HISTOIRE DU RÈGNE DE LOUIS XIV

PREMIÈRE PARTIE. — LA FRANCE POLITIQUE, RELIGIEUSE, LITTÉRAIRE SOUS MAZARIN (suite et fin)

 

CHAPITRE XII. — De la littérature pendant les Frondes.

 

 

III. — Opposition aux Précieux : Scarron, le Roman conique. - Mademoiselle au Luxembourg ; les Portraits : Segrais. - Ligue contre les Précieux : les Précieuses ridicules, le Dictionnaire des Précieuses. - Le bon goût se dégage du fatras : Pellisson. - Importance de Pascal. - Apparition de Bossuet, de la Fontaine, de Sévigné.

 

Comme toutes les importances, la domination des précieuses et des romans ne manquait pas de contradicteurs. Scarron peut être placé à la tête, comme le plus actif et le plus redoutable par le droit de tout dire à la façon du fou du roi, et par le talent d'attraper assez à propos l'idée ou l'expression plaisante. C'est lui qui le premier a appelé les Précieuses les jansénistes de l'amour[1], définition que Saint-Évremond commente avec une crudité que nous ne reproduirons pas. Il écrivait à Sarrazin contre les pousseurs de beaux sentiments : Mon chien de destin m'emmène dans un mois aux Indes Occidentales, ou plutôt j'y suis poussé par une sorte de gens fâcheux qui se sont depuis peu élevés dans Paris, et qui se font appeler pousseurs de beaux sentiments. On ne demande plus parmi eux si on est honnête homme, on demande si on pousse les beaux sentiments[2]. Il se plaignait qu'une grande princesse, en les appuyant de son esprit et de sa qualité, empêchât un parti de se former contre eux. Il donnait au moins le signal de la guerre comme dans ces vers de l'Héritier ridicule :

Il vous nomme son âme,

Son ange, son soleil, son inclination,

Et cent autres beaux mots d'édification...

Que dites-vous de moi, d'oser sans parasol

Visiter un soleil ? C'est un acte de fol.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Ah ! petite civette ! ah ! chatte ! ah ! petit chien !

Petit chien ? Ce mot-là pour femme est ridicule.

Ah ! pardon. Je voulais vous nommer canicule...

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

De vos regards doublés les forces agissantes

Font sur mon pauvre cœur impressions puissantes.

Mitigez-les, Madame, ou s'en faudra bien peu,

Si vous continuez, que je ne crie au feu.

Me voilà tantôt cuit, quoique aussi dur que roche.

En donnant seulement encore un tour de broche.

Malheureusement il ne sait pas s'en tenir à ces parodies permises, et, comme il oppose trop souvent a la pruderie de ses adversaires l'obscénité que nous lui avons reprochée, il redevient illisible.

Il attaqua la vogue des romans par son Roman comique. Le titre seul indiquait une parodie des romans héroïques. Le choix de son sujet, les allusions aux sujets des autres, l'explication de son plan et de sa manière d'écrire, prouvent largement son intention. Les plus fanfarons des écrivains du temps s'excusaient de leurs fautes de français (La Calprenède) et de leurs négligences de style (Scudéry). Scarron ne veut pas même s'excuser des fautes d'impression dont son livre est rempli : Lecteur bénévole ou malévole, dit-il, si mon livre te plait assez pour te faire souhaiter de le voir plus correct, achètes-en assez pour le faire imprimer une seconde fois, et je te promets que tu le verras revu, augmenté et corrigé. Les grands romans pèchent par le plan ou plutôt par le défaut de plan ; les diverses parties en sont très-mal liées, les événements ou les récits d'histoires y surgissent sans raison, les idées les plus étrangères les unes aux autres ne s'y rapprochent que par des transitions forcées. Scarron n'est pas plus méthodique, et il s'en vante : Si le lecteur, par ce qu'il a vu, a de la peine à se douter de ce qu'il verra, peut-être que j'en suis logé là aussi bien que lui, qu'un chapitre attire l'autre, et que je fais dans mon livre comme ceux qui mettent la bride sur le cou de leurs chevaux et les laissent aller sur leur bonne foi[3]. Les autres ne mettent en scène que des héros et des princes ; lui, il ne fait paraître que des comédiens ambulants et ceux qui les fréquentent, mais agités des mêmes sentiments que les héros : L'amour qui fait tout entreprendre aux jeunes et tout oublier aux vieux, qui a été cause de la guerre de Troie, et de tant d'autres dont je ne veux pas prendre la peine de me ressouvenir, voulut faire voir alors, dans la ville du Mans, qu'il n'est pas moins redoutable dans une méchante hôtellerie qu'en quelque autre lieu que ce soit[4]. Dans les histoires qui remplissent les grands romans, longues, interminables, quelquefois de 400 pages d'étendue, le narrateur rapporte toujours scrupuleusement les moindres conversations de ses héros, et jusqu'au contenu littéral de leurs lettres. Scarron, dont les histoires sont ordinairement courtes, parfois vives et spirituelles, affecte de répéter qu'il n'a pas une si belle mémoire, et convient çà et là qu'il ne sait pas ce que les amoureux se sont dit : Ils se dirent encore cent belles choses que je ne vous dirai pas parce que je ne les sais pas, et que je n'ai garde de vous en composer d'autres, de peur de faire du tort à dom Carlos et à la dame Invisible, qui avaient bien plus d'esprit que je n'en ai, comme je l'ai su depuis d'un honnête Napolitain qui les a connus l'un et l'autre[5].

