la guerre, terrible au conseil, il n'était point inexorable aux suppliants ; il était clément aux vaincus dociles. La volonté des dieux semblait être de son parti. A la trace du pied sanglant d'une génisse, un pâtre lui avait trouvé l'épée du dieu de la guerre, dieu elle-même, qui s'arrosait du sang des ennemis[19]. Avant lui les Huns s'étaient contentés de soumettre les races barbares ; dominant depuis le Tanaïs, au nord du Danube, jusqu'à la Pannonie, ils avaient régné sur les Slaves du voisinage, mais ils n'avaient rien enlevé à l'empire, malgré leurs menaces. Ce fut le rôle d'Attila de combattre et de vaincre tout à la fois les Romains et les barbares ; il ressemblait en cela à Genseric ; il égala encore, ou plutôt il surpassa le Vandale à châtier les Romains par le mépris autant que par leurs défaites ; car il réduisit l'un et l'autre empire à la condition de tributaires, et il se fit un jeu de leur humiliation. Genseric et Attila s'allièrent un moment contre le reste du genre humain, et leurs noms sont inséparables dans l'histoire de cette commotion vengeresse qui a broyé le monde antique ; tous deux, sans comprendre leurs propres paroles, se disaient les ministres de la colère du ciel. Va contre ceux que Dieu veut punir, répondait Genséric à son pilote, qui lui demandait, avant de s'embarquer, le but de sa course. Attila, interrogé sur lui-même et sur ses desseins, répondit à l'évêque saint Loup : Je suis le fléau de Dieu. Tous les deux, par la même raison, respectaient les hommes et les choses qui leur paraissaient venir de Dieu, et nous les verrons s'incliner quelquefois devant les paroles des évêques et des papes. Enfin, comme tous les fléaux destinés à réformer l'homme, ils passèrent en châtiant, mais ils ne durèrent pas ; Dieu les brisa quand ils eurent accompli sa volonté. L'empire d'Attila vécut une vie d'homme. Genseric pourvut lui-même à ce que son royaume ne vécût pas au delà d'un siècle ; de même que le tigre dévore ses petits, Genseric déchira d'avance sa famille par ses lois meurtrières ; et par ses propres dévastations, il ouvrit ses états aux armes des Grecs et au bonheur de Bélisaire. Genseric, qui avait envahi le premier, acheva sans peine la conquête ; aucune force respectable ne gardait en Afrique les derniers restes de la domination romaine. Aétius avait assez de combattre sur tous les points de la Gaule. Après avoir imposé la paix à Gudicaire et à Gundioch son fils, avec l'alliance impériale (436), il combattit moins heureusement contre Clodion, qui enleva Bavai (438), il sauva Narbonne des mains des Visigoths ; mais la paix qu'il fit conclure entre Valentinien et Théodoric contenait l'abandon de la Novempopulanie. Genseric ayant donc observé le traité pendant quatre ans, se décida en 439 à reprendre la guerre : il occupa Carthage par surprise, et commença par réclamer l'or, l'argent les bijoux et les meubles précieux. Alors se montra toute sa haine du nom romain ; il détruisit les théâtres, le temple de Mnémosyne et toute la rue d'Uranie. Le fanatisme arien s'en mêlant, il détruisit les églises, chassa les évêques catholiques, et exila tout ce qu'il y avait encore d'illustre en Afrique. Quelques-uns demandaient à demeurer sur cette terre : J'ai résolu d'exterminer votre race, dit Genseric, et vous n'êtes pas contents de l'exil ! On eut bien de la peine à le retenir, il les aurait fait jeter à la mer. Quand il eut dépeuplé le pays il prit pour lui une partie des terres, en donna une autre à ses soldats, laissa le reste, mais cc qui était mauvais, aux anciens habitants et les chargea encore de taxes énormes. Quand il eut soumis la Gétulie, il s'appela roi de la terre et roi de la mer, et il soutint ee dernier titre. Carthage redevint puissance maritime, et Genséric se fit chef de pirates. Il commença par la Sicile, et continua par les autres lies de la Méditerranée. Un jour il enleva de Zacinthe cinq cents habitants, les embarqua, et quand il fut en pleine mer, il les mit en pièces et les jeta à l'eau. Il apparaissait ainsi à l'Orient, à l'Occident, sans savoir lui-même pour quelle cause il venait, ni dans quel lieu il abordait ; mais toujours certain de trouver quelque chose à prendre et quelque peuple à punir. Attila partageait avec son frère Bleda le commandement des Huns. Quoique son oncle Rugidas eût inspiré assez de terreur à Théodose II pour en obtenir un tribut sous le nom de pension, Attila dédaigna de commencer par combattre l'empire, il s'en prit plus volontiers aux barbares. Rien n'arrêtait la course de son cheval dans les plaines de la Tartarie et de la Sarmatie. Là, point de villes ni de remparts qu'il faut détruire péniblement sans en rien emporter, des hommes seulement, c'est-à-dire ce qui se tue d'un coup de sabre, ou ce qu'on emmène par troupeaux. Il subjugua l'Asile barbare, les Tartares Géougen, il subjugua les Slaves et la Germanie orientale, puis il revint dans se Pannonie après six ans d'absence, portant au front les cornes des successeurs d'Alexandre, et disant : Je Attila, fils de Dengizik, petit-fils du grand Nemrod, par la grâce de Dieu, roi des Huns, des Mèdes, des Goths, des Danois, la terreur du monde ; ce fut par le conseil d'un ermite qu'il ajouta : le fléau de Dieu. La Pannonie, le camp d'observation de tous les barbares qui ont envahi l'Occident, depuis le Goth Maximin, qui fut empereur, jusqu'eux Hongrois du IXe siècle, fut sous Attila le centre de la barbarie dont il était le maitre. Là, se pressèrent les Marcomans, les Suèves, les Quades, les Hérules, Les Turinges, les Rugiens, et les deux nations gothiques, soumises autrefois par