Après avoir étudié l'un après l'autre les différents éléments qui composaient le domaine, nous pouvons nous faire une idée d'ensemble de ce qu'était le domaine rural au septième et au huitième siècle. On l'appelait le plus communément du nom de villa, et cela aussi bien au Nord qu'au Midi, aussi bien dans la région Rhénane qu'en Aquitaine. L'étendue en était infiniment variable ; mais l'organisation intime en était partout la même, sauf des exceptions toujours possibles, mais qui n'ont pas laissé de traces dans les documents. Regardez en Provence et en Anjou, regardez sur les bords de l'Escaut, de la Moselle et du Rhin, la villa est. toujours constituée de la même façon. Elle est un composé de terres et d'hommes. Les terres comprennent, en général, tous les éléments de culture : champs en labour, prés, vignes, bois, pâquis. Les hommes sont de conditions diverses, esclaves, lites, affranchis, colons, quelquefois hommes libres. Ces terres et ces hommes sont unis et associés par un lien indissoluble : ni la terre ne peut être enlevée aux hommes ni les hommes à la terre. Au-dessus de ces terres et de ces hommes s'élève un propriétaire unique. Assez souvent, il est vrai, il est arrivé qu'un partage de succession ou une vente partielle ail divisé la villa. Elle se trouve alors répartie entre deux ou plusieurs propriétaires, d'ailleurs indépendants l'un de l'autre et ne formant pas une association. Cette villa est une propriété héréditaire. Le propriétaire la vend, la donne, la lègue avec une pleine liberté. Que l'on prenne la région du Rhin et de l'Escaut ou celle de la Gironde et de la Loire, le droit de propriété y est de même nature ; les actes de vente, de donation, de testament s'y font dans les mêmes formes. Le droit du propriétaire est sans limites et sans réserves. Parmi les diverses sortes de terres qui composent la villa, il n'en est aucune qui échappe à cette propriété complète, pas même la forêt, pas même le marais ou le sol inculte. Cette villa ou ce domaine, quelquefois très vaste, ne formait jamais une masse confuse. Chaque homme avait sa place, chaque parcelle de terre avait son rang. Un organisme très simple et très régulier mettait l'ordre partout. Tout d'abord la terre était divisée en deux parts : celle que le propriétaire s'était réservée pour son exploitation personnelle ou pour sa jouissance, et celle qu'il avait concédée et distribuée en tenures à ses hommes. La part réservée s'appelait spécialement le manse du propriétaire, quoiqu'il fût aussi bien propriétaire de tout le reste et au même titre. Ce manse domanial comprenait d'abord la maison[1] où il habitait avec sa famille quand il occupait son domaine ou qu'il venait le visiter. Cette maison, qui chez les Romains s'appelait habitatio dominica[2], est généralement appelée au moyen âge casa ou domus dominica[3]. Le nom de sala, lui est aussi donné, surtout dans les régions plus germaniques du Rhin et de l'Escaut[4]. Les documents ne nous renseignent pas assez sur la physionomie de ces maisons. Le poète Fortunatus en vante plusieurs ; il parle de portiques, de colonnes, de salles de bains, comme si rien n'était changé depuis l'empire[5] ; mais cet écrivain parle une langue de convention dont il est difficile d'apprécier le degré d'exactitude. Il est peu vraisemblable que ces brillants palais aient subsisté longtemps. Les chartes ne donnent aucune description. Le peu que disent les polyptyques sur ce sujet donne plutôt l'idée de constructions vastes que de bâtiments élevés ou élégants. Peut-être ressemblaient-elles plutôt à nos grandes fermes qu'aux riches maisons de plaisance de l'empire. D'autre part il n'est jamais dit qu'elles fussent fortifiées ; elles n'avaient par conséquent aucune ressemblance avec les châteaux féodaux de l'époque suivante. Ce n'étaient pas des demeures de guerriers ; c'étaient des demeures de propriétaires fonciers et d'agriculteurs. En avant de cette maison se trouvait une cour, que nous devons signaler parce qu'elle a eu une grande importance dans l'existence des hommes du moyen âge ; on l'appelait curtis[6] ce qui était le même nom que dans l'empire romain[7]. Cette cour était ordinairement close de tous côtés, et l'on n'y entrait que par une ou deux portes[8]. Autour d'elle étaient les dépendances de la maison du maître, c'est-à-dire sa cuisine, son cellier, sa salle de bains, ses écuries, ses étables, ses granges, sa boulangerie, son pressoir ou sa brasserie[9] ; quelques ateliers pour les travaux de menuiserie ou de charronnage, quelques cabanes pour ses serviteurs, un atelier pour quelques femmes serves qui filaient ou lissaient pour la famille ; cet atelier s'appelait, d'un ancien mot grec, gyneceum[10]. Là aussi, ou non loin de là, se trouvait une église ou une chapelle. Elle appartenait comme tout le reste au propriétaire, et était à l'usage de ses hommes. Un prêtre la desservait, choisi par le propriétaire avec l'aveu de l'évêque diocésain. Il était souvent un serf du même domaine, et le propriétaire l'avait affranchi pour en faire son prêtre. Il vivait à demeure dans le domaine, et il était de règle que le propriétaire lui concédât un ou deux manses[11]. Telle est l'origine d'un grand nombre de nos paroisses rurales. Puis venait la terre domaniale. C'était en premier lieu un petit parc, arboretum, viridarium, broilum, et un jardin potager, hortus[12]. Plus loin, c'étaient des champs en labour, des prés, des vignes. Lorsque le dominicum était d'une grande étendue, on le partageait en plusieurs culturæ[13]. Presque toujours le domaine comprenait une forêt ou un bois, silva. Le polyptyque de Saint-Germain, qui décrit des domaines qui avaient été constitués à une époque ancienne et qui avaient appartenu à des particuliers avant d'appartenir à l'abbaye, donne lieu à cette remarque que la forêt faisait toujours partie du dominicum[14]. Loin qu'elle fût, comme on l'a soutenu, la propriété commune des paysans, elle était toujours dans la partie réservée du propriétaire. Il était d'ailleurs ordinaire, nous l'avons vu, que le propriétaire y concédât des droits d'usage à ses colons et à ses serfs. Mais c'était lui qui déterminait dans quelle partie de sa forêt ils couperaient du bois ou enverraient leurs porcs, et quelle partie il voulait s'en réserver pour ses besoins personnels ou pour ses chasses. S'il se trouvait un cours d'eau dans le domaine, on y établissait un moulin. Nos chartes ne nous montrent jamais un moulin qui appartienne aux paysans[15]. Le moulin appartient toujours au propriétaire[16]. Il fait partie