DANS le chapitre précédent, nous venons de suivre la grande querelle de la Lombardie dans ses diverses révolutions, jusqu'à l'époque de 788, où elle est entièrement terminée par le mauvais succès de la tentative d'Adalgise ; nous allons parcourir les expéditions de Charlemagne en Espagne pendant une partie du même temps : nous y retrouverons quelques restes de cette querelle de l'Aquitaine, qui s'était unie à celle de la Lombardie, lorsque le malheureux Hunaud s'était enfermé dans Pavie avec Didier. Nous avons dit que Loup duc de Gascogne, fils de Gaïffre, et petit-fils de Hunaud, avait à réclamer les droits et à venger les malheurs de sa maison ; nous verrons qu'il en trouva l'occasion dans les guerres que nous allons rapporter, mais qu'elle lui coûta cher. L'Espagne était toujours sous la puissance des Sarrasins ; mais il était arrivé à ce peuple conquérant ce qui arrivera toujours aux peuples conquérants, d'être obligé de se diviser par l'effet même de la conquête, et de détruire par-là l'ouvrage de la conquête. Tout grand empire tend à se dissoudre ; tout grand empire semble frappé de paralysie, dit un auteur moderne[1] ; les soins les plus attentifs du gouvernement ne peuvent porter la chaleur et la vie clans tous les membres et jusqu'aux extrémités d'un corps trop vaste ; s'il pou-voit être permis de conquérir, ce ne serait jamais du moins que ce qu'on pourrait gouverner : le calife d'Orient avait beau être placé au centre de tant d'États, il était impossible de contenir dans la même main, et de soumettre aux mêmes lois, des provinces répandues clans les trois parties du monde alors connu ; l'Espagne avait secoué le joug du calife ; elle avait ensuite subdivisé sa propre puissance ; tous les gouverneurs s'étaient faits rois, et les plus forts d'entre eux, opprimant les plus faibles, travaillaient de nouveau à réunir ce qu'on avait été obligé de diviser : quelques uns de ces petits princes, accablés par les plus puissants, vinrent trouver Charlemagne au milieu d'un parlement qu'il tenait à Paderborn, se mirent sous sa protection, implorèrent son secours pour être rétablis dans les États dont ils avaient été dépouillés [777] ; et comme ils parlaient à un conquérant, ils présentèrent à son ambition une perspective brillante de conquêtes dans cette contrée[2], bien plus heureuse et bien plus digne de ses regards que la Germanie, qui l'occupait sans cesse. Charlemagne fut peu ébloui de ces belles espérances ; il ne vit d'abord dans ces princes suppliants que des infidèles dont les intérêts devaient peu le toucher ; il douta s'il convenait à un prince chrétien de s'allier avec des mahométans, même contre d'autres mahométans ; on ne savait point encore alors que c'est à la politique, et non à la croyance à décider des alliances politiques ; il appliquait à cette alliance ce que le pape Etienne IV lui avait écrit autrefois contre celle des Lombards : Quelle société de la lumière avec les ténèbres ! Mais ensuite il considéra que l'ascendant qu'il acquerrait par ses bienfaits et par ses victoires pourrait être utile aux chrétiens qui vivotent sous les lois des mahométans, et ce motif religieux et humain le détermina ; il prend les armes, perce les Pyrénées comme il avait percé autrefois les Alpes ; en même temps une autre armée pénètre dans l'Espagne par le Roussillon : c'était la méthode ordinaire de Charlemagne, de jeter à-la-fois plusieurs armées dans le pays qu'il attaquait, et de l'entamer par des côtés différents ; c'était à cette méthode, qui ne laissait pas respirer l'ennemi, qui souvent l'enveloppait de toutes parts, qui du moins divisait son attention et sa défense, et lui exagérait le péril de sa situation, c'était à cette méthode que les Français, sous Charlemagne, avaient dû principalement la sûreté et la rapidité de leurs conquêtes. L'armée entrée par la Navarre prit Pampelune ; celle qui était entrée par le Roussillon prit Barcelone ; toutes cieux soumirent la Navarre, l'Aragon, la Catalogne ; la prise de Pampelune, qui fut