Balamir, les Ostrogoths et les Gépides. Leurs rois formaient le conseil d'Attila : Dietmar, Vittimar, princes goths, peu puissants, mais toujours rois, au-dessus d'eux le brave Harderirk, roi des Gépides, célèbre par ses hauts faits ; Waladir, roi des Ostrogoths, et au-dessus enfin, Attila roi des rois, qui commandait d'un signe et surveillait l'obéissance. L'empire d'Orient avait prospéré entre les mains de Pa/chérie,- les lois romaines rassemblées dans un recueil qui s'appelle encore le Code Théodosien immortalisaient le nom de Théodose, Daïa ce faible prince n'avait qu'un mérite qui lui appartînt en propre, celui d'écrire lisiblement, et les Grecs eux-mêmes l'ont flétri du nom de Calligraphe. Son indolence était extrême ; on ne pouvait tirer vanité de l'avoir trompé, tant la chose était facile. Pulchérie lui fit un jour signer un acte par lequel sa femme était livrée en esclavage, et le lui montra ensuite pour le faire rougir. L'empereur ne se corrigea pas et se livra aux eunuques qui profitaient trop de sa mollesse pour la contrarier jamais. Il éloigna sa femme Athénaïs, il éloigna Pulchérie, il se laissa gouverner par Chrysaphius (440). Attila et Bleda se présentèrent alors pour réclamer des Huns transfuges, et l'augmentation du tribut payé à Rugulas. Théodose les satisfit, et apprit avec effroi que les transfuges avaient été pendus. Au printemps suivant (442) les Huns mirent à feu et à sang toute la haute Mésie ; ils prirent Sirmium, détruisirent Naïssus, et, Sardique brûlé, se répandirent dans la Thrace. Théodose paya d'un second tribut leur retraite ; mais ne fit rien pour prévenir leur retour. La position des Huns sur le Danube, les invitait incessamment à piller l'empire grec ; l'insolence d'Attila ne se lassait pas d'ailleurs d'avertir l'empereur du danger : il envoyait à C. P. tous ceux qu'il voulait enrichir, et ils en revenaient toujours chargés de présents. L'empereur s'occupait avant tout des factions du cirque ; les blancs, les bleus, les verts, les rouges vinrent aux mains dans C. P. et mêlèrent à leur sang celui des spectateurs (445). Valentinien III plus heureux voyait les Visigoths et les
Burgundes réduits à la paix. Aétius domptait une seconde fois les Francs.
Clodion entra (445) dans la forêt Charbonnière,
il prit la cité de Tournay ; à Cambrai il mit à mort tous les Romains par l'épée
; gardant cette ville, il s'avança jusqu'à la Somme ; mais Aétius attaqua les
Francs pendant qu'ils célébraient les noces d'un de leurs chefs. Les blonds
époux s'enfuirent, et l'on vit briller sur les chariots les apprêts de la
fête, les viandes captives et les marmites couronnées de fleurs[20]. Les Bretons
abandonnés par Rome depuis Honorius, poussés par les Pictes vers la mer et
repoussés par la mer vers Pictes, implorèrent le vainqueur des Francs. Leur
message commençait par ces mots : A Aétius trois
fois consul, les gémissements des Bretons. Aétius passa la mer, combattit
et vainquit pour eux ; pour assurer les résultats de sa victoire, il leur
conseilla de former une confédération entre tous les clans, de se choisir un
chef du pays, un Bretwalda ou Penteyrn, qui les défendît par l'union de
toutes leurs forces. Les Bretons suivirent ce conseil, ils mirent à leur tête
Wortigern ; mais ils auraient préféré le rétablissement de la domination romaine
; ils regardèrent comme un nouvel abandon le départ d'Aétius (449). Après avoir
pillé la Bretagne, pendant 400 ans, disent les annales galliques, les Césariens repartirent pour la terre de Rome, afin de
repousser l'invasion de la horde noire. Telle est en effet l'excuse d'Aétius, les deux empires étaient
aux prises avec Attila. Attila avait tué son frère et régnait seul ; dès l'an 447 il avait reçu de Théodose le titre de général romain, et presque aussitôt son envoyé était venu dire aux deux empereurs : Mon maitre et le tien t'ordonne de lui préparer un palais. Une attaque furieuse déconcerta l'empire d'Orient. Attila écrase deux armées, traverse sans obstacles la Thrace, la Dacie, la Mésie ; il prend 70 villes et ne s'arrête qu'aux Thermopyles. Asémonte avait résisté ; obligée pourtant de rendre les transfuges, elle s'était fait rendre ses prisonniers. Mais l'humiliation des autres villes força Théodose à payer une paix de 6.000 livres d'or, et un tribut annuel de 2.000. Les transfuges furent encore rendus. Une si terrible humiliation n'était pas facile à porter, même pour les Grecs ; ils prirent pour s'en débarrasser le grand moyen grec, la trahison. Chrysaphius conseilla de tuer Attila, et on lui envoya une ambassade ; mais ils étaient découverts avant leur arrivée, ils furent humiliés bien davantage. Ils voulaient camper sur une éminence, on leur ordonna de descendre, parce que Attila campait dans la plaine et qu'ils ne devaient pas se placer plus haut. On les amena devant le roi, ils regardèrent ses petits yeux, son nez écrasé, sa petite taille, et sa grosse tête, sa large poitrine. Tout cela disait effroyablement son origine scythique. Comme un des ambassadeurs protestait qu'il n'y avait plus de transfuges dans l'empire : Menteur, lui dit Attila, sans le droit des gens, tu serais pendu et livré aux vautours, et désignant les Grecs : Je ne souffrirai jamais que mes esclaves combattent contre moi. Il les fit marcher ensuite jusqu'à son palais de bois, voisin du Danube avec ses tours de bois, et son enceinte de planches. Il les humilia à sa table en leur donnant la dernière place. Un repas splendide fut servi. On donna à tous de la vaisselle d'argent, mais Attila ne voulut que sa vaisselle de bois, et ne mangea que d'une viande. Il resta grave et