CICÉRON JURISCONSULTE

 

II. — PLAIDOYER POUR Q. ROSCIUS.

De la société. - Arbitrium prosocio. - Les registres de famille. - Obligations littérales.

 

 

I. — EXPOSÉ DE LA CAUSE.

 

G. Fannius Chéréa avait confié à Q. Roscius un esclave, nommé Panurge, pour qu'il en fît un acteur. Il s'était formé entre eux une société, où Fannius apportait le capital ; Roscius, son industrie : l'esclave constituait le fonds commun à exploiter. C'était un contrat très régulier. Tout ce qu'un esclave, appartenant à la fois à plusieurs personnes, pouvait acquérir, devenait la propriété de ses maîtres[1]. Dans une société, lorsque les parts n'ont pas été fixées autrement, elles sont égales[2].

La société de Fannius et de Roscius prospère. Panurge, dressé avec soin, commence à être applaudi. Mais ses succès sont brusquement interrompus : un certain G. Flavius, de Tarquinies, tue, par imprudence, le jeune acteur.

Roscius laisse d'abord à Fannius le soin de poursuivre la réparation du dommage qui leur a été causé. Puis, abandonnant toute idée de procès, il transige avec Flavius, dont il reçoit une terre. La jalousie de Fannius s'allume ; il prétend que Roscius a traité, au nom de la société, et il réclame la moitié du domaine. C. Calpurnius Pison engagea Roscius à donner à Fannius quinze mille sesterces, pour reconnaître ses peines et soins. Fannius avait été, en effet, un moment le mandataire de Roscius et avait peut-être fait quelques démarches auprès de Flavius et commencé les poursuites. Mais, en recevant cette somme, Fannius s'engagerait, non seulement à ne plus rien exiger de Roscius, mais encore à partager avec lui tout ce qu'il obtiendrait directement de Flavius.

Les deux associés, au lieu de gains, avaient donc à se diviser des indemnités. Fannius se fit compter, dans la suite, au dire de Roscius, cent mille sesterces par Flavius. Loin de donner la moitié de cette somme à son associé, Fannius, soutenant qu'il avait été lésé parla transaction intervenue entre Roscius et Flavius, intente un procès à Roscius. Il estimait cent mille sesterces la propriété cédée à Roscius par Flavius ; il lui demandait la moitié de cette somme, comme s'il n'avait lui-même rien obtenu de Flavius.

Cicéron plaida cette cause en 678, trois ans après avoir défendu Roscius d'Amérie, à son retour de Grèce. Il avait alors 31 ans.

Nous n'avons rien à dire des deux adversaires, l'un étant trop connu[3] ; l'autre, inconnu. P. Saturius, le défenseur de Fannius, que Cicéron nous représente comme un méchant avocat, un veterator, est placé, au contraire, au nombre des juges intelligents et intègres, dans la cause d'Oppianicus : après tout, un mauvais avocat peut faire un bon juge[4].

G. Calpurnius Pison était chargé de prononcer dans cette affaire ; Cicéron lui décerne les plus grands éloges. Plus tard, il plaida pour Ebutius contre Cicéron, qui défendait Cécina ; mais l'amitié et l'estime de Cicéron pour Pison ne furent pas diminuées[5]. L'un des assesseurs de Pison était M. Perperna qui, deux ans après, devenait le meurtrier de Sertorius. Cicéron, dans son plaidoyer, en parle comme d'un juge incapable de se laisser corrompre.

 

II. — DE LA SOCIÉTÉ ; ARBITRIUM PRO SOCIO ; ACTION COMMUNI DIVIDUNDO.

 

Ce discours ne nous est parvenu que mutilé ; même en cet état, il offre un grand intérêt pour la connaissance du Droit. Remarquons d'abord qu'on louait les services d'un esclave. Si le maître reconnaissait en son esclave une intelligence peu commune, il exploitait son esprit, comme il aurait tiré profit de son corps, s'il n'eût été bon qu'à des travaux manuels. Dans ce cas, la position de l'esclave était moins triste. Le maître avait, d'ailleurs, tout intérêt à conserver un capital plus productif. Panurge, grâce à la générosité de Roscius, n'aurait pas tardé à amasser un pécule suffisant pour acquérir la liberté.

Qu'ils fussent employés aux travaux des champs, ou laissés à la maison pour servir de lecteurs, de secrétaires, de précepteurs, ouvriers ou lettrés, les esclaves restaient entre les mains du maître un fonds mobilier, dont il retirait un revenu. Des conventions, comme celle qui existait entre Fannius et Roscius, n'étaient donc pas rares. Chéréa et Roscius s'étaient associés pour exploiter le talent futur de l'esclave Panurge. D'un côté, Chéréa, donne un esclave qui, pour les qualités physiques, ne vaut pas plus de douze mille sesterces (2400 francs) ; de l'autre, Roscius apporte à la société son génie, sa réputation. La valeur de Panurge, sous l'habile direction de Roscius, augmente considérablement, de telle sorte qu'on peut dire qu'il appartient, en définitive, plus à Roscius qu'à Fannius. Ce qui était à celui-ci, c'était le corps de Panurge ; la propriété de Roscius, c'est l'acteur qu'il a formé[6]. Aussi n'est-ce pas le dommage matériel seul qu'il faudra estimer en cas de mort de l'esclave[7]. Si Panurge était sorti de l'école de Statilius, ou de tout autre histrion, lors même qu'il eût été supérieur à Roscius, il n'aurait point attiré l'attention. La renommée de Roscius accompagne ses élèves. On ne s'inquiète pas de ce qu'ils savent ; on connaît leur maître. Il ne leur inculque pas seulement ses qualités ; par le fait qu'il les a instruits, il leur prête quelque chose de sa propre gloire et chacun d'eux est, pour ainsi dire, une portion de lui-même. Un malheureux comédien, Eros, chassé du théâtre par les sifflets de tout le peuple, se réfugie auprès de Roscius, comme les suppliants dans un temple, pour y chercher asile. A quelque temps de là, il reparaît en public et les Romains l'applaudissent : il a emporté de chez Roscius la certitude du succès. Aussi le nom de Roscius était-il devenu synonyme de la perfection même[8]. Le vulgaire juge d'après l'apparence. Tout ce qui touchait de près ou de loin l'acteur chéri du peuple, semblait être parfait comme lui.

Panurge était donc l'œuvre de Roscius, thèse fort raisonnable, sinon juridiquement exacte. Dans la demeure de Fannius, sa valeur était presque nulle ; c'est Roscius qui lui a fait acquérir son véritable prix. La propriété de Roscius reposait sur un titre incontestable, le travail, les leçons du maître. Fannius n'était pas propriétaire de la même manière, ni dans la même mesure.

Panurge tué, le fonds de la société était détruit et la société, n'ayant plus d'objet, était dissoute. Les deux associés cherchèrent naturellement à obtenir du meurtrier une indemnité. La loi Aquilia sur le dommage causé à tort, de damno injuria dato, permettait d'exiger de celui qui avait tué par imprudence un esclave, la plus haute valeur que cet esclave avait eue dans l'année. S'il s'agit d'un esclave commun, chacun des propriétaires peut agir pour sa part de propriété[9]. Il paraîtrait que Roscius laissa, dans le principe, Fannius poursuivre seul l'auteur de l'homicide et qu'il le constitua son mandataire. La formule que le prêteur délivra à Fannius devait être ainsi rédigée : si paret Flavium Fannii et Roscii servum communem occidisse, quanti in eo anno plurimi Panurgus fuit, tantam pecuniam judex Flavium Fannio condemna ; si non paret, absolve[10]. Chacun des associés pouvait intenter Faction soit en son nom seulement, soit pour la société, s'il avait reçu mandat des autres associés. Dans le premier cas, tout se passait entre le tiers et l'associé comme s'il n'y eût pas eu société ; dans le second, le mandataire obligeait ceux qui lui avaient donné mandat. Fannius s'était donc chargé des intérêts de Roscius. Le cognitor, établi avec des paroles solennelles, en présence de la partie adverse, représentait complètement le dominus et n'avait pas de caution à fournir[11]. Mais le mandant ne perdait pas, en constituant un mandataire, le droit de transiger avec le tiers (reus). Ses obligations se bornaient à indemniser le mandataire de ses frais et de ses peines. Roscius transigea donc avec Fannius et accepta une terre. D'après Cicéron, l'indemnité donnée à son client n'était rien moins qu'exagérée : c'était un domaine inculte. Mais Roscius qui était aussi bon propriétaire qu'illustre acteur et qui s'entendait à amender ses terres comme à perfectionner ses élèves, transforma tout, planta, construisit. Entre ses mains la propriété tripla de valeur. Laissant de côté toutes les dépenses que Roscius avait pu faire, Fannius prétendit que la terre valait cent mille sesterces[12], au moment de la transaction et réclama la moitié de cette somme.

