CHAPITRE VI. — LES DIFFÉRENTES CLASSES DE LA POPULATION§ 1. — DE LA SIGNIFICATION DU MOT FRANC AU SEPTIÈME SIÈCLE. Le mot Francia avait désigné, au quatrième siècle, une partie de la rive droite du Rhin. Deux siècles plus. tard, quand écrivait Grégoire de Tours, le même mot s'appliquait à l'Austrasie, c'est-à-dire à la rive gauche du fleuve. Cinquante ans après, il s'étendait à la Neustrie elle-même et à tout le pays jusqu'à la Loire. La première chose à remarquer ici c'est que ce nom n'a pas été brusquement imposé au pays par des vainqueurs. Ce n'est pas Clovis qui a décrété que le pays s'appellerait France. Ni lui ni aucun des rois ses successeurs ne sont pour rien dans ce changement ; c'est l'usage populaire qui a tout fait. Il est arrivé qu'un nom a prévalu dans la bouche des hommes et s'est insensiblement propagé. Ce n'est pas non plus que la population du pays ait été transformée. Les Francs n'étaient pas assez nombreux pour couvrir toutes ces contrées, et la race gauloise n'a été ni massacrée ni expulsée. Les noms des villes, des rivières, des montagnes, des cantons sont restés les mêmes qu'au temps de l'empire. Le fond de la langue usuelle a peu varié. On retrouve beaucoup de tombeaux de cette époque ; même dans la vallée du Rhin, les épitaphes sont latines. Ce n'est qu'au neuvième siècle que la langue germanique a pris le dessus dans cette contrée. Tout ce que racontent, les chroniques de la période mérovingienne montrent que l'Austrasie elle-même ne différait pas beaucoup de ce qu'elle avait été sous l'empire. Il est singulier que presque rien n'ait été changé entre le cinquième et le septième siècle, si ce n'est le nom général du pays. Encore le nom de Gaule ne disparut-il pas. Les deux termes restèrent également employés pour désigner la contrée. La différence entre eux fut que le mot Gaule était surtout une expression géographique, tandis que le mot France avait plutôt une signification politique. Le nom des Francs eut la même destinée que le mol France. On est d'abord confondu quand on compare au petit nombre de Francs qu'il y avait au temps de Clovis, le nombre infini d'hommes qui s'appelaient Francs un siècle après lui. Si ce mot avait été à l'origine le nom d'une race ou d'une tribu, il serait resté réservé aux hommes qui de génération en génération auraient continué la race ou la tribu. Mais il était seulement un adjectif de la langue germanique ; des guerriers, sortis de différents peuples, l'avaient adopté comme une épithète et s'en étaient fait une sorte de nom de guerre. Chacun d'eux était, de sa race, un Sicambre ou un Chamave ; tous ensemble étaient, par profession ou par état social, des Francs. Quiconque était admis dans leurs bandes, avait le droit de porter ce nom. Rien ne s'opposait à ce qu'il s'étendît même à des Gaulois. Nous avons vu que les envahisseurs germains, fort peu nombreux quand ils passaient la frontière, grossissaient leurs rangs à l'aide des indigènes qui se joignaient à eux ; quand deux hommes avaient combattu et pillé côte à côte pendant plusieurs années, il devenait bien difficile de distinguer lequel était le Germain, lequel était l'indigène. Clovis avait eu' des régiments romains dans son armée ; un historien du siècle suivant fait même observer que ces soldats, dont les familles se perpétuèrent, continuaient à former des corps de troupes organisés à la romaine[1]. Il n'est pas douteux qu'ils n'aient combattu dans les armées des fils et des petits-fils de Clovis ; nous ne voyons pourtant jamais que les chroniqueurs les distinguent des troupes franques. C'est que, dans l'armée d'un roi mérovingien, tout ce qui combattait, tout ce qui était guerrier, était Franc. Les deux races s'unissaient par des mariages fréquents ; leur sang se confondait. Elles avaient le même costume, les mêmes occupations, les mêmes armes. Elles ne différaient même pas par les noms propres, puisque les Francs adoptaient volontiers des noms romains, et les Gaulois des noms de la langue germanique. Quelques familles, qui avaient conservé avec soin leur généalogie, pouvaient dire si elles étaient de race franque, de race romaine, ou de sang mêlé ; mais pour la plupart des hommes, il était impossible de reconnaître s'ils étaient des Gaulois ou des Francs. Au milieu de cette confusion, une seule chose était claire et frappait les yeux, c'est que les rois s'intitulaient rois des Francs. Cela dut avoir une importance extrême dans une société aussi monarchique que l'était celle du sixième siècle. Représentons-nous, en effet, cette population où des hommes de toute origine sont confondus ; le litre de roi des Francs n'aurait eu aucune valeur, si ceux-là seuls les avaient reconnus pour rois qui eussent été manifestement de racé franque. Il dut arriver dès la seconde ou la troisième génération que tous les sujets de ces rois furent réunis sous un même nom. On était réputé Franc parce qu'on obéissait à celui qui s'appelait roi des Francs, parce qu'on lui payait l'impôt et qu'on combattait pour lui, parce qu'on recevait de lui des faveurs, des grades, des fonctions, sans distinction de race. Il ne manquait pas de Gaulois qui tenaient des terres de la libéralité des rois mérovingiens et par chartes signées d'eux[2]. D'autres étaient comtes ou évêques, et les diplômes qui leur conféraient le comté ou l'évêché étaient revêtus du sceau du roi des Francs[3]. Il n'est pas douteux que ces propriétaires, ces courtisans, ces comtes, ces évêques, tout en étant Gaulois par la race, ne fussent Francs par la sujétion, par l'intérêt, par tous les liens moraux et politiques, et nous pouvons deviner quelle grande place ce nom prit insensiblement dans l'existence de tous les hommes. Personne n'avait plus d'intérêt que les rois eux-mêmes à effacer la différence des races. Dans les partages qu'ils se faisaient de la monarchie, nous ne voyons jamais que l'un d'eux visât à régner particulièrement sur les Francs. On n'aperçoit jamais que le lot où il y avait le plus de population germanique fût réputé le meilleur ; si l'on peut discerner quelque préférence, c'est plutôt pour les provinces de l'Ouest et du Midi que pour l'Austrasie et la région du Rhin. En général, ces rois divisaient entre eux le territoire, sans distinguer qui l'habitait. Il leur paraissait naturel de régner à la fois sur les deux populations. Par le même motif, il dut paraître naturel aux populations de se confondre sous leur autorité. Pendant les deux premières générations après Clovis, les partages furent faits sans aucune vue politique ; mais dans les générations suivantes on peut remarquer, chez les rois comme chez les peuples, un penchant et une sorte d'effort général en vue de constituer des royaumes bien délimités. La région qui s'étendait depuis les Pyrénées jusqu'au Rhin, était trop vaste et trop diverse pour qu'il ne s'y formât pas des divisions pour ainsi dire naturelles et spontanées. Le climat, les productions, les intérêts, les relations commerciales, n'étaient pas les mêmes dans la vallée du Rhône, dans celle de la Garonne, dans celle de la Seine et du Rhin. Il se forma ainsi plusieurs groupes de populations, et peu à peu un nom s'établit pour chaque groupe. La région du Rhône, qui avait été pendant quatre-vingts ans le lot des rois burgondes, conserva le nom de Burgondie. Le pays au sud de la Loire reprit son vieux nom d'Aquitaine ; le pays au nord du fleuve prit celui de France. Tout cet ensemble continuait à s'appeler Gaule ; seulement, chaque partie de la Gaule avait un nom particulier qui la distinguait des deux autres parties[4]. Au septième siècle, les mots Burgondie, Aquitaine, France, désignaient des territoires et non des races. De même, les noms de Burgondes, d'Aquitains et de Francs désignaient des corps politiques et presque des nations. Le mot Franc avait encore un autre sens ; il était un adjectif qui s'appliquait à l'homme libre. Or la liberté dont les hommes avaient l'idée quand ils prononçaient ce mot ; n'était pas celle qui consiste dans des droits politiques et qui s'oppose au pouvoir d'un roi ; il s'agissait uniquement de la liberté individuelle, c'est-à-dire de celle qui s'opposait alors à l'état de servitude. Il ne faut pas perdre de vue que nous sommes en présence d'une société à esclaves. Les chroniques, les lois, les actes privés font assez voir quelle place considérable l'esclavage tenait dans la vie civile, dans les habitudes, dans les intérêts, dans le droit. Ces témoins de l'état social du temps indiquent à peine la différence des races ; mais il y a une différence qu'ils signalent à tout moment et qu'ils marquent en traits profonds, c'est celle de la servitude et de la liberté. Des Germains aussi bien que des Gaulois étaient esclaves ; des hommes de race gauloise étaient aussi libres que des hommes de race franque ; ce qui les distinguait essentiellement et en toutes choses, ce n'était pas qu'ils fussent Gaulois ou Germains, c'était qu'ils fussent libres ou esclaves. Quand un terme de la langue est par lui-même assez vague et que l'emploi n'en est pas nettement délimité, sa signification se règle sur les pensées qui dominent dans l'esprit des hommes et varie avec, leurs préoccupations ; peu à peu ce terme arrive à s'appliquer à l'idée qui est la plus forte sur leur âme ou à l'institution qui frappe le plus leurs yeux. C'est ainsi que le mot Franc en vint à désigner, dans la société mérovingienne, l'homme qui n'était ni esclave, ni lite ni affranchi, l'homme qui n'appartenait à personne et était le maître de lui-même[5]. Plusieurs textes d'une clarté parfaite, dans les lois, dans les chartes, dans les chroniques, montrent que le mot franc était souvent prononcé ou écrit par des hommes qui n'y attachaient pas d'autre idée que celle de liberté civile[6]. Cette signification lui est restée durant tout le moyen âge. Pendant une série de huit siècles, les expressions franc homme, franc bourgeois, franche terre, franc alleu, franche tenure, ont désigné l'homme ou la terre libre, non-seulement dans toute la France, mais même en Italie, en Espagne et en Angleterre. L'histoire de ce mot est la meilleure preuve que la, différence des races s'est de bonne heure effacée. Il y a eu des Gaulois francs, de même qu'il y a eu des Germains qui étaient colons, affranchis, esclaves. Les Francs, au septième siècle, n'étaient pas une race ; ils étaient une classe. Quant aux noms de Saliens et de Ripuaires, il y a ici un problème devant lequel on ne saurait passer sans s'arrêter un moment. Le nom de Ripuaires n'est pas très-ancien ; on ne le trouve jamais employé ni sous l'empire ni sous les premiers mérovingiens. On a pensé qu'il avait existé des Francs Ripuaires qui auraient été établis sur la rive du Rhin et s'y seraient perpétués ; mais ce n'est là qu'une conjecture[7]. Il est impossible de trouver une seule mention de ces Francs Ripuaires au quatrième, au cinquième, au sixième siècle. Grégoire de Tours parle d'un groupe de Francs qui occupaient Cologne ; il ne dit pas qu'on les appelât Ripuaires[8]. Ce nom n'apparaît dans les documents qu'à partir du septième siècle, et c'est surtout au huitième qu'il a été fort usité. Jamais il n'est présenté comme un nom de race ; nul chroniqueur ne nous avertit que ces Ripuaires fussent les descendants d'une ancienne tribu franque. Ce nom ne paraît avoir eu qu'une signification géographique ; il s'appliquait à tout le pays situé entre la Meuse et le Rhin et à tous les hommes libres qui habitaient ce pays[9]. Le mot Saliens (salii) est plus ancien. Il y avait dans l'empire romain plusieurs troupes de soldats qui portaient ce nom et qui tenaient garnison en Gaule, en Italie, ou à Constantinople[10]. Il y avait aussi une partie des Francs qu'on avait pris l'habitude d'appeler Saliens. Ammien, qui fait cette remarque, rapporte un fait de guerre qui marque l'extrême faiblesse de ce petit groupe de Francs[11] ; ils furent exterminés ou pris par Julien, et on ne les voit plus jamais reparaître