du dominicum[17]. Les paysans y font moudre leur grain moyennant une rétribution. Tantôt le propriétaire exploite lui-même son moulin en y plaçant un de ses serfs, tantôt il l'afferme à un homme qui lui en paye un cens déterminé[18]. Autour et comme au-dessous de la terre domaniale était la terre en tenure, distribuée en manses de serfs -et en manses de colons ou d'affranchis. C'était la terre dépendante à l'égard de la terre du maître. On disait dans la langue du temps qu'elle regardait vers celle-ci, ad eam aspicit, qu'elle lui appartenait, ad eam pertinet[19], et ces expressions étaient justes, puisque le propriétaire de l'une était aussi bien propriétaire de l'autre. Chaque manse était cultivé par le travail individuel du tenancier ; la terre domaniale l'était par le travail collectif des mêmes tenanciers. De cette façon, le tenancier payait son fermage, pour la plus grande partie, en travail manuel. Le propriétaire recevait peu d'argent, mais il était sûr que la terre qu'il se réservait serait toujours cultivée. Tel était l'arrangement qui peu à peu, depuis le temps de l'empire romain jusqu'à l'époque carolingienne, s'était établi dans les habitudes. Les hommes étaient inséparables de la terre. Le propriétaire pouvait renoncer à son domaine, le donner, le vendre, l'échanger ; le tenancier, serf ou colon, ne pouvait pas renoncer à sa tenure, ni le propriétaire la lui enlever. Si le domaine était vendu, le tenancier était vendu avec lui : par quoi il faut entendre qu'il conservait sa tenure sous le nouveau propriétaire et aux mêmes conditions. Ce serf ou ce colon était littéralement l'homme du domaine, et comme le domaine était souvent appelé potestas, c'est-à-dire propriété, on en vint à appeler ce colon ou ce serf homo potestatis ; l'expression a duré sous la forme de homme de pôle pendant tout le moyen âge. Il ne semble pas que les tenanciers eussent l'habitude de vivre épars, chacun sur un manse. Ils se rapprochaient plutôt les uns des autres pour former un vicus, c'est-à-dire un village. Ce village s'établissait ordinairement à peu de distance de la maison du maître et un peu au-dessous d'elle. Les revenus que le propriétaire Lirait de son domaine se composaient de trois parties : 1° les fruits, fructus, c'est-à-dire les produits du dominicum ; 2° le tribulum ou le redditus, c'est-à-dire la redevance en argent ou en grains que chaque tenure lui livrait[20] ; 3° ce qu'un texte appelle suffragium, ce que plusieurs autres désignent par l'expression vague religua bénéficia[21] ; c'étaient, des revenus accessoires et variables ; aussi ne sont-ils pas inscrits dans nos polyptyques ; apparemment, nous devons y comprendre les amendes pour délits, peut-être le droit de mariage, surtout le meilleur meuble dans la succession d'un serf, et le retour de tout son pécule et de sa terre s'il ne laissait pas d'héritiers légitimes[22]. Tel était le domaine rural avec ses vieilles limites persistantes[23] et son unité ineffaçable, malgré les partages de succession qui y plaçaient quelquefois plusieurs propriétaires. Ce domaine formait à lui seul une société complète, un petit nombre qui se suffisait à lui-même. Il contenait ordinairement tous les genres de culture nécessaires à la vie : champs de céréales, prairies, vignes, linière, houblonnière, bois de haute et basse futaie. On y faisait la moulure ; on y faisait le vin, la bière, le linge et les vêtements. On y exécutait tous les travaux de charronnage et de menuiserie. Le tenancier bâtissait et réparait lui-même sa maison avec le bois du domaine ; il réparait même la maison du maître. Visiblement, ce paysan allait quelquefois à la ville voisine pour vendre son blé ou ses volailles ; mais il prenait peu à la ville. Le domaine vivait entièrement de sa vie propre. A ce domaine, souvent très étendu, et toujours composé d'éléments fort complexes, il fallait une petite administration. Il était rare que le propriétaire pût l'administrer lui-même. Ce propriétaire était ou un évoque, ou un abbé, ou un riche laïque, et ne pouvait s'occuper des mille détails d'une culture. Les anciens Romains avaient eu le villicus, chef des esclaves et intendant, qui leur commandait au nom du maître ; ce villicus se retrouve, sous ce même nom et avec les mêmes attributions, jusqu'au dixième siècle[24]. Les Romains avaient aussi sur les grands domaines un actor ou agens, véritable administrateur et chef du personnel ; nous retrouvons aussi ce nom et cet emploi, au moyen âge[25]. La Loi des Burgundes prononce que, si un esclave est accusé par un étranger, cet étranger doit s'adresser à son maître ou à l’actor qui régit le domaine[26]. Ces actores ou agentes sont signalés dans un grand nombre de formules[27]. Grégoire de Tours raconte cette histoire significative : La fille de Bérétrude possédait une villa, dont un certain Waddo voulait s'emparer. Il envoie d'abord un message à l'agens lui prescrivant de tout préparer pour le recevoir, comme si la villa était à lui. Mais l'agens rassemble les hommes du domaine et dit : Tant que je serai en vie, Waddo n'entrera pas dans la maison de mon maître. Il se place à la porte et livre un : combat à l'envahisseur ; il est tué, mais ses serviteurs le vengent en tuant à son tour Waddo. Voilà comment les serfs défendaient au besoin le bien du maître[28]. Avec le temps, les termes de villicus et d'actor deviennent moins fréquents. Ils sont remplacés par celui de major[29], qui a persisté pendant tout le moyen âge et qui est devenu notre mot maire. Faisons d'ailleurs attention qu'il ne s'agit pas ici d'un maire de village, mais d'un maire de domaine. Il est toujours choisi par le propriétaire. Rarement il est un homme libre, presque toujours il est un colon, quelquefois un serf ; c'est-à-dire qu'il ressemble, pour la condition sociale et pour la dépendance, à la majorité des hommes du domaine[30]. C'est l'ancien principe romain. Si le domaine est très étendu, il a sous ses ordres des decani ; c'est peut-être le reste de l'antique distribution des esclaves ruraux en decuriæ. Charlemagne ne voulait pas que les maires de ses domaines fussent pris parmi les hommes les plus riches de la villa ; il voulait pour cet office des hommes de condition moyenne[31]. Au-dessus de plusieurs domaines et de plusieurs maires, le roi, les évoques ou les riches laïques plaçaient un agent qualifié du titre élevé de judex. Tous ces hommes, qui étaient dans la dépendance la plus étroite à l'égard du propriétaire, étaient chargés de la gestion du domaine et à ce titre commandaient à