LES TRANSFORMATIONS DE LA ROYAUTÉ PENDANT L'ÉPOQUE CAROLINGIENNE

LIVRE III. — [LES INSTITUTIONS MONARCHIQUES SOUS LE GOUVERNEMENT DES CAROLINGIENS]

 

CHAPITRE XI. — [DU POUVOIR LEGISLATIF ET] DE LA CONFECTION DES LOIS.

 

 

[Tels étaient les organes à l'aide desquels gouvernait le roi carolingien. Examinons maintenant quelle était l'étendue de ses droits, comment il les exerçait, et quelles charges incombaient aux populations.

Une première question se pose. Dans quelle mesure la royauté carolingienne a-t-elle possédé le pouvoir législatif, qui avait appartenu en propre aux rois, mérovingiens comme aux empereurs romains ?]

Le petit-fils de Charlemagne a écrit dans un de ses capitulaires : Lex consensu populi fit et constitutione vagis[1]. Cette phrase de Charles le Chauve signifie-t-elle, comme il semble à la première apparence, qu'au IXe siècle le droit de faire les lois appartînt à la nation ? Signifie-t-elle au moins que ce droit fût partagé entre la nation et le roi ? Telle est la question que nous nous proposons d'étudier ici. Pour la résoudre, il est clair qu'il ne suffira pas d'observer cette phrase isolément ; il la faudra examiner au milieu de son contexte. Cela même ne sera pas assez : il sera nécessaire au préalable de passer en revue les documents divers de l'époque carolingienne qui peuvent nous renseigner sur la manière dont les lois étaient faites et sur la nature du pouvoir législatif au VIIIe et au IXe siècle.

 

[1° QUE L'AUTORITÉ LÉGISLATIVE N'APPARTIENT QU'AU ROI.]

 

Pour qui a lu complètement et de suite les capitulaires de Pépin, de Charlemagne, même de Louis le Pieux, il n'est guère possible de mettre en doute que l'autorité législative n'appartînt tout entière au prince. On n'y trouve jamais la marque dé la volonté formelle et précise d'une assemblée nationale. Si l'on y rencontre fréquemment l'expression du consentement général, ces termes vagues ne peuvent pas être considérés comme l'indice d'une discussion ni d'un vote ; quant aux fidèles et aux grands, dont l'adhésion est souvent mentionnée, ils n'ont pas été désignés par la nation et ne la représentent pas. Le vrai législateur est toujours le prince. Dans ses considérants, il allègue d'ordinaire, non la volonté d'une assemblée, mais son devoir de roi ou son désir de plaire à Dieu. Ce n'est pas la nation qui parle, c'est le roi. Il dit : Nous ordonnons, nous prescrivons, nous défendons, il nous plaît[2] ; et ce pluriel désigne, sans nul doute possible, la seule personne du prince. On ne saurait trouver durant ces trois règnes ni une loi que la population assemblée ait imposée au roi, ni une loi qui, proposée par le roi, ait été rejetée par la population. Charlemagne fut un législateur infatigable, et jamais législateur ne marqua son œuvre d'un cachet plus personnel : sa pensée et sa volonté respirent partout.

On a des exemples de pétitions adressées à l'empereur ; mais elles ne sont pas rédigées par un peuple réuni en assemblée régulière[3]. Celle de l'année 803, dont le texte nous a été conservé, est particulièrement instructive. Elle porte ce titre : Petitio populi ad imperatorem. Croire qu'elle ait été composée par une assemblée nationale serait une erreur ; car l'empereur, dans sa réponse, dit précisément qu'il attendra le temps de l'assemblée, quando ad generale placitum venerimus. Il est difficile aussi d'admettre que les mots petitio populi doivent être pris à la lettre et qu'il y ait eu un pétitionnement universel delà population. Il ne s'agit, à vrai dire, que de l'intérêt des évêques, et la demande a été certainement inspirée et dictée par eux, bien qu'elle soit présentée par un groupe de seigneurs laïques[4]. Cette pièce commence ainsi : Nous tous, fléchissant les genoux, nous adressons cette prière à Votre Majesté afin que les évêques, à l'avenir, ne soient plus écrasés comme aujourd'hui par l'obligation d'aller à la guerre[5]. Ce n'est certainement pas ainsi que s'exprimeraient des hommes qui posséderaient une part de l'autorité législative, et il n'y a pas non plus dans le reste de cette longue pièce un seul mot qui fasse allusion à l'existence d'une assemblée délibérante. C'est à l'empereur seul qu'on demande une loi nouvelle, parce qu'on voit en lui l'unique auteur de la loi. Aussi l'empereur répond-il immédiatement et en son nom propre qu'il accorde ce qu'on lui demande.

Il y a sans doute une distinction à faire entre les simples capitulaires et les lois proprement dites. Plusieurs textes marquent, que ces deux séries d'actes n'étaient pas absolument confondues[6]. Toutefois la limite qui les séparait est fort difficile à apercevoir. Les capitulaires embrassaient les mêmes matières que les lois ; ils s'appliquaient aussi bien au droit civil qu'au droit criminel ; ils décidaient les questions de succession, de mariage, d'affranchissement, de même qu'ils punissaient le meurtre, l'inceste, le parjure. Ils n'avaient pas moins de valeur dans la pratique que les lois, et les populations leur devaient la même obéissance. Il est assez visible que Charlemagne ne permettait pas qu'on dérogeât à ses capitulaires ; Louis le Pieux et Charles le Chauve proclament plusieurs fois que leurs capitulaires doivent être observés par tous et à perpétuité[7].

Ce qui diminue d'ailleurs singulièrement la distance que l'on est tenté de supposer entre les capitulaires et les lois, c'est que l'on voit fréquemment, les princes transformer leurs capitulaires en lois par leur seule volonté, ou ordonner de les écrire parmi les lois, ou enfin prescrire qu'on leur obéisse comme s'ils étaient des lois[8]. Les contemporains distinguaient peu les uns des autres, et l'historien moderne a beaucoup de peine à en saisir nettement la différence. Quoi qu'il en soit d'ailleurs, il est incontestable que les capitulaires étaient l'œuvre des rois seuls et de leur conseil intime ; ils ressemblaient à ces edicta, decreta, constitutiones qui, quatre siècles auparavant, partaient du Palais des empereurs romains[9].

La question est plus difficile à résoudre en ce qui concerne les lois proprement dites, et c'est sur ce point qu'il faut consulter les textes avec une attention particulière.

Éginhard rapporte que Charlemagne fit rédiger des recueils de lois pour les divers peuples de l'Empire ; il n'ajoute pas que ces codes aient été discutés et acceptés par les peuples[10]. Résumant l'œuvre législative qui fut accomplie sous ce règne, il la rapporte tout entière à l'empereur : Il songea, dit-il, à réformer les lois de son peuple, à y ajouter ce qui manquait, à en retrancher les contradictions, à corriger ce qu'il y avait de vicieux en elles ; il y fit d'ailleurs peu de changements et se contenta de les augmenter d'un petit nombre de chapitres. Nul indice d'une intervention des sujets.

La Lex Salica emendata ne contient pas trace d'une acceptation populaire ou des délibérations d'une assemblée. En 803, Charlemagne ajoute quelques chapitres nouveaux à la Loi Salique ; nulle mention d'un vote national ; les textes que nous avons portent simplement ceci : Ici commencent les chapitres que le seigneur auguste Charles, en la troisième année de son autorité impériale, a ordonné d'ajouter à la Loi Salique[11]. Un manuscrit porte ce préambule un peu différent : Voici les chapitres que le seigneur Charles empereur a ordonné d'écrire dans son conseil et a prescrit de placer entre les autres lois[12].

Deux années auparavant, Charlemagne, à titre de roi des Lombards, avait ajouté quelques chapitres au code de cette nation, et voici comment il s'était exprimé : Charles, couronné de Dieu, empereur, auguste, aux ducs, comtes et autres fonctionnaires publics préposés par nous aux provinces de l'Italie ; comme nous étions venu en Italie et qu'à mesure que nous traversions les villes, un grand nombre de procès étaient portés en notre présence concernant les intérêts des églises, de l'Etat, ou des particuliers, nous avons terminé la plupart d'entre eux par un juste jugement, après avoir fait donner lecture des articles de la Loi Romaine ou de la Loi Lombarde ; pour d'autres, nous en avons remis l'examen à un autre temps, parce que le cas avait été omis par les législateurs ou que leur décision était tombée en oubli. Depuis lors, nous, considérant notre utilité et celle du peuple qui nous a été confié par Dieu, suppléant ce qui avait été omis dans la Loi Lombarde par nos prédécesseurs les rois d'Italie, tenant compte des circonstances et des temps, nous avons fait ajouter ces nouveaux articles qui manquaient à la loi, afin que les cas douteux fussent décidés, non par l'arbitraire des juges, mais d'après les règles émises par notre autorité royale ; voici donc les chapitres qu'il nous a plu d'ajouter[13]. Un tel langage permet-il de croire que les populations fussent réellement consultées ?

