HISTOIRE DU RÈGNE DE LOUIS XIV

PREMIÈRE PARTIE. — LA FRANCE POLITIQUE, RELIGIEUSE, LITTÉRAIRE SOUS MAZARIN (suite et fin)

 

CHAPITRE IX. — La Fronde espagnole.

 

 

I. — Dispersion des restes de la Fronde en France. - Alliance de Condé avec les Espagnols et avec Cromwell. - État des partis en France après le retour de Mazarin. - Campagne de 1654 : siège d'Arras. - Alliance de Mazarin avec Cromwell. - Siège de Valenciennes. - Campagne de 1657. - Prise de Montmédy et de Mardyck.

 

Il n'y a pas de victoire si décisive qu'il ne faille à la suite livrer quelques combats partiels aux derniers restes des vaincus. La Fronde, abattue dans son centre principal, et désormais incapable de constituer toute seule la guerre civile, vivait encore par tronçons aux diverses extrémités du royaume. A Paris même, la maladie de l'opposition n'était pas radicalement guérie, et plus d'un accès de fièvre allait revenir aux convalescents. Toutefois, s'il ne se fût agi que des résistances locales de Provence, de Bourgogne et de Bordeaux, ou des habitudes parlementaires de remontrances, ou des intrigues infatigables du cardinal de Retz, captif à Vincennes, l'œuvre de la pacification complète n'aurait pas été bien longue ni bien laborieuse. Ce qui retarda cette heureuse conclusion, ce fut la trahison ouverte de Condé, son alliance avec l'Espagne, la reprise de la guerre étrangère sous la conduite d'un prince français. Et comme les débris des mécontents intérieurs, ranimés à l'occasion, apportèrent de temps en temps aux ennemis du dehors une assistance calculée, la Fronde se perpétua sous cet effort suprême des belligérants de la guerre de Trente Ans. La lutte de Condé contre la France peut donc, sans exagération, s'appeler la Fronde espagnole ; la Fronde, comme l'Espagne, ne fut définitivement abattue que par la paix des Pyrénées.

L'autorité royale fit facilement justice, en France, de quelques opposants dispersés. En Provence, le comte d'Alais, devenu frondeur comme Condé, avait en tète le duc de Mercœur. Celui-ci, par une vive attaque, prit Tarascon, Saint-Tropez, Toulon. Alais, ayant appris que Turenne avait repoussé Condé jusqu'en Flandre, accepta l'amnistie et quitta son gouvernement. En Bourgogne, le comte de Boutteville, frère de la belle duchesse de Châtillon, tenait pour Monsieur le Prince la petite ville de Bellegarde (ou Seurre). La galanterie rattachait la sœur au parti du héros, l'intérêt y enchaînait le frère peu scrupuleux sur les mœurs. Le duc d'Épernon, nouveau gouverneur de Bourgogne, attaqua Bellegarde (mai 1653), et, malgré les sorties de la garnison, la contraignit à capituler (6 juin). Sept cents hommes, avec leur général, eurent la permission de sortir et furent conduits à Stenay, qui appartenait à Monsieur le Prince[1]. Boutteville, frondeur et ami de Condé, resta dès lors un objet de défiance et d'antipathie pour Louis XIV. Ce sentiment ne s'affaiblira guère, dans la suite, même lorsque Boutteville sera devenu le maréchal de Luxembourg.

A Bordeaux, il y eut un peu plus d'opiniâtreté. Le duc de Candale sur terre, le duc de Vendôme par mer, étaient chargés de soumettre la Guienne. Pendant que les petites villes cédaient aux armes du roi, Bordeaux, dominé par Conti et par la duchesse de Longueville, tenu dans la terreur par l'Ormée, comprimait les volontés favorables au rétablissement de l'autorité royale. L'Ormée avait sa chambre de justice, composée de bonnetiers, corroyeurs, pâtissiers, cordonniers, menuisiers, gentilshommes, apothicaires, violons, notaires et procureurs, qui jugeait souverainement toute personne suspecte de trahir le parti. Le Prince de Conti s'accommodait, pour son ambition, de cette mêlée confuse qui semblait niveler toutes les conditions, mais pouvait en un moment l'absorber lui-même. Le Père Berthod, envoyé par le roi pour essayer, à Bordeaux, ce qui lui avait si bien réussi à Paris, n'échappa plusieurs fois à la mort que par une fuite habile. Un autre cordelier, associé de Berthod, fut condamné à mort, dégradé, promené sur un tombereau, la torche à la main, et réservé pour un supplice plus solennel. Mais le ravage des campagnes, les sacrilèges commis dans les églises et sur la personne des prêtres et des religieux, produisirent le même désir de réaction qu'à Paris. Berthod, soit dans la ville, soit du dehors, organisait le parti des honnêtes gens. La jeunesse s'arma la première contre les tueurs, attaqua l'Ormée, abattit les pavillons rouges arborés par cette faction en signe d'alliance avec l'Espagne, et fit convoquer une assemblée qui se prononça hautement pour la paix. Les succès de Candale et de Vendôme avaient détruit la confiance des agitateurs et des princes. Il fallait céder ou subir un siège et les conséquences d'un assaut. On préféra traiter. Le 30 juillet (1653), la paix fut faite. Elle stipulait une amnistie générale, sauf quatre ou cinq exceptions, le rétablissement du château Trompette, la permission pour les troupes qui appartenaient à Monsieur le Prince de se retirer à Stenay, pour Conti de séjourner à Pézenas, pour la duchesse de Longueville d'aller à Montreuil-Bellay. Toutes ces choses convenues et acceptées, les ducs de Vendôme, de Candale, de Tulles, et leurs officiers, entrèrent en triomphe dans la ville et firent chanter un Te Deum par le cordelier que l'Ormée avait condamné à mort[2]. Ainsi finit la Fronde de Bordeaux. L'année suivante, le prince de Conti se réconcilia personnellement avec Mazarin en épousant une de ses nièces, l'aînée des Martinozzi, et il reçut de la reine-mère l'assurance qu'elle ne lui gardait aucun ressentiment. La duchesse de Longueville. après tant de désappointements, commença une conversion qui est célèbre, mais qui devait la jeter, par le jansénisme, dans une opposition d'un autre genre.