tous les serfs et tenanciers. Leur première obligation était de recueillir les redevances en argent ou en nature ; ils gardaient celles-ci pour la table du maître ou, s'il y en avait trop, les vendaient[32]. Leur seconde obligation, et celle-ci quotidienne, était de diriger la culture du dominicum. Ils veillaient aux labours, aux semailles, à la fenaison, à la moisson, à la coupe des arbres. C'était donc eux qui prescrivaient à chaque tenancier ses jours de corvée et la nature de son travail[33]. Les tenanciers voyaient rarement Je maître, mais tous les jours son représentant. Nous nous tromperions visiblement si nous pensions que les serfs et colons fussent indociles vis-à-vis de ce maire qui était au fond leur égal. Les esclaves élevés à quelque commandement sont d'ordinaire plus sévères et plus méticuleux que leurs maîtres. Quelques faits donnent à penser qu'ils avaient un intérêt dans leur gestion, et gardaient pour eux tant pour cent sur les produits du domaine[34]. Pour cette population qui comprenait souvent plusieurs centaines d'âmes, quelquefois un millier et davantage, il fallait une sorte de gouvernement. Or les autorités publiques. n'avaient dans le domaine aucun représentant. La seule autorité possible était celle du propriétaire. Cette autorité n'a jamais été instituée par une loi ; elle s'est établie par la nature des choses. Elle résultait surtout dé la condition sociale des hommes qui habitaient le domaine. Ils étaient ou esclaves ou affranchis ou colons. Les esclaves avaient été de tout temps les sujets du maître, qui était pour eux ce que l'autorité publique était pour les hommes libres. Les lois impériales et.les conciles avaient interdit que le droit de justice allât jusqu'à la peine de mort ; mais cette prescription même n'était pas toujours exécutée[35]. En tout cas le maître punissait les fautes de l'esclave avec un pouvoir absolu et sans appel. L'affranchi était à peu près dans la même situation que l'esclave, car il n'était vraiment libre que vis-à-vis des autres hommes ; vis-à-vis de son maître il restait un sujet, surtout quand il continuait à demeurer sur sa terre. Il est vrai que pour des pénalités injustes l'affranchi avait le droit de s'adresser à la justice publique ; mais en pratique cela lui était fort malaisé, et il risquait de perdre beaucoup en mécontentant son maître. Quant aux colons, ils étaient en droit des hommes libres ; en fait nous voyons que dès l'empire romain le propriétaire exerçait sur eux un droit de justice et de coercition. Les colons qui ont rédigé l'inscription du saltus Burunitanus nous disent que plusieurs d'entre eux, qui sont hommes libres et même citoyens romains, ont été enchaînés et battus de verges pour une faute que le maître leur imputait[36]. Une loi du Code Théodosien prononce que le maître peut mettre aux fers son colon, dès qu'il le soupçonne de vouloir quitter le domaine[37]. Une autre loi du Code Justinien marque bien que le colon qui s'était enfui était ramené sur le domaine et que c'était là, c'est-à-dire par son maître, qu'il était enchaîné et puni[38]. Une loi de 412 prononce que le même crime qui en la personne des hommes libres est puni par l'autorité publique, est puni par le maître lui-même s'il s'agit d'esclaves ou de colons[39]. Il était donc dans les habitudes romaines que le propriétaire exerçât le droit de punir sur les trois catégories d'hommes qui habitaient sa terre. Rien ne permet de supposer que ce droit ait été diminué dans les siècles suivants. Les législations écrites par les Germains ne disent pas que le propriétaire eût une juridiction. Elles ne s'occupent jamais, sauf deux exceptions que nous avons expliquées, de l'intérieur du domaine. Mais c'est ce silence même qui est significatif. Elles punissent l'homme libre qui a frappé ou dépouillé l'esclave ou l'affranchi d'un autre ; elles ne disent rien de celui qui a frappé ou dépouillé son esclave ou son affranchi[40]. Elles ne parlent pas des délits ou des crimes commis dans l'intérieur d'un domaine et entre gens du même maître. Elles punissent l'esclave qui a tué un autre esclave, si cet esclave appartenait à un autre maître que le meurtrier[41]. Elles punissent le rapt d'une affranchie par un affranchi, si cette affranchie appartenait à un autre maître[42]. Si les lois ne connaissent pas les délits et crimes commis dans l'intérieur du domaine, c'est qu'ils sont soumis à une juridiction privée. Si un serf a commis un délit hors du domaine, c'est l'autorité publique qui le jugera. Encore n'est-ce pas elle qui le saisit et l'arrête. L'autorité publique ne connaît que le maître ; elle somme ce maître de lui amener son esclave[43]. D'autres fois, la victime du délit somme le maître de punir lui-même son esclave, et si le maître s'y refuse, c'est lui qui est passible de la composition due pour le délit[44]. La responsabilité du maître est partout mentionnée : il est puni pour son esclave s'il ne le punit[45]. L'amende que la loi inflige pour un crime commis par l'esclave, n'est pas prononcée contre l'esclave, mais contre son maître[46]. Dépareilles règles supposent nécessairement que le maître a un droit de juridiction et de correction sur les hommes de sa terre. Grégoire de Tours rapporte qu'Arédius, voulant se livrer entièrement aux pratiques religieuses et craignant d'en être distrait parla gestion de sa grande fortune foncière, pria sa mère de se charger de l'administration de ses propriétés, et du soin de juger les serviteurs[47]. Nous savons avec certitude que les affranchis d'une église de génération en génération n'avaient pas d'autre juridiction que celle de cette église et ne pouvaient s'adresser à aucun autre tribunal. La loi reconnaît cette règle[48]. Mais elle implique assez naturellement que celle règle devait être générale et était appliquée aussi à ces serfs que le propriétaire avait affranchis pour en faire ses tenanciers. Une bulle de Grégoire Ier de 593, dont l'authenticité il est vrai est contestée, pose ce principe que tout homme qui habile sur la terre, d'un autre, qu'il soit serf ou libre, est soumis au dominium du maître de la terre[49]. Il faut songer à la haute idée que les Romains s'étaient toujours faite de la propriété. Il faut songer aussi que les Francs et les autres Germains en avaient une idée aussi haute. Pour eux l'homme sans terre, fût-il de condition libre, devait ou être traité en vagabond[50], ou demander une tenure à un propriétaire et se faire son sujet. Ainsi le colon et même l'hôte étaient subordonnés légalement au maître de la terre où ils étaient domiciliés. L'homme qui était manant sur la terre d'un autre homme dépendait forcément de cet homme. Cette règle, qui sera en vigueur dans tout le moyen âge, s'aperçoit déjà au sixième siècle. L'autorité publique contestait-elle cette juridiction domaniale ? On peut penser que les comtes mérovingiens, dont les bénéfices judiciaires formaient le plus clair du traitement, durent être tentés d'intervenir dans les domaines pour y juger les procès ou les délits. Il y avait d'ailleurs bien des cas douteux qui donnaient, lieu à contestation. Il paraît vraisemblable que les comtes ou leurs agents franchirent souvent les limites d'un domaine pour y juger les procès, recevoir les amendes, saisir les coupables ou prendre caution. Les propriétaires adressèrent leurs réclamations à l'autorité royale, et l'autorité royale donna tort à ses fonctionnaires. Sur ce point, elle ne procéda pas par un acte général,