Hincmar, dans le traité où il décrit les institutions et les procédés administratifs du règne de Charlemagne, attribue formellement au prince le droit de faire des lois nouvelles et même d'abolir les lois existantes. Lorsqu'il se présentait un cas, dit-il, sur lequel les lois du siècle n'avaient rien décidé ou sur lequel leur décision était plus rigoureuse que la justice chrétienne et l'autorité de l'Église ne le voulaient, il appartenait au prince, entouré de conseillers qui connaissaient également la loi du siècle et la loi de l'Église, de décider lui-même et de statuer de telle sorte que les deux lois fussent conciliées si cela était possible, ou qu'au cas contraire la loi du siècle fût effacée pour laisser subsister la loi de Dieu[14].

Le préambule d'un capitulaire de l'an 802 exprime en ces termes l'étendue du pouvoir législatif du prince : Le sérénissime empereur a envoyé dans les différentes parties de son royaume les plus sages de ses grands ; partout où il se trouve dans les lois quelque chose qui soit contraire au bien et à l'ordre, il a ordonné qu'on le lui fît savoir, parce qu'il veut lui-même, avec l'inspiration de Dieu, le corriger[15].

Nous ne trouvons d'ailleurs dans aucun des recueils de lois qui ont été rédigés à cette époque un seul article qui impose au roi l'obligation de consulter la nation ou de faire voter une assemblée. Rien de semblable ne se voit non plus, fût-ce par simple allusion, dans les Chroniques, ni dans les lettres qui nous sont parvenues de ce temps-là.

Il est bien vrai que le prince, dans les mêmes préambules où il annonce qu'il décrète el statue, ajoute presque toujours qu'il a consulté ses fidèles, qu'il agit avec le consentement de tous, qu'il est au milieu de son plaid, entouré des évêques, des comtes, de tous les grands[16]. Ces formules reviennent sans cesse, elles sont tout à fait dans les habitudes de la chancellerie carolingienne. Est-ce à dire que ce soit le plaid ou l'assemblée des grands qui ait fait la loi ? Les textes ne disent rien de pareil. La loi a été faite au milieu du plaid, mais non pas par lui. L'auteur en est toujours le roi. Nous conserverons, dit Charlemagne, les capitulaires que notre père Pépin a établis dans ses plaids[17]. On lit dans la Chronique de Moissac, à l'année 813 : L'empereur réunit la grande assemblée du peuple, c'est-à-dire les évêques, les abbés, les comtes et tous les seigneurs du royaume des Francs et là il établit ses capitulaires. On lit ailleurs ; Charles, empereur, auguste, avec les évêques, comtes, ducs et tous fidèles, a établi les capitulaires suivants dans son palais d'Aix[18]. L'empereur Louis réunit une grande assemblée de son peuple et là il ajouta aux lois tout ce qu'il jugea utile d'ajouter. — Le même empereur, au milieu de son plaid, suivant son habitude, émit de nombreux statuts[19]. Parmi tant de textes il n'en est aucun qui montre le peuple discutant et délibérant[20].

Il était d'usage que le prince consultât ses grands, c'est-à-dire les évêques et les comtes. Les uns et les autres, également nommés par le prince, dépendaient presque également de lui, du moins au temps de Charlemagne. Loin de représenter la nation, ils étaient plutôt les agents du pouvoir ; ils en étaient surtout les conseillers naturels. Plusieurs capitulaires de Charlemagne, de Louis le Pieux, de Charles le Chauve, nous sont parvenus sous forme de questions, avec la réponse que les grands ont faite à chaque article[21]. Ils ont donné leur avis, parce que le prince le leur demandait ; mais leur avis n'est pas ce qui fait la loi ; l'acte législatif tire sa force, non de leur volonté, mais de celle du prince.

Hincmar explique avec une parfaite netteté quels étaient les procédés habituels de Charlemagne pour la confection des lois. Lorsque les grands étaient réunis, on leur présentait, par la volonté du prince, les capitulaires que sa pensée avait conçus par l'inspiration de Dieu, ou dont le besoin lui avait été manifesté dans l'intervalle des réunions. Après avoir reçu ces communications, ils en délibéraient article par article ; le résultat de leur examen était mis ensuite sous les yeux du glorieux prince qui, avec la sagesse qu'il avait reçue de Dieu, adoptait une résolution à laquelle tous devaient obéir[22]. — Rien de plus clair que ce passage ; le roi consulte ses principaux conseillers ; il exige qu'ils examinent ses projets et qu'ils lui en donnent leur avis ; mais c'est lui seul qui fait la loi.

Il n'est guère douteux qu'en 881 on ne se souvînt encore très bien de la manière dont les lois avaient été faites au temps de Charlemagne. Or voici comment s'expriment sur ce sujet les Pères d'un concile tenu dans la province de Reims cette année-là : Le grand empereur Charles, ainsi que l'un de nous l'a entendu de la bouche d'hommes qui l'ont connu, voulait toujours avoir autour de lui trois de ses principaux et plus sages conseillers ; ils se succédaient près de sa personne à tour de rôle. Lui cependant avait toujours ses tablettes à écrire à portée de sa main, et la nuit au chevet de son lit ; et, dès qu'il lui venait la pensée d'une chose utile au bien de l'Église ou au profit du royaume, il en prenait note, et il en délibérait aussitôt avec ces trois conseillers qu'il avait près de lui. Puis, quand venait le temps de son plaid, ces mêmes articles qu'il avait mûrement discutés, il les présentait à l'ensemble de ses conseillers ; enfin, après avoir reçu leur commun avis, il les transformait en actes et veillait à ce qu'ils eussent leur plein effet[23].

Ainsi, en 881, on se souvenait nettement que Charlemagne n'établissait jamais une loi sans qu'elle eût été examinée et discutée deux fois, d'abord par trois de ses conseillers intimes à tour de rôle, ensuite par l'ensemble des conseillers, plenitudo consiliariorum, c'est-à-dire par les missi et la plupart des prélats et des comtes. Quant au vote d'un peuple ou d'une assemblée indépendante, personne n'en avait souvenance. Nul ne pensait que l'autorité législative eût été partagée entre îe prince et un autre pouvoir. Charlemagne avait eu seul l'initiative et la préparation des lois, comme il avait eu seul la décision définitive.

 

[2° DE LA PROMULGATION DES LOIS ET DU CONSENTEMENT DE TOUS.]

 

Il importe de ne pas confondre deux choses fort différentes, la confection de la loi et sa promulgation. Après que l'acte législatif avait été préparé et institué par le prince en son conseil, il restait à le faire connaître à la population et à lui assurer l'obéissance des hommes. Cette promulgation avait bien plus d'importance dans une société où la loi émanait du prince qu'elle n'en peut avoir dans nos sociétés modernes qui font elles-mêmes les lois par leurs représentants. Aussi s'opérait-elle suivant des règles et par des procédés que nous avons d'abord, quelque peine à saisir, tant ils s'éloignent de nos habitudes présentes. Quelques textes vont nous les montrer.

En 803, une pétition dont nous avons déjà parlé est adressée à l'empereur pour que les règles du service militaire soient modifiées en ce qui concerne les ecclésiastiques. Ce n'est pas une mesure temporaire qu'on lui demande, c'est un acte législatif qui règle cette matière pour toujours : Afin que toutes ces choses que nous vous demandons soient conservées à jamais dans les temps à venir par vos successeurs et par les nôtres, nous vous supplions de les faire insérer parmi vos capitulaires[24]. Charlemagne répond sans nul délai et sans consulter aucune assemblée : Nous accordons tout de suite ce que vous nous demandez. Mais il ajoute qu'il ne peut pas immédiatement faire une loi qui soit valable pour tout l'avenir. Il faut attendre qu'il soit au milieu de son plaid général, là où se trouveront la plupart des évêques et des comtes, pour qu'il puisse faire un acte législatif qui donne à sa concession le caractère de perpétuité. Est-ce à dire que ce plaid délibérera et votera comme une assemblée souveraine ? Charlemagne se contente de dire qu'il consultera ses fidèles, consultu omnium fidelium. Est-ce ce plaid qui sera l'auteur de la loi ? Nullement : Quand nous serons au milieu de notre plaid, nous confirmerons par écrit ce, que nous venons de vous accorder, afin que cela dure dans tout l'avenir irrévocablement[25].