Ces victoires apportaient un débarras sensible au gouvernement du roi, en réduisant à un seul champ de bataille les hostilités entre lesquelles il avait été jusque-là nécessaire de diviser les troupes royales. La conclusion de la guerre civile allait rendre plus de vivacité à la guerre contre l'étranger. Les Espagnols, malgré leur épuisement et la lenteur de leurs efforts, avaient fini par retirer des discordes intérieures de la France de sérieux avantages pour eux-mêmes. A l'époque même où le roi rentrait à Paris, ils reconquéraient Dunkerque (16 septembre 1652), Barcelone (13 octobre) et Casal, poste avancé de la France dans leurs possessions d'Italie. La république d'Angleterre avec qui le prince de Condé n'était pas en vain accusé de négocier, leur venait en aide en capturant une flotte française[3]. Tant que Bordeaux prolongea sa résistance, la guerre contre les Espagnols ne fut que défensive. Elle honora d'une gloire inattaquable le génie de Turenne, et lui assura la réputation du plus grand tacticien de l'Europe ; mais, par l'effet de moyens insuffisants, elle ne put décider aucune solution. Dans les derniers mois de 1652, lorsque Condé, réunissant ses troupes aux Espagnols, disposait de vingt-cinq mille hommes, Turenne n'en avait pas plus de dix mille, et on peut le croire, puisque c'est lui qui l'affirme. Il n'en eut que plus de mérite à annuler les tentatives, les succès même, d'un ennemi si supérieur en forces. Condé avait occupé d'abord Bethel, Sainte-Menehould, Château-Porcien, Bar-le-Duc. Turenne s'attacha si habilement à sa poursuite, le harcela avec tant de ténacité, par Commercy, Saint-Mihiel, Damvilliers, qu'il l'empêcha de prendre ses quartiers d'hiver en France, le rejeta sur le Luxembourg, et fit prisonnières, les unes après les autres, les petites garnisons que le Prince avait dispersées en quelques places de Champagne et de Lorraine. Dans la campagne de 1653, il gagna de vitesse son fougueux adversaire. L'ennemi dominait la vallée de l'Aisne par Rethel, la vallée de l'Oise par la Capelle, la vallée de la Meuse par Stenay et Mouzon. Turenne se jeta sur le centre, c'est-à-dire sur Rethel, prit cette ville en trois jours (fin de juin), avant que Condé, quoique la saison fût déjà avancée, eût songé à se défendre, et coupa ainsi la communication entre la route des Pays-Bas et celle du Luxembourg. Condé ne pouvait plus entrer en France que par la frontière de Picardie, la moins commode par ses marais qu'il fallait traverser sur des fascines, ou qui rendaient plus laborieux le siège des villes en séparant les assiégeants. Puis, quand il arriva par cette voie, avec 16.000 fantassins contre sept mille, avec dix mille chevaux et cinquante pièces de canon, il fut déconcerté par un système de temporisation qui lui montrait toujours l'armée ennemie massée dans son voisinage, le menaçant sans cesse d'une bataille, et l'évitant elle-même par des campements bien choisis, laissant à sa merci les villes sans garnison, et l'empêchant de les assiéger par la crainte d'une attaque immédiate. Un jour un mouvement de l'armée royale sur Bapaume, qui semblait un commencement d'entreprise sur Cambrai, obligea Condé à repasser la Somme, non sans de grandes fatigues. Il arrivait en diligence, avec la résolution de combattre, et l'espoir d'occuper les hauteurs qui dominaient la position. Turenne, ayant tout prévu, se campa dans un vallon derrière un petit bois, s'y fortifia en deux heures, et fit mine d'une si vigoureuse résistance, que ni le prince ni les Espagnols ne se risquèrent à le provoquer. Alors ils détachèrent une partie de leur cavalerie sur Guise ; mais Turenne, les devinant à la direction qu'ils prenaient, envoya de son côté un renfort qui, par un chemin plus long, arriva avant eux et fit échouer le projet de siège. Après quinze jours d'irrésolution, Condé se porta sur Rocroi ; cette ville, dans les projets des alliés, devait lui appartenir s'il s'en rendait maître ; on le laissa profiter de l'avantage que donnaient au premier arrivé les bois voisins de la place, mais pour lui rendre la pareille, l'armée royale assiégea Monzon qu'elle prit le 28 septembre. Ce succès, qui compensait bien au delà la perte de Rocroi, fut doublé quelque temps après par l'occupation de Sainte-Menehould ; l'armée royale, grossie d'une partie des troupes que la pacification de Bordeaux remettait à sa disposition, s'empara de cette ville le 26 novembre ; l'ennemi n'eut plus qu'à rentrer bien avant dans les Pays-Bas, et à s'y tenir dans l'inaction pendant l'hiver. Ces belles manœuvres sont racontées par Turenne lui-même ; la véracité du récit éclate dans sa simplicité : l'écrivain est aussi grand par sa modestie que l'homme de guerre par ses combinaisons. Point d'importance personnelle, point de jugement dur contre l'ennemi. S'il explique quelquefois les fautes de son fameux adversaire, c'est pour ajouter immédiatement, avec ce sentiment de l'infirmité humaine qui est propre aux hommes forts : Souvent les personnes les plus habiles font des fautes qu'il est plus aisé de remarquer que de prévenir[4].

Pour comprendre les difficultés, les lenteurs qui vont suivre, comme aussi l'importance de la paix qui terminera ces luttes, il convient de considérer l'état des partis après le retour définitif de Mazarin.

Le prince de Condé, depuis qu'il avait quitté la cour, à la fin de 1650, n'avait reculé devant aucune des alliances capables de le faire triompher. Il réclamait sans relâche les patagons et les troupes d'Espagne ; il lui fallait l'argent à la poste, et des soldats en Guienne et en Flandre. Il n'avait pas tardé à nouer des relations avec la République d'Angleterre gouvernée encore en apparence par le parlement régicide ; il entretenait un agent à Londres pour faire comprendre aux Anglais ce que leur commerce gagnerait à soutenir Bordeaux, et à prendre la supériorité sur la flotte du duc de Vendôme. Il n'avait pas craint davantage de se rapprocher des huguenots de France, et d'encourager leur espoir d'établir la république. Sa correspondance, celle de son frère et de ses agents, en 1652 et 1653, révèle clairement toutes les fraudes et toutes les concessions de sa diplomatie. Pour vous dire, écrivait-il, mes sentiments sur cette seconde cabale des huguenots que vous me mandez aller droit à la république, je crois que ce n'est pas la plus mauvaise de toutes, et mon sentiment est qu'il vaut mieux la soutenir, sans pourtant la rendre maîtresse, que de l'abattre ; car il est certain qu'elle ne pourra jamais venir à ses fins, et conservant toujours cette pensée de la république, elle empêchera les autres à l'amnistie, et de demander la paix. Cette bonne volonté des protestants français servait ailleurs d'argument auprès de la république d'Angleterre. Le prince de Conti pressait le parlement anglais de se déclarer, parce que les huguenots ne pouvaient prendre confiance qu'à des hommes de même esprit et de même religion. Il y joignait de basses flatteries et des promesses funestes à la France ; il louait le gouvernement anglais de ce que ses lois fondamentales n'étaient pas corrompues par l'intérêt particulier, de ce que, comme tous les États bien réglés, il faisait profession de prendre la défense des opprimés ; et quelques lignes plus bas, pour le déterminer par l'intérêt, ce principal mobile des affaires d'État, il faisait entrevoir la possession d'un port dans la rivière de Bordeaux et l'occupation facile de la Rochelle[5]. Mais le chef-d'œuvre du genre, c'est la lettre de Condé à Cromwell, après l'expulsion du Parlement, lorsque le meurtrier de Charles Ier eut été proclamé protecteur. Je me réjouis infiniment de la justice qui a été rendue au mérite et à la vertu de Votre Altesse. C'est en cela seul que l'Angleterre pouvait trouver son salut et son repos, et je tiens les peuples des trois royaumes dans le comble de leur bonheur de voir maintenant leurs biens et leurs vies confiés à la conduite d'un si grand homme. Pour moi, je supplie Votre Altesse de croire que je me tiendrais fort heureux si je pouvais la servir en quelque occasion, et lui faire connaître que personne ne sera jamais au point que je le suis, Monsieur, de Votre Altesse, le très-affectionné serviteur, LOUIS DE BOURBON.

A la première vue, on se demande comment le prince de Condé, le plus aristocrate et le plus arrogant des dominateurs, consentait à saluer si bas le destructeur de la royauté et de la hiérarchie. En réalité les deux alliés n'étaient pas aussi éloignés de s'entendre qu'ils le paraissent. Les républiques, surtout dans l'antiquité, ce type cher à la Renaissance, ne sont guère que des aristocraties, où, à la place de l'autorité d'un seul, dominent quelques centaines de personnages, égaux entre eux, également souverains. Tandis qu'ils sont assujettis eux-mêmes à un meneur d'autant plus fort qu'il se dissimule mieux, ils régentent et tiennent à distance la multitude qui ne s'en aperçoit pas toujours, parce qu'ils se vantent de représenter sa liberté. Condé avait fait préconiser plus d'une fois par ses pamphlétaires un système de grand conseil, composé de princes, officiers de la couronne, descendants des grandes familles, avec l'espoir secret d'en étre le chef nécessaire ; il n'était donc pas si hostile à l'esprit républicain. Cromwell, de son côté, quoique père des indépendants, et pendant quelques jours patron des niveleurs, n'entendait pas avoir triomphé pour la multitude. Il voulait une république gouvernée par un conseil supérieur dont il serait le protecteur à titre de lieutenant de Dieu. Il suffit, pour s'en convaincre, de lire les réclamations de Milton, son secrétaire, contre le suffrage universel, et de dégager de la forme allégorique le conseil supérieur des démons dans le Paradis perdu[6].

