Entre l'histoire de la Gaule romaine et celle de la France, se place l'invasion germanique. Cet événement doit être étudié avec attention ; il importe, en effet, de savoir s'il a apporté de grands changements dans les institutions ou dans les idées politiques, dans l'état social ou dans les mœurs de la Gaule. Pour résoudre ce problème, il faut avant tout se faire une idée exacte des populations que l'on appelle germaines. Avant de voir ce qu'elles étaient au moment de l'invasion, il est nécessaire d'observer ce qu'elles avaient été quatre siècles auparavant. On saura ainsi quel était leur vrai caractère, quel était le fond de leur état social, et si elles apportaient dans le monde où elles allaient entrer quelques institutions qui leur fussent particulières. L'empire romain avait pour limites du côté de la Gaule le cours du Rhin. Au delà de ce fleuve étaient des peuples divers qu'il était assez difficile de désigner par un seul nom. Les habitants de l'empire avaient pris l'habitude, on ne sait pour quel motif, de les appeler Germains[1] ; mais eux-mêmes ne s'appelaient pas ainsi. Le terme de Teutons, qui est devenu depuis d'un grand usage, ne s'appliquait qu'à la moindre partie d'entre eux. On ne voit à aucune marque certaine que ces peuples eussent un nom qui leur fût commun. C'est qu'ils ne formaient pas un corps de nation. Il n'existait entre eux aucune sorte d'unité. Ils ignoraient, non-seulement la centralisation, mais même le fédéralisme. Ils étaient une quarantaine de peuples absolument indépendants et sans lien, et ils se faisaient souvent la guerre pour se disputer le sol. Ces hommes, que nous appellerons du nom convenu de Germains, n'appartenaient pas à une autre race que les peuples de l'empire. Leurs ancêtres, comme ceux des Gaulois, des Italiens, des Hellènes, étaient venus de l'Asie centrale et faisaient partie de la grande race indo-européenne. Ces quatre groupes de peuples, que le cours des siècles avait rendus si différents entre eux, avaient eu la même origine et s'étaient longtemps ressemblé. Ils avaient emporté du berceau commun un même fonds de croyances, de langage, de pensées, d'institutions sociales. Seulement, le progrès avait été rapide pour les uns et lent pour les autres. Les Hellènes d'abord, puis les Italiens, à la fin les Gaulois avaient accru leur force intellectuelle par la culture ; les Germains, au contraire, sous un ciel rigoureux et sur un sol encore couvert de forêts et de marécages, n'avaient pu faire les mêmes progrès. Ils se trouvaient donc encore, ou peu s'en fallait, au même degré de civilisation où avait été toute cette famille de peuples dix siècles auparavant. Leur religion était celle des âges primitifs de leur race[2] ; ils adoraient les dieux qu'avaient autrefois adorés les plus vieilles populations de la Grèce et de l'Italie : le soleil qui éclaire, la terre qui nourrit, le glaive qui tue[3]. Plus la religion était grossière et le dogme vague, plus le prêtre avait d'empire. Chez les Semnons, dit Tacite, c'est la divinité qui règne ; tout lui est soumis et obéissant[4]. — Les prêtres, dit-il ailleurs, ont le pouvoir d'enchaîner et de frapper de mort. — Ce sont eux qui président les assemblées publiques, et ils ont le droit de punir. L'un des plus graves châtiments était une sorte d'excommunication par laquelle ils interdisaient à un homme l'approche des cérémonies religieuses[5]. L'usage des sacrifices humains n'avait pas encore disparu[6]. Ils avaient des auspices comme les Romains et les Grecs[7] ; les prophétesses étaient aussi vénérées chez eux qu'elles l'avaient été à Dodone et à Delphes[8]. Ils n'avaient pas d'ailleurs plus de temples que les Italiens n'en avaient eu au temps d'Évandre, et leurs idoles étaient des objets informes comme celles des plus anciens Grecs[9]. La notion même de l'art leur manquait. Ces Germains ont été tour à tour injustement rabaissés ou exaltés sans mesure. La vérité est entre les deux extrêmes. Ils n'étaient pas des sauvages et ne ressemblaient en aucune façon aux peuplades de l'Amérique ou de l'Australie. Le géographe Strabon, qui écrivait cinquante ans après César, à une époque où les commerçants romains visitaient la Germanie et où beaucoup de Germains vivaient à Rome, dit que ces peuples étaient de son temps ce que les Gaulois avaient été avant la conquête romaine ; Gaulois et Germains se ressemblent physiquement et politiquement ; ils ont le même genre de vie et les mêmes institutions[10]. Ils n'étaient pas des nomades. Jamais la race indo-européenne n'eut de goût pour la vie errante. Tacite, qui