Aussi bien, il marelle droit à l'ennemi ; il nomme ceux à qui il en vent, et met en relief leurs ridicules. Un de ses personnages propose de faire un roman en cinq parties, de dix volumes chacune, qui effacera les Cassandre, Cléopâtre, Polexandre et Cyrus, quoique ce dernier ait le surnom de Grand, aussi bien que le fils de Pepin[6]. Un autre offre de lire une pièce de sa façon, les faits et gestes de Charlemagne, en 24 journées. Comme les longs récits, il dédaigne les descriptions inutiles. Il ne s'engage pas à représenter la magnificence des palais, le luxe des appartements, la matière, or, argent ou vermeil doré, dont sont faits les flambeaux. La salle était la plus magnifique du monde, et, si vous voulez, aussi bien meublée que le vaisseau de Zelmandre dans le Polexandre, le palais d'Ibrahim dans l'Illustre Bassa, et la chambre où le roi d'Assyrie reçut Mandane, dans le Cyrus, qui est sans doute, aussi bien que les autres que j'ai nommés, le livre le mieux meublé du monde.

La parodie étant son objet, au lieu d'actions héroïques et raffinées, il ne présente que des aventures triviales, au lieu du grand ton, des procédés moins que bourgeois, au lieu du langage précieux, des gros mots, et, comme complément inséparable de sa manière, des saletés. De là le personnage du petit Ragotin, avocat de profession, investi d'une petite charge dans une petite juridiction, qui, depuis la mort de sa petite femme, avait menacé les femmes de la ville de se remarier, et le clergé de la province de se faire prêtre. Ce Ragotin, devenu amoureux d'une comédienne, a bientôt à subir tous les mauvais tours de ses rivaux, tous les malheurs de la maladresse, toutes les conséquences de la gloutonnerie ; il tombe à califourchon sur une carabine par-dessus la selle de son cheval, se laisse emprisonner dans un coffre, se prend le pied dans un pot de chambre, trouve son habit rétréci par la malice d'un compagnon ; il est laissé nu sur un grand chemin, fouaillé par un cocher, mordu par un chien, piqué par des guêpes. A côté, c'est une comédienne, fatiguée des avances peu discrètes des godelureaux de la ville, qui s'en débarrasse par des coups de pied dans l'os des jambes, des soufflets ou des coups de dent. Il y a des comédiennes enlevées, comme les princesses, et délivrées à point par ceux qu'elles aiment. Il y a, comme épisodes, des scènes d'auberge ou des querelles de ménage, et, chemin faisant, des attaques assez vives aux officiers subalternes de la justice, à la tyrannie des hobereaux de campagne, à la curiosité et à la vanité des provinciaux. Tout cela est loin d'être parfait d'invention et d'élocution ; mais ces chapitres courts, dégagés de détails trot-liants, la gaieté de certains tableaux, un style vif et leste, semé de traits inattendus, attirent, étonnent et retiennent le lecteur par la verve, le contraste des idées, le gros rire et même le franc rire ; et cet agrément n'était pas la concurrence la moins dangereuse aux romans érudits, larmoyants, monotones, sans repos pour l'attention, et sans fin[7].

Le Roman comique n'est pas terminé. La fin qu'on en trouve dans quelques éditions n'est pas de Scarron. Les aventures qu'il met en train manquent donc de sens précis, puisqu'elles n'ont pas de conclusion. A quoi cette interruption tient-elle ? Ce n'est pas le temps qui a fait défaut à l'auteur ; car le second et dernier volume, dédié au Coadjuteur, c'est-à-dire à Paul de Gondi, sans mention de l'Éminence, accuse au plus tard la date de 1652. Serait-ce inconstance de volonté ou un compromis tacite avec les Scudéry ? Il avait attaqué le Cyrus, mais le Cyrus le loua, sous le nom d'Ésope, dans le neuvième volume (1653), sans doute comme un ennemi à gagner. Aussi nulle part il ne touche à Clélie, qui ne commença à paraître qu'eu 1654. Il prodigue au contraire l'admiration à mademoiselle de Scudéry qu'il appelle :

Inimitable en prose, inimitable en vers,

et en retour Clélie lui renvoie, par la bouche d'un devin, l'assurance que l'esprit a réparé en lui la perte de la beauté, et qu'il est unique en son espèce[8]. Ces accommodements ne nous surprendraient guère de la part d'un esprit dont la dignité et la bonne tenue ne sont pas le trait saillant. Scarron s'inquiétait peu de ses propres contradictions. Il louait d'un côté la reine du Tendre, et de l'autre il lançait aux Précieuses des qualifications qui leur sont restées, au même moment qu'il sortait du Luxembourg d'amères plaisanteries contre cette cabale[9].