Toutefois la coalition ne fut jamais assez compacte, ni les intérêts des alliés assez mêlés pour réaliser le succès prétendu. Jamais le Parlement d'Angleterre n'adhéra efficacement au parti de Condé. Les affaires de la république, écrivait l'agent du prince[7], dépendent de tant de gens, que, quand il est question d'en tirer quelque chose, il est impossible de gagner personne qui ait pouvoir d'y servir. Tout ce que la faction obtint avec beaucoup de mouvements, se réduisit à l'enrôlement de quelques Irlandais volontaires[8], ou au louage de quelques frégates prêtées par des marchands anglais[9]. Cromwell lui-même, devenu le seul maitre, après un échange de négociations avec Monsieur le Prince, laissa voir qu'il ne trouvait pas dans cette alliance l'intérêt de l'Angleterre. L'agent espagnol Vatteville avertit Condé que, quand même le Protecteur donnerait des promesses formelles, il ne ferait la guerre que mollement, parce que ce n'était pas son profit de faire succomber la France et de relever l'Espagne[10]. Les Espagnols furent plus complaisants, plus larges ; ils achevèrent de se ruiner pour prolonger la guerre en faveur du traître qui s'offrait à les venger de ses propres victoires ; mais ils lui apportèrent souvent des embarras qu'il n'avait pas prévus et qu'il n'était pas le maître d'écarter. Leur caractère résistait à sa fougue, il n'avait plus à son service l'impétuosité des soldats français conforme à la sienne. Il n'était pas l'arbitre souverain des opérations militaires. Il fallait discuter avec les généraux espagnols, leur céder par moments, s'arrêter quand il eût voulu marcher, renoncer à une entreprise quand elle ne plaisait pas aux Lorrains. Turenne lui-même explique de cette manière certains événements, sans craindre de diminuer par cet aveu le mérite de sa supériorité. Ainsi par un échange mutuel d'influences, la guerre étrangère ranimait parfois en France les agitations intérieures, et ces agitations servaient à prolonger la guerre étrangère en retardant l'action du gouvernement.

Quoique le retour de Mazarin eût imposé silence à ses adversaires, il restait dans plus d'un esprit des espérances secrètes de lui disputer sa fortune et de reconstituer une opposition. On voyait Servien et Fouquet appelés en commun à la surintendance des finances, Le Tellier institué commandeur et trésorier du Saint-Esprit, Miossens, un des gardiens de Condé à Vincennes, décoré de la dignité de maréchal de France. Ces récompenses, accordées aux hommes qui avaient partagé le sort du ministre, ne pouvaient qu'irriter ceux qui n'avaient pas encore réussi à se réconcilier avantageusement. Les embarras de la situation, bien qu'allégés par la fin des hostilités dans Paris, étaient encore considérables. N'y eût-il eu que la difficulté de trouver l'argent nécessaire, ce mal suffisait aux préoccupations du ministre, parce qu'il pouvait provoquer tous les autres. C'était même là que les ennemis de Mazarin l'attendaient. Ils s'en réjouissaient comme d'une vengeance inévitable ; ils en tiraient pour eux-mêmes ces espérances exagérées par où l'opposition aime à s'étourdir et à se déguiser sa faiblesse. Deux jours après le retour du cardinal, 5 février 1653, un d'eux écrivait : Si Dieu n'y met la main, on verra des désordres étranges, dont la nécessité, la rage et le désespoir seront cause : point d'argent, point de rentes, point de paix ; violence et manquement de parole, fierté, oppression des gens de bien, incertitude de l'avenir, voilà où l'on en est[11].

Ces espérances n'étaient pas sans fondement. L'affaire des rentes fut la première inquiétude du cardinal. Les gabelles ne rendant pas tout ce qu'elles devaient, les rentes ne furent pas exactement payées ; les rentiers mécontents firent le bruit accoutumé. Les magistrats n'avaient pas non plus abdiqué définitivement leurs prétentions ; s'ils n'étaient plus en état ni en humeur d'entreprendre la guerre par les armes, leur fameux prétexte du service du roi était toujours prêt pour justifier leur intervention dans les questions de finances ou de personnes. La retraite de Mathieu Molé qui céda la première présidence à Pomponne-Bellièvre, afin de se donner tout entier à son rôle de garde des sceaux (avril 1653), témoigne de la défiance qui animait encore la magistrature contre la Cour. Dans l'impuissance de concilier les intérêts de la compagnie et les intérêts du conseil du roi, et pour éviter une grande contention, il quitta le Parlement avec regret[12]. Toute l'année se passa en tiraillements. Réclamations contre les édits de finances, onéreux peut-être, mais indispensables aux frais de la guerre ; le roi dut aller au palais imposer la vérification par sa présence. Insultes aux Pontoisiens, à ceux qui, à l'appel du roi, avaient quitté Paris pour siéger à Pontoise, et comme contre-partie, demandes affectées du retour de Broussel et des autres exilés. Quelques-uns des mutins furent exilés à leur tour, puis rappelés par concession du ministre. Le conseiller Croissy, arrêté comme complice et négociateur de Condé[13], suscita une dispute qui dura plusieurs mois. Le roi lui donnait pour juges des commissaires choisis dans le Parlement ; le Parlement voulait nommer lui-même ces commissaires. On le détenait à Vincennes, le Parlement voulait qu'il fût ramené à la Conciergerie, en vertu de ce principe que les juges doivent avoir le pouvoir de mettre en liberté celui qu'ils ont le droit d'absoudre. On ôta, on rendit le procès au Parlement ; on finit par le supprimer en bannissant du royaume Croissy et ses complices ; quelques récalcitrants avaient encore été exilés pour cette affaire, on leur fit grâce. Ainsi la résistance se ranimait à toute occasion, sous toutes les formes, et les incertitudes du ministre ne servaient qu'à l'enhardir.

Un autre adversaire, le plus indomptable, s'agitait sous les verrous, et du fond de Vincennes mettait les esprits en mouvement à Paris et à Rome. Le cardinal de Retz, dans sa captivité, s'occupait à étudier le grec ; il se divertissait à nourrir des lapins sur le haut du donjon, des tourterelles dans une tour, des pigeons dans l'autre[14]. Mais sa patience n'était pas si sincère qu'il ne travaillât vivement à se délivrer, ni sa prison si étroite qu'il ne pût établir des relations au dehors. Il communiquait avec Condé, l'un et l'autre oubliant la rivalité et les injures récentes par le besoin d'une assistance mutuelle. Il avait d'autres amis à Mézières, à Charleville, au mont Olympe, qui faisaient porter à Mazarin des menaces de toute sorte. Il avait surtout pour lui une partie du clergé, Rome même, et cette faction secrète des Jansénistes, dont le grand art a toujours été de taire le véritable mot de ses desseins, de couvrir d'une apparence de vertu et de droit ses entreprises les moins religieuses et les moins légitimes. La détention de Retz sans jugement était contraire aux libertés de l'Église, aux immunités des cardinaux ; à ces causes, dès qu'elle fut connue, le Chapitre de Paris réclama, ordonna des prières pour la délivrance du prisonnier[15] : le pape Innocent X envoya des protestations pour l'honneur du sacré collège. Port-Royal, dont la doctrine avait été condamnée à Rome, avait besoin de replacer Retz à la tête du diocèse de Paris pour soutenir les menées de la secte. Dans ce dessein, et pour mieux résister aux décisions doctrinales du Saint-Siège, les Jansénistes pressaient le pape, au nom des droits de l'Église, de leur faire rendre leur protecteur. Ils contribuèrent même plus que personne à changer en persécution religieuse un débat tout politique[16]. Le prisonnier embarrassait à chaque pas le ministre par ses tergiversations, il offrait et refusait tour à tour sa démission, acceptait de vivre à Rome sous la protection du pape, puis retirait sa promesse au moment où le nonce était chargé de la recevoir, ne se proposant par tous ces détours que de gagner du temps et d'attendre l'effet de ses intrigues au dehors. En même temps circulaient dans le public les excitations, les petits livres qui présentaient une mesure de sûreté comme une violation des droits de l'Église, un homme de bien méconnu, un ami du peuple, comme victime de l'arbitraire. La population de Paris n'était pas alors indifférente aux intérêts ecclésiastiques ; et d'ailleurs elle ne connaissait pas les mœurs du coadjuteur. Il était parvenu, en dissimulant ses désordres personnels, à se maintenir, aux yeux de la multitude, dans une considération morale dont il se prévalait devant ses confidents, avec un profond dédain du jugement de ceux qui avaient le droit de le mépriser[17]. Ces dispositions du peuple faillirent éclater en sédition, l'année suivante, dans une circonstance critique à laquelle nous allons arriver.

