Si la royauté s'affaiblit au milieu de populations toutes disposées à obéir, si l'autorité publique s'annihila sans qu'il y ait eu aucune révolte contre elle, la faute en fut d'abord à la famille régnante. Le gouvernement monarchique, comme tous les gouvernements, a ses difficultés en lui-même, indépendamment des oppositions du dehors. Pour le mettre en pratique, les Mérovingiens n'eurent ni une conscience assez droite ni une intelligence assez élevée. On connaît leurs crimes. Clovis égorge l'un après l'autre tous ses parents. Clotaire et Childebert égorgent leurs neveux, deux enfants, de leurs propres mains. Thierry essaye de tuer Clotaire[1], et assassine un roi des Thuringiens. La femme de Théodebert assassine sa propre fille. Chilpéric tue sa femme, Théodebert II tue la sienne[2]. Sigebert est assassiné, Gontran est menacé dix fois de l'être. Les deux frères Théodebert et Thierry cherchent à s'égorger[3]. On a expliqué cette série de meurtres par l'exubérance d'une nature ardente et sauvage : âmes simples et franches, a-t-on dit, irascibles aussi et indomptées, ils avaient les emportements de l'humanité primitive. Tout au contraire, regardez de près tous ces récits de meurtres : ce sont les crimes de la ruse et non de l'emportement, de la convoitise la plus basse et non pas de la franche colère. Qu'on regarde aussi les mœurs privées de ces hommes : nul respect des liens de famille et du mariage ; le nombre de leurs concubines est incalculable[4]. C'est un libertinage éhonté. Les fils s'arment contre leur père quand leur père leur fait trop attendre la royauté. Les filles se querellent avec leur mère pour avoir leur part d'or et de joyaux. Entre frères, ce n'est que haine. S'ils sont trois, il y en a toujours deux qui complotent contre le troisième. Childebert et Clotaire s'unissent contre Théodebert, puis Childebert et Théodebert contre Clotaire[5]. A la génération suivante, Chilpéric et Childebert II s'entendent pour chasser Gontran de son royaume ; puis c'est Gontran et Childebert qui s'unissent contre Chilpéric. Et ces unions se font et se défont sans cesse, bien que chaque fois elles soient confirmées par un traité écrit, par des signatures, par des serments[6]. Les Mérovingiens avaient pris la place des empereurs romains ; mais, quoique ceux-ci fussent loin d'être des modèles dans la vie privée, les Mérovingiens valurent bien moins encore. Il est juste d'ajouter que les autres familles royales n'étaient pas meilleures. On peut voir les crimes des rois burgondes[7], des rois ostrogoths, des rois wisigoths, des rois thuringiens[8], des Lombards[9], Conan, comte des Bretons, assassina ses trois frères[10]. Jamais les gouvernants ne furent plus mauvais qu'à cette époque de l'histoire. Visiblement le niveau de la conscience s'était abaissé. Or cet abaissement dans la famille régnante fut pour la royauté une cause de faiblesse. Le respect fut impossible. Je ne sais si le sentiment de la réprobation surgit dans Tes âmes ; la manière dont, ces crimes sont racontés par Grégoire lui-même permet de penser que les contemporains n'éprouvèrent ni réprobation ni dégoût. Tous ces crimes n'inspirèrent à ceux qui en étaient les témoins aucun sentiment de haine vigoureuse. On s'y habitua, on ne se crut pas le droit de juger, on applaudit, on imita. Je ne crois pas qu'il ait été écrit à aucune époque un livre aussi plein de crimes que celui de Grégoire de Tours ; et tranquillement, c'est un fleuve qui coule et répand ses eaux Les crimes sont partout. Francs et Romains ne s'y distinguent pas, et les clercs ne valent pas beaucoup mieux que les laïques. Ces générations d'hommes perdirent, sans s'en douter, le sens moral. Avec cela disparut aussi ce qui fait le plus sûr lien de la : société. Sous les Mérovingiens, deux choses grandirent incessamment : l'une fut la dépravation de la conscience individuelle, l'autre fut l'indiscipline sociale. Les hommes furent de plus