La grande Mademoiselle a sa place dans la littérature comme dans la guerre civile ; son entourage personnel l'entretenait dans ce goût aussi bien que la mode générale ; elle avait pour secrétaire Segrais, et pour lecteur Huet, l'un et l'autre de Normandie, et de Caen, comme Malherbe. Segrais, connu d'abord dans sa province par une tragédie et un roman, était entré, en 1648, au service de la princesse. Il figura dans le monde de l'hôtel de Rambouillet, où il se fit bien venir par des dédicaces[10]. Il donnait dans la chanson, dans l'églogue, genres à la mode et favorables à la réputation d'auteur, et aussi dans le pomme pastoral, en concurrence avec les poèmes épiques. Son Athis, publié en 1653, à côté du Moïse et du Saint Louis, a le défaut de vouloir imiter Astrée, et chanter la basse Normandie comme d'Urfé a charité le Forez. Il renouvelle la distinction entre les nymphes ou races nobles, et les bergers ou personnes privées ou simples gentilshommes. Par le moyen vieux et usé de la prédiction épique, et sous la forme d'un songe, le flatteur se donne le plaisir de louer les héroïnes du bel esprit à propos d'une aventure des temps primitifs ; et dans les malheurs ou les métamorphoses de ses nymphes et de ses bergers. le Normand retrouve l'origine de plusieurs lieux des bords de l'Orne, tels que les Ifs, Ardenne, Athis, Marmion, et même Caen, ce dernier par le cri du canard (can-can)[11]. Nous nous hâtons de dire que ses églogues ont plus de valeur. Ses bergers, larmoyants ou jaloux, sont à peu près des bergers, moins précieux que ceux de Racan, moins savants que ceux de Gombauld. Des sentiments heureux, parce qu'ils sont conformes à la nature, des images délicates bien empruntées aux idées champêtres, d'habiles imitations de Virgile, et un vers ferme, malgré certaines lenteurs, toutes ces qualités expliquent la vogue dont Segrais a joui, et que Boileau lui-même ne lui a pas contestée.

Segrais chantait Mademoiselle,

Merveille de la France, ornement de la cour,

Vrai sang du grand Henri. noble et fière amazone,

A qui du monde entier devrait s'offrir le trône.

et il lui dédiait Athis, en la priant de ne pas mépriser les ruisseaux et les bois. Huet, qui longtemps porta l'épée et pratiqua le monde galant, avant de faire pressentir en lui l'homme d'Église, avait l'esprit semblable au visage, c'est-à-dire plus de beauté que d'agrément. Il excellait dans les mathématiques, était universel dans les sciences, savait tout ce qu'un homme peut savoir, et sa mémoire incomparable n'oubliait rien de ce qui méritait d'être retenu[12]. Il accompagnait Mademoiselle dans ses voyages, lui faisait la lecture pendant sa toilette, et il atteste qu'elle aimait particulièrement les romans (romanenses fabulas). Entre ces deux maîtres, les occasions, les tentations ne pouvaient manquer à la princesse de manier les lettres et de se faire auteur. Tout à coup elle devint chef d'école. Dans l'automne de 1657, la princesse de Tarente et mademoiselle de la Trémouille vinrent la visiter à sa campagne de Champigny ; elles lui montrèrent leurs portraits, qu'elles avaient faits elles-mêmes, sans pinceau, sans couleurs, par la parole et par la plume, sur le modèle d'écrits semblables qu'elles avaient vus en Hollande. Je trouvai, dit Mademoiselle, cette manie d'écrire fort galante, et aussitôt fis le mien[13]. Segrais ajoute : en un quart d'heure, ce qui est peu vraisemblable, à en juger par la longueur de la pièce, dont le travail matériel seul a dit exiger plus de temps. Cet exemple immédiatement suscita autour d'elle la mode de parler de soi ou de ses amis, de représenter leurs avantages corporels, de mettre en saillie les principaux traits de leur esprit et de leur caractère. La duchesse de la Trémouille et le prince de Tarente lui envoyèrent, au bout de quelques jours, leurs portraits, qu'ils venaient de faire à Thouars. Pendant l'hiver et toute l'année 1658, on fit des portraits à Champigny, à Paris, à Saint-Fargeau ; ce devint comme une obligation des habitués du Luxembourg. Mademoiselle y invitait tout le monde, et entretenait l'impulsion par sou activité. Elle peignit son écuyer, son secrétaire des commandements, le chevalier de Béthune, mademoiselle de Vandy, la comtesse de Brienne, madame de Montglat, le frère du roi, le roi lui-même, Monsieur le Prince. Madame de Motteville fit le portrait d'Anne d'Autriche, par où elle prouva, dit l'éditeur, que, si elle était nièce de Bertaut, l'évêque de Séez, elle écrivait aussi bien en prose que son oncle avait fait en vers. Madame de La Fayette fit celui de madame de Sévigné. Des religieuses de haute naissance furent engagées à suivre le mouvement, et y cédèrent soit eu écrivant elles-mêmes[14], soit en se laissant peindre par leurs amis[15]. De toutes petites filles furent admises à parler de leur teint, de leur caractère, ou de leurs progrès, en un langage enfantin, et de petites phrases qui ne sont pas sans grâces[16]. Scarron s'excusa sur la difficulté d'égaler le talent de Mademoiselle, et sur son ignorance des choses et des personnes[17] ; on trouve néanmoins un portrait dans ses œuvres. On ne peut guère citer que deux résistances ou oppositions à cet engouement, Gaston d'Orléans et mademoiselle de Scudéry. Lorsque Gaston eut vu le portrait de sa fille composé par elle-même, il dit qu'il le trouvait bien fait, mais qu'il conseillait de ne le montrer à personne, de crainte que cette mode ne vint, que l'on n'en fit de médisants, et qu'on ne dit : C'est Mademoiselle qui en a donné l'invention. — J'avoue, ajoute Mademoiselle[18], que je crus ce conseil un peu intéressé, et qu'il craignait qu'on ne fit le sien. Mademoiselle de Scudéry glissa aussi son objection ; elle blâma les portraits partagés, c'est-à-dire doubles, où d'un côté on dit le bien, et de l'autre le mal. Clélie félicite la princesse Lysimène de s'être opposée à un divertissement qui devenait un moyen de déchirer la réputation d'autrui, et rappelle aux princes qu'ils sont engagés à ne pas permettre qu'on ternisse la gloire de ceux qui sont au-dessous de leur condition[19].