alors démantelée, est consacrée par une médaille. On y voit un trophée d'armes, élevé sur les murs d'une place forte, avec cette inscription : Capta exeisaque Pompelona, Pampelune prise et démantelée (en 778). Charlemagne fut maître d'une grande partie de l'Espagne, d'une mer à l'autre, et des montagnes jusqu'à l'Ebre ; il remit sur le trône de Saragosse Ibinalarabi, le plus considérable de ces rois qui s'étaient mis sous sa protection ; les autres petits princes furent rétablis de même dans leurs États ; aucun n'avait imploré en vain le secours de Charlemagne ; tous le reconnurent pour leur bienfaiteur et pour leur seigneur suzerain ; tous furent fidèles à son alliance et aux obligations de cette vassalité, qu'il se contenta d'imposer en Espagne comme il l'avait fait en Italie, dans les États dont il avait abandonné au Saint-Siège le domaine utile : attentif surtout aux intérêts des chrétiens, il les affranchit de tout tribut envers les mahométans, dans la partie de l'Espagne qu'il avait conquise. Ce moment n'est pas un des moins brillants du règne de Charlemagne ; il semble avoir été le modèle de cet autre moment si mémorable, où Louis XIV délivra des fers d'Alger tous les captifs chrétiens, sans distinction d'amis et d'ennemis, de nationaux et d'étrangers, et fut le bienfaiteur de toute la chrétienté. Cependant on a lieu de s'étonner qu'un prince tel que Charlemagne, si zélé pour la propagation de la foi, fait pour être le protecteur des chrétiens dans toute la terre, n'ait pas conçu un plan beaucoup plus vaste et plus noble ; qu'il n'ait pas rassemblé sous ses drapeaux les chrétiens épars dans toute l'Espagne, et gémissants sous le joug des Sarrasins ; qu'il n'ait pas donné la main à ces Goths qui se défendaient encore avec peine, Mais avec courage, dans les montagnes des Asturies et de la Galice ; qu'il n'ait pas fait enfin ce que ces mêmes Goths osèrent entreprendre dans la suite, et ce qu'avec le temps ils parvinrent à exécuter, c'est-à-dire arracher entièrement l'Espagne à la domination des Sarrasins. Charlemagne rentrait dans ses États couvert de gloire et chargé de butin ; mais la haine veillait sur lui et l'attendait au passage. Loup II, duc des Gascons, que tant de motifs d'intérêt et de vengeance animaient contre ce vainqueur, avait respecté la marche des Français à leur entrée en Espagne, soit qu'il eût été prévenu par leur célérité, soit qu'il jugeât plus utile pour ses desseins de les laisser s'engager dans l'Espagne, où ils devaient avoir en tête un ennemi redoutable, et de leur couper le retour, en les enfermant entre les Sarrasins et les montagnes. Un duc de Gascogne était alors pour les Pyrénées ce qu'un duc de Savoie est pour les Alpes ; il avait la clef de l'Espagne, comme les ducs de Savoie de l'Italie. Le duc de Gascogne, dont Charles-le-Chauve, dans la charte d'Alaon, dit qu'il était Loup de nom et de caractère[3], et qui fut longtemps en exécration aux Français pour l'expédition dont nous parlons, attendit l'armée de Charlemagne dans les défilés des montagnes ; il n'osa pas cependant lui fermer le passage, de peur que si les Français venaient à le forcer ou à s'ouvrir quelque route négligée ou peu connue, comme ils avaient fait au passage des Alpes, il ne fût lui-même enveloppé par eux ; il laissa passer le gros de l'armée, et lorsqu'elle fut engagée dans les détours des Pyrénées, il fondit en traître sur l'arrière-garde, qui ne s'attendait nullement à cette brusque attaque, mais qui était prête à tout, étant composée des plus braves gens de l'armée : le bagage fut pillé, le choc fut même assez violent pour que l'arrière-garde, n'ayant pu être mise en désordre, fût taillée en pièces, et pour que les Français y perdissent plusieurs guerriers distingués, tels qu'Egibard, grand-maître de la maison du roi, Anselme, comte du palais, et ce Roland, neveu de Charlemagne, si célébré par les romanciers et par les poètes, mais dont l'histoire dit simplement qu'il était gouverneur des côtes de l'Océan britannique et fils