mais par une innombrable série d'actes individuels, que la langue du temps
appela immunités[51]. Dès le milieu
du septième siècle ces actes étaient assez nombreux pour qu'il en eût été
fait des formules officielles, que l'on trouve dans le recueil des formulæ regales de Marculfe. L'une d'elles est
conçue ainsi : Nous ordonnons que un tel, homme
illustre, possède en pleine propriété la villa portant tel nom, en toute
immunité, sans qu'aucun fonctionnaire royal puisse y pénétrer pour y prélever
des amendes judiciaires pour quelque cause que ce soit[52]. Cette formule
et une autre semblable concernent des propriétaires laïques. Une autre, plus
explicite encore, est faite pour les propriétaires ecclésiastiques ; le roi
s'adresse à ses comtes et leur dit : Nous décidons
que ni vous ni vos subordonnés vous n'entrerez en aucun temps dans les villæ
appartenant à tel évêque, soit pour y juger des procès, soit pour y saisir
des cautions, que vous n'exercerez aucun droit sur aucun des hommes esclaves
ou libres qui habitent dans les limites de ces domaines, et que toutes les
amendes judiciaires y seront perçues par les agents de cette église[53]. Les lettres royales de cette nature ont été innombrables. Celles que les églises ont conservées et qui nous sont parvenues, s'élèvent à un chiffre relativement élevé. Elles se ressemblent toutes, complètement pour le fond, presque complètement pour la forme. La lettre était remise par le roi aux mains du propriétaire, mais elle était adressée aux comtes et fonctionnaires royaux. Si le comte ou son agent se présentait pour juger dans le domaine, le propriétaire lui mettait la lettre sous les yeux, et le comte y lisait ceci : Nous décidons que ni vous ni vos agents vous n'entrerez jamais sur les terres de cet évêque, de cet abbé — ou de ce laïque — pour juger les procès ni pour percevoir les amendes[54], ni pour saisir ou arrêter les hommes soit libres, soit serfs[55]. La série de ces lettres royales se continue sous les Mérovingiens, sous les Carolingiens et même au delà. Ces concessions d'immunité ne sont pas l'origine de la justice domaniale ; elles en sont seulement la consécration. Un point contestable avait été de savoir si le propriétaire exerçait sa juridiction sur d'autres que ses serfs et ses affranchis, c'est-à-dire sur les colons et hommes nés libres, sur ses hôtes, sur tous ceux qui venaient habiter son domaine. Celle question fut décidée par l'immunité qui interdisait au juge d'État d'exercer aucun acte de coercition ou de justice sur les hommes, libres ou serfs, habitant le domaine. Dès lors, les procès qui surgissaient entre ces hommes, les délits ou crimes qu'ils commettaient entre eux, ne purent plus être jugés que par le propriétaire. L'édit de 614 de Clotaire II prononce que, si des hommes appartenant aune église ou à un propriétaire
sont accusés de crime, l'agent de l'église ou du propriétaire sera requis par
les fonctionnaires royaux de les livrer au tribunal, hors du domaine, et y
sera même contraint par la force, à moins que son agent n'ait déjà jugé,
puni, et amendé le crime[56]. Cet article,
dont le texte est malheureusement incomplet, peut être interprété de deux
façons. Ou bien il s'agit d'un crime commis sur une personne étrangère au
domaine, et il est naturel qu'en ce cas la justice publique exerce son action
; ou bien il s'agit d'un crime commis sur une personne du même domaine, et
alors l'autorité publique se réserve le droit de contrôler la juridiction
domaniale ; elle s'assure que le crime a été puni, et s'il ne l'a pas été,
elle évoque l'affaire. La juridiction du propriétaire sur tous ses hommes n'est pas pour lui seulement un droit, elle est un devoir. Un capitulaire dit que c'est à chacun à contenir ses inférieurs dans le devoir[57] ; un autre, que chacun doit s'appliquer à bien gouverner les hommes qui dépendent de lui[58]. Un autre prononce que le maître qui laisse son serf ou son affranchi commettre le crime d'inceste, est passible d'une forte amende[59]. Un autre encore enjoint au maître de tenir ses serfs dans le devoir, et, s'il ne le fait pas, le punit lui-même[60]. On voit par là que le propriétaire devient, clans les limites de son domaine, une sorte de chef d'État. Ses homines l'appellent dominus, terme qui signifie à la fois propriétaire et maître. Ils l'appellent aussi senior, terme un peu vague de la langue mérovingienne qui désignait la supériorité et l'autorité. Les documents nous le montrent appliqué aux propriétaires de grands domaines, même quand ils sont de simples particuliers ou des ecclésiastiques[61]. Le maître de la terre était en même temps un seigneur d'hommes. Le séniorat n'est pas une institution créée par la force. Il y a eu plus tard un séniorat militaire et féodal ; il y a eu d'abord un séniorat de propriétaires. Les domaines du septième siècle contenaient-ils un ergastulum, comme les anciennes villæ romaines ? Cela n'est pas dans les chartes. Mais il y a une grande vraisemblance à penser que les chambres de détention n'avaient pas disparu. Nous les retrouvons au huitième et au neuvième siècle sous un autre nom. On avait appelé autrefois cippus le morceau de bois où l'on enfermait les pieds des prisonniers ; au septième siècle on appela du même nom la chambre, ordinairement souterraine, où ils étaient enfermés[62]. C'était la prison de ce petit État. Mais il n'était guère possible que le droit de justice fût exercé par le propriétaire en personne. Souvent il ne résidait pas sur le domaine. Il avait des devoirs comme membre de l'État franc ; il devait, à titre d'homme libre et de propriétaire, le service