HISTOIRE DU RÈGNE DE LOUIS XIV

TROISIÈME PARTIE. — LA DÉCADENCE : GUERRES DE LA SECONDE COALITION ET DE LA SUCCESSION D'Espagne (suite et fin)

 

CHAPITRE XXXVII. — Intervalle de quatre ans entre la paix de Ryswick et la guerre de la succession d'Espagne : fin de 1697 à 1701.

 

 

II. — Les ambassades. - Négociations relatives à la succession d'Espagne. - Les trois prétendants. - Traités de partage éventuel. - Testament de Charles II en faveur d'un prince français. - Philippe V roi d'Espagne.

 

1698 pourrait être appelée l'année des ambassades. Le rétablissement des relations internationales, après une guerre européenne de dix années, frappa en effet les contemporains comme une consécration de la paix, et reçut, de cette impression publique, une importance dont l'histoire doit tenir compte. Un trait encore remarquable de ces ambassades, c'est qu'en renouvelant leurs rapports, la France et ses anciennes rivales mirent une véritable gloire à prouver leur grandeur par leur magnificence, à s'égaler ou à se surpasser dans la paix comme elles s'y étaient obstinées dans la guerre. En France surtout, les Mémoires particuliers, les correspondances et les gazettes sont remplis de cette vanité.

Le comte de Portland, dit Saint-Simon, à la fin de 1697, fut destiné — par Guillaume — à l'ambassade de France ; le comte de Tallard à celle d'Angleterre ; Bonrepos à celle de Hollande, qui fut relevé en Danemark par le comte de Chamilli, neveu du lieutenant général. Quelque temps après, Villars, commissaire général de la cavalerie, fut choisi pour envoyé à Vienne ; Phélippeaux, maréchal de camp, à Cologne ; des Alleurs à Berlin ; du Héron, colonel de dragons, à Wolfenbuttel ; d'Iberville à Mayence. J'aurai lieu de parler ailleurs de Puysieux, qui alla en Suisse, et d'Harcourt en Espagne.

D'Harcourt était le premier à son poste (décembre 1697). Mais pendant qu'il attendait à Madrid le moment propice d'être reçu par Charles II et étudiait sans bruit les aspirations politiques de la nation espagnole, l'ambassadeur extraordinaire de Guillaume III, son favori Portland, arrivait à Péris, au milieu du plus grand faste que l'Angleterre eût encore déployé à l'étranger. Chevaux, livrées, vaisselle, tout était d'une richesse incomparable, disent les Anglais[1] ; son carrosse d'apparat, traîné par huit chevaux gris napolitain, attira particulièrement la curiosité du public. On voyait en outre à sa suite douze gentilshommes d'une grande fortune dont les carrosses, les chevaux et les domestiques, étaient dignes d'accompagner un tel chef. Cependant, dès le lendemain, les Français, se comparant à leur hôte, n'entendaient pas lui céder le premier rang. Milord Portland, disait Racine[2], fit hier son entrée, tout Paris y était : mais il me semble que l'on ne parle que de la magnificence de M. de Boufflers qui l'accompagnait, et point du tout de celle de milord. Dangeau écrivait à son tour : L'entrée a été magnifique, mais beaucoup moindre qu'on ne l'avait cru ; et un mois après il se plaisait à noter que la livrée et les carrosses que M. de Tallard menait à Londres étaient plus magnifiques que ceux de milord Portland[3]. Le représentant de l'Angleterre voulut tenir table ouverte, y recevoir les Anglais de considération et les Français les plus distingués. Il y déployait un luxe princier ; et pour ne rien perdre de sa gloire, il laissait pendant le repas les portes ouvertes aux curieux avides de contempler l'amphitryon au milieu de ses convives. Il ne découragea pas les Français. Toutes ses avances, toutes ses profusions lui furent rendues largement. D'un côté, Louis XI V, pour le gagner à ses projets politiques, le combla d'amabilités ; il le promena lui-même dans les jardins de Versailles ; il ordonna à Mansard et à Villeroi de lui faire les honneurs de Marly et de Fontainebleau, lui réserva dans les repas sa place au-dessus de quiconque n'était pas prince du sang ; il l'admit un soir à porter le bougeoir au coucher royal, et un autre jour il le fit entrer à l'intérieur de ce balustre interdit jusque-là aux ambassadeurs étrangers. Dé leur côté les princes, Dauphin, Orléans, Condé, lui prouvèrent dans des fêtes splendides qu'il n'avait rien à leur apprendre. A Saint-Cloud, on admira dans un diner une invention nouvelle, fort dispendieuse, un surtout de table en vermeil doré, et à l'issue du repas, il se trouva toutes prêtes des calèches à six chevaux pour parcourir le parc et en visiter à l'aise toutes les eaux[4]. A Chantilly, chasses et concerts précédèrent ou suivirent les festins. Chaque membre de la légation anglaise avait son garde-chasse ; par un raffinement d'attention, le cidre des meilleurs crus d'Angleterre était servi à côté des vins de Champagne et de Bourgogne ; et, ce qui parut encore plus admirable aux Anglais, et supérieur à leurs habitudes, il était interdit aux domestiques de Son Altesse Royale, de recevoir des étrangers aucun présent.

De semblables démonstrations s'accomplirent sur d'autres points de l'Europe, à Vienne, par exemple. Villars n'arrivait pourtant à la cour d'Autriche qu'avec le titre d'envoyé. Nous savons que la France n'avait jamais d'ambassadeur à Vienne, parce que sa prétention à la préséance sur l'Espagne était contestée par la branche cadette de la maison de Habsbourg. Pour ne pas se voir disputer le rang qu'elle réclamait, elle évitait de donner à son représentant la dignité nécessaire pour l'occuper. Dès lors, un simple envoyé qui n'avait pas les droits d'ambassadeur n'était pas tenu d'en déployer l'appareil. Villars ne s'en présenta pas moins avec tous les signes extérieurs d'une puissance de premier ordre. Il amenait trois carrosses à huit chevaux, quatre chariots attelés de même, un mobilier considérable sur six charrettes. Sa suite était composée de six pages, de quatre gentilshommes, et d'une multitude de domestiques. Ses réceptions et ses repas furent en raison de cet étalage[5]. La Hollande elle-même ne resta pas en arrière des rois. Ses ambassadeurs ne parurent à Paris que vers la fin de l'année, au mois de septembre ; mais ils eurent comme les Anglais la satisfaction d'encombrer les rues et de barrer le chemin aux gens paisibles. Le récit qui s'en trouve dans une lettre de Racine est charmant de naïveté : Nous vîmes, il y a huit jours, une autre entrée, ma femme, votre sœur et moi, bien malgré nous : c'était celle des ambassadeurs de Hollande, que nous trouvâmes dans la rue Saint-Antoine lorsque nous y pensions le moins ; et il nous fallut arrêter pendant plus de deux heures dans le même endroit. Les carrosses et les livrées me parurent fort belles. On sent que l'éloge lui coûte un peu ; heureusement il s'en dédommage aussitôt par une comparaison à l'avantage de la France. Quelques jours auparavant l'ambassadeur français en Hollande, Bonrepos, auquel son fils était attaché, avait fait son entrée officielle à La Haye avec beaucoup d'éclat et force rasades à la santé de nombreux personnages. Le bruit en avait retenti dans les gazettes. Racine en avait Indes détails encore plus complets dans une relation de son fils. Il s'en empare pour établir la supériorité de la France sur la Hollande : Je vois bien, par votre récit et par celui de la Gazette de Hollande, que votre entrée était tout autrement superbe que celle-ci[6].

Sous ces airs de fêtes et d'amitié, s'agitaient des intérêts très-sérieux. Portland avait voulu profiter de l'occasion pour assurer une satisfaction nouvelle, un dernier gage de sécurité à Guillaume. Ce n'était pas assez pour le gendre de Jacques II d'avoir prémédité de si loin le renversement de son beau-père et d'avoir pris sa place. Ce n'était pas assez d'avoir contraint le roi de France à se dédire d'une opposition de dix ans, et à reconnaître le nouveau roi de la Grande-Bretagne comme un égal et un allié. Tant que Jacques II habitait Saint-Germain avec une cour et un état royal, Guillaume n'était pas content ni tranquille ; il voyait une menace dans cette ombre d'une ancienne puissance ; il enviait au malheur cette consolation, à la vieillesse cet asile. Déjà, au congrès de Ryswick, dans leurs conférences particulières, Portland avait abordé la question auprès de Boufflers ; mais le Français avait éludé la solution sans formuler ni refus ni promesse, en insinuant que le roi ne consentirait jamais à reléguer au loin et dans une obscurité triste un parent, un ami dont il voulait au moins atténuer l'infortune par ses procédés, s'il était désormais impuissant à soutenir sa cause par la force. L'impatience d'obtenir la condition fondamentale de la paix, la reconnaissance par Louis XIV, avait empêché Portland d'insister. Au moment de l'ambassade, au milieu des amabilités qu'on lui prodiguait, il crut pouvoir revenir à la charge. Il alléguait les dangers de Guillaume, il présentait comme autant de tentatives d'assassinat contre son maître les efforts des Jacobites pour ramener leur roi en Angleterre, il dénonçait dans la situation de Saint-Germain un voisinage justement suspect, la voie abrégée aux conspirateurs pour correspondre avec leurs complices d'outremer. De tels arguments n'étaient ni persuasifs ni même intéressants. Nous avons déjà vu ce qu'il fallait croire des imputations d'assassinat (Voir tome V) ; et après que Guillaume avait tiré si bon parti du voisinage de l'Angleterre et de la Hollande pour conspirer son invasion, Jacques H avait bien eu le droit d'user du voisinage de la France et de l'Angleterre pour conspirer son rétablissement. L'agresseur ne devait s'en prendre des représailles qu'à lui-même. Le seul grief fondé, c'eût été que, depuis la paix, Jacques II eût renouvelé ses tentatives et que la France l'eût appuyé : or Portland ne pouvait formuler aucune plainte de cette nature. Il échoua donc complètement. Torcy, secrétaire d'État pour les affaires étrangères, lui répondit le premier que sa demande ne serait pas accueillie, qu'il serait même inutile de la soumettre au roi. Boufflers, Villeroi successivement lui firent prévoir le même refus. Portland s'obstina à aller jusqu'au roi, également en vain. Louis XIV répéta qu'il tiendrait sa parole et conserverait la paix à l'Europe en s'abstenant de tout œ qui pourrait nuire au gouvernement de l'Angleterre tel que la paix l'avait consacré, mais qu'il n'entendait pas refuser un asile à un parent, à un roi malheureux, ni le contraindre à partir. Rien ne fut changé aux habitudes de Jacques II et à ses relations avec la cour de France. On s'attacha seulement à épargner à Portland des rencontres désagréables. Les Anglais de Saint-Germain furent invités à ne se présenter ni à Paris ni à Versailles, sur le chemin de l'ambassadeur de Guillaume. Portland fut toujours prévenu à temps et à propos pour ne pas se trouver face à face avec le roi réfugié. Un jour, au moment de partir pour une chasse à Meudon, il fut averti par les soins du Dauphin que Jacques II s'y trouverait. Il avait déjà mis ses bottes ; il dut se débotter et rester chez lui. Ces contrariétés le poussèrent à se donner une petite satisfaction, trop vite même au gré de Guillaume. Il déclara que, Jacques II restant à Saint-Germain, le douaire de la reine Marie de Modène, dont le règlement avait été réservé à Ryswick, ne serait pas payé par l'Angleterre. Guillaume craignait que cette négociation mal entamée n'embarrassât son envoyé dans sa conduite future[7]. Il n'en fut rien cependant. Ce fut avec Portland que Louis XIV aborda le premier l'affaire de la succession d'Espagne.

Depuis tant d'années que la succession espagnole, avant d'être ouverte, faisait la principale préoccupation des politiques de toutes les nations, les avis en étaient venus à se partager entre trois candidats qui fondaient leurs prétentions sur leur parenté avec Charles II et ses prédécesseurs, à savoir : le Dauphin de France, le prince électoral de Bavière et l'empereur Léopold. Pour apprécier leurs titres, disons quelques mots des alliances de famille sur lesquelles chacun s'appuyait.

Deux fois, dans le XVIIe siècle, une double alliance matrimoniale avait été conclue entre l'Espagne d'une part, la France et l'Empereur de l'autre. Anne d'Autriche, fille aînée de Philippe III, avait épousé Louis XIII ; Marie-Anne, fille cadette de Philippe III, avait épousé l'empereur Ferdinand III. Plus tard, Marie-Thérèse, fille aînée de Philippe IV, avait épousé Louis XIV ; Marguerite-Marie, fille cadette de Philippe IV, avait épousé l'empereur Léopold. Louis XIV et Léopold étaient donc fils de deux sœurs, maris de deux sœurs, cousins germains et beaux-frères. Dans les deux cas, la fille aînée du roi d'Espagne ayant épousé le roi de France, les princes français issus de ces mariages semblaient exclure par la primogéniture les princes autrichiens.

