LA guerre des Saxons n'était pas encore terminée, mais elle touchait à sa fin (797, 798, etc.) ; ces peuples, découragés par tant de défaites, affaiblis par tant de massacres et par diverses transplantations, ne se défendaient encore que parce qu'ils préféraient la mort à la servitude. Les Huns étaient subjugués, Charlemagne était maître de presque toute la Germanie ; mais ses conquêtes, comme nous l'avons dit, aboutissaient à trouver au-delà des ennemis vaincus, un nouvel ennemi qui pouvait lui être plus funeste, et qui le fut à sa postérité. Cet ennemi, c'étaient les Danois ou Normands. Godefroy, leur roi, avait conservé les impressions qu'il avait reçues de Vitikind, son ami, et l'ami de Sigefroy son prédécesseur ; et quoique Vitikind se fût converti et soumis, quoiqu'il fût devenu le disciple et l'ami de Charlemagne, Godefroy n'avait pas changé comme lui de sentiments ; d'ailleurs il n'avait besoin des suggestions de personne pour sentir combien cette puissance de Charlemagne, accrue par tant de conquêtes, devenait redoutable pour lui ; elle l'était à tel point, depuis qu'il n'y avait plus entre lui et Charlemagne la barrière des Saxons, qu'elle le forçait à des ménagements politiques, et le réduisait à prendre des voies détournées pour nuire à la France ; il sentait qu'il aurait dû s'attacher avec plus de soin à fortifier cette barrière, et que, depuis qu'elle était à-peu-près renversée, il était tard de vouloir s'opposer au vainqueur. Il se garda bien de l'attaquer du côté de la terre, il n'eût fait peut-être que lui fournir une occasion de joindre la Chersonèse cimbrique à ses autres conquêtes ; mais la mer était à lui ; Charlemagne qui suffisait à tant de choses, mais qui ne pouvait suffire à tout, avait négligé jusqu'alors ce moyen de puissance. Les rois mérovingiens, comme on peut croire, ne lui avaient point laissé de marine, et Pepin son père, principalement occupé des affaires d'Italie, n'avait point tourné ses vues du côté de la mer. Les vaisseaux de Godefroy infestaient tous les parages, et menaçaient toutes les côtes ; Charlemagne avait à défendre contre eux plus de six cents lieues de côtes sur l'Océan seul, depuis l'embouchure de l'Elbe jusqu'au-delà de Fontarabie ; de plus, il les retrouvait même du côté de la Méditerranée, puisque ce fut d'un port du Languedoc qu'il les aperçut pour la première fois, ce qui lui arracha des larmes prophétiques sur les maux réservés à ses descendants. Les navires des Danois étaient si légers, et prenaient si peu d'eau, que ces corsaires pouvaient remonter les fleuves, entrer dans l'intérieur des terres, et choisir, les lieux qui fournissaient le plus à leurs ravages. Charlemagne, pour la défense des côtes, fit fortifier avec soin toutes ses places maritimes[1], comme on savait alors fortifier les places : pour préserver des courses des Normands les bords des rivières et l'intérieur des terres, il fit construire avec une diligence presque incroyable une multitude de navires, qu'il plaça aux embouchures des fleuves, et qui empêchaient les Normands de les remonter [800]. Quelles que fussent les difficultés, une volonté forte, de grands moyens, employés avec intelligence et avec activité, surent en triompher ; Charlemagne eut une marine purement défensive : il aurait été à souhaiter que ses forces de terre se fussent bornées de même à la défense ; mais enfin, grâce à ses soins prévoyants et actifs, il n'eut plus rien à craindre des Normands, ni par terre, ni par mer. En Espagne, il était arrivé diverses révolutions ; presque tout ce que Charlemagne avait conquis était retombé sous la domination des Sarrasins [797]. Nous avons dit que les Sarrasins ou Maures d'Espagne avaient secoué le joug du calife ; ils s'étaient fait un calife ou roi particulier, dont la résidence était à Cordoue, et qui était la plus grande puissance de l'Espagne ; le reste de cette contrée était partagé entre divers petits souverains, que le roi de Cordoue cherchait à soumettre ; il avait de plus à combattre le roi de Galice, Alphonse-le-Chaste, prince goth et chrétien, qui défendait avec courage et avec succès les restes de la puissance des Goths en Espagne. Issem, roi de Cordoue, s'était fait encore d'autres