Les portraits sont souvent un mélange de bien et de mal. On s'y plaît à décrire la beauté physique, mais on y insinue la critique des imperfections ; on y loue les qualités de l'esprit, mais on n'oublie pas tous les travers. Les yeux, le teint, le nez, les bras, la gorge, ce qui est au moins bizarre quand il s'agit de religieuses[20], la couleur des cheveux[21], tous ces détails sont permis et même provoqués par les exemples réciproques. L'amour des romans, la galanterie, la passion de lire ou de faire des vers, la fierté maladroite ou bien placée des originaux, y sont reproduites tailla la fois avec louange et malice. Mademoiselle dit d'elle-malle : J'ai les veux noirs, peu ouverts, ni grands ni petits, ni beaux ni laids, mais assez doux ; les dents pas des mieux arrangées, mais assez blanches et nettes ; j'ai l'air haut sans l'avoir glorieux ; j'ai une fort grande négligence pour mon habillement, mais cela ne va po jusqu'à la malpropreté.... J'ai beaucoup de courage et d'ambition.... Je ne suis pas dévote, je voudrais bis l'être, et déjà je me sens dans une profonde indifférence pour le monde... Tout en louant la valeur du chevalier de Béthune, elle le raille de ses amours. Elle veut du bien à mademoiselle de Vandy, un des hôtes de Saint-Fargeau ; elle atténue, par une habitude de complaisance, le goût de cette personne pour les romans ; néanmoins elle persifle sa fierté, son dédain du mariage, et dit assez clairement que, si la prude avait trouvé un galant, elle ne serait pas prude. Mais, en somme, l'éloge l'emportait partout sur la critique ; chacun pouvait trouver son compte à figurer dans une exposition publique. En 1659, Segrais satisfit ce désir et la curiosité extérieure. Il revit les portraits, en ajouta quelques-uns, et les publia, de concert avec Huet, à soixante exemplaires seulement. On demanda depuis une édition plus abondante, et on l'obtint. Dans cette même année 1659, furent imprimés deux autres petits ouvrages de Mademoiselle : la Princesse de Paphlagonie et la Relation de l'île imaginaire.

Ces publications étaient de véritables satires ; les Portraits surtout annonçaient un mouvement décisif de réaction contre la domination des Précieux. L'Île imaginaire, d'après Huet, est destinée à contrefaire un chevalier honoraire du parlement de Dombes. La Princesse de Paphlagonie, d'après Segrais, qui donne la clef de tous les personnages[22], était la dérision de mademoiselle de Vandy ; Parthénie, qui occupe une grande place dans le livre, est la caricature de madame de Sablé, de ses élixirs, de sa peur de la mort, de la grâce qui lui manque pour devenir dévote[23]. Les Portraits s'attaquent sans trop de façon aux romans. Madame de Pontac avoue qu'elle a beaucoup aimé les romans, qu'elle les aime encore, mais que. par un sacrifice volontaire, elle s'en est tout à fait retirée à l'âge de vingt ans. Mademoiselle déclare que les romans portent à aimer la galanterie, mais que les lumières que ces livres donnent ne sont pas d'un bon tour, si tout cela n'est corrigé par quelques années de Paris et de la cour. Ailleurs, elle raille Cyrus qui s'amuse à la belle pendant que ses troupes se lassent sous les armes, et qui se laisse enlever par un parti ennemi en écoutant les histoires d'amour de ses prisonniers[24]. Mais l'attaque capitale est le portrait des Précieuses inséré vers la fin du recueil. Tous leurs défauts y sont tracés profondément, et peut-être poussés à l'hyperbole. Les Précieuses ne sont pas belles ; tout contribue à les gâter, leur taille, leur air contraint et décontenancé, leurs tètes penchées sur l'épaule, leur mine méprisante, l'affectation déplaisante qu'on remarque en tous leurs procédés. Une précieuse seule dans une compagnie s'y ennuie beaucoup, ne répond pas quand on lui parle, ou ne répond que de travers pour faire voir que son esprit n'est pas à ce qu'elle dit.....  Elles ont quasi une langue particulière ; à moins que de les pratiquer, on ne les entend pas. Les maris sont rares pour ces demoiselles, et une noce entre elles est une de ces choses qui n'arrivent qu'une fois en un siècle, la plus grande partie d'entre elles n'étant pas remplies d'autant de trésors dans leurs coffres qu'elles en croient avoir dans l'esprit. Elles sont en matière d'amitié comme elles font profession d'are sur l'amour ; car elles n'en ont pour personne. Une pareille secte n'est pas à craindre ; car elle est désapprouvée de tout le monde, et le sujet ordinaire de la raillerie de ceux qui ont l'autorité de railler impunément.