En second lieu, le mariage de Léopold avec la seconde fille de Philippe IV n'avait donné qu'une fille, seule héritière des droits de sa mère. Cette fille, mariée à- l'électeur de Bavière, était morte laissant un fils ; mais ce fils prenait à son tour la place de sa grand'mère et excluait les princes autrichiens. Léopold, marié en secondes noces à une princesse palatine, et ses deux fils, Joseph et Charles, nés de ce second mariage, étaient exclus par le petit-fils de l'Espagnole Marguerite-Marie.

Léopold n'hésitait pas à nier les droits des Français et les droits du Bavarois son petit-fils. Contre les Français, il alléguait les renonciations souscrites par Anne d'Autriche et par Marie-Thérèse, et les actes des rois d'Espagne confirmant ces renonciations .I1 existait une déclaration de Philippe III, dans laquelle, vu la renonciation de la dame Anne, femme de Louis XIII, sa fille aînée, il transportait à la cadette, femme de Ferdinand III, le nom de sa fille aînée et unique, et tous les droits à son héritage, si les mâles venaient à manquer Il existait un testament de Philippe IV, qui, en vertu de la renonciation de sa fille aînée, Marie-Thérèse, femme de Louis XIV, appelait, à défaut des mâles, la cadette Marie-Marguerite, femme de Léopold, à l'héritage universel de tous ses royaumes, états et seigneuries[8]. Des titres aussi formels semblaient exclure sans réplique la postérité des aînées, et interdire toute prétention à la France.

Mais si la postérité des cadettes était substituée aux aînées, la première cadette par rang de proximité était Marguerite-Marie, femme de Léopold, ou, puisqu'elle était morte, sa fille, l'électrice de Bavière, ou, puisque l'électrice était morte aussi, son ayant droit, son fils, le prince électoral. Si ce n'était plus le Dauphin de France, c'était le prince électoral de Bavière qui excluait l'Autriche. Mais Léopold n'était pas plus embarrassé pour frustrer son petit-fils le Bavarois que pour éconduire son cousin le Français. A l'entendre, sa fille, en épousant l'électeur de Bavière, avait renoncé à tous ses droits sur l'Espagne ; la postérité de la cadette Marguerite-Marie était déchue par là aussi bien que la postérité de l'aînée Marie-Thérèse ; les deux filles de Philippe IV étaient également déboutées de toute prétention à la succession d'Espagne. Il n'y avait dès lors à chercher d'héritier que dans la postérité de Philippe III ; et comme, dans cette descendance, Louis XIV était écarté par la renonciation d'Anne d'Autriche, Léopold restait seul à recueillir par sa mère tout l'héritage qu'il ne permettait pas au prince de Bavière de recueillir par la sienne.

L'incomparable rapacité de la maison d'Autriche était seule capable de croire à de pareils arguments. En admettant contre les prétentions de la France la validité des renonciations tant alléguées, il était beaucoup moins facile de condamner le prince électoral sur ces raisonnements de circonstance inventés par le grand-père contre son petit-fils. Les renonciations elles-mêmes, à force d'être mises en avant et contredites, avaient beaucoup perdu de leur autorité. Elles avaient contre elles les propres aveux de Philippe IV en signant la paix des Pyrénées[9], les aveux de ses ministres dans diverses négociations[10], les arguments déduits par Louis XIV dans son Traité des droits de la Reine Très-Chrétienne en 1667[11], le silence de la paix d'Aix-la-Chapelle sur ces réclamations[12], et surtout le traité de partage éventuel conclu en 1668 entre Louis XIV et Léopold[13] ; à cette époque où sa première femme vivant encore lui aurait apporté à lui-même la moitié de la succession espagnole, Léopold ne s'était pas avisé de remonter aux droits de sa mère pour revendiquer le tout ; il reconnaissait à sa belle-sœur autant de droits qu'à sa femme et lui abandonnait l'autre moitié pour la France. Sans doute la terreur de la prépondérance française avait disposé l'opinion plus favorablement pour l'Autriche ; au début de la seconde coalition (1689), la Hollande s'était engagée à reconnaître Léopold pour l'héritier unique de la monarchie espagnole. Mais c'était un acte d'emportement qui serait révoqué dès que le calme rétabli dans les esprits laisserait voir le danger pour l'équilibre européen de réunir l'Espagne et l'Autriche en une seule puissance. La paix ne tarda pas à produire cet effet naturel. Si l'intérêt de la question espagnole grandit dans les esprits, ce fut parce que la crise de la solution paraissait de jour en jour plus prochaine, bien plutôt que par adhésion aux appétits autrichiens : on croyait généralement à un partage, à une transaction entre les prétendants.

De l'aveu d'hommes politiques ennemis de la France, les droits de Louis XIV, en dépit des renonciations, étaient les mieux fondés[14]. Mais il importait à Louis XIV de bien déterminer dans quelle forme, dans quelle proportion il en ferait usage. Réclamer toute la monarchie d'Espagne pour le Dauphin qui serait un jour roi de France, c'est-à-dire tripler l'étendue de la France par un accroissement aussi énorme dans les deux mondes, c'était une rupture insoutenable de l'équilibre qui soulèverait toute l'Europe. Il était plus généreux et plus sûr de ne revendiquer qu'une part de la succession, et d'en laisser une à chacun des deux autres concurrents : parce système de satisfaction réciproque, eu accordant un droit à ses rivaux, il les forçait à respecter le sien. Toutefois, un troisième parti était encore possible. Si toute la monarchie espagnole était déférée à un prince français, non destiné au trône de France, la répartition actuelle des puissances était maintenue, et l'équilibre sauvegardé ; la maison d'Autriche perdait la monarchie espagnole, mais la France ne l'acquérait pas ; tout au plus l'union de famille, la communauté de vues et de politique, qui avait rapproché jusque-là l'Autriche et l'Espagne, s'établirait entre l'Espagne et la France ; il y aurait bon accord entredeux puissances ; il n'y aurait pas absorption de l'une par l'autre. On va voir que cet accommodement, qui a fini par prévaloir, fut inspiré par les Espagnols eux-mêmes.

Le marquis d'Harcourt, ambassadeur de France en Espagne, avait ordre d'étudier les dispositions des grands et du peuple à l'égard de l'héritage de Charles H. Il trouva la cour de Madrid sous l'autorité d'une reine allemande, sœur de l'impératrice, qui avait rempli d'Allemands les postes les plus considérables et le gouvernement des provinces, qui laissait ses favorites allemandes s'enrichir des derniers débris de la fortune publique, qui favorisait les prétentions de l'Empereur à la succession. Cette reine, tenant en mains le pouvoir, se donna le plaisir de braver la France, en ajournant pendant trois mois, sous prétexte de la maladie du roi, la réception officielle de l'ambassadeur français. Elle ne s'aperçut pas que, par cette affectation de son autorité, elle achevait de la ruiner. Les grands d'Espagne étaient jaloux des Allemands ; le peuple imputait sa misère au gouvernement des étrangers ; et, au contraire, il attendait beaucoup du roi de France qui avait fait à l'Espagne des conditions si avantageuses à la paix de Ryswick. L'apparition de l'ambassadeur français, et son argent bien distribué[15], firent reconnaitre en lui un libérateur. Au bout de quelques semaines, d'Harcourt put annoncer à Louis XIV que le peuple attendait son bonheur de l'élévation d'un prince français au trône d'Espagne, que les grands appelaient aussi de leurs vœux un prince français pour maintenir l'intégrité de la monarchie, supprimer la vieille antipathie entre les deux nations, et délivrer l'Espagne des Allemands[16]. Ces nouvelles circulèrent avec faveur à la cour de Versailles. Dangeau en prend note le 16 mars 1698 : Le marquis d'Harcourt mande que les Espagnols n'ont plus d'aversion pour les Français, et qu'ils témoignent le désir d'avoir pour roi un des fils de M. le Dauphin.

Ce revirement de l'opinion en Espagne est encore attesté à la même date par l'ambassadeur anglais et par l'ambassadeur autrichien. L'Anglais Stanhope écrivait le 14 mars 1698[17] : L'inclination générale à l'égard de la succession se porte vers la France, l'aversion des Espagnols pour la reine les ayant excités contre ses compatriotes, et si le roi de France veut se contenter de ce qu'Un de ses petits-fils devienne roi d'Espagne sans prétendre réunir les deux monarchies, il ne rencontrera pas d'opposition soit de la part des grands, soit de la part du peuple. Le langage de l'Autrichien Harrach fortifie ce témoignage par une expression sensible de dépit. D'Harcourt venait enfin d'être reçu par la reine (avril 1698). Sa marche vers le palais avait été un triomphe. Le peuple criait sur son passage : Vive le roi, vive le roi de France, vive son ambassadeur ! les dames lui jetaient des eaux odoriférantes, les grands seigneurs se pressaient pour le complimenter. Désolé de ces démonstrations, Harrach écrivait à sa cour : L'ambassadeur de France et ses partisans continuent leurs intrigues ; il se forme ici tin parti considérable pour cette couronne. L'inclination et l'estime du peuple pour ce ministre surpasse tout ce que je puis dire à Votre Majesté Impériale, ce qui est pour moi une mortification très-sensible, principalement lorsque je considère que les Allemands de la suite de la reine en sont en quelque manière la cause, s'étant par leurs excès attiré la haine des peuples.

La solution offerte par la nation, qui avait avant toutes les autres le droit de choisir, levait en apparence toutes les difficultés, et des trois concurrents ne profitait qu'à la France. Mais était-elle un bénéfice sans charge ? La France proprement dite, la dynastie elle-même, n'y gagnait que l'honneur de donner un roi à l'étranger, et sans doute un titre à régenter pour un temps le nouveau souverain. Les Espagnols n'y cherchaient que leur intérêt propre. Infatués de l'unité de leur monarchie, ce qui veut dire de leur domination au dehors, ils voulaient s'assurer contre les menaces de partage la conservation de leurs provinces étrangères, par les forces d'une grande puissance. D'Harcourt le signifia explicitement quelques semaines plus tard : Le choix d'un prince français n'est réalisable que si la France est en état de sou tenir seule la monarchie espagnole dans son entier, parce que les Espagnols ne veulent pas de démembrement[18]. Or, si l'Europe, dans la crainte d'arrière-pensées qu'il n'était pas trop téméraire d'imputer au protecteur, prenait les armes contre lui, la France se mettrait toutes les nations sur les bras avec un grand risque de ruine, comme il est arrivé plus tard, et, même en cas de succès, elle n'aurait d'autre avantage que de prodiguer ses armes et ses finances pour la conservation d'un empire dont elle poursuivait depuis trois quarts de siècle l'abaissement ou la suppression. Louis XIV jugea ainsi l'offre des Espagnols, et, avant de l'accepter, il voulut savoir s'il ne serait pas possible, conformément à l'attente générale, d'obtenir pour le Dauphin, par un partage et du consentement de l'Europe, quelques parties de la monarchie espagnole qui resteraient la propriété de la France. On remarque ici une coïncidence qui pourrait bien n'être pas fortuite. Le premier message de d'Harcourt avait dû arriver vers le 12 mars, puisque Dangeau, qui n'était pas le premier dans lés secrets d'État, en parle le 16 ; et, le 14, les ministres Pomponne et Torcy se rendaient chez l'ambassadeur anglais Portland pour l'inviter de la part du roi à étudier par quels accommodements la France et les puissances maritimes, Angleterre et Hollande, pourraient prévenir, à la mort de Charles II, une nouvelle perturbation de la paix générale. Le comte de Tallard, désigné à l'ambassade de Londres, partait le lendemain muni d'instructions analogues, pour traiter l'affaire avec Guillaume III, et profiter des embarras suscités à ce roi en ce moment par ses propres sujets[19].