ennemis, en voulant, selon l'usage barbare de quelques Orientaux, faire périr ses deux frères Zulema et Abdalla, lorsqu'il eut un fils pour lui succéder[2] ; manière de se procurer la sûreté, qui a si souvent et si justement coûté le trône et la vie aux despotes d'Asie qui l'ont voulu employer. Les deux frères, échappés à la cruauté d'Issem, s'étaient sauvés en Afrique. Abdalla reparut en Espagne après la mort d'Issem, s'y fit un parti, et donna beaucoup d'embarras au jeune Abulas son neveu, fils d'Issem. Ce désordre des affaires d'Espagne enhardit un aventurier, nommé Zatus, simple particulier parmi les Sarrasins selon les uns, émir ou prince selon les autres, à tenter fortune ; il s'empara de Barcelone, et quand il l'eut prise, il trouva le fardeau dont il s'était chargé trop pesant pour lui ; il ne songea plus qu'à en acheter la protection de quelque grande puissance qui pût faire prévaloir son parti. Ce fut à Charlemagne qu'il remit cette place, dont il ne se réserva que le gouvernement. Il vint lui rendre hommage à Aix-la-Chapelle, et Charlemagne envoya le roi d'Aquitaine son fils faire la guerre en Espagne pour les intérêts de ce Zatus. Louis fit d'abord le siège d'Herda ou Lérida [801], place alors peu fortifiée, et qui, dans nos temps modernes[3], a été l'écueil du comte d'Harcourt et du grand Condé. Louis prit Lérida, et leva le siège d'Osca, léger affront dont il se vengea cruellement par le ravage des campagnes voisines. On s'apercevait cependant d'une grande différence entre la manière dont Charlemagne faisait la guerre, et celle dont la faisait Louis, dit le Débonnaire[4] ; ce n'était plus cette impétuosité foudroyante à laquelle rien ne pouvait résister ce n'étaient plus ces trois armées qui fondaient à-la-fois sur un même pays par trois endroits différents ; c'était une irrésolution dans les conseils, et une lenteur dans l'exécution, dont il fallait bien que le succès se ressentît ; c'étaient des sièges témérairement entrepris, faiblement suivis, honteusement levés. Zatus, qui avait compté sur un appui plus solide, abandonna les Français, fit sa paix avec Abulas, et lui remit Barcelone, dont il fallut faire le siège, qui fut sans succès ; car c'était toujours le roi d'Aquitaine qui commandait, le roi d'Aquitaine, plus moine que roi et que général, aussi indifférent sur la gloire militaire et sur la grandeur royale, qu'exact et zélé sur les pratiques de dévotion. La France ne fit que changer d'alliés en Espagne ; ceux qu'elle y acquit pouvaient la dédommager de la défection de Zatus, qui d'ailleurs s'étant remis imprudemment entre les mains du roi d'Aquitaine, qu'il voulait tromper de nouveau, fut retenu prisonnier. Ah-dalla, hors d'état de résister à la puissance d'Abulas son neveu, vint à Aix-la-Chapelle implorer la protection de Charlemagne. D'un autre côté, Alphonse envoyait au même Charlemagne des ambassadeurs et des présents, et l'appelait aussi à son secours ; pour l'exciter, il lui faisait part de tous ses succès : il avait pris et pillé Lisbonne ; il envoya au monarque français sa part du butin, comme si les Français avaient eu part à la victoire ; il ne cessait de l'exhorter à suivre le plan que nous avons tracé plus haut[5] ; il voulait que Charlemagne prît plus de part aux affaires de l'Espagne ; il voulait que ce grand prince entreprît d'y rétablir la monarchie chrétienne, d'en chasser entièrement les Maures, et de s'en faire le souverain ; il offrait de lui faire hommage de son royaume de Galice ; il se nommait déjà d'avance son homme et son vassal [802]. Charlemagne ne fit pas peut-être à cette proposition autant d'attention qu'elle en méritait : entraîné par les affaires de la Germanie, auxquelles il s'obstinait à donner la préférence, il se contenta de faire entretenir faiblement la guerre en Espagne par le faible roi d'Aquitaine, qui n'y eut point de succès, et il continua d'opprimer la Saxe. C'était préférer à la plus riche contrée de l'Europe un désert mille fois dévasté : il faut l'avouer, Charlemagne ne mit pas même de politique dans le choix de ses conquêtes ; il semblait que l'échec de Roncevaux l'eût dégoûté pour jamais. des conquêtes d'Espagne ; c'était donner à cet échec trop