en plus mauvais, et dé plus en plus ingouvernables. Le vice capital de cette famille paraît avoir été l'avarice. Observez, dans les récits que les Chroniques font de leurs actes et de leurs crimes, les traits caractéristiques ; il en est un que vous retrouverez toujours : c'est la cupidité. Chacun de ces rois accumule un trésor, et tous ses actes tendent à l’augmenter. On est confondu de la place que le trésor tient dans toute cette histoire. Clovis prend le royaume de Sigebert avec ses trésors[11]. Il tue Chararic et prend son royaume, ses trésors et son peuple[12]. Childebert Ier meurt, et son frère prend son royaume et ses trésors[13]. Gontran aussi prétend avoir le royaume de Caribert et ses trésors[14]. La guerre civile de 613 a pour plus clair résultat de soumettre à Clotaire II tout le royaume des Francs et tous les trésors[15]. Dagobert Ier, à la nouvelle de la mort de son père, court s'emparer de ses trésors[16]. Le même prince, dès qu'il apprend la mort de Caribert, se fait apporter ses trésors[17]. Il meurt, et le chroniqueur raconte en détail, comme la plus importante affaire de cette année-là, de quelle manière ses trésors furent partagés entre ses deux fils[18]. Plus tard Pépin, vainqueur à Testry, s'empara du roi Thierry et de ses trésors. Ces coffres remplis de pièces de monnaie ou d'objets d'orfèvrerie semblent avoir uniquement préoccupé les hommes de ce temps-là. Il faut voir avec quel naïf orgueil les rois montraient ces coffres aux visiteurs. Chilpéric fait voir à Grégoire de Tours les belles pièces d'or que l'empereur de Constantinople lui a envoyées et lui en fait admirer le poids autant que les lettres bien gravées. Il lui met sous les yeux un grand plat d'or du poids de cinquante livres. C'est moi, dit-il, qui l'ai fait faire, pour honorer la race des Francs, et si Dieu me prête vie, j'en ferai faire encore d'autres[19]. Tels sont leurs grands desseins. Ne dirait-on pas que l'augmentation de leur trésor est le but suprême de leur politique[20] ? Quand un roi meurt, c'est à qui de ses frères ou de ses fils mettra la main le premier sur son trésor. A la mort de Childebert, Clotaire s'empara de son royaume et de ses trésors ; quant à sa femme et à ses filles, il les relégua en exil. Clotaire meurt, et aussitôt Chilpéric, sans attendre ses frères, court à Braine où se trouvent les coffres du roi mourant. Caribert meurt ; Gontran fait dire à sa veuve : Viens à moi avec les trésors de ton mari, et je t'épouserai ; la femme vint, mais le roi ne garda que les trésors[21]. Pour quel motif ces rois se font-ils la guerre entre eux ? Les historiens modernes se sont plu à transporter dans ces générations les idées générales qui règnent dans les nôtres. — Ils ont raisonné ainsi : Des guerres civiles si fréquentes, si perpétuelles, ne doivent dériver que d'une cause supérieure. Cette cause supérieure doit être une antipathie de race. Il est vrai que tous ces rois sont de la même famille, mais comme ils règnent l'un dans l'Est et l'autre dans l'Ouest, il est certain que ce sont ces deux contrées qui se battent sous le nom des deux rois ; ou plutôt, sous le nom des deux contrées, ce sont deux races ennemies. — Ces raisonnements-là ne sont pas chez les écrivains du temps. Vous ne trouverez pas dans toutes les Chroniques un seul indice d'une Tulle de deux contrées, une seule allusion à un conflit de races. Les chroniqueurs ne disent jamais : La Neustrie et l'Austrasie se font la guerre ; ils disent toujours : Tel roi fait la guerre à tel autre. Qu'on observe d'ailleurs le détail, on verra bien que la Gaule n'était pas partagée aussi régulièrement en Est et Ouest que les historiens modernes l'ont supposé. Il y eut un troisième royaume, la Bourgogne, et l'on vit des coalitions de la Bourgogne et de l'Austrasie contre la Neustrie, comme on en vit de l'Austrasie et de la Neustrie contre la Bourgogne. Il resterait aussi à prouver que la Neustrie qui