sombre pendant les chants qui célébraient ses victoires, et les farces de deux bouffons ; il ne dit qu'un mot à la fin et c'était l'arrêt de l'empereur : Attila et Théodose sont tous deux de noble race ; mais Théodose s'est dégradé en devenant l'esclave d'Attila. Comme un esclave méchant, il a voulu faire assassiner son maître : Attila lui pardonne, pourvu qu'il lui livre Chrysaphius[21]. Théodose II l'apaisa par des présents et mourut en 450. Sa sœur Pulchérie lui succéda en épousant Marcien. On prétend que ce brave soldat répondit aux demandes d'Attila : J'ai de l'or pour mes amis, et du fer pour mes ennemis, et le Hun s'éloigna par respect. Il vaut mieux croire qu'Attila avait assez pillé l'Orient pour n'y plus retourner. Genséric l'appelait à l'Occident contre Rome et contre les goths, car Genseric aussi était ennemi des Romains et des barbares. Le prétexte de l'invasion fut misérable. Honoria, la sœur de Valentinien III, s'était, seize ans plus tôt, promise à Attila ; il la réclama, et sur le refus de l'empereur, il se dirigea vers la Gaule. Il disait aux Romains qu'il n'en voulait qu'aux Visigoths, aux Visigoths qu'il n'en voulait qu'aux Romains ; il ne trompa personne. Valentinien demanda le secours du Visigoth Théodoric Ier contre le tyran du monde, qui se déclarait ennemi de la nature entière. Mais en attendant, Attila força le Rhin, détruisit Strasbourg qu'il défendit de relever sans sa permission. Il pilla Mayence, Trèves, Tongres, Arras, Saint-Quentin. Troyes fut sauvé par la fermeté de saint Loup. Geneviève, la bergère de Nanterre, montra aux habitants de Paris un secours dans la prière, et un appui dans le ciel. Attila passa outre, mais il assiégea Orléans. L'évêque Anianus (saint Aignan) releva les murs, et fit savoir son danger à Aétius. Le général romain et Théodoric avaient rassemblé des forces nombreuses : Francs, commandés par Mérovée, Sarmates, Armoricains, Burgundes, Saxons, Ripuaires, et d'autres peuples celtiques et germains, et jusqu'à un reste d'Alains que Sangiban conservait en Armorique. Anianus priait toujours, demandant si l'on ne voyait rien venir. Ils parurent enfin à travers la poussière. Orléans fut sauvé, Attila recula, mais le visage tourné contre l'ennemi, jusqu'aux champs Catalauniques. Ce coin du monde fut comme l'aire où vinrent se broyer d'innombrables nations[22] ; les barbares des deux partis, les Romains et les barbares. Le combat fut long et opiniâtre, Théodoric y périt. Mais Attila battu n'eut d'asile qu'au milieu de ses chariots. Déjà il y dressait un bûcher des selles de ses chevaux : Aétius le laissa échapper, et il regagna la frontière, escorté de saint Loup dont la vertu lui semblait une sauvegarde. Bientôt il eut refait son armée. Il voulait repasser en Gaule pour punir les Alains de Sangiban, mais les Visigoths lui coupèrent le passage et le rejetèrent sur les Alpes. Attila les franchit, Valentinien s'enfuit jusqu'à Rome. Le barbare assiégea Aquilée, son épée n'y laissa ni habitants ni garnison. Milan, la métropole de la Ligurie, ville royale autrefois, fut ravagée sans pitié. Pavie tomba sous le même sort. Les Huns démolirent toute l'Italie du nord. Vainement Aétius détruisait quelques détachements qui passaient le Pô, Attila délibérait déjà s'il irait à Rome. Il fallut que l'Église dit encore une fois au torrent : Tu n'iras pas plus loin. Le pape Léon Ier vint trouver Attila, comme saint Loup, il parut terrible dans sa prière. Attila donna la paix, mais en grinçant des dents. Il imposa un tribut, et menaça de revenir, si on ne lui donnait Honoria et la moitié de l'empire. Il ne revint pas. Les Huns le trouvèrent mort un matin dans sa tente. Ils se tailladèrent le visage, et dirent sur un ton lugubre : Attila, le plus grand roi des Huns, a étendu sa puissance plus loin qu'aucun prince avant lui. Il a fait trembler les deux empires, il leur a imposé des tributs, et s'il ne les a pas détruits, c'est qu'ils ont pleuré pour vivre. Après cela, ils vêtirent son cadavre d'un cercueil de fer, d'un autre d'argent, d'un troisième d'or. Ils enterrèrent avec lui des armes ennemies, des harnais précieux, et égorgèrent les esclaves qui avaient creusé la fosse. On croit lire les mœurs des Scythes au quatrième livre d'Hérodote (453). L'empire n'eut pas le temps de se réjouir ; l'allié d'Attila, Genseric, le remplaça. Valentinien, après avoir tué Aétius, avait été tué lui-même par le sénateur Maxime. Le meurtrier prit le trône et la femme de Valentinien, Eudoxie : mais quand il eut osé lui avouer son crime, il fut perdu : Eudoxie appela les Vandales à sa vengeance ; et Genseric se porta sur Rome (455). Maxime périt le premier, lapidé dans les rues. Rome ancienne périt avec lui. Les Vandales pillèrent pendant quatorze jours et quatorze nuits. On enleva à moitié le bronze doré qui couvrait le temple de Jupiter Capitolin. On n'épargna pas davantage les dépouilles de Jérusalem apportées autrefois par Titus. Voilà comment les restes des anciennes religions s'écroulaient sous la main barbare. Le christianisme plus puissant sauva au moins quelque chose. Le pape Léon Ier obtint la vie des habitants ; mais si le vainqueur ne tua pas tout, il emmena de nombreux captifs, Eudoxie et ses filles, et tant d'autres que les hôpitaux de Carthage ne suffirent pas. L'évêque Deogratias convertit les églises en hôpitaux[23]. V Les deux empires successivement ravagés par Alaric, et également humiliés par Attila, n'avaient pas cependant subi la même destinée. Constantinople avait vu les Visigoths sous ses murs, sans être touchée par eux, et sa domination n'était entamée par aucun peuple