de Milon, comte d'Angers, et de Berthe, sueur de Charlemagne. Les Français ne pouvant ni développer leurs forces, ni se mettre en bataille, ni atteindre un ennemi presque invisible, effrayés par la vue des précipices et par le bruit des torrents, étaient écrasés par de grosses roches qu'on roulait sur eux du haut des montagnes, ou percés par des flèches lancées d'un lieu sûr. C'est là cette fameuse journée de Roncevaux, dont l'Espagne est encore si fière, et où elle se vante d'avoir vaincu Charlemagne et ses douze pairs. Les Français disent qu'on ne doit point se vanter d'une si lâche trahison ; que s'il était possible d'en tirer quel- que gloire, cette gloire serait un peu étrangère à l'Espagne ; qu'elle appartiendrait à des voleurs montagnards, demi-français, demi-espagnols, ou qui plutôt n'étaient ni l'un ni l'autre ; qui avaient moins combattu qu'ils n'avaient pillé, ce qu'ils pouvaient toujours faire impunément grâce aux retraites inaccessibles où ils se cachaient et où on ne pouvait les suivre ; que le fruit de la victoire fut pour Charlemagne ; que la Navarre, l'Aragon, la Catalogne, tout ce qu'il avait conquis en Espagne, resta soumis ; que tous les petits princes de ces pays ne cessèrent point d'être ses vassaux et ses tributaires ; que les avantages stipulés en faveur des chrétiens eurent lieu ; que Charlemagne établit clans la plupart des villes soumises par ses armes des gouverneurs qui veillaient sur les Sarrasins, et qui lui répondaient de leur fidélité ; que si les Français essuyèrent un échec dans cette occasion, bien loin qu'il ait pu nuire à leur gloire, il semble avoir augmenté leur considération en Europe, par l'importance même que l'Espagne attache à ce petit fait de guerre, par les exagérations et les fables dont elle l'a orné. Le P. Daniel, à l'année 778, a fait usage d'une relation manuscrite des antiquités du pays de Roncevaux, datée du 15 décembre 1707, et adressée au président de Lamoignon (Chrétien-François). Cette relation contient la description d'une chapelle, bâtie à trois cents pas de l'église de l'abbaye de Roncevaux : sous cette chapelle est une cave, au fond de laquelle l'auteur de la relation vit, à la lueur d'un flambeau, quelques ossements. Autour de la chapelle sont trente tombeaux, simples et sans inscriptions. Sur un mur de la chapelle, on voit une bataille peinte à fresque ; c'est la journée de Roncevaux ; on y voit quelques inscriptions, entre autres celle-ci : Thierry d'Ardennes, Riol du Mas, Gui de Bourgogne, Olivier Roland. La tradition du pays, est que c'est Charlemagne qui a fait bâtir cette chapelle, où l'on priait pour les Français morts à la journée de Roncevaux ; que la cave est l'endroit où il les fit enterrer ; que les trente tombeaux sont ceux des seigneurs les plus considérables qui périrent dans cette journée. A l'appui de cette tradition vient un usage immémorial, c'est qu'on n'enterre dans ce lieu que des Français, et ce sont ceux qui meurent dans l'hôpital de l'abbaye de Roncevaux ; les gens du pays ne souffriraient pas qu'on y enterrât un des leurs. Mais si cette tradition est véritable, il faut que les inscriptions rapportées ci-dessus, à l'exception des deux dernières, aient été ajoutées après coup ; car ; du temps de Charlemagne, les seigneurs français n'étaient point encore dans l'usage de prendre ainsi le nom de leurs terres, encore moins de leurs duchés et de leurs comtés, qui n'étaient point alors héréditaires. Quoi qu'il en soit de ces antiquités, sur lesquelles, dit le P. Daniel, il n'est pas de la prudence de prononcer trop hardiment, Charlemagne, ainsi trahi par le duc Loup, ne pouvait laisser sans vengeance une pareille félonie 'de la part d'un vassal, il ne pouvait laisser la tache d'une défaite imprimée à son nom ; il porta la guerre dans la Gascogne : le duc tomba entre ses mains, et Charlemagne, par une atrocité qui flétrit bien plus sa gloire que n'avait fait la défaite de Roncevaux, et qui prouve qu'il se regardait comme ayant été vaincu dans cette