Ainsi, tout acte ayant caractère de loi ne pouvait être fait par le prince que dans le temps de l'assemblée générale et en sa présence. Hors de là, le prince pouvait émettre une volonté, ainsi qu'on le voit dans l'exemple même que nous citons, et cette volonté était immédiatement exécutoire sans qu'aucune assemblée fût consultée ; seulement, l'avenir n'était pas engagé, et le prince pouvait toujours revenir sur sa décision. Pour que sa volonté passât, en quelque sorte, de l'étal instable à l'état de loi perpétuelle et devînt un capitulaire devant être tenu pour loi, la présence de l'assemblée générale était nécessaire.

Devons-nous croire que cette assemblée discutât régulièrement les propositions du prince ? C'est une chose dont on ne trouve l'indication dans aucun document, . el les passages d'Hincmar que nous ayons cités plus haut montrent bien que, si les grands étaient consultés, le peuple du moins n'avait ni à délibérer ni à voter. Il n'y a pas d'exemple, depuis Pépin le Bref jusques et y compris Charles le Chauve, que le peuple ait jamais rejeté ou amendé une proposition du prince ; on ne trouve même pas un mot qui indique qu'il ait eu ce droit. Une seule chose paraît dans les textes, c'est qu'il donnait son assentiment à la loi dont lecture lui était faite ;-cela s'appelait en langage officiel consensus omnium.

Les termes de la langue politique ne doivent pas toujours être interprétés d'après leur sens littéral et apparent ; c'est par les faits et la pratique qu'on en peut connaître la vraie signification et la valeur. Or nous avons une lettre de Charlemagne qui nous montre ce que ce consensus était dans la réalité. En 809, il écrivait à son fils Pépin qui administrait l'Italie : On nous a rapporté qu'au sujet de quelques capitulaires que nous avons ordonné d'écrire dans la loi, il y a des pays où les hommes disent que nous ne les avons pas portés à leur connaissance, et pour cette raison ils refusent d'y obéir, d'y .consentir, de les tenir pour loi. Tu sais pourtant ce que je t'ai dit sur cette matière ; je te rappelle que dans tout le royaume confié à tes soins tu dois donner connaissance au peuple des nouveaux capitulaires et exiger qu'on leur obéisse[26]. — On voit assez par là combien peu la population était consultée. Il fallait lui notifier la loi et exiger qu'elle y consentît et obéît : mais personne ne pensait à la lui faire discuter ni à lui demander ses suffrages.

Quelquefois cette formalité était remplie dans le Champ de Mai ou plaid général, en présence de toute la population libre du pays. C'est pour cela que la plupart des capitulaires, ceux du moins qui ont force de loi, portent la mention du plaid dans lequel ils ont été établis et promulgués[27]. C'est pour cela que les Chroniques répètent fréquemment que le prince réunit l'assemblée générale et y publie des décrets. C'est pour cela enfin que nous rencontrons parmi les actes législatifs de Louis le Pieux cette mention singulière : Voici des articles qui ont été réservés pour le plaid général, afin qu'ils fussent portés à la connaissance du plus grand nombre[28].

Dans ces grandes réunions, le peuple marquait son assentiment[29] suivant des formes qui nous sont inconnues, mais dans lesquelles il n'entrait certainement rien qui ressemblât à un vote. Il est étrange que, parmi tant de capitulaires, tant de Chroniques, tant de lettrés et d'écrits de toute nature, nous ne trouvions pas une ligne qui nous fasse connaître comment ce consensus se manifestait, ni s'il était autre chose qu'une vaine formalité.

L'idée d'indépendance ne s'associait pas nécessairement à celle du consensus.. Nous voyons, en effet, qu'en 797 Charlemagne édicta un capitulaire pour les Saxons. Il s'en fallait de tout qu'il traitât ces hommes en peuplé libre. Il crut devoir pourtant appeler auprès de lui lés Saxons des diverses bourgades, et il exigea d'eux un acte par lequel ils s'engageaient à consentir et à s'accorder à la loi nouvelle[30]. Cette sorte d'assentiment ressemblait beaucoup plus à un engagement que prenait la population d'observer la loi du prince qu'à une participation effective de cette population au pouvoir législatif.

Il n'était pas absolument indispensable que les nouveaux capitulaires fussent présentés au plaid général. Quelquefois le roi se contentait d'en remettre des copies aux fonctionnaires des divers ordres, ducs, comtes, évêques, missi, et chacun de ceux-ci, revenu dans sa province, réunissait la population libre pour publier l'acte royal. Ainsi nous avons un capitulaire de 805 qui porte cet intitulé : Capitulaire que nous voulons que les comtes et les évêques, de retour dans leurs provinces, portent à la connaissance des populations et fassent observer[31]... — Voici qui est plus clair encore : Nous ordonnons que les capitulaires qui, avec le conseil de nos fidèles, ont été établis par nous, soient transcrits par les soins de notre chancelier, que les évêques et les comtes en reçoivent copie, et que chacun de ceux-ci en fasse faire une lecture publique, afin que notre volonté soit connue de tous[32]. — De même encore, Charles le Chauve termine une de ses lois par cette formule : Nous établissons cette constitution, et nous voulons que, dans les cités, dans les tribunaux, dans les marchés, elle soit lue, reconnue, observée[33].

Il est bien vrai que le jour où on donnait lecture d'un acte législatif aux hommes assemblés, on leur demandait leur adhésion, consensus ; on leur posait la question an consentirent. S'agit-il ici d'accepter ou de rejeter ? Nullement ; les textes ne disent jamais cela. Le sens de la question est nettement marqué dans un document de l'année 803 qui est le procès-verbal d'une de ces petites assemblées locales. Il est ainsi conçu : L'an troisième de notre maître Charles, auguste, ces chapitres de loi (capitula legis) ont été faits ; copie en a été remise au comte Etienne, afin qu'il les publiât dans la cité de Paris au mail public et en fît donner lecture en présence des scabins ; ce qu'il a fait ; et tous d'un commun accord ont déclaré qu'ils voulaient observer ces capitulaires à toujours dans l'avenir ; et tous, scabins de l'évêque, scabins de l'abbé, scabins du comte, ont apposé leurs signatures[34].

On remarquera ici que cette assemblée, qui est censée représenter toute la population libre d'un comté et qui agit en son nom, ne comprend guère que des scabins ; or les hommes qu'on appelait de ce nom n'étaient pas les élus du peuple : ils étaient, à cette époque, des fonctionnaires d'ordre inférieur qui assistaient le comté ou l'évêque dans l'administration de la justice et qui étaient choisis par ce comte ou cet évêque[35].

On remarquera encore dans ce document que la lecture de la loi a été faite par le comte, agent royal ; qu'aucune discussion n'a eu lieu, ni aucun vote ; qu'on ne s'est pas demandé si la loi existerait ou non ; qu'il n'a été douteux pour aucun membre de cette assemblée que la loi ne fût déjà faite et achevée avant qu'ils ne se fussent réunis ; qu'on a simplement demandé aux assistants s'ils s'engageaient à lui obéir toujours ; qu'enfin, sans nul débat, ils ont pris cet engagement, et l'ont attesté par leur signature. On leur a demandé s'ils promettaient d'observer la loi, et ils ont promis ; on ne leur a pas demandé de la discuter, et ils ne l'ont pas discutée.

Ce qu'on voulait obtenir par cette formalité, c'était que les hommes attestassent qu'ils avaient reçu notification de l'édit du prince ; c'était aussi qu'ils donnassent une preuve publique de leur volonté de l'observer toujours. N'oublions pas qu'il s'agissait de donnera cet édit un caractère de perpétuité, c'est-à-dire la valeur d'une loi. Il fallait donc que, de même que le prince s'engageait à ne jamais révoquer sa volonté, la population s'engageât à ne jamais y contrevenir[36].

Aussi la loi nouvelle devait-elle porter les signatures, du prince d'abord, ensuite des populations elles-mêmes ou du moins de ce qu'il y avait de plus considérable en elles. Nous lisons en tête d'une série de capitulaires de l'an 813 : Charles, sérénissime empereur, auguste, a institué ces capitulaires, dans son palais d'Aix ; il les a confirmés de sa signature, afin que tous les fidèles les confirmassent aussi de la leur[37]. C'est à peu près ce que dit Charlemagne lui-même dans une instruction de l'année 805 : Que le peuple soit interrogé au sujet des capitulaires qui ont été nouvellement ajoutés à la loi, et, après que tous auront adhéré, que tous apposent leurs signatures[38].