dans l'histoire. On a supposé qu'une tribu salienne était devenue puissante avec Clodion, Mérovée, Clovis ; mais aucun chroniqueur ne nous dit ni que ces personnages fussent des Saliens, ni que leurs sujets portassent ce nom. Grégoire de Tours n'emploie même jamais ce mot en racontant l'histoire des Francs[12] ; Frédégaire ne paraît pas le connaître ; il ne se rencontre dans aucun document. Le code même qui est connu sous le nom de loi salique ne mentionne jamais ni une race ni un peuple qui se soit appelé Saliens. Un autre terme est fréquent dans les textes, c'est celui de salique (salicus). Pour admettre qu'il y eût entre ces deux mois autre chose qu'une ressemblance apparente, il faudrait pouvoir constater qu'ils avaient la même signification. Or on ne trouve jamais le mot salique accompagné d'un de ces termes qui indiquent la naissance ou la race. Les chroniqueurs disent quelquefois qu'un homme est né Franc ; ils ne disent jamais qu'un homme est né Salique ; le nom de peuple salique ne se voit nulle part. Ce mot apparaît toujours comme un simple adjectif. Tantôt, il est appliqué comme épithète à un code de lois ; on dit la loi salique et non pas la loi des Saliens. Tantôt, il est appliqué à des hommes, et il semble une appellation honorable ; il s'ajoute au titre de Franc ou d'homme libre (francus ingenuus salicus). L'idée qu'il présente à l'esprit est celle de liberté, d'indépendance, de dignité ; il s'y joint celle de possession du sol ; car ces deux idées, dans les mœurs du temps, étaient inséparables. Propriétaire, homme libre, homme honorable, tout cet ensemble indivisible était exprimé dans le langage ordinaire par le mot salique. Il ne désignait pas la race, mais la position sociale des personnes[13]. Dans un décret de 595 nous lisons que, pour un même délit, l'esclave payera une amende de 3 sous d'or, le Romain en payera 7 et demi, le Salique en payera 15. Nous chercherons plus loin ce qu'il faut entendre par ce Romain ; quant au terme de salique, il n'est pas possible qu'il désigne un peuple salien ; car le décret est de Childebert II, roi d'Austrasie, et il est promulgué à Cologne où personne ne suppose qu'une tribu salienne ail jamais vécu[14]. Le mot salique ne peut avoir d'autre sens ici que celui d'une classe supérieure. Il était compris, en effet, dans tout l'État franc comme s'appliquant à l'homme parfaitement libre et sans dépendance d'aucune sorte[15]. De même qu'on appelait terre salique celle qui était tenue en toute propriété et n'était assujettie à aucun domaine éminent, de même on appelait homme salique celui qui était absolument maître de sa personne et n'était en puissance d'aucun autre homme. A observer tous ces mots de la langue, on entrevoit déjà une société où les races étaient fort mélangées et par conséquent égales entre elles, mais où les rangs étaient fort inégaux et les distinctions sociales très-profondes. La suite de ces études va le montrer plus clairement. § 2. DU WERGELD. Tacite rapporte que chez les Germains on rachetait l'homicide en livrant un certain nombre de têtes de bétail à la famille de la victime. Un usage analogue se retrouve en Gaule après l'invasion, soit qu'il ait été imposé au pays par les nouveaux venus, soit qu'il fût l'effet naturel du désordre social et de l'impuissance de l'autorité publique à punir les crimes. Ce n'est pas que toutes les lois germaniques l'aient admis ; les codes des Wisigoths et des Burgondes punirent de mort le crime d'homicide ; plusieurs ordonnances des premiers rois Francs le frappèrent de la même peine[16]. Toutefois, le rachat du crime prévalut de plus en plus ; la loi salique et la loi des Ripuaires autorisèrent formellement le coupable à échapper à toute pénalité en indemnisant la victime ; cela s'appelait entrer en arrangement ou en composition, componere. Le wergeld n'était pas la même chose que la composition. Aussi le trouve-t-on même dans les codes qui n'autorisent pas le rachat du crime. Le vrai sens du mot wergeld nous est indiqué par les lois elles-mêmes. Elles traduisent ce terme de la langue germanique par l'expression latine pretium hominis. Le wergeld est donc le prix que vaut l'homme. On lit dans le code des Burgondes ; Celui qui a tué un autre homme en se défendant n'est pas coupable ; il devra seulement payer aux parents la moitié du prix que valait la personne du mort[17], c'est-à-dire 150 pièces d'or s'il était noble, 100 s'il était de condition médiocre, 75 s'il était de condition inférieure. De même dans la loi lombarde le wergeld est appelé le prix de l'homme[18]. Plusieurs chartes s'expriment ainsi : Si un homme a été tué, que l'on paye son prix qu'en langage vulgaire nous appelons wergeld[19]. C'est en ce sens qu'une ordonnance de Childebert porte que si un maître refuse de produire son esclave au tribunal, il devra payer la valeur de cet esclave, son wergeld[20]. Le wergeld n'était donc pas une pénalité ; il n'était pas une amende ; il était moins encore le prix du sang versé. On entendait simplement par ce mot le prix que l'homme valait de son vivant. La loi des Burgondes prononce que si un homme a arraché les limites d'un champ, il aura la main coupée ; puis, elle lui permet de racheter sa main en payant la moitié de ce que vaut sa personne[21]. Cela veut dire qu'il est condamné à une amende égale à la moitié de son propre prix. C'est ainsi que le wergeld se rencontre dans bien des cas où il n'y a pas de meurtre. Le ravisseur d'une jeune fille, dit la loi des Frisons, devra lui payer son wergeld, c'est-à-dire le prix qu'elle vaut suivant son rang de fille noble ou de fille simplement libre[22]. — Si un homme a consulté les sorciers, dit la loi lombarde, il payera une amende égale à la moitié de son prix. — qui aura déchiré la lettre d'affranchissement d'un autre homme, dit la loi salique, payera le wergeld de cet homme. — Celui qui a fait un faux serment, dit la loi des Frisons, payera son propre wergeld. Nous lisons encore dans la loi salique que le comte qui aura négligé son devoir de justice, sera puni de mort, à moins qu'il ne rachète sa vie ce qu'elle vaut[23]. Le simple copiste qui a altéré un acte par ignorance est condamné par la loi lombarde à payer son propre wergeld[24]. Ce wergeld était indépendant de la pénalité ; c'était au contraire la pénalité qui se réglait sur lui. En cas de meurtre ou de blessure, la composition s'élevait en proportion du wergeld de la victime[25]. S'agissait-il, au contraire, d'un simple délit, l'amende s'élevait ou s'abaissait en proportion du wergeld du coupable. C'était donc une règle dans les sociétés de celle époque que chaque homme eût son prix déterminé et fixé par la loi. Toutes les législations n'admettaient pas la composition, mais toutes avaient le wergeld, c'est-à-dire le tarif de chaque vie humaine[26]. Cette règle offre à l'historien un moyen sur de connaître l'état social du temps. Si cette société avait été démocratique, la loi aurait attribué le même prix à toutes les existences. Puisque, tout au contraire, les prix sont fort inégaux et qu'il y a toute une échelle de valeurs diverses, c'est que la société est légalement partagée en classes inégales. Nous allons examiner la nature de ces inégalités en observant sur quel principe elles étaient fondées. § 3. DE CEUX QU'ON APPELAIT HOMMES ROMAINS. On lit au titre 41 de la loi salique : Si l'homme tué était un libre franc, la composition sera de 200 sous d'or ; s'il était un homme romain, elle sera de 100 sous[27]. Ces deux chiffres représentent sans contredit la valeur que chacun des deux hommes avait de son vivant. Le premier était évalué le double du second. La même inégalité est marquée dans d'autres articles du même code. Il coûte 62 sous d'or de dévaliser un Franc, et il n'en coûte que 50 de dévaliser un Romain. Qui a vendu comme esclave un homme libre doit payer 200 pièces d'or ; il n'en paye que 62 s'il a vendu un Romain[28]. Dans la loi des Ripuaires, les chiffres qui se rapportent à l'homme romain sont invariablement inférieurs de moitié à ceux qui s'appliquent au Franc. Dans ces textes, les mots franc et romain ont été interprétés et traduits comme s'ils désignaient les hommes de race franque et les hommes de race gauloise. Nous avons vu, en effet, que les Gaulois, au temps de l'empire, s'appelaient romains. Dans les codes des Wisigoths et des Burgondes, le mot romain s'applique incontestablement à la population indigène[29]. En raisonnant d'après cette analogie, on est d'abord porté à penser que le même mot a la même signification dans la loi salique. On conclut de là naturellement que la personne du Gaulois n'était estimée que la moitié de celle du Franc, que ce Gaulois était réputé un être inférieur, qu'enfin la loi elle-même le plaçait dans la situation d'un vaincu vis-à-vis d'un conquérant et d'un maître. Rien ne paraît à première vue plus légitime que cette conclusion. Toutefois, si l'on y réfléchit, l'esprit se trouve assailli de tant d'objections qu'il lui devient impossible, de l'admettre. Première objection. Nous possédons sur l'état social de ces mêmes siècles beaucoup d'autres documents que la loi salique et la loi des Ripuaires. Nous avons un véritable historien, Grégoire de Tours, et plusieurs chroniqueurs comme Frédégaire ; nous avons un poète, Fortunatus, qui, très-mêlé à la vie de son temps, a su la bien voir et la décrire ; nous avons des vies de saints qui, écrites pour le peuple, présentent avec une clarté naïve les traits de chaque existence ; nous avons des lettres intimes, des actes de testament et de donation, des diplômes de toute nature, des formules de jugement. Parmi ces monuments si nombreux et si divers, nous ne trouvons pas un seul mot qui marque une inégalité entre les Francs et les Gaulois. Ces chroniques, ces lettres, ces actes nous peignent en traits nets et précis la vie privée et la vie publique de cette époque : nous y apercevons tous les rapports qu'il y avait entre les hommes ; nous y distinguons les rangs que les lois et les mœurs établissaient entre eux, mais nous n'y voyons jamais que le Gaulois fût inférieur au Franc. Nous y lisons qu'il y avait des esclaves gaulois et des esclaves germains, des hommes libres gaulois et des hommes libres germains, des nobles gaulois et des nobles francs. Les mêmes degrés de l'échelle sociale existent pour l'une et pour l'autre race, et à chacun de ces degrés les deux races nous apparaissent comme parfaitement égales. Rien n'indique un ancien vaincu ni un ancien vainqueur. Aucun de ces documents ne nous laisse voir, fût-ce par une simple allusion, qu'une des deux populations fût subordonnée à l'autre. Il y a des récits de procès, de jugements, de condamnations ; on n'y aperçoit jamais que l'indigène fût traité autrement que le Germain. On voit des hommes des deux races qui sont frappés de la peine de mort, des hommes des deux races qui sont autorisés à racheter le crime par la composition ; rien ne nous avertit que cette composition fût plus ou moins élevée suivant la race de la victime. Il serait bien étrange qu'une inégalité de cette nature, si humiliante pour la vanité, si blessante pour l'intérêt, eût été inscrite dans les lois sans qu'il en parût rien dans la vie réelle des hommes. Grégoire de Tours n'est pas un historien qui se plaise dans le vague et dans les abstractions ; ses personnages vivent, ils agissent, ils parlent. Comment se fait-il que jamais un de ces Francs ne parle à un Gaulois sur le ton du mépris, qu'aucun de ces Gaulois n'ait l'accent de la haine et de la rancune ? Je vois bien des Gaulois qui sont obséquieux et serviles envers les rois ; je n'en vois pas qui le soient envers les Francs. Gaulois et Francs sont en contact et en dialogue, sans que jamais l'un paraisse inférieur à l'autre. Les hommes des deux races sont également soldats ; ils rendent la justice ensemble et siègent dans les mêmes tribunaux ; il n'est pas rare que le Gaulois soit revêtu de dignités administratives et