ON distinguait alors de la foule des prétendants le dauphin, le comte de Rivière, et Maximilien. LE DAUPHIN. Louis de Bourbon, évêque de Liège, oncle de la princesse, témoignait autant d'ardeur pour l'alliance du dauphin, que Louis XI témoignait d'indifférence. Il obligeait au moins des insensibles, peut-être même des ingrats, s'il est vrai, comme l'insinuent des anecdotes assez suspectes, que la cour de France, pour payer les services de ce zélateur imprudent, appuya la conspiration de La Mark, son traître favori, qui dans la suite lui fendit la tête à coups de hache, et jeta son corps dans la Meuse [1482]. La princesse avait sincèrement recherché l'alliance des Français, tant qu'elle avait cru pouvoir compter sur leur bonne foi ; mais le sang de Hugonet et d'Imbercourt lui criait vengeance. Le roi avait causé leur mort, en remettant aux Gantois la lettre de créance qu'elle lui avait écrite. Ce coup violent avait rompu tous les nœuds qui attachaient la princesse à la France, en manifestant la haine que le roi conservait pour la maison de Bourgogne, et qu'il signalait tous les jours par de nouveaux traits. Pouvait-on attendre de lui une paix solide, et une amitié véritable, après tout ce qui s'était passé ? L'écrivain très ingénieux et très éclairé, qui a su employer en philosophe les matériaux immenses que M. l'abbé Le Grand avait recueillis en savant, croit, contre l'opinion de Philippe de Comines, que Louis XI avait toujours souhaité pour son fils la main de la princesse ; qu'il se trompa seulement dans le choix des moyens par lesquels il crut pouvoir assurer ce mariage ; mais qu'on n'a point de raisons suffisantes de soupçonner la sincérité des démarches qu'il fit publiquement pour arriver à ce but. Ce serait sans doute mal détruire ce système nouveau et brillant que d'opposer à M. Duclos la seule autorité de Philippe de Comines. Quoique la part que ce seigneur à eue aux affaires, la familiarité dans laquelle il a vécu avec Louis XI, l'étude particulière qu'il a faite du caractère de ce prince, rendent cette autorité' très puissante ; ce n'est toujours qu'une autorité. Mais c'est à la conduite du roi à expliquer ces projets. Eh ! comment croire qu'il désirât sincèrement pour bru celle qu'il traitait impitoyablement en ennemie ? Comment présumer qu'il recherchât une main qu'on ne cessait de lui offrir, et qu'il ne cessait de refuser ? On lui demandait la paix, on le laissait maître des conditions : pourquoi donc tant de violences, tant d'artifices, tant de conquêtes, tant de villes forcées ou surprises, tant de sujets corrompus, tant de traits de vengeance et de cruauté prodigués, tant de gibets et d'échafauds dressés, tant de révoltes suscitées ou fomentées ? Pourquoi renvoyer sans rien conclure les ambassadeurs, les favoris de la princesse, dépositaires de tous ses secrets, honorés de toute sa confiance, revêtus de toute son autorité ? Pourquoi préparer leur mort en armant contre eux la barbare insolence de leurs persécuteurs ? Pourquoi irriter les députés gantois contre la princesse, et la princesse contre la France, par l'abus de confiance le plus criminel ? Ce roi si clairvoyant, si habile, qui connaissait si bien la liaison des effets avec leurs causes, ne faisait-il que se tromper, en employant des moyens si directement .contraires au projet qu'on lui suppose ? Ne reconnaît-on pas plutôt, à tant de caractères, cette haine que tous les historiens lui ont reprochée, cette haine implacable, quelquefois dissimulée, jamais étouffée, retenue par prudence pendant les dernières années de la vie de Charles, et qui à sa mort se déchaîne avec fureur sur les restes malheureux de la branche ducale de Bourgogne. Si le roi prit les armes après la mort du duc, il le devait, dit-on, pour réunir à sa couronne les