Il importe de constater dès à présent cette marche double, pour répondre à la fois aux adversaires et aux admirateurs de Louis XIV. Les premiers ne voient dans sa conduite que l'intention fixe d'assurer à sa famille toute la succession espagnole, dans les traités de partage qu'un leurre pour duper et endormir l'Europe, et dans le testament définitif de Charles II qu'une œuvre conçue à Versailles, exécutée à Madrid par les intrigues de Porto-Carrero et par l'or de la France. Les seconds, prêtant leur naïveté à un des plus habiles diplomates de tous les temps, ont écrit que l'Espagne vint se donner à la France sans que Louis XIV eût désiré ni recherché cet accroissement de grandeur dans sa famille, et que les combinaisons d'une politique de paix ont été déconcertées par des événements que personne n'avait pu ni prévoir ni prévenir[20]. La vérité est que Louis XIV, au début, n'avait pas de plan arrêté, mais que, deux voies s'ouvrant à lui, il entra dans les deux à la fois, espérant bien trouver le succès au bout de l'une si l'autre ne l'y conduisait pas ; que, pendant trente mois de négociations, il a opposé une solution à l'autre, et tenu ct échec les puissances maritimes par l'appréhension des tendances françaises des Espagnols, la volonté des Espagnols par la crainte des partages. Torcy en convient, à l'endroit même de ses Mémoires où il s'évertue à établir que le testament s'est fait à l'insu de la France. Comme le succès de cette négociation avec l'Angleterre, dit ce ministre, était incertain, il était contre la prudence d'abandonner les dispositions que le marquis d'Harcourt trouvait en Espagne en faveur des princes de la maison royale. L'intention du roi n'était pas d'en abuser, mais il était de sa sagesse de les cultiver, en sorte que, si la négociation de Londres ne réussissait pas, il dépendit d'Elle de prendre tel ou tel parti qu'Elle jugerait convenable au bien de son royaume.

On le voit donc capter la bonne volonté des Espagnols en leur offrant ses secours contre les Barbaresques (mai 1698) ; il est tout prêt à envoyer autant de vaisseaux et de galères qu'ils voudront pour préserver Ceuta et Oran de ces forbans infidèles. L'intention est si évidente, que Guillaume s'en alarme et demande que cette assistance ne soit pas imposée à l'Espagne. L'offre est si opportune, que la reine d'Espagne l'ayant refusée, le peuple en conçoit plus de haine contre le gouvernement des Allemands, plus d'empressement pour un prince français[21]. Dans les mois suivants, l'Angleterre et la Hollande hésitant à traiter, le roi se montre à son tour disposé à suspendre la négociation, parce que les nouvelles d'Espagne deviennent de plus en plus favorables, que l'esprit de la nation espagnole est entièrement contraire aux prétentions impériales, et très-porté en faveur d'un de ses petits-fils. Dans une semblable conjecture, écrit-il à Tallard[22], il ne serait pas dans mes intérêts de céder pour des avantages modérés ceux que je peux raisonnablement attendre de l'état de mes forces et des inclinations du peuple espagnol.

La proposition de Louis XIV avait jeté Guillaume dans une grande perplexité. Elle le surprenait en plein dépit de la contradiction la plus sensible qu'il eût encore éprouvée. Sans respect pour ses services et ses succès, où aussi bien il n'avait pas travaillé pour elle seule, l'Angleterre le désarmait moitié par fatigue des sacrifices et des dépenses de la guerre, moitié par défiance des excès de l'autorité royale. Quelques semaines après la paix de Ryswick, en dépit de ses représentations formelles, le Parlement venait de le réduire à ne garder sur pied que dix mille hommes de terre et trois mille de mer. Il maudissait cette ingratitude, cette atteinte à son honneur, cet abaissement de son importance vis-à-vis de ses alliés, ces alarmes pour la liberté, quand l'Angleterre était plus libre que jamais, cette aversion pour la guerre qui rendait la nation aussi indifférente aux affaires extérieures que si elle eût été seule dans l'univers[23]. Les esprits n'étaient pas mieux disposés dans les Provinces-Unies. Les Maximes anglaises, écrivait le grand pensionnaire Heinsius, faisaient de grands progrès de ce côté. Tant de subsides payés aux alliés avaient épuisé les finances ; la république ne voulait que des économies et plus de guerre ; d'un seul coup l'armée était réduite de cent mille hommes à quarante-six mille : Messieurs d'Amsterdam, comme les appelait Guillaume, ne l'irritaient pas moins que la Chambre des communes. La France, au contraire, malgré un désarmement sérieux, conservait encore un état militaire considérable ; elle demeurait seule forte au milieu de voisins affaiblis. Si on n'acceptait pas ses propositions, elle était libre, en cas de mort du roi d'Espagne, d'occuper toute cette monarchie avant qu'aucune mesure de résistance eût été prise par les anciens coalisés. Mais accepter ses propositions, c'était renoncer aux engagements contractés avec l'Empereur en 1689, et se brouiller avec lui, à moins qu'on ne le décidât — effort à peu près impossible — à consentir à un partage. Démembrer la monarchie espagnole, c'était accroître la puissance des partageants, celle de la France surtout ; dans ce cas, il conviendrait de faire une part aux puissances maritimes, de donner à l'Angleterre et à la Hollande, pour la sauvegarde de leur commerce, des ports dans la Méditerranée, des îles en Amérique ; mais la différence de religion toute seule était un obstacle invincible ; les anciens sujets de l'Espagne n'accepteraient pas des maîtres protestants. Guillaume avait beau se retourner, il n'entrevoyait que des difficultés soit de la part de ses sujets, soit de ses anciens alliés, soit de la France, sa grande ennemie[24].

Louis XIV avait compté sur ces rancunes, sur ces embarras de Guillaume, pour le gagner à sa politique, et peut-être le faire Français — c'est le mot de Guillaume lui-même — d'Autrichien qu'il était auparavant[25]. Au bout de quelques semaines, il l'ébranla bien davantage par sa générosité. Jusque-là il s'en était tenu aux termes vagues de partage pour lui-même et de garanties pour l'Europe. Maintenant le roi de France traçait, quoique encore à grands traits, un plan explicite de partage, une matière précise de discussion. Partant, comme d'un principe incontestable, des droits constants de sa femme à l'héritage universel de la monarchie d'Espagne, il consentait, dans l'intérêt de la paix de l'Europe, à n'en réclamer qu'une partie qui n'était pas même la moitié. Le rappel de ses droits, habile allusion à sa force, donnait plus d'éclat au mérite et à la sincérité de sa modération. Il proposait deux alternatives : par la première, le prince électoral de Bavière aurait l'Espagne, les Indes et les Pays-Bas, moins le Luxembourg ; un fils de l'Empereur, le Milanais ; un prince français, Naples, la Sicile, les îles et le Luxembourg. Par la seconde, le prince français aurait l'Espagne et les Indes ; l'Empereur, Naples, la Sicile et les îles ; le duc de Savoie, le Milanais ; le prince électoral, les Pays-Bas. Guillaume resta stupéfait. Dans les circonstances actuelles, disait-il[26], je n'eusse jamais cru que les Français allassent si loin, et qu'ils eussent tant offert... Il est certain que, quand les offres de la France seront connues tant en Angleterre qu'en Hollande, il sera impossible d'entraîner la nation dans une nouvelle guerre ; il faudra donc prendre nos mesures en conséquence. Pauvres nations, c'est ainsi qu'on les gouverne pour elles-mêmes ! Qu'elles s'agitent tant qu'elles voudront, un autre les mènera au gré de ses calculs, et leur fera bien voir dans l'exécution de ses desseins leur avantage véritable.

Malgré les facilités offertes par Louis XIV, .les négociations languirent pendant plusieurs mois. Guillaume répugnait, en se séparant de l'Empereur, à doubler les forces de la France contre l'Autriche ; et en même temps, il tremblait, s'il n'enchaînait pas Louis XIV par un engagement réciproque, de lui laisser la liberté, comme il en avait la force, d'envahi r par les armes toute la succession. Il cherchait à gagner du temps ; il débattait les alternatives, il essayait de prouver à la France qu'elle demandait trop, et qu'elle n'avait pas besoin de tant d'accroissements pour faire trembler le monde entier. Louis XIV à son tour avait hâte d'engager Guillaume dans son parti pour établir par son aveu la nullité des renonciations, pour contraindre l'Empereur, par l'isolement, à rabattre de ses prétentions excessives. Mais il n'entendait pas restreindre la part qu'il s'était faite, il la voulait dans les termes proposés ou par un équivalent, et plutôt que de fléchir il effrayait la partie adverse, comme nous venons de le dire, par des allusions aux tendances des Espagnols à lui livrer le tout. Ces hésitations cédèrent enfin à la préoccupation commune qui dominait toutes les pensées et changeait chaque semaine les émotions. Toute la diplomatie avait l'œil sur l'agonie permanente du roi d'Espagne, et se tenait aux aguets des moindres symptômes qui apparaissaient sur ce demi-cadavre. Tous les ministres, comme les médecins de la comédie, supputaient la nature de ses crises, la circulation ou la qualité de ses humeurs, et, selon les pronostics de mort ou de répit, passaient du trouble au calme, de l'espérance à la crainte. Aujourd'hui, écrit Dangeau, le 14 août 1698, M. de Torcy a fait rentrer les ministres au conseil pour lire une dépêche du marquis d'Harcourt qui annonce que les cautères du roi d'Espagne ne suppurent plus, et qu'on le croit dans un péril très-grand et très-pressant. Précisément le même jour, Tallard, dans une conversation avec Guillaume, posait les termes du partage avec augmentation pour la France, tels que Louis XIV les avait fixés, et Guillaume les acceptait comme conformes à ses sentiments[27]. Les États-Généraux, malgré la lenteur ordinaire de leurs formalités, n'apportèrent point d'obstacles sérieux è la conclusion. Le traité de partage de la monarchie espagnole était signé le 28 septembre 1698 entre Louis XIV et Guillaume, et le 13 octobre entre Louis XIV et les États-Généraux.

Par ce traité, le prince électoral de Bavière aurait l'Espagne, les Indes et les Pays-Bas ; le Dauphin la Sicile, Naples, les ports et iles de Toscane compris sous le nom d'État des Présides[28], la ville et le marquisat de Final, et, à l'entrée de l'Espagne, la province de Guipuscoa, nommément les villes de Fontarabie et de Saint-Sébastien, et spécialement le port du Passage ; l'archiduc Charles, au lieu et place de Léopold son père, se contenterait du Milanais. Assurément Louis XIV et la vraie politique française, celle de Richelieu, aurait mieux trouvé son compte à obtenir les Pays-Bas, et, moyennant quelque échange, la possession complète de la rive gauche du Rhin. Naples et la Sicile étaient bien loin ; le roi lui-même, pour atténuer la valeur de cette acquisition, avait fait ressortir par l'histoire tous les embarras que ce royaume avait coûté à ses prédécesseurs[29]. Mais, depuis la guerre de dévolution, l'Angleterre et la Hollande s'entêtaient à ne pas livrer les Pays-Bas au commerce français ; la Hollande en particulier, depuis l'invasion de 1672, redoutait pour son indépendance tout agrandissement des Français sur les bords du Rhin. Il avait donc été sage de ne pas effaroucher les préjugés, les susceptibilités de ces deux nations. La part de Louis XIV leur paraissait encore assez formidable, et elle l'était véritablement. Lorsque Guillaume, après s'être longtemps caché de ses ministres anglais, les consulta tout bas, dans les derniers jours, sur le projet de traité, ils lui représentèrent comme bien dangereuses aux intérêts de l'Europe les concessions faites à la France. Par la Sicile, tout le commerce du Levant tombait aux mains des Français ; par Final, le Milanais était privé de toute communication, de tout secours par mer ; par le Guipuscoa, l'invasion de l'Espagne devenait aussi facile de ce côté que par la Catalogne. Ils reconnaissaient néanmoins que, pour décider la France à renoncer à cette grande succession d'Espagne dans son entier, il convenait de lui assurer un dédommagement considérable. Ils avouaient enfin qu'il ne fallait pas compter sur l'Angleterre pour s'y opposer par la force : Il existe, disaient-ils, dans cette nation (les Anglais) une langueur mortelle et un manque universel d'énergie ; elle parait peu disposée à se laisser entraîner dans une nouvelle guerre ; elle semble être épuisée par les impôts à un point bien au delà de ce que l'on avait remarqué. C'est principalement à l'occasion des dernières élections qu'on a pu se convaincre que ceci est l'exacte vérité[30]. Le même sentiment avait prévalu dans les États-Généraux ; le besoin de conserver la paix avait imposé silence à toute autre réclamation. Ainsi Louis XIV pouvait se féliciter d'avoir réduit, par leur impuissance même, ses ennemis les plus acharnés à servir ses projets, et se promettre, grâce à la conservation de l'équilibre, l'adhésion de l'Europe à l'accroissement de sa fortune. Par malheur, les événements ne respectèrent pas ces prévisions.