L'action qui peut résulter du contrat de société se nommait arbitrium pro socio[13]. L'associé mécontent demandait un arbitrage. Cette action est de celles qu'on appelle de bonne foi, bonœ fidei ; elle naît directement du contrat et se donne à chacun des associés, pour la poursuite de leurs obligations respectives. L'exécution de toutes les obligations devait s'accomplir ex œquo et bono, par suite du contrat et de ses parties accessoires. Partant du principe que la société établit entre les associés une sorte de fraternité, les jurisconsultes décidèrent que les associés ne pourraient être condamnés les uns envers les autres que jusqu'à concurrence de leurs moyens : in quantum facere potest. D'un autre côté, comme toutes les stipulations du contrat de société devaient être interprétées largement, équitablement, celui qui n'était pas fidèle à ces stipulations, paraissait plus coupable qu'un autre. Tromper un associé, un ami, presque un frère, semblait, non sans raison, un délit que la justice devait sévèrement punir. Aussi la personne condamnée à la suite de l'action pro socio était-elle notée d'infamie[14]. Le jugement ne rappelait pas cette flétrissure ; l'infamie résultait de la condamnation : c'était une conséquence forcée.

Outre l'action pro socio, les associés peuvent avoir les uns contre les autres l'action communi dividundo, par laquelle on arrive au partage de la chose commune, du fonds social. Ces deux actions existaient cumulativement, elles ne s'annulaient pas[15]. En effet, par l'action pro socio, on veut obliger l'associé à rester fidèle au contrat ; par l'action communi dividundo, on demande le partage de l'actif ; la première de ces deux actions, intentée par l'un des associés, indique de sa part le désir de continuer la société telle qu'elle a été établie ; par la seconde, au contraire, les associés veulent liquider.

L'arbitrium pro socio était une action de bonne foi. L'arbitre, nommé par le préteur, avait toute latitude pour faire une compensation entre ce qui pouvait être dû par le demandeur au défendeur et la somme réclamée à celui-ci par celui-là. Il y avait matière à un règlement de comptes, à un arbitrage, plutôt qu'à un jugement proprement dit. Dans les actions de droit strict, le juge était obligé de s'en tenir aux termes de la formule ; ou la prétention du demandeur est fondée et le juge l'admet entièrement, ou elle ne l'est pas, et le juge la rejette purement et simplement. Si paret, condemna ; si non paret, absolve. Le juge ne pouvait prendre que l'une ou l'autre de ces deux décisions. Il n'avait à examiner que la question de droit. Si, au contraire, il est dit dans la formule que l'arbitre doit juger, ex bona fide, ou, ut inter bonos agier oportet, ou encore, quod œquius melius, l'équité, la bonne foi doivent alors être prises en considération. Cicéron marque bien la différence qui existe entre un judicium et un arbitrium :

Il y a jugement, lorsque la somme réclamée est certaine ; arbitrage, lorsqu'elle est incertaine. Nous demandons un jugement, afin d'obtenir entièrement satisfaction, ou non ; un arbitrage, non pour avoir tout ou rien, mais une partie de ce que nous réclamons. Q. Scévola, le grand pontife, disait qu'il y avait une grande force dans toutes les formules d'arbitrages, où se trouvaient ces mots : d'après la bonne foi. Il estimait que cette expression devait s'entendre dans un sens très large et qu'il y avait lieu de tenir compte de la bonne foi dans les tutelles, les sociétés, les contrats de fiducie, les mandats, les ventes, les locations, toutes conventions communes dans la vie. Il importe de déterminer alors les obligations réciproques des parties, puisque presque toujours il peut y avoir des demandes reconventionnelles[16]. Il est difficile de s'exprimer d'une manière plus nette, plus élégante et plus juridique à la fois. Sénèque devait dire plus tard : La formule dicte la décision du juge ; elle pose des bornes qu'il ne peut pas dépasser ; la religion de l'arbitre est libre, elle n'est nullement lice ; l'arbitre peut ajouter, retrancher, et il rédige sa sentence, non d'après la loi stricte, mais suivant les conseils de l'humanité et de l'équité[17].

Fannius avait eu d'abord recours à l'arbitrium pro socio[18]. Un accord intervint et Fannius accepta de Roscius quinze mille sesterces. L'instance ne tarda pas à être renouvelée. Fannius se prétend nettement créancier de son ancien associé pour une somme de cinquante mille sesterces. Au lieu délaisser incertain le montant de sa demande, de réclamer un arbitrage, Fannius fixe lui-même le chiffre auquel il veut faire condamner son adversaire. Il ne s'agit plus d'un arbitrium, mais d'un judicium. Cicéron reproche à Fannius sa cupidité, son hésitation, son ignorance. Il ne connaît pas les formules que tout le monde peut lire dans l'album du magistrat, c'est-à-dire, qui sont inscrites sur les murailles de la salle, où siège le préteur. Peut-être a-t-il voulu ménager la réputation de Roscius et, s'il a renoncé l'arbitrium pro socio, c'est dans la crainte que son ancien associé n'encourût l'infamie ?

Le procès entrait dans une nouvelle phase. Cicéron demande en vertu de quel titre Fannius se dit créancier de Roscius. Comment a été souscrite cette obligation de cinquante mille sesterces ?

 

III. — TABULÆ ; CODEX ACCEPTI ET EXPENSI ; ADVERSIA. - OBLIGATION RE, LITTERIS, VERBIS.

 

Les Romains étaient dans l'usage de porter toutes les sommes qu'ils recevaient ou qu'ils payaient sur un registre, qu'ils appelaient tabulœ, codex accepti et expensi. Cette habitude n'est pas pour nous surprendre chez un peuple aussi formaliste que les Romains[19]. Au temps de Cicéron, ces registres étaient très exactement tenus. Il est constamment question de ces tablettes dans les ouvrages de Cicéron[20]. L'avocat de Roscius disait qu'elles étaient saintes, qu'elles devaient être toujours conservées, parce qu'elles contenaient la parole et la foi de celui qui les rédigeait, sanctœ, œternœ, quœ perpetnœ existimationis fidem et religionem amplectuntur[21]. Ceux qui inscrivaient faussement une dette sur leur registre étaient sévèrement punis. La loi Cornelia de falsis les mettait au rang des faussaires[22]. Ils étaient exposés à une action publique et, en cas de condamnation, notés d'infamie.

Selon toute probabilité, ces registres étaient tenus en partie double. Primus, prêtant cent écus à Secundus, inscrivait sur une page cette somme comme pesée à Secundus : expensum ferebat, pecunia expensa lata erat. De son côté, Secundus portait, sur son registre, cette même somme comme reçue, acceptum ferebat, pecunia accepta lata erat. Celui-ci acquittait-il sa dette, Primus, sur une autre page, en face de la première, inscrivait les cent écus comme ayant été reçus. En même temps, Secundus mettait cette somme à la page des expensa de son propre registre. De cette manière, le codex expensi chez Primus constituait le débet de Secundus et, par conséquent, l'avoir de Primus et le codex accepti, l'avoir de Secundus et le débet de Primus. C'était l'inverse pour les tablettes de Secundus. L'expensum du créancier et l'acceptum du débiteur établissaient deux fois la dette ; les inscriptions sur les deux registres devaient, autant que possible, se faire au même instant. Nous croirions volontiers que ces mentions sur les tablettes avaient lieu devant témoins, lesquels signaient à côté des parties contractantes et apposaient leurs sceaux, ou bien inscrivaient eux-mêmes sur leurs propres registres la créance et la dette. Pour cela, ils n'avaient qu'à faire figurer la même somme, à la même date, à la fois sur le codex accepti et sur le codex expensi. Il y avait balance et l'on pouvait trouver dans ces écritures le témoignage cherché, la preuve demandée.

La dette, l'obligation elle-même s'appelait nomen, de ce que toute dette est inscrite sous le nom d'une personne[23].