barbare ; l'empire d'Occident au contraire perdait pièce à pièce ses provinces, et Rome dans un espace de quarante-cinq ans (410-455) avait été saccagée deux fois. Elle avait peu gagné à admettre les Suèves, les Visigoths et les Bourguignons au titre ou à les vaincre par la main d'Aétius. Les Suèves sortaient infatigablement de la Galice pour piller l'Espagne, et portaient leurs ravages jusqu' à Hispanie et à Carthagène. Les Bourguignons, maîtres de la Séquanaise, repoussés de la Belgique par Aétius, avaient du moins obtenu pour dédommagement la Sapaudie (Savoie, Chablais, Bresse), et leur roi Gundioc, élevé par Maxime au titre de maître de la milice dans les Gaules, avait fait décorer son fils du nom du patrice. Les Visigoths après avoir combattu Attila, moins pour les Romains que pour eux-mêmes, faisaient durement sentir l'importance de leur amitié, et Thorismond, premier successeur de Théodoric, avait impérieusement réclamé sa part de butin. Les Francs seuls paraissaient demeurer en repos. Leur chef Mérovée avait peut-être combattu aux champs Catalauniques ; mais on ne sait rien du reste de sa vie, et ce fondateur, prétendu d'une race royale, dont les Mérovingiens semblent tirer leur nom, est à peine connu des historiens des Francs eux-mêmes. Grégoire de Tours n'en dit qu'un mot : On croit que Mérovée, qui eut pour fils Childéric, était de la race de Clodion. La mort d'Attila ne profita encore qu'à l'empire d'Orient. Cette domination scythique formée si rapidement tenait à la vie d'un homme et à la vigueur de son commandement. Quand il fut mort, les nations qu'il avait unies dans une soumission unanime, refusèrent la même obéissance à ses fils Dengizik, Irnac, et Ellac ; Ardaric roi des Gépides s'indigna d'être traité comme un esclave, et il donna le signal d'une révolte universelle. Aussitôt les peuples s'armèrent pour leur ruine, et la guerre s'engagea dans la Pannonie auprès du fleuve Netad. On vit combattre le Goth à l'épée furieuse, le Gépide brisant dans ses blessures les traits ennemis, le Suève au pied agile, le Hun à la flèche rapide, l'Alain à la lourde armure, l'Hérule aux armes légères. Après de nombreux combats qui furent sanglants, la fortune se déclara pour les Gépides[24]. Ellac fut tué, et Irnac ramena les Huns en Asie où leur nom perdit son importance et où de leurs débris s'est formée peut-être la nation des Turcs. Ardaric prit avec les siens tout le pays qui s'étend entre la Theiss et le Dniester, et fonda ainsi le royaume des Gépides que nous verrons détruire au bout d'un siècle par les Lombards. Les Ostrogoths, sous les ordres de leurs trois chefs Walamir, Widimir et Théodemir, avaient aussi combattu contre les Huns ; ils craignirent ensuite de lutter contre les Gépides, et plutôt que de tenter une conquête périlleuse, ils demandèrent à l'empereur Marcien un territoire. Marcien leur donna la Pannonie entre la Mésie supérieure à l'est, la Dalmatie au midi, le Noricum à l'ouest et le Danube au nord ; Sirmis et Vienne étaient leurs villes principales. Ainsi l'empereur d'Orient, délivré des Huns, faisait, par ce don seul, acte de supériorité sur les Ostrogoths ; il les acceptait pour alliés et pour défenseurs de sa frontière[25]. Cette ressource nouvelle de faire combattre les barbares contre les barbares pouvait offrir un grand avantage ; à l'énergie des envahisseurs les vieilles races romaines opposaient ainsi des défenseurs non moins énergiques. Après la mort d'Attila, plus encore qu'auparavant les auxiliaires parurent ne pas manquer aux empereurs d'Occident. Les barbares errants, de tout nom, de toute tribu, qui n'avaient ni terre ni cher capable de les conduire, se réfugièrent auprès des empereurs qui n'avaient puis de soldats : ils avaient combattu l'empire avec le roi des Huns, ils s'engagèrent maintenant à le défendre ; mais leur secours n'était qu'une perfidie. Nous verrons mille étendards suivre les aigles romaines ; le Bastarne, le Suève, le Pannonien, le Hun, le Gète, le Dace, l'Alain, le Rugien, le Bourguignon, l'Ostrogoth, le Sarmate et bien d'autres formeront l'armée impériale. C'est ainsi que Sidoine Apollinaire compte les forces des empereurs. Triste destinée du panégyriste, qui voit le mal et l'appelle du nom de bien, qui comprend la défaite et la faiblesse et veut croire à la victoire et a la puissance. Le chef de tous ces barbares sera un barbare, le Suève Ricimer, élevé aux titres de comte et de mitre de la milice. Le pote chante aussi l'invincible Ricimer vers qui se tournent les destinées publiques. Il aime à dire qu'il est Suève par son père, Goth par sa mère, deux fois ennemi des Vandales. Wallia, son aïeul, annonçait sa gloire, quand dans les champs de Tartessus, il écrasa les Vandales et les Alains, et couvrit de cadavres l'occidentale Calpe. Ricimer seul, d'un bras puissant repousse le pirate errant dans la campagne, qui fuit le vainqueur et la bataille. Parce qu'il est redouté, le Norique contient l'Ostrogoth, la Gaule enchaîne le Mars du Rhin ; mais il est seul, et un seul homme peut retarder tous ces dangers, il ne peut en délivrer le monde. Aussi bien, Ricimer ne voulait pas sauver l'empire, mais se faire puissant. Avant lui, Stilicon et Aétius, tous deux barbares comme lui, avaient représenté l'empire, puis étaient morts par les soldats romains ou par la main de l'empereur. Aujourd'hui c'est la main barbare, c'est Ricimer qui gouverne et qui tue ; il y eut quatre empereurs dont Ricimer disposa en dix-huit ans (455). Les barbares confédérés ne l'imitèrent que trop bien ; ce furent eux qui détruisirent l'empire d'Occident, 26 ans après la prise