Les négociations avaient été secrètes ; le traité devait l'être aussi jusqu'à la mort du roi d'Espagne ; un article spécial commandait le silence aux contractants. Les deux rois, leurs ministres, observèrent cette promesse si fidèlement, qu'on ne sut rien en France du traité ; Dangeau et Saint-Simon paraissent n'en avoir pas même soupçonné l'existence. Mais il était bien difficile d'obtenir de l'assemblée des États-Généraux la même discrétion. Dans une pareille réunion d'hommes plus ou moins politiques, il y a toujours quelque bavard qui met son importance à révéler ce que la multitude ignore, quelque mécontent qui trouve une satisfaction à dénoncer ses adversaires. L'Espagne apprit par les États-Généraux qu'on avait disposé d'elle sans elle, partagé l'héritage d'un roi vivant sans le consulter, démembré une monarchie sans souci de l'attachement de ses membres à l'unité. L'indignation fut grande, au moins à Madrid, si grande que Charles II lui-même la ressentit et en reprit de la vigueur. Il voulut prouver qu'il vivait, qu'il était encore le maitre, et capable de régner par sa volonté après sa mort. On a soupçonné sa femme d'avoir eu grande part à cette résolution. Princesse palatine du rameau de Net, bourg, malgré la rivalité des deux branches de Wittelsbach, la reine d'Espagne n'était pas insensible à l'agrandissement de sa maison par la branche bavaroise[31]. L'Europe apprit à la fois que le roi d'Espagne était revenu à la santé, et qu'il avait, par un testament, institué pour héritier unique et universel de tous ses États le prince électoral de Bavière[32]. D'un trait de plume bien à point, le roi moribond et idiot tranchait la difficulté plus sûrement que tous les diplomates de France, de Hollande et d'Angleterre n'avaient pu faire en six mois. En maintenant l'intégrité de la monarchie, il comblait de joie les Espagnols ; en mettant hors de cause la France et l'Autriche au profit d'une famille qui ne faisait peur à personne, il raffermissait l'équilibre menacé, et s'assurait l'adhésion de tous les amis de la paix. Louis XIV et Léopold protestèrent pour ne pas laisser prescrire leur droit de réclamation ; Louis XIV ordonna même à d'Harcourt de ne pas avouer l'existence du traité de partage, afin de ne pas s'aliéner les partisans de l'unité[33]. Mais ces manœuvres risquaient fort d'échouer contre l'entraînement de l'opinion. L'Angleterre et la Hollande, qui avaient subi le traité de partage, ne pouvaient qu'applaudir à une décision qui les en dégageait, et conservait à chaque État son étendue et ses forces. Pour les esprits calmes et désintéressés, le prince électoral était le véritable héritier de la monarchie d'Espagne, si on avait égard aux renonciations. A la cour même de France, de l'aveu de Dangeau, on le regardait comme le fondement de la paix de l'Europe[34]. Pour rompre ce courant d'idées, pour rendre aux autres prétendants leurs espérances, il fallut un événement inattendu et peut-être tragique. Le prince électoral de Bavière, objet de tant de soucis et de combinaisons diplomatiques, mourut brusquement à Bruxelles, à l'âge de sept ans, le 6 février 1699.Cette mort était si opportune à certaines ambitions, qu'elle fut interprétée par un crime. Saint-Simon, avec cette sécurité d'affirmation qui ne s'inquiète pas même de la calomnie, dit sans réserve qu'elle passa pour l'œuvre des impériaux. Les partisans de Léopold l'auraient débarrassé de son petit-fils par le poison, comme dix ans plus tôt ils l'avaient délivré de la première femme de Charles II.

La question de l'héritage espagnol renaissait tout entière, avec une difficulté de plus. Le traité de partage était supprimé, et la mort du copartageant le plus favorisé, en permettant aux deux autres d'élever leurs prétentions, les rendait plus suspects à la diplomatie et moins commodes à accorder entre eux. Louis XIV reprit immédiatement ses négociations du côté des puissances maritimes et du côté de l'Espagne, fidèle à son plan de poursuivre deux objets à la fois pour en atteindre au moins un. Dès le 13 février 1699, il faisait proposer à Guillaume III un nouveau partage de la monarchie espagnole entre le Dauphin et un archiduc d'Autriche. Il réclamait pour le Dauphin la part déjà assignée à ce prince par le premier traité, et comme seule augmentation le Milanais ; encore était-il prêt à accepter la Lorraine à la place du Milanais, pourvu que le Milanais fût assigné en échange au duc de Lorraine. L'archiduc aurait l'Espagne, les Indes, la Sardaigne, les Baléares et les places d'Afrique. Quant aux Pays-Bas, Guillaume et la Hollande étaient invités à en disposer pour leur sûreté en faveur d'un prince à leur choix, la reine d'Espagne, par exemple, ou l'électeur de Bavière, ou à les annexer par u ne confédération aux. Provinces-Unies. Cette dépêche est une des plus habiles qu'il ait écrites. Le ton solennel, qui lui est familier, s'y rencontre avec le sentiment de sa force et avec cette modération qui est le langage de la raison. S'il a le droit, dit-il, de profiter de la mort du prince de Bavière, il n'en mettra pas moins la tranquillité de l'Europe avant son propre avantage. S'il demande un accroissement de sa première part, c'est parce qu'il convient de maintenir l'équilibre entre la France et l'Autriche. La puissance de l'Empereur est tellement agrandie par la soumission des princes de l'empire et par la paix récemment conclue avec les Turcs, qu'il importe que celle de la France lui fasse contrepoids. Mais il entend établir la division de telle manière que la part de la France servira plutôt à rassurer les États voisins et l'Europe tout entière contre l'Empereur, qu'à donner de l'ombrage aux autres puissances. C'est ce qui résultera de la réunion de la Lorraine à la France, et, en tout cas, de l'établissement d'un pouvoir nouveau dans le Milanais, qui coupera pour toujours les communications entre les États d'Espagne et ceux de l'Empereur[35].

Dans la dernière page de cette dépêche, le roi avait soin de glisser une allusion au parti qui tenait en Espagne pour un prince français. Tout doucement, et sous forme de prétérition, il menaçait Guillaume et les Hollandais de s'accommoder avec la reine d'Espagne, leur rappelant par là qu'il pourrait traiter sans eux plus favorablement qu'avec eux. C'est qu'en effet, en ce même moment, il travaillait à confirmer les bonnes dispositions des Espagnols pour la France, à augmenter le nombre de ses partisans. La reine d'Espagne elle-même, cette adversaire si allemande, était peut-être devenue moins rétive. Elle avait offensé mortellement l'Empereur[36], sans doute en décidant son mari à adopter pour héritier le prince de Bavière ; des avances pouvaient la déterminer à changer tout à fait, et ce n'était pas sans quelque intention de ce genre que Louis XIV la proposait pour souveraine des Pays-Bas. Mais comme la crainte est quelquefois un bon moyen de se faire des amis, le roi ne négligeait pas d'en essayer l'effet sur la nation espagnole. D'Harcourt publia un mémoire contre le testament qui avait failli mettre le prince de Bavière sur le trône ; il y protestait à l'avance contre tout nouvel acte semblable qui attenterait aux droits des princes français ; il y joignait de vive voix des commentaires qui donnaient à craindre le ressentiment de la France. On ne tarda pas à voir que les Espagnols n'étaient pas disposés à affronter les armes de Louis XIV. Dans un moment de disette, le peuple de Madrid, sou levé contre une administration imprévoyante et incapable, força les ministres les plus allemands de la reine à se cacher et il résigner leurs fonctions, et porta au ministère le cardinal Porto-Carrero qui était tout Français. Ces troubles, dit Torcy[37], excitaient encore l'empressement que les peuples témoignaient pour un prince de la famille royale de France ; ils attendaient de ce côté un gouvernement plus habile, plus ferme, une garantie du bonheur public.

La proposition d'un second traité de partage avait encore une fois surpris Guillaume au milieu d'embarras et de contrariétés domestiques, d'a u tant plus insupportables à sa fierté qu'il y voyait la ruine de son importance au dehors. Il s'était permis, depuis un an, d'éluder les volontés des Chambres en conservant furtivement sous les armes plus de soldats qu'elles ne lui en accordaient. Un nouveau parlement, tout récemment élu, lui fit voir qu'un roi constitutionnel ne doit pas avoir de volonté contre les représentants de la nation. On lui signifia (fin de décembre 1698) qu'il n'aurait en Angleterre que 7.000 hommes de troupes dont aucun étranger ne ferait partie ; on lui en laissait 14.000 en Irlande, et 15.000 matelots sur la flotte. Le besoin de la paix, la haine des étrangers, la crainte du despotisme militaire, avaient ensemble inspiré ce bill d'économie et de défiance. Guillaume se débattit en vain contre une mesure qui livrait l'Angleterre désarmée à toutes les tentatives ennemies et françaises, et le condamnait à l'impuissance d'appuyer ses alliés par la force. Il médita une résolution extrême, de remettre le gouvernement d'Angleterre à des régents nommés par les Chambres, et de se retirer en hollande ; un discours, qui exprimait cette résolution, était même déjà écrit[38]. A la fin il se résigna à céder, soit par égard pour les représentations de ses ministres, soit par amour d'une couronne si perfidement acquise, si laborieusement conservée. Il gardait encore l'espoir que, en retour d'une telle concession, les Chambres lui laisseraient au moins sa garde hollandaise, celle qui avait fait la révolution de 1688 en précipitant par son entrée à Londres la fuite de Jacques II. Il dut comprendre combien les révolutions sont ingrates, et comme elles se défient de leurs meilleurs instruments en proportion même des services qu'elles en out tirés. Les communes lui répondirent que les cas d'extrême nécessité pouvaient seuls autoriser la présence de troupes étrangères dans le royaume, et que, pour s'attacher le peuple anglais, le moyen le plus sûr était de vivre avec lui sans aucune défiance. Quoiqu'il trouvât cette adresse fort impertinente[39], il baissa de nouveau la tète devant ses sujets, devenus ses maîtres, et les gardes hollandaises s'embarquèrent huit jours après.

Le moment était donc propice à Louis XIV. Guillaume, désarmé parles Anglais, au su et au vu de toute l'Europe, ne paraissait plus être un adversaire redoutable. Il aurait mieux aimé ne pas prendre de nouveaux engagements envers la France ; mais il craignait que la succession d'Espagne ne s'ouvrit tout à coup avant que la France fût engagée envers lui. Dans cette perplexité il ne se montra pas trop difficile. Il tenta d'abord de mettre l'électeur de Bavière à la place assignée, par le premier traité, à son fils : proposition inadmissible que Louis XIV réfuta victorieusement. Il essaya ensuite de se faire donner les Pays-Bas à lui-même : Si ce n'était ma religion, disait-il à Tallard, je les demanderais pour moi. — Alors, sire, répondit Tallard, ce serait pour votre maison, car vous ne pouvez penser que cela pût vous convenir comme roi d'Angleterre ; sur quoi, s'apercevant qu'il s'était trop découvert, il retira sa parole et demanda le secret[40]. Il ne disputa sur le Milanais que pour représenter la nécessité d'avoir le consentement du duc de Lorraine à l'échange ; et quant aux Pays-Bas, il lui parut convenable, pour ne rien changer à l'état présent, de les laisser à celui qui aurait l'Espagne en partage. Au mois de juin, la France et l'Angleterre étaient d'accord ; les deux rois s'engageaient à signer dans trois mois un nouveau traité de partage sur les bases suivantes, que la France aurait ce qu'elle demandait, que le Milanais compris dans sa part formerait un objet d'échange, et que le roi d'Angleterre ferait entrer les États-Généraux dans le traité.

Contrairement à ces apparences favorables, la solution fut entravée pendant un an par l'égoïsme de l'Autriche et par les calculs des États-Généraux. Lors du premier traité, il en avait coûté beaucoup à Guillaume de garder le secret vis-à-vis de l'Empereur. Cette fois il tenait à le mettre dans la confidence, à lui faire comprendre la nécessité d'un arrangement à l'amiable, à en assurer l'exécution pacifique par l'accord de tous les intéressés. Louis XIV lui-même n'y répugnait pas trop, dans l'espoir que Guillaume, provocateur de la transaction, serait bien obligé de la soutenir plus tard contre l'Empereur, si celui-ci était tenté de la désavouer. La cour d'Autriche abusa de ces avances pendant six mois, de mars à septembre. Elle affecta d'abord de compter sur les armes de l'Angleterre et de la Hollande pour se mettre en possession de tout l'héritage d'Espagne, sous prétexte que cet héritage n'appartenait qu'à l'Empereur. Quand elle dut reconnaître que ces deux puissances n'avaient ni la volonté ni la force d'affronter Louis XIV, elle laissa entrevoir quelque disposition à un partage, mais en termes si vagues, avec tant (le formes dilatoires, que Guillaume désespérait d'en rien tirer. Elle finit par un refus explicite. Ces pourparlers avaient fait transpirer au dehors le nouveau projet de partage, et certainement le gouvernement espagnol en avait été averti par l'Autriche. Tout à coup la cour d'Espagne fit un éclat qui retentit par toute l'Europe : elle expédia à Vienne, à Paris, à La Haye, à Londres, une protestation violente contre toute pensée de partage, contre un pacte qui violait les droits de la nature et les lois de Dieu. A Londres surtout l'envoyé espagnol parla haut contre le roi Guillaume comme il affectait de le nommer[41] ; il essaya de soulever les sujets contre le souverain, et en appela du roi au parlement (sept. 1699). On eut bien vite raison de cette bravade, on expulsa l'insolent ; mais une difficulté bien plus sensible pour Guillaume fut une protestation publique de l'Empereur qui s'opposait à toutes mesures contraires à ses droits sur la succession d'Espagne. Il devenait inévitable de traiter avec la France sans l'Empereur.