d'importance et justifier celle qu'affectaient d'y mettre les Espagnols. On fut plus heureux dans les îles que dans le continent de l'Espagne : les Sarrasins étaient alors, comme les Danois, une puissance maritime ; ils étaient le fléau de la Méditerranée, comme les Danois de l'Océan ; des pirates maures s'étaient emparés des îles Baléares, ou îles Majorque et Minorque, d'où ils pouvaient infester les provinces méridionales de la France, la partie de l'Espagne qui appartenait encore aux Français, et toutes les côtes de l'Italie ; les insulaires, maltraités par ces pirates, implorèrent la protection de Charlemagne, et l'obtinrent ; les Maures furent chassés de Baléares [799], et ces îles furent ajoutées à l'empire français. Tous les faibles, tous les opprimés, tous les malheureux avaient recours à la puissance bienfaisante de Charlemagne. S'il était la terreur du monde par ses exploits, il en était l'espérance par ses vertus, et l'amour par ses bienfaits. Il faut publier à la gloire des souverains, qu'on vit alors régner une amitié sincère et personnelle entre les deux plus illustres monarques, entre les deux héros, l'un de l'Orient, l'autre de l'Occident. Charlemagne et le calife Aaron Rachid[6] étaient bien plus unis par l'heureuse conformité de leurs grandes âmes, et par le respect qu'ils avaient pour le caractère l'un de l'autre, que par les intérêts politiques. Aaron Rachid qu'on appelait en France le Charlemagne de la Perse, et Charlemagne qu'on appelait en Perse le Rachid de la France, étaient à la vérité placés aux deux extrémités opposées de l'empire grec ; et ils auraient pu le presser, chacun de leur côté, s'ils avaient voulu s'agrandir à ses dépens : il est difficile de croire qu'ils aient été absolument sans vues et sans projets à cet égard ; mais ces projets en sont toujours restés à la simple spéculation, sans passer jusqu'à l'exécution. Ces deux princes, qui ne se virent jamais, avaient conçu l'un pour l'autre, sur leur réputation, une inclination naturelle, bien supérieure aux liaisons intéressées de la politique ; ils cherchaient à se complaire, à se prévenir dans les moindres choses [802] ; les présents qu'ils se faisaient l'un à l'autre étaient toujours, par le choix, par le moment, par les circonstances, une marque d'estime et un témoignage d'amitié. Aaron sut que Charlemagne désirait d'avoir un éléphant, cet animal était alors un grand objet de curiosité en France, Aaron s'empressa de lui envoyer le seul qu'il eût pour le moment. On croit que c'est le premier éléphant qui ait paru en France. Par le soin que les historiens ont pris de nous conserver son nom — Abulabaz —, et de marquer l'année de son arrivée en France (801), et celle de sa mort (810), on voit que cet animal fut fort considéré en Europe. Eginard et les auteurs des annales de Metz et de celles de Moissac, ont pris plaisir à décrire quelques uns des présents d'Aaron ; et il ne sera peut-être pas hors de propos de les décrire d'après eux, pour donner une idée de l'état où étaient alors les arts en Perse et même en France où on admirait ces présents. On vante surtout une tente du lin le plus fin, et d'une grande variété de couleurs, élevée à tel point, qu'un trait lancé par le bras le plus vigoureux n'en pouvait atteindre le sommet. On peut juger en effet de cette élévation par l'étendue intérieure de la tente, qui contenait autant d'appartements que le plus vaste palais. On admirait encore une horloge d'eau, dont l'artifice a tant été imité depuis sous toutes les formes, qu'il ne paraîtrait plus aujourd'hui qu'une puérilité. Douze portes représentaient les douze heures ; quand l'heure sonnait, une des portes s'ouvrait, et il en sortait un nombre réglé de petites boules, qui, tombant dans des temps pareillement réglés sur un bassin d'airain, marquaient l'heure par le bruit qu'elles faisaient en tombant. Ainsi l'œil jugeait de l'heure par le nombre des portes ouvertes, et l'oreille par le nombre des boules tombantes. A la douzième heure, douze petits cavaliers, sortant chacun par une porte, les refermaient toutes, en faisant le tour du cadran[7]. A Châteaudun, dans l'abbaye de la Madeleine, dont on
attribue le rétablissement à Charlemagne, on conserve un verre, de neuf pouces