possédait Tournai et Cambrai fût plus romaine que l'Austrasie qui possédait la Champagne[22]. Qu'on entre plus avant encore dans le détail des faits, et qu'on lise dans Grégoire ou Frédégaire les récits de ces luttes ; on verra que la Touraine est austrasienne et se bat très vaillamment contre le Poitou qui est neustrien[23]. Toutes les idées systématiques que les modernes ont exprimées sur ces guerres doivent être écartées. Les chroniques les racontent sans jamais leur attribuer aucun motif d'ordre général. Le motif, unique et toujours le même, qu'elles marquent sans cesse, est la convoitise des rois ; chacun d'eux veut augmenter sa part de terres et de trésors. Quand ils se disputent des cités, ils se disputent l'impôt que ces cités produisent ou les domaines qu'elles contiennent[24]. Il en est de même des partages qu'ils font entre eux. Ils divisent le royaume sans avoir égard aux races, aux langues, à la géographie. C'est pour cela que la Provenez et la Touraine ont été longtemps dans le royaume d'Austrasie, et que l'Alsace a fait partie quelque temps du royaume de Bourgogne[25]. Qu'on cherche quelle peut être la raison de ces singuliers partages, on n'en trouvera pas d'autre, sinon que l'on faisait le calcul des impôts, des terres, de tous les revenus que chaque part devait contenir. Il semble que ces partages aient été faits, non sur une carie, mais sur une liste de provinces. Pour arriver à une plus grande égalité pécuniaire, on partageait quelquefois une ville par moitié ou par tiers. Aussi voyons-nous qu'ils se disputent avec une singulière âpreté des moitiés ou des tiers de cités. L'idée de races n'a rien à voir avec de tels actes[26]. Quel a été le mobile des guerres de ces rois au dehors ? Leurs expéditions en Germanie furent nombreuses. Songèrent-ils à civiliser le pays ou à le convertir, ou tout au moins à l'organiser ? On ne trouve pas dans les documents la trace d'une pareille pensée. Clotaire Ier fait la guerre aux Thuringiens pour satisfaire une vieille rancune des Francs. Il fait la guerre aux Saxons, parce que ceux-ci refusent de lui payer tribut. Childebert porte la guerre en Espagne pour faire du butin. Si, plus tard, les rois francs font des expéditions contre les Lombards, c'est parce qu'ils sont payés pour cela par les empereurs de Constantinople ; encore arrive-t-il que si les empereurs les payent d'avance, ils gardent l'or et ne font pas l'expédition[27]. L'impression générale qui résulte des faits est que l'esprit politique a manqué à ces rois. Il est bien vrai qu'on ne. saurait donner sur ce point une affirmation absolue. Quelques exceptions peuvent nous échapper. Il est possible que Clovis ait eu quelques vues hautes et justes, bien que les chroniqueurs n'en parlent pas, et qu'il ait fait quelques fondations ou institutions, quoique aucun document ne nous les fasse apercevoir. Plusieurs historiens modernes ont attribué à la reine Brunehaut de grands desseins ; mais aucun des écrivains contemporains ne paraît soupçonner qu'elle les ait eus. Ni Grégoire ni Frédégaire ne parlent de sa politique. L'idée qu'elle ait travaillé au triomphe d'un certain système de gouvernement n'est nulle part. Quelques églises qu'elle bâtit, quelques routes que peut-être elle répara, ne prouvent pas qu'elle ait eu le génie de l'administration. Les modernes supposent volontiers que les Mérovingiens ont fait de louables efforts pour constituer peu à peu un gouvernement régulier, et qu'ils y ont échoué. Le contraire est plus vrai. Ce gouvernement régulier existait encore à leur arrivée en Gaule ; ils n'ont eu qu'à le prendre et aucune des populations ne s'opposa à ce qu'ils le prissent. Ils devaient faire effort, non pour le constituer, mais pour le conserver ; et c'est à cela même qu'ils ont été insuffisants. S'ils avaient eu des vues d'intérêt général, ils auraient commencé par se faire moins souvent là guerre pour des convoitises personnelles. Ils