Contraint de lutter à la fois contre tous ces obstacles, Mazarin les attaqua, selon son savoir-faire, par des moyens divers, mêlant les ménagements à la rigueur, les négociations à la force, opposant l'intrigue à la cupidité, désunissant ceux dont l'égoïsme trouvait plus d'avantage dans la séparation. Ces pratiques ne lui réussirent pas mal pour la campagne de 1654. D'abord il traita avec le cardinal de Retz. Le prisonnier était devenu archevêque de Paris par la mort de son oncle (21 mars 1654). Instruit de l'événement à l'heure même où il s'accomplissait, il avait fait prendre possession de son siège par procureur, et institué ses grands vicaires. Mais les instances du ministre le déterminèrent à promettre sa démission si le pape l'acceptait, et à recevoir pour dédommagement les revenus de sept abbayes ; en attendant, il serait transféré au château de Nantes, sous la garde du maréchal de La Meilleraye[18]. Cet éloignement donnait au gouvernement un peu plus de sécurité pour le temps où la guerre forcerait le roi à quitter Paris (30 mars). L'argent était nécessaire pour les besoins de l'armée ; le Parlement voulut protester contre les édits fiscaux et en délibérer en assemblée générale. Le jeune roi, préludant à cet exercice de l'autorité absolue qu'il devait porter si haut, accourut de Vincennes en habit de chasse, en bottes éperonnées, le fouet à la main (13 avril 1654), et, montant à la place du premier président : Messieurs. dit-il, chacun sait les malheurs qu'ont produits les assemblées du Parlement ; je veux les prévenir, et j'ordonne que l'on cesse celles qui sont commencées sur les édits que j'ai apportés, lesquels je veux être exécutés. Monsieur le président, je vous défends de souffrir aucune assemblée, et à pas un de vous de les demander[19]. L'injonction, bien capable de surprendre, ne suffit pas pourtant à prévenir de nouvelles tentatives de réclamations, mais l'intrigue fut plus heureuse. On gagna les magistrats de Paris par des offres d'argent, qu'ils acceptèrent sans plus paraitre se soucier du bien public. On soutira aux États du Languedoc une somme plus forte que celle qu'on leur avait demandée d'abord, en leur faisant craindre d'avoir à loger l'armée de Catalogne[20]. Le prince de Condé ne cessait de secouer la lenteur des Espagnols, d'appeler à son aide les petits princes d'Allemagne ; il faisait arrêter par ses alliés le duc de Lorraine, suspect de se rapprocher de la France[21] ; des agents, des escouades de maraudeurs expédiées par lui, pénétraient dans le royaume, enlevaient les individus isolés, et rançonnaient les villes. Il importait de lui faire bonne guerre. Deux déclarations (15 avril et 27 avril) y pourvurent. La première ordonnait de poursuivre les pillards sans miséricorde ; la seconde, enregistrée au Parlement en présence du roi, condamnait le prince à mort, avec ses agents Viole, Lenet, Marsin et Persan[22].

Après le sacre du roi (6 juin), qui, dans ces temps d'incertitude, pouvait être plus qu'une simple formalité, le ministre ouvrit la campagne. Condé n'avait pu k faire encore, malgré la saison avancée, tant lui donnaient d'embarras ou l'épuisement ou les contradictions de ses alliés. C'était personnellement contre lui que la guerre était dirigée. Mazarin allait assiéger Stenay, qui appartenait au prince, et dont la conservation lui tenait fort au cœur. On donna, dans ce dessein, une assez bonne armée à Fabert ; le roi voulut faire à ce siège ses premières armes, et s'y rendit avec le cardinal. L'armée de Turenne dut, se placer sur la frontière de Champagne pour se porter, selon le besoin, au secours des assiégeants, ou vers la Flandre, si l'ennemi entreprenait quelque diversion de ce côté[23]. A cette nouvelle, l'alarme fut grande à l'étranger. Condé pressa les Espagnols d'assiéger Arras pour menacer toutes les acquisitions des Français en Artois. Si je le prends, disait-il, vous y gagnerez, et moi aussi, avec usure, étant dans vos intérêts et ne voulant pas m'en détacher[24]. On y consentit, d'autant plus que la Flandre offrait de payer les dépenses dans l'espoir de se débarrasser des contributions qu'elle supportait[25]. Le siège d'Arras fut formé au commencement de juillet. Aussitôt l'armée de Turenne se mit en mouvement, assura ses vivres, coupa ceux de l'ennemi, et se disposa, non pas pour livrer immédiatement une bataille, mais pour attendre le moment de pénétrer dans les lignes des assiégeants. Turenne était persuadé qu'il n'est pas nécessaire de lancer tout d'abord les Français en avant, parce qu'ils ont la même patience que les autres quand ils sont bien conduits[26]. Condé comprit, dès qu'il eut aperçu Turenne, le danger que cette approche lui faisait courir ; s'il en eût été cru, les Espagnols auraient, sur-le-champ, attaqué ce redoutable adversaire ; mais il n'en fut rien[27]. Au lieu d'agir, les amis du prince aimaient mieux calculer leurs motifs d'inquiétude ; un d'eux écrivait (13 juillet) : Le siège de Stenay est fort avancé, et je doute que nous puissions prendre Arras, car le maréchal de Turenne fait tous ses efforts pour l'empêcher ; en vérité, toutes ces affaires de Flandre ne vont pas de la sorte que nous nous le persuadions. Son Altesse n'a pas petite affaire ; toutes ses troupes sont ruinées. Après la prise de Stenay, nous pourrons dire adieu à Clermont ; l'on nous menace du siège de Rocroi. Dieu nous assiste des Anglais ; ensuite une bonne paix[28].