militaire à toute réquisition ; il pouvait être appelé par le roi pour tout autre service, ou bien encore il siégeait à côté du comte parmi les rachimbourgs du canton. Quelquefois ce propriétaire était un évêque ou l'abbé d'un grand monastère, et il avait d'autres occupations que celle de juger les querelles des paysans. Enfin on remarque dans les chartes qu'il était fréquent qu'un même homme possédât plusieurs domaines ; on en voit qui en ont jusqu'à trente, et cela seul les empêchait visiblement de résider à demeure sur aucun d'eux. C'était le propriétaire qui était armé du droit de justice, mais il était inévitable qu'il déléguât son droit. Or, pour juger ces hommes, nous ne voyons jamais que le propriétaire introduisît sur le domaine un étranger, un homme libre comme lui-même. C'est un de ses serviteurs, un de ses hommes qui le remplace. Son maire ou son judex, en même temps qu'il dirige les travaux et perçoit les redevances, est aussi le juge du domaine. L'est-il complètement et sans appel ? On ne saurait l'affirmer. Certains délits, tels que la négligence dans le travail ou le retard dans les payements, sont certainement punis par lui. Les querelles et les procès entre serfs ou colons vont nécessairement devant lui. Les documents du treizième siècle nous montreront une organisation de cours colongères ; mais il n'y en a pas trace au huitième. C'est au représentant du maître qu'il faut s'adresser pour obtenir justice, quille à en appeler au maître lui-même lorsqu'il séjourne sur sa terre. Au criminel, on peut douter que cet agent eût un droit de vie et de mort ; mais on sait que la peine de mort était ordinairement remplacée par l'amende, par la prison, ou encore, s'il s'agissait de serfs, par les coups. Pour tout cela l'agent du propriétaire suffisait. L'édit de 614 parle de criminels que la justice publique devra saisir, à moins que l'agens n'ait déjà puni la faute[63]. Les judices villarum de Charlemagne ont pleine justice sur tous les hommes, serfs ou libres, qui habitent ses villæ[64]. Il a un droit de police ; il veille à ce qu'aucun des hommes ne devienne voleur ou malfaiteur[65]. Il doit tenir fréquemment son tribunal, faire justice, et donner ses soins à ce que la familia vive honnêtement[66]. Il juge les crimes, le vol, l'homicide, l'incendie, et perçoit l'amende ou fredum qui en est due au roi[67]. Un peu plus tard, Louis le Pieux rappelle à ses adores qu'ils doivent punir les homicides et tous délits commis par les hommes de leurs domaines[68]. On peut juger de la puissance de ces petits fonctionnaires par l'abus qu'ils en faisaient souvent. L'édit de 614 veut que les juges des évêques ou des propriétaires ne soient pas étrangers au pays, et il ajoute que ces agents ne doivent ni dépouiller ni humilier personne[69]. Charlemagne leur défend d'employer les hommes du domaine à leur service particulier, d'exiger d'eux des corvées ou des coupes de bois en dehors d la règle ; il leur défend aussi de recevoir d'eux des présents[70]. De telles dispositions laissent voir à quels abus ces agents pouvaient se livrer quand le propriétaire n'y veillait pas, et combien les tenanciers étaient faibles devant eux. Charlemagne prit des mesures pour que ses serfs pussent toujours lui adresser leurs réclamations[71]. La justice domaniale, qu'on appellera bientôt justice seigneuriale, est encore un peu vague, et indécise au huitième siècle. Avec le temps, elle se précisera et prendra des règles fixes. Nous avons seulement constaté ses origines ; elles sont dans la nature du droit de propriété et dans l'organisme constitutionnel du domaine ; elles n'ont rien encore de féodal. |
[1] Polyptyque de Saint-Germain, II, 1, etc. : Mansum dominicatum cum casa.
[2] Columelle, IX, præfatio.
[3] Formules de Rozière, n° 225 : Mansum indominicatum cum domo condigne ad habitandum. — Casa dominica, Polyptyque de Saint-Germain, II, 1 ; III, 1 ; IV, 1, etc. — Polyptyque de Saint-Maur, 9. — Fragment Polyptyque de Saint-Bertin, art. 15. — Polyptyque de Saint-Remi, VI, 1 ; VII, 1, etc.
[4] Lex Alamannorum, LXXXIII, 1, édit. Pertz, p. 74, LXXXI, édit. Lebmann, p. 140 : Si quis focum in noctem miserit ut domus incendat vel sala. Ce qui donne à cet article son vrai sens, c'est que le paragraphe suivant parle de l'incendie d'une maison de serf, servi domus. L'incendie d'une sala est puni d'une amende de 40, celui d'une maison d'esclave d'une amende de 12 sous ; l'une est à l'autre comme 40 est à 12. — Charta Angelberti, a. 709, Pardessus, n° 474 : Quod mihi ex palerno jure provenu, hoc est casatas XI cum sala. — Charta Berthendis, a. 710, n° 476 : Casatas 5 cum sala. — Breviarium, à la suite du Polyptyque d'Irminon, p. 501 : In fisco dominico salam regalem ex lapide factam optime.
[5] Voyez dans Fortunatus la description de la villa Bissonnus, de la villa Præmiacum, de la villa Vereginis (Carmina, I, 18, 19, 20).
[6] Curtis dominica (Polyptyque de Saint-Germain, IX, 9 ; XX, 5 ; XXV, 5). — Mansus dominicatus cum curie (Polyptyque de Saint-Remi, I, 1 ; II, 1, etc.). — Loi des Alamans, IX, X, XXXI. — Loi des Bavarois, X, 15 ; XXI, 6 : Per curtes nobilium. — Flodoard, Hist. Rem. eccl. : Per circuitum cortis. — Noter que le mot curtis a aussi d'autres significations ; il désigne quelquefois, ainsi que nous l'avons vu, le domaine entier. Il y avait aussi des curtes serviles (Codex Laureshamensis, n° 110).
[7] La forme classique était chors ou chortis ; Caton, De re rustica, 59 : Cortem bene purgato. — Cf. Varron, De re rustica, I, 13.
[8] Formulæ Andegavenses, 1 (c) : Casa cum curte circumcincta. — Capitulaire De villis, art. 41 : Ut ædificia intra curtes nostras vel sepes in circuitu bene sint custodita. — Curticulam strenue clausam (Breviarium à la suite du Polyptyque de Saint-Germain, édit. Guérard, p. 505). — Curtem cum porta lapidea (ibidem, p. 501). — Curtem muro circumdatam cum porta ex lapide facta (ibidem, p. 504). — Curtem sepe munitam cum duabus partis ligneis (ibidem, p. 505). — Neugart, n° 526 : Curtem cum casa ceterisque ædificiis muro sepeque circumdalam. N° 102 : Casa cum curie clausa.
[9] Loi des Bavarois, X, 5 : Balnearium, pisioriam, coquinam. — Loi des Alamans, LXXXI : Si infra curtem incenderit scuriam aut graniam vel celluria. — Breviarium à la suite du Polyptyque d'Irminon, édit. Guérard, p. 501 : Stabulum, coquinam, pislrinum, spicaria, scurias. — Polyptyque de Saint-Remi, 1,1 : Mansus dominicatus cum ædificiis, torculari, curte et scuriis et horto. — Ibidem, VIII, 1 : Cum cellario, laubia, horrea, coquina, stabula, torcular.