même de commandements militaires ; les Francs alors lui obéissent, le suivent, le servent. Tout ce que raconte Grégoire de Tours, tout ce que ses personnages font et tout ce qu'ils disent, est le contraire de ce qui se ferait et de ce qui se dirait si une race était placée légalement au-dessous de l'autre. Deuxième objection. Si l'on admettait comme vraie l'inégalité de valeur entre le Franc et le Gaulois dans l'ordre judiciaire, il resterait à se demander comment cette inégalité inscrite dans la loi aurait pu passer dans la pratique. Il est reconnu, en effet, que les Francs étaient jugés d'après la loi franque et les Gaulois d'après la loi romaine. Jamais les Germains n'ont prétendu imposer aux indigènes l'usage des lois germaniques. Puisque les Gaulois, soit dans leurs procès entre eux, soit même dans leurs procès avec les Francs lorsqu'ils étaient défendeurs, étaient jugés d'après les lois romaines, on ne voit pas comment l'inégalité du wergeld aurait pu être appliquée, et l'on se demande à quoi il eût servi aux Francs de décréter l'infériorité de la population indigène dans des codes qui n'étaient pas faits pour elle. Troisième objection. Si la race germanique s'est considérée comme supérieure à la population indigène, on s'étonne que cette prétention ne se montre que dans les lois des Francs. Il n'en paraît rien dans les codes des Burgondes, des Wisigoths, des Ostrogoths. Ces codes indiquent la valeur de chaque homme ; ils ne disent nulle part que l'indigène valût moins que le Germain. Ils proclament, au contraire, par les expressions les plus nettes et les plus énergiques que les deux populations étaient sur le pied d'une égalité parfaite[30]. L'inégalité n'aurait donc été imaginée que par les Francs ! Mais ici même se présente une autre difficulté. Toute la législation de la société franque n'est pas contenue dans les codes salique et ripuaire. Il y a eu, en outre, une série de lois édictées par les rois mérovingiens. Nous possédons des décrets de Clotaire Ier, de Chilpéric, de Childebert II, de Clotaire II. Le style et les considérants de ces actes législatifs marquent bien qu'ils s'adressaient à toute la population du royaume sans distinction de races. Aucun de ces actes ne subordonne le Franc au Gaulois. Si le législateur parle des Romains, c'est pour les mettre au même niveau que les Francs et leur assurer le bénéfice de leurs lois. L'infériorité de la population indigène ne se trouverait donc pas dans la législation mérovingienne tout entière, mais seulement dans une partie de cette législation, et il arriverait ainsi que les deux éléments du droit franc seraient en désaccord sur ce point si grave. Les codes salique et ripuaire ne contiennent aucun terme de mépris pour la population indigène. Ils ne disent jamais pour quel motif elle serait traitée en inférieure. Ils n'ont pas un mot qui indique que les Francs fussent des conquérants et des maîtres. Ajoutons encore une remarque ; au temps de Charlemagne, il n'y avait certainement aucune inégalité entre les races qui occupaient la Gaule ; cette vérité est hors de contestation. Si les articles des vieilles lois franques avaient établi une inégalité de cette sorte, ils auraient disparu du texte révisé par Charlemagne ; ils continuent pourtant d'y figurer. Pour qu'on ne les effaçât pas, il fallait sans nul doute qu'ils ne fussent pas en désaccord avec l'état social et les institutions de l'époque ; il fallait, par conséquent, qu'ils signifiassent autre chose qu'une inégalité de races qui n'existait nulle part. Si la loi salique et la loi des Ripuaires avaient prononcé que les indigènes fussent une race inférieure, si elles avaient voulu dire que le Gaulois ne valût que la moitié du Franc, ces deux lois seraient en contradiction formelle avec tous les monuments de ces trois siècles, avec l'histoire et les faits, avec les actes et les chartes, avec les autres codes germains et même avec toutes les autres lois franques[31]. En présence d'une telle contradiction, il est sans doute d'une bonne méthode historique de se demander si ces articles des deux codes francs ont vraiment la signification qui leur est attribuée. Il est prudent d'écarter d'ici toute idée préconçue, toute vue systématique. On doit se poser tout d'abord cette question : les mots franc et romain désignent-ils dans ces codes l'homme d'origine franque et l'homme d'origine gauloise ? Pour la résoudre, il faut observer attentivement tous les textes des lois franques qui sont relatifs au wergeld et les rapprocher de ceux qui, dans les autres codes germaniques, se rapportent au même objet. Dans tous les codes que les Germains ont rédigés, le principe de la distinction entre les hommes est la naissance, nativitas ; aussi le wergeld est-il souvent nommé pretium nativitatis[32]. Mais il faut bien remarquer que ce qu'ils entendaient par la naissance, ce n'était ni la race ni ce qu'on appelle de nos jours la nationalité ; c'était la condition sociale où l'on était né, c'est-à-dire l'état de servitude, de liberté, ou de noblesse. Voilà ce qui déterminait la qualité de la personne et son prix[33]. Le code des Burgondes, par exemple, reconnaît bien qu'il y a des Gaulois et des Germains ; mais cela n'est jamais un principe d'inégalité. Au contraire, il partage toujours la société en trois classes absolument distinctes : les libres, les affranchis, les esclaves (ingenui, liberti, servi) ; chacune de ces classes se divise elle-même en plusieurs degrés. La proportion entre elles est marquée par les différences des chiffres d'indemnité ou d'amende. Celui qui a lié et enfermé un homme libre, doit payer 12 pièces d'or ; il n'en paye que 6 si l'homme est un affranchi, que 3 si l'homme est un esclave. Un coup porté à un homme libre se paye une pièce d'or ; le même coup porté à un affranchi est taxé une demi-pièce ; un tiers seulement, s'il est porté à un esclave. Le coup qui a cassé une dent est puni de 15 solidi si l'homme frappé est noble, de 5 solidi, s'il est simple homme libre, de 3 solidi, s'il est un affranchi, de 2 solidi, s'il est un esclave. L'injure faite à une femme libre est punie d'une amende de 12 sous ; de 6, si elle est adressée à une femme affranchie ; de 5, s'il s'agit d'une femme esclave[34]. La loi des Wisigoths évalue la vie de l'homme libre à 500 pièces d'or ; et elle ajoute : pour l'affranchi, le prix n'est que la moitié. Chez les Alamans, le prix de l'homme libre est de 160 sous ; celui de l'affranchi est de 80 et celui de l'esclave de 40. Chez les Bavarois, l'homme libre vaut 160 sous ; l'affranchi en vaut 80 ; l'esclave de 20 à 40 ; l'adultère avec une femme libre est puni d'une amende de 160 pièces ; l'amende n'est que de 40 s'il s'agit d'une affranchie ; de 20, si c'est une esclave[35]. Dans la loi des Frisons, l'homme libre est estimé 53
pièces d'or ; le lite, qui est une sorte d'affranchi, 27 ; l'esclave est
évalué suivant son âge et sa force. Cette loi dresse un long tarif de ce que
vaut chaque sorte de coup, et elle termine en disant : ces chiffres s'appliquent aux hommes libres ; pour les
nobles, il faut les multiplier par trois ; pour les lites, il en faut prendre
la moitié. La loi des Thuringiens évalue le noble trois fois plus que
l'homme libre et le libre deux fois plus que l'affranchi, qui vaut lui-même à
peu près le double de l'esclave[36]. A tous ces codes germains si l'on compare la loi salique, on y trouve des distinctions de même nature. Il n'y a presque pas un article où elle ne sépare l'homme libre de l'esclave. La peine qu'elle prononce varie toujours suivant la classe à laquelle appartient la victime ou le coupable. Pour le même vol, l'homme libre paye 15 sous d'or, l'esclave n'en paye que trois. S'agit-il d'un homicide, la valeur de l'homme est estimée à 600 pièces d'or s'il était antrustion ou comte du roi, à 200 s'il était libre, à 50 s'il était esclave[37]. Dans cette énumération des classes, dans cette échelle sociale que présente la loi salique, une chose me frappe, c'est qu'il manque une classe et un échelon. L'homme que les autres codes appellent libertus ne se trouve pas dans celui-ci. Je vois le noble, le libre, l'esclave ; je ne vois pas l'affranchi. Il y a bien le lite ; mais celui-ci est un Germain ; on y trouve aussi la classe des hommes qui ont été affranchis suivant le mode germanique ; mais ceux qui ont été tirés de la servitude suivant les modes romains et devant l'Église n'y sont pas mentionnés. Il n'est pas douteux qu'il n'y eût dans l'État franc un grand nombre de ces hommes ; nous le savons par les chroniques, par les testaments et les actes, nous le savons par les lois franques elles-mêmes et surtout par celle des Ripuaires. Il ne se peut pas que cette classe ait été oubliée dans les tarifs du wergeld ; pourtant le nom du libertus ne se rencontre pas[38]. C'est l'expression romanus homo qui en lient lieu. Il est facile de voir que cet homme romain occupe dans la loi salique la place exacte qu'occupe l'affranchi dans les codes des Wisigoths, des Burgondes, des Alamans et des Bavarois. Il vaut la moitié de l'homme libre. Si un homme libre a été dévalisé, la peine est de 62 solidi ; elle est de 50 s'il s'agit d'un homme romain. Le meurtre de l'homme libre est payé 200 solidi ; celui de l'homme romain, s'il n'est pas tributaire (terme que nous expliquerons plus loin) est payé 100 solidi ; c'est le prix de l'affranchi. La valeur est triplée pour l'un et pour l'autre s'ils sont antrustions, convives du roi, comtes ; mais l'inégalité que la condition native a mise entre eux subsiste toujours ; l'affranchi, quelles que soient les fonctions que les rois lui veuillent, confier, garde la tache indélébile de l'esclavage et ne vaut jamais que la moitié de l'homme libre. La loi salique contient encore un autre mot pour désigner l'affranchi, c'est celui de puer. L'expression puer regius signifie, non pas l'esclave, mais l'affranchi du roi[39]. Or, si on compare les textes de la loi salique, on observera que le même personnage est appelé tantôt romanus homo et tantôt puer regius[40]. On remarquera encore que le puer est en plusieurs passages assimilé à l'affranchi tabulaire, qui est lui-même assimilé à l'homme romain[41]. Les trois expressions étaient donc synonymes. L'article 42 de la loi salique prononce que la valeur des liti, des romani, et des pueri est la même ; elle est la moitié de celle des hommes libres, et à peu près le double de celle des esclaves. Ailleurs les femmes lites et romaines sont placées sur la même ligne[42]. Si l'on trouvait le terme romanus accompagné d'un de ces mots qui indiquent la race ou la nationalité, on pourrait croire qu'il désigne la population gauloise. Dans les codes des Burgondes et des Wisigoths il n'y a pas moyen de se tromper ; chaque fois que ce mot se présente, le sens en est clair et la phrase ne manque jamais d'opposer le noble romain au noble burgonde, l'homme, libre romain à l'homme libre burgonde, l'esclave romain à l'esclave barbare. Tout autre est l'emploi de ce mot dans les deux codes francs ; le Romain n'apparaît jamais qu'à la place précise où les autres codes nomment l'affranchi. Si le terme de Romain désignait les indigènes, nous trouverions, comme dans tous les autres codes, des Romains nobles, des Romains libres, des Romains esclaves ; car toutes ces classes existaient, les chroniques en font foi, dans l'Etat mérovingien. La loi salique ne connaît qu'une seule catégorie de Romains ; ce sont toujours des hommes qui ne sont ni libres ni esclaves, c'est-à-dire des affranchis. L'idée qui s'attache à ce terme est celle d'un état social et non pas d'une nationalité. La loi des Ripuaires est plus claire encore, sur ce point, que la loi salique. La condition de celui qu'on appelle un homme romain s'y montre dans un jour complet. L'inégalité des rangs a le même principe dans ce code que dans les autres codes germaniques ; c'est la naissance qui détermine la valeur pécuniaire de chaque homme. Si un clerc a