Le temps pressait. Le 25 septembre, époque fixée pour la signature de l'engagement définitif, était passé. Louis XIV réclamait avec insistance l'accomplissement des promesses que j'ai, disait-il, souscrites de la main du roi d'Angleterre, comme il les a, souscrites de la mienne. Guillaume donna donc l'ordre de soumettre le projet de traité à l'assemblée des États-Généraux (octobre 1699). Là recommencèrent les difficultés, soit par esprit de rivalité mercantile, soit aussi par l'influence occulte de l'Autriche. Quatre mois durant, on disputa sans décider. Ce projet était trop favorable au commerce français à qui il livrait la Méditerranée ; il cachait le dessein d'endormir l'Angleterre et les Provinces-Unies dans une sécurité mortelle ; il était contraire à la Grande-Alliance de 1689 ; il abandonnait d'anciens amis et alliés ; il disposait sans droit du bien d'autrui. Dans les deux premiers mois, il ne fut possible d'obtenir l'adhésion que de quatre provinces sur sept. Louis XIV en témoigna son étonnement, et laissa percer contre Guillaume des soupçons de mauvaise foi[42] ; il ne comprenait pas que, avec un si grand crédit dans la république, le stathouder rencontrât tant de résistance à ses propositions[43]. Au commencement de janvier (1700), deux nouvelles provinces avaient adhéré ; mais il restait la province de Hollande la plus considérable, et en Hollande la ville d'Amsterdam, dont l'importance dominait souvent toute la Confédération. Heinsius ne vint à bout de cet obstacle qu'après de longues conférences avec les récalcitrants, et à force de faire valoir le danger dont ils menaçaient la république, l'isolement singulier où les réduisait le vote des autres villes, et la responsabilité qu'ils allaient encourir. Amsterdam ébranlé, sinon convaincu, se résigna à laisser faire le traité, dans l'espoir qu'il serait accompagné des bénédictions du Dieu de paix et de concorde.

Le second traité de partage de la monarchie espagnole fut signé à Londres, le 3 mars 1700, entre la France, l'Angleterre et les États-Généraux. Il comprenait tout ce que Louis XIV avait voulu : la répartition des États d'Espagne entre 'deux héritiers : le Dauphin et l'archiduc Charles, deuxième fils de l'Empereur ; au premier, la Sicile, Naples, les Présides de Toscane, le marquisat de Final, le Guipuzcoa et la Lorraine échangée par son duc contre le Milanais ; au second l'Espagne, les Indes et les Pays-Bas. A l'article vif, l'exécution en était garantie par les armes des trois contractants contre quelque prince que ce fût qui voudrait s'opposer à la prise de possession des partages convenus. Un article secret interdisait à l'archiduc Charles de passer en Espagne ou dans le duché de Milan avant la mort du roi catholique ; en cas de contravention à cette défense, les contractants s'engageaient à recourir à tous leurs devoirs, même aux voies de fait, pour forcer le roi d'Espagne à l'expulser. L'Empereur était invité à accéder au traité dans le délai de trois mois après la notification, ou de deux mois après la mort du roi d'Espagne ; faute par lui de le faire, la part de son fils serait assignée à un autre au choix des trois puissances. Le roi d'Espagne était invité à laisser dans leur état actuel les lieux et villes qui composaient la part du Dauphin et le Milanais. S'il prétendait y faire quelques changements, les trois puissances s'y opposeraient par les armes[44].

Le traité fait, il parut celte fois convenable de le publier. Aussi Dangeau le connaît, lui qui avait ignoré le premier, et il en expose les traits principaux dès le mois de mars 1700. Nous le trouvons aussi à la même date dans Saint-Simon[45], qui le présente comme le point de départ des débats de la succession d'Espagne. Le roi chargea le duc d'Orléans d'en divulguer les détails ; il en donna également connaissance à tous les ambassadeurs qui étaient à sa cour, et des copies à ceux qui en voulurent[46]. Le duc de Lorraine, informé de ce qui le concernait, se montra facilement prêt à quitter les deux millions que lui valait son duché pour les douze que rapportait le Milanais. Les envoyés des petits États d'Italie exprimèrent quelque crainte d'être écrasés par la puissance nouvelle que la France acquérait dans la Péninsule ; ils auraient mieux aimé, dans leur voisinage, un prince cadet de France non destiné au trône[47]. Mais ce qu'il importait, avant tout, à la diplomatie de connaître, c'étaient les sentiments de l'Empereur et du roi d'Espagne, puisque l'exécution du traité dépendait en partie de leur acceptation. En le rejetant, ils allaient le rendre inutile, et susciter à la place une combinaison bien plus odieuse à leur dépit.

La notification du traité par le représentant de Guillaume et par l'envoyé français Villars fut fort mal accueillie à Vienne. Les Anglais et les Hollandais surtout essuyèrent toute la mauvaise humeur impériale. On dédaigna leurs bonnes raisons ; ils eurent beau représenter l'impuissance où ils étaient de s'engager dans une nouvelle guerre pour l'Autriche, l'étendue fort estimable de la part laissée à l'archiduc, l'épuisement de l'Empereur lui-même malgré les avantages de la paix récente de Carlowitz, la difficulté de réunir tous les princes de l'Empire contre la France, le danger de tout perdre en voulant tout gagner, puisque la France, seule prête à la guerre était en état de tout conquérir. L'avidité aveugle de l'Autriche se retrancha dans son prétendu droit de ne partager avec personne, et dans une confiance ridicule en ses ressources. Si les puissances maritimes nous plantent là, disait un des ministres, nous leur rendrons la pareille plus tard ; et pressé de donner une réponse précise, il l'ajournait d'un ton hautain à trois mois. Vis-à-vis de la France, on affecta des façons moins brusques ; on essaya s'il ne serait pas possible de la séparer des étranges alliés qu'elle venait de gagner ; on témoigna un désir empressé d'union avec elle, on lui fi t entrevoir vaguement un partage possible. Pour la piquer d'amour-propre, on exagéra l'importance vraiment extraordinaire que s'arrogeaient les puissances maritimes : Comment, disait le comte de Kaunitz à Villars, les Anglais et les Hollandais sont-ils donc empereurs pour disposer du Milanais, fief impérial !... — Quoi ! les Hollandais donnent des royaumes !... Mais Villars, loin de se laisser aigrir, excusait ces puissances par l'histoire de la dernière guerre don tel les avaient porté tout le poids, et l'Empereur rien autre chose que la lutte contre les Tures à son profit exclusif : Croyez-vous, disait-il[48], ces deux nations bien empressées de s'engager dans une nouvelle guerre pour vos seuls intérêts, quand le roi marque, par sa modération, qu'il ne désire que le bien et la tranquillité de l'Europe. La France ne se prit pas davantage à l'appât du partage autrichien.  Ce que Léopold semblait offrir, c'était précisément ce à quoi l'Angleterre et la Hollande ne consentiraient jamais, la réunion de l'Espagne et des Indes à la France[49]. Louis XIV, éclairé par ces manœuvres, avait déjà résolu d'agir sans le concours de l'Autriche, lorsque Léopold le dispensa de rompre les négociations en les rompant le premier. L'Empereur déclara tout à coup aux signataires du traité de partage qu'il refusait d'y adhérer, parce qu'il était contre le droit des gens de partager une succession avant qu'elle ait ouverte. Jusqu'à la mort du roi d'Espagne, il n'entendait pas prêter les mains à une pareille énormité[50]. Le maladroit ! il élargissait à son adversaire la voie qu'il croyait lui barrer, et, par le refus de partage, il lui donnait la meilleure occasion, le prétexte le plus plausible, pour accaparer le tout.

A la cour de Madrid, l'irritation avait été plus prompte et plus vive encore qu'à Vienne. La reine d'Espagne, qu'on avait pu croire brouillée avec l'Empereur, était revenue au parti de l'Autriche depuis qu'elle avait perdu tout espoir pour sa propre maison, parla mort du prince de Bavière. A la première rumeur du second traité de partage (juillet 1699), elle avait poussé son mari à réclamer contre cet attentat à sa dignité et à ses droits. Après la conclusion (mai 1700), elle éclata contre la France. Ces avanies furent si intolérables pour d' Harcourt qu'il demanda la permission de se retirer, et de ne laisser à sa place qu'un chargé d'affaires. Le pauvre roi, pressé d'ailleurs par Léopold, était prêt à reconnaitre l'archiduc Charles pour son héritier unique. On croit même qu'un testament fut rédigé dans ce sens, et que ce fut dans cette certitude que Léopold rompit avec les puissances signataires du traité. Le bruit courut que l'archiduc allait passer en Espagne avec un corps de troupes. Déjà Louis XIV, conformément au traité, menaçait de s'opposer, par la force, à cette occupation anticipée ; les puissances maritimes, inquiètes de ce conflit, cherchaient à prévenir une prise d'armes. Il n'arriva rien de toutes ces prévisions. Ici encore le parti autrichien se ruina par son emportement, et fit à merveille les affaires de son ennemi.

La cour d'Espagne n'était pas la nation ni même la noblesse espagnole. Grands et peuples, nous le savons déjà, haïssaient l'autorité des Allemands, et la haine était montée à ce point que, lorsqu'il fut question d'un testament en faveur de l'archiduc Charles, l'Aragon parlait de se faire un roi particulier. Nous savons aussi qu'ils tenaient fort à l'intégrité de leur monarchie : le peuple, par un sentiment vague et glorieux d'honneur national ; les grands, par amour des commandements, des vice-royautés, qu'ils espéraient dans les provinces extérieures[51]. Les traités de partage leur étaient donc odieux ; mais, tandis qu'ils en faisaient un crime à l'Angleterre et à la Hollande, ils ne voyaient dans Louis XIV que l'intention de les décider, par une menace de démembrement, à choisir pour souverain unique un prince français[52], et ils pardonnaient cette intention à l'avantage qu'ils en attendaient. Un prince français était à leurs yeux le seul capable d'assurer leur unité. L'ambassadeur d'Espagne à Vienne (1690) l'écrivait à Charles II, son maître : Si vous ne tenez pas à l'intégrité de la monarchie, il est plus noble de la partager entre l'Empereur et la France, mais si vous voulez la conserver entière, l'unique moyen pour y réussir est de choisir un petit-fils du roi (de France). Ce même ambassadeur ne craignait pas de promettre à Villars la connivence intime de ses amis : Les Espagnols ne demandent pas mieux que de se donner à un petit-fils du roi ; ils auraient peut-être été mieux disposés pour l'archiduc, mais comme ils savent bien que l'Empereur n'a pas la force de les soutenir, le bruit d'un partage qui démembre la monarchie les met au désespoir. Enfin, il annonçait expressément la conclusion favorable au parti français : Conduisez-vous bien ; ménagez sans éclat la cour de Madrid ; elle se conduit si mal, aussi bien que celle de Vienne, que tout concourra à mettre la monarchie entière sur la tête d'un de vos princes, même sans que vous fassiez aucun mouvement[53].

Il prophétisait vrai. A mesure que les menaces du traité de partage avaient pris plus de consistance, divers grands d'Espagne, dont plusieurs membres du Conseil d'État, espagnols jusqu'aux dents, comme les appelle Saint-Simon, s'étaient concertés pour empêcher à tout prix le démembrement, et accordés à proposer un petit-fils de Louis XIV pour héritier unique. Grâce à leurs accointances dans le conseil, la reine fut contrainte de renvoyer à Vienne la comtesse de Berlips, sa plus chère confidente allemande, et de supprimer le régiment allemand du prince de Darmstadt, qui semblait tenir Madrid sous le joug (avril 1700). Le prétexte fut de donner satisfaction pu mécontentement populaire, le résultat d'ôter à la reine ses conseillers et la forée matérielle dont elle comptait s'appuyer. Cette position enlevée, il importait encore de s'assurer l'avantage sur le terrain du droit, et de mettre à néant les renonciations, cette grande arme de l'Autriche. On trouva, sans beaucoup de peine, que les renonciations perdaient toute valeur, du moment que leur objet était atteint. Comme cet objet n'avait pu être que de prévenir la réunion des couronnes d'Espagne et de France sur une même tête, la condition serait remplie si l'on appelait au trône d'Espagne un cadet français, non destiné au trône de France. Il ne restait plus qu'à introduire ouvertement cette proposition ; l'examen du traité de partage notifié par Louis XIV en fut l'occasion naturelle.