Gardons-nous de voir ici une population discutant la loi ; la loi est déjà faite et instituée avant que le peuple ne soit interrogé ; les capitulaires ont été déjà ajoutés à la loi. On ne demande pas à ce peuple s'il veut que ces capitulaires soient ou ne soient pas : on lui demande s'il veut les observer ; an velint in perpetuum observare, c'est à cette question seule que les hommes répondent, ainsi que nous le voyons par le compte rendu de l'assemblée du comté de Paris de cette même année 803 ; et cette question même est une simple formule qui ne laisse aucun doute sur la réponse. Puis, quand les hommes ont répondu affirmativement, on exige qu'ils attestent et certifient par leur signature la promesse qu'ils viennent de faire[39]. Cette signature ne saurait signifier que ce sont eux qui ont fait la loi ; elle signifie seulement qu'ils ont juré de l'observer. Elle n'est pas une preuve de liberté politique, elle est une marque d'engagement.

Sans doute il ne faudrait pas nier l'importance de cette sorte d'assentiment populaire. On voit aisément combien une promulgation ainsi faite en présence des hommes assemblés, sous forme de question, en leur demandant leur serment ou leur signature, diffère d'une simple promulgation par cri public ou par voie d'affichage. Un tel procédé ne permettait pas à un despote ie faire des lois qui fussent notoirement contraires à l'intérêt public. Il assurait à la population un moyen de manifester ses vœux ou ses plaintes ; il lui accordait un certain rôle dans la confection des lois, il l'y intéressait directement. Mais l'historien ne doit pas s'y tromper. Cette interrogation, ce consentement et cette signature n'avaient rien de commun avec une discussion et un vote populaire. Loin que l'idée de liberté y fût contenue, les hommes y voyaient plutôt une forme de l'obéissance.

Cela est. si vrai, que le mot consentire était souvent employé, dans la langue de ce temps-là, avec le sens d'obéir, ainsi que le prouvent plusieurs textes d'une clarté parfaite. Il désignait cet état d'âme par lequel la volonté se met d'accord avec la loi du prince, c'est-àdire se soumet à elle. C'est en ce sens que Charlemagne écrit dans un capitulaire : Que tous obéissent et consentent aux ordres impériaux, obediant et consentiant. C'est encore ainsi qu'en 807 il se plaint que son fils Pépin n'ait pas encore contraint les hommes à obéir et consentir à certains capitulaires. De même encore en 806, quelques mois après avoir réglé de sa propre autorité le partage de ses États entre ses trois fils, il enjoint à ses missi d'exiger que tous consentent pleinement au partage qu'il a établi[40].

Au fond, ces formalités avaient surtout pour objet, de donner à la loi plus de force ; le législateur s'autorisait, de cette adhésion universelle pour assurer la durée de son œuvre. Le prince alléguait volontiers le consentement de tous, comme si le peuple entier eût émis un vote unanime. Ainsi, en 821 Louis le Pieux, confirmant un capitulaire de l'année précédente, ne manquait pas de dire que tous y avaient donné leur assentiment, quoique aucun de ses biographes ne mentionne ni cette année-là, ni en aucune autre, un fait aussi extraordinaire que le serait le vote de toute, une population. Ainsi encore en 873 Charles le Chauve, parlant des capitulaires de ses deux prédécesseurs, dit que les Francs ont jugé qu'ils devaient être tenus pour lois. On se méprendrait beaucoup si l'on prenait ces expressions à la lettre.

 

[3° L'AUTORITÉ LÉGISLATIVE SOUS LOUIS LE PIEUX.]

 

Si en sortant du règne de Charlemagne on traverse celui de Louis le Pieux, on ne rencontre pas un seul texte qui marque que la nation ait le droit de délibérer sur ses lois. Les actes législatifs émanent toujours du prince seul et nulle assemblée nationale ne les discute. Hincmar, qui résumait au temps de Charles le Chauve le traité qu’Adalhard avait écrit sur les règles administratives établies par Charlemagne, ne laisse pas supposer qu'aucune de ces règles ait été modifiée sous son fils. Ni les Capitulaires, ni les Chroniques, ni les lettres des contemporains ne marquent par le plus léger indice que les volontés du prince fussent soumise à l'acceptation et au vote de la population[41].

On distingue parmi les capitulaires de-Louis ceux, qui sont de simples instructions adressées à ses missi ou à ses comtes, capitula missis data, et ceux qui sont de véritables actes législatifs, capitula quæ pro lege habenda sunt ; il n'est pas plus fait mention dans ceux-ci que dans ceux-là d'une volonté populaire : les uns comme les autres émanent du prince seul[42]. C'est ordinairement dans des assemblées, générales qu'il promulgue ses capitulaires et qu'il ordonne, par exemple, de les ajouter à la Loi Salique[43]. Pour les actes les plus importants, il exige que les personnages les plus notables y apposent leur signature et jurent de les observer[44]. Ces règles et ces formalités sont les mêmes qu'au temps de Charlemagne et elles impliquent que le pouvoir législatif est resté tout entier dans les mains du prince.

On peut voir par une lettre de l'archevêque de Lyon, Agobard, comment et par qui les lois étaient préparées et discutées au temps de Louis le Pieux. Le prélat, écrivant à un ami, lui rapporte que l'empereur avait convoqué le conventus, c'est-à-dire la réunion des comtes et des évoques, à Attigny. Là, les grands étant rassemblés, les ministres du prince leur apportèrent un projet da loi dont l'empereur avait eu l'initiative et que ses conseillers intimes avaient rédigé. Un des ministres en donna lecture et demanda l'assentiment de l'assemblée. Or cette assemblée se composait, ou de comtes qui étaient des fonctionnaires nommés parle prince et révocables par lui, ou de prélats qui lui devaient leurs éméchés et leurs abbayes. Nulle discussion ne s'établit sur le projet de loi qu'on venait d'entendre ; aucun vote n'eut lieu. Agobard seul, dont on connaît le caractère indépendant, prit la parole ; d'un ton singulièrement modeste et avec l'humilité qui convient quand on s'adresse à si grands personnages que les ministres du prince, il essaya, non pas de combattre le projet, mais d'y introduire un amendement et une addition. Les ministres se contentèrent de répondre qu'ils en parleraient à l'empereur, et aucune suite ne fut donnée à la demande du prélat, sur laquelle il n'y eut pas même de délibération.

La lettre d'Agobard nous fait assister à cette séance ; nous y voyons une assemblée ordinairement muette, nécessairement docile ; elle reçoit les lois que lui envoie l'empereur ; elle les discuterait si l'empereur voulait qu'elle les discutât ; mais elle se borne ici à approuver et n'a ni le droit de rejet, ni le droit d'amendement ; et ce qui est plus significatif encore que tout cela, c'est que dans cette longue lettre où tout est décrit .minutieusement, nous ne sentons à aucun signe qu'il existe une nation qui ait le droit de contrôler les volontés du prince et qui partage avec lui le pouvoir de faire ses lois[45].

Un autre contemporain de Louis le Pieux, Jonas, évêque d'Orléans, parle ainsi du respect que les sujets portent aux lois du prince : Dès qu'un roi ou un empereur promulgue quelque édit qu'il notifie à ses sujets et pour lequel il exige l'obéissance, quel est l'homme, je vous le demande, qui n'écoute pas cette lecture la bouche béante et qui songe à autre chose qu'à se conformer à toutes les injonctions du roi ?[46]

 

[4° t'AUTORITÉ LÉGISLATIVE SOUS CHARLES LE CHAUVE - LES ÉDITS DE PISTES ET DE KIERSY.]

 

Si nous passons au règne de Charles le Chauve ; nous n'y voyons pas que la nature de l'autorité législative ail été modifiée. On sait assez que ce prince a été souvent en lutté avec les seigneurs et qu'il a dû plusieurs fois se soumettre à leurs exigences. Parmi ses capitulaires il s'en rencontre qui lui ont été visiblement arrachés par la force. Mais ce que nous n'apercevons jamais, c'est qu'une nation, ou une assemblée représentant la nation, intervienne de quelque manière que ce soit dans l'œuvre législative. Là même où les grands exigent des concessions, ils les exigent de lui comme d'un pouvoir qui légifère seul. Ils ne songent pas à faire ratifier par un autre pouvoir. Dans ces concessions mêmes qu'ils dictent, ils veulent que le prince parle en maître absolu.

Il ne faut pas d'ailleurs se méprendre sur le caractère du règne de Charles le Chauve. Ni les Capitulaires ni les Chroniques ne le présentent comme un prince qui ait été toujours sans vigueur. S'il a souvent plié, il s'est souvent raidi et relevé. Il s'est toujours souvenu de l'autorité de Charlemagne et a quelquefois réussi à l'exercer. L'édit de Pistes, de 864, en est une preuve entre bien d'autres[47].