été tué, y est-il dit, la composition sera suivant ce qu'était sa naissance. S'agit-il ici de race gauloise ou de race franque ? Nullement ; la loi s'explique : Suivant ce qu'était sa naissance, c'est-à-dire suivant, qu'il est né serf, ou lite, ou homme libre[43]. On ne saurait exprimer plus nettement que les distinctions entre les personnes ne se règlent pas sur la race, mais sur la condition sociale. La loi des Ripuaires sépare, en effet, dans tous ses articles, les hommes libres des esclaves, et entre eux elle place toujours une classe intermédiaire qui est celle des affranchis. Passons en revue tous les articles où celle classe est mentionnée sous ses différents noms. Le meurtre d'un homme libre est puni de 200 sous d'or ; celui d'un esclave, de 36. Entre l'homme libre et l'esclave se place l'homme qui appartient au roi ou à l'Eglise et dont le meurtre est payé 100 pièces d'or[44]. Le sens de ces expressions n'est pas douteux ; elles désignent ceux qui ont été affranchis ou par le roi ou par l'Église et qui restent soumis au patronage de l'un ou de l'autre. Ces affranchis ne valent, comme dans tous les codes germaniques, que la moitié des hommes libres. Les indemnités qu'ils reçoivent et les amendes qu'ils payent ne sont aussi que de moitié. Cette règle universelle est nettement exprimée par la loi. Dans toute composition où le Ripuaire doit payer 15 solidi, l'homme du roi et l'homme de l'Église n'en payent que la moitié[45]. Partout l'amende de ces deux hommes est la moitié de celle du franc, de même que, dans les lois des Burgondes et des Wisigoths, l'amende de l'affranchi est la moitié de celle de l'homme libre. La loi des Ripuaires, énumérant dans son article 56 les différentes classes de la société, compte : 1° l'homme libre ; 2° le lite, l'homme du roi et l'homme de l'Église ; 5° l'esclave. Au titre 58 apparaît pour la première fois l'expression
d'homme romain : Si le coupable est un affranchi,
soit homme du roi soit homme romain, on lui accordera un délai de sept jours
; si c'est un franc, on lui en accordera quatorze[46]. Un peu plus
loin la loi interdit à l'homme de l'Église, à
l'homme romain et à l'homme du roi d'épouser une femme libre. Ailleurs
l'expression homme romain se trouve encore placée entre celles d'homme de
l'Église et d'homme du roi. La loi punit l'homme libre qui manque au service
militaire d'une amende de 60 pièces d'or, et elle ajoute : mais si le
coupable est un homme romain, un homme de l'Église ou un homme du roi, il ne
payera que 50 pièces. Mêmes dispositions à l'égard de ceux qui reçoivent un
banni dans leur maison : le Ripuaire paye 60 solidi ; l'homme du roi, romain,
ou de l'Église n'en payé que 30[47]. Ainsi, dans
cette loi des Ripuaires, l'homme romain n'apparaît jamais seul ; il est
toujours placé entre deux autres affranchis et son wergeld, c'est-à-dire sa
valeur personnelle, est toujours égal au leur. La législation franque n'a jamais interdit le mariage entre Gaulois et Germains ; on sait par un grand nombre de traits épars dans les chroniques et dans les Vies des Saints que ces mariages étaient fréquents. Quand nous lisons dans la loi des Ripuaires que l'homme de l'Eglise ; l'homme romain et l'homme du roi ne peuvent, pas épouser une femme libre, il ne faut pas entendre que cette loi interdise le mariage entre les deux races ; elle ne veut pas dire autre chose que ce que disent tous les autres codes germaniques quand ils défendent à l'affranchi d'épouser une femme libre[48]. De l'étude attentive de tous ces textes nous croyons pouvoir conclure que les codes francs appellent romains, non pas tous les affranchis indistinctement, mais tous ceux qui ont été affranchis suivant les modes romains et d'après les lois romaines[49]. C'est parce qu'ils sont dans la condition d'affranchis, et non parce qu'ils peuvent être de race gauloise, que la loi leur attribue une valeur moindre qu'aux hommes libres. Il devait certainement se trouver parmi eux des hommes des deux races ; car il y avait autant d'esclaves germains que d'esclaves gaulois, et le mode d'affranchissement dépendait, non de la race de l'esclave, mais de la volonté du maître. La dénomination de romains pour désigner une classe d'affranchis peut surprendre au premier abord ; elle n'était pourtant pas nouvelle ; elle venait des meilleurs temps de l'empire. On peut lire chez les jurisconsultes Gaïus et Ulpien qu'en dehors des hommes libres il y a deux sortes d'affranchis, ceux qu'on appelle citoyens romains et ceux qu'on appelle latins[50]. Le nom de citoyen romain s'appliquait donc déjà à des hommes qui n'étaient que des affranchis et qu'une barrière insurmontable séparait des véritables hommes libres. Entre l'époque de Gaïus et celle où la loi des Ripuaires fut rédigée, la distinction entre les deux classes d'affranchis ne s'effaça pas ; nous la retrouverons tout à l'heure ; le nom de latin seul disparut, et il résulta de là que tous les affranchis s'appelèrent des romains ; ces deux termes devinrent équivalents dans le langage ordinaire. Observons les formules d'affranchissement qui se sont conservées pendant la période mérovingienne, nous y lisons toujours que le maître fait de son esclave un citoyen romain[51] ; cela signifie seulement qu'il fait de lui un affranchi[52]. La loi des Ripuaires elle-même emploie cette forme de langage : si quelqu'un, dit-elle, a fait de son esclave un affranchi et un citoyen romain, celui-ci vaudra 100 pièces d'or, la moitié de ce que vaut un homme libre[53]. Ainsi le nom de romain que l'affranchi avait eu sous l'empire, lui demeura attaché. Comme les formes de l'affranchissement se perpétuèrent, les noms aussi restèrent les mêmes. Croire que ces romains dont parlent les lois franques sont les hommes de race gauloise, c'est commettre la même erreur que si un traducteur de Gaïus ou d'Ulpien traduisait le mot latini par hommes du Latium. Les termes du langage, et surtout ceux qui désignent les conditions sociales, ont une signification de convention qui change avec le temps. Lorsque la loi des Ripuaires fut écrite, c'est-à-dire au septième siècle[54], quatre générations d'hommes s'étaient succédé depuis l'établissement des Francs en Gaule ; les deux populations s'étaient mêlées par le sang et par toutes les habitudes ; elles s'étaient confondues à tel point qu'une loi qui les aurait distinguées n'aurait pas été applicable. A cette époque aussi le mot romain avait cessé de désigner une race ; il avait perdu, dans l'usage habituel des hommes, son sens ethnique[55]. Mais en même temps que la distinction des races s'effaçait, les distinctions sociales et l'inégalité des conditions allaient croissant. Aussi arriva-t-il que les mots de romain et de franc, s'éloignant de leur sens littéral, s'appliquèrent, non à des races qu'on discernait à peine, mais à des classes qui devenaient de jour en jour plus séparées et plus inégales. § 4. DE LA CONDITION DES AFFRANCHIS ; DE CEUX QUE LA LOI SALIQUE APPELLE POSSESSEURS, ET DE CEUX QU'ELLE APPELLE TRIBUTAIRES. L'étude que nous venons de faire sur le sens de quelques mots de la langue du septième siècle, touche aux principales institutions de l'ordre social de ce temps-là. On y reconnaît que les codes francs partageaient les hommes en classes. Ces codes, que l'on peut comparer d'ailleurs avec les chroniques et les actes, permettent de compter combien de rangs et d'échelons il y avait dans la société fort aristocratique de la période mérovingienne. Au plus bas degré étaient les esclaves. On voit par les actes de testament qu'ils portaient indifféremment des noms latins ou germains. Quelle que fût leur race, on ne les distinguait que par leurs aptitudes et leur profession ; la valeur de chacun d'eux était proportionnelle à la valeur du travail qu'il pouvait produire. L'esclave barbare n'était pas traité autrement que l'esclave gaulois ; mais celui qui exerçait, par exemple, le métier d'orfèvre, avait un wergeld bien supérieur à celui qui ne savait que travailler aux champs. Au-dessus des esclaves s'élevaient les affranchis. Ils étaient de plusieurs sortes. On les distinguait, d'abord, suivant qu'ils avaient été tirés de servitude par l'un des modes germaniques ou par l'un des modes romains. Dans l'affranchissement par les modes germaniques il y avait deux degrés. Au plus bas étaient placés ceux qu'on appelait lites ; ils avaient encore un pied dans l'esclavage ; ils servaient héréditairement l'ancien maître et ses fils[56]. Plus haut étaient les hommes affranchis par la formalité du denier et qu'on appelait pour cette raison denariales ; ils jouissaient d'une liberté presque complète[57]. Quant aux modes romains d'affranchissement, tels ils étaient sous l'empire, tels ils subsistèrent sous les Mérovingiens. Un maître pouvait affranchir son esclave, 1° par un acte public, devant le roi, devant le comte ou devant la curie ; 2° par un acte privé, tel qu'un testament ; 5° par un acte accompli dans l'église en présence des prêtres. L'affranchi s'appelait un tabulaire, à cause des tablettes ou de la charte qui constatait qu'il cessait d'être esclave ; il s'appelait aussi un romain à cause du mode romain d'affranchissement. Il faut noter que les formalités germaniques n'étaient pas réservées aux esclaves germains, ni les formalités romaines aux esclaves gaulois. Les actes de testament prouvent que des esclaves d'origine barbare pouvaient devenir affranchis tabulaires ; et nous voyons, d'autre part, dans les lois franques que le Ripuaire pouvait affranchir son esclave suivant les modes romains[58]. Le maître choisissait le genre d'affranchissement qui lui convenait, sans qu'on lui demandât jamais à quelle race appartenait son esclave. L'affranchi ne devenait pas l'égal des hommes libres. Dans toute l'antiquité, une barrière infranchissable avait séparé l'homme qui était né dans l'esclavage de celui qui était né libre. Cette barrière, que l'empire romain avait maintenue, resta debout dans la période mérovingienne. Nous avons vu que les lois franques n'accordaient à l'affranchi que la moitié de la valeur de l'homme libre[59]. Quand on lit les testaments et les formules d'affranchissement, il semble d'abord que le maître donnât à son esclave une liberté entière. Tu seras, lui disait-il, un citoyen romain ; tu vivras comme si tu étais né ingénu. Si pourtant on y regarde de près, on s'aperçoit que cet affranchi ne devenait pas complètement maître de sa personne. L'acte d'affranchissement portait toujours qu'il devait avoir un patron[60] ; or ce patron était pour lui un maître autant qu'un protecteur. La loi des Ripuaires distingue trois sortes d'affranchis d'après la nature du patronage auquel ils étaient assujettis. Elle les appelle hommes de l'Église, hommes du roi, ou simplement hommes romains. Lorsqu'un esclave avait été affranchi dans l'Église, en présence de l'évêque et des prêtres, il avait ordinairement pour patron l'évêque lui-même. Il lui devait le respect, l'obéissance, et même, la plupart du temps, des services corporels et une redevance pécuniaire. La loi des Ripuaires le dit formellement : Quand un esclave a été affranchi dans l'Église, par des tablettes signées de la main de l'évêque, il est placé, lui et toute sa postérité, sous la tutelle de l'Église ; il doit donc, lui et sa postérité, s'acquitter envers l'Église de la redevance de son état et du service d'affranchi[61]. D'autres affranchis obtenaient de leurs anciens maîtres le
droit de choisir le patron qu'ils voulaient. Ceux-là choisissaient volontiers
le roi lui-même ; sa protection était efficace et son autorité éloignée. Un
testament de l'année 696 porte ce qui suit : J'affranchis
tels et tels esclaves, à la condition qu'ils rendront à ma sœur, tant qu'elle
vivra, le service d'affranchis ; après sa mort, ils auront la faculté de
choisir pour patron le défenseur de tous les chrétiens, c'est-à-dire le roi[62]. Cette
protection royale entraînait une sujétion d'une nature presque domestique.