Cette guerre aux romans et aux Précieuses n'ôte pourtant pas au cercle du Luxembourg un trait de ressemblance avec le Samedi qui devient commun à tous les lettrés. Clélie finit par l'éloge de Mazarin Mademoiselle et ses amis ont également leur conversion politique au moment où cessent les embarras du ministre. L'héroïne d'Orléans et de la Bastille avait dans son passé plus d'un péché de Fronde dont son exil avait été la punition. Elle oublie, assez facilement l'un et l'autre, et sacrifie sans peine ses anciennes alliances au présent. Deux frondeuses surtout, la comtesse de Maure et madame de Sablé, figurent dans la Princesse de Paphlagonie pour la participation qu'elles ont prise aux troubles civils. Quelques phrases asses heureusement tournées les représentent mêlées aux affaires de tous les états du monde, aux intrigues da particuliers, galanterie ou autre chose, tantôt apaisant les brouilleries, tantôt les faisant naitre selon les avantages que leurs amis en pouvaient tirer. Segrais, l'exemple de sa princesse, consacre sa septième églogue à vanter la paix des Pyrénées, pour la plus grande gloire de Mazarin. Les campagnes ne vivaient que dans l'inquiétude, les étrangers menaçaient les parcs ; Louis, le plus intrépide des bergers, les rassemblait pour les mener à l'ennemi. Anne, inquiète de l'ardeur belliqueuse de son fils, recourt à la sagesse de Jules,

A ce sage pasteur

Dont les rares secrets aux neveux incroyables

Jamais, quoi qu'on ait dit, n'ont fait de misérables,

Qui cent fois au contraire, en nos troubles nouveaux

Consola les bergers et sauva les troupeaux.

Jules, par sa piété, par sa vigilance, ramène le repos, et les bergers, délivrés des voleurs, élèvent jusqu'aux cieux l'auteur de leur sécurité :

Le plus grand des humains est l'admirable Jule...

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Ce génie étonnant, ce célèbre étranger

Ne peut être un mortel, ne peut être un berger.

Acante, c'est un dieu qui, pour chasser la guerre,

Sous l'humaine apparence habite cette terre.

Le Samedi prédisait la papauté à Mazarin. Le Luxembourg se risque jusqu'à lui conférer la déité.

Tout annonçait la chute de la préciosité. Depuis quelque temps, il se formait contre ce travers un parti sérieux, d'autant plus redoutable que plusieurs de ses chefs justifiaient, par un mérite réel, leur opposition. Patru, d'Ablancourt, Maucroix, Gilles Boileau, précurseur de son frère Nicolas, et même un nouveau venu, la Fontaine, protestaient contre Conrart, Ménage et Chapelain, tyrans des belles-lettres. On publiait leurs défauts par des épigrammes, des lettres intimes[25] ; ou on les poussait à fournir des armes contre eux-mêmes par un empressement dérisoire à réclamer leurs œuvres. Ce fut bien plus fort quand on en appela au public pour livrer ces importants au rire du bon sens général. On croit que l'abbé de Pure avait composé contre les précieuses une comédie en italien, qu'il fit jouer par les comédiens de cette langue. Mais, ce que tout le monde connaît, Molière lança sur la scène (novembre 1639) les Précieuses ridicules. Jusque-là peu illustre, connu seulement par des pièces à intrigues, comme l'Étourdi et le Dépit amoureux, il révéla, par cette critique, son génie contemplateur, et fonda son importance d'inventeur sans modèle. Courage, Molière ! lui criait un spectateur ; voilà la bonne comédie. Selon une tradition assez bien appuyée, Ménage, au sortir de la représentation, aurait dit à Chapelain : Nous approuvions, vous et moi, toutes les sottises qui viennent d'être critiquées si finement ; il nous faudra brûler ce que nous avons adoré, et adorer ce que nous avons brûlé. Mais en dehors de cet aveu, les Précieuses ridicules eurent par elles-mêmes une vogue de plusieurs mois; elles allèrent jusqu'aux Pyrénées amuser la cour occupée du mariage de Louis XIV, et en remportèrent une approbation complète. Au même moment (1659), Somaise, bien qu'adversaire de Molière, publiait son petit dictionnaire des Précieuses ou la Clef des ruelles, en attendant le grand, qui ne parut qu'en 1661. A son tour il livrait au théâtre les Véritables Précieuses (1660), et, par l'opposition de ce nom de véritables à celui de ridicules, par une accumulation plus abondante des excès de langage de la coterie, il ne faisait que frapper plus lourdement sur le mal dénoncé. Il y joignit son Procès des précieuses, en vers burlesques, requête d'un provincial à l'Académie, pour obtenir que le corps des précieuses soit condamné à changer de langage, à peine de ne plus jamais lire Artamène.