Avant de présenter l'analyse de cet édit fameux, voyons ce que rapporte l'annaliste contemporain au sujet de l'assemblée où il a été promulgué. Le roi Charles, aux calendes de juin, tint son plaid général en un lieu appelé Pistes ; là il reçut les dons annuels et aussi le tribut que lui apporta le duc des Bretons ; il fit aussi construire en ce lieu des forteresses sur la Seine pour empêcher les Normands de remonter le fleuve ; enfin il institua trente-sept capitulaires avec le conseil de ses fidèles et suivant la coutume de ses prédécesseurs, et il ordonna qu'ils fussent observés comme lois dans tout son royaume. — Rien dans ce récit ne donne l'idée d'un roi subordonné à une assemblée souveraine[48]. L’édit est précédé d'une annuntiatio, c'est-à-dire de quelques paroles adressées par le prince à l'assemblée générale : Nous vous remercions, dit-il, de la fidélité et du zèle que vous avez montrés à notre service, imitant en cela ce que vos prédécesseurs ont fait pour les nôtres ; nous vous remercions d'être venus tous et de bonne intention à notre plaid... Les règlements que nous avons établis, il y a trois ans, avec le conseil et l'accord de nos fidèles, ont été reçus et observés par vous avec zèle ; de même aujourd'hui, en vue de notre commun salut, du bon ordre et de l'honneur du royaume, nous établissons de nouveaux règlements, avec l'accord et conseil de nos fidèles ; nous voulons vous les faire connaître et vous les donnons en écrit, afin que vous les puissiez plus pleinement entendre et qu'en recourant plus tard à cet écrit, dont nous ordonnons que lecture soit faite et que copie soit gardée dans chaque-comté, vous les observiez constamment et sans nulle hésitation. Copie en sera donnée aussi aux évoques, afin que chacun d'eux dans son diocèse en fasse donner lecture et les fasse comprendre au peuple[49].

Tel est ce préambule ; on y voit assez clairement que la loi n'a été préparée que par le roi et ses conseillers intimes, qu'aucune assemblée ayant un caractère national ne l'a discutée, et qu'enfin la population n'aura qu'à en prendre connaissance et à s'y soumettre.

Après cette annuntiatio, un fonctionnaire royal donna lecture du texte de l'acte législatif. Charles par la grâce de Dieu, roi. Faisons savoir que, dans ce plaid, avec l'accord et conseil de nos fidèles, nous établissons les articles suivants et enjoignons à tous de les observer sans nulle contradiction.

Suivent trente-quatre articles. Le 1er enjoint aux comtes de protéger les terres d'Église. — Le 2e et le 3e recommandent aux comtes et aux missi de veiller à la défense des orphelins, des veuves, des faibles, ainsi qu'au maintien du bon ordre. — Dans le 5e le prince dit qu'il saura reconnaître les services de ses comtes et de ses missi et qu'il saura aussi punir leur négligence. — Le 6e et le 7e ont pour effet de poursuivre plus sévèrement que par le passé le brigandage. — Les douze articles qui suivent sont relatifs à la monnaie : d'une part, le prince ordonne de punir sévèrement les faux monnayeurs ; de l'autre, il maintient pour le roi seul et pour ses fonctionnaires le droit de frapper la monnaie, et l'on voit qu'il en fixe le poids et la loi à sa guise, sans que sur une matière si importante la population soit consultée. — Les articles 20 à 22 règlent les poids et mesures qui devront être usités dans tout le royaume ; les fonctionnaires publics, ministri reipublicæ, devront veiller à ce qu'ils soient partout conformes aux étalons envoyés du palais. — Le 25e interdit de vendre des armes aux étrangers sans permission du roi. — Le 26e impose le service de guerre à tout homme libre qui possède ou peut posséder des chevaux. Ceux qui ne peuvent marcher à l'ennemi sont astreints à des gardes ou à dés corvées. — Le 28e et les deux suivants règlent les devoirs des hommes libres, des colons des églises et des colons du roi. — Le 32e défend à deux comtes voisins l'un de l'autre de tenir leurs tribunaux le même jour.

Le 34e est particulièrement digne d'attention : Plusieurs de nos comtes, dit le roi, nous ont consulté au sujet des hommes libres qui, pressés par la faim, se sont vendus comme esclaves. Nous nous sommes demandé, avec les évêques et nos autres fidèles, ce que nous devions faire à ce sujet. Dans la Loi Salique, nous n'avons rien trouvé qui soit relatif à cette matière. Dans le troisième livre du Recueil des Capitulaires il n'est question que de l'homme qui se donne en gage. Nous avons cherché dans la Sainte Écriture ; elle dit que l'homme qui s'est livré en servitude sera esclave six ans et redeviendra libre la septième année. Nous nous sommes reporté ensuite à la loi qu'ont établie nos prédécesseurs, les célèbres empereurs de Rome[50], et nous y avons trouvé plusieurs articles relatifs aux hommes libres qui, pressés par la faim ou par quelque autre nécessité, vendent leurs enfants. L'un de ces articles nous a paru devoir être cité ici ; il y est dit — c'est la 32e Novelle de Valentinien III[51]que si un homme libre, pressé par la faim, a vendu ses enfants, ceux-ci recouvreront la liberté en remboursant à l'acheteur le prix d'achat augmenté d'un cinquième. Nous voulons que cette même règle soit appliquée aux parents qui se sont eux-mêmes vendus. Charles le Chauve cite à l'appui de son interprétation un passage de saint Grégoire et il termine en disant : Voilà ce que nous avec l'accord et le conseil de nos fidèles, nous vouions qu'on observe dans tout notre royaume en vertu de notre autorité royale. — Rien de plus clair que ce chapitre : on y voit que, sur un sujet si grave, la population n'a pas été consultée ; le roi a décidé seul ; sur ce point de droit particulièrement difficile, il a cherché des lumières partout, dans les lois antérieures, dans les Capitulaires, dans le droit romain, dans l'Ancien Testament, partout enfin, excepté dans les votés dune assemblée.

La loi proprement dite s'arrête ici ; il est visible que cette loi n'a été et ne sera discutée par aucune assemblée nationale : elle est l'œuvre du prince seul, entouré de ses conseillers. Charles le Chauve ajoute encore : Sachent nos comtes que dans chaque comté nous enverrons nos missi pour s'informer s'ils font observer ces règlements que nous établissons aujourd'hui et s'ils remplissent pleinement nos ordres ; et si un comte est négligent ou impuissant à les exécuter, nous en saurons trouver un autre qui veuille et sache faire observer ce que nous ordonnons (art. 35).

Ce n'est pas tout : il faut que la population entière connaisse les nouveaux règlements et leur obéisse, Nous voulons, dit le prince, que, conformément, au chapitre 24 du deuxième livre dés Capitulaires, ces articles qui ont été établis par nous, nos fidèles consultés, soient remis par notre chancelier aux évoques et aux comtes, et que chacun de ceux-ci en fasse faire une lecture publique dans son diocèse et son comté, afin que notre ordre et notre volonté soient notifiés à tous (art. 36).

Après que lecture eut été donnée, au nom du roi, de ce long texte de loi[52], Charles le Chauve reprit la parole. Il ajouta une recommandation qui avait été omise : Nous voulons, dit-il, et expressément ordonnons que toute forteresse élevée dans le royaume sans notre permission soit démolie, et nous chargeons de l'exécution de notre ordre nos comtes, sous peine de destitution.

Enfin, quand l'assemblée eut tout écouté en silence, sans nulle discussion, sans nulle forme de vote, le roi la congédia en ces termes : Que ceux d'entre vous qui ont été cités en notre palais pour quelque cause à juger, restent jusqu'à ce que la cause soit jugée. Que ceux qui, pour un procès où ils sont demandeurs, ont besoin de demeurer auprès de nous, restent autant que cela leur sera nécessaire. Que nos vassaux avec leurs hommes restent aussi et marchent avec nous[53]. Quant aux autres, retournez chez vous, et, soit dans votre voyage, soit en votre maison, soit quand vous reviendrez vers nous, observant l'ordre établi par nous dans notre assemblée générale, allez avec la grâce de Dieu et la nôtre. Que Dieu nous accorde que, dans Un bref délai et plus tard pendant une longue suite d'années, nous nous revoyions en santé et en joie, et que la miséricorde et la grâce de Dieu soient avec nous.

Tel est l'édit de Pistes. Il fallait le citer en entier pour donner une idée de la manière dont les actes législatifs étaient préparés, édictés, promulgués, encore au temps de Charles le Chauve.

Mais, dans l'analyse que nous venons d'en faire, nous avons volontairement omis et réservé un article, celui-là même que nous présentions au début de ce [chapitre], celui où se trouve cette ligne : Lex consensu populi fit et constitutione regis. Plusieurs historiens modernes, préoccupés peut-être de l'idée qu'il devait exister alors un grand système de liberté politique, ont volontiers traduit ces mots comme si Charles le Chauve avait voulu dire que la loi se faisait par la volonté commune du peuple, le roi n'ayant qu'à la promulguer[54]. Une telle affirmation serait unique au milieu de la multitude des textes carolingiens ; elle serait en désaccord manifeste avec les renseignements très précis qui nous montrent comment les actes législatifs étaient préparés, décrétés et promulgués ; elle serait surtout en contradiction avec ce même édit de Pistes qui certainement n'est pas soumis à l'acceptation populaire.