provinces auxquelles il prétendait avoir droit. Mais ces droits qu'il prétendait exercer, réels ou chimériques, n'étaient-ils pas combattus par des droits contraires ; et la meilleure preuve de l'éloignement du roi pour l'alliance de Bourgogne ne se tire-t-elle pas du parti même qu'il prit d'appuyer par les armes des droits trop incertains, qui ne pouvaient acquérir une légitimité entière qu'en se confondant avec les droits plus évidemment justes de la princesse ? On est bien éloigné de vouloir disputer à un roi qui eut si peu de vertu les talents qui pouvaient lui en tenir lieu ; mais il faut convenir que toute cette politique, si admirée et si vantée, n'était le plus souvent qu'une finesse artificieuse, qui excellait dans les détails, et qui manquait presque toujours par sa faute les grands objets. Si Louis XI avait employé, pour réunir la France et la Bourgogne par le mariage du dauphin avec la princesse, et pour s'assurer en tout événement, par des traités solides, les provinces prétendues réversibles, tout l'art qu'il prodigua pour gagner Comines, Descordes, Vergy, Bische, le prince d'Orange, etc. pour tromper Hugonet et d'Imbercourt, pour soulever les Gantois, pour surprendre les places dé la Somme ; pour s'introduire dans les deux Bourgognes, il eût épargné à sa postérité, il se fût épargné à lui-même les troubles éternels, fruits de sa vengeance imprudente et odieuse : sa mémoire serait aujourd'hui respectée et bénie de tous les Français, comme celle de ce Charles-le-Sage, qui sans finesse, sans violence, sans injustice, avait su fermer les plaies que les Anglais avaient faites à la France sous les règnes malheureux de Philippe-de-Valois et de Jean. On loue avec raison l'adresse avec laquelle Louis XI divisa, écarta cette ligue terrible, formée sous le nom du bien public ; mais on oublie d'observer que si sa prudence dissipa cet orage, son imprudence l'avait formé ; on oublie que Louis XI, à peine monté sur le trône, avait signalé son ressentiment contre les ministres de son père par la destitution et l'emprisonnement ; qu'il avait irrité par toute sorte d'outrages des vassaux orgueilleux et puissants qu'il fallait ménager ; qu'enfin, par une conduite trop haute et trop dure, il avait, pour ainsi dire, poussé à la révolte des sujets peu dociles et peu façonnés au joug. Combien est plus grand un roi sage, qui par une modération constante et ferme, inspirant à ses voisins une terreur salutaire, à ses sujets un respect filial, maintient les uns et les autres dans la paix, qui peut seule faire la félicité des États, et n'a rien à combattre ni à punir, parce qu'il a tout prévenu ! Une réflexion bien naturelle sur deux événements célèbres fait voir combien la franchise et la simplicité sont souvent préférables à tous ces détours, à tous ces raffinements que l'erreur honore du nom de politique. Louis XI, cet artisan subtil de fraude et de séduction, cette âme profonde et dissimulée, dont l'œil le plus perçant pouvait à peine sonder les replis, manque l'alliance de Bourgogne, le plus grand coup d'État et le plus aisé ; tandis que Charles VIII, si naïf, si bon qu'il n'était possible, dit Philippe de Comines, de voir une meilleure créature, rejoint par un hymen utile la Bretagne à la France ; et que Louis XII, dont toute la politique consistait dans la vérité, dans la vertu, affermit, en satisfaisant son cœur, cette réunion[1] si désirée, que Louis XI avait encore manquée, et qui était la plus importante après celle de la Bourgogne. Par tout ce qu'on a dit plus haut, il est évident que Louis Xi ne voulut pas faire le bonheur de ses peuples, en faisant celui de Marie, et qu'il écouta trop la haine et la vengeance. Mais, dira-t-on, Philippe de Comines convient lui-même que, quelque temps avant la mort de Charles, Louis XI, paraissant prévoir cette mort, se proposait en ce cas de marier le dauphin avec la princesse. Je réponds 1° que l'impénétrable Louis XI, raisonnant avec ses courtisans sur la supposition d'un événement incertain, pouvait cacher ses sentiments, pour être plus sûr des leurs. 