Nous apprenons encore par le pro Q. Roscio qu'outre le codex expensi et accepti, ou grand livre, les Romains avaient encore une espèce de livre-journal qu'on nommait adversavia. C'était un simple cahier de notes, où les inscriptions avaient lieu sans ordre, au jour le jour, avec des abréviations, des surcharges, des ratures. Aussi les adversaria ne pouvaient-ils être produits devant la justice. A la fin du mois, on portait habituellement sur le codex accepti et expensi les recettes et les dépenses qu'on avait d'abord écrites sur l'adversavia. En juillet 1875, on retrouvait, à Pompéi, la maison du banquier L. Cœcilius Ju-cundus. Dans un grand coffre qu'on pourrait appeler le portefeuille du banquier, il y avait encore 132 quittances, sur lesquelles 127 ont été déchiffrées, en tout, ou en partie. On a pu se rendre compte alors de ce qu'étaient les adversaria, ou brouillards. Ces tablettes consistaient ordinairement en deux ou trois minces planches de bois, réunies entre elles, comme les couvertures d'un livre et qui étaient enduites, à l'intérieur, d'une légère couche de cire. Sur cette cire, on écrivait à l'aide d'un poinçon en fer. Le parchemin et le papyrus étaient réservés pour ce qu'on voulait définitivement conserver, pour le codex accepti et expensi[24].

La coutume d'inscrire ainsi dettes et créances était venue du caractère formaliste des Romains, de leur amour de l'ordre, du besoin de preuves faciles. En effet, d'après le droit strict, la simple convention n'engendre pas une obligation. Sans doute, le consentement des parties est indispensable, mais il ne suffit pas. Les Romains procédaient avec solennité. Il y avait différentes manières de s'obliger juridiquement.

L'obligation pouvait naître d'abord à la suite d'interrogations et de réponses devant témoins : c'était l'obligation verbis, la stipulatio. La convention simple n'aurait constitué qu'une obligation naturelle, le plus souvent sans aucune sanction légale. Dès qu'il y avait eu stipulatio, les parties étaient liées, d'après le droit civil.

A la suite de l'obligatio verbis se place l'obligatio litteris ; c'est une stipulatio écrite.

Vient enfin l'obligatio re, née d'ordinaire à la suite d'un délit ou d'un quasi-délit, ou de la situation d'une personne à l'égard d'une autre.

Dans le contrat litteris, dès que, d'un côté, la somme a été portée comme pesée, et, de l'autre, comme reçue, expensa lata, accepta relata pecunia, l'obligation existe. L'écriture n'est pas seulement la preuve de l'obligation, c'est l'élément constitutif, essentiel de l'obligation[25]. On donne souvent au contrat litteris le nom d'expensilatio.

Nous allons voir par un exemple tiré d'Aulu-Gelle combien le jugement des questions relatives à ce contrat pouvait être délicat. — On réclamait devant moi, dit cet auteur, une somme qui aurait été remise et comptée. Le demandeur n'appuyait son dire, ni sur des tablettes, ni sur des témoignages ; mais sa vie était à l'abri de tout soupçon ; on citait même plusieurs traits de son honnêteté et de sa franchise. La position du défendeur, au contraire, était fausse ; il menait une existence sordide, il avait été convaincu de mensonge, tout en lui respirait la perfidie et la fraude. Avec ses défenseurs, il criait cependant bien haut qu'une dette ne se prouve que par les moyens ordinaires : expensilation, comptes de banque, preuves écrites, tablettes, sceaux, témoignages et qu'en l'absence de toute preuve de ce genre, le débiteur devait être acquitté et son adversaire condamné pour calomnie. A quoi bon s'occuper des faits et gestes des parties ? Il s'agit d'un procès pour une prétendue dette devant des juges particuliers et non du jugement des mœurs par les censeurs[26]. — Aulu-Gelle très embarrassé, puisque en droit strict, le malhonnête homme avait raison, leva l'audience, alla consulter le philosophe Favorinus, qui le renvoya à Caton, et notre auteur, toujours plus perplexe, finit par demander un plus ample informé, déclarant que les faits n'étaient pas clairs, sibi non liquere juravit.

En effet, le plus souvent, une question de bonne foi venait compliquer le fait matériel de récriture. Il était nécessaire d'établir que l'obligé avait donné au créancier l'ordre de porter la dette sur son registre, de prouver que le débiteur avait consenti à cette inscription.

A quoi servirait, dit Cicéron, que Fannius apportât ses tablettes ? Roscius apporterait les siennes. La dette sera inscrite seulement sur le registre de Fannius ; celui de Roscius n'en fera pas mention. Pourquoi ajouter foi à l'un plutôt qu'à l'autre ? Fannius aurait-il inscrit le nom de Roscius, si celui-ci ne lui en avait pas donné l'ordre ? Mais Roscius n'aurait-il pas fait la même mention sur ses tablettes ? Car s'il est honteux d'écrire faussement ce qu'on ne nous doit pas, il est malhonnête aussi de ne pas écrire ce qu'on doit[27].

Le consentement de l'obligé devait donc se prouver. Il pouvait s'établir par l'apport des deux registres, si la dette avait été inscrite sur les tablettes du débiteur comme sur celles du créancier, en un mot, si on avait affaire à d'honnêtes gens. Mais lorsque les deux registres n'étaient pas d'accord, il fallait chercher ailleurs des preuves. L'inscription sur le registre seul du prétendu créancier ne prouvait pas grand'chose[28].

La double inscription était donc, sinon indispensable, du moins très utile. Voici, d'après Théophile, dans sa paraphrase des Institutes, quelle était la formule qui servait à constater le consentement du débiteur à figurer sur les tablettes du créancier. Centum aureos, quos mihi ex causa locationis debes, expensos tibi tuli, disait le créancier et le débiteur répondait : expensos tulisti. Suivant ce jurisconsulte, la cause de la dette et l'acceptation du débiteur auraient dû être consignées. En quoi eût différé alors l'obligatio litteris de l'obligatio verbis ? Il est probable, au contraire, que la présence des deux parties n'était pas absolument nécessaire comme dans la stipulatio. Expensum ferri potest absenti, etsi verbis obligatio cum absente contrahi non possit, dit Gaius, Comm., III, § 138. Cette doctrine est celle de Cicéron. L'important était que le consentement du débiteur fût certain. Le créancier pouvait, à son heure, sans l'assistance du débiteur, ni de témoins, inscrire la dette sur son codex et les honnêtes gens relevaient seulement tous les mois les notes de leur adversaria[29]. Le devoir du débiteur était, comme nous l'avons vu, de porter comme reçue la somme qu'il avait autorisé son créancier à inscrire comme payée. Cette seconde inscription était comme l'autre partie du contrat et correspondait à la promesse de l'obligé, dans le contrat verbis[30].

Le créancier ne pouvait pas être à la merci du débiteur qui, par mauvaise foi, pouvait toujours ou ne pas faire l'inscription sur son registre, ou faire disparaître celle qui avait eu lieu en présence même du créancier. Le procès ne pouvait se borner à la comparaison des deux registres ; Cicéron fait, avec raison, ressortir l'impossibilité de procéder ainsi.

Le créancier avait deux choses à établir : 1° l'inscription de la dette, 2° le consentement du débiteur à laisser écrire son nom sur les tablettes du créancier. Pour prouver la première, l'apport et l'examen de son registre à lui suffisait ; pour la seconde, il fallait avoir recours aux témoignages écrits ou oraux. Pendant longtemps les registres furent tenus avec tant d'exactitude, la crainte de commettre un faux était si grande, que les écritures étaient rarement contestées. Peu à peu on fut obligé de ne pas s'en rapporter seulement à la bonne foi des parties.

Au créancier incombait la nécessité de démontrer qu'il avait avec raison inscrit la dette sur son registre. Ainsi Fannius se prétendait créancier de Roscius pour une somme de cinquante mille sesterces exactement. Prouvez, disait Cicéron, que Roscius vous a autorisé à porter cette dette sur vos adversaria, puisque vous n'avez pas de codex et indiquez pour quelle cause Roscius est votre débiteur. Roscius s'est-il engagé verbalement à vous payer cinquante mille sesterces et cette obligatio litteris est-elle destinée à remplacer, à nover, une obligatio verbis précédente ? Mais alors c'est votre stipulation et la réponse de Roscius qu'il faudra établir. Pas un témoin ne confirmerait cette stipulatio. — Stipulatus es ? quo die ? ubi ? quo tempore ? quo prœsente ? quis spopondisse me dicit ? Nemo[31]. S'il n'y a pas eu novation, si Fannius veut s'en tenir à l'obligatio litteris, qu'il produise le registre de ses amis, en qui on pourra avoir confiance. Nous avons déjà eu lieu de remarquer cette habitude de faire corroborer ses propres écritures par des inscriptions simultanées sur plusieurs registres de tierces personnes. C'est pour cela que Cicéron demandait à Fannius de faire apporter les livres de Saturius, son avocat, ou de Perpenna, l'assesseur de Pison, ou de quelque autre personnage connu. La dette ainsi inscrite sur le registre de tiers, à sa date, aurait été suffisamment confirmée[32].