Pour comprendre le vrai sens de la phrase de Charles le Chauve, il faut lire le paragraphe tout entier où elle est contenue. Il est le sixième de l'édit, et il a pour objet de changer une ancienne règle de la procédure. D'après le vieux droit des Francs, nul ne pouvait être assigné en justice qu'en vertu d'une citation faite en sa propre maison, et aucun tribunal de francs hommes[55] ne pouvait condamner par contumace si l'on n'attestait pas par serment que l'accusé avait été assigné en son domicile. Or le prince veut abolir cette vieille règle devenue inapplicable, et voici comment il s'exprime : Il est parvenu à nos oreilles que plusieurs hommes des comtés qui ont été dévastés par les Normands, hommes qui possédaient autrefois des maisons et qui n'en ont plus aujourd'hui, pensent qu'il leur est permis de se livrer à tous les désordres ; ils prétendent que, parce qu'ils n'ont plus de maisons où l'on puisse les sommer suivant la loi, ils ne peuvent pas être appelés en justice et qu'aucun jugement légal ne peut être prononcé contre eux. Eu égard à la malice de ces hommes, nous, avec l'accord et conseil de nos fidèles, nous statuons que, tel cas échéant, le comte enverra son agent à l'endroit où le coupable avait autrefois sa maison et qu'en cet endroit il le fera sommer à comparaître.

Ici, Charles le Chauve s'aperçoit que l'exécution de ses ordres rencontrera un obstacle dans un usage qu'observaient les tribunaux et suivant lequel, lorsqu'un accusé ne comparaissait pas, il fallait que les francs hommes jurassent qu'il avait été cité dans sa propre maison. Cette formalité rendrait l'application de la nouvelle loi fort difficile en justice, puisqu'elle empêcherait le prononcé d'un jugement ; mais Charles le Chauve supprime la difficulté en exigeant que les francs hommes jurent que le coupable a été cité et sommé pour faire réparation et justice, suivant la nouvelle ordonnance du roi, et que cette citation est légale[56]. Cette formule suffira pour qu'il soit procédé au jugement, et les scabins pourront ordonner la confiscation des biens du coupable et son arrestation en quelque comté qu'il se trouve.

Tel est le langage de Charles le Chauve. On voit assez que ce serment qu'il exige des francs hommes est une innovation grave ; or il n'a demandé pour établir une règle si nouvelle l'approbation d'aucune assemblée : il ordonne et statue en maître souverain ; et c'est précisément pour instituer un serment si contraire à l'ancienne procédure qu'il prononce ces paroles : Parce que la loi tire son plein effet de l'adhésion du peuple et de la constitution du roi, quoniam lex consensu populi fit et constitutione regis. — Qu'on observe bien la suite de la pensée dans tout ce texte : loin que le roi veuille dire que la loi n'existe que par la volonté du peuple, il donne à entendre que le peuple doit obéir à la loi dès que le roi l'a établie, et cela jusqu'à changer les vieilles formes du serment en justice[57].

Les autres actes législatifs de Charles le Chauve ont le même caractère que l'édit de Pistes : on n'y voit jamais qu'ils soient soumis à la discussion et au vote d'une assemblée nationale[58].

Nous ne citerons comme exemple que le fameux capitulaire de Kiersy-sur-Oise de 877 ; on l'allègue trop souvent comme un témoignage de l'extrême faiblesse de Charles le Chauve ; nous ne nous occuperons pas ici des relations qu'il signale entre le prince et les grands : nous y chercherons seulement s'il marque par quelque indice que l'autorité législative appartînt à d'autres qu'au prince[59].

Nous lisons en tête de cet édit : Ces capitulaires ont été établis par le seigneur Charles, glorieux empereur, avec l'adhésion de ses fidèles, à Kiersy, la seconde aimée de sa puissance impériale ; de ces capitulaires, il a lui-même rédigé les uns ; sur les autres, il a consulté ses fidèles et leur a ordonné de lui répondre.

Nous distinguons, en effet, dans ce long édit, deux séries d'articles qui ne se ressemblent pas. Les huit premiers ont la forme de questions[60], et chacun d'eux est suivi d'une réponse des grands. Cette réponse, d'ailleurs, est toujours conforme à la pensée et à la volonté du roi ; elle n'est autre chose qu'une approbation formelle de chaque article, ou plutôt elle est un engagement que les grands prennent de l'exécuter. — Votre premier article, disent-ils, comme vous l'avez décrété par l'inspiration de Dieu, nous l'approuvons tous et voulons le conserver. — Nous faisons la même réponse pour le second article. — Par le troisième, vous avez réglé, suivant les vues que Dieu vous a inspirées, la défense de votre royaume et la garde de votre fils ; nous ne pouvons ni ne devons troubler cet ordre que vous avez établi, et nous ne connaissons rien qui soit meilleur (art. 9). — Vous nous demandez dans le quatrième comment nous pouvons être tranquilles à l'égard de votre fils, et votre fils à notre égard ; nous répondons, sur le premier point, que nous ne demandons à votre fils aucune autre sécurité que de conserver chacun de nous dans son rang, suivant les dispositions que vous avez antérieurement établies et décrétées ; sur le second point, nous répondons que nous voulons lui être fidèles comme on doit l'être à son seigneur. — Semblables réponses sont faites au 5e, au 6e, au 7e, au 8e article ; elles sont toujours ce que le roi a souhaité qu'elles fussent ; les grands disent qu'ils sont prêts à faire ce que le prince a établi. — Le 9e article et les vingt-quatre qui suivent n'ont plus la forme de questions ; aussi les grands n'ont-ils pas répondu et se sont-ils contentés d'écrire : Les articles suivants n'ont pas besoin de réponse, parce qu'ils ont été rédigés et décrétés par votre sagesse. Viennent en effet vingt-cinq articles dans lesquels le prince-statue seul en son nom propre et souverainement. Ils ne sont pas tous à l'avantage des grands ; les grands ne manifestent néanmoins aucune opposition. Quant à une assemblée qui aurait discuté préalablement cet édit, il n'y en a pas la moindre trace. La volonté du prince est seule exprimée.

Ces trente-trois articles avaient été notifiés aux grands le [14][61] juin 877 ; deux jours après, Charles le Chauve fit faire une promulgation solennelle devant le peuple assemblé. Mais, comme le plus grand nombre de ces articles ne concernaient que les comtes, les missi et autres fonctionnaires, il se borna à faire connaître au peuple ceux qui pouvaient l'intéresser. Le 16 des calendes de juillet, le seigneur empereur Charles, en assemblée générale, annonça au peuple son départ pour Rome ; il fit savoir quelles dispositions il avait prises pour son fils en son absence, quelles règles il avait établies — c’était le résumé des trente-trois articles précédents — ; puis il ajouta qu'il se trouvait dans cet édit quelques articles dont il voulait que tous eussent connaissance ; et il ordonna au chancelier Gozlin d'en donner lecture.

Enfin, après que cette lecture eut été faite, il prononça immédiatement la clôture de l'assemblée, suivant la forme ordinaire : Chacun de vous, dit le prince[62], peut retourner chez lui avec la grâce de Dieu et la nôtre, à l'exception de ceux qui ont quelque motif pour rester près de nous ou qui ne se sont pas encore acquittés des dons annuels qu'ils nous doivent[63]. — On voit assez que tous ces procédés sont exactement l'opposé de ce qui aurait lieu si le pouvoir législatif appartenait ou au peuple lui-même ou à une assemblée. Dans cet édit de Kiersy, qui est le dernier de ses actes, Charles le Chauve parle encore en prince absolu.

* * *

Tels sont les textes et les faits. Il est possible sans doute, surtout en interprétant certaines expressions dans un sens qu'elles n'avaient plus au IXe siècle, d'y reconnaître un souvenir et comme un vestige de vieilles libertés, disparues. On peut admettre aussi qu'il y eût au milieu de tout cela quelques germes de liberté pour l'avenir. Mais, si nous bornons notre regard au IXe siècle, si nous donnons aux mots le sens qu'ils avaient dans la langue du temps, si nous observons la pratique et la réalité telles qu'elles nous sont décrites par les documents si nombreux et si clairs de cette époque, nous ne reconnaissons nulle part que la nation, au temps des quatre premiers Carolingiens, ait possédé ou ait seulement partagé avec ses rois la puissance législative.