Ils eurent un moment l'espérance de sortir d'embarras par les dissensions intérieures de la France. Le 8 août, le cardinal de Retz s'échappa de sa prison de Nantes ; il avait prévenu les curés de Paris par une lettre, ses amis avaient préparé sa fuite ; on comptait, dès son retour, sur un soulèvement du peuple mécontent de la prolongation de la guerre et de l'incertitude de la situation. Dès que la nouvelle fut connue à Paris, on chanta le Te Deum ; le curé Duhamel se distingua entre les autres par l'expression de sa joie : Nous le reverrons, ce cher et aimable prélat ; j'irai moi-même le trouver de votre part et lui embrasser les genoux. Le prince de Condé, du siège même d'Arras, fit porter ses félicitations au captif délivré[29]. Mais l'illusion dura peu. Le fugitif, poursuivi par les gardes, était tombé de cheval et s'était démis l'épaule. Pendant qu'on l'attendait à Paris, ses amis, après l'avoir caché-dans une meule de foin, le conduisirent à Beaupréau dans sa famille, d'où il gagna Belle-Isle-en-Mer, puis l'Espagne, .sur une barque de pêcheurs conduite par cinq mariniers. D'autre part, Stenay avait capitulé dès le 6 août ; les troupes qui avaient été retenues à ce siège arrivèrent pour contribuer à la délivrance d'Arras. Renforcé du corps du maréchal d'Hocquincourt, et combinant ses efforts avec lui et avec le maréchal de La Ferté, Turenne occupa les environs d'Arras d'où les assiégeants tiraient leurs convois ; puis, dans la nuit du 25 août, il attaqua les lignes ennemies. La surprise, la terreur fut si grande du côté des Espagnols, qu'ils firent une assez molle résistance. Condé parut un moment avec la pensée de les soutenir, et Turenne reconnut sa présence à un mouvement qui lui donna de l'inquiétude. Mais le désordre était si considérable, que Condé lui-même dit à l'archiduc Léopold qu'il convenait de se retirer. La fuite des Espagnols aurait été un désastre définitif sans deux circonstances qui l'atténuèrent ; l'armée française ne put résister au désir de piller un camp si riche, où abondait la vaisselle d'argent que les officiers d'Espagne portaient partout avec eux ; et elle ne poursuivit pas les vaincus plus loin que leur circonvallation. De sou côté, le prince de Condé, ayant rallié les débris des vaincus, les mit en sûreté sous le canon de Mons : J'ai su que tout était perdu, lui écrivait Philippe IV, et que vous avez tout sauvé. Néanmoins la victoire des Français eut un grand retentissement. Elle réveilla le souvenir de leur importance militaire, un peu perdue, depuis la guerre d'Allemagne, dans les mêlées sans gloire de la guerre civile. Outre l'avantage de conserver Arras, le bénéfice se soldait par trois mille prisonniers, soixante-trois pièces de canons, tout ce qui appartenait à un train d'artillerie aussi important et tous les bagages de l'ennemi. Turenne reçut des félicitations d'une multitude de personnages, en particulier de ce duc de Lorraine que les Espagnols avaient emprisonné au commencement de l'année[30].

Les suites en retombèrent, comme il était juste, sur les ennemis de Mazarin. Revenu à Paris, plus triomphant que jamais, le ministre envoya partout l'ordre d'arrêter le cardinal de Retz, confisqua le temporel de ce prélat, fit prendre par le chapitre l'administration de son diocèse, exila les grands-vicaires qui avaient fait chanter le Te Deum en actions de grâces de son évasion, et les curés de Paris qui avaient annoncé son retour[31]. Aux Pays-Bas, Turenne, sous les yeux de Condé, passa l'Escaut entre Cambrai et Bouchain, occupa Le Quesnoy, et le garnit de provisions et de troupes pour en assurer la conservation pendant l'hiver. En Champagne, Condé perdit encore la ville de Clermont qui lui appartenait en propre, et qui fut occupée par le maréchal de La Ferté. Il rapportait ces malheurs aux lenteurs des Espagnols, qui lui promettaient de beaux secours et ne les lui donnaient pas à temps : Je vous prie de vous en plaindre hautement, disait-il, à mon frère l'archiduc et au comte de Fuensaldague, et de leur faire connaître sans déguisement que ce n'est pas ainsi que je prétends d'être traité[32].

Après une année si bien employée, il semble que la conclusion à l'avantage (le Mazarin ne dût pas tarder beaucoup. Mais les difficultés sont presque toujours plus nombreuses et plus graves qu'on ne le voit par les histoires, qui ne parlent que des faits accomplis au grand jour. Les hostilités secrètes se multipliaient contre le ministre, et aussi son caractère le portant plutôt aux négociations qu'aux partis qui tranchent. par la force, il atténuait lui-même l'effet de ses succès par l'ajournement. M. le cardinal, dit Turenne, aimait à tenir toute chose en balance, à se raccommoder avec ceux qui avaient quelque cause de mécontentement, à ménager les esprits qu'il ne pouvait gagner. Le Parlement de Paris et le cardinal de Retz ne lui laissèrent pas goûter longtemps le plaisir de sa victoire.

Au Parlement, les remontrances s'élevèrent contre les édits fiscaux nécessaires pour la campagne de 1655. Il s'agissait de ressources temporaires : impôts sur les baptêmes et les mariages, papier timbré, fabrication d'une monnaie nouvelle (les Lys). A cette résistance, Mazarin répondit en exilant plusieurs conseillers ; il en mit un à la Bastille. Aussitôt les avocats prirent des robes courtes, les procureurs et toute la gent de palais cessèrent de travailler[33]. Cependant le cardinal de Retz, après une longue pérégrination à travers l'Espagne et la Méditerranée, arrivait à Rome pour faire valoir ses droits à gouverner l'Église de Paris (décembre 1654). Quoiqu'il y trouvât moins d'empressement qu'il ne s'en vante, quoique, en particulier, le cardinal Chigi le contrariât dans ses projets et ses espérances, il était certain qu'il avait en France un parti dangereux. Port-Royal lui envoyait des mémoires tout prêts à publier pour la défense de sa cause[34] ; l'argent lui parvenait eu sommes considérables ; il convient lui-même de 260.000 livres. Son confident et son compagnon, Guy Joly, atteste le faste dont ces libéralités lui permettaient de s'entourer, les trois tables qu'il tenait par jour, et, à l'exception de sa livrée grise, le train de grand seigneur dont il prétendait éblouir les regards. A Paris, il comptait des amis dans toutes les classes, non-seulement dans le clergé où les curés de Sainte-Madeleine et de Saint-Séverin allaient bientôt jouer un rôle actif, mais encore dans la masse populaire, dans les boucliers qui affichaient les placards favorables à la cause du banni, dans les lettrés comme le principal des Grassins qui contrefaisait à merveille la signature de l'absent[35]. Il n'y avait pas d'exagération à prévoir, ce qui pourtant n'arriva jamais, un soulèvement au profit de l'ancien frondeur.

Il est certain, dit Turenne, que Monsieur le Prince en Flandre, et M. le cardinal de Retz à Rome, avaient beaucoup de partisans à Paris. Si la brouille eût continué avec le Parlement, cela eût empêché les desseins de la campagne. Turenne, sur l'invitation de Mazarin, servit de médiateur auprès des magistrats. On s'accommoda ; les exilés furent rappelés, les remontrances ne mirent plus d'entraves au recouvrement de l'argent. La guerre recommença dans les Pays-Bas (1655) ; elle fut favorable à Turenne. Il prit Landrecies, empêcha Monsieur le Prince de se cantonner entre Valenciennes et Bouchain, puis il occupa la ville de Condé et Saint-Guislain. Mais il était évident que la lutte, dans l'état présent des forces des deux partis, ne pouvait aboutir qu'à des résultats insignifiants. Elle semblait dépendre quelquefois de la défection d'une ville ou même d'un homme. A la fin de la campagne de 1655, Condé s'efforçait de corrompre le maréchal d'Hocquincourt, gouverneur de Péronne, pour se faire livrer cette ville et celle de Ham. Mazarin négocia pour prévenir cette trahison au lieu de la réprimer par les armes ; c'était l'avis de Turenne lui-même, fondé sur la faiblesse de son armée après de longues marches, sur la difficulté de se procurer des vivres et de trouver de bons chemins. On vit ce d'Hocquincourt, incertain entre les deux adversaires, donner audience tour à tour aux Espagnols et aux Français. A la fin il se décida pour le roi de France, dans la crainte que la duchesse de Châtillon, sa maîtresse, après l'avoir été de Condé, ne fût retenue ou punie par Mazarin. Il quitta la France, mais il remit Péronne et Ham aux mains du roi[36]. La guerre, poursuivie dans de pareilles conditions, menaçait de n'être qu'une continuité de misères sans issue ; pour la finir il devenait nécessaire de rompre l'équilibre de ces faiblesses, d'acquérir une alliance capable de déterminer une solution. C'est l'avantage que Mazarin réalisa cette année même.