Sénèque appelle ces témoins des signatores. On a conjecturé que les signatores, ou pararii étaient des gens de loi, Tabelliones, pragmatici[33]. Nous inclinerions plutôt à penser que c'étaient des banquiers. La plupart des affaires, surtout des affaires d'argent se traitaient devant eux. L'habitude, où l'on fut pendant longtemps de peser le métal qui servait aux échanges, dut rendre presque constante l'intervention des argentarii : eux seuls connaissaient, en effet, le cours des monnaies, eux seuls possédaient des balances exactes. Les ventes à l'encan se passaient en leur présence[34]. C'était à leur comptoir, mensa, tabula, qu'on se donnait rendez-vous toutes les fois qu'on voulait rendre publique une rencontre, une réunion. Les banquiers se trouvaient donc mêlés à la plupart des conventions, des échanges, des actes juridiques même et nous serions portés à croire que leur rôle était alors assez semblable à celui de nos officiers ministériels. Quoi qu'il en soit, on usait d'inscriptions multiples soit sur les tablettes de ses amis, soit sur celles de banquiers : ces différentes signatures, ces différents sceaux garantissaient l'engagement des parties. Nous trouvons aujourd'hui dans la lettre de change quelques traces de la manière d'agir des Romains en matière commerciale.

On ne pouvait présenter ordinairement en justice que le codex accepti et expensi, c'est-à-dire, un livre régulièrement tenu. S'appuyer sur une note inscrite dans ses adversaria n'était point l'usage. Suum codicem testis loco recitare, arrogantiœ est, suarum perscriptionum et liturarum adversaria proferre non amentias est ? C'était pourtant la seule preuve que Fannius eût à faire valoir.

La multiplicité des contestations amena plus tard le législateur à imposer l'assistance de témoins pour tout acte susceptible d'être produit en justice. Aux signatures devaient être joints les sceaux[35].

Ce n'est pas seulement dans le pro Roscio comœdo que Cicéron fait ressortir combien l'obligatio litteris, l'expensilatio présente de danger, comment l'honnête homme peut être trompé. On se rappelle la charmante narration du de officiis (l. III, c. 14) dans laquelle Cicéron nous raconte le subterfuge du banquier Pythius pour faire acheter ses jardins au chevalier Canius. Pythius s'empresse de transformer la vente, contrat admis par le droit des gens, contrat de bonne foi, en une convention de droit strict. L'obligation naturelle devient une obligation civile. Canius se lie par l'expensilatio, nomina facit[36]. Il s'opère une novation. Canius ne doit plus le prix de la vente comme acheteur ; il devient débiteur de Pythius pour une somme déterminée. Il n'y a plus vente, mais dette reconnue, acceptée. Dans la vente, le juge aurait pu faire un arbitrage ; lorsqu'il y a contrat litteris, l'obligé doit s'acquitter du moment qu'il ne peut s'inscrire en faux. Il faudra que le droit prétorien, venant au secours des victimes du droit civil, tempère la rigueur du droit strict par l'exception de dol. Nous voyons par l'exemple de Canius que l'écriture pouvait quelquefois n'être pas contestée et que cependant, en bonne justice, l'expensilatio devait être considérée comme nulle.

Cicéron s'attache à démontrer que l'argent réclamé à Roscius par Fannius n'a été, ni remis par lui à Roscius, ni régulièrement porté comme ayant été compté et pesé pour le prétendu débiteur, ni promis à Fannius par Roscius : pecunia neque data, neque stipulata, neque expensa lata[37]. Fannius reconnaît que la somme n'a pas été fournie par lui (data) ; qu'il n'y a pas eu d'inscription : c'est ce qu'établissent ses registres mêmes ; enfin l'absence de témoins permet de dire qu'il n'y a pas eu stipulation : datam non esse Fannius confitetur ; expensam latam non esse codices Fannii confirmant ; stipulatam non esse taciturnitas testium concedit. En d'autres termes il n'y a eu obligation ni re, ni verbis, ni litteris ; il n'y a eu ni mittuum (prêt, obligation de rendre des choses semblables à celles qu'on remet), ni stipulatio, ni expensilatio. Fannius soutient donc à tort qu'il est créancier de Roscius pour une somme certaine, pour cinquante mille sesterces ; c'est en vain qu'il a recours à la procédure de la condictio certi. La condictio certi ne convient qu'à ceux qui sont créanciers d'une somme déterminée[38].

 

IV. — CONDICTIO CERTI. - SPONSIO LEGITIMÆ PARTIS. - LÉGALEMENT ROSCIUS NE DOIT RIEN A FANNIUS.

 

Pourquoi Fannius préférait-il la condictio certi à l'action pro socio, un judicium à un arbitrium, une action de droit strict à une action ex œquo et bono ? Pourquoi aimait-il mieux s'exposer à ne rien obtenir, si sa prétention ne paraissait pas entièrement légitime, que réclamer, à titre d'associé, une part dans l'indemnité que Roscius avait reçue de Flavius ? On ne saurait en découvrir la raison. Peut-être Fannius prévoyait-il qu'à la suite d'un arbitrage, il n'obtiendrait rien au-delà des quinze mille sesterces, que Roscius, sur le conseil de Pison, lui avait déjà remis, et espérait-il, au contraire, intimider son ancien associé en se disant rigoureusement créancier de cinquante mille sesterces. Roscius pouvait, en effet, craindre d'être accusé de ne pas tenir régulièrement son registre. — Roscius, disait sans doute Fannius, m'a donné l'ordre d'inscrire la dette sur mon livre, parce qu'il ne lui était pas possible de me payer la somme qu'il reconnaissait me devoir. Si on ne trouve pas de mention sur les tablettes, c'est que Roscius est de mauvaise foi. Quant à moi, je ne présente aujourd'hui qu'une note sur mes adversaria, parce que mon codex a disparu.

Roscius était au-dessus de ces accusations et Fannius s'était jeté à la légère dans un procès où, pour soutenir son droit, il ne produisait qu'un titre incertain, un brouillon informe. D'ailleurs il n'avait pas pris tout de suite le parti, auquel il s'était décidé. Il avait accepté d'abord un arbitrage : Pison, celui qui allait être le juge de ce procès, avait servi d'intermédiaire entre Roscius et Fannius. En agissant ainsi, en recevant de Roscius quinze mille sesterces, Fannius n'avait-il pas reconnu lui-même que le chiffre de sa demande était incertain ? Il était donc mal fondé à avoir recours à la condictio certi, à réclamer de Roscius une somme fixe, alors qu'il avait commencé par avouer que ce que pouvait lui devoir son adversaire était incertum. L'arbitrage précédent était donc un obstacle à la condictio certi.

La lacune de la première partie du plaidoyer pour Q. Roscius ne doit pas être considérable. L'orateur n'avait pas besoin d'un long exorde, puisque toutes les sympathies étaient acquises à l'avance à son client, ni d'une réfutation très étendue, puisque les allégations de Fannius paraissaient vaines au premier abord et que les débats se déroulaient devant un juge qui avait déjà rempli entre les parties le rôle d'arbitre. Si Calpurnius Pison a condamné Fannius, en conciliation, dirions-nous par analogie avec les procès de la compétence des juges de paix, il est probable que, dans le jugement définitif, il ne lui donnera pas raison. Cicéron a dû se borner, par conséquent, à quelques plaisanteries à l'adresse de Fannius. Il s'est contenté ensuite de faire remarquer que l'adversaire de Roscius n'a produit d'autre titre que ses adversaria et qu'il a laissé trois ans cette note sans la transcrire sur son registre. Comment reprocher dès lors à Roscius de mal tenir ses écritures, quand on a soi-même si peu de soin pour les siennes ? L'orateur n'avait qu'à faire ressortir l'ignorance, la maladresse de Fannius.