[10] Capitulaire De villis, 45 : Ad genitia nostra, opera ad tempus dare faciant, id est linum, lanam, etc. — Breviarium, p. 298 : Est ibi genicium ubi sunt feminæ 24 in quo reperimus sarciles 5 et camisiles 5. — Loi des Alamans, LXXX : Puella de gynecio. — Grégoire de Tours, Hist. IX, 58 : Quæ in gynœcio erant positæ. — Charta Eberhardi, dans Pardessus, t. II, p. 557 : In ginecio nostro.
[11] Concile de Chalon, 642, c. 14 : Oratoria per villas potentum. — Concile d'Orléans, 541, c. 55 : Si quis in agro suo postulat habere diœcesim, primum terras ei deputet sufficienter ; ibidem, 7 : Ut clomini prædiorum in oratoriis minime contra volum episcopi peregrinos clericos iniromitlant. — Charte de 656, n° 276 : Villam Nigromonicm cum ecclesia... villam Campaniacum cum ecclesia. — Diplomata, n° 506 : Ecclesiam et villam de Argenteria. — Charte de 680, dans Pardessus, n° 593 : Donamus... curies nostras cum ecclesiis. — Charte de 694, ibidem, n° 452 : Dono mansum indominicatum et ipsam ecclesiam ad ipsum mansum pertinentem. — Testament d'Abbon : Ecclesiam proprietatis nostræ (ibidem, II, p.. 571). — Polyptyque de Saint-Germain, II, 1 ; III, 1 ; VI, 2 ; VII, 2,85 ; VIII, 2 ; IX, 4 et 5 ; XIV, 2 ; XV, 2 ; XVI, 2, etc. — Polyptyque de Saint-Remi, XIII, 57 et 59, etc. — Neugart, n° 506 : Wolfart fait don d'une église ; n° 112 : Peralollus et conjux mea Gersinda tradimus ecclesiam nostram.
[12] Polyptyque de Saint-Maur, 9, à la suite du Polyptyque de Saint-Germain, édit. Guérard, p. 284 : Mansum indominicatum cum viridario. — Polyptyque de Saint-Remi, III, 1 : Mansus dominicatus cum horto et viridario. — Ibidem, X, 5 ; XIV, 2 ; XVII, 1. — Polyptyque de Saint-Germain, XXII, 1 : Broilum muro pelrino circumcinctum. — Sur ce qu'on appelait hortus, voyez un long passage dans les Statuta abbatiæ Corbeiensis à la suite du Polyptyque de Saint-Germain, édit. Guérard, p. 314-516.
[13] Polyptyque de Saint-Germain. III, 1 : Habet ibi (il y a) culturas 8 quæ habent bunuaria 65. — V, 1 : Habei ibi culturas 4 quæ habeni bunuaria 257. — VI, 1, etc.
[14] Polyptyque de Saint-Germain, II, 1 ; III, 1 ; IV, 1 ; V, 1 ; VI, 1 ; VII, 5, etc. — Il en est de même dans le Polyptyque de Saint-Remi, I, 1 ; III, 1 ; XII, 1 ; XV, 1 ; aucune silva n'est mentionnée en dehors du dominicum. — De même encore dans le registre de Prum, n° 33, 34, 35, 45, 46, 58, 61, 65, 64, 66, etc.
[15] Nous disons les chartes, mais il est fort admissible qu'il y ait eu des moulins en dehors des domaines, par exemple dans des bourgs, moulins qui en ce cas appartenaient à de simples hommes libres (Lex Salica, XXII ; Lex Langobardorum, Rotharis, 149, 150 ; Lex Alamannorum, 85).
[16] Codex Wissemburgensis, 2 : Liuffrid fait donation d'une terre avec 15 esclaves et cum mulino suo. — Beyer, Urhundenbuch, n°6 ; Adalgysile parle de ses quatre moulins, molendinos meos quatuor. L'expression cum farinariis ou cum molendinis se rencontre dans une foule de chartes parmi les éléments d'un domaine (voyez Marculfe, II, 4).
[17] Polyptyque de Saint-Germain, II, 1 ; III, 1 ; VI, 1 ; VIII, 1 ; IX, 158 ; XIII, 1 ; XV, 1 ; XVI, 1, etc. — Polyptyque de Saint-Remi, VI, 1 ; XIX, 1.
[18] Ainsi, dans le Polyptyque de Saint-Germain, un colon tient un moulin, et en paye au propriétaire 16 muids de vin (VII, 57) ; autres exemples : XIII, 107 ; XV, 1 ; ailleurs, trois moulins payent un cens de 500 mesures de mouture (XXI, 1). Les 22 moulins du grand domaine de Villemeux rendent au propriétaire 1500 boisseaux de farine et 16 solidi (IX, 2). — Un moulin d'un domaine de Saint-Remi paye 57 sous de cens (Polyptyque de Saint-Remi, XIII, 1).
[19] Villam Vernicellæ... cum coloniis ad se pertinentibus (Pardessus, n° 500). — Villam Avesam cum... quanlumcunque in eo loco aspicere videtur (ibidem.) — Et quidquid ad ipsam villamrespicit (ibidem, n° 162). — Villa Merido cum omnibus quæ ibi adspiciunt (ibidem, n° 457). — Villam Solemium cum omnes res quæ ibi aspiciunt (ibidem, n° 466). — Villam Clippiacum... et quidquid ad ipsam villam aspicere vel pertinere videtur (ibidem, n° 565). — Il est clair que dans ces exemples, qui constituent une vieille formule, villa est pris dans son sens ancien de maison du maître. — Mansum unum (dominicum) cui aspiciunt quatuor mansi serviles (Rozière, n° 200).
[20] Grégoire de Tours, Hist., VI, 45 : De domibus mihi concessis, iam de fruclibus quam de rribulis plurima reparavi. — Idem, de glor. martyr., 105 : Reditus mei tam de tributis quam de fructibus. — Testamentum Bertramni, I, p. 200 : De villis quidquid in tributum annis singulis poterit obvenire, medietas pauperibus erogetur. — Ibidem, p. 206 : De tributo villarum. — Grégoire, Hist., X, 19 : Quæ de tributis aut reliqua ralione ecclesiæ inventa sunt. — Diplomata, n° 555 : Tributum curtis. — Vita Eligii, I, 17 : Terræ redditus copiosos. — Marculfe II, 56 : Redilus terræ. — Diplomata, n° 349 : Quod redditus terræ partibus ipsius basilicæ reddere contemnerent. - Cf. Neugart, n° 250 : Duorum servorum tributa.