L'homme était attaché au roi comme un client à son patron, presque comme un
serviteur à son maître. Il devenait homme du roi. Ses biens ne lui
appartenaient pas par un plein droit de propriété ; il ne lui était pas permis
d'en disposer par testament, et s'il mourait sans laisser de fils légitime,
tout ce qu'il possédait était dévolu au roi[63]. De même l'homme
de l'Église avait, à défaut de fils, l'Église pour héritière. Les affranchis qui n'appartenaient ni à l'Église ni au roi, avaient ordinairement pour patron leur ancien maître lui-même et ses héritiers, de père en fils. Ils vivaient dans leur maison et continuaient à les servir[64]. Quelquefois ils étaient attachés à la terre, à tel point que le patron les vendait ou les léguait avec elle. Nous avons des actes dans lesquels un homme vend ou donne ses affranchis[65]. Le pouvoir du patron allait, en certains cas, jusqu'à replacer son affranchi dans l'état de servitude[66]. Si l'affranchi mourait sans enfants, le patron héritait. Si l'affranchi était assassiné, l'indemnité était payée au patron ou partagée entre lui et les enfants de la victime. Ce patronage conférait une telle autorité et procurait de tels profils que les lois prononçaient une forte amende contre celui qui enlevait un affranchi à son patron légitime[67]. La loi salique distingue les affranchis romains en deux catégories ; elle appelle les uns possesseurs et les autres tributaires. Pour avoir l'explication de ces termes il faut observer les règles relatives à l'affranchissement. Les jurisconsultes de l'empire romain enseignaient qu'il y avait plusieurs manières de tirer un esclave de la servitude et qu'il y avait aussi plusieurs degrés dans la liberté à laquelle on l'appelait. Le maître avait toujours le droit de mettre des conditions à la liberté. Il pouvait exiger, pour tout l'avenir, le service et le travail de son affranchi ; il pouvait fixer le nombre de jours de corvée qui lui seraient dus, ou remplacer la corvée par une somme d'argent. S'il accordait à son affranchi la jouissance d'un champ, ce champ était assujetti à une redevance perpétuelle ; la redevance s'appelait tribut et l'homme tributaire. Il n'avait qu'une liberté fort incomplète et il vivait, lui et sa postérité, sur un champ dont il ne pouvait jamais avoir la propriété. C'est cette classe d'affranchis qui est mentionnée par la loi salique sous le nom de romains tributaires[68] ? Il existait un genre d'affranchissement plus favorable. Dans la société romaine, le maître avait pu exempter son affranchi de tout service de corps et de toute redevance, en n'exigeant de lui que le respect et la gratitude. Il en fut de même dans la société gallo-franque. On voit souvent dans les actes que le maître déclarait l'affranchi libre de tout service et de toute redevance ; il ajoutait même que cet affranchi jouirait de ses biens en toute sécurité, sans en payer aucun fermage, qu'il pourrait les laisser à ses enfants, même les vendre ou les léguer à des étrangers[69]. Lorsque des clauses de cette sorte étaient écrites, l'affranchi était maître de son bien et la loi pouvait l'appeler un romain propriétaire. La différence que la loi salique marque entre l'affranchi tributaire et l'affranchi possesseur est la même que Gaïus et Ulpien avaient marquée entre celui qu'on appelait un latin et celui qu'on appelait un romain[70]. On sent assez qu'en parlant de cet homme romain possesseur la loi salique n'entend pas parler de ces riches gaulois, propriétaires de nombreux et vastes domaines, entourés de clients et de fermiers, dont les chroniques nous décrivent la brillante existence. Il ne s'agit ici que du modeste et humble affranchi, qui du moins vit sur un champ qui est à lui et qui n'en doit ni rente ni corvée. Il ne vaut que la moitié de l'homme libre, mais il vaut plus que l'affranchi soumis à redevance. On peut s'étonner de la grande place que les affranchis tiennent dans les codes des Francs. Il paraît bien à la manière dont les lois s'en occupent que ces hommes étaient fort nombreux dans la société du septième siècle. Cela s'explique si l'on songe que la condition d'affranchi était héréditaire[71]. C'était une classe où l'on entrait facilement, mais d'où l'on avait beaucoup de peine à sortir. Elle s'accroissait donc en nombre à chaque génération. Fort au-dessus de toutes ces catégories d'affranchis s'élevaient les vrais hommes libres (ingenui). Seuls ils étaient membres de la nation ; seuls aussi ils s'appelaient Francs. A eux seuls appartenaient les droits civils et le peu qu'il y avait de droits politiques en ce temps-là. On voudrait pouvoir dire dans quelle proportion numérique ils se trouvaient à l'égard des classes inférieures. Ils n'avaient pas été très-nombreux sous l'empire ; ils le furent moins encore sous les rois francs. Plusieurs documents induisent à penser que, dès la fin du sixième siècle, ils formaient une sorte d'aristocratie dans la société. On voit aussi dans les chroniques, et même dans les lois, qu'ils ne pouvaient pas suffire à composer les armées et qu'il fallait, remplir les rangs à l'aide des différentes classes d'affranchis[72]. § 5. DE LA NOBLESSE DANS LA SOCIÉTÉ GALLO-FRANQUE. Deux sortes d'hommes sont fréquemment mentionnées au septième siècle sous les noms de leudes et d'antrustions. C'est plus loin, quand nous essayerons de décrire les origines du régime féodal, que nous parlerons d'eux et que nous observerons ce qu'ils étaient ; il suffit de dire ici qu'ils n'étaient pas une classe noble. Il s'en faut en effet beaucoup que le mot leude désignât une caste supérieure. Il appartenait à la langue germanique, et loin d'être un titre d'honneur il marquait l'infériorité. Il avait à peu près le même sens que le mot homme avait pris dans les derniers siècles de l'empire ; de même que les Romains disaient : les hommes d'un sénateur, de même les Germains disaient : les leudes d'un chef[73]. Dans l'un et l'autre cas il s'agissait d'hommes attachés à la personne d'un autre et placés dans la dépendance. Être le leude du roi, c'était lui appartenir ; c'était être un serviteur et avoir un maître. Il est vrai que cette sujétion était volontaire, et c'est en quoi elle différait de celle des esclaves et des affranchis ; elle se contractait par un engagement libre et était réputée fort honorable ; elle n'en était pas moins une sujétion rigoureuse. Le titre de leude pouvait être porté indifféremment par les plus grands et les plus petits[74] ; mais pour les uns comme pour les autres il désignait toujours l'état de subordination. Au lieu d'être un symbole de noblesse, il était quelquefois employé comme terme de mépris[75]. La loi salique mentionne des hommes qui sont dans la truste royale ou qui sont antrustions du roi. Elle leur attribue une valeur pécuniaire trois fois plus élevée qu'aux simples hommes libres ; elle ne dit pourtant pas qu'ils soient des nobles et elle n'indique jamais qu'ils forment un ordre dans la société. Toute noblesse se reconnaît surtout à ce signe qu'elle est une illustration héréditaire ; or la qualité d'antrustion ne passait pas du père au fils. Elle était conférée par le roi à qui il voulait, même à des affranchis[76], et pouvait être reprise par lui à son gré. Elle était une distinction toute personnelle qui commençait et qui finissait avec la faveur du roi. Les lois franques signalent aussi des comtes et des ducs ; mais ce n'est pas encore là que se trouve la noblesse. Le comte ou le duc, à cette époque, est un fonctionnaire. Il est nommé par le roi qui peut le choisir dans les plus basses classes de la société. Le duc Gontran Boson, dit Grégoire de Tours, était fils d'un meunier ; le même écrivain cite deux comtes qui étaient nés dans l'esclavage ; les lois reconnaissaient formellement qu'un affranchi pouvait être élevé au rang de comte[77]. Loin que cette dignité fût héréditaire, elle n'était pas même viagère ; le comte et le duc pouvaient être destitués par le roi et replongés dans le néant. On ne trouve rien dans les codes francs qui se rapporte à une classe noble ; mais dans les chroniques et dans les chartes cette classe apparaît sans cesse. Tous les écrits du temps montrent des mœurs fort aristocratiques. Les Vies des Saints qui ont été écrites à cette époque manquent rarement de dire si le personnage était de naissance noble ou seulement de naissance libre. On aime à vanter les aïeux du saint homme ; on se plaît à dire qu'avant de devenir noble par ses vertus il l'était déjà par sa famille[78]. Le poète Fortunatus, dans ses vers, n'oublie jamais de rappeler les nobles ancêtres de ceux à qui il s'adresse. Dans les actes et les formules, comme dans les lettres, on voit percer presque à chaque ligne le respect pour la noblesse de naissance[79]. Les hommes qui les écrivent ont toujours une attention particulière à séparer la noblesse de la plèbe. Un certain Widérad nous avertit qu'il a signé son testament en présence des nobles et du peuple. Un biographe rapporte que Brunehaut excitait, contre un évêque les nobles et les plébéiens[80]. Grégoire de Tours n'introduit jamais un personnage sans dire s'il est un noble, un simple homme libre, un affranchi ou un esclave. Il ressemble en ce point à Tacite. Du deuxième au sixième siècle les mœurs n'ont pas changé, et un historien qui veut décrire les habitudes de ses contemporains doit se préoccuper comme eux du rang et de la condition sociale de chaque personne. Grégoire de Tours nous, dira, par exemple, d'une femme gallo-romaine nommée Tetradia, qu'elle était noble du côté maternel, mais d'une condition inférieure par son père[81]. On peut voir aussi chez cet historien par quelles expressions les hommes de la classe supérieure étaient désignés de son temps. Il les appelle, tantôt les grands (proceres), tantôt les nobles (nobiles)[82], ici les hommes de bonne naissance (meliores natu)[83], là les sénateurs (senatores), ailleurs enfin les seigneurs (seniores)[84]. Quelques actes législatifs des rois mérovingiens se rapportent à cette noblesse ; il est digne de remarque qu'ils la désignent par des expressions purement latines qui étaient déjà employées avec la même signification dans les lois des empereurs. Ces expressions sont celles d'hommes puissants ou d'hommes honorables[85]. L'existence de cette classe supérieure est signalée de la façon la plus claire dans les codes des Burgondes, des Wisigoths, des Ostrogoths, des Alamans, des Bavarois, des Frisons et des Saxons. Elle n'est pas particulière à la Gaule ; on la trouve dans toute l'Europe[86]. Il serait impossible de comprendre les institutions du moyen âge et particulièrement la noblesse féodale, si l'on ne se rendait compte de la nature de celle noblesse du sixième et du septième siècle. Nous avons vu précédemment qu'il existait une classe noble dans la société de l'empire romain ; elle se composait des grands propriétaires qui joignaient à leur richesse l'exercice des dignités et des hautes fonctions publiques. Il résultait du concours de ces deux choses une illustration qui était héréditaire. Nous avons vu, d'autre part, que la race germanique n'avait aucune antipathie pour les distinctions sociales. Dans l'ancienne Germanie l'inégalité des classes avait été profondément marquée ; on avait compté des esclaves, des lites, des hommes libres, des nobles. La noblesse était attachée à la naissance ; elle tirait son origine des plus vieux âges de la nation, et elle avait un caractère sacré. Mais les agitations et les guerres civiles qui avaient déchiré la Germanie dans les trois siècles qui précédèrent les invasions, avaient eu pour effet d'épuiser et de détruire la caste noble. À peine en restait-il quelques familles chez les Bavarois et les Saxons. Il n'y a pas d'indice qu'il en subsistât chez les Francs, à part la famille régnante. La noblesse du septième siècle n'est donc pas issue de l'antique noblesse de la Germanie. Il est difficile de croire qu'elle ait eu pour origine l'invasion elle-même. Que tous les Francs se soient faits nobles par droit de conquête, c'est une conjecture qu'on a pu faire, mais il n'y a pas dans les documents un seul mot qui la confirme. Une noblesse semblable existait chez les Alamans qui n'avaient rien conquis[87] ; il en existait une aussi chez les Burgondes et les Wisigoths, et elle était composée de Romains aussi bien que de Germains[88]. Tous les Francs, d'ailleurs, n'étaient pas nobles, et beaucoup d'entre eux étaient relégués dans les dernières classes[89]. Enfin, la lecture des chroniques ne montre jamais que l'idée de noblesse fût liée dans la pensée des hommes à l'idée de conquête ; il est parlé sans cesse de nobles de naissance ; il n'est jamais dit qu'on fût noble parce qu'on était fils de vainqueurs. On ne voit même pas que cette noblesse eût un caractère particulièrement militaire. Il s'en faut beaucoup que tous les nobles qui paraissent dans les chroniques et dans les Vies des Saints fussent des guerriers. Un tout autre caractère s'attache à cette noblesse et en paraît inséparable : c'est que le noble est toujours riche, surtout riche en terres ; on n'en aperçoit aucun qui soit pauvre. La richesse foncière était, sinon la condition unique, au moins la condition première de cette sorte de noblesse. L'homme ne devenait pas noble par cela seul qu'il était riche ; mais il le devenait certainement si la richesse était ancienne dans sa famille, et surtout si quelqu'un de ses ancêtres avait été élevé aux grandes dignités de l'Etat. Il y avait des nobles de race franque. Une richesse de deux ou trois générations et quelques commandements militaires suffisaient à établir une illustration qui passait du père au fils. C'est pour cela que le poêle Fortunatus, qui écrivait à la fin du sixième siècle, fait l'éloge d'une jeune fille franque qui descend d'un sang noble. L'auteur de la Vie de Sainte Salaberge parle de femmes nobles parmi les Sicambres. Saint Landelin, sainte Gertrude, saint Ragnobert descendaient des familles les plus nobles parmi les Francs. Saint Trudon était issu d'une ancienne famille noble, et ses parents étaient riches en argent et en terres[90]. Il y avait aussi des nobles de race gallo-romaine. L'Italie, l'Espagne, la Bourgogne, avaient conservé sous la domination des rois barbares une noblesse indigène, ainsi que l'attestent les codes des Goths et des Burgondes. Il en fut de même dans le pays soumis aux rois francs. On y distinguait même deux degrés de noblesse, comme au temps de l'empire. Les notables des cités formaient un ordre assez semblable à celui des anciens décurions ; ils administraient les affaires locales, nommaient encore certains magistrats parmi eux, exerçaient enfin une sorte d'autorité judiciaire ; on leur donnait le titre de viri magnifici[91]. Au-dessus d'eux s'élevait une classe que l'on continuait à désigner par le nom d'ordre sénatorial et qui comprenait les familles les plus riches et les plus nobles de la population gallo-romaine. Le titre de sénateur romain ne périt pas après
l'établissement des Germains dans l'empire. Les Burgondes sont les maîtres
depuis soixante ans, et nous trouvons encore au milieu d'eux des sénateurs
gaulois[92].