rapporte tous les traits qui l'ont frappé chez les Germains, n'en signale pas un seul qui soit la marque d'un peuple exclusivement chasseur ou pasteur. Il ne les représente jamais comme Hérodote a représenté les Scythes ou comme furent plus tard les Huns. Il les distingue des Sarmates en ce point surtout que ceux-ci vivent dans des chariots tandis que les Germains se construisent des maisons[11]. Il est si éloigné de croire qu'ils soient une population nomade, qu'il les dit autochtones ; il lui semble, à lui qui a vu la Germanie et qui a conversé avec beaucoup de Germains, que ces hommes sont établis dans le pays depuis un temps immémorial ; il est vraisemblable que les Germains qu'il a connus avaient perdu le souvenir de leurs anciennes migrations. Ces hommes étaient agriculteurs. Ils aimaient la terre ; ils se fixaient au sol autant qu'il leur était possible et ne le quittaient guère que quand ils en étaient chassés par d'autres peuples[12]. Ils le cultivaient aussi bien que le pouvaient faire des hommes peu industrieux, et ils se nourrissaient de blé[13]. Ils ne vivaient ni sous des tentes, ni sur des chariots, ni dans des huttes ; ils avaient des maisons, des fermes, des villages, même des forteresses[14] ; il leur manquait encore d'avoir des villes. Les distinctions sociales étaient les mêmes chez les Germains que chez tous les anciens peuples. Ils avaient des esclaves, que le maître pouvait vendre et qu'il pouvait tuer impunément[15]. La plupart d'entre eux étaient attachés à la terre, ce qui était assez naturel dans une société qui n'avait pas de villes ; voués à la culture du sol, ils en donnaient les produits à leurs maîtres[16] : c'était la condition des anciens ilotes de Sparte, des thètes de l'Attique, des pénestes de Thessalie ; tous ces hommes avaient été jadis des serfs de la glèbe fort semblables à ceux que Tacite remarquait en Germanie. Au-dessus des esclaves, mais au-dessous des hommes libres se trouvait une classe d'affranchis, comme dans la société romaine ; ce sont probablement les mêmes hommes que la langue germanique appelait lites ; ils ne s'élevaient pas fort au-dessus de la servitude[17]. Dans la liberté même il y avait des degrés. Tacite distingue fréquemment les simples hommes libres et les nobles[18]. Tous les documents germaniques signalent aussi l'existence d'une noblesse héréditaire. Elle est mentionnée par le code des Bavarois, par celui des Thuringiens, par celui des Frisons, par ceux des Anglo-Saxons. Un écrivain du neuvième siècle nous apprend qu'encore à cette époque les Saxons étaient partagés en trois ordres, celui des nobles, celui des hommes libres, et celui des lites, sans parler des esclaves[19]. Cette noblesse germaine ne ressemblait pas à celle que nous avons observée dans l'empire romain. Elle se rapprochait plutôt de l'aristocratie primitive de l'ancienne Grèce et de l'ancienne Rome ; elle se composait de familles qui disaient descendre des dieux et qui étaient revêtues d'un caractère sacré. Comme les Patriciens de Rome et les Eupatrides d'Athènes, ces anciens nobles de la Germanie étaient à la fois prêtres et guerriers[20]. Les légendes Scandinaves, à défaut de légendes purement germaniques, peuvent nous donner une idée de ce vieil état social. C'était la divinité elle-même, disait-on, qui avait établi trois castes d'hommes éternellement inégales. Elle avait fait naître d'abord le serf qui avait le teint noir, les mains calleuses, le dos voûté ; sa tâche était de labourer les champs, de creuser les tourbières, de garder les chèvres et les porcs. Puis elle avait fait naître l'homme libre aux yeux brillants, au teint coloré, qui savait dompter les taureaux, fabriquer la charrue, construire des maisons, établir des greniers. Le Dieu avait enfin engendré le noble aux joues vermeilles, au regard aussi perçant que celui du dragon, qui savait brandir la lance, ployer l'arc, chevaucher hardiment ; c'était lui qui possédait en toute propriété les champs héréditaires et la maison des ancêtres ; il connaissait aussi les runes, les rites sacrés, et le vol des oiseaux[21]. La famille s'était constituée chez les Germains suivant les mêmes règles que chez tous les peuples de la même race ; la gens antique de Rome, le γένος des Grecs se retrouvaient en Germanie. Cette famille était un groupe étendu et compact ; elle comprenait des hommes libres, des clients, des compagnons, des lites, des serviteurs[22]. Elle formait un corps tellement indivisible qu'en justice elle comparaissait tout entière, qu'elle était solidairement responsable des dettes