[21] Testamentum Bertramni, I, p. 200 : De villis quidquid aut in tributum aut in suffragium annis singulis potevit obvenire. — Bertramn me paraît désigner les mêmes profits accessoires et éventuels par les mots : Reliquis conditionibus quod de prædictis agris speratur. — Diplomata, n° 117 : Cum reliquis beneficiis. — Ibidem, n° 269, 284, 312, 386, 410 : Cum reliquis quibuscunque beneficiis. — Ibidem, n° 565 : Cum beneficiis vel opportunitatibus eorum.
[22] Cette clause du retour du pécule ou de l'éventualité de la succession est exprimée dans beaucoup de chartes par les mots cum peculio ou peculiare ipsorum.
[23] Termini, decusæ (Diplomata, n° 265). — Cum termino, cum terminis (Diplomata, n° 268, 300, 415, etc.) — Inter lapides, metas et fossas (ibidem, n° 409). — Per terminas ac loca a nobis designata (ibidem, n° 395, 409).
[24] Le villicus est mentionné dans la description de la villa de Stain (à la suite du Polyptyque d'Irminon, éd. Guérard, p. 341), et dans un autre document (ibidem, p. 354). — Cf. Diplomata, n° 524.
[25] Un document du règne de Charlemagne signale un actor curtis, et un autre un actor villarum (ibidem, p. 545 et 525).
[26] Lex Burgundionum, XVII, 5. Cf. XXXIX, 5. — Lex romana Burgundionum, V et VI : Actor qui possessioni præest.
[27] Formulæ Andegavenses, 21. — Marculfe, I, 5 ; II, 5 ; II, 59. — Bituricenses, 2 ; etc.
[28] Grégoire de Tours, Hist., IX, 55.
[29] On a souvent répété que les mots major et majorissa se trouvaient dans la Loi salique ; mais il faut observer qu'on ne les lit que dans le texte do Hérold et qu'ils ne sont dans aucun des 66 manuscrits existants. — Le mot major, qui n'était pas tout à fait inconnu en ce sens dans la société romaine (Saint Jérôme, epist., 2) et qui se retrouve dans la Regula magistri, c. II, devient surtout fréquent au temps de Charlemagne. Capitulaire De villis, c. 10, 26, 60 ; Polyptyque de Saint-Germain, II, 2 ; IV, 56 ; VIII, 25, etc. ; Polyptyque de Saint-Remi, I, 15 ; VI, 50 ; IX, 19, etc. ; Capitularia, V, 107, 174.
[30] Sur les terres de Saint-Germain le major est plus souvent un colon qu'un serf, parce que sur chaque domaine les colons sont plus nombreux que les serfs. Ex. : Walafredus, colonus et major (II, 2 ; IX, 8 ; IX, 271 ; XIII, 51 ;-XVII, 5 ; XIX, 5 ; XXI, 3 ; XXIV, 2). Pourtant on en trouve un qui est serf.
[31] Capitulaire De villis, art. 60 : Nequaquam de potentioribus hominibus majores fiant, sed de mediocribus.
[32] Charta Annemundi, Diplomata, n° 524, Pardessus, II, p. 102 : Villicos disposuimus qui fideliler census et tribula quærerent ac fideliter redderent. — Sur cela, il faut lire le capitulaire De villis, en songeant que les villæ royales n'étaient pas organisées autrement que celles des évoques et des particuliers, ainsi que nous l'avons établi plus haut. — Cf. Loi des Alamans, XXIII, et Loi des Bavarois, I, 14.
[33] Capitulaire De villis, art. 5 : Seminare aut arare, messes colligere, fenum secare, vindemiare... prævideat ac instituere faciat quomodo factumsit. Voyez les art. 23, 24, 34, 57, 59, 62, 70.
[34] Voyez Guérard, Prolégomènes, p. 454.
[35] Ainsi nous voyons dans Grégoire de Tours, Hist., VII, 47, qu'un esclave est mis à mort par les amis de son maître qu'il avait voulu tuer.
[36] Corpus inscriptionum latinarum, t. VIII, n° 10570 : Alios nostrum adprehendi et vexari, alios vinciri, nonnullos cives etiam romanos virgis et fustibus effligi jussit.
[37] Code Théodosien, V, 9, 1 : Colonos qui fugam meditantur, in servilem conditionem ferro ligari conveniet, ut officia quæ liberis congruunt, merito servilis condemnationis compellantur implere.
[38] Code Justinien, XI, 55,1 : Si abscesserint, revocati vinculis pænisque subdantur. Il ressort de là que ce n'est pas l'autorité publique qui punit le colon coupable ; mais en revanche elle punit l'autre propriétaire qui l'a reçu sur sa terre.
[39] Code Théodosien, XVI, 5, 52 : Servos dominorum admonitio, colonos verberum crebrior ictus a prava religione revocabit, ni malunt ipsi (domini) ad prædicta dispendia retineri. Le crime visé ici est l'hérésie.
[40] Lex Burgundionum, V, 2 et 5 : Qui libertum alienum perçusserit... Qui servum alienum perçussent. — Lex Salica, XXXV, 2 et 4 : Si quis servum alienum exspoliaverit... Si quis lilum alienum exspoliaverit.
[41] C'est ce qui résulte de cet article de la Loi salique, XXXV, 1 : Si set vus servum occident, homicidam illum domini inter se dividant. Il y a donc ici deux maîtres.
[42] Addit. ad Legem Salicam, Behrend, p. 112, art. 14 : Si quis libertus libertam alienant rapuerit.
[43] Lex Salica, XL, 10. — Lex Ripuaria, XXX, 2. — Pactus pro tenore pacis, 5 et 12, Borétius, p. 5-6.
[44] Lex Salica, XL, 6-9.
[45] Lex Burgundionum, II, 5 ; IV, 4 ; XXI, 2..— Lex Salica, XII, 2 ; XL, 2. — Lex
Ripuaria, XXII, XXVIII, XXIX.
[46] Lex Ripuaria, XXVIII, XXIX : Si servus servum interfecerit, dominus ejus 56 solidos culpabilis judicetur.... Si servus furtum fecerit, dominus ejus 56 solidos culpabilis judicetur. — XXX, 1 : Dominus de furto servi culpabilis judicetur.
[47] Grégoire de Tours, Hist., X, 29 : Deprecatus matrem ut omnis cura domus, id est sive correctio familiæ sive exercitio agrorum, ad cam aspiceret.
[48] Lex Ripuaria (codices B), LVIII, 1 : Tabularius et procreatio ejus tabularii persistant... et non aliubi quam ad ecclesiam ubi relaxati sunt mallum teneant. Nous avons expliqué dans le volume précédent le sens de ces deux derniers mots. Cf. Concile de Paris, c. 5 ; Edictum Chlotarii, art. 7.