[L'autorité législative demeure donc une des prérogatives essentielles de la royauté franque, comme elle le fut de la monarchie romaine. Charlemagne fut pardessus tout un législateur, comme les empereurs romains de toutes les époques ; il ne cessa de légiférer durant tout son règne.] Il fit rédiger des codes pour les populations germaniques qui lui obéissaient ; mais on se tromperait fort si l'on croyait que ces codes fussent l'œuvre des populations elles-mêmes : c'est le prince seul qui, par son autorité propre, modifia les lois des Lombards et des Francs, établit celles des Thuringiens, des Frisons et des Saxons. Aussi leurs lois sont-elles l'expression du pouvoir monarchique le plus absolu, sans nulle idée de liberté politique. Charlemagne fit en outre un nombre considérable de capitulaires qui étaient exécutoires dans tout l'Empire.

Il ressemble à ces empereurs romains qui envoyaient de leur palais des édits et des rescrits à toutes les provinces. Le souvenir de Rome remplit en effet l'esprit de Charlemagne. Il appelle la législation romaine la mère de toutes les lois humaines[64]. Il exprime la pensée qui l'a principalement dirigé dans toute son œuvre législative quand il dit : Nous avons eu soin de faire recueillir ces capitulaires qui sont empruntés ou aux décrets des saints évêques ou aux édits des empereurs[65].

 

 

 



[1] Edit de Pistes, année 864, c. 6, dans Pertz, Leges, t. I, p. 489, et dans Baluze, Capitulaires, t. II, col. 177.

[2] Capitulaire de 769 [Borétius, p. 45]. — Capitulaire de 795 [ou 791], art. 15 [Borétius, p. 201]. — Capitulaire de 794, art. 4 [Borétius, p. 74]. — Capitula addita ad Legem Langobardorum, année 801 [Borétius, p. 205]. — Capitulaire de 805, art. 3. — 5e capitulaire de 805, art. 15 et 19 [Borétius, p. 124-125]. — Capitulaire de 820 [Borétius, I, 294].

[3] En 803 (Baluze, Capitulaires, t. 1, p. 405-408). — En 828 (Pertz, Leges, t. I, p. 326 et 332). — En 855 (Pertz, ibidem, p. 435).

[4] Qu'ils soient des seigneurs, c'est ce qui résulte des mots : Fidelibus nostris... nostros homines cum eorum hominibus... nos et nostri (Baluze, p. 408) ; qu'ils soient des laïques, c'est ce qui ressort avec une pleine science du texte tout entier ; mais la pensée religieuse et la main de l’épiscopat se voient aussi partout.

[5] Baluze, p. 405.

[6] Voir le préambule du capitulaire de 817 [818-819, cf. Borétius, p. 266] dans Pertz, p. 205 [Borétius, p. 275], et Hincmar, De institutione Carolomanni (De Ordine palatii), c. 8.

[7] Capitulaire de 817, Pertz, p. 205 [Borétius, p. 275]. — Charta divisionis, année 817 [Borétius, p. 271]. — 36e capitulaire de Charles le Chauve, art. 34, dans Baluze, t. II, col. 193 [Pertz, p. 498]). — 40e capitulaire de Charles le Chauve, Baluze, col. 210.

[8] Capitulaire de 805, dans Pertz, p. 112 [Borétius, p. 112]. — Capitulaire de 803, Pertz, p. 115, Baluze, p. 390 [Borétius, p. 113]. — Pertz, p. 126 [Borétius, p. 157]. — Lettre de Charlemagne à Pépin roi d'Italie, dans Pertz, p. 150 [Borétius, p. 212]. — 3e capitulaire de 819, art. 12, dans Baluze, t. I, p. 610 [Borétius, p. 293]. — Capitulaire de 821. — Capitulaire de 829 [Krause, p. 17]. — Vita Ludovici ab Anonymo, c. 32. — Capitulaire de Kiersy, 873, art. 8. — Annales de Saint-Bertin, année 864.

[9] Les expressions toutes romaines, telles que edictum, decretum, constitutio, sont fréquemment employées par les rois carolingiens et remplacent le mot capitula ou s'associent à lui.

[10] Éginhard, Vita Caroli, c. 29.

[11] 2e capitulaire de 803, Baluze, t. I, p. 387 (Borétius, p. 112].

[12] Baluze, t. I, col. 390 [Borétius, p. 113]. Un troisième manuscrit porte simplement : Incipiimt capitula Legi Salicæ quos constituit Karolus imperator (Pertz, t. I, p. 112 [Borétius, p. 112]).

[13] Capitulaire de 801, dans Pertz, Leges, t. I, p. 85, et dans Baluze, t. I, p. 346 [Borétius, p. 205]. — Charlemagne ajouta de même quelques articles à la Loi des Bavarois, et ces articles ne portent pas d'autre intitulé que celui-ci : Capitula quæ domnus Karolus addere jussit (Baluze, t. I, p. 207 [Borétius, p. 157]). — Toutes ces formules sont analogues à celles que nous trouvons employées par le même prince dans les additions à la Loi Salique.

[14] Hincmar, De Ordine palatii, c. 21.

[15] 1er capitulaire de 802, art. 1 [Borétius, p. 92].

[16] Capitulaires, passim.

[17] Capitulaire de 779, art. 12. Pertz, Leges, I, p. 37 [Borétius, p. 50].

[18] 2e capitulaire de 815 (Baluze, t. I, p. 506 [Borétius, p. 170]).

[19] Chronique de Moissac, année 815. — Vita Ludovici ab Anonymo, c. 32 et 40.

[20] La Chronique de Moissac, à l'année 802, s'exprime ainsi : Congregavit duces et comites et reliquum populum christianum cum leijislatoribus (terme qu'assurément il ne faut pas traduire par législateurs, mais qui a plutôt le sens de legum periti, legum magistri, juris doctores, que l'on trouve dans d'autres testes : voir Waitz, Deutsche Verfassungsgetchichte, t. IV, p. 327), et fecit omnes leget legere et tradere unicuiqur legem suam et emendare ubicunque necesse fuit. — Rien dans ces expressions n'indique une discussion populaire ; Charlemagne réunit auprès de lui les grands et ce qu'on appelait alors le peuple, en ayant sont de rassembler surtout ceux qui étaient experts dans les lois ; il fit lire les différents codes, remit à chaque peuple celui qui convenait et corrigea tout ce qui était à corriger. Le chroniqueur montre en tout cela le travail du prince et de ses conseillers, il ne montre nullement les délibérations d'une assemblée nationale. — Sur le caractère de ces assemblées, nous nous référons à un mémoire inséré dans les Séances et travaux de l'Académie des sciences morales, année 1876, p. 612 [cf. plus haut, c. 9].

[21] Capitulaire de 789, dans Baluze, t. I, p. 210 et suiv. [Borétius, p. 52 et suiv.] — Capitulaire de 811, ibidem, p. 478 et suiv. [Borétius, p. 161 et suiv.] — 3e capitulaire de 819, ibidem, p. 607 [Borétius, p. 232 et suiv.] — Capitulaire de Kiersy, de 877.

[22] Hincmar, De Ordine palatii, c. 54. Les derniers mots, comme l'a remarqué M. Guizot, montrent bien que cette réunion ne constituait pas un droit pour les grands, mais une obligation. Cf. Guizot, Essais sur l'histoire de France, édit. de 1844, p. 221. -

[23] Synodus apud S. Macram, année 881, dans Labbe, t. IX, col. 353-354 [et Migne, t. CXXV, col. 1084]. [Cf., plus haut, c. 8.]

[24] 8e capitulaire de 805, dans Baluze, Capitularia, t. I, col. 408, et dans Walter, Corpus juris germanici, t. II, p. 192.

[25] Baluze, I, p. 408, 409.

[26] Baluze, Capitularia, t. I, col. 462 ; Pertz, Leges, t. I, p. 150 [Borétius, p. 212].

[27] Capitulaire de 794 [Borétius, p. 72]. — 3e capitulaire- de 805, art. 29. — Capitulaire de 797. — 8e capitulaire de 803. — 1er capitulaire de 819.

[28] Capitulaire de 829, dans Pertz, p. 329 [Krause, p. 11].

[29] Capitulaire de 794, c. 4 [Borétius, p. 74]. — Capitulaire de 820, c. 5 [Borétius, p. 295].

[30] Capitulare Saxonicum, année 797 |Borétius, p. 71].

[31] Capitulaire de 805, tiré d'un manuscrit de la Bibliothèque Nationale, n° 4995, cité dans Pertz, Leges, t. I, p. 130 [Borétius, p. 141], et dans la Patrologie latine de Migne, t. XCVII, p. 281. — 4e capitulaire de 805, dans Walter, t. II, p. 212 [Borétius, p. 120]). — 3e capitulaire de 806 [Borétius, p. 156].

[32] Capitulaire de 824. art. 26 [Borétius, p. 307].