Un symptôme bien meilleur encore que la dérision, c'était un progrès réel qui s'opérait insensiblement dans les esprits, et marchait sans s'arrêter vers le triomphe du goût et de la raison. Au sein même des précieuses, Pellisson avait donné un exemple dont les juges les plus compétents lui ont très-équitablement tenu compte. Il savait se dégager parfois de l'afféterie qu'il respirait dans sa société, des petits vers, des billets galants qui lui donnaient des impatiences amusantes, et il trouvait un style qu'on a heureusement appelé le langage de tout le monde. Deux de ses ouvrages en sont la preuve : l'Histoire de l'Académie (1652), et le Discours sur les Œuvres de Sarrazin (1658). Il déclare qu'il préfère aux descriptions pompeuses, et aux comparaisons élevées, ce style égal et naturel qui fait dire les petites choses et les médiocres sans bassesse, sans contrainte et sans dureté. Il loue Sarrazin d'avoir, dans l'Histoire du siège de Dunkerque, retenu son style dans une juste médiocrité, et d'avoir fait paraître la nature à son aise. Pellisson s'impose à lui-même ces principes. Dans ces deux ouvrages, comme dans ceux qu'il composera plus tard pour Fouquet et pour Louis XIV, il adopte un genre qui n'a pas la solennité de Balzac, mais qui évite également le galimatias des autres, une langue à laquelle on peut atteindre sans génie, mais avec agrément, et où dominent la simplicité, le naturel et l'urbanité. On a dit de Pellisson qu'il était venu aussi à propos, en 1650, pour assouplir la langue française, que Balzac, vingt-cinq ans plus tôt, pour la régler et la polir[26].

A côté de lui, et dans les rangs des adversaires des précieux, les disciples de Balzac et de Descartes achevaient de faire triompher la prose et l'art de la composition enseignés par ces maîtres. Comme on rapporte à Balzac l'agencement, la cadence des phrases, le choix et l'exactitude des mots, on rapporte à Descartes la méthode pénétrant dans tous les genres, la disposition des idées dans leur ordre et dans leur jour, l'érudition sobre et le style précis ; c'est en ce sens, au moins autant que par les doctrines philosophiques, que beaucoup d'écrivains du grand siècle ont été cartésiens. Les traductions de d'Ablancourt, commencées en collaboration avec Patru en 1638, s'étaient suivies sans interruption de 1644 à 1654[27]. On les a justement appelées les belles infidèles ; infidèles, parce que, sur l'autorité un peu amplifiée d'Horace, l'écrivain ne s'assujettit pas à rendre le mot par le mot, et s'écarte un peu du sens précis pour exprimer sa pensée plus à l'aise, mais belles, parce que la phrase y marche bien ; la coupure, l'agencement plaît à l'oreille ; le mouvement du latin ne gène pas la liberté du français ; la copie se fait une part d'originalité. Dans le même temps, les solitaires de Port-Royal multipliaient leurs traductions, soit pour fournir des lectures à leurs élèves, soit pour mettre à la portée de leurs dames les livres utiles à leur controverse. Leurs adversaires ne leur contestent pas le mérite et le succès en ce genre. Pour la traduction, dit René Rapin[28], il faut leur donner la louange d'avoir bien réussi en toutes celles qu'ils ont entreprises. Il dit encore que, au fond de leur désert, ils s'attachaient à l'étude de la langue, comme à un des moyens les plus propres à établir leur opinion... et la grande réputation qu'ils acquéraient par là ne les encourageait pas peu au travail, quelque rude qu'il fût[29]. Nous avons vu (plus haut, ch. X, 2e tableau) quel rang ils donnaient, dans leurs écoles, à l'enseignement du français, comment, en l'étudiant en lui-même et par lui-même, ils contribuaient à en faire un instrument supérieur de communication entre les esprits. Il leur arriva, en 1656, une bonne fortune qui dépassait leur mérite, lorsqu'ils produisirent Pascal en public. Pascal n'était pas leur élève ; il ne tenait d'eux véritablement que l'esprit du parti, et les citations qu'on lui servait toutes faites, comme il en est convenu chez madame de Sablé. Mais il écrivait pour eux et chez eux, et la gloire littéraire des Provinciales rejaillit sur la communauté. C'est une époque éminente de la langue française ; il y eut dès lors tin monument achevé de prose vive et forte, correcte et hardie, capable de discussion, d'ironie, d'éloquence, et, comme l'avait souhaité Richelieu, propre à traiter tous les sujets, un accord entre les règles et le génie, où le génie vivifiait les règles, où les règles, comme un cadre plus favorable, mettaient le génie dans son vrai jour et dans tout son éclat, un modèle que devrait désormais étudier tout aspirant au talent d'écrivain.