2° Qu'il pouvait ignorer lui-même les dispositions que cet événement ferait naître dans son âme lorsqu'il serait arrivé ; que peut-être il croyait alors pouvoir étouffer une haine qui fut dans la suite plus puissante que ses réflexions. 3° On peut supposer encore avec Philippe de Comines, que Louis XI, après la mort de Charles, n'entra d'abord en Bourgogne et en Picardie que pour prévenir les intrigues de ses compétiteurs ; mais que la facilité avec laquelle il conquit ces provinces lui persuada qu'il pourrait envahir ainsi toute la succession de Bourgogne, sans s'allier avec un sang ennemi. 4° Enfin, au défaut de toute autre raison, il en resterait une toujours suffisante pour expliquer les phénomènes historiques les plus surprenants : c'est l'inconstance naturelle de l'homme, la promptitude avec laquelle il passe d'une résolution à une autre ; surtout la faiblesse avec laquelle il cède presque toujours au penchant secret de son cœur, malgré tous les motifs de le combattre. Quoi qu'il en soit au reste de la sincérité des vues de Louis XI pour le mariage du dauphin, il est certain qu'après l'aventure de la lettre livrée aux Gantois, Marie eut cette alliance en horreur, et que dans un conseil où l'on en discutait les propositions, la dame d'Halluïn, darne d'honneur de la princesse, sûre d'être avouée par elle, dit hautement : Nous n'avons pas besoin d'un enfant, mais d'un mari qui en fasse. Cette naïveté sans réplique entraîna tous les suffrages. LE COMTE DE RIVIÈRE. L'alliance du comte de Rivière n'était point à dédaigner. Ce seigneur aimable, brillant, fait pour plaire, était frère de la reine d'Angleterre ; et cette reine gouvernait entièrement Édouard IV son mari, qui l'avait épousée par une inclination plus forte que la raison d'État. Les Anglais depuis longtemps influaient fort peu sur les révolutions de la France. Des affaires trop importantes les occupaient, trop de sang coulait chez eux et dans les batailles et sur les échafauds. Les fureurs de la rose rouge et de la rose blanche, l'imbécilité de Henri VI, le courage de Marguerite d'Anjou, la puissance et les victoires du comte de Warwick, les divers succès d'Édouard IV, remplissaient leur île de scènes trop frappantes et trop variées, pour que leur inquiétude pût s'exercer au-dehors. Ils avaient presque oublié de haïr les Français. La princesse de Bourgogne, suivant la route que ses pères lui avaient tracée, essaya de réveiller cette haine, plutôt assoupie qu'étouffée ; et la duchesse douairière de Bourgogne, sœur d'Édouard, appuya vivement ses sollicitations. Le duc de Bretagne, qui craignait toujours pour ses États, et qui avait intérêt de ne pas laisser envahir ceux de Bourgogne, négociait aussi, mais sourdement, avec la cour de Londres. Cependant il envoyait à Louis XI des ambassadeurs pour renouveler les traités. Louis, qu'on ne trompait pas aisément, les traita comme des espions, les fit mettre en prison, les en tira ensuite pour leur montrer les preuves de l'infidélité de leur prince, et après les avoir fait trembler pour leur vie, les renvoya, en leur accordant le renouvellement des trêves, qui fut acheté par la rupture apparente des négociations avec l'Angleterre. Le roi avait toujours les yeux ouverts sur toutes les démarches de cette nation, autrefois si fatale à la France. Des intelligences sûres, et beaucoup d'argent répandu à propos pour les rendre plus sûres encore, lui dévoilaient tous les secrets du conseil d'Angleterre. Presque tous les ministres