Un évêque de Vienne, Avitus, ministre du roi Sigismond, se vante encore
d'être sénateur romain en même temps qu'évêque[93]. Un évêque de
Metz, nommé Agiulfe est appelé aussi sénateur par l'historien, et nous savons
en effet qu'il descendait d'une famille sénatoriale du Midi. Plusieurs
personnages du sixième siècle portent ce titre de sénateur, et ils le possèdent
par droit de naissance[94]. On voit même
des femmes qui portent le titre de senatrix[95]. Ces familles, en dépit des désordres du temps et des violences dont elles étaient parfois victimes, conservaient leurs titres et leurs arbres généalogiques (stemmata). Des hommes qui signent le testament de saint Remi mettent à côté de leur nom l'épithète de clarissime ; deux siècles plus Lard un personnage qui rédige un acle de donation se qualifie vir illuster et nomme sa femme femina clarissima. Un autre s'appelle vir spectabilis[96]. Les titres romains restaient encore en faveur. Le nombre d'hommes qui sont appelés nobles dans les chroniques et qui appartiennent manifestement à la race gallo-romaine, est considérable. Un biographe rapporte que Paternus, citoyen de Poitiers, était issu d'une grande famille et fils d'une mère très-noble nommée Julita. Il ajoute qu'une naissance si élevée le destinait naturellement aux grandes fonctions de l'Etat. N'est-il pas digne de remarque qu'un chroniqueur, qui écrivait 80 ans après Clovis, regardât encore les nobles gaulois comme destinés aux plus hauts emplois et nés pour commander[97] ? On pourrait compter, en effet, combien de nobles gaulois furent élevés aux premières dignités par les rois francs ; c'est le noble Mummolénus, qui fut ambassadeur de Childebert ; c'est Valentinus, qui issu de nobles parents et de race romaine, fut maire du palais sous le roi Théodebert ; c'est le sénateur Hortensius qui fut comte d'Auvergne sous Thierry Ier ; c'est le sénateur Grégorius qui, avant d'être évêque, fut comte d'Autun ; c'est un autre sénateur nommé Ennodius qui fut un des grands de la cour de Childebert Ier ; c'est Génésius homme de haute naissance et de grande richesse qui gouverna l'Auvergne sous Childéric II. Pareils exemples abondent dans les chroniques[98]. La noblesse gallo-romaine restait donc en possession d'une grande partie des dignités publiques. Elle y joignait presque toutes les dignités de l'Eglise, et réunissait ainsi dans ses mains la richesse territoriale, l'exercice de l'autorité, l'épiscopat. La population gauloise lui obéissait, la population franque la respectait. Elle était vis-à-vis des rois mérovingiens ce qu'elle avait été vis-à-vis des empereurs. Ses droits n'étaient pas inscrits dans les lois ; mais elle avait en elle tous les éléments de force. Elle était volontiers docile, souvent obséquieuse, toujours puissante. Au lieu de faire opposition aux rois, elle partageait avec eux le gouvernement, et il fallait que les rois prissent parmi elle leurs fonctionnaires, ainsi qu'avaient fait les empereurs. Les documents permettent de reconstituer l'histoire de plusieurs de ces familles et de se faire ainsi une idée de l'état social de cette époque. Saint Bonitus, dit un biographe, était issu d'une illustre lignée, en Auvergne ; son père s'appelait Théodatus, sa mère Syagria ; il appartenait à la noblesse, au sénat romain. Tout jeune, il se rendil à la cour du roi Sigebert. II, et entra à son service. Il devint référendaire, puis préfet de la province de Marseille[99]. Désidérius était né à Alby, vers la fin du sixième siècle d'une des familles les plus nobles de la Gaule. Son père s'appelait Salvius, sa mère Harchénéfride ; il eut deux frères nommés Rusticus et Syagrius. Le premier fut successivement archidiacre de Rhodez, évêque de Cahors, et enfin premier chapelain du roi. Syagrius servit longtemps dans le palais, fut l'un des domestici de Clotaire II, et devint comte d'Alby et recteur de Marseille. Quant à Désidérius, il consacra sa jeunesse à l'étude des lettres ce qui est la meilleure voie pour arriver aux dignités du royaume ; il se livra aussi à l'étude des lois romaines[100]. Au sortir d'une jeunesse si bien employée, il fut admis dans le palais de Clotaire II et fut nommé trésorier du roi. Il vécut au milieu de l'opulence et de l'éclat de la cour. Sous Dagobert Ier, il dirigea foute l'administration des finances du royaume. Il devint ensuite recteur de Marseille en remplacement de son frère Syagrius ; enfin il succéda à son autre frère dans l'évêché de Cahors. C'est là qu'il termina sa vie, sans cesser de correspondre avec tous les grands personnages du royaume. Très-riche par sa famille, devenu plus riche encore par les fonctions qu'il avait remplies, possesseur de plus de quarante domaines, il occupa sa vieillesse à bâtir des églises, à fonder des monastères, à construire des monuments d'utilité publique et à relever les murailles de sa cité épiscopale. Voici une autre famille gallo-romaine, qui aurait eu, s'il faut en croire les chroniques, le triple bonheur d'être alliée à un empereur romain, de s'unir par mariage à la famille mérovingienne, et d'être enfin la souche de la dynastie carolingienne. Au temps de l'empereur Honorius, un noble gaulois nommé Tonantius Ferréolus était préfet du prétoire des Gaules. Sa noblesse était déjà assez ancienne ; il avait un arbre généalogique et comptait plusieurs ancêtres qui avaient été revêtus des dignités romaines. Sa femme Papianilla appartenait à l'illustre famille Syagria et était fille d'un consul. Son fils nommé comme lui Tonantius Ferréolus, et comme lui grand propriétaire, fut gouverneur des Gaules dans l'année même où Attila fut vaincu à Châlons. Il se signala par une bonne administration des finances qui lui permit de diminuer les impôts, et par l'adresse avec laquelle il sut manier le roi des Wisigoths Thorismond. Il était parent par sa mère de l'empereur Avitus. Il vécut jusqu'à 485, et vit par conséquent une suite de rois burgondes et wisigoths ; il ne paraît pas qu'il ait été ministre d'aucun d'eux, comme le furent tant d'autres Gaulois. Sa vieillesse s'écoula au sein de ses riches domaines, dans le commerce des lettres, et surtout au milieu d'une nombreuse et belle bibliothèque[101]. Son fils s'appelait aussi Ferréolus ; on ne sait rien de lui, sinon qu'il était fort riche et qu'il avait les titres de sénateur et d'homme noble. Il laissa six enfants, qui naquirent et vécurent sujets des rois francs ; ils s'appelaient Déotarius, Firminus, Gamardus, Agiulfe, Ragenfrid et Ansbertus[102]. Le premier fonda un monastère et y mourut ; le second fut évêque d'Uzès ; Agiulfe fut évêque de Metz. Ragenfrid qui, suivant un usage assez fréquent, portait deux noms et s'appelait aussi Pœonius, eut un fils nommé Mummolus qui devint patrice du royaume de Bourgogne et fut l'un des meilleurs généraux des rois mérovingiens. Quant au sénateur Ansbertus, la chronique dit qu'il surpassa en bonheur tous ses frères ; car il épousa la fille du roi des Francs Clotaire Ier, nommée Blithilde[103]. De cette union entre le sang des Ferréoli et celui des Mérovingiens, naquirent trois fils et une fille qui s'appelaient Arnold, Ferréolus, Modéric et Tarsitia[104]. Ce Ferréolus, le quatrième du nom, fut évêque d'Uzès comme l'un de ses oncles ; Modéric eut aussi un évêché, et Tarsitia mourut religieuse. L'aîné Arnold fut père d'Arnulf qui devint évêque de Metz. Les chroniqueurs ne manquent pas de vanter la noblesse et l'opulence de cet Arnulf, et ce qui ne laisse pas de paraître singulier c'est qu'ils le louent moins d'être le petit-fils de la mérovingienne Blithilde, que de descendre d'une antique race de sénateurs qui surpassait en noblesse toute la France et même la Gaule entière[105]. Il fut tout-puissant sous Dagobert Ier et partagea la direction des affaires avec Pépin de Landen. Il laissa un fils nommé Anségise q.ui épousa Begga et fut père de Pépin de Héristal. Les Carolingiens descendent de cette lignée, et l'on sait qu'ils en tenaient un patrimoine considérable composé de domaines situés au sud de la Loire. — Cette généalogie d'une famille gauloise est mentionnée dans sept documents de nature diverse, et elle fut acceptée comme vraie par les rois carolingiens. Si l'on doute qu'elle soit exacte, elle prouve au moins deux choses : l'une, qu'une telle généalogie semblait possible, c'est-à-dire qu'on ne trouvait rien d'étonnant à ce qu'une famille gallo-romaine fût restée riche et noble sous les rois francs ; l'autre, qu'une telle généalogie semblait honorable et que les Carolingiens se flattaient de descendre, non d'une antique famille germaine, mais d'une noble maison de sénateurs gallo-romains unie par mariage à la famille régnante. Il ne faudrait pas conclure de tout cela que la noblesse gauloise fût plus estimée que la noblesse franque ; il faut seulement croire que les hommes nobles qui nous sont signalés par toutes les chroniques de cette époque, pouvaient aussi bien appartenir à la population gauloise qu'à la population franque. Il est impossible de dire si dans cette noblesse il y avait plus de sang germanique ou plus de sang gaulois ; ce qu'on peut affirmer, c'est que pour être réputé noble, il n'était pas nécessaire d'être un Germain. On ne s'attend sans doute pas à ce que cette noblesse pût être aussi fortement constituée au septième siècle qu'elle devait l'être au onzième. Se figurer les nobles de l'époque mérovingienne comme les barons du temps de Louis VI ou comme les gentilshommes du temps de Louis XIV, serait se tromper beaucoup. La noblesse n'était pas encore l'institution fondamentale de la société. Elle n'avait pas ses privilèges assurés par les lois ; elle n'avait pas ses règles fixes, ses conditions immuables, ses droits et ses devoirs bien marqués ; elle était encore incertaine et flottante. Il eût été difficile à un contemporain de la définir ; elle n'était pas encore un état légal. Nous verrons au onzième siècle ce qu'on peut appeler pour celle noblesse l'âge de maturité ; elle aura alors ses lois, ses règles, ses prérogatives également acceptées du gouvernement et des populations, ses privilèges utiles et ses titres, sa puissance et ses honneurs. Longtemps après, au dix-septième siècle, on verra son âge de caducité ; alors, la puissance aura glissé de ses mains, mais elle conservera du moins ses honneurs, ses titres, ses règlements, ses privilèges de vanité et son blason. A l'époque dont nous parlons ici, elle est encore dans une sorte d'enfance ; rien de fixé, rien de bien arrêté ; ses règles sont vagues ; son caractère indécis. Elle n'est encore ni proprement militaire ni essentiellement féodale. Elle ne fait que naître, et comme la société autour d'elle est pleine de troubles, sa destinée dépendra des éléments qui y prévaudront. Elle est comme un être qui arrive à la vie, et dont on ne distingue pas encore les organes, parce que ses organes se développeront plus tard suivant le milieu où il devra vivre. FIN DU DEUXIÈME VOLUME |
[1] Procope, De bello gothico,
I, 12.
[2] Voyez Diplomata, passim.
[3] Les rois mérovingiens nommaient les évêques ou confirmaient au moins l'élection par un diplôme qu'on appelait præceptio ou jussio. (Grégoire de Tours, III, 2, 17 ; IV, 6, 7, 15, 18 ; VIII, 22 ; IX, 25 ; Vitæ Patrum, 6. — Concile d'Orléans de 511, can. 4.)
[4] Voyez surtout Frédégaire et ses continuateurs ; la Vie de S. Léger ; les chroniques de S. Berlin et de S. Waast.