Mais Cicéron ne s'en tient pas à cette réfutation suffisante et facile. Il entre, comme d'habitude, dans la voie des concessions les plus larges ; on dirait qu'il abonde un moment dans le sens de son adversaire. C'est une manœuvre pour amener Fannius à déposer contre lui-même. Je vais aller plus loin, dit-il, ce que je promets est difficile ; mais si Roscius ne trouve pas dans la même personne un adversaire et un témoin, je ne veux pas qu'il triomphe[39].

Il était loisible à Cicéron de repousser Fannius par une fin de non-recevoir. Mais il ne veut pas éviter une discussion approfondie. Fannius a voulu poursuivre Roscius par la condictio certi. Quoiqu'il n'y ait pas de certum, Cicéron accepte cette procédure et contraindra Fannius à confesser qu'il a menti et à proclamer l'honnêteté de Roscius.

Si le mot certum n'a pas besoin d'explication, il n'en est pas de même du mot condictio. Voici la définition qu'en donne Festus : Condictio est in diem certum ejus rei, quæ agitur, denuntiatio[40]. Agere per condictionem consistait à déclarer devant témoins à son adversaire la somme exacte qu'on réclamait de lui et à l'inviter à se trouver dans un délai de trente jours devant le magistrat pour recevoir un juge.

Cette action vint s'ajouter à l'actio per sacramentum et l'actio per judicis postulationem. Elle fut créée d'abord pour les contestations sur une somme déterminée, certœ pecuniœ condictio, par la loi Silia de 510 (?), puis étendue par la loi Calpurnia de 520 (?), à tous les débats sur un objet certain, certum. Cette manière de procéder paraît avoir été instituée pour simplifier les formes solennelles des deux autres actions de la loi. Au début, les Romains, ne connurent que la procédure per scacramentum, avec des allées et venues devant le magistrat, des paroles déterminées, dont Cicéron, tout respectueux qu'il est du passé, se moque plus d'une fois. L'actionner judicis postulationem fut déjà un progrès ; elle eut pour but de permettre au juge d'apprécier la bonne foi des parties, de constituer l'arbitrage. L'action per condictionem, s'appliquant aux obligations de donner une chose certaine, fut un acheminement plus direct vers la procédure formulaire définitivement organisée par la loi Ebutia, qui ne fit que consacrer un ordre de choses depuis longtemps établi.

En effet la denuntiatio, ou condictio avait lieu hors la présence du magistrat, comme l'in jus vocatio dans la procédure formulaire ; les parties se rendaient ensuite devant le magistrat pour recevoir un juge, enfin les sollemnia verba étaient supprimés, au moins pour la denuntiatio, qui ne se passait pas in jure[41].

Dans la procédure formulaire, l'action per condictionem n'existe plus, elle a disparu avec les autres actions de la loi, mais le nom de condictiones a été conservé pour les formules mêmes au moyen desquelles on poursuit l'obligation de donner des choses certaines, dare certam pecuniam, certam rem[42]. A l'époque de Cicéron, l'obligation de donner une somme d'argent déterminée se poursuivait par la condictio certi. Ce n'est que plus tard que le mot condictio s'applique à toutes les actions in personam, comme le mot vindicatio, aux actions in rem[43]. Mais au moment où nous sommes, la condictio certi est employée par celui qui réclame une somme fixe, soit comme ayant été remise par lui (data), soit comme lui ayant été promise (stipulata) soit enfin comme ayant été inscrite par lui sur son registre, pour avoir été pesée à une autre personne (expensa lata). Dans la condictio certi, ou action de certa pecunia intervenait une sponsio. Le demandeur stipulait de la part du défendeur le paiement, à titre de peine, du tiers de la somme principale, dans le cas de condamnation. Le défendeur liait le demandeur par un engagement semblable à celui qu'il avait pris : c'était la restipulatio. D'ordinaire la sponsio est facultative et le montant en est fixé par les parties. Le but est de remplacer le dépôt, opéré autrefois pour garantir l'acquittement des condamnations (sacramentum), par l'engagement de payer une somme déterminée, en cas d'insuccès. Il n'en est pas de même ici. La sponsio dans la condictio certi est obligatoire et elle s'élève toujours au tiers du principal : d'où son nom de sponsio légitimœ partis, sponsio cum tertia parte[44]. Cette sponsio était pœnalis[45] par opposition à la sponsio prœjudicialis, que nous avons eu l'occasion d'étudier dans le pro Quinctio. La sponsio légitimée partis devait être faite par le demandeur : sponsione provocabat, aggrediebatur, lacessebat. Gagner son procès se disait vincere sponsionem. Enfin plaider de cette manière c'était, sponsione certare, agere per sponsionem, agere cum periculo. Agere sine periculo, ou per formulam, c'était plaider sans qu'il intervînt de sponsio[46].

Le demandeur s'exprimait ainsi : Si calumniœ causa negaveris, legitimam petitœ pecuniœ dare spondes ? Le défendeur répondait : spondeo. La restipulatio avait lieu ensuite dans des termes analogues. Les mœurs, les lois, le droit prétorien avaient attaché des peines au fait de plaider de mauvaise foi (calumnia[47]). Peut-être, dès l'époque de Cicéron, exigea-t-on des plaideurs le serment qu'ils étaient de bonne foi[48]. Le jus jurandum de calumnia devint obligatoire avec la législation justinienne.

Fannius a donc affronté cette procédure périlleuse. Pecunia petita certa, cum tertio, parte spontio facta est[49]. S'il réclame un sesterce de plus qu'on ne lui doit, il perd son procès, car il y a plus pétition[50]. Le juge n'examinera pas si Roscius doit quelque chose à Fannius, il constatera seulement qu'il ne doit pas la somme demandée.

L'avocat de Roscius pouvait donc, sans nier absolument la dette, établir que le chiffre de Fannius n'était pas exact, que la propriété donnée par Flavius à Roscius était bien loin de valoir cent mille sesterces et que par conséquent la prétention de Fannius ne pouvait être admise. — Hic ego si finem faciam dicendi satis fidei et diligentiœ meœ, satis causœ et controversiœ, satis formula ? et sponsioni, satis etiam judici fecisse videar, cur secundum Roscium judicari debeat. — Le droit strict est pour Roscius. C'est à tort que Fannius a eu recours à la condictio certi. La somme qu'il réclame n'a été ni data, ni stipulata, ni expensa lata ; Fannius n'a pas de titre, la dette n'a pas de cause, et, en admettant même que Roscius soit débiteur de Fannius, sa demande doit être rejetée, parce qu'il y a plus-pétition.

 

V. — CARACTÈRES DE FANNIUS ET DE ROSCIUS.

 

Cette argumentation est d'un juriste consommé. Si l'avocat a rempli sa mission, si la cause est gagnée, il reste encore à l'ami de Roscius à flétrir son accusateur. C'est un homme assez triste que ce Chéréa avec ses sourcils rasés. Autant Roscius inspire la sympathie au premier abord, autant Fannius excite l'aversion. Lorsque, dans le Pseudolus, Roscius représente le méchant Ballion, il n'a qu'à copier Fannius, pour rendre le personnage dans toute sa vérité, et, si Chéréa est au théâtre, chacun se tourne vers lui et croit que c'est Ballion[51]. C'est ainsi que de tout temps auteurs et acteurs nous divertissent avec nos voisins. Fannius est honni de tous ; Roscius, au contraire, jouit de l'estime publique. Ce n'est pas seulement le talent qu'on prise en lui, c'est aussi le caractère. De même qu'un tison enflammé s'éteint dès qu'on le plonge dans l'eau, ainsi s'évanouit la calomnie, lorsqu'elle s'attaque à une vie pure. Comment fera-t-on croire à personne qu'un homme tel que Roscius, qui néglige de gagner, quand il le peut, trois cent mille sesterces, puisse en arracher à Chéréa cinquante mille[52] ?