Monsieur le Prince, à bout d'espérances, s'était tourné vers Rome ; il sollicitait l'intervention du nouveau pape Alexandre VII pour entamer son accommodement avec le roi de France[37]. De son côté, Mazarin venait de traiter avec le duc de Modène. La France entretenant toujours une petite armée dans le Milanais, il n'était pas sans utilité d'avoir à sa disposition les petits princes italiens, ennemis de la suprématie espagnole. Le cardinal sanctionna l'arrangement par le mariage d'une de ses nièces, la seconde Martinozzi, avec le fils du duc de Modène, servant ainsi à la fois sa famille et la France (27 mai 1655). Mais le grand but de sa diplomatie était l'alliance de Cromwell. Ce parvenu sanglant n'avait pas tardé à prendre place parmi les rois ; sa force sans doute constituait son droit à leurs yeux. Il souriait lui-même de cet accueil, et il pouvait dire à tous, comme à Christine de Suède en lui envoyant son portrait :

Non sunt hi vultus regibus usque truces.

Le grand Condé l'avait abordé humblement, lui demandant son assistance. L'Espagne, alliée de Condé, le sollicitait sans relâche de lui assurer la supériorité sur la France. Elle faisait valoir qu'elle avait la première reconnu la république d'Angleterre et envoyé un ambassadeur à Londres ; que la France au contraire était ennemie du gouvernement anglais, favorisait les complots contre la vie du Protecteur, et récompensait les coupables. A ces protestations de dévouement, les Espagnols ajoutaient des offres lucratives ; ils contribueraient à faire rentrer les Anglais en possession de Calais, si le protecteur contribuait à réintégrer Condé en France. Leurs déclarations finissaient par cette flatterie : S'il y a quelque autre chose que Votre Altesse désire, Sa Majesté embrassera volontiers tous les moyens qui lui seront proposés, pourvu qu'ils soient utiles à la cause commune et au bien des deux nations. Lors donc que Mazarin se présentait à son tour, il était débarrassé de tout scrupule, justifié de tout reproche par l'exemple de ses ennemis. Il ne faisait qu'user du droit de légitime défense, et ravir à ses adversaires l'arme qu'ils essayaient de diriger contre lui.

Le négociateur Français, Bourdeaux, ne négligea rien de ce qui pouvait séduire un Anglais. Il fit comprendre à Cromwell l'utilité d'une guerre contre l'Espagne, qui lui livrerait les richesses des Indes occidentales. Il flatta également son désir de posséder un port sur le continent Européen ; seulement au lieu de Calais il proposa Dunkerque que la France contribuerait à enlever aux Espagnols, si Cromwell aidait la France à reconquérir Gravelines. Par là il confirma le Protecteur dans la pensée que l'Espagne, puissance maritime, était bien plus que la France l'ennemie naturelle de l'Angleterre, et que ce serait nuire au commerce anglais que de relever ses concurrents. Cependant Cromwell ne se décidait pas, comme si cet orgueil farouche eût pris plaisir à faire attendre deux rois. Tout à coup, sans prétexte, sans déclaration de guerre (mai 1655), il envoya dix-sept vaisseaux dans les Antilles. Après une tentative infructueuse sur Saint-Domingue, cette escadre aborda à la Jamaïque, en occupa les côtes sans coup férir, puis pénétrant à l'intérieur, avec l'aide des boucaniers français, força les Espagnols à se retirer de Ille. Depuis ce jour la Jamaïque est restée aux Anglais. Cette brusque rupture ne découragea pas encore les négociateurs espagnols ; ils s'obstinaient à dissimuler leur injure et à espérer l'amitié de l'offenseur. Enfin, le 2 novembre 1655, une alliance offensive et défensive fut conclue, à Westminster, entre la France et l'Angleterre. Il fut convenu que l'Angleterre fournirait des vaisseaux à la France pour prendre Gravelines, et la France des troupes de terre aux Anglais pour prendre Dunkerque ; si la première de ces places était prise avant la seconde, elle serait laissée en dépôt aux Anglais, jusqu'à ce qu'on leur eût remis celle qui devait leur rester. L'exercice de la religion catholique demeurerait libre à Dunkerque. Les princes anglais, Charles II et ses frères, qui servaient alors en France, sortiraient du royaume, à l'exception du duc d'York, qui pourrait rester encore dans les armées françaises d'Italie ou de Catalogne. Cromwell traitait ici d'égal à égal avec le roi de France, et recevait de lui les titres et les honneurs réservés aux têtes couronnées. La majesté royale était sacrifiée à l'intérêt ; mais qui donc parmi les belligérants eût osé se glorifier d'avoir pris plus de souci de la dignité et de la cause des rois` ? Le duc d'York, quoique sa famille eût beaucoup à s'en plaindre, approuva le traité avec un flegme et un calcul tout anglais. u On doit cette justice, dit-il, à la mémoire du cardinal d'avouer qu'il aurait été un ministre fort mal habile, s'il n'avait, dans une conjoncture si délicate, engagé Cromwell dans les intérêts de son maitre, qui aurait eu lieu d'être fort mécontent de lui s'il avait laissé échapper cette importante occasion[38].

Par ce traité, la France gagnait tout ce que perdait l'Espagne ; elle avait une crainte de moins, une alliée de plus. L'Espagne, assaillie par un nouvel ennemi sur le continent, allait voir en outre ses vaisseaux, ses galions menacés par les Anglais suries mers, et jusqu'à la portée de ses côtes. Cependant la campagne de 16 :)6 fut encore moins décisive que les précédentes ; l'avantage sembla même revenir aux partisans du Condé. Le fait capital de cette année fut l'échec de Turenne devant Valenciennes. il avait investi cette place de concert avec le maréchal de La Ferté. Les travaux de circonvallation étaient difficiles dans un pays que l'ennemi inondait à son gré au moyen des écluses ; la communication entre les deux quartiers français se trouvait parfois coupée par l'élévation subite des eaux. Soit que La Ferté eût manqué de vigilance, soit que l'avarice de Mazarin eût refusé les dépenses nécessaires pour assurer, par des ponts de fascines, le passage d'une armée à l'autre[39], La Ferté, surpris pendant la nuit par Monsieur le Prince, fut battu, fait prisonnier avec la plus grande partie de ses troupes, sans que Turenne pût lui apporter un secours efficace (16 juillet). Il n'y avait plus qu'à lever le siège devant Condé vainqueur. Turenne étonna tout le monde, l'ennemi et ses propres soldats, par sa fermeté. Il ne recula que l'espace nécessaire pour mettre ses troupes en bataille, et quand on le croyait réduit à une retraite précipitée, il se montra si bien préparé à fermer le chemin de la frontière française, que les vainqueurs, après avoir examiné ses positions, n'osèrent l'attaquer. Il voulait protéger ses magasins de vivres du Quesnoy et de Landrecies. Il redoutait surtout l'effet moral qu'une retraite devant Monsieur le Prince aurait produit en France au milieu du mécontentement général[40]. En effet, le Parlement, profitant de l'absence du roi et du ministre, tranchait du supérieur vis-à-vis du Grand-Conseil et des maîtres des Requêtes[41]. Il prétendait retenir toutes les causes portées devant lui sans aucun respect du droit d'évocation devant le Grand-Conseil, et défendre aux avocats de plaider devant les maîtres des Requêtes à l'hôtel du roi. Le cardinal de Retz, enfui de Rome, où Alexandre VII lui avait définitivement refusé sa coopération, se faisait voir en Franche-Comté[42], et toujours aux aguets des nouvelles fâcheuses, tendait déjà la main à Monsieur le Prince, par le triomphe duquel il espérait se rétablir lui-même. Grâce à la défensive impénétrable de Turenne, les Espagnols restèrent sur leur territoire, où ils reprirent, il est vrai, la ville de Condé. Alors Turenne se rapprocha de la France, et occupa La Capelle dont la possession importait plus que la conservation d'une conquête au cœur du pays ennemi (27 septembre). Mazarin, rentré à Paris, lit casser par le Grand-Conseil les derniers arrêts du Parlement, puis reprenant ses armes diplomatiques, il traita avec l'électeur Palatin et l'électeur de Brandebourg contre l'Empereur pour la fidèle observation de la paix de Westphalie. Il obtint entre autres conditions le passage à travers le Palatinat pour les troupes levées par la France en Allemagne. Il devenait urgent de mettre l'Empereur hors d'état de secourir les Espagnols ; des troupes impériales avaient contribué à l'affaire de Valenciennes.