de Rome par Genseric. L'alliance des Bourguignons et des Visigoths ne fut pas plus sire aux empereurs. L'un et l'autre peuple continua eil effet son rôle d'allié du peuple romain, mais .ni l'un ni l'autre rie prétendait le faire gratuitement. Sidoine Apollinaire exaltant les vertus du Visigoth Théodoric II rappelle la colonne de l'empire ; il le représente entouré des hommages de tous les peuples barbares, et tournant cette puissance au profit des Romains qui attendent leur salut de sa protection. C'est la Garonne, dit-il, qui défend le faible Tibre. Si quelque orage a grondé dans le Nord, c'est de Théodoric qu'on espère la ruine des peuples scythiques. Mais il ne faut pas prendre au sérieux ces éloges qui peut-être avaient pour but d'éloigner de l'Auvergne l'ambition du barbare. Tous les services des Visigoths et des Bourguignons furent trop chèrement payés pour que l'empire en ressentit le bienfait ; avant la catastrophe du dernier empereur d'Occident, ils avaient acquis par la force ou par des concessions la plus grande partie des Gaules et de l'Espagne. L'année même (455) où l'empereur Maxime périt sous les coups des Vandales, un nouveau peuple barbare avait entrepris l'invasion d'une ancienne province romaine. La Bretagne harcelée incessamment par les Calédoniens ne trouvait plus en elle-même ce quoi se défendre avec succès. Déjà quelques Bretons cherchaient asile sur la pointe occidentale de la Gaule, où leurs ancêtres avaient jadis envoyé des secours aux Armoricains contre César ; ils commençaient à transporter leur nom, leurs mœurs et pour ainsi dire leurs villes, à cette nouvelle Bretagne qui s'obstine encore aujourd'hui à les conserver, Mais leur départ, en les mettant à couvert, affaiblissait davantage ceux qu'ils laissaient aux prises avec les invasions annuelles des Scots et des Pictes. Wortigern qu'ils avaient tous élu pour leur chef unique, s'efforça donc d'acquérir des alliés utiles il crut les trouver en deux chefs barbares qui côtoyaient alors la Bretagne avec des troupes aventureuses de Jutes et de Saxons. Hengist et Hersa — c'était le nom des deux chefs — acceptèrent avidement la proposition de combattre les Calédoniens, et les vainquirent. Ils célébrèrent avec leur protégé les réjouissances de la victoire, et s'assirent aux m'ânes festins. Mais malheur au jour où nous les avons aimés, s'écrient les derniers historiens de. la Bretagne, malheur à Wortigern et à ses lâches conseillers. Selon certaines traditions, Hengist maria sa fille à Wortigern, et domina son gendre comme il voulut ; à la ruse il joignit la plus atroce cruauté ; il attira è un festin les principaux de la Bretagne, et en fit poignarder trois cents. Tel fut le commencement de l'invasion s'axone, la plus cruelle sans contredit de toutes les invasions. Hengist et Horsa occupèrent le Cantium, et fondèrent le royaume de Kent ; ce fut le premier des huit royaumes barbares qui devaient se substituer au peuple breton, et que nous appelons Octarchie. L'empire romain n'avait plus rien à vair aux malheurs d'un peuple qu'il avait formellement abandonné ; aussi bien la défense des provinces méridionales était déjà assez difficile. Le Visigoth Théodoric II qui avait acquis le trône par l'assassinat de son frère Thorismond, régnait depuis deux ans lorsqu'il apprit la mort de Maxime. Il avait à sa cour, comme envoyé de l'empereur, un ancien rhéteur dont il avait été l'élève, l'Arverne Avitus ; il le proclama lui-même et le revêtit de la pourpre. Avitus, beau-père de Sidoine Apollinaire, a reçu de son gendre de pompeux éloges dans un panégyrique en vers qui nous est resté. La même pièce contient aussi l'éloge des Arvernes, de ces hommes invincibles à pied, vainqueurs à cheval quand ils voulaient, dont l'opiniâtre résistance eût suffi à rendre immortelle la Gloire de César leur vainqueur, et qui après cinq cents ans n'avaient rien perdu de cette opiniâtreté. Seuls entre les Gaulois ils luttèrent contre les barbares Visigoths et Bourguignons ; ils souffrirent tout pour l'empire pour les habitants du Latium dont ils étaient les frères ; ils souffrirent la disette, la flamme, la peste. Ils se maigrirent par les jeûnes, tandis qu'ils engraissaient leurs glaives du sang ennemi[26] ; et lorsque enfin ils eurent été livrés lorsque l'empire eut péri en les abandonnant, ils se montrèrent encore redoutables à la domination franque. Avitus ne fut pas digne de cette race qui le soutenait, par patriotisme comme un concitoyen ; il commença par céder aux Visigoths tout ce que ceux-ci pourraient enlever aux Suèves en Espagne. Théodoric somma le roi Réciaire d'abandonner les possessions romaines, et sur son refus il franchit les Pyrénées avec le secours des Bourguignons. Les Suèves furent vaincus dans la Galice et leur roi, pris au moment de gagner l'Afrique, fut mis à mort par ordre du vainqueur ; un gouverneur de la nation des Goths leur fut imposé, et des forces suffisantes envoyées coutre la Bétique reçurent, sarts effusion de sa, la soumission de cette province[27]. Quelque temps après Théodoric permit aux Suèves de se choisir un roi de leur race, mais e garda la Bétique qui passa ainsi de la domination romaine à celle des Goths. Les Vandales, qui du moire ne se donnaient pas pour alliés de l'empire, continuaient leurs courses annuelles : l'Italie dévastée voyait chaque année les fureurs du Caucase sortir de la brûlante Byrsa[28]. Ricimer vainquit les Vandales près de l'île de Corse ; passant de là en Sicile, il les y vainquit une seconde fois ; mais aussitôt il osa se prévaloir de ces succès. Il profita de la haine qu'inspirait la mauvaise