Cicéron accumule contre Chéréa les invectives et les plaisanteries. Après avoir démontré juridiquement qu'il a tort, il se donne le plaisir de le couvrir de honte, en le bafouant sans pitié. Cette manière de plaider était fort en honneur ; on ne l'a pas entièrement oubliée. Malgré ce qu'elle peut avoir d'exagéré, on ne saurait méconnaître l'habileté avec laquelle Cicéron peint ses adversaires[53]. Que ce soit Chéréa, qui n'a pas un poil d'honnête homme, ou Chrysogonus, ce personnage au nom doré, ou Verres se promenant dans une litière, mollement étendu sur des roses de Malte, à la façon d'un roi de Bithynie, ou encore Vatinius s'élançant pour parler, les yeux saillants, le cou gonflé, les muscles tendus, la figure de ces débauchés et de ces criminels reste à jamais gravée dans notre esprit, tant l'imagination de Cicéron sait leur donner de vie et de couleur. L'esprit de l'avocat s'exerce volontiers sur le nom, sur les défauts physiques de ceux qu'il a en face. Cicéron s'abandonnait à la raillerie avec emportement, lorsqu'il attaquait Verres et Catilina, avec peu de générosité, lorsqu'il reprochait son goitre à Vatinius, le plus souvent avec enjouement et avec grâce, lorsque, défendant Célius, il lançait contre Clodia ces paroles acérées : neque enim muliebres unquam inimicitias mihi gerendas putavi, præsertim cum ea, quam omnes semper omnium amicam potius quam cujusquam inimicam putaverunt. Il était difficile en aussi peu de mots de dire mieux et plus[54].

Ce n'était pas seulement à ses adversaires, aux témoins que s'attaquait l'orateur, c'était encore aux magistrats et aux juges[55]. Nous avons vu, dans le pro Quinctio, les plaintes de Cicéron contre les préteurs Burriénus et Dolabella, qui se sont prononcés contre Quinctius. L'avocat de Cluentius ne craint pas de reprocher sa vénalité au juge Stalénus.

Cicéron avait fait d'ailleurs une étude particulière de l'ironie[56], et, dans ce genre, comme dans les autres, il s'éleva bien au-dessus de ses prédécesseurs et de ses contemporains. Les Romains aimaient assez les traits qui pénètrent profondément, mais ils ne goûtaient que peu ceux qui blessent en effleurant. Il leur faudra entendre des orateurs comme Cicéron, connaître des esprits distingués comme Pline, pour apprécier une plaisanterie fine.

La liberté de parole a toujours été extrême au barreau. Lorsque la tyrannie du parti victorieux essayait d'étouffer la voix de l'orateur, il protestait contre cet abus de la force en appelant à son aide l'ironie, et l'allusion mordante atteignait, aussi sûrement que le coup direct, le maître et l'esclave[57]. Plusieurs fois l'empire essaya de restreindre ce pouvoir de tout dire que réclamaient pour eux les avocats. Un moment comprimée, la liberté se relevait plus audacieuse. Il y avait parfois du courage à se servir de l'ironie. Pline, plaidant contre un accusé jouissant d'un grand crédit, sans cesse interrompu par les cris des sénateurs, s'écriait : Laissez-moi parler ; quand j'aurai tout dit, cet homme n'en sera pas moins innocent[58]. Tous les empereurs n'étaient pas du reste aussi endurants que Trajan. Des constitutions de Valentinien et de Valens apportèrent des limites assez légitimes à la licence des plaidoiries. Il fut défendu d'injurier les parties, en dehors des nécessités de la cause[59]. Cette disposition était encore assez large[60].

 

VI. — ROSCIUS AVAIT LE DROIT DE TRANSIGER AVEC FLAVIUS ET IL L'A FAIT EN SON NOM ET POUR SON COMPTE.

 

Cicéron a démontré, soit par des preuves juridiques, soit par des considérations morales, que le procès intenté par Fannius à Roscius est mauvais. La convention conclue entre Flavius et Roscius a été très régulière. Ce n'est pas pour le compte de la société, mais pour lui seul, que Roscius a transigé[61]. Ce dernier point fixé, il ne restera aucun doute qu'en droit et en équité Roscius ne devait rien à Fannius.

L'auteur de l'homicide par imprudence savait très bien que Panurge appartenait conjointement à Roscius et à Chéréa, mais il savait aussi qu'il traitait avec Roscius seul. S'il avait vu en lui le représentant de la société, n'aurait-il pas exigé de Roscius caution, afin de ne plus être inquiété pour cette affaire par une autre personne : amplius a se neminem petiturum ? Roscius transigeait seul ; c'est pour cela que Flavius n'exigeait de lui aucune garantie.

On ne peut pas dire que Flavius ignorât la société entre Chéréa et Roscius, puisque les poursuites avaient été commencées par Fannius, au nom des deux associés. Roscius avait donné mandat à Fannius, mais il n'en avait pas reçu de Fannius. Chéréa avait été régulièrement institué cognitor de Roscius ; c'était lui qui devait partager avec son mandant tout ce qu'il pourrait obtenir de Flavius. Au surplus, Roscius avait retiré son mandat à Fannius, ipso facto, en transigeant directement avec Flavius. Mais comme la transaction n'avait eu lieu qu'après l'instance commencée par Fannius, post litem contestatam[62], Roscius avait payé quinze mille sesterces à son associé pour l'indemniser des frais qu'il avait pu faire et de ses services. Fannius pouvait d'ailleurs continuer, pour son propre compte, le procès et se faire donner par Flavius une somme plus considérable.

Roscius s'était conformé aux obligations du mandant[63]. La conduite de Fannius, dans la suite, témoignait encore en sa faveur. Car celui-ci, après avoir reçu les quinze mille sesterces, s'était engagé envers Roscius à lui remettre la moitié de ce qu'il obtiendrait de Flavius. Ne reconnaissait-il pas par là que ces quinze mille sesterces étaient une rémunération suffisante pour ses peines et soins et que Roscius n'avait renoncé que pour lui seul à poursuivre Flavius ? Roscius n'avait pas voulu que son nom fût mêlé plus longtemps à cette affaire, il avait accepté une indemnité, payé son mandataire et laissé à un plus habile le soin d'obtenir davantage, si c'était possible.

Si Roscius avait pu transiger pour tous les deux, Flavius eût été quitte envers Fannius aussi bien qu'à l'égard de Roscius et Fannius n'avait pas à s'engager à partager avec Roscius ce qu'il recevrait de Flavius, puisqu'il ne pouvait plus rien demander à celui-ci.

Quelle était donc la thèse de l'avocat de Chéréa ? Voici peut-être ses arguments. Fannius n'a pas reçu d'indemnité de Flavius ou il n'en a reçu qu'une fort médiocre ; Roscius, au contraire, a été largement payé de la perte qu'il a faite en Panurge ; Roscius s'est donc enrichi par le fait de la société ; il est juste qu'il partage avec son ancien associé. D'ailleurs, en acceptant mandat de Roscius à l'effet de poursuivre Flavius, Fannius pensait que Roscius ne ferait, de son côté, aucune démarche ; la transaction intervenue brusquement entre Roscius et Flavius, a entravé la procédure commencée et a porté un grave préjudice à Fannius. Les obligations entre associés étant généralement communes, il y a eu mandat réciproque[64]. Si Fannius a été le cognitor de Roscius, celui-ci en traitant avec Flavius, a été, malgré lui, le procurator de Fannius. Fannius doit bénéficier de la transaction, concluait Saturius.

A cela Cicéron répondait d'abord qu'une société est détruite, par la perte de l'objet pour lequel elle a été établie. Du jour de la mort de Panurge, la convention entre Roscius et Fannius avait fatalement pris fin. Chaque associé reprenait sa liberté d'action et ne pouvait plus agir pour le compte d'un autre que s'il avait un mandat spécial.

Fannius avait reçu lui-même cent mille sesterces de Flavius et il n'en avait pas offert généreusement la moitié à Roscius. Chaque associé avait donc agi pour son compte personnel. Fannius était de mauvaise foi dans ce procès.

Les faits que Cicéron avance sont confirmés par les témoignages de Cluvius, qui fut juge entre Fannius et Flavius et des sénateurs T. Maniliuset C. Luscius Ocréa[65].

De cette discussion, il ressort que le débiteur en cette affaire serait peut-être bien Fannius. Il a été, en effet le cognitor de Roscius et il s'est engagé à remettre à Roscius la moitié des sommes qu'il recevrait de Flavius, à titre d'indemnité.

Cicéron termine sa plaidoirie par une comparaison très juste entre les associés et les héritiers. La société a, dit-il, la ressemblance la plus grande avec l'hérédité. De même que l'associé aune part, de même, l'héritier. De même qu'un héritier fait pétition d'hérédité pour lui seul et non pour ses cohéritiers, de même un associé intente une action pour lui et non pour les autres associés. Si l'associé et l'héritier affirment leur droit, ils y renoncent aussi d'après la part qu'ils ont, l'un par son apport dans la société, l'autre par droit d'hérédité[66].