La campagne de 1657 fut encore bien laborieuse. On avait enfin l'assistance effective des Anglais. Cromwell envoyait six mille hommes de troupes de terre ; un nouveau traité, conclu dans ce but, renfermait les promesses les plus avantageuses. Le Protecteur s'engageait à faire ses efforts pour que l'élection impériale d'Allemagne tombât sur la tète de Louis XIV, ou du moins lût enlevée à la maison d'Autriche. La France favorisait les projets de Cromwell sur le Danemark, Cromwell ceux de la France sur la Catalogne et la Hollande. Il s'agissait d'apprendre aux autres rois et républiques à n'être pas à l'avenir si téméraires et si malavisés, que de faire injure au roi très-chrétien et au seigneur protecteur, dont les forces combinées étaient si puissantes. Mais les Anglais n'étaient pas des alliés commodes. La solde élevée de 8 sols par jour et le pain de munition dont ils n'avaient pas l'habitude, risquaient tort de ne pas suffire à cette nation carnassière, comme les appelle un récit contemporain[43]. En outre ils avaient en vue avant tout la prise des villes maritimes dont la plus importante devait leur rester ; il n'était pas facile de les décider à servir dans l'intérieur, même quand les opérations du côté de la mer étaient encore impossibles. Or ce fut par l'intérieur qu'il fallut commencer. Turenne ayant essayé, avec ses seules forces, de mettre k siège devant Cambrai, n'eut pas le temps de former ses lignes avant l'arrivée de Monsieur le Prince ; jugeant dès lors l'entreprise inutile, il y renonça. La Ferté, sous les yeux du roi, commençait le siège de Montmédy dans le Luxembourg. Turenne lui envoya des renforts, et, pour ne pas trop se dégarnir lui-même, fit approcher les Anglais pour protéger avec eux Landrecies et le Quesnoy. Mais le siège de Montmédy fut long. Le roc écartait des murs les travaux d'attaque ; les paysans-des environs, même les femmes, portaient le mousquet sur les remparts ; de vigoureuses sorties entamaient profondément les régiments français : le gouverneur, amputé d'une jambe par une explosion de mine, faisait jurer à tous ses officiers d'attendre la dernière extrémité pour capituler[44]. La place ne se rendit qu'après sa mort, le 6 août. Alors seulement Turenne crut pouvoir rentrer en Flandre ; en trois étapes, il se rendit des bords de la Sambre à Saint-Venant dont la position sur la Lys faisait l'importance.

De nouvelles difficultés l'attendaient à ce siège. L'ennemi avait été presque aussi rapide que lui. Quand l'ennemi est arrivé, dit-il[45], à une heure de moi, je n'avais ni vivres ni munitions de guerre, pas un quart de la ligne faite, et à leur front pas de tout. Il courut chercher quelques vivres à Béthune et à la Bassée, ramena ses bagages avec de grands efforts au milieu d'attaques et de pertes graves, et malgré le voisinage des Espagnols et sous leurs yeux il ouvrit la tranchée. Rebutés par cette assurance, les Espagnols pour faire diversion allèrent menacer Ardres. A peine étaient-ils éloignés, que la pénurie d'argent lui suscita d'autres craintes de la part de ses alliés. Ce que les Anglais ont manqué d'argent, dit-il encore[46], a causé presque un accident en présence de l'ennemi, et le mauvais temps et le manque de payement les fait tomber tout à fait. Turenne les paya lui-même. Il fit couper pour 30.000 livres de sa vaisselle d'argent, et en distribua les fragments, marqués d'une fleur de lis, pour des valeurs de 15, 20, 30, 60 sols, remboursables au moment où l'argent monnayé arriverait[47]. Par ce sacrifice personnel il apaisa la mutinerie anglaise. Les travaux continuèrent, ils n'étaient pas achevés qu'un coup hardi décida le résultat. Une attaque sur la contrescarpe, une des plus difficiles actions qui se soient vues dans les sièges[48], réussit malgré la résistance opiniâtre de la garnison ; un second ouvrage emporté ôta aux assiégés la force et la volonté de tenir plus longtemps. Ils se rendirent le 27 août ; à cette nouvelle l'armée de secours cessa de menacer Ardres.

Turenne n'était pas au bout de ses épreuves. Maintenant les Anglais réclamaient Dunkerque ; le Protecteur grondait de tous ces retards ; l'ambassadeur Lockart parlait haut. Son maitre, disait-il, ne trompait personne, et prétendait aussi n'être pas trompé. Si on ne voulait pas entreprendre ce siège, il conviendrait de rembourser à l'Angleterre toutes les dépenses qu'elle s'était imposées depuis le 1er avril jusqu'au 1er septembre, à raison de 25.000 écus par jour[49]. Mais comment le satisfaire ? On ne pouvait assiéger Gravelines à cause de la bonté de la place, ni Dunkerque parce que l'ennemi était rassemblé sous ses murs en force supérieure. Turenne proposa de prendre d'abord Mardyck, qui serait déjà une position maritime. Il envoya un exprès à Londres pour en porter la proposition, et, avant même d'avoir reçu la réponse, il commença l'entreprise. L'armée passa sur une digue, le seul chemin praticable pour la retraite comme pour l'attaque. De bonnes précautions étaient prises à l'avance ; comme on savait que le bois manquait autour de Mardyck, et que pourtant, si près de Dunkerque, dans le voisinage d'une armée ennemie, il fallait se couvrir dès l'arrivée, la cavalerie portait des palissades et l'infanterie des fascines. Quand on fut dev.ant la place, d'autres obstacles apparurent. Le vent empêchait les vaisseaux alliés d'approcher de la côte, pendant que les bateaux de l'ennemi circulaient à l'aise de Mardyck à Dunkerque ; de là une grande gêne pour les opérations militaires, un retard forcé ; en outre le défaut de fourrages, qui était imminent, ne permettait pas un long séjour dans cette position. Turenne délibéra tout un jour pour ne rien risquer d'impossible ou d'inutile. A la fin, décidé par un de ses lieutenants, il attaqua un petit fort qui se rendit au bout d'une nuit. Cela donna de la confiance pour descendre dans le fossé de la place ; déjà on y jetait des fascines pour le combler, quand les ennemis demandèrent à capituler. Ils essayèrent de débattre les conditions, rompirent deux ou trois fois la trêve en cinq ou six heures, puis se résignèrent à se constituer prisonniers (3 octobre).