D'autres grands hommes étaient tout prêts, qui s'étaient formés d'eux-mêmes par un habile discernement du bien et du mal de l'époque. Déjà Bossuet s'était emparé de l'attention. S'il avait traversé, dans sa jeunesse, l'hôtel de Rambouillet, il ne s'était pas laissé prendre au brillant de ses défauts ; s'il avait lu Balzac, il avait choisi entre les exemples du maitre ; sa langue était à lui, indépendante et réglée, osant beaucoup sans excéder jamais, rejetant le superflu des paroles sans rien ôter à l'expression complète de la pensée. Nourri de la Bible, des anciens, des Pères de l'Église, ces premiers modernes, dont l'originalité n'est pas encore assez connue, il puisait à ces trois sources les richesses de la religion, de la philosophie, de la morale, de la politique et de l'histoire. On sentait dans sa méthode le souvenir des plus parfaites compositions de l'esprit humain et peut-être des leçons de Descartes ; large et exacte, capable de tout comprendre et de tout expliquer par la puissance de la disposition, elle se faisait reconnaitre, sans s'annoncer d'avance, à la marche naturelle des idées, à la clarté qu'elle portait dans l'esprit de l'auditeur. L'écho de ses sermons était venu de Metz à Paris ; la reine, la cour recherchaient la faveur de l'entendre et pressentaient en lui le docteur souverain de l'Église de France (1656, 1658, 1659).

Dans un ordre d'idées bien différent, on commençait à distinguer La Fontaine. Cet insouciant, peut-être plus égoïste que bonhomme, fourvoyé, par la volonté paternelle, dans le mariage et dans un emploi de maitre des eaux et forêts au duché de Château-Thierry, s'était ennuyé de sa femme et de sa charge ; réfugié à Paris, il cherchait des protecteurs et trouvait Fouquet ; il allait rêvant d'une société à l'autre, écoutant les raisons des divers systèmes littéraires, et se faisant le sien. Son début avait été une imitation de l'Eunuque de Térence (1654) ; mais il aimait Marot, Rabelais, Régnier ; au goût de l'esprit gaulois il joignait celui des Italiens de la renaissance, et de tous ces exemples il composait son originalité, imitant, copiant même, comme il l'a dit plus tard, en attendant qu'il se hasardât à marcher seul. Ses ouvrages n'étaient encore que des épîtres légères, des ballades en l'honneur de Fouquet, des descriptions du château de Vau x, et un poème d'Adonis, d'assez courte haleine (1658). Mais la prose de ses dédicaces ou de ses préfaces n'avait déjà plus rien à gagner[30]. Ses petits vers annonçaient une facilité rare, une grâce flexible à manier le badinage sans sacrifier la langue[31] ; et c'est dans l'Adonis qu'on lit ce vers si souvent cité :

Ni la grâce plus belle encor que la beauté.

Le fablier, le conteur incomparable était trouvé. Heureux si l'instinct licencieux de son esprit, mal caché sous l'apparence de la naïveté, ne l'avait pas entraîné trop souvent à des récits lascifs, à des images immorales plus capables d'atténuer le vice que de faire honneur à la poésie.

On avait déjà le théâtre, la tragédie, par Corneille : Molière venait d'inaugurer le règne de la comédie de caractère. L'éloquence et l'histoire apparaissaient avec Bossuet, la poésie légère avec La Fontaine. Mais là ne se bornaient pas les résultats de la période de transition dont nous achevons l'histoire. Les défauts des Précieuses contenaient en germe bien des formes littéraires, qui n'attendaient que la réaction ou la correction pour paraître avec avantage. De leurs billets doux et galants, de leur fécondité ridicule de correspondance, devait naître le bon genre épistolaire, la véritable gloire des femmes du XVIIe siècle, et la jeune Sévigné, qui avait vécu au milieu des précieuses sans se laisser corrompre le goût par leurs influences, allait enseigner à la société française la perfection du style familier. Le roman même, successivement remanié et ramené à des proportions plus discrètes, aboutira un jour au Télémaque. Les portraits de Mademoiselle, perfectionnés par les observations d'un esprit supérieur, deviendront les Caractères de la Bruyère.

Enfin, le débordement d'écrits de toute sorte qui avait inondé ces cercles galants, et mis en mouvement tant de cervelles et de vanités, avait répandu de toutes parts le goût des lettres, l'admiration du savoir, la considération des écrivains, et préparé la société à bien recevoir, à exalter, à provoquer les productions des grands auteurs. Richelieu et Mazarin, en dépit des obstacles du dedans et du dehors, des retards et des misères attachées aux plus beaux succès, avaient fondé la gloire politique de Louis XIV. Rambouillet, l'Académie, le Samedi, Balzac, Corneille, Descartes, les femmes savantes et les précieux, avaient fait jaillir de leurs essais contradictoires les éléments de la grandeur littéraire et scientifique de la France.

 

 

 



[1] Lettre à Marigny, 1655.

[2] Lettre à Sarrazin, vers 1654.

[3] Ire partie, ch. XII.

[4] Ch. XIX

[5] Tome Ier, ch. IX.

[6] Ch. XXI.

[7] V. le chapitre du soldat devenu hôtelier, IIe partie, ch. VII, la Dérision des Provinciaux, IIe partie, ch. VIII, M. de la Garouffière, et ch. XVII.

[8] Clélie, Ve partie, liv. III, p. 1223, 1258, 1259.