Charles II et sa femme furent bien surpris lorsque, en plein conseil, le marquis del Fresno proposa le choix du duc d'Anjou, second petit-fils de Louis XIV, comme le remède efficace aux conséquences du traité de partage. De la surprise ils tombèrent dans l'abattement, quand cette proposition fut accueillie à l'unanimité moins une voix. Les étrangers, immédiatement informés, s'en émurent aussi, et ne se rassurèrent que par la pensée des prédilections de famille qui dominaient Charles II[54]. Mais le marquis del Fresno avait frappé trop juste pour ne pas triompher. Il développait, dans un long mémoire, l'argument irrésistible de l'intérêt espagnol. Par le traité de partage, l'union indissoluble de la monarchie, cette gloire nationale, était brisée : la France devenait maitresse du commerce et de la guerre clans la Méditerranée ; et restait l'ennemie de l'Espagne ; l'Espagne, toujours menacée, n'avait pour alliées que les puissances maritimes éloignées de son territoire, indifférentes à ses embarras, et qui, même dans la dernière guerre, n'avaient su lui conserver ni Carthagène d'Amérique, ni ses villes de Catalogne. Par le choix du duc d'Anjou, l'unité subsistait conformément à l'inclination et à la voix des peuples ; la France, changée de vieille ennemie en alliée secourable, garantirait le retour de l'ancienne prospérité. Louis XIV, disait le mémoire[55], prince sage et puissant, arrêtera les Anglais, les Hollandais, et toutes les autres puissances de l'Europe. Les ports d'Espagne et des Indes seront à l'abri de toute surprise par l'assistance française sur terre et sur mer. Nos escadres combinées fermeront le détroit et ruineront le commerce et la navigation de nos ennemis... et que d'autres grands desseins l'Espagne pourra entreprendre et accomplir sous les auspices de Sa Majesté très-chrétienne ! Ainsi l'élévation du duc d'Anjou était un acte national d'indépendance et de régénération, non une œuvre de soumission et d'affaiblissement, c'était une association, un contrat, dont la France aurait la charge, l'Espagne le profit.

Contre cette séduisante perspective, Charles II et sa femme n'étaient pas de force à faire prévaloir les réclamations de l'ambassadeur autrichien. Les partisans d'un prince français, appuyés sur l'intérêt national, ne laissèrent pas de repos au roi moribond qu'ils n'eussent obtenu son adhésion à leur politique. D'après une imputation que Saint-Simon admet avec sa témérité accoutumée, ils l'obsédèrent par un confesseur de leur choix, qui lui montra dans leur projet un devoir impérieux de conscience et le gage nécessaire de son salut. On trouve aussi, dans les correspondances diplomatiques, des consultes écrites dans lesquelles ils le faisaient trembler par la crainte de mourir sans avoir assuré le repos de l'Espagne, et de ne récompenser le dévouement d'un peuple en pleurs que par l'abandon et la confusion[56]. Combattu entre son attachement personnel à la maison d'Autriche sa famille, et le devoir de sauvegarder les intérêts légitimes des Espagnols ses sujets, Charles II consultait les jurisconsultes, les théologiens d'Espagne et de Naples, plusieurs évêques même, et de tous côtés il recevait pour réponse que les princes français étaient ses véritables héritiers. Il finit par s'en remettre au pape, attendant bien du Père commun des fidèles, le plus désintéressé dans le débat, la décision la plus conforme tout ensemble à la justice et à l'avantage de ses royaumes. On ne peut savoir avec précision, malgré tant de conjectures hasardées sur ce sujet, ni quelles raisons il soumit à Innocent XII, ni sur quels arguments le pape fonda sa réponse. Ce qui est certain, c'est qu'il se prononça pour un prince français décision bien impartiale assurément si l'on considère, dans l'ordre politique, que depuis la guerre de Trente Ans les préférences du Saint-Siège semblaient acquises à l'Autriche, et, dans l'ordre religieux, que les deux concurrents, l'Autriche et la France, appartenant également à l'Église catholique, aucun prince ou État protestant ne pouvait se plaindre d'avoir été sacrifié.

Ainsi qu'on l'avait prédit à Villars, la couronne d'Espagne venait comme d'elle-même se placer sur la tête d'un prince français. Louis XIV n'avait qu'à laisser faire sans prendre la peine d'agir ; aussi gardait-il l'attitude expectante. Malgré le secret qui couvrait pour tout autre la consultation adressée à Innocent XII[57], il connut, lui, la réponse du pape ; il en reçut un avis positif et certain par le cardinal de Janson ; c'est Torcy qui l'affirme ; mais comme cette réponse n'était pas encore une décision, il persista à s'en tenir au traité de partage[58]. Il observa la même réserve quand les Espagnols partisans de la France essayèrent de savoir, soit par son chargé d'affaires à Madrid, soit parleur ambassadeur à Paris, s'il accepterait la succession. Il ne dit rien qui pût donner l'éveil aux signataires du traité de partage, rien qui pût décourager les partisans de son petit-fils. Peut-être même vis-à-vis de ceux-ci l'indifférence affectée était la meilleure manière de fixer leurs incertitudes et de les décider à ne plus lui proposer qu'un fait accompli. Enfin, le 2 octobre 1700, Charles II signa un testament. Quoique la teneur littérale et officielle en restât cachée au public, il circula aussitôt dans Madrid des rumeurs imposantes qui annonçaient le choix du duc d'Anjou. Les ambassadeurs étrangers écrivirent à leurs gouvernements, avec un dépit manifeste, que le second fils du Dauphin était institué héritier de la monarchie d'Espagne, au grand regret du pauvre Charles II qui n'avait signé que sous la pression de ses conseillers[59]. L'envoyé français à Madrid avertit Louis XIV[60], et l'ambassadeur d'Espagne en France, si l'on en croit Saint-Simon, vint en conférer avec le roi seul ; ce fut, dit-on, l'objet d'une audience restée célèbre pour son secret absolu puisque Torcy lui-même en fut exclu[61]. Mais si vraisemblable que fût l'assurance apportée par ces communications, le testament ne faisait pas autorité tant que la succession n'était pas ouverte, tant que Charles II avait le temps de changer de volonté. Il pouvait vivre peut-être plusieurs années, par un de ces retours de santé qui avaient tant de fois trompé les prévisions ; on parlait même déjà de convalescence. Il pouvait, dans un retour de tendresse pour la maison d'Autriche, lui reporter l'héritage dont il ne l'avait frustrée qu'avec un grand déchirement de cœur ; c'était l'espérance qu'on trouve exprimée à ce moment par l'envoyé hollandais[62]. Le roi continua donc à ne pas se prononcer dans le sens de l'acceptation du testament. Il alla même jusqu'à insinuer des assurances contraires qui ont donné à ses adversaires le droit de l'accuser de duplicité. Guillaume, fort inquiet d'un testament qui doublerait l'ascendant de la France en Europe, pressait le grand-pensionnaire de Hollande d'obtenir de Louis XIV l'engagement formel de ne pas accepter l'offre de la monarchie d'Espagne pour un prince français. Le comte de Tallard répondit que le testament du roi d'Espagne n'apporterait aucun changement dans les intentions de sa cour, et qu'on observerait le traité. Le comte de Briord, ambassadeur français en Hollande, déclara au grand-pensionnaire que nonobstant l'inclination des Espagnols pour un second fils de France, et l'avantage de cette combinaison, le roi de France n'en demeurait pas moins déterminé à ne pas se départir du traité de partage, et à n'agir dans cette question que de concert avec les contractants[63]. Voilà du moins ce qu'on lit dans deux lettres de Heinsius.

La mort de Charles II (1er novembre 1700) mit fin à ces agitations dans le vide en substituant la réalité aux conjectures, la décision aux réticences. Le testament ouvert par le Conseil d'État, devant les grands d'Espagne de présence à Madrid, apprit aux Espagnols que leur monarchie ne devait pas être démembrée, à la France que toute cette monarchie passait à un de ses princes, à l'Autriche qu'elle n'était plus qu'un pis-aller, et que ses princes n'avaient de droit qu'en cas d'extinction des princes français. L'article mu déclarait nulles les renonciations en raison de leur inutilité. Comme elles n'avaient eu pour objet que de prévenir la réunion des couronnes de France et d'Espagne sur une même tête, ce motif fondamental venant à cesser par le choix d'un légataire non destiné au trône de France, le droit de la succession subsistait dans le parent le plus proche. Et l'article XIV répétait que les renonciations, et actes faits au contraire du testament, ne pouvaient prévaloir contre l'élévation du duc d'Anjou au trône de Castille, d'Aragon, de Navarre et de tous les pays que le testateur possédait dedans et dehors l'Espagne. Si le duc d'Anjou mourait sans enfants ou consentait un jour à être roi de France, la succession espagnole passerait à son frère cadet le duc de Berry et à sa postérité. Si à son tour le duc de Berry mourait sans enfants ou était appelé au trône de France, l'Autriche venant à son rang de seconde ligne collatérale par les femmes, l'archiduc Charles, second fils de l'empereur, serait roi d'Espagne ; le second était choisi parce que l'aîné devait hériter de la succession autrichienne en Allemagne, et qu'il ne convenait pas de réunir sur la même tête deux royautés. Enfin à défaut de cet archiduc, le duc de Savoie recueillerait l'héritage auquel l'appelait en troisième ligne sa descendance à la troisième génération d'une fille de Philippe II[64]. La netteté de ces dispositions ne laissait aucune place à l'équivoque et aux chicanes. Les grands d'Espagne y adhérèrent avec empressement, et bientôt le peuple manifesta hautement sa joie. L'ambassadeur d'Autriche, déconcerté et bafoué par un des principaux seigneurs à la vue de tous les autres, s'enferma de dépit dans sa maison. Le notaire royal remit aussitôt une copie du testament à l'envoyé de France qui l'expédia sans délai à son maitre, et la junte, nommée par Charles II pour exercer l'intérim de la royauté jusqu'à Par-rivée du successeur, expédia des courriers à Louis XIV pour le prier d'envoyer sur-le-champ en Espagne le duc d'Anjou. Le 9 novembre, la cour de France connaissait officiellement le testament[65].

Louis XIV se trouva véritablement embarrassé. Il avait désiré le testament ; il n'était pas étranger aux manœuvres qui l'avaient préparé. En vain Saint-Simon écrit que cette fortune lui arrivait sans aucune amorce de sa part ; nous avons établi que, depuis près de trois ans, il amorçait les Espagnols soit par le souvenir de ses bons traitements à Ryswick, soit par la crainte d'être conquis ou démembrés, soit par l'espérance d'être défendus par lui. Et quand il tint ce fruit de sa diplomatie, sa satisfaction évidente fut une preuve de plus de la part qu'il avait prise à l'œuvre. En créant duc héréditaire ce marquis d'Harcourt qui avait le premier proposé cette solution et n'y avait pas médiocrement travaillé, il avouait par sa reconnaissance quel prix il attachait au service rendu. En considérant à table le duc d'Anjou devenu roi, il disait à l'ambassadeur d'Espagne : Je crois encore que tout ceci est un songe[66] ; n'est-ce pas le langage d'un homme si satisfait d'un succès longtemps attendu, qu'il n'a plus d'autre pensée que la crainte de s'en trouver tout à coup dépouillé ? Mais comment accorder cet avantage avec les autres arrangements déjà obtenus ? Jusqu'à ce qu'il fût sûr de l'héritage, et pour y suppléer en partie s'il ne 'l'obtenait pas tout entier, il avait enlacé les : puissances maritimes, malgré leurs répugnances et par ses promesses de modération, dans le traité de partage. Il n'était guère possible de se tirer de cet engagement sans imputation de mauvaise foi, sans hostilités de la part des autres contractants furieux d'avoir été pris pour dupes. A un autre point de vue, celui de sa puissance personnelle et de l'intérêt français, le traité de partage était plus avantageux que le testament ; on pouvait en croire les craintes exprimées par ses voisins. Ce traité paraissait donner à la France la domination de la Méditerranée, la suprématie commerciale dans le midi de l'Europe, l'arrondissement de son territoire du côté du Rhin : grands épouvantails que ses rivaux avaient agités aux yeux des Anglais et des Hollandais. Par le testament, il n'avait que la gloire personnelle de substituer un prince de sa maison à la maison d'Autriche, et, en s'engageant à maintenir l'intégrité de la monarchie espagnole, il enlevait à la France le droit, à la première occasion opportune, d'arrondir sa frontière du nord par ces Pays-Bas objet de la politique si raisonnable de Richelieu et de Mazarin. Ces pensées méritaient bien d'être prises en considération, et elles tiraient une nouvelle force de la nécessité présente de prononcer entre elles. En suivant les deux négociations à la fois, Louis XIV s'était avant tout proposé de compenser l'insuccès de l'une par la réussite de l'autre, sans trop se préoccuper, avant le résultat, de la contradiction et du moyen de les accorder entre elles. Maintenant qu'elles avaient réussi toutes les deux, les difficultés se dressaient des deux parts. L'embarras du choix était ici autre chose qu'un mot, qu'un compliment, qu'une exubérance de fortune ; c'était une véritable perplexité.