administration d'Avitus, et se révolta heureusement près de Plaisance. L'empereur étant vaincu et déposé l'Occident resta six mois sans empereur ; Ricimer régna, sans que personne portât le titre de sa puissance. Nous avons parlé plus haut de l'antipathie nationale qui séparait les Grecs des Romains, l'empire d'Orient de l'empire d'Occident. Toutefois, 'tant que les deux branches de la race de Théodose avaient régné à Borne et à Constantinople, un lien de famille avait uni les deux empires clans une communauté d'intérêts et de secours. Lorsque cette famille eut disparu par la mort de Valentinien III et de Pulchérie l'Orient ne renonça pas à secourir l'Occident. Nous avons dit encore que les Grecs, non contents de repousser le joug des Romains, prirent le nom de Romains à leur tour et prétendirent régner sur leurs anciens maîtres. Il leur importait donc de ne pas laisser occuper par les barbares un bien qu'ils convoitaient pour eux-mêmes, et de combattre des envahisseurs qu'il était plus facile d'arrêter aux frontières, que de déposséder après leur établissement, comme la suite le fit bien voir. Voilà ce qui explique la continuation de l'alliance entre les deux empires. Les empereurs grecs, en attendant qu'ils pussent s'approprier l'Occident, s'efforcèrent au moins de maintenir le titre impérial de ce côté ; ils y envoyèrent des empereurs et quelquefois des secours. C'était là pour Sidoine Apollinaire une autre espérance de salut : Le soleil, dit-il, vient encore de l'Orient, la nature n'a pas changé ; mais il n'appartenait pas plus aux Grecs de sauver l'Occident que de le posséder. Pulchérie était morte en 463 ; Marcien mourut en 447. Nulle règle de succession ne mettait l'empire de C. P. à l'abri des factions et des brigues, et le patrice Arpar, qui disposait à son gré des soldats, aurait pu occuper le trône. Il préféra ne pas prendre un titre exposé à trop d'envie, et il le donna à une de ses créatures, au Thrace Léon, qu'il comptait bien diriger à son gré. Léon proclamé par le sénat, accueilli par l'armée, couronné par le patriarche, prétendit être le seul maître, et tout d'abord il refusa le titre de César au fils de son protecteur. Comme Aspar lui demandait s'il convenait à un empereur de ne pas tenir ses engagements : Il lui convient encore moins, répondit-il, de recevoir la loi comme un esclave. Léon reconnut ensuite, pour empereur d'Occident, le brave Majorien, le compagnon des victoires d'Aétius, et le seul prince véritablement grand de cette époque de décadence. Ricimer, comme Aspar, perdit alors son crédit ; mais tous ceux qui voulaient rester Romains en conçurent une plus vive espérance. Cette espérance élève bien haut le génie de Majorien. Son avènement multipliait les dangers (457). Les Arvernes, regrettant leur compatriote Avitus, rejetaient Majorien ; Théodoric, irrité de la déposition de son protégé, s'avançait jusqu'au Rhône par le ravage des villes et des campagnes et assiégeait Lyon, où les Bourguignons venaient le rejoindre. Majorien disposa habilement la résistance. Égidius, maître de la milice dans les Gaules, assiège Lyon et en chasse les Bourguignons. Il bat Théodoric devant Arles en 469. Le chef des Francs Mérovée venait de mourir ; son fils Childéric, abusant du premier rang, s'était déjà fait chasser pour ses excès. Égidius devient le chef des Francs par leur libre choix, et les retient dans l'impuissance de nuire à l'empire. Cependant les Vandales avaient débarqué sur la côte d'Italie, près de Sinuessa ; ils sont vaincus, et le beau-frère de Genséric reste sur la place : enfin, pour détruire le mal dans sa source, l'empereur lui-même part de Ravennes, annonçant qu'il va punir et les barbares de la Gaule, et les Suèves d'Espagne, et les Vandales d'Afrique. Il traîne après lui les hommes du Danube, tous les barbares confédérés dont il a fait des soldats dociles. Il dompte d'abord les Alpes, et leurs rochers et leurs glaces, de la pointe de sa pique. Les Huns se plaignant du froid : Vous aurez l'été en Afrique, répond Majorien, et comme ils résistent encore, ils sont massacrés par les autres barbares ; enfin il arrive en Gaule. Sidoine Apollinaire se présente avec un long panégyrique, il loue et il demande grâce pour les ruines de la Gaule, il demande un regard pour Lyon qui n'a plus de blé, de bœufs, de colons, de citoyens. Il promet bien d'autres louanges si Lyon sort de ses ruines, Majorien ne se venge pas, mais il impose la paix aux Visigoths, et passant en Espagne il prépare à Carthagène un grand armement contre les Vandales. Ici finirent ses succès, il fut trahi ; sa flotte fut prise, et comme il revenait en Italie, il y trouva la trahison de Ricimer (461). Majorien mourut à Tortone et l'on soupçonna avec raison que Ricimer l'avait assassiné pour reprendre sa puissance ce soupçon produisit une guerre civile qui anéantit les succès des quatre années précédentes. Ricimer ayant choisi pour empereur un Lucanien obscur qui prit le nom de Sévère III, Égidius refusa de le reconnaître, et se déclara l'ennemi du protecteur et du protégé, Ses proclamations hardies, dans lesquelles il prétendait agir au nom du sénat et du peuple romain, annonçaient qu'il allait descendre en Italie et châtier l'assassin des empereurs. Ricimer, pour lui Fermer le chemin, céda quelques villes aux Bourguignons, et obtint l'alliance de Théodoric II par l'abandon de Narbonne[29]. Égidius, pour combattre Ricimer à armes égales, s'allia aux Alains de l'Armorique, aux Bretons et peut être à Genséric ; il s'allia aux Saxons, et les introduisant par la Loire, il leur permit le ravage depuis Nantes jusqu'à