[5] La loi salique emploie tour à tour le mol franc avec ses deux significations. Il a un sens national dans le Prologue ; dans le corps de la loi il signifie homme libre et est synonyme d'ingénu. Voyez le litre XXV qui interdit le mariage entre libre et esclave ; le premier et le deuxième texte portent : Si quis ingenuus ; le troisième et le cinquième portent : Si quis francus. — Un article se trouve répété deux fois (XIV, 11, et XXVII, 5) ; il n'y a de différent que le mot ingenuus dans un titre, et francus dans l'autre. — Pour l'homicide, on lit, au titre XLIII : Si quis ingenuus occident ; et dans le document appelé Septem Septennas on lit : Si quis francus. — Ailleurs encore on trouve dans certains textes : Si quis ingenuus ingenuum castraverit ; et dans d'autres : Si quis salicus salicum castraverit, avec l'énoncé de la même peine. — Dans la Decretio Childeberti de 595, article 8, le mot francus est opposé à debilior persona, exactement comme, dans la Constitutio de 554, ingenuus est opposé à persona servilis. — Plus tard, la synonymie des deux termes apparaît encore mieux : Si francus homo vel ingenua femina se in servitio implicaverit. (5e capitulaire de 819, art. 6.) — Si francus homo accepit mulierem et sperat quod ingenua sit... Similiter si femina ingenua accepit servum. (Capitul. de 757, art. 5.) — Un capitulaire de 805 parle des esclaves qui épousent des femmes libres et les font tomber en servitude : Servi qui francas feminas acceperunt.
[6] Dans le 5e capitulaire de 819, la même chose est exprimée sous ces deux formes : Si quis ingenuus ancillam in conjugium acceperit, et Si francus homo ancillam in conjugium sumpserit — Le capitulaire de 861, art. 55, oppose le francus homo aux coloni et aux servi. — L'édit de Pistes de 864 parle des hommes libres qui se font esclaves : Franci hommes qui seipsos ad servitium vendiderunt. — Dans une formule (n° 479), nous voyons un procès sur une question de liberté ; on dit à un homme qu'il est colon et fils de colon ; il réplique qu'il est né de parents libres : Ipse denegabat dicens quod de paire franco et de maire franca esset generalus. — Il est dit dans une charte (Polypt. d'Irminon, append., p. 291) qu'on a comparu devant plusieurs témoins, les uns colons, les autres libres : Coram testibus multis, ffancis videlicet atque colonis. — Ailleurs (Hincmari opera, t. II, p. 555) nous voyons un homme qu'on veut contraindre à paraître en justice comme serf et qui répond qu'il est libre, quod francus esset. Voyez Guérard, Polypt. d'Irminon, p. 222.
[7] Il y avait en Gaule une provincia ripensis, c'était la vallée du Rhône. Le nom de Ripuaires ne se trouve pas dans la vallée du Rhin.
[8] Grégoire de Tours, Hist. Franc., II, 40.
[9] Provincia ripuaria, pagus ripuarius. (Loi des Ripuaires, LXXXVIII.)
[10] Notitia dignitatum, t. I, p. 18, 19 ; t. II, p. 18, 24, 37.
[11] Ammien, XVII, 8 : Petit primos omnium Francos, eos videlicet quos consuetudo Salios appellavit. — Cf. Zosime, III, 6.
[12] Il appelle Clovis un Sicambre (II, 27). Fortunatus dit aussi de Caribert : Cum sis progenitus clara de gente Sicamber.
[13] On a cherché l'étymologie du mot Salien ; il n'était pas difficile de trouver un nom de rivière qui lui ressemblât. Il y a, en effet, une Sala qui coule en Saxe, une autre Sala qui coule en Franconie, et l'Yssel qui s'est appelé Sala. Le savant Guérard a mieux vu la vérité quand il a dit que ce mot dérivait plutôt du radical sala, qui était fort employé dans la langue du sixième siècle et qui signifiait maison. Serait-ce une conjecture trop téméraire de penser que l'on a appelé salici ceux qui possédaient maison et terre ? Ce terme aurait eu à peu près la même valeur que le mot bourgeois a eue au moyen âge. La loi salique serait la loi des propriétaires, comme il y a eu plus tard la loi des fiefs et les assises des bourgeois. Cette dénomination lui convient particulièrement ; à l'observer en détail, on voit qu'elle est bien une loi de propriétaires fonciers.
[14] Decretio Childeberli, ann. 595, art. 14.
[15] Comparer, dans la loi salique, les textes suivants : Lex Emendata, XXXI, 18 ; Wolfenbuttel, 94 ; Hérold, XXXII, 19 ; le rapprochement de ces trois textes montre la synonymie des mots salicus et ingenuus.
[16] Loi des Burgondes, II : Si quis hominem ingenuum cujuslibet nationis occiderit, non aliter admissum crimen quam. sanguinis sui effusione componat. — XXIX : Si quis occiderit, occidatur. — Lex Wisigothorum (antiqua), XI, 5, 11 : Omnis homo si voluntate, non casu, occideri hominem, pro homicidio puniatur. — Decretio Childeberti, art. 5 : Quicumque alium occiderit, vitæ periculo feriatur et nullo pretio se redimat. Cette loi est rédigée en Austrasie et s'applique surtout aux Francs.
[17] Medietatem pretii secundum qualitatem personœ occisi. (Loi des Burgondes, II. Cf. ibid., XLVIII.)
[18] Édit de Rotharis, 140, 142 : Pretium quod valuit.
[19] Pretium, id est, wergeld. — Pretium ejus, quod wergeldum vulgari locutione vocant. (Chartes citées dans Ducange.) — Cf. Édit de Rotharis, 11 : Sicut appretiatus fuerit, id est, wergeld.
[20] Decretio Childeberti, ann. 595, art. 10.
[21] Medietatem prelii sui. (Loi des Burgondes, 55, 4.)
[22] Loi des Frisons, IX, 8 : Componat et werigildum suum, sive nobilis sive libera fuerit.
[23] Loi salique, 50 : Quantum valet se redimat.
[24] Lois de Luitprand, 84 et 91.
[25] En cas de meurtre, le chiffre de la composition est le même que celui du wergeld du mort, ou bien il en est un multiple. En certains cas, le coupable est condamné à payer trois fois ou même neuf fois le wergeld de la victime. (Loi des Ripuaires, 65 ; loi des Alamans, cap. add. 25.)
[26] Il ne faut pas écrire wehrgeld, comme si la racine était wehr, guerre. Ce mot, qui signifie le prix de l'homme, est composé de geld et d'un ancien radical wer, analogue au latin vir, à l'anglo-saxon were, au vieux français ber, et qui signifie l'homme. — Les lois anglo-saxonnes, au lieu de dire prix de l'homme ou wergeld, disent simplement l'homme, were. La loi salique fait de même ; au lieu du mot wergeld, elle emploie parfois leudis qui veut dire un homme ou une vie : Si quelqu'un a été jeté dans un puits et qu'il soit mort, la composition sera de toute la valeur qu'avait, sa vie : Tota leude sua componatur ; s'il n'est pas mort, on ne payera que la moitié de son prix : Medietatem leudis suœ (tit. XLIV, 11).
[27] Loi salique, 41 : Si quis ingenuo franco... occident, solidos 200 culp. judicetur... Si vero romano possessore, solidos 100.
[28] Loi salique, édit. Merkel, tit. XIV et XXXIX.
[29] Il en est de même dans les formules de Marculfe.
[30] Loi des Burgondes, 13 : Si quistam burgundio quant romanus.... — 15 : Quod inter Burgundiones et Romanos œquali conditione volumus custodiri. — 26 : Optimati burgundioni vel romano nobili ; de mediocribus personis tant burgundionibus quam romanis. — 2e addit., 12 : Vel romanus comes vel burgundio. — Cf. Loi des Wisigoths, III, 1, 1.
[31] Aussi M. Guizot, ce puissant et clair esprit, s'est-il refusé à voir dans les différences du wergeld le signe d'une inégalité entre les deux races. (Voyez Essais sur l'Histoire de France, IV, 2.)
[32] Inœ leges, c. 17 : Pretium nativitatis, seu wera. — Leges Canuti : Wera, id est, pretium nativiatis. — Leges Henrici I, c. 68 : Natalis sui prelio. — 5e capitulaire de 815 : Si quis comes occisus fuerit, in tres wirgildos sicut sua nativitas est componatur. — Le mot generositas a le même sens dans l'Édit de Rotharis, c. 75.
[33] Loi des Burgondes, 2 : Pretium secundum qualitatem personnœ.
[34] Loi des Burgondes, titres, II, X, XXVI, XXXII, LX.
[35] Loi des Wisigoths, VIII, 4, 10 : Pro libertis medietas hujus compositionis solvatur. — Loi des Alamans, 17, 68, 79 ; Loi des Bavarois, III, 13 ; IV, 11 ; V, 18 ; VII, 1.
[36]
Loi des Frisons, tit. I ; cf. Epilogus.
— Lex Angliorum et Werinorum, id est Thuringorum, lit. I et IX.
[37] Loi salique, titres XI, XII, XXXV, XLI, LIV.
[38] On trouve le mot au chapitre 26, mais seulement dans le titre, et les dispositions de ce chapitre ne visent que le lite et le denarialis.
[39] Cela a été démontré par Pardessus, Loi salique, p. 459 et 531, et par M. Deloche, la Trustis et l'antrustion royal, p. 526.
[40] Comparez le titre XLI : Romanus homo conviva regis, à la Recapitulatio legis salicœ, 33 : Antrustio puer regius. Antrustio correspond à conviva regis, et puer regius à romanus homo.
[41] Voyez entre autres l'article 55 de la Loi des Ripuaires.
[42] Loi salique : 42 : De romanis vel letis et pueris, hœc lex ex medietate solvatur. — 75 (édit. Merkel, p. 57) : Hœc lex de militunias vel letas sive romanas in medictate convenit observari.
[43] Loi des Ripuaires, 55 : Si quis clericum interfecerit, juxta quod fuit nalivitas ejus componatur ; si servus, sicut servum ; si litus, sicut litum ; si liber, sicut alium ingenuum.
[44] Loi des Ripuaires, litres VII, VIII, IX, X.
[45] Loi des Ripuaires, 10 : In compositione unde Ripuarius 15 solidis culpabilis judicetur, regius et ecclesiasticus homo medietatem componat.
[46] Loi des Ripuaires, 58, 8 : Si tabularius est, vel regius seu romanus homo, qui hoc fecit, super septem noctes ; si francus, super quatuordecim, etc. Il faut noter que tous les articles relatifs à l'homme romain se trouvent réunis sous un même titre : De tabulariis. Or le tabularius était l'homme qui avait été affranchi per tabulas, suivant le mode romain. La lecture des vingt et un articles de ce titre montre bien que le romanus, le regius et l'ecclesiasticus sont tous les trois également des tabularii.
[47] Loi des Ripuaires, 65 et 87.
[48] Loi des Ripuaires, 58, 11 : Si ecclesiasticus, romanus vel regius homo ingenuam ripuariam acceperit, aut si romana, vel regia, seu tributaria ingenuum ripuarium in matrimonium acceperit, generatio eorum ad inferiora declinctur. Comparez la Loi des Wisigoths, III, 2, 2 : Si mulier ingenua liberto se conjunxerit. — Loi salique, XIV, 7 : Si ingenua puerum regium aut lilum secuta fuerit, ingenuitatem suam perdat.
[49] Il est si vrai que le civis romanus de la Loi des Ripuaires est un affranchi, que cette loi parle de son ancien maître, dominus ejus (tit. LXI, § 5). On sait qu'en droit romain le maître pouvait par un double affranchissement élever l'affranchi à la condition d'homme libre ; il en était de même dans le droit des Francs. Le maître qui avait fait d'abord de son esclave un affranchi, pouvait ensuite faire de cet affranchi un homme libre, en usant de la formalité du denier devant le roi. Cet article montre que tout esclave, sans distinction de race, pouvait devenir un romain, et que tout romain, encore sans distinction de race, pouvait devenir un denarialis. (Lex Ripuar., lit. LXI et LVII.)
[50] Gaïus, I, 10 : Libertinorum tria sunt genera, aut cives romani, aut latini, aut dedititiorum numéro. — Cf. Ulpien, 1. — Nous ne parlons pas des affranchis déditices ; ils ont disparu avant la fin de l'empire.
[51] Formules (édit. de Rozière), n° 71 : Ab omni jugo servitutis absolutum fore civemque romanum appellari. Cf. 62-88. Les diverses catégories d'affranchis sont énumérées dans la formule 64. On trouve aussi le féminin civis romana pour désigner une affranchie.
[52] Il est vrai que le maître dit quelquefois en affranchissant son esclave : Vitam ducat ingenuam ; mais nous verrons plus loin qu'il ne faut pas prendre cette formule à la lettre.