n'auraient pas laissé se perdre l'impôt, la justice et l'administration, ainsi que nous le verrons tout à l'heure. Us auraient ensuite travaillé à fonder quelques institutions régulières et stables. La marque à laquelle se reconnaissent les hommes d'État dans le régime monarchique, est qu'ils établissent de solides pouvoirs à côté du roi, afin de garantir la monarchie même contre les caprices du monarque. Les Mérovingiens n'y songèrent pas. Ils furent despotes autant qu'ils purent l'être, mais plutôt par goût et par instinct qu'en vue d'un intérêt public. Us voulurent être des rois riches et forts plutôt qu'ils ne pensèrent à établir une royauté solide eh bienfaisante. Il me semble que Grégoire de Tours donne une idée assez exacte de ce qu'étaient tous les desseins de ces rois. Frédégonde, dans un moment de repentir, dit à son mari ; Nous thésaurisons, et à quoi cela nous sert-il ? nous n'avons pas d'enfants. Pourquoi continuer ? N'avons-nous pas assez de vin dans nos celliers, assez de blé dans nos greniers, assez d'or et d'argent dans nos coffres ?[28] Je ne sais si ce sont là les paroles de Frédégonde, mais ce sont là les paroles, les pensées, et toute la politique que Grégoire attribue à Frédégonde et à Chilpéric, qu'il connaissait. Ailleurs, l'historien, sous forme de plainte oratoire,
présente ses considérations sur la politique générale des rois francs : Il me pèse de raconter les guerres civiles ; que
faites-vous, ô rois ? Quel est votre but ? De quoi manquez-vous ? Toutes les
sortes de richesses abondent dans vos maisons. Vin, blé, huile, vos greniers
regorgent de tout ; l'or et l'argent s'entassent dans vos coffres ; pourquoi
cherchez-vous à vous dépouiller l'un l'autre ?[29] Or l'écrivain
qui parle ainsi n'est pas un homme étranger aux choses du monde. C'est un
évêque ; administrateur non seulement d'une église, mais d'une grande cité,
il a l'habitude des affaires ; il traite tous les jours avec les rois ; plus
d'une fois dans sa vie il a été négociateur entre eux. 1Tconnaît la cour, les
grands, les bureaux : rien ne lui échappe ; il n'est guère possible que la
politique ait eu beaucoup de secrets pour lui. Si c'est ainsi qu'il se figure
toute la politique, je ne croirais pas volontiers que lès rois francs en
eussent une idée plus haute. On en est même à se demander si l'idée abstraite de la royauté entra dans leur esprit. Leur phraséologie pompeuse ne doit pas faire illusion. Leurs bureaux, qui leur venaient de l'Empire, conservaient les formules romaines. Aussi continuait-on à vanter, en tête des actes officiels, la majesté royale, ses devoirs, ses vertus, ses bienfaits. On écrivait, par exemple, au nom du roi Clotaire : Il appartient à la clémence du prince de pourvoir avec une sollicitude attentive aux nécessités des provinces et aux besoins des sujets et de prendre dans l'intérêt de leur repos toutes les mesures qui s'accordent avec la justice. Mais ces phrases toutes romaines étaient de tradition dans les bureaux ; elles ne marquent pas une préoccupation particulière des rois. Dans la pratique, et si l'on observe les actes des Mérovingiens, il n'en ressort pas qu'ils aient considéré la royauté comme une fonction instituée dans l'intérêt de tous. Quelques mesures de police, quelques accès de zèle judiciaire[30] ne constituent pas une ligne de conduite suivie. Quelques lois sages leur furent dictées par des conciles d'évêques, mais il est douteux qu'elles aient été exécutées. Ils semblent avoir presque tous considéré la royauté comme une fortune et non pas comme une fonction. C'est pour cela qu'ils se la partageaient comme un domaine. Us en comptaient les terres, les impôts, les trésors. Ils donnaient des cités en dot à leurs filles, en douaire à leurs femmes. — Le traité d'Andelot, l'un des actes les plus solennels du VIe siècle, confère des cités en propre à Brunehaut, d'autres à une fille de Gontran. Par ce traité, deux rois règlent