anglais étaient pensionnaires de Louis XI, et s'en cachaient si peu, qu'ils donnaient des quittances qui étaient produites à la chambre des comptes. Le lord Hastings, grand chambellan, fut le seul qui jugea ce négoce assez honteux pour n'en vouloir que le profit, et pour sauver du moins les apparences, en ne donnant aucun reçu. Édouard, endormi sur le trône, ignorait ou approuvait tout. Ce prince, éprouvé autrefois par l'adversité, avait su vaincre Warwick, et conquérir plusieurs fois son royaume ; mais la mollesse, plus redoutable que Warwick, l'avait vaincu à son tour, et avait dégradé en lui tous les traits de l'héroïsme. Un embonpoint démesuré l'avait appesanti, l'expérience lui avait montré le néant de la gloire. Une pension de cinquante mille écus exactement payée à chaque terme, lui paraissait plus réelle. D'ailleurs, le mariage de sa fille avec le dauphin avait été arrêté à Pequigny. Il est vrai que Louis ne se pressait pas de le conclure, mais il donnait des espérances et de l'argent ; et on s'en contentait. Cependant le parlement s'assemblait, délibérait, et murmurait. Excité par les ambassadeurs de Bourgogne, qui, mal accueillis à la cour, s'étaient tournés du côté du peuple, il criait qu'il était également honteux et dangereux de laisser dépouiller l'héritière de cette maison par qui les Anglais s'étaient vus maîtres de .la France ; que l'ambition de Louis croissait tous les jours avec sa puissance ; que si ses vassaux opprimés et détruits n'avaient plus aucune barrière a lui opposer, les Anglais perdraient sans ressource les semences précieuses de ces divisions qui leur avaient ouvert l'entrée de la France, et qui pouvaient la leur-ouvrir encore. Louis XI, ajoutait-on, brave la nation anglaise par ses entreprises, l'éblouit par ses artifices, l'aveugle par ses présents. Envoyait-il chercher la princesse d'Angleterre ? Satisfaisait-il à cet article important du traité de Pequigny ? Il trompait à la fois et la princesse d'Angleterre, qu'il fallait établir ailleurs, et la princesse de Bourgogne, qu'il fallait défendre contre ses violences. Ces plaintes devinrent si publiques et si éclatantes, que le roi d'Angleterre se crut obligé d'y avoir quelque égard. Il envoya en France des ambassadeurs demander la paix ou une trêve en faveur de Marie. Louis XI démêla tout ce que cette démarche cachait de faible sous les nobles apparences de médiation et de protection accordée aux souverains. Il vit qu'Édouard était fidèle à son nouveau caractère d'indolence et de lenteur il fut fidèle aussi à son ancienne politique. Des fêtes, des plaisirs de toute espèce amusèrent les ambassadeurs. Les longueurs étudiées d'une négociation stérile les retinrent longtemps sans aucun fruit. Des présents les rendirent favorables aux vues du roi. On les renvoya enfin, mais très tard, en les assurant qu'on allait faire partir des ambassadeurs qui satisferaient pleinement le roi d'Angleterre. Cependant la reine n'avait qu'à dire un mot, Édouard pouvait encore reprendre les armes, et redevenir un héros par faiblesse, comme il l'avait été autrefois par nécessité. La reine trouvait une très belle occasion d'établir avantageusement son frère : elle la saisit. On offrit aux ambassadeurs de la princesse d'armer en faveur de ce mariage toutes les forces de l'Angleterre. Louis XI, effrayé de cette nouvelle, fit partir en diligence pour Londres les ambassadeurs qu'il avait promis d'envoyer, et qui, sans cet incident, ne fussent peut-être jamais partis. Ils offrirent au roi d'Angleterre de partager avec la France les dépouilles de Marie, et d'acquérir le comté de Flandre, en fournissant dix mille Anglais, qui seraient à la solde des Français. Ces offres de partager une conquête à faire furent rejetées avec la même finesse qu'elles étaient