Bayeux où ils laissèrent une colonie qui fut longtemps distinguée par la longue chevelure, et désignée du nom de Saxones Bajocassini. Ce fut Ricimer qui l'emporta, et les barbares qui profitèrent. Les Vandales furent repoussés de la Sicile, et les Alains, qui avaient tenté une invasion en Italie, furent détruits près de Bergame. Égidius, venant au secours des Aquitaines ravagées par Théodoric, fut vainqueur près d'Orléans et tua Frédéric, Frère du roi barbare ; mais les Francs commençaient à se repentir d'obéir à un Romain : ils trouvèrent accablants les services qu'ilo exigeait d'eux, et ils rappelèrent Childéric. Égidius, attaqué par eux, ne put soustraire Cologne à leur fureur, ni préserver Trèves de l'incendie ; il s'était retiré à Soissons, et y réparait ses forces, lorsque les Visigoths l'empoisonnèrent pour se délivrer du seul défenseur qui restât aux Romains (464). Rien n'arrêtant plus leurs conquêtes, ils joignirent à la Narbonnaise l'Aquitaine seconde, et Théodoric maria sa fille au roi des Suèves Remismond, qu'il gardait ainsi dans sa dépendance. Ricimer voulait ne pas voir ces succès d'un allié ; satisfait de gouverner l'Italie, il laissa mourir son empereur Sévère III sans-lui donner de successeur (465), et régna encore une fois sans titre, au grand affront des Romains, pendant dix-huit mois. Théodoric II fut assassiné en 466 par son frère Euric qui prit sa place ; Euric craignit que le roi des Suèves ne voulût venger son beau-père, et il résolut de le prévenir. La Galice obéissait alors aux Suèves avec-une partie de la Lusitanie, la Bétique et la Catalogne aux Goths ; le territoire de Carthagène, les Carpetans, et tout le reste de l'Espagne, demeuraient aux Romains. Le roi visigoth obtint sans doute par une promesse trompeuse, l'amitié et. le consentement de l'empereur d'Orient, et il entra en Espagne dont il soumit presque toutes les villes[30]. Dans le même temps, il est vrai, le sénat, le peuple Romain, et les confédérés eux-mêmes, s'adressèrent aussi à Léon et lui demandèrent pour empereur le sage Anthémius, le petit-fils de celui qui avait gouverné la jeunesse de Théodose II. Les panégyriques dont la servile imprévoyance ne passa de mode qu'avec les empereurs, célébrèrent cette nouvelle union de l'Orient et de l'Occident, et les espérances qu'elle faisait mitre[31]. L'expédition de Léon et d'Anthémius contre les Vandales (468) semblait d'abord les justifier. Onze cents vaisseaux et 100.000 soldats se réunirent en Sicile ; la Sardaigne occupée fut le premier succès. Avec la même rapidité on surprit Tripoli en Afrique, et les villes voisines. Mais Léon aval confié le commandement des forces grecques Basiliscus, et Basiliscus ami dévoué de l'arien Aspar, qui en retour lui avait promis le trône s'était engagé à épargner les ariens. L'or de Genséric le confirma encore dans ces dispositions ; au lieu de marcher droit à Carthage qui n'avait point de défense, et de disperser les Vandales effrayés, demeura immobile, détournant même les yeux des préparatifs que son inaction avait inspirés aux ennemis. Tout coup un vent violent lança sur la flotte impériale un incendie mobile à travers la mer. C'étaient de vieux vaisseaux que Genséric avait allumés pour brûler les Romains ; et pair derrière on entendait les cris des Vandales qui célébraient d'avance leur victoire. Basiliscus s'enfuit le premier. Les vaisseaux romains furent brûlés ou pris : on ne cite, dans ce désastre a que la valeur de Jean : d'Antioche, qui, sommé de se rendre sur la promesse de la vie, aima mieux se jeter à la mer en criant : Je ne serai pas l'esclave de chiens comme vous[32]. La perte était considérable, l'Orient seul avait à regretter 130.000 livres pesant d'or ; Genséric avait acquis une réputation d'invincible qui redoublait la terreur, et les ennemis de l'Occident en concevaient une plus grande audace. Erie attaqua dans la première Aquitaine le pays des Bituriges (Berri) ; et en garda la plus grande partie après avoir vaincu les Bretons alliés d'Anthémius[33]. Childéric s'avança jusqu'à la Loire, et occupa Angers (471). Euric menaçait l'Auvergne : pour défendre ce dernier asile du nom romain en Aquitaine, Anthémius traita avec les Bourguignons ; il mit le roi Gundioc en possession de Lyon et de la Lyonnaise germanique, et à ce prix il obtint son alliance utile contre les Visigoths. Cette dernière période de l'histoire romaine se complique à chaque pas de nouvelles difficultés et de nouveaux troubles. Chaque empereur avait alors sa guerre civile. Léon combattait Aspar ; Anthémius combattait Ricimer. L'empereur d'Orient n'avait pu appeler à sa cour l'Isaurien Zénon ni lui donner sa fille impunément. Aspar avait entouré d'assassins le nouveau favori, et l'avait obligé de se retirer en Asie ; il réclamait obstinément pour son fils le titre de César, et l'empereur venait d'y consentir lorsque le peuple s'y opposa. Cette résistance enhardit Léon à se venger définitivement : il attira au palais Aspar et ses enfants, et les fit massacrer : il en fut quitte pour le surnom de meurtrier que lui donna l'inconstance du peuple tout à l'heure ennemi d'Aspar, et qui osait le regretter après sa mort. Il n'en était pas ainsi Anthémius. Celui-ci n'avait fait qu'augmenter l'audace de Ricimer en lui donnant sa fille : deux cours, deux puissances se partageaient les derniers débris de l'empire d'Occident. Ricimer trônait à Milan, entouré de ses flatteurs ; Anthémius résidait à Rome. La guerre, quelque temps retardée par la médiation de saint Épiphane, évêque de Pavie, éclata après la mort d'Aspar (472). Ricimer parut devant Rome où