[33] Capitulaire de 861, Baluze, t. II, col. 154 [Pertz, p. 477]). — De même en 860 (Walter, t. III, p. 115-116 [art. 5, Pertz, p. 475]).

[34] Pertz, Leges, t. I, p. 112 [et Borétius, p. 112], d'après le manuscrit de la Bibliothèque Nationale, n° 4995, Patrologie latine, t. XCVII, p. 255). — Le même texte est cité par Baluze, Capitulaires, t. I, col. 391, avec cette variante : Omnes scabini, episcopi, abbates, comites ; mais il n'est guère admissible que dans la petite assemblée locale de la cité de Paris présidée par le comte Étienne (qui fut en effet comte de Paris en 803, ainsi que l'attestent plusieurs diplômes) il se soit trouvé plusieurs évêques, plusieurs alibis et plusieurs comtes. Il serait d'ailleurs singulier que ces évêques et ces comtes fussent placés après les scabins. Il s'agit des scabins du comte de Paris, de ceux de l'évêque de la même ville et enfin de ceux de l'abbé de Saint-Germain.

[35] Les scabins du comte étaient souvent choisis par le missus imperial (3e capitulaire de 805, c. 3 [Borétius, p. 115]).

[36] L'expression de ce double engagement se rencontre plusieurs fois dans les textes : Capitulare ex Lege Langobardorum, année 801, art. 28 [Borétius, p. 210, art. 15]. — année 851, Baluze, t. II, p. 45 [Pertz, p. 408].

[37] 2e capitulaire de 813, Walter, t. II, p. 200 [Borétius, p. 170]. — Capitulaire de Charles le Chauve, année 843, Walter, t. III, p. 1 [Pertz, p. 376]. — Décret de Louis le Pieux, Walter, t. II, p. 328 [Borétius, p. 555].

[38] 5e capitulaire de 803, art. 18 [Borétius, p. 116]. — Comparer ce qu'on lit en tête de la Loi des Burgondes (Walter, t. I, p. 504 [Pertz, p. 527]).

[39] De même nous lisons dans une lettre d'Agobard (dom Bouquet, t. VI, p. 367) qu'en 817 Louis le Pieux, ayant de sa propre autorité délégué Lothaire pour son successeur, fit rédiger un acte et obligea tous les grands à le signer et à jurer de l'observer.

[40] 1er capitulaire de 810, art. 17 [Borétius,. p. 5 i)5]). — Epistola ad Pippinum, dans Pertz, Leges, t. I, p. 150 [Borétius, p. 212]). —  5e capitulaire de 806, art. 2 [Borétius, p. 131]. — Voir encore en ce sens ce qu'il est dit qu'en 797 des (Walter, t. II, p. 126 [Borétius, p. 71]). — Nous ne voulons pas dire que le mot consentire ait toujours cette signification ; mais on sait combien il est fréquent dans la langue du moyen âge qu'un mot ait plusieurs sens.

[41] Voir notamment le préambule du capitulaire de 816 [Borétius, p. 273, qui place ce préambule en 818 ou 819] ; on y voit clairement que le prince peut appeler a lui les évêques et les consulter, mais que la loi émane de lui seul.

[42] Voir, par exemple, Pertz, Leges, t. I, p. 355, et Walter, t. II, p. 384.

[43] 1er capitulaire de 819, Walter, t. II, p. 329 [Borétius, p. 280]. — Vita Ludovici ab Anonymo, c. 32.

[44] Ainsi, pour le partage de 817, voir ce qu'écrivait plus tard Agobard à l'empereur (dom Bouquet, t. VI, p. 367). — De même l'Anonyme, c. 34.

[45] Agobardi opera, édit. Baluze, t. I, p. 268, Bouquet, t. VI, t. 561. Baluze place cette séance vers la fin de l'année 822, et croit que le capitulaire dont il y fut donné lecture est celui qui porte la date de 823. Il suffit de le lire pour se convaincre qu'il est l'œuvre de l'empereur seul et de ses conseillers intimes ; le prince y parle en son propre nom et comme un souverain absolu.

[46] Aurelianensis episcopus, De institutione regia, c. 11, dans la Patrologie latine, t. CVI, p. 301.

[47] Capitulaire de Charles le Chauve ; titre 14 [Pertz, p. 423]. — Ibidem, titre 15 [Pertz, p. 428]. — Ibidem, titre 23 [Pertz, p. 451].

[48] Annales de Saint-Bertin, édit. de la Société de l'Histoire de France, p. 136. — Cette partie des Annales a été rédigée par Hincmar.

[49] Edictum Pistense, adnuntiato domni Karoli, dans Baluze, t. II, p. 173 [Pertz, p. 488].

[50] Art. 54. Il ne se peut agir ici de Charlemagne ni de Louis !e Pieux, puisqu'il a parlé précédemment des capitulaires de ces deux princes. — Charlemagne aussi parle quelquefois de ses prédécesseurs empereurs ; voir le 2e capitulaire de 805, art. 22, et le 3e de la même année, art. 24 [Borétius, p. 126].

[51] Novellæ, édit. Hænel, p. 237-239.

[52] Baluze, col. 195 [Pertz, p. 499]

[53] Les vassalli ne doivent pas être confondus avec les comtes et autres ministri reipublicæ ; il s'agit ici de chefs de troupes attachés personnellement au roi et qui doivent le suivre partout.

[54] Pardessus, Loi Salique, dissertation première, p. 421. Waitz, Deutsche Verfassungegeschichte, t. IV, p. 506. — M. Waitz rapproche de ce texte la phrase suivante : Judici discenda lex est sapientibus populi composita ; mais les manuscrits portent populo et non pas populi [Borétius, p. 58], ce qui présente un sens fort différent ; il faut d'ailleurs lire cette phrase dans l'art. 61 du capitulaire de 789, et l'on verra qu'elle n'a pas l'importance que M. Waitz paraît lui attribuer.

[55] Sur les franci homines, et le judicium francorum, voir 1er capitulaire de 809, art. 30 [Borétius, p. 448, c. 1] ; 2e capitulaire de la même année, art. 1 [Borétius, ibidem] ; l'édit de Pistes, art. 32 et le 3e capitulaire de Carloman, année 884, art. 9 [Pertz, p. 552]. Les expressions coram francis hominibus et secundum judicium francorum sont fréquentes dans les diplômes du IXe siècle. Il n'est pas besoin d'avertir que le mot franci ne désigne pas ici une race particulière.

[56] Baluze, t. II, 177 [Pertz, p. 490]. — Ces francs hommes, qui jurent devant le tribunal du comte et des scabins, sont probablement les mêmes hommes dont il est parlé dans l'article 32 du même édit de Pistes, et dans un capitulaire de 884 (Walter, Corpus juris germanici, t. III, p. 230 [Pertz, p. 552, art. 9]). Ce terme désignait une catégorie d'hommes qui, dans la procédure des tribunaux locaux, jouaient un rôle important comme témoins et jureurs, sacramentales, conjuratores, peut-être aussi comme avocats et légistes. Il y a quelque apparence que ce sont ces mêmes hommes qui sont désignés dans d'autres textes par expressions légales viri, probi et legales homines.

[57] Il n'est pas inutile de remarquer que l'expression lex fit ou facere legem ne se rencontre jamais avec la signification de faire une loi. Au contraire facere legem se trouve employé dans le sens de faire justice, c'est-à-dire appliquer la loi. Facere legem est un terme de procédure, non un terme de législation ; aussi dans le passage qui nous occupe est-il question de l'application de la loi en justice et non pas de la confection de la loi. — Quant au mot consensus, il désigne ici, comme en beaucoup d’autres textes, l'adhésion obligatoire, c'est-à-dire l'obéissance. — Enfin le terme de constitutio, que l'on a traduit en ce passage comme s'il signifiait une simple promulgation, a toujours désigné l'acte spontané d'un souverain légiférant en son nom propre.

[58] Capitulaires, passim. Cf. Annales de Saint-Bertin, année 873.

[59] [Voir l'étude détaillée qui en a été faite dans les Nouvelles Recherches.]

[60] [Ou plutôt encore de rubriques ; cf. Nouvelles Recherches, p. 420 et suiv.] — Ce mode d'interrogation était d'un usage ancien ; on en trouve des exemples sous Charlemagne en 789, en 799, en 811, et sous Louis le Pieux en 819.

[61] [Voir, pour la date, Nouvelles Recherches, p. 417 et suiv.]

[62] Édit de Kiersy, in fine, Baluze, t. II, col. 270 [Pertz, p. 542].

[63] Sur cette formule de dissolution des assemblées, comparer la fin de l'édit ne Pistes de 869. Voir aussi les dernières lignes de l'édit de 864 que nous avons citées plus haut.

[64] Capitularia, additio quarto, c. 160 (dans Baluze, t. I, p. 1226).

[65] Baluze, t. I, p. 1181.