Il paraissait y avoir à accepter le testament deux raisons plausibles, capables de faire au moins illusion à l'Europe. Premièrement celle que nous venons de dire ; le testament n'ajoutait rien au territoire ni à la puissance propre de la France et ne menaçait aucun de ses voisins, et on verra bientôt que ce fut en effet la première impression de l'esprit public. Secondement la résistance inflexible de l'Autriche et de l'Espagne ensemble au traité. L'Autriche se préparait à s'y opposer par la force ; elle cherchait des alliances en Allemagne, elle avait déjà depuis quelques mois levé des troupes. Il devenait donc nécessaire pour exécuter le traité, pour assurer la part de la France, de faire la guerre à l'Autriche, et dans cette lutte la France ne pouvait raisonnablement compter sur l'assistance de l'Angleterre et de la Hollande malgré leurs promesses. L'Espagne s'obstinait à ne rien perdre de son unité. Le cardinal Porto-Carrero, membre de la junte de régence, écrivait à l'ambassadeur espagnol à Paris : Si Sa Majesté très-chrétienne persiste à nous vouloir démembrer, vous ne devez pas insister pour le départ du duc d'Anjou ; au contraire il faudra que Votre Excellence proteste solennellement que ce n'est qu'à la condition du non-démembrement que la maison de Bourbon a été appelée à la succession. Et pour assurer cette unité, l'Espagne pouvait invoquer le testament même qui substituait au duc d'Anjou et au duc de Berry dans la possession de toute la monarchie, l'archiduc Charles d'Autriche ; si donc Louis XIV n'acceptait pas l'héritage intact pour un prince français, l'Autriche en prenait possession pour un de ses princes par la volonté du testateur et de la nation intéressée[67]. Il devenait ainsi nécessaire de guerroyer les Espagnols pour les démembrer malgré eux, chose odieuse assurément, et de déposséder un héritier qui venait à son rang, par le refus des autres, attentat évident à la légitimité que lui auraient conférée la volonté du dernier roi et les inclinations du peuple.

Louis XIV, dès le 10 novembre, réunit en conseil, pour délibérer sur cette question, le Dauphin et les trois ministres d'État, qui étaient le chancelier, le duc de Beauvilliers et le marquis de Torcy. Selon Saint-Simon et Burnet, Mme de Maintenon y fut appelée ; mais Torcy réfute expressément cette assertion, et elle-même semble indiquer dans sa correspondance qu'elle n'eut pas voix au chapitre[68]. La plupart des considérations que nous venons d'exposer y furent débattues. Le duc de Beauvilliers, partisan du traité de partage, invoqua l'obligation de garder la parole donnée et le grand crédit où cette fidélité établirait la France au dehors, l'avantage certain d'acquérir des contrées contiguës au royaume, et sur la Méditerranée les ports les plus avantageux au commerce, et le peu de sûreté d'une union intime avec l'Espagne, qui tiendrait à peine au delà de la première génération. Torcy opina pour l'acceptation du testament par la pensée des résistances de l'Autriche au traité, de la guerre qui s'ensuivrait forcément, de l'isolement où l'Angleterre et la Hollande laisseraient la France ; il y joignit l'importance et la force du droit que ferait le testament à l'archiduc en cas de refus de la part du roi. Le chancelier récapitula les deux avis, les arguments pour et contre, sans s'arrêter à aucun. Mais quand ce fut le tour du Dauphin, cet homme apathique et ordinairement effacé montra une vigueur, une ardeur inconnue, une précision d'idées. qui surprit tout le monde. Saint-Simon et Mme de Maintenon lui rendent ici le même témoignage. Il réclama l'acceptation, parce que, guerre pour guerre, il valait mieux combattre pour le parti qui convenait le mieux à la grandeur de la France, et aussi à la justice. La succession d'Espagne était son héritage, puisque c'était celui de sa mère ; il priait donc le roi de le lui accorder, mais il était prêt, pour la tranquillité de l'Europe, à le céder à son second fils ; il se contenterait, pour sa propre gloire, de pouvoir dire : Le roi mon père, et le roi mon fils, condition assez belle pour être enviée, puisque aucun homme ne s'y était encore trouvé avant lui[69].

Le roi leva la séance sans conclure. L'affaire, disait-il, valait bien de dormir dessus, et d'attendre ce qui viendrait d'Espagne. Les jours suivants il provoqua, il écouta les avis divers de sa cour. Le duc de Bourgogne combattit d'abord l'acceptation[70]. Au contraire, les bâtardes chéries du roi, Mme la duchesse et la princesse de Conti, le pressèrent d'envoyer promptement le duc d'Anjou. en Espagne, ce qui ne pouvait manquer d'être approuvé, disaient-elles, à en juger par le raisonnement qu'on entendait faire au public[71]. Il n'en paraissait pas encore convaincu, car il répondit à cette assurance : Je suis sûr que, quelque parti que je prenne, beaucoup de gens me condamneront. Ses hésitations apparaissent encore clans plusieurs dépêches écrites alors à ses ambassadeurs, et particulièrement celle du 12 novembre au comte de Briord en Hollande, où il incline au maintien du traité de partage[72]. Cependant il arrivait des courriers d'Espagne, l'un sur l'autre, avec de nouveaux ordres et de nouveaux empressements pour demander le duc d'Anjou. La nation espagnole était du même avis que le dernier roi ; le vœu des seigneurs était celui des peuples ; un empire grand par son passé, grand encore par le nombre de ses États, se plaçait sous la garde et la direction de la maison de Bourbon. Il plut à Louis XIV de répondre à cette confiance en se décidant pour le parti le plus dégagé de l'égoïsme et de l'ambition matérielle, en se faisant protecteur au lieu de conquérant, en sacrifiant l'augmentation de son territoire à l'accroissement de son ascendant et de son influence morale. Ses sentiments de grandeur et aussi son orgueil y trouvaient digne satisfaction.

Le 16 novembre, le roi, étant dans son cabinet avec le duc d'Anjou, fit entrer l'ambassadeur d'Espagne, et, lui montrant le prince : Vous pouvez, lui dit-il, le saluer comme vôtre roi. Après que l'ambassadeur se fut agenouillé, et eut achevé son compliment, le roi fit ouvrir à deux battants la porte de son cabinet. Il y avait derrière une multitude de courtisans attirés au lever du roi par la curiosité et l'espérance de connaître enfin la décision suprême. Il leur ordonna d'entrer, parcourut d'un coup d'œil majestueux toute cette foule, et dit : Messieurs, voici le roi d'Espagne. La naissance l'appelait à cette couronne, le feu roi aussi par son testament, toute la nation l'a souhaité et me l'a demandé instamment ; c'était l'ordre du ciel, je l'ai accordé avec plaisir. Puis, se tournant vers le petit-fils qui allait le quitter pour toujours, il ajouta d'un ton à la fois digne et ému : Soyez bon Espagnol, c'est maintenant votre premier devoir ; mais souvenez-vous que vous êtes né Français pour entretenir l'union entre les deux nations ; c'est le moyen de les rendre heureuses et de conserver la paix de l'Europe. Les deux frères du nouveau roi entrèrent ensuite et échangèrent avec lui des marques de tendresse et des larmes ; ce fut une de ces scènes touchantes qui ont fait dire à Mme de Maintenon : Je n'aurais jamais cru qu'on pût être prince et si sensible[73]. Louis XIV, comme pour correspondre à ces sentiments et pour retarder la séparation, annonça que le roi d'Espagne serait conduit jusqu'à la frontière par ses deux frères. Alors l'ambassadeur d'Espagne s'écria que ce voyage était désormais aisé, et que les Pyrénées étaient fondues. Tel est, sans un mot de plus, le récit de Dangeau, qui était présent, et de Saint-Simon, qui ne fait autre chose en pareille circonstance que de développer Dangeau. Bientôt, en circulant dans le public, ces filins ou ces paroles se modifièrent par zèle d'embellissement. Le Mercure les tourna à sa mode, et il fit dire par l'ambassadeur : Quelle joie il n'y a plus de Pyrénées ! elles sont abimées, et nous ne sommes plus qu'un.

Ainsi ce n'est pas Louis XIV qui a dit : Il n'y a plus de Pyrénées ; c'est l'ambassadeur d'Espagne qui en a donné l'idée, et c'est le Mercure qui a fait le mot dont on s'obstine depuis deux siècles à reporter la gloire à Louis XIV. Ô authenticité des mots historiques !

Pendant quelques semaines tout fut joie à la cour de France. Leduc d'Anjou, devenu Philippe V, reçut immédiatement tous les honneurs royaux. Le roi son grand-père lui céda son appartement et son lit, lui donna la droite, et à table un fauteuil et son cadenas, une soucoupe et un verre couvert, et l'essai comme pour lui-même[74]. Le Dauphin triomphait. Madame de Maintenon écrivait : Voilà une grande grandeur dans la grandissime maison de France[75]. La petite cour de Saint-Germain se félicitait de cette extension de l'importance française comme d'un pronostic favorable à leurs espérances. A chaque instant on recevait du dehors les messages les plus avantageux. C'était, le 22 novembre, la reconnaissance de Philippe V à Bruxelles, en qualité de duc de Brabant, par les soins de l'électeur de Bavière et au chant du Te Deum et aux applaudissements publics ; la ville d'Anvers sollicitait l'honneur d'élever une statue à son nouveau maitre. C'était, le 28, le comte de Vaudemont, gouverneur du Milanais, qui annonçait que la nouvelle du testament avait rassuré les esprits, et qui protestait pour lui et pour tout le duché d'une fidélité inviolable à Sa Majesté Catholique. Le duc de Medina-Celi en mandait autant de Naples. En Espagne, le peuple de Madrid, dès le 24 novembre, avait célébré avec enthousiasme l'acceptation du testament ; et si Dangeau n'enregistre cette nouvelle que le 11 décembre, il raconte, dès le 2, quelle était dans cette ville l'antipathie publique pour la reine douairière et les Allemands ; on refusait à la reine l'argent nécessaire pour son deuil ; on traitait en ennemi public un homme de loi qui avait reçu la protestation de l'ambassadeur autrichien contre le testament. Déjà les reconnaissances politiques des États étrangers arrivaient à Philippe V : le 30 novembre compliment du duc de Savoie, puis du nonce, de Venise, des princes d'Italie ; le 7 décembre, compliment de l'évêque de Munster[76].

Trois jours auparavant, Philippe V était parti pour prendre possession de son royaume. Il avait une suite magnifique, ses deux frères abondamment pourvus d'argent pour leurs menus plaisirs d'une part et de l'autre pour leurs libéralités, une nombreuse jeunesse de la cour, des gardes, des troupes, des officiers, et le duc de Beauvilliers pour commander tout ce monde. Mais ce qui valait bien mieux que tout cet apparat dont on a évalué la dépense à plusieurs millions, il emportait, dans les instructions de son grand-père, tous les éléments de l'art de régner avec honneur et sûreté.

Louis XIV, en annonçant à la junte de régence espagnole l'acceptation du testament, avait promis de former le nouveau roi à ses devoirs et à la pratique des affaires. Nous l'instruirons, écrivait-il[77], de ce qu'il doit à sa gloire, et encore plus de ce qu'il doit à une nation également brave et éclairée, toujours fidèle à ses maitres. Nous l'exhorterons à se souvenir de sa naissance et de qui il est fils, mais encore plus de qui il est roi. Il aimera son pays, mais seulement pour maintenir la bonne intelligence si nécessaire au repos commun de nos sujets et des siens. Ces belles paroles sont développées dans les instructions qu'il remit à Philippe V. On y reconnaît sa' propre histoire, ses règles de conduite, sa manière d'entendre et d'exercer l'autorité, avec quelques corrections, fruit de l'âge et de l'expérience, qui font honneur à son discernement :

Ne manquez à aucun de vos devoirs, surtout envers Dieu.

Déclarez-vous en toute occasion pour la vertu a contre le vice.

N'ayez jamais d'attachement pour personne. — Il a s'agit évidemment ici de favoris, de coteries, puisque, un peu plus bas, il lui recommande d'aimer toujours ses parents.

Aimez votre femme, vivez bien avec elle. Aimez les Espagnols et tous vos sujets. Ne préférez pas ceux qui vous flatteront le plus, estimez ceux qui pour le bien hasarderont de vous déplaire ; ce sont là vos véritables amis.