de haut, et de cinq de diamètre, à compartiments d'émail, séparés par des
filets d'or ; on voit autour de ce verre d'anciens caractères arabes, que les
uns ont rendus par ces mots : Majestas perpetua, vita
longœva ac sana, fortuna ascendens, tempos adjuvans, imperium perfectum[8] ; et d'autres par
ceux-ci, qui expriment de même des vœux pour le bonheur et pour la gloire
d'un prince — apparemment de celui à qui le verre avait été envoyé — bona vita, felix regnum, ceterna majestas, somma gloria[9]. Ce verre, depuis
un temps immémorial, porte le nom de verre de
Charlemagne. C'est, dit-on, un des présents envoyés à ce prince
par Aaron Rachid. Nous allons parler d'un présent beaucoup plus considérable, que le même Rachid fit à Charlemagne, si l'on en croit les historiens ; mais nous avouons que leur récit sur ce point nous paraît sujet à interprétation et à restriction. Jérusalem et les lieux saints étaient sous la puissance d'Aaron. Le patriarche de Jérusalem, connaissant les sentiments de ce calife pour Charlemagne, envoya en France un de ses moines implorer la protection de ce grand prince pour les églises d'Orient, nommément pour les chrétiens de la Palestine : le moine présenta au roi un morceau de la vraie croix ; le roi montra, par des présents magnifiques, le prix qu'il attachait au monument sacré qu'on lui apportait. Les historiens ne disent pas plus positivement quel était l'objet de cette ambassade, qui attestait la gloire de Charlemagne autant qu'elle flattait sa piété ; un prêtre, nommé Zacharie, accompagna au retour le député du patriarche jusqu'à Jérusalem, pour voir par ses propres yeux ce qu'il serait possible de faire en faveur des chrétiens de ce pays : aussitôt que le calife fut instruit de l'intérêt que Charlemagne y prenait, il n'attendit pas que ce prince lui demandât formellement ce qu'il désirait ; il se fit un plaisir délicat, disent les historiens, de prévenir ses prières et de surpasser ses espérances. Il put les surpasser en effet, et il surpassa certainement l'attente des nations, s'il est vrai qu'il alla jusqu'à céder au roi en toute souveraineté Jérusalem et les lieux saints, ne s'y réservant que le titre de son lieutenant[10]. Tel est le récit des historiens, il nous paraît susceptible de modification. Des souverains ne cèdent point ainsi leurs États à d'autres souverains sans intérêt et sans motif. Nous ne voyons d'ailleurs, ni dans l'histoire de Charlemagne, ni dans celle de ses successeurs, 'aucun exercice, aucune trace de cette propriété. Nous concevons donc que ce n'était qu'une propriété honorifique, et qui n'avait rien de réel. Nous concevons qu'Aaron Rachid aura dit à Charlemagne : La religion vous fait attacher à cette portion de mes États un prix qui ne peut être le même pour moi. Regardez-vous donc comme le souverain de Jérusalem en tout ce qui concerne les monuments de votre foi. Ordonnez de tout ce qui intéresse les chrétiens ; ne me considérez à cet égard que comme votre lieutenant et l'exécuteur de vos ordres. En conséquence, Zacharie, à son retour, accompagné d'ambassadeurs persans, apporta au roi les clefs du saint sépulcre et du calvaire, avec l'étendard de la ville de Jérusalem, et de magnifiques présents. Aaron Rachid, outre qu'il aimait Charlemagne sur la foi de la renommée, n'estimait que lui parmi tous les souverains de la terre, qu'il traitait tous avec beaucoup de hauteur. Illustre comme Charlemagne par la gloire des conquêtes — on parlait ainsi alors —, il avait gagné en personne huit grandes batailles contre ses divers ennemis ; il avait étendu son empire dans les trois parties du monde, depuis l'Espagne et l'Afrique jusqu'aux Indes ; il avait forcé l'empire grec à lui payer tribut. Les rois n'entretenaient point alors, comme aujourd'hui, des ambassadeurs ordinaires dans les cours étrangères ; toutes leurs ambassades étaient extraordinaires, et envoyées pour le besoin du moment, lorsqu'il s'agissait de quelque négociation et de quelque objet particulier de politique. Par un effet ou de la politique ou du hasard, il y avait auprès de Charlemagne, dans le temps dont il s'agit, un ministre de l'empire grec — c'était un des plus grands seigneurs de la