[9] C'est en 1659 qu'il les appelle les jansénistes de l'amour.

[10] Sa première églogue est dédiée au marquis de Montausier, la seconde à mademoiselle de Rambouillet.

[11] Athis et la bergère Ardenne ont donné leurs noms à ces deux localités. Athis et la nymphe Isis sont métamorphosés en arbres, de là les Ifs. Marmion le tyran est métamorphosé en loup, et son royaume en désert aride. Un berger, qui a servi d'instrument à la trahison laquelle Athis a succombé, est changé en canard, et c'est de son cri qu'il va répétant sur les bords de l'Orne (can-can) que vient le nom de la ville de Caen.

[12] Portrait de Huet, par madame D. C. dans le recueil des divers Portraits publiés en 1659.

[13] Mémoires de Mademoiselle. Préface des Portraits, par Segrais.

[14] Madame de Montaterre.

[15] L'abbesse de Caen.

[16] La petite fille de la princesse de Tarente âgée de 5 ans et demi. Elle dit : J'ai le teint bien blanc quand je me suis décrassée. J'aime fort à rire. J'ai l'humeur fort gaie. Je ne suis plus opiniâtre. Je ne suis point glorieuse. Je ne serai jamais coquette...

[17] Scarron, Lettre à Segrais.

[18] Mémoires de Mademoiselle.

[19] Clélie, Ve partie, liv. Ier, p. 284, 297.

[20] Huet, dans le Portrait de l'abbesse de Caen, regrette de ne pouvoir parler de sa gorge : Ne l'ayant jamais vue, je ne puis en parler. Mais si votre sévérité et votre modestie me voulaient permettre de dire le jugement que j'en fais sur les apparences, je jurerais qu'il n'y a rien de plus accompli.

[21] Madame de Montaterre, religieuse, parle d'elle-même en des termes qui prouvent toutes les misères du siècle, puisque les idées les plus mondaines ne sont pas déplacées dans les couvents. Mon teint est blanc et incarnat, sujet à rougir un peu trop. Vous m'avez quelquefois flattée d'avoir la bouche belle, le sourire agréable et marquant gotique chose de tin et de spirituel. Vous juriez que mes dents étaient admirables ; mais peut-être vous moquiez-vous de moi. Je sais bien que vous ne le faisiez pas quand vous me disiez que j'avais le nez petit et retroussé, mais je sais bien aussi qu'il n'est pas désagréable et qu'il ne me défigure pas. J'ai les mains belles, la peau blanche et délicate. et toute ma personne nette et propre. Mes cheveux sont d'un brun cendré ; vous ne me croirez pas quand je vous dirai qu'ifs deviennent gris : j'en attribue la cause à notre coiffure qui produit souvent cet effet, plutôt qu'à l'âge où je suis dont assurément on ne doit rien attendre de tel.

[22] Segraisiana.

[23] Il y a certainement de l'esprit et du talent dans cette plaisanterie sur la reine de Misnie (comtesse de Maure) et Parthénie (madame de Sablé) : La princesse Parthénie avait des frayeurs de la mort au delà de l'Imagination... il n'y avait pas d'heures où elles ne conférassent des moyens de s'empêcher de mourir, et de l'art de se rendre immortelles. La crainte de respire un air trop chaud ou trop froid, l'appréhension que le vent ne fut trop sec ou trop humide, étaient cause qu'elles s'écrivaient d'une chambre à l'autre. On serait trop heureux si on pouvait trouver de ces billets et en faire un recueil. Je suis assuré qu'on y trouverait des préceptes pour le régime de vivre, des précautions jusqu'au temps propre à faire des remèdes, et des remèdes dont Hippocrate et Gallien n'ont jamais entendu parler.

Plus loin Parthènie est retirée chez des vierges pour servir aux Dieux ; mais elle n'était pas dévote : la vertu étant un effet de la grâce, ne l'a pas qui veut.

[24] Portraits divers : passim. Portraits de madame de Pontac, de mademoiselle de Vandy, du chevalier de Béthune.

[25] V. une lettre de Gilles Boileau à madame de la Suze, avril 1656, — citée par Marcou, Histoire de Pellisson.

[26] Marcou, Vie de Pellisson, passim.

[27] Annales de Tacite, 1644 ; Guerres d'Alexandre, par Arrien, 1646 ; Retraite des Dix-Mille, 1648 ; Commentaires de César, 1650 ; Histoires de Tacite, 1651 ; Lucien, 1654.

[28] René Rapin, Mémoires, t. II, liv. IX, p. 197.

[29] René Rapin, Mémoires, t. Ier, liv. III, p. 249.

[30] V. la préface de l'Eunuque, la dédicace de l'Adonis à Fouquet... Votre mérite nous réduit tous à la nécessité d'un choix bien difficile ; il est malaisé de s'en taire et l'on ne saurait en parler assez dignement...

[31] V. l'Épître à Pellisson, où il s'engage à payer annuellement à Fouquet une pension en vers en quatre termes, à la Saint-Jean des madrigaux, en octobre pleine vendange de menus vers, à l'An neuf ballades pour faire rire, à Pâques quelque sonnets pleins de dévotion.