D'après le principe romain, bien différent des règles du droit français[67], les obligations ne se contractent ni activement, ni passivement, pour autrui. L'accord entre Roscius et Flavius était, par rapport à Fannius, qui n'avait donné aucun mandat à Roscius, res inter alios acta. Roscius et Fannius avaient une créance contre Flavius ; chacun pouvait réclamer séparément le paiement de sa part, le droit de l'autre restant intact.

Cicéron avait, pour ainsi dire, repoussé trois fois l'attaque de son adversaire : il montre d'abord que les titres produits sont sans valeur ; puis il établit qu'il n'y a pas de créance de Fannius contre Roscius ; il prouve enfin que, sous le rapport de l'équité, comme en droit, Roscius ne redoit rien à Fannius. On sent que Cicéron est dans le vrai ; sa parole est constamment nette et précise, comme celle d'un jurisconsulte qui voudrait éclaircir un texte, plutôt que véhémente et entraînante, comme celle d'un avocat, qui chercherait à gagner quand même sa cause. Après cette plaidoirie le doute n'était pas possible pour le juge[68].

Les qualités que Cicéron a montrées dans le pro Quinctio, ont grandi ; en même temps que la parole s'est enrichie, le raisonnement est devenu plus serré ; l'orateur apparaît plus fort et plus irrésistible.

 

 

 



[1] Servus communis sic omnium est, non quasi singulorum totus, sed pro partibus utique indivisis, ut intellectu magis partes habeant, quam corpore. Et ideo, si quid stipulatur, vel quaque ratione acquirit, omnibus acquirit pro parte qua dominium in eo habent. Digeste, XLV, 3 ; de stipul. serv.

[2] Ut sit pro socio actio, societatem intercedere oportet ; nec enim sufficit rem esse communem, nisi societas intercedit. Coire societatem et simpliciter licet et si non fuerit distinctum, videtur coïta esse universorum qeæ ex quæstu veniunt. Si non fuerint partes societati ad-jectæ, æquas esse constat. Digeste, XVII, 2, pro Socio.

[3] V. le bel éloge que Cicéron fait de Roscius : de orat., III, 26, 102 ; Brutus, 84. 290 ; pro Archia, 8, 17, etc., et Horace, Ep. II, 1, Si ; Pline, Ep. VII, 39 : Quintilien, XI, 8 ; Macrobe, Saturnales, III, 14 ; Athénée, XIV ; Plutarque, Vie de Cicéron, etc., et surtout Fraguier, Recherches sur la vie de Roscius (Mém. lu à l'Acad. des inscr. et bel. Lettres, 23 fév. 1717).

[4] Pro Cluent., XXXVIII, 107 et LXV, 182.

[5] Pro Cœc., 12, 34 et suiv.

[6] Pro Q. Rosc., X, 27-31.

[7] Nec solum corpus inactione legis Aquilite œstimatur, sed, si alieno servo occiso, plus dominus capiat damni, quam pretium servi est, id quoque æstimetur... Item, si ex gemellis, vel ex comœdis, vel ex symphoniacis unus occisus fuerit, non solum occisi fit œstimatio, sed eo amplius quoque computatur, quod ceteri, qui supersunt, depretiati sunt. Gaius, III, 212.

[8] Ut in quo quisque genere excelleret, is in suo artificio Roscius diceretur. — De Orat., I, XXVIII, 130.

[9] Sed si communem servum quis occiderit, Aquilia lege teneri eum Celsus ait. Idem est si vulnerarit, scilicet pro parte ea, pro qua dominus est, qui agat. Digeste, IX, 2, ad leg. Aquil. ; Gaius, IV, 210-214 ; Instit., IV. 3.

[10] V. Gaius, IV, 46 et 86.

[11] Cf. plus haut, Pro Quinctio ; v. Gaius, IV, 83, 84, 97, 98.

[12] Les éditions varient beaucoup quant aux chiffres ; nous suivons R. Klotz, Leipsig, 1875.

[13] V. Gaius, III, 148-155 ; Instit., III, 5, 9 ; Digeste, XVII, 2 ; Cf. Pro Quinctio, III, 13.

[14] Si qua sunt privata judicia summæ existimationis et pæne dicam capitis, tria hœc sunt, fiduciæ, tutelœ, societatis. Pro. Rosc. com., VI, 16. Cf. Pro Quinctio.

[15] Digeste, III, 2 ; Gaius, IV, 182 ; Instit., IV, 16, 2.

[16] Judicium est pecunise certœ ; arbitrium, incertœ. Ad judicium hoc modo venimus ut totam litem aut obtineamus, aut amittamus ; ad arbitrium hoc animo adimus, ut neque nihil, neque tantum, quantum postulavimus, consequamur. Pro Rosc. Com., IV, 10. — Q. quidem Scævola pontifex maximus summam vim dicebat esse in omnibus iis arbitras, in quibus adderetur : ex bona fide, fideique bonæ nomen exis-timabat manere Iatissime, idque versari in tutelis, societatibus, fiduciis, mandatis, rébus emptis venditis, conductis locatis, quibus vitse speietas contineretur : in his magni esse judiciis statuere (prœsertim quum in plerisque essent judicia contraria), quid quemque cuique prœstare oporteret. Cicéron, de off., III, 17 ; 70. Cf. Gaius, IV, 26 ; Instit., IV, 6, 28.

[17] Judicem formula includit et certos, quos non excédat, terminos ponit ; arbitri libéra et nullis astricta vinculis religio, et detrahere aliquid potest, et adjicere et sententiam suam, non prout lex aut justifia suadet, sed prout humanitas et misericordia impulit, regere. — Sénèque, de benef., III, 4.

[18] Pro Q. Rosc., IX, 25 et XIII, 38.

[19] Moris autem fuit unumquemque domesticam rationem sibi totius vitæ suse per dies singulos scribere, ex qua appareret, quid quisquede reditibus suis, quid de arte, fœnore lucrove deposuisset quoquo die et quid idem sumptus damnive fecisset. Sed postquam obsignandis litteris reorum ex suis quisque tabulis damnari cœpit, ad nostram memoriam tota hæc vêtus consuetudo cessavit. Asconius, In Verr., II, I, c. 23.

[20] Confecit diligentissime tabulas Cluentius. Hœc autem res habet hoc certe ut nihil possit neque additum, neque detractum de re familiari latere. Pro Cluent., c. 30. — Habes et istius et patris ejus accepti tabulas omnes : quas diligentissime legi atque digessi, patris, quoad vixit, tuas quod ais te confecisse. Nam in isto, judices hoc novum reperietis. Audimus aliquem tabulas nunquam confecisse... Audimus alium non ab initio fecisse, sed ex tempore aliquo confecisse... Hoc vero novum et ridiculum est, quod hic nobis respondet, quum ab eo tabulas postularemus : usque ai M. Terentium et C. Cassium consules confecisse, postea destitisse... In Verr., III, I, 23.

[21] Pro Rosc. com., III, 7.

[22] Qui in rationibus tabulis cereisve velalia qua re, sive consignatione falsum fecerint, vel rem amoverint, perinde his causis atque si erant alsarii, puniebantur. Digeste, XVIII, 10.

[23] Pline dit en parlant de la fortune : huic omnia expensa, huic omnia accepta feruntur, et in tota ratione mortalium, sola utramque paginam facit. On met sur le compte de la fortune heurs et malheurs, et c'est elle seule qui, dans la balance de nos joies et de nos peines, est constituée notre créancière ou notre débitrice. Pline, Hist. nat., II, 7.

[24] G. Boissier, Promenades Archéologiques, p. 299 et suiv.

[25] L'expression nomina facere est consacrée, chez les prosateurs, pour indiquer la création de cette sorte d'obligations. In Verr., I, 136 ; de off., III, 4 ; Sénèque, de benef., II, 23 ; etc. Les poètes se servent plutôt de scribere nomen, nummos. Plaute, Asinaria, II, 4, 34 : nunc satagit ; adduxit domum etiam ultro et scribit nummos. Cf. Térence, Phormion, V, 8, 89. Horace, ep. II, I, 105 : Scriptos nominibus certis expendere nummos, prêter son argent à des débiteurs sûrs. Dans la Sat. II, 3, 69 : Scribe decem a Nerio, on peut entendre scribe decem a Nerio expensos nummos, écris dix écus pesés par Nérius, prête ton argent avec toutes les garanties qu'un usurier emploie ; ou bien scribe decem nummos acceptos a Nerio, écris dix écus reçus d'un Nérius, prêtés par un Nérius. Le sens est le même ; Horace a voulu dire que le débiteur échapperait quand même à toute poursuite.