cour d'Irène —, qui eut le désagrément de voir quelle différence Aaron mettait entre Charlemagne et sa souveraine, entre l'empire français et l'empire grec. Cette cession vraie ou fausse de la Terre-Sainte, faite à Charlemagne par Aaron Rachid, jointe aux divers voyages de Charlemagne à Rome, et à l'éclat que ces voyages av aient eu, est ce qui a fait imaginer dans la suite que non seulement Charlemagne avait fait le voyage de la Terre-Sainte, mais encore qu'il en avait fait la conquête sur les Sarrasins ; fable qui pourrait bien elle-même n'avoir été bâtie que sur une autre fable — la cession des lieux saints —, mais qui n'en a pas moins été longtemps accréditée, et qui, même dans le seizième siècle, a encore été consacrée par le poème de l'Arioste. Ainsi les grands souverains recherchaient l'amitié de Charlemagne, et les petits sa protection ; le roi d'Ecosse et d'Irlande aimait à se dire son vassal, aussi-bien que le roi de Galice. Tous les petits rois de l'heptarchie imploraient son secours les uns contre les autres. Alred, roi de Northumberland, l'appelait son seigneur[11], et faisait intercéder pour lui auprès de Charlemagne l'archevêque de Mayence Lulle. Il rétablit sur le trône Eadulfe, autre roi du Northumberland. Un des plus grands rois de l'Angleterre, et qui devait un jour en être le seul roi, Egbert, chassé pour un temps de son pays par la persécution, trouva un asile dans sa cour, et apprenant de lui à réunir des États, y médita et y mûrit le grand projet de l'extinction de l'heptarchie ; il accompagna Charlemagne au voyage de Rome, dont l'objet et les effets vont être la matière du livre suivant. Lorsqu'il partit pour réunir l'Angleterre sous ses lois, Charlemagne, en l'embrassant, lui fit présent de son épée : Elle a vaincu mes ennemis, dit-il, j'espère qu'elle aura la même vertu contre les vôtres. — Elle n'est plus dans la même main, répondit Egbert, mais votre disciple tâchera de suivre les leçons et les exemples d'un tel maître[12]. La rivale d'Egbert, la reine Edburge, que les Anglais occidentaux abandonnèrent pour se donner à lui[13], et qui avait mérité ce sort par ses vices et par ses crimes, trouva aussi un asile à la cour de Charlemagne. Cette femme, qui avait empoisonné son mari en voulant empoisonner un de ses amants qu'elle craignait, ou dont elle avait à se plaindre, disait un jour à Charlemagne que le plus grand objet de son ambition serait d'être reine de France. Eh bien ! dit Charlemagne, tournant la chose en plaisanterie, je suis veuf, et mon fils aîné n'est pas marié, qui voulez-vous épouser de nous deux ? — Le plus jeune, dit Edburge. — Ah ! répliqua Charlemagne, si vous m'aviez choisi, je vous aurais donné mon fils ; mais puisque vous me l'avez préféré, vous n'aurez ni lui ni moi. Il lui donna une abbaye, qu'elle quitta pour s'enfuir avec un nouvel amant ; elle finit par aller mourir à Pavie, dans la misère. Les historiens parlent d'une alliance indissoluble, conclue entre la France et l'Écosse en 790, et renouvelée en 809[14] ; et d'un secours de quatre mille hommes, envoyé par Charlemagne au roi Achaïe ou Archaïe — Achaïus —, que les Écossais comptent pour le soixante-troisième dans la liste fabuleuse de leurs rois. Ils parlent aussi des soins que se donna Charlemagne, et des missionnaires qu'il envoya pour établir la foi en Suède, de concert avec Biorn roi de cette contrée[15]. |
[1] Egin. in Ann. et in Vit. Car. Mag.
[2] Egin. Annal.
[3] En 1646 et en 1647.
[4] Vit. Ludovic. Pii. Annal. Fuld.
[5] Voir ci-dessus, dans le chapitre IV.
[6] Ou Haroun Rashid ou Al Rashid.
[7] Histoire de l'académie royale des inscriptions et belles-lettres, t. 9, p. 190, 191. Poet. Saxon. l. 4.
[8] Majesté perpétuelle, vie longue et bonne santé, fortune croissante, temps favorable empire parfait.
[9] Bonne vie, règne heureux, majesté éternelle, le comble de la gloire.
[10]
De pareils lieutenants n'ont des chefs qu'en idée.
CORNEILLE.
[11] Ad
dominum nostrum gloriosissimum regem Carolum.
[12] Vita Alfridi regis Saxonum. Le Père Daniel à l'année 802.
[13] Inter Epist. S. Bonif., n. 90.
[14]
Buchanan, Hist. Scot. Jean Leslé, Histoire d'Écosse. Polyd. Virgile, Hist. Angl., l. 4.
[15] Eginard. Baronius. Mézeray.