journée, fit pendre ce prince, comme Pepin-le-Bref avait fait pendre Rémistain, grand-oncle de ce même duc. Si Pepin méritait d'être imité en quelque chose par son fils, ce n'était pas sans doute dans cette violence. Les lois, ou plutôt les usages de la féodalité, ne justifient point Charlemagne ; un prince tel que lui était digne d'abolir ces lois et ces usages barbares ; il devait du moins en tempérer la rigueur d'après les circonstances. et respecter dans le duc Loup, le sang royal dont il était issu, le malheur dont il était accablé, le juste ressentiment dont le fils de Gaïffre, le petit-fils de Hunauld, le petit-neveu de Rémistain, l'arrière-petit-fils du duc Eudes, devaient être animés contre Charles Martel, Pepin et Charlemagne, les ennemis et les persécuteurs éternels de sa maison. Observons du moins que ce vainqueur inexorable n'étendit point sa colère jusque sur la postérité du duc Loup ; il laissa par pitié, misericorditer, dit toujours Charles-le-Chauve dans la charte d'Alaon, à Adalaric ou Adalric, fils de Loup, une partie de la Gascogne, pour qu'il eût de quoi vivre convenablement, ad decenter vivendum. Mais un si faible bienfait ne pouvait balancer de si horribles outrages. On voit dans la suite ce duc Adalric se révolter contre Louis-le-Débonnaire, et périr, en 812, avec Centulle un de ses fils, dans un combat contre ce prince[4]. Louis, de l'aveu de son père, partagea la Gascogne entre Sciminus, frère de Centulle, et Loup III, neveu de Sciminus et fils de Centulle. Loup III, et Garsimine son cousin, fils de Sciminus, ne furent pas plus fidèles que leurs pères, et perdirent la Gascogne, qui fut confisquée sur eux. Garsimine et Sciminus son père furent tués dans des combats auxquels leur révolte donna lieu. Sciminus périt comme Adalric son père, et Centulle son frère, en 812 ; Garsimine en 818 ; Loup fut chassé de son duché et exilé en 819. Donatus Lupus et Centulupus, fils de ce Loup, furent, l'un comte de Bigorre, l'autre comte-de Béarn ; celui-ci fut père de Sance, surnommé Mitarra, premier comte ou duc héréditaire de Gascogne, élu par les Gascons ; son petit-fils, Garcias Sance, dit le Courbé, eut deux fils, dont le second, nommé Guillaume Garcie, est la tige des comtes de Fezensac ; son second fils, Bernard de Fezensac, dit le Louche, fut la tige des comtes d'Armagnac. Othon, frère 'aîné de Bernard, eut pour petit-fils Aimeri comte de Fezensac, dont le second fils, nommé aussi Aimeri, est la tige des barons de Montesquiou, etc. L'abbé Le Gendre, qui n'a point connu la Charte d'Alaon, quoique imprimée depuis longtemps dans les conciles d'Espagne, recueillis parle cardinal d'Aguirre, a ignoré que le duc Loup II fût fils de Gaïffre, et a cru que Gaïffre était mort sans enfants ; erreur fondée sans doute sur ce que Loup ne succéda point au duché d'Aquitaine, qui avait été confisqué sur Gaïffre par Pepin : mais nous ne concevons point les doutes que l'abbé Velly et monsieur Villaret, qui ont eu connaissance de la charte d'Alaon par l'histoire du Languedoc de D. Vaissette, affectent de répandre sur un point aussi clair que celui de la généalogie de la maison d'Armagnac et des autres qui ont la même origine. Au reste, qu'il y ait ou qu'il n'y ait point des descendants de Clovis par Aribert et Boggis, on sent bien que ce n'est qu'un point de curiosité, flatteur pour les maisons qu'il concerne, mais dont il ne peut pas aujourd'hui résulter plus de droits, que la conquête de Jules-César n'en donnerait aux Romains sur le même pays. La nouvelle victoire de Charlemagne sur les Gascons affermit encore son autorité dans les provinces espagnoles qu'il avait soumises, et qui formaient une espace de souveraineté particulière, sous le titre de marche d'Espagne. Les Sarrasins cependant ne respectèrent cette autorité que quand il leur fut impossible de l'attaquer ; ils épiaient avec soin les moments où Charlemagne était éloigné, où les Saxons et ses autres ennemis lui donnaient le plus d'embarras, pour faire des irruptions, non seulement