proposées. On affecta de les croire sincères, on parut seulement douter du succès d'une expédition que tant de places fortes devaient rendre si longue et si difficile. Mais, ajouta-t-on, puisque le roi de France veut bien nous associer et à la gloire et à l'avantage de ses conquêtes, nous sommes prêts à lui fournir les troupes qu'il demande, pourvu que le prix soit moins incertain, moins éloigné, pourvu qu'on nous donne dès à-présent Boulogne, et les autres places de la Picardie maritime qui sont à notre bienséance. Le roi se voyant pénétré ne répliqua rien, et chercha d'autres moyens d'enlever à Marie l'appui de l'Angleterre. Mais toute sa politique eût sans doute échoué contre le pouvoir de la reine sur son mari, et contre le crédit de la duchesse douairière de Bourgogne auprès de son frère, si Marie elle-même n'eût tiré son ennemi d'embarras, par le refus qu'elle fit de la main du comte de Rivière. Ce seigneur n'étant pas souverain, ne lui parut pas digne d'elle. La reine d'Angleterre, qui ne lui vendait qu'à ce prix le secours d'Édouard, rendit ce prince à son indolence naturelle. Mais la duchesse douairière, amie sincère de Marie, lui resta : elle continua de négocier en Angleterre, et cependant appuya de tout son pouvoir la poursuite de Maximilien. MAXIMILIEN. Il fallait un défenseur à la princesse et contre le roi, dont les conquêtes augmentaient tous les jours, - et contre les Gantois, dont les fureurs pouvaient recommencer. Le prince de Clèves, le duc de Clarence, qui prétendaient à sa main, n'avaient que de la faiblesse à lui offrir : on a même cru que la mort de ce dernier, nové par ordre d'Édouard IV, son frère, dans un tonneau de malvoisie, avait été le fruit de ses démarches auprès de la princesse, à laquelle Édouard lui avait défendu de penser. Maximilien n'était pas encore puissant, mais il devait l'être un jour : il pouvait dès-à-présent tirer du secours de l'Allemagne. D'ailleurs un penchant très estimable entraînait Marie à cette alliance. Maximilien était le prince sur lequel le choix du duc Charles avait paru le plus prêt à s'arrêter ; il était même vraisemblable que sans les incidents qui avaient rompu si brusquement l'entrevue de Trèves l'affaire aurait pu se terminer ; et malgré cette rupture, le duc n'avait apparemment pas perdu tout désir de renouer, puisqu'il avait trouvé bon que Maximilien gardât la promesse de mariage que la princesse de Bourgogne lui avait donnée par son ordre comme elle en avait donné une auparavant au duc de Calabre. L'empereur Frédéric, instruit par la duchesse douairière des dispositions de la princesse, lui envoya une ambassade solennelle, que le duc de Clèves, qui n'a-voit pas encore perdu toute espérance pour son fils, tâcha vainement de traverser. Les ambassadeurs s'étaient avancés jusqu'à Bruxelles : il leur envoya défendre d'en sortir jusqu'à nouvel ordre ; et cependant il fit les derniers efforts dans le conseil pour obtenir qu'on les renvoyât sans les entendre. Mais les ambassadeurs, instruits par la duchesse douairière qu'ils pouvaient violer cette défense, et que le succès de cette affaire dépendait de leur diligence, osèrent passer outre : ils arrivèrent à Gand, ils furent admis, ils présentèrent à Marie sa promesse, qu'elle reconnut avec plaisir, et qu'elle promit d'exécuter. Le duc de Clèves trouva que, par ce libre aveu de ses sentiments, la princesse avait manqué aux bienséances de son sexe. On le laissa dire. Les ambassadeurs contents portèrent à l'empereur cette heureuse nouvelle. Louis l'apprit, et reconnut trop tard la faute qu'il avait faite, en révoltant ce cœur soumis et pacifique, qui s'offrait à lui, et en le forçant de se jeter dans des bras étrangers. Il voulut tout réparer, il sollicita instamment cette alliance qu'il avait rejetée ; et ses sollicitations purent alors être sincères. Il fit aussi passer en Allemagne Robert Gaguin, général des Mathurins, — dont nous avons une histoire de ces temps-là — avec ordre d'employer tout pour empêcher le mariage de Maximilien avec la princesse. C'était précisément celui que le roi avait le plus redouté. La maison d'Autriche, accrue des vastes États de Marie, allait emporter la balance. Les intrigues de Gaguin, ministre sans caractère, et peut-être sans talents, se bornèrent à quelques tentatives inutiles pour soulever les princes d'Allemagne, qui restèrent dans le parti de l'empereur. Le mariage se fit ; mais l'empereur déploya en cette occasion, aux yeux de toute l'Europe, l'indécent excès de la plus sordide avarice. Non seulement il ne donna rien à son fils en faveur d'une si grande alliance, pour laquelle il n'eût dit rien épargner ; mais il refusa même de faire les frais du voyage. Il crut avoir assez fait pour la princesse, en décorant son mari de quelques titres pompeux et frivoles, en érigeant pour lui l'Autriche, qu'il devait posséder un jour, en[2] archiduché, en l'investissant du duché de Gueldres et du comté de Zutphen, qu'il prétendait être dévolus à l'empire par la mort du duc de Bourgogne. Sans vouloir examiner le mérite de cette prétention, il est au moins très vraisemblable que l'empereur ne la forma qu'afin de paraître donner quelque chose à son fils, lorsque Marie lui donnait tout. Maximilien n'apporta donc en mariage que sa bonne mine, ses espérances, quelques dispositions pour la guerre, et un désir ardent de combattre l'ennemi commun. La magnificence de Marie suppléa au reste. Ce fut le 20 août 1477, que l'évêque de Tournay donna la bénédiction à ces deux augustes époux. Ce jour est l'époque mémorable de l'élévation de la maison d'Autriche, défia illustrée plusieurs fois par l'empire. Elle sut dans la suite accroître sa force par les mêmes moyens qu'elle l'avait acquise. De grandes alliances, ménagées avec sagesse, mirent sur sa tête presque toutes les couronnes de l'Europe ; et c'est peut-être la seule puissance qui se soit élevée si haut sans le secours de la guerre. C'est ce qu'on a exprimé dans un distique latin, dont le sens principal peut être rendu par ces quatre vers français : De myrte et d'olivier que l'hymen te couronne : Triomphe, heureuse Autriche ! au sein d'un doux loisir ; Les sceptres à ta main vont eux-mêmes s'offrir ; Mars les vend aux guerriers, et Vénus te les donne. |
[1] Ce terme de réunion, pris à la rigueur, pourrait paraître impropre en cet endroit, les lettres de réunion n'ayant été données que par François Ier, en 1532. Mais le principe de cette réunion était le mariage d'Anne de Bretagne avec Charles VIII, et surtout avec Louis XII.
[2] Les historiens sont partagés sur l'auteur et sur l'époque de cette érection. Les uns l'attribuent à Frédéric, les autres à Maximilien lorsqu'il fut parvenu à l'empire. Mézeray l'attribue à Frédéric, et dit, qu'il la fit en faveur de Maximilien, non à l'occasion de son mariage avec Marie de Bourgogne, mais à l'occasion d'un autre mariage, projeté en 1488, entre le même Maximilien et une fille de Ferdinand-le-Catholique et d'isabelle de Castille. D'autres disent que cette érection fut faite en faveur du premier mariage de Maximilien ; mais qu'elle éprouva quelque opposition de, la part des princes de rein-pire, et qu'elle n'eut lieu qu'après qu'elle eut été ratifiée solennellement dans la diète de Francfort, en 1488. Ou donne ici partout le titre d'archiduc à Maximilien, parce qu'il le prenait, et qu'Olivier de La Marche, son premier maître-d'hôtel, le lui donne toujours, aussi bien que Pierre Matthieu, Dunod, le P. Daniel, et plusieurs autres qu'on croit devoir suivre, malgré l'exemple contraire de quelques modernes.