Une chose plus difficile que de prendre Mardyck, c'était de le conserver. Il est curieux de voir, dans les lettres de Turenne à Letellier et à Mazarin, les soucis multiples que lui apporte cet intérêt, les fatigues qu'il s'impose pour ne laisser à l'ennemi aucune chance de réparer cette perte. Tout contrariait son dessein. L'armée ne pouvait tenir sur les digues qu'avec des incommodités inexprimables ; la ville de Bourbourg, dans le voisinage, sans fortification, était incapable de couvrir longtemps Mardyck. La désertion commençait, et quoique le maréchal la blâmât en principe, il croyait juste de l'excuser par l'extrême nécessité ; les troupes n'avaient reçu aucun argent depuis le commencement de la campagne ; la cavalerie manquait de pain. Les Anglais tombaient malades en grand nombre, et il fallait peu de temps pour les mettre hors de service. Turenne laissa sept cent Anglais à Mardyck, deux mille hommes à Bourbourg, et lui-même retranché à trois heures de là clans le camp de Ruminghen, il s'occupa des travaux nécessaires pour maintenir la communication entre les postes français, pour tenir en échec l'ennemi qui, malgré la saison avancée, ne se séparait pas encore. Par une persévérance de six semaines, on rétablit les canaux de Calais à l'Aa, on y bâtit des ponts et des forts, on remit Bourbourg en état de défense. Les Anglais, d'abord assez insensibles à la possession de Mardyck, se réveillèrent enfin quand Turenne leur proposa de faire sauter cette place. Il y vint de Londres des palissades, des vivres, du bœuf salé pour la garnison ; les forts endommagés se redressèrent. Le roi acheva de leur rendre la confiance, en leur envoyant tous ses mousquetaires avec les compagnies de gendarmes et chevau-légers du cardinal. Les ennemis renoncèrent dès lors à rien entreprendre contre Mardyck ; mais ils firent hiverner presque toute leur armée dans la Flandre, laissant sur leurs frontières des garnisons beaucoup plus fortes que de coutume. Ils se tenaient prêts aux attaques qui sans doute se dirigeraient sur cette province au printemps suivant, non sans quelque espoir de profiter de l'épuisement auquel était réduite l'armée française. Rien n'annonçait les succès brillants et décisifs que la campagne suivante réservait à la France.

 

 

 



[1] Mémoires de Montglat.

[2] Mémoires de Berthod et de Gourville.

[3] Mémoires de Retz. — Mémoires de Lenet : Lettre de Gourville à Lenet.

[4] Mémoires de Turenne, liv. II.

[5] Instruction donnée par Conti à des négociateurs envoyés en Angleterre. — Mémoires de Lenet ; ces Mémoires ne sont, dans cette dernière partie, qu'une collection des matériaux destinés à la rédaction d'un livre qui n'a jamais été achevé.

[6] Milton, Moyen facile d'établir une société libre. Il déclare que la république doit être gouvernée par un grand conseil perpétuel ; il ne veut pas du remède populaire propre à combattre l'ambition de ce conseil permanent, car le peuple se précipiterait dans une démocratie licencieuse et sans frein. Si l'on donne à tous le droit de nommer tout le monde, ce ne sera pas la sagesse et l'autorité, mais la turbulence et la gloutonnerie qui élèveront bientôt les plus vils mécréants de nos tavernes et de nos lieux de débauche, de nos villes et de nos villages, au rang et à la dignité de sénateur... Qui voudrait voir le trésor de l'État remis aux soins de ceux qui ont dépensé leur propre fortune dans d'infâmes prodigalités ?... Sont-ils faits pour être les législateurs de toute une nation ceux qui ne savent pas ce qui est loi ou raison, juste ou injuste, oblique ou droit, licite ou illicite ; ceux qui pensent que tout pouvoir consiste dans l'outrage, toute dignité dans l'insolence ?... Qui se supposerait devenu d'un cheveu plus libre par une telle race de fonctionnaires, lorsque, parmi ceux qui sont les vrais gardiens de la liberté, il y en a tant qui ne savent ni comment user ni comment jouir de cette liberté, qui ne comprennent ni les principes ni le mérite de la propriété ?

[7] Mémoires inédits de Lenet, 12 décembre 1652.

[8] Mémoires de Lenet, juillet 1652.

[9] Mémoires de Lenet, juin 1653.

[10] Mémoires de Lenet, juin 1654.

[11] Mémoires inédits de Lenet : Lettre de Marigny à Lenet.

[12] Mémoires d'Omer Talon, continués par son fils Denis.

[13] Mémoires inédits de Lenet : 24 décembre 1652, 17 janvier 1653.

[14] Mémoires de Retz.

[15] Retz et Guy Joly.

[16] V. au chapitre X les détails de ces intrigues.

[17] Il disait un jour à Guy Joly : Mon pauvre garçon, tu perds ton temps à me prêcher. Je sais bien que je ne suis qu'un coquin. Mais malgré toi et tout le monde, je le veux être, parce que j'y trouve plus de plaisir. Je sais que vous êtes trois ou quatre qui me connaissez et me méprisez dans le cœur ; mais je m'en console par la satisfaction que j'ai d'imposer à tous par votre moyen même. On y est si bien trompé, et ma réputation est si bien établie, que quand vous voudriez désabuser les gens, vous n'en seriez pas crus ; ce qui me suffit pour être content et vivre à ma mode. (Mémoires de Guy Joly.)

[18] Mémoires de Retz, Gay Joly, Rapin.

[19] Motteville, Montglat.

[20] Mémoires de Gourville : V. les détails au chapitre X.

[21] Mémoires inédits de Lenet.

[22] Mémoires inédits de Lenet.

[23] Mémoires de Turenne, liv. III.

[24] Mémoires du comte de Brienne.

[25] Mémoires inédits de Lenet.

[26] Mémoires de Turenne.

[27] Lettre de Turenne à Letellier : Des prisonniers de l'ennemi dirent aux nôtres que Monsieur le Prince avait voulu venir au-devant de l'armée, mais que les Espagnols avaient désiré de continuer le siège.

[28] Mémoires de Lenet : Lettre de Longchamps à Saint-Agoulin.

[29] Mémoires de Retz, Joly, Rapin.

[30] Mémoires de Turenne et du duc d'York.

[31] Les historiens jansénistes avouent les démonstrations faites par Duhamel et les autres en faveur de Retz, et rapportent leur exil à cette alliance entre la secte et la révolte. V. Mémoires de Feydeau.

[32] Mémoires de Lenet.

[33] Motteville.

[34] Ce n'est pas nous qui le faisons dire à Joly, confident de Retz et témoin oculaire. V. au chapitre suivant, le détail des aveux de Guy Joly.

[35] Mémoires de Guy Joly.

[36] Mémoires de Turenne.

[37] Mémoires inédits de Lenet : Juin 1655.

[38] Mémoires du comte de Brienne et, de Turenne. Mémoires du duc d'York.

Si l'on en croit Colbert, Mazarin donnait de sa conduite, en cette circonstance, une excuse vraiment dérisoire, qui n'a pu tirer une apparence de raison que du bonheur des événements : Dans le temps que le premier traité avec l'Angleterre fut conclu, le roi de ce royaume et la reine sa mère ayant fait de grandes plaintes de ce traité, le cardinal Mazarin leur dit qu'il produirait le rétablissement dudit roi, parce que la jonction des armes des doux nations ferait la paix avec l'Espagne, et qu'ensuite la prétendue république d'Angleterre tomberait d'elle-même et ne pourrait jamais soutenir la crainte qu'elle aurait des forces des deux rois ; et ce pronostic, qui paraissait si éloigné de vraisemblance, n'a pas laissé d'être trouvé bien véritable par l'événement. Colbert, Mémoires pour servir à l'histoire, 1663.

[39] Mémoires de Brienne.

[40] Mémoires de Turenne.

[41] Motteville. Lettres de Colbert à Mazarin.

[42] Guy Joly, René Rapin.

[43] Voyage de deux Hollandais à Paris en 1657 et 1658.

[44] Voyage de deux Hollandais.

[45] Lettre de Turenne à Letellier.

[46] Lettre de Turenne à Letellier.

[47] Voyage de deux Hollandais en France. — Il va sans dire que Turenne ne parle nulle part de cette libéralité.

[48] Mémoires de Turenne.

[49] Voyage de deux Hollandais à Paris.