l'appelait un parti ennemi d'Anthémius. Les partisans de l'empereur luttèrent assez longtemps pour permettre à Léon d'envoyer des secours ; mais Olybrius qui les commandait, et qui avait ordre de terminer la guerre par une négociation, se laissa gagner par Ricimer. Il trahit Anthémius et le laissa massacrer ; à ce prix il devint lui-même empereur. Ricimer mourut quelques mois après, et sa mort délivrant les Romains de son ambition et des troubles qu'elle avait excités, semblait Leur laisser plus de temps contre les barbares ; [nais la guerre civile n'avait point pris fin en Italie ni à Constantinople. Olybrius, au bout d'un règne de 105 jours, laissa le trône à Glycerius ; celui-ci oublia de demander le consentement de l'empereur d'Orient qui envoya contre lui Julius Nepos. Tandis que Nepos surprenait Glycerius dans le port de Rome et l'obligeait à chercher un asile dans les ordres sacrés de l'Église, Léon mourut à Constantinople (474). Zénon, son gendre, à qui le peuple l'avait empêché de laisser le trône, mais dont le fils âgé d'un an était désigné empereur sous le nom de Léon II, devint véritablement le maitre, comme régent de son fils, et par la protection de sa belle-mère l'impératrice Vérine. L'enfant étant mort au bout d'un an, Zénon devint enfin empereur, et commença de s'attirer la haine publique par ses exactions et ses prodigalités. Il décupla le tribut de l'Égypte ; on sut qu'il vendait les emplois et partageait le profit avec un préfet du prétoire ; il osa une fois ne pas faire la volonté de rétine. Le peuple soulevé massacra les Isauriens, et, à la place de Zénon chassé, reconnut pour empereur le frère de Vérine, le traître d'Afrique, Basilicus (475). Julius Nepos n'avait donc rien à attendre de la protection de l'Orient. Le roi des Bourguignons Chilpéric, 3011icité. par Sidoine Apollinaire avait défendu l'Auvergne ; contre les Visigoths. Ecdicius, le fils d'Avitus, avait pénétré dans Clermont assiégé avec dix-huit hommes, il avait nourri les habitants à ses frais, et repoussé les assiégeants par sa valeur. Ce noble effort, qu'on peut bien appeler- la dernière résistance de l'empire d'Occident, faisait mieux ressortir sans doute la misère du traité que Neper conclut avec Euric. L'empereur, pour préserver ce que les Romains gardaient encore entre le Rhône et les Alpes, abandonna les Arvernes. Notre servitude, s'écrie Sidoine Apollinaire, a été le prix de la sécurité des autres, et il prodigue les outrages à Nepos. L'historien, à une distance de 14 siècles, loin des intérêts et des passions des contemporains, juge plus froidement cette dernière concession des empereurs d'Occident, car ce fut la dernière. Nepos n'avait que cette ressource pour arrêter pendant quelques temps sur les bords du Rhône l'ambition des Visigoths ; l'Italie, quoique toujours intacte, ne lui offrait pas même une armée en qui sa confiance fut bien plagiée. Le patrice Oreste ayant reçu l'ordre de marcher en Gaule, tourna aussitôt ses troupes contre l'empereur ; il le for na de fuir, et donna le trône à son propre fils de six ans, qui s'appelait Romulus et qu'on surnomma Augustule par dérision. Mais Odoacre, chef des barbares confédérés, réclama d' reste, pour ses soldats, le tiers des terres de l'Italie. Oreste ayant refusé, deux coups d'épée donnèrent toute l'Italie aux barbares : Odoacre prit Pavie et Ravennes décapita Oreste, et relégua Augustule à Lucullanum en Campanie. Telle est la fin naturelle de l'empire d'Occident (476) ; ce ne fut pas une révolution, ce ne fut qu'un nom, celui d'empereur, qui s'éteignit. Les contemporains ne s'en aperçurent même pas, ou du moins ne l'apprirent qu'avec indifférence, et l'histoire, préparée comme eux par une lente agonie à cet événement suprême, s'en émeut pas davantage. Odoacre se concilia la faveur de Zénon rétabli sur le trône de C. P. en lui renvoyant les ornements impériaux ; il reçut en retour les titres de patrice et de roi d'Italie. Les Hérules dominèrent avec lui sur le sol de la conquête pendant quinze ans. |
[1] Voyez le précis de l'Histoire des Empereurs, de M. Édouard Dumont, et surtout les chap. 9 et 14. Voyez aussi l'Histoire Romaine du même auteur.
[2] Voyez le précis de l'Histoire des Empereurs, et l'Histoire Romaine citée plus haut. Voyez aussi l'Atlas de Kruse, traduit de l'allemand par MM. Ansart et Lebas.
[3] Voyez le 4e livre d'Hérodote.
[4] Tacite, Germanie, 27.
[5] Tacite, Germanie, 27. Horace, épod. 11. César, De bello Gallico, 1-39.
[6] Tacite, Germanie, 9 et 40.
[7]
Procope, De bell. Goth., 3-13.
[8] Claudien, in Rufinum, 1-187
; Id., ibid., liv. 2, v. 4 ; Id., In Eutropium,
2-139.
[9] Claudien, in Eutropium,
I, de 1 à 12 ; Id., ibid.,
2-550.
[10] Procope, De Bello
vandalico, liv. 1.
[11] Claudien, De bello gotico liber.
[12] Procope, De bello gothico,
1-2.
[13] Socrate, 7-10.
[14] Claudien, De bello getico.
[15] Voyez Théophane, Chronographie.
[16] Sidoine Apollinaire.
[17] Théophane, Chronographie.
[18] Procope, De bello vendalico, 1-3.
[19] Jornandès, 35.
[20] Sidoine Apollinaire.
[21] Priscus, Ambassade.
[22] Jornandès.
[23] Jornandès, De reb. get. ; Procope, De bello vandalico.
[24] Jornandès, De reb. get.
[25] Jornandès, De reb. get., ch. 50.
[26] Sidoine Apollinaire, lettres.
[27] Mariana, 5-4. Jornandès, p. 126. Isidore de Séville, ère 491.
[28] Sidoine Apollinaire.
[29] Isidore de Séville.
[30] Mariana, 5-5. Je suis ici uniquement l'ordre de cet auteur. Je ne trouve nulle part ni chronologie, ni récit satisfaisant.
[31] Sidoine Apollinaire, panégyr. d'Anth.
[32] Théoph., Chronog. ; Procope, De bello vand., 1-6.
[33] Jornandès, De reb. get.