sur cette partie de l'Espagne, mais même sur les provinces françaises adjacentes. En 793 ils surprirent Barcelone, forcèrent de ce côté la barrière des Pyrénées, pénétrèrent jusqu'à Narbonne[5], en brûlèrent les faubourgs, remportèrent une victoire sur le duc de Toulouse, qui était venu à leur rencontre, et ravagèrent ensuite à loisir tout le Languedoc ; on craignit de voir renaître le temps on ils régnaient sur cette belle province, d'on ils menaçaient le reste de la France. Charlemagne suspendit le cours de ses expéditions contre les Saxons et les Huns, pour donner toute son attention aux entreprises de ce peuple formidable, dont la défaite avait immortalisé son aïeul. L'année suivante ces alarmes cessèrent ; Issem, roi sarrasin de Cordon, ayant perdu une grande bataille contre Alphonse-le-Chaste, roi d'Espagne, c'est-à-dire chef des Goths chrétiens, Issem sentit le besoin de rassembler toutes ses forces, et rappela les Sarrasins qui occupaient le Languedoc, et qui semblaient vouloir y faire un établissement. Cette bataille et l'heureuse influence qu'elle eut sur les affaires de la France indiquaient assez à Charlemagne ses vrais intérêts, et étoffent un avertissement de plus de suivre le plan dont nous avons parlé plus haut, c'est-à-dire d'embrasser la défense générale des Espagnols et des chrétiens contre les Sarrasins, et de réparer l'imprudence de Roderic et l'ouvrage de Julien, en rejetant les Sarrasins hors de l'Espagne, puisque enfin Charlemagne avait besoin de conquérir. Toutes les conquêtes de Charlemagne en Espagne avaient été faites sur les Sarrasins, et l'on ne conçoit pas par quelle bizarrerie les auteurs espagnols, même chrétiens, sont plus favorables aux Sarrasins leurs oppresseurs, qu'à Charlemagne leur libérateur en partie ; mais enfin les Espagnols n'ont jamais pu souffrir qu'on dît que Charlemagne avait soumis une partie de l'Espagne, et pour n'en pas convenir, ils ont cherché à expliquer, par une fable ridicule et destituée de tout fondement, les témoignages qu'ils rencontraient à chaque pas des expéditions de Charlemagne dans leur pays. Cette fable est rapportée, sur la foi de quelque bruit populaire, par Roderic, archevêque de Tolède, écrivain du treizième siècle. Cet auteur dit que Charlemagne s'étant brouillé avec Pepin-le-Bref son père, ce monarque le chassa de ses États ; que Charlemagne se retira chez Galafre ou Galastre, roi de Tolède, qu'il servit dans ses troupes contre Marsile, roi de Saragosse ; qu'il reçut en Espagne la nouvelle de la mort de son père ; que sur cette nouvelle il revint en France, emmenant avec lui la fille du roi Galastre, nommée Galiène, qui se fit chrétienne, et qu'il épousa. On dit, ajoute Roderic, qu'il lui fit bâtir un palais à Bordeaux. En effet, on donne encore vulgairement le nom de palais Galiene à l'amphithéâtre de Bordeaux, dont M. le baron de La Bastie a donné la description dans les Mémoires de l'académie des inscriptions et belles-lettres, et qu'on croit avoir été construit par l'empereur Gallien ; ce qui fournit le mot de l'énigme, sans qu'on soit obligé de recourir à la fable de la princesse Galiène. En 797, Charlemagne envoya encore une armée en Espagne : on ignore les détails de cette expédition[6] : le résultat fut un accroissement de puissance et d'autorité pour Charlemagne, que tous les princes, tant chrétiens qu'infidèles, s'empressaient de prendre pour arbitre de leurs différents, et de reconnaître pour leur souverain, parce que lui seul savait juger et régner. |
[1] Entretiens de Phocion.
[2] Egin. Annal.
[3] Omnibus pejoribus pessimus, ne perfidissimus supra omnes mortales, operibus et nomine Lupus, latro potiius quam dux dicendus. — Pire que ce qu'il y avait de plus méchant, le plus perfide des hommes, loup de nom et d'effet, qu'on devait appeler brigand plutôt que duc.
[4] C'était encore du vivant de Charlemagne. Louis, son fils, était alors roi d'Aquitaine.
[5] Egin. Annal.
[6] Rod. Tolet. de reb. Hisp. l.
4, cap. II, p. 75, t. II. Hisp. illustr. A Schott.