la succession du royaume dans les mêmes termes que deux particuliers régleraient l'héritage d'une fortune. Vous n'apercevez dans ce long texte aucune lueur d'idée générale, aucun principe qui dépasse les intérêts privés de quelques hommes. Non seulement, la nation franque n'a pas été consultée, mais les contractants ne pensent même pas à elle. Tout se réduit à ceci : un roi qui n'a pas d'enfants lègue son royaume à son neveu pour en mieux jouir sa vie durant ; encore se ravise-t-il bientôt, et nous l'entendons dire : Je laisserai aussi deux ou trois cités à Clotaire, quelque part, afin qu'il ne soit pas tout à fait déshérité par moi[31]. — Quarante ans plus lard, Dagobert Ier réunit les deux royaumes ; mais nous ne voyons pas qu'un principe supérieur détermine les hommes ni Dagobert lui-même : le chroniqueur raconte qu'il se hâte, qu'il arrive le premier, qu'il met la main sur les royaumes et les trésors ; pourtant il est ému de miséricorde, et laisse à Caribert tout le pays entre Loire et Pyrénées[32]. — Convoitise ou miséricorde, ce sont toujours des sentiments d'ordre privé qui inspirent leurs actes politiques. C'est ainsi que leurs donations sont dictées par le désir de plaire à Dieu ou de sauver leur âme. Bons ou mauvais, ce sont toujours des intérêts personnels qui les dirigent. Ici se présente naturellement une comparaison. L'Empire romain avait compté plusieurs princes détectables ; encore peut-on suivre, du commencement à la fin, et même sous les plus mauvais, un souci constant des intérêts généraux. Les empereurs s'étaient tous considérés comme les représentants du populus. Dans leur esprit, et aussi d'après la manière de penser de leurs contemporains, l'Empire n'était nullement une autorité personnelle, moins encore un domaine ou un héritage. L'Empire était la collection des intérêts de tous gérés par un seul homme. On l'appelait respublica. Ne croyons pas que ce fût là un vain mot, une illusion, un mensonge ; sous ce mot, il y avait toute une conception d'esprit. Ceux qui sont familiers avec les documents de l'âge impérial, savent combien ce terme est fréquent. Il n'est pas seulement employé par les écrivains classiques ; il était employé dans la langue ordinaire et même dans la langue officielle. Il est dans les lois, il est dans les inscriptions. Loin qu'il fût un terme d'opposition, on l'employait en parlant aux empereurs, et les empereurs eux-mêmes l'employaient. Respublica était un terme aussi officiel que imperium[33]. Tous les deux désignaient le même gouvernement par deux côtés divers. Le pouvoir appartenait à un seul, mais le gouvernement était la chose de tous. Cela ne voulait pas dire que tous eussent le droit de gouverner ; mais tout le monde entendait par là que le gouvernement n'existait que pour l'intérêt de tous. Celte conception d'esprit est restée toute-puissante dans les cinq siècles de l'Empire. Aussi le mot et l'idée de la respublica se suivent-ils de génération en génération dans les documents. Sous les Mérovingiens, le mot respublica disparaît. Si nous le trouvons encore quelquefois, c'est seulement pour désigner l'Empire romain qui a son siège à Constantinople. Il n'est jamais appliqué à l'État franc[34]. Il y a dans cette disparition d'un mot un symptôme que l'historien ne doit pas négliger. Si le mot est sorti de l'usage, sans être remplacé par aucun équivalent, c'est qu'une idée est sortie de l'esprit. Le gouvernement a cessé d'apparaître aux hommes comme la chose de tous. La conception des intérêts généraux s'est effacée. Le roi reste comme une personne puissante, crainte, obéie ; mais le principe supérieur qui s'était attaché à la monarchie ne se retrouve plus ; l'intérêt public ne se confond plus avec elle. Visiblement, les hommes du vie et du VIIe siècle se font du gouvernement une idée moindre. L'autorité publique s'altère, s'affaiblit, s'abaisse, dans l'esprit des rois et des sujets. |
[1] Grégoire, III, 7.