[53] Loi des Ripuaires, 61 : Si servum suum liberum fecerit et civem romanum.
[54] Il n'est pas de notre sujet de rechercher à quelle époque les Francs ont songé a se donner des lois, ni s'ils les ont d'abord rédigées en langue germanique ou en langue latine ; ce qui est certain, c'est que les lois salique et ripuaire, sous la forme où elles nous sont parvenues, ne sont pas antérieures aux premières années du septième siècle. Elles renferment sans doute des articles d'une époque plus ancienne ; mais ce n'est pas dans ces anciens articles que l'on rencontre l'expression romanus homo. La loi des Burgondes, qui donne au terme de romain son sens ethnique, a été rédigée entre 471 et 517, c'est-à-dire, plus d'un siècle avant la rédaction que nous avons des lois franques. On conçoit que dans cet intervalle le sens d'un mot ait pu se modifier.
[55] Ce n'est pas qu'on ne le trouve encore employé comme nom de nation. L'article 56 de la loi des Ripuaires vise le meurtre commis contre un étranger, et elle distingue l'étranger Franc, c'est-à-dire l'homme de Neustrie, l'étranger qui appartient au royaume de Burgondie ou aux pays des Alamans et des Bavarois, et enfin l'étranger Romain. — Nous avons vu que le mot francus avait aussi la double signification d'homme libre et d'homme du royaume franc ; il a ce second sens dans l'article 41 de la Loi salique : Si quis ingenuum Francum aut barbarum qui lege salica vivit ; si l'on a tué un ingénu du pays Franc ou un étranger vivant suivant la Loi salique.
[56] Loi salique, 28, 44, 52 ; Loi des Ripuaires, 62 ; Loi des Frisons, 1. — Voyez Naudet, Mém. de l'Acad. des inscriptions, t. VII ; Pardessus, Loi salique, p. 461-485 ; Guérard, Polypt. d'Irminon, prolég., p. 256275 ; Deloche, la Trustis, p. 552-545.
[57] Loi salique, 50 ; Loi des Ripuaires, 57, 58, 61, 62 ; 4e capitulaire de 805. Les autres lois germaniques ne mentionnent pas le denarialis, mais elles signalent, sous un autre nom, une classe analogue d'affranchis ; le code des Wisigoths les appelle liberii idonei, celui des Lombards, fulfreal ou amund. Cf. Loi des Burgondes, 57.
[58] Le titre LXI de la Loi des Ripuaires montre que le même esclave pouvait devenir successivement un romanus et un denarialis.
[59] Il y a une exception à faire pour le denarialis.
[60] Formules, n° 62-87.
[61] Loi des Ripuaires, 58 : Tam ipse quam procreatio ejus sub tuitione Ecclesiœ consistant et omnem reditum status aut servitium tabularii Ecclesiœ reddant. — Diplomata, n° 559 : Omnes liberti nostri ad Ecclesiam S. Petri aspiciant et obsequium et impensionem ad Ecclesiam facere debeant. On appelait ces hommes homines ecclesiastici.
[62] Diplomata, n° 437.
[63] Loi des Ripuaires, 57. On l'appelait homo regius ou puer regius.
[64] Ce service d'affranchi est ordinairement désigné dans les actes par les mots : libertinitatis obsequium, servitium ingenuitatis, onus patronatus.
[65] Diplomata, n° 459 : Trado servos utriusque sexus et liberos qui obsequium ibi faciunt. Dans un grand nombre d'actes on voit vendre ou léguer des terres, una cum ingenuis, libertis, colonis et servis.
[66] Loi des Burgondes, 40 ; Loi des Wisigoths, V, 7 ; Diplomata, n° 559.
[67] Loi des Ripuaires, 58, §§ 12 et 13.
[68] Celui que la Loi salique appelle romanus homo tributarius est appelé simplement tributarius dans la Loi des Ripuaires, et est placé au niveau des lites (tit. XXII) : Si quis servum suum tributarium aut litum fecerit. — L'expression romani tributates se rencontre dans un cartulaire de l'église de Salzbourg (Polypt. d'Irminon, p. 568) : Ii qui dicuntur romani tributates. Il est clair que, dans cet exemple, il ne s'agit pas d'hommes de race romaine, mais d'anciens affranchis soumis à la redevance.
[69] Formules, 72, 74 : Suum peculiare quod mine habel aut adipisci valuerit, libérant disponendi habeat facultatem. — 66 : Peculiare suum in perpetuum habeat et inde facial quidquid placuerit. — 84 : Testamentum etiam faciendi licentiam habeat. — Diplomata, n° 452.
[70] Dans cette société, on ne pouvait être vraiment libre que si l'on possédait le sol. Le titre LVII de la Loi burgonde rappelle un liait des habitudes romaines, lorsqu'il dit que l'affranchi n'est pas tout à fait hors de l'autorité du maître, si celui-ci ne lui a pas donné une tertia ; ce mot, fréquemment employé dans les actes, désigne un lot de terre. Grégoire de Tours (III, 15) raconte qu'un esclave, nommé Léon, a sauvé le neveu de son maître ; celui-ci veut lui assurer un affranchissement complet, aussi lui donne-t-il une terre en toute propriété, terram propriam : L'homme absolument affranchi est donc toujours un propriétaire, et c'est à ce signe qu'on le reconnaît ; aussi la Loi salique, dans le texte révisé par Charlemagne, le définit-elle ainsi : Romanus homo possessor, id est, qui res proprias possidet.
[71] Loi des Ripuaires, 58 : Ipse tabularius et procreatio ejus tabularii persistant. Voyez Diplomata, passim.
[72] La Loi salique (tit. XXVIII) parle des lites qui allaient à l'armée avec leurs maîtres. — Cf. Grég. de Tours, V, 27 ; VII, 42.
[73] Grégoire de Tours, II, 42 : Leudes Ragnachari. Cf. II. 25. Frédégaire, chr., 27. On disait de même, en employant le mot latin, homines regis. (Grég. de Tours, VII, 15 ; VIII, 11.)
[74] Frédégaire, 58 : Leudes tam sublimes quant pauperes.
[75] Grégoire de Tours, VIII, 9.
[76] Si quis romanum vel litum in truste dominica. (Recapitulatio legis salicœ. Pardessus, p. 558.)
[77] Grégoire de Tours, IV, 47 ; V, 49 ; VII, 14. Loi salique, 57.
[78] Parentes Gregorii fuerunt rebus locupleres et natalibus illustres. (V. S. Gregorii, ab Odone.) — Marculfus abbas ex nobilissimis ditissimisque Baiocassinis civibus exortus. (V. S. Marculfi.) — Ansbertus nobili erat ortus genere, sed repudiato stemmate patrum.... (Bouquet, t. III, p. 616.) — Desiderius parentibus honestissimis et apud gallicanas familias prœ cœteris generositate omatus (V. Desiderii Caturc.) — S. Leodegarius terrena generositate nobiliter exortus. (V. Leodegarii.) — S. Drausius superbo natus sanguine speciabilem lineam traxit de parenium nobilitate. (V. S. Drausii.) — S. Gallus ita de primoribus senatoribus fuit ut in Galliis nihil inveniatur nobilius. (Grégoire de Tours, V. Patrum, VI.)
[79] Une formule de supplique à un grand personnage (n° 666) porte : Domino... nobilitatis prosapia decorato.
[80] Diplomata, 514 : Astante nobili et vulgari populo. — Vita Desiderii Vienn. : Alloquitur nobiles et ignobiles, plebeios et militares.
[81] Grégoire de Tours, X, 8 : ex matre nobilem, ex patre inferiorem.
[82] Grégoire de Tours (V. Patrum, 9) distingue bien les nobles des hommes libres : Erant non quidem nobilitate sublimes, ingenui tamen.
[83] Grégoire de Tours, III, 30 ; V, 35 ; VI, 45 ; VII, 19 et 32.
[84] Le mot seniores est employé pour désigner la haute classe par Grégoire de Tours, IV, 27 ; V, 51 ; VI, 51 ; VII, 55 ; VIII, 51. Frédégaire, 58, et 89. Loi des Wisigoths, III, 1, 5. Formules d'Anjou, 52.
[85] Si ingenuus aut honoratior persona. (Prœc. Childeberti.) — Si quislibet de potentibus. (Décret. Clotarii.) — Episcopi vel patentes. (Decr. Clotarii II, ann. 615.) — Cf. code des Wisigoths, II, 4 : Si honestior persona fuerit. Les mots patentes et honestiores personœ étaient déjà employés dans le code Théodosien pour désigner la classe supérieure.
[86] Voyez Loi des Burgondes, 26 ; Loi des Alamans, 25-27 ; Loi des Frisons, 1 ; Lois des Anglo-Saxons, passim.
[87] Les Alamans distinguaient les hommes libres en trois classes : les primi, les medii, et les minoflidi.
[88] Loi des Burgondes, 26 : Optimati Burgundioni et nobili Romano. — Edict. Theodorici, 44 : Potens Romanus et potens Gothus.
[89] On distinguait parmi les Francs des majores et des minores, des meliores et des minoflidi. (Pertz, t. II, p. 4 ; t. III, p. 56.)
[90] Fortunatus, Carm., IV, 26. — Vita Landelini : Claro stemmate orius ex progenie celsa Francorunt et nobilissima. — Vita Gertrudis : Edita ex antiquo Francorunt genere claro. — Vita Salabergœ : Clarissima, nobilis natalibus. — Vita Ragnoberii : Quos ex Francorum genere alla ortos progenie nobilitatis videret.
[91] Grégoire de Tours, IV, 16 : Virum magnificum, civem Arvernum. Formules, n° 62 : In prœsentia sacerdotum atque magnificis viris.
[92] Grégoire de Tours, II, 55.. Cf. III, 15 ; Vitœ Patrum, VI.
[93] Avitus, Lettres, 51 : Senator ipse Romanus.
[94] Grégoire de Tours (VI, 59) dit d'un évêque, son contemporain : Est vir valde nobilis et de primis senatoribus Galliarum.
[95] V. S. Desiderii Caturc, 16 : Bobila senatrix romana. — V. S. Apollinaris Valent. — V. S. Lupicini, 10.
[96] Diplomata, n° 118 et 458.
[97] Vita S. Paterni (Bouquet, t. III, p. 424) : S. Paternus... generosis parentibus exortus, in administrationem publicam procreatus.
[98] Grégoire de Tours, Vitœ Patrum, IV, 5. Fortunatus, Carm., VII, 14. Vita Leodegarii, ab Anon., 5. Vita S. Prœjecti (Bouquet, III, 595).
[99] Vita Boniti (Bouquet, III, 622) : Inclyta Bonitus progenie Arvernicœ urbis oriundus fuit... e senatu romano, nobili prosapia... Regis ad autant processit seque Sigeberti principis ministerio tradidit...
[100] V. Desiderii (Bouquet, III, 527 ; Patrolog. lat., t. 88) : Post litterarum studia, quœ florentissima sunt, adductis inde conturbernii regalis dignitatibus... Deinde legum Romanarum indagationi studuit.
[101] Sidoine Apollinaire, Lett., I, 7 ; II, 9 ; VII, 2 et 12. Cf. Histoire littéraire de la France, t. II, p. 540.
[102] Voyez Pertz, Monum. Germaniœ, t. II, p. 509-510.
[103] Prosapia regum Francorum (Pertz, ibid.) : Ansbertus, qui fuit ex genere senatorum, vir nobilis et multis divitus pollens accepit filiam Chlolarii regis, nomine Blithild.
[104] Chlotarius primus genuit filiam nomine Blithildem, quam. Ansbertus, vir senatoriœ dignitatis, meruit uxorem, ex qua genuit Arnoldum, Ferreolum ac Modericum. (Ex chronico Centulensi, Bouquet, III, 551.) — Suivant une autre chronique, Blithilde aurait été la sœur et non la fille de Clotaire. (Chronicon Virdunense ; Bouquet, III, 558.) — Cf. Sigebert de Gembloux (Bouquet, III, 541) : S. Arnulfus, filius Arnoldi, filii Ansberii ex Blithilde, filia Clolarii primi. — Voyez encore : Carmen antiquissimum de origine gentis Carolinœ, dans Pertz, t. II, p. 515.
[105] Vita S. Clodulfi (Bouquet, III, 542) : Arnulfus, ex antiquo senatorum genere patre Arnoaldo procreatus, Franciam omnem, imo totam Galliam nobilitate ac generositale superavit.