[26] Petebatur apud me pecunia quæ dicebatur data numerataque, sed qui petebat, neque tabulis, neque testibus id factum docebat et arguments admodum exilibus nitebatur. Sed cum constabat virum esse ermebonum notœque et expertæ fidei et vitœ inculpatissimæ multaque et illustria exempla probitatis sinceritafisque ejus expromebantur ; illum autem, unde petebatur, hominem esse non bonæ rei vitaque turpi et sordida convictumque vulgo in mendaciis plenumque esse perfidiarum et fraudum ostendebatur. Is tamen cum suis multis patronis cla-mitabat probari apud me debere pecuniam datam consuetis modis, expensilatione, mensæ rationibus, chirographi exhibitione, tabularum obsignatione, testium intercessione, ex quibus omnibus si nulla re probaretur, dimitti jam se oportere et adversarium decalumnia damnari, quod de utriusque vita atque factis diceretur, frustra id lieri atquedici : rem enim de petenda pecunia apud judicem privatum agi, non apud censores de moribus. Nuits Attiques, XIV, 2, 4.

[27] Quod si ille proferet tabulas, proferet suas quoque Roscius. Erit in illius tabulis hoc nomen, at in hujus non erit. Cur potius illius quam hujus crederetur ? Scripsisset ille, si non jussu hujus expensum tulisset : Non scripsisset hic, quod sibi expensum ferri jussisset ? Nam quemadmodum turpe est scribere quod non debeatur, sic improbum est non referre quod debeas. — Pro. Q. Rosc., I, 2.

[28] Cf. Val. Maxime, VIII, 2 : C. Visellius Varo, gravi morbo correptus trecenta millia nummum ab Oracilia Laterensi, cum qua libidinis commercium habuerat, expensa sibi fieri passus est... quos, ut fronte inverecunda, ita inani stipulatione captaverat. Visellius laissa Oracilia inscrire une créance de trois cent mille sesterces ; mais cette formalité fut vaine, l'engagement nul, probablement parce que lui-même n'avait pas porté la somme comme reçue, pecunia accepta relata non est.

[29] Cf. ad Att., XII, 5, 4.

[30] Quum alioquin in verborum obligationibus, alius stipuletur, alius promittat, et in nominibus alius ferendo expensum obliget, alius referendo obligetur. Gaius, III, 137.

[31] Pro Rosc. com., IV, 12 ; In Verr., I, 36.

[32] Pro. Q. Rosc., I, 3 ; de Orat., I, 38, 174. Sénèque, de benef., II, 23, parle d'agents intermédiaires, de pararii qui intervenaient dans l'expensilatio. Cogere fidem quam spectare malunt. Adhibentur ab utraque parte testes. Ille per tabulas plurium, nomina, interpositis parariis, facit ; ille non est interrogatione contentus, nisi rem manu sua tenuit. O turpem humano generi fraudis et nequitiæ confessionem ! annulis nostris plus quam animis creditur.

[33] De orat., I, 45, 198 ; Cf. Müchen, p. 23.

[34] V. Pro Quinctio, passim.

[35] Amplissimus ordo decrevit eas tabulas quæ publici vel privati contractas scripturam continent, adhibitis testibus ita signari, ut, in summa marginis ad mediam partem perforatœ triplici lino constringantur atque impositæ supra linum ceræ signa imprimantur et exteriores scripturæ fidem interioris servent. Paul, Sent., V, 25, 6.

[36] Les obligations litteris sont alors des nomina transcriptitia. V. Gaius, III, 128 et suiv.

[37] Pro Q. Roscio, IV, 13 et V, 14.

[38] Certi condictio competit ex omni obligatione, ex qua certum petitur. Digeste, XII, 1, Ulpien ; Gaius, IV, 17 et suiv.

[39] Magnum est quod conor, difficile est quod polliceor, nisi eumdem habuerit et adversarium et testem Roscius, nolo vincat.

[40] Cf. Aulu-Gelle, X, 24 ; XVI, 4 ; et XX, 1. Gaius, IV, 18 : Et hæc quidem actio proprie condictio vocabatur, nam actor adversario denuntiabat ut ad judicem capiendum die XXX adesset.

[41] V. Keller, pr. civ., p. 73-78. — Gaius, IV, 20, trouvait déjà obscure l'actio per condictionem.

[42] Gaius, IV, 28 : Nunc vero, non proprie condictionem dicimus actionem in personam qua intendimus dari nobis oportere : nulla enim hoc tempore, eo nomine, denuntiatio fit.

[43] V. Gaius, IV, 5 ; Digeste, XLIV, 7.

[44] Pro Rosc. Com., 4 et 5 ; Gaius, IV, 13, 162, 171.

[45] Gaius, IV, 94.

[46] Cicéron, pro Tull., 30 ; pro Cœc., 31 ; pro Quinct., 27 ; ad Herenn., IV, 23 ; Gaius, IV, 91, 162, 165, 171.

[47] Gaius, IV, 171-181 ; Instit., IV, 16.

[48] Ce passage du pro Q. Rosc., le ferait croire : quod injuratus in codicem referre nolit, id jurare in litem non dubitet. I, 4.

[49] Pro Q. Rosc., V, 14.

[50] Pro Q. Rosc., IV, 11. Si amplius H. s. nummo petiit, nisi pla-num fecit sibi summam ad libellam deberi, causam perdidit, propterea quod aliud est judicium, aliud est arbitrium. Judicium est pecuniæ certæ, arbitrium incertœ... Quid est injudicio ? directum, asperum, simplex : si paret. Quid est in arbitrio ? mite, moderatum : quanto æquius melius sit dari. — Cf. Gaius, IV, 53-60 ; Instit., IV, 6, 33.

[51] Cf. Philipp., II, 6, 15.

[52] Cicéron rappelle qu'une danseuse, Dionysia, gagnait deux cent mille sesterces par an : détail de mœurs intéressant à noter. — Cf. Aulu-Gelle, I, 5.

[53] In Verr., V, 11 ; in Vat., 2 ; pro S. Rosc., XLIII, 124. Cf. G. Boissier, Cicéron et ses amis, p. 9.

[54] Pro Cœc., XIII, 32.

[55] Pro Cluent., 26 ; pro Flacco, 15 et 19 ; pro Quinct. et pro Cœc. passim.

[56] De orat., II, 54 et suiv. Quintilien, VI, 3. Trébonius, l'un des meurtriers de César, avait recueilli les bons mots de Cicéron ; Tiron s'était livré au même exercice. Cf. Prévost, Vie de Cicéron, II, p. 235, 530, 560, Grellet-Dumazeau, p. 208 et suiv.

[57] V. l'exorde du Pro S. Roscio Amer.

[58] Pline, Epist. III, 9, 26.

[59] C. de postl., VI, 1.

[60] Le plaidoyer d'Apulée, cherchant à sauver son honneur et sa vie, est le dernier terme où puisse atteindre la liberté de parole dans les débats judiciaires.

[61] Pro Rosc. com., XII, 34 : Huc universa causa deducitur, utrum Roscius de sua parte, an de tota societate fecerit pactionem.

[62] La litis contestatio était la déclaration solennelle, devant témoins, de leurs prétentions par les parties. C'était le début de l'instance : on pouvait alors se concilier ou plaider. Mais dès cet instant le débiteur était obligé, non plus d'après son ancienne convention, mais d'après la formalité qui venait de s'accomplir. Il s'était opéré une novation. Et hoc est quod apnd veteres scriptum est : ante litem contestatam dare debitorem oportere ; post litem contestatam, condemnari oportere. — Gaius, III, 180.

[63] Litis impendia bona fide a cognitore facta ei restitui ex æquitate debent. Digeste, III, 3, de procuratore.

[64] Quodcumque sibi petat socius, id societatis fit. Pro. Rosc. com., XVII, 56.

[65] Pro Q. Rosc., XIII, 39.

[66] Pro Q. Rosc., XVIII, 55.

[67] V. Code civil, art. 1849 et 1859. V. aussi art. 1832 et 1873.

[68] München, p. 35 : itaque causa debendi nulla intelligitur et Fannius necessario litem perdidisse vidctur.