[2] Frédégaire, Chronicon, c. 37.
[3] Plus tard on reproche encore à Dagobert d'avoir fait assassiner son neveu Chilpéric, Frédégaire, 67.
[4] Voyez dans Grégoire les mœurs de Thierry Ier (III, 22, 26, 27), de Théodebert Ier (III, 20, 22, 27), de Clotaire Ier (IV, 5) ; de Caribert (IV, 26) ; de Gontran (IV, 25) ; de Chilpéric (IV, 28), etc. ; de Thierry II (Frédégaire, Chronicon, 24, 29, 50. 56). — [Voyez] plus tard celles de Dagobert, Frédégaire, 60. — Sigebert Ier et Sigebert II paraissent avoir fait exception.
[5] Grégoire de Tours, III, 25 et 28.
[6] Grégoire de Tours, VI, 5.
[7] Grégoire de Tours, II, 28 et 32 ; III, 5.
[8] Grégoire de Tours, III, 4.
[9] Frédégaire, 70.
[10] Grégoire de Tours, IV, 4.
[11] Grégoire de Tours, II, 40.
[12] Grégoire de Tours, II, 41.
[13] Grégoire de Tours, IV, 20.
[14] Grégoire de Tours, VII, 6.
[15] Frédégaire, Chronicon, 44.
[16] Frédégaire, Chronicon, 57.
[17] Frédégaire, Chronicon, 67.
[18] Frédégaire, Chronicon, 85.
[19] Grégoire de Tours, VI, 2.
[20] La cupidité est encore le reproche que le chroniqueur adresse a Dagobert Ier, Frédégaire, Chronicon. 60 et 73.
[21] Grégoire de Tours. IV, 20 ; IV, 22 ; IV, 26.
[22] Que les rois qui régnaient dans l'Est aient eu une plus grande facilité pour enrôler des mercenaires germains, et qu'ils ne s'en soient jamais fait faute, cela ne prouve en aucune manière que ce fût une haine de race qui armât l'Austrasie.
[23] Ex. : Grégoire de Tours, VI, 31 ; VII. 42, 15, 24, etc.
[24] Grégoire de Tours, VI, 22.
[25] Frédégaire, Chronicon, 37. [Cf. La Monarchie franque, p. 46.]
[26] Les partages du VIIe siècle présentent un peu moins d'irrégularité ; mais dans les cent vingt années précédentes la notion de races avait eu le temps de s'affaiblir.
[27] Grégoire de Tours, III, 7 ; IV, 14 ; III, 29 ; VIII, 18 ; VI, 42.
[28] Grégoire de Tours, V, 34.
[29] Grégoire de Tours, V, prologue.
[30] Frédégaire, Chronicon, 54, 57, 58.
[31] Grégoire, IX, 20, in fine. — [La Monarchie franque, p. 606 et suiv.]
[32] Frédégaire, 56, 57.
[33] [La Gaule Romaine, p. 149 ; L'Invasion Germanique, p. 4.]
[34] On trouve toutefois le mot respublica dans la Vita S. Eligii, I, 32 : Censum qui reipublicæ solvebatur ; mais notez que c'est dans un chapitre de la rédaction plus récente, comme le prouvent les mots usque hodie. Or le mot respublica était redevenu en usage sous les Carolingiens [comme nous le verrons plus loin].