Vivez dans une grande union avec la France, rien n'étant si bon pour nos deux puissances que cette union à laquelle rien ne pourra résister.

Si vous êtes contraint de faire la guerre, mettez vous à la tête de vos armées.

Ne quittez jamais vos affaires pour le plaisir, mais faites-vous une règle qui vous donne des temps de liberté et de divertissement. Il n'y en a guère de plus innocent que la chasse, et le goût de quelque maison de campagne, pourvu que vous n'y fassiez pas trop de dépense.

Donnez une grande attention aux affaires ; quand on vous parle, écoutez beaucoup dans les commencements sans rien décider.

Quand vous aurez plus de connaissance, souvenez-vous que c'est à vous à décider.

Tenez tous les Français dans l'ordre. Traitez bien vos domestiques. Servez-vous d'eux tant qu'ils seront sages, renvoyez-les à la moindre faute qu'ils feront, et ne les soutenez jamais contre les Espagnols.

Ne paraissez pas choqué des figures extraordinaires que vous trouverez, ne vous en moquez pas. Chaque pays a ses manières particulières, et vous serez bientôt accoutumé à ce qui vous paraitra d'abord le plus surprenant.

Ayez une cassette pour mettre ce que vous aurez de particulier, dont vous aurez seul la clef.

Je finis par un des plus importants avis que je puisse vous donner : ne vous laissez pas gouverner, n'ayez jamais de favori ni de premier ministre. Écoutez, consultez votre conseil, mais décidez. Dieu, qui vous a fait roi, vous donnera toutes les lumières nécessaires tant que vous aurez de bonnes intentions.

 

Ces conseils, écrits au courant de l'inspiration sans méthode et sans retouche, n'en Offraient pas moins un code complet de la conduite d'un roi, et surtout d'un roi nouveau-venu au milieu de sujets étrangers. Le pouvoir ainsi exercé aurait été fécond en actes réparateurs chez une nation qui avait langui pendant trois règnes sous des rois apathiques et des favoris ignares ou cupides. Mais la paix était nécessaire pour l'application bienfaisante de ces principes, et déjà dans le ciel serein, qui se levait sur l'Espagne, apparaissait, comme un point noir, la réclamation de l'ambassadeur hollandais.

 

 

 



[1] Macaulay, Histoire de Guillaume III.

[2] Racine, Lettres à son fils, 1698.

[3] Dangeau, Journal, 9 février, 11 mars 1698.

[4] Mercure d'avril 1698.

[5] Mémoires de Villars, première partie.

[6] Racine, Lettres à son fils, 31 septembre 1698.

[7] Mémoires de Torcy. Sirtema de Grovestins : Histoire des rivalités des puissances maritimes et de la France, quatrième partie : Guillaume III et Louis XIV. Lettre de Guillaume à Heinsius, février 1698.

[8] Voir ces actes dans le manifeste de l'empereur à propos de l'avènement de Philippe V, dans Dumont, Corps diplomatique, tome VIII.

[9] Voir tome II : à l'article de la renonciation, Philippe IV dit : Ceci est une fadaise (patarata) ; si les fils me manquent, ma fille hérite de droit.

[10] Voir tome III, chapitre XVII : les négociateurs espagnols déclarent qu'ils se soucient de cette renonciation comme d'un gant.

[11] Tome III, chapitre XVII.

[12] Tome III, chapitre XVII : Observations sur le sens de la paix d'Aix-la-Chapelle.

[13] Tome III, chapitre XVII. Louis XIV, appréciant ce traité, dit : Ce fut une merveilleuse confirmation des droits de la reine, et un aveu fort exprès de la nullité des renonciations ; acte d'autant plus important qu'il était fait par la partie même qui avait intérêt à les soutenir.

[14] Sirtema de Grovestins, tome VII, page 54 : Il est incontestable que de tous les prétendants à la succession de Charles II, les droits du Dauphin, du chef de feu la reine de Franco, sa mère, étaient les mieux établis. Mais l'Europe ne pouvait tolérer de voir passer la couronne d'Espagne sur la tète de celui qui porterait un jour celle de France. La réunion de ces deux couronnes eût été la ruine de l'indépendance du continent.

[15] Mémoires de Torcy, au commencement : D'Harcourt demande de l'argent au roi de France, parce que l'argent bien répandu serait un moyen de favoriser le parti de la France.

[16] Mémoires de Torcy, au commencement.

[17] Lettre de Stanhope du 14 mars 1698, citée par Sirtema de Grovestins.

[18] Mémoires de Torcy.

[19] Lettre de Portland à Guillaume, du 15 mars 1698, citée par Sirtema de Grovestins.

[20] Il faut lire cette page de vénération béate dans ce bon cardinal de Beausset : Histoire de Fénelon, tome IV, page 6.

[21] Mémoires de Torcy. Dangeau, Journal, 18 mai. Lettre de Guillaume à Heinsius, 23 mai 1698 : Je n'ai pas caché au comte de Tallard que cette offre était de nature à nous alarmer... Tout ceci demande de sérieuses réflexions... car cela me parait fort suspect.

[22] Lettres de Louis XIV à Tallard, 4 et 11 juillet 1698.

[23] Burnet, Histoire de sa vie, fin de 1697. Lettres de Guillaume à Heinsius, 21 janvier, 25 fév. 1698.

[24] Voir dans Sirtema de Grovestins, tome VII, les lettres de Guillaume et de Heinsius où ces perplexités sont exposées.

[25] Lettre de Tallard à Louis XIV, mai 1698.

[26] Lettres de Guillaume, des 23 et 25 avril 1698.

[27] Dépêche de Tallard à Louis XIV, 14 août 1698, dans Sirtema de Grovestins.

[28] San-Stephano, Porto-Ercole, Orbitello, Telamone, Porto-Longone, Piombino.

[29] Lettres de Louis XIV à Tallard, 24 mai et 17 août 1698 : Il va jusqu'à dire qu'il consentirait sans peine à en faire un royaume à part, à y établir un prince français avec une autorité indépendante.

[30] Voir dans Sirtema de Grovestins, tome VII, le rapport du chancelier de l'échiquier Montagu à Guillaume III, pour lui rendre compte de la délibération des ministres anglais, 8 septembre 1698.

[31] Guillaume à Heinsius : Je sais que la reine a été fort animée contre la maison impériale du vivant du prince électoral ; mais depuis le décès de ce prince, cette animosité a cessé. 10 décembre 1700.

[32] Dangeau, Journal, 16 décembre 1698.

[33] Mémoires de Torcy.

[34] Dangeau, Journal, 8 février 1699.

[35] Voir cette dépêche dans Sirtema de Grovestins, tome VII.

Louis XIV est ici préoccupé d'arrondir le territoire français ; il aime mieux les provinces contiguës à son royaume que celles qui en sont éloignées ; à ce titre il préfère la Lorraine au Milanais. Nous trouvons dans la même dépêche quelques autres propositions qui procèdent d'un sentiment semblable. Si l'on craint que les acquisitions éparses qu'il réclame n'étendent sa puissance trop au loin, il est prêt à rassurer l'Europe par des échanges : ainsi, il céderait volontiers les Deux-Siciles et même Final au duc de Savoie pour avoir la Savoie, le comté de Nice et le Piémont qui touchent à la France. En fait d'acquisitions en dehors des frontières naturelles, c'était assurément le meilleur système.

[36] C'est le mot textuel de Louis XIV.

[37] Mémoires de Torcy, au commencement.

[38] La résolution extrême est annoncée dans plusieurs lettres à Heinsius. Le discours écrit en français, incorrect et de la main de Guillaume, existe encore.

[39] Guillaume à Heinsius. 31 mars 1699.

[40] Dépêche de Tallard à Louis XIV, 28 février 1699.

[41] Lettres de Guillaume à Portland. Dangeau, oct. 1699.

[42] Mémoires de Torcy.

[43] Lettre de Guillaume à Heinsius, où il rapporte une conversation de Louis XIV avec l'ambassadeur Manchester, nov. 1699.

[44] Voir le texte du traité, dans Dumont, Corps diplomatique, tome VIII.

[45] Saint-Simon, tome II, chapitre VIII, page 80.

[46] Dangeau, Journal, mai 1700.

[47] Lettre de Manchester à Jersey, mai 1700.

[48] Mémoires de Villars, Ire partie.

[49] Conversation de Zinzendorf avec Torcy, dans une lettre de Manchester à Jersey : Lettre d'Heinsius à Guillaume, 8 juin 1700.

[50] Correspondances anglaises cités par Sirtema de Grovestins. — Dangeau, Journal, 25 août 1700.

[51] Ce mobile des nobles d'Espagne est nettement dénoncé dam une lettre du marquis d'Harcourt à Louis XIV (juillet 1699), que Torcy rapporte dans ses Mémoires. C'était évidemment aussi pour ménager ces calculs que, dans un article séparé du second traité de partage, on avait inséré cette promesse : Les gouvernements des provinces qui composent le partage de M. le Dauphin ne sortiront pas des mains entre lesquelles ils sont maintenant, et, en cas de changement, ils seront donnés à des Espagnols naturels.

[52] Mémoires de Torcy.

[53] Mémoires de Villars, Ire partie.

[54] Voir la correspondance de l'Anglais Manchester, et celle du Hollandais Schoonenberg, à la date de juin et juillet 1700. Le mémoire du marquis del Fresno est joint à une lettre de Schoonenberg, du 29 juillet 1700.

[55] Voir ce mémoire dans Sirtema de Grovestins, tome VII.

[56] Une lettre du Hollandais Schoonenberg contient la traduction d'une consulte adressée à Charles Il pour le presser de faire un testament : La maladie de Votre Majesté, tout en nous perçant le cœur, nous impose l'obligation de lui représenter l'abîme de confusion où cette monarchie se trouverait plongée, si Elle venait à mourir sans avoir pris, touchant la succession, des mesures efficaces pour préserver ses sujets des troubles et des dangers qui pourraient en résulter.

Le premier devoir duquel Dieu fait rendre compte aux rois, c'est le soin qu'ils ont porté au salut de leurs peuples. Les soupirs et les larmes par lesquels vos sujets expriment leur douleur sur les places publiques, méritent bien que Votre Majesté s'occupe du soin d'assurer leur repos.

[57] Saint-Simon, Mémoires, tome II, chapitre X, dernières lignes, dit expressément : Le secret de la consultation et de la réponse d'Innocent XII fut si bien enseveli qu'il n'a été su que depuis que Philippe V a été en Espagne.

[58] Torcy, Mémoires.

[59] Lettre de Schoonenberg, 21 octobre.

[60] Torcy, Mémoires.

[61] Saint-Simon, Mémoires, tome II, chapitre XI, premier alinéa.

[62] Lettre de Schoonenberg, 21 octobre 1700 : Le roi (Charles II) n'y a consenti qu'avec une extrême répugnance ; sa mélancolie profonde, son humeur colérique, son air d'indignation et la hauteur repoussante avec laquelle il traite, depuis l'amélioration de sa santé, tous ceux qui l'ont poussé à cette démarche, le prouvent suffisamment. De là aussi, bien des gens s'imaginent que si la convalescence de Sa Majesté continue à faire des progrès, ce testament n'aura qu'une très-courte existence comme étant trop préjudiciable aux intérêts de la maison d'Autriche.

[63] Lettres de Heinsius à Guillaume, du 29 octobre et du 9 novembre 1700, rapportées par Sirtema de Grovestins.

[64] Dumont, Corps diplomatique, tome VIII : texte du testament.

[65] Journal de Dangeau.

[66] Journal de Dangeau, novembre 1700.

[67] Mémoires de Torcy.

[68] Lettre du 25 novembre 1700 au cardinal de Noailles : Si j'avais eu voix au chapitre, il serait allé en poste. Il s'agit, il est vrai, du départ de Philippe V.

[69] Mémoires de Torcy. — Mémoires de Saint-Simon, tome II, chapitres XI et XIX. Lettres de Maintenon à la comtesse de Saint-Géran.

[70] Lettres de Maintenon à Saint-Géran.

[71] Dangeau, Journal, 13 novembre.

[72] Voir Marius Topin, l'Europe et les Bourbons sous Louis XIV, et Ernest Moret, Quinze Ans du règne de Louis XIV. Ces deux auteurs parlent de ces lettres comme en devant le connaissance à M. Mignet, qui les a entre les mains.

[73] Maintenon au duc de Noailles, 11 décembre 1700.

[74] On comprend que ces détails sont empruntés à Saint-Simon. Il n'y a que lui pour attacher tant de valeur à ces formes de l'étiquette.

[75] Maintenon au cardinal de Noailles, 17 novembre 1700.

[76] Voir tous ces faits, jour par jour, dans le Journal de Dangeau.

[77] Œuvres de Louis XIV, tome VI.