[49] Diplomata, n° 201, I, p. 165 : Le pape écrit que tous les hommes qui sont manants sur des terres qu'on vient de donner à Saint-Médard, sive servus, sive liber, seront affranchis de toute autre autorité et n'obéiront qu'à l'église de Saint-Médard.
[50] Edictum Chilperici, art. 10, Borétius, p. 10.
[51] Nous avons présenté une élude plus complète des immunités mérovingiennes dans la Revue historique, 1885. Nous n'en parlerons ici qu'à un point de vue plus restreint.
[52] Marculfe, I, 14 : Ut villam illam antediclus vir ille (inluster vir) in integra emunitate absque ullius introitu judicum de quaslibet causas fréta cxigendum, perpelualiler habeat jure hereditario. — Nous avons expliqué dans le volume précédent que judex se dit de tout fonctionnaire administratif, et particulièrement du comte. — Cf. une formule analogue, ibidem, I, 17.
[53] Marculfe, I, 5 : Statuentes ut neque juniores vestri nec nulla publica judiciaria potestas quaque lempore in villas ubicunque in regno nostro ipsius ecclesix ad audiendas altercationes ingredi, aut freta de quaslibet causas exigcre, vel fidejussores tollere præsumatis ; quidquid exinde aut de ingenuis aut de servientibus qui sunt infra agros vel fines seu super terras prædictæ ecclesiæ commandites fiscus de freta poluerat sperare... in luminaribus ipsius ecclesiæ per manus agentium eorum proficiat in perpetuum.
[54] Archives nationales, K. 5, n° 10 ; Tardif, Cartons des rois, n° 57 : Decernimus ut neque vos neque juniores seu successores vestri, nec nullus quislibet ex judiciaria potestate accinclus, in curies vel villas, ipsius monasterii, ad causas audiendum vel freda exigendum..., ingressum nec introitum habere præsumat.
[55] Archives nationales, Tardif, n° 41 : Nec homines tant ingenuos quam servientes distringendum.
[56] Edictum Chlotarii, a. 614, art. 15, d'après Borétius, p. 22 : Si homines ecclesiarum aut potentum de causis criminalibus fuerint accusati, agentes. eorum ab agentibus publicis requisiti si ipsos in audientia... foris domus ipsorum præsentare notuerint, et distringantur... Si tamen ab ipsis agenlibus antea non fuerit emendatum....
[57] Capitulaire de 810, art. 17, Borétius, p. 155, Baluze, p. 474 : De vulgari populo ut unusquisque suos juniores distringat. Le législateur ajoute que les hommes s'accoutumeront ainsi à mieux obéir à l'empereur, ut melius obediant et consentiant præceptis imperialibus.
[58] Capitulaire de 815, art. 11, Borétius, p. 174, Baluze, p. 505 : Ut unusquisque... ad se pertinentes gubernare studeat.
[59] Capitulare Pippini, a. 754, art. 1, Borétius, p. 51 : Si servus aut libertus est, vapuletur... et si dominus permiserit eum amplius in tale scelus cadere, 60 solidos domino régi componat.
[60] Capitulaire de 821, art. 7, Borétius, p. 501.
[61] Dans une formule d'Anjou, un particulier qui se présente comme un riche propriétaire est qualifié senior : Andeg., 52 : Relationem antescripti senioris præsentabat. — Dans un acte d'affranchissement, nous lisons : Peculiare suum absque ullius senioris reiraclaiione habeal concessum (Laudunenses, 14, Rozière, p. 104). — Dans le Polyptyque de Saint-Maur, n° 10, on voit que les tenanciers d'un domaine sont tenus à porter une charretée de foin in granicam senioris, dans la grange du propriétaire (Polyptyque d'Irm., édit. Guérard, p. 285 in fine). — Charlemagne, pris pour juge entre les tenanciers d'un domaine et les propriétaires, appelle ceux-ci seniores : Neque a senioribus amplius eis requiratur (Capitularia, V, 505 ; Baluze, I, 886). — Le registre de Prum contient celle règle : Si quis (un tenancier) obierit, optimum quod habuerit seniori datur, reliqua vero cum licentia senioris disponit in suos (Reg. de Prum, n° 55, dans Beyer, p. 176).
[62] Voyez sur ce point B. Guérard, Prolégomènes au Polyptyque d'Irminon, p. 616.
[63] Edictum Chlotarii, art. 15, édit. Borétius, p. 22 : Si ab ipsis agentibus antea non fuerit emendatum.
[64] Capitulaire De villis, c. 52 : Volumus ut de fiscalibus vel servis nostris, sive de ingenuis qui per fiscos aut villas nostras commentent, diversis hominibus plenam et intégrant, qualem habuerint, reddere faciani juslitiam.
[65] Capitulaire De villis, c. 55 : Ut unusquisque judex prævideat qualiter homines noslri de eorum ministerio latrones vel malefici nullo modo esse possint.
[66] Capitulaire De villis, c. 56 : Ut unusquisque judex in eorum ministerio frequentius audientias teneal et justitiam faciat et prævideat qualiler recle familiæ nostræ vivant.
[67] Capitulaire De villis, c. 4 : Si familia nostra partibus nostris aliquam fecerit fraudent de latrocinio aut alio neglecto, illud in caput componat ; de reliquo vero pro lege recipiat disciplinant vapulando, nisi lanlum pro homicidio et incendio unde freda exire postest...
[68] Capitulaire de Wornis, 2e partie, art : 9, dans Walter, II, 583. De homicidiis vel aliis injusliliis quæ a fiscalinis nostris fiunl, nos actoribus nostris præcipimus ne ultra impune fiant ita ut, ubicunque facla fuerint, solvere cum disciplina præcipiamus.
[69] Edictum Chlotarii, 19, Borétius, p. 25 : Episcopi vel potenies qui in alias possident regiones, judices vel missos discursores de alias provincias noninstituant, nisi de loco,qui justitiam percipiant et aliis reddant. — 20 : Aqentes episcoporum aut potentum nullius res collecto solatio nec aufcrant nec cujuscunquc contemplum per se facere non præsumant.
[70] Capitulaire De villis, 5 : Ut non præsumant judices familiam in eorum servitium ponere, non corvadas, non maleria cedere sibi cogant, neque ulla dona ab ipsis accipiant.
[71] Capitulaire De villis, art. 57 : Si aliquis ex servis nostris super magistrum suum nobis de causa nostra aliquid vellet dicere, vias ei ad nos veniendi non contradical. Et si judex cognoveril quod juniores illius adversus eum ad palatium proclamando venire velint, lune ipse judex contra eos rationes deducendi ad palatium venire faciat.