où des fautes de chacun de ses membres, et que même à la guerre elle marchait en un seul faisceau[23]. Elle était soumise à l'autorité du chef de famille qui avait gardé chez les Germains presque toute la puissance qu'il avait eue dans les premiers temps de Rome et de la Grèce[24]. Sur l'état politique de ces Germains au premier siècle de notre ère, nous trouvons des renseignements d'une rare précision dans les ouvrages de Tacite. Ce qu'on y remarque surtout, c'est qu'ils n'en étaient plus au régime de la tribu. Cette expression, ni aucune autre qui exprime la même idée, ne se rencontre jamais chez l'historien. Parler des tribus germaines, se figurer ces hommes vivant en petits groupes et dans un régime tout primitif, serait s'éloigner beaucoup de la vérité. Ils formaient des États (civitates), des peuples, et c'est toujours par ces mots que César, Strabon, Tacite désignent les corps politiques qu'ils ont vus en Germanie[25]. Ces États étaient même considérables. Par le nombre d'hommes qu'ils comprenaient, ils dépassaient de beaucoup les anciennes cités de la Grèce el de l'Italie. Tel d'entre eux, celui des Bructères, pouvait mettre sur pied 60.000 guerriers[26] ; les Chérusques, les Chauques, l'es Marconi ans étaient plus puissants encore. Tacite énumère les peuples germains. Dans la région du Rhin sont les Bataves, les Cattes, les Tenctères, les Bructères, les Chamaves, les Angrivariens ; derrière cette première ligne sont les Frisons, les Chauques qui s'étendent depuis la mer du Nord jusqu'à la forêt Hercynienne, et les Chérusques qui occupent presque tout, le bassin du Wéser. Dans la partie méridionale, depuis le cours du Danube jusqu'aux monts de la Bohême el jusqu'au cours de l'Elbe est la grande race des Suèyes qui comprend plusieurs grands peuples, les Semnons, les Langobards, les Reudignes, les Avions, les Angles, les Varins, les Eudoses, les Suardones, les Nuitones, lesllermondures, les Narisques, les Marcomans, les Quades. Plus loin, vers l'Est, sont les Gothins, les Oses, les Buriens, la puissante nation des Lygiens, et en remontant vers la Baltique, les Gothons, les Rugiens, les Lémoves, les Suions, au delà desquels commence le monde nomade des Sarmates[27]. On peut compter une quarantaine de peuples dans cette région plus grande que la Gaule, et nous ne devons pas nous figurer des peuples peu nombreux et se mouvant à l'aise clans ce vaste territoire ; ils n'occupent pas seulement le sol, dit Tacite, ils le remplissent[28]. Sauf quelques grandes forêts encore impénétrables, il ne semble pas qu'il y ait d'espaces vides dans la Germanie telle que Tacite l'a connue. Les faits montrent que ces peuples se touchent de si près qu'ils sont sans cesse en guerre pour se disputer une plaine, une saline, ou la possession d'une rivière. L'État germain, semblable à ce qu'était l'État gaulois avant César, est un grand corps organisé. Il est composé de plusieurs groupes qui ont eux-mêmes une vie propre et que les historiens latins appellent des cantons, pagi. Chacun de ces cantons à son tour se subdivise en villages, vici. Le village qui n'est souvent qu'une grande famille entourée de ses nombreux serviteurs, est ordinairement gouverné par le chef de famille ; le canton semble être administré partout par la réunion des chefs de village ; l'État a un gouvernement central dont Tacite a décrit l'organisme. On s'est quelquefois représenté ces Germains comme des peuples parfaitement libres à qui la sujétion aurait été inconnue et l'obéissance insupportable. Les historiens anciens ne les présentent pas sous cet aspect ; Tacite lui-même se garde de ces exagérations. Il parle souvent de la liberté des Germains, mais on sait bien que dans sa pensée la liberté n'était nullement incompatible avec le régime monarchique. C'est ce régime, en effet, qui paraît avoir prévalu chez les anciens Germains. Tacite signale chez eux des dynasties royales. Les Marconi ans et les Quades, dit-il[29], ont eu jusqu'à nos jours des rois de leur nation, issus de la noble race de Marbod et de Tuder. Il cite ailleurs les Gothons qui sont en puissance de rois[30]. Il nomme deux autres peuples qui ont pour leurs rois un singulier respect. Il signale les Suions qui sont assujettis à la monarchie la plus despotique qu'on puisse imaginer[31]. Il dit de tous les Germains qu'ils tirent leurs rois des familles les plus nobles[32]. Il parle des Chérusques qui ont une race royale[33]. Partout il nous présente des rois ou au moins des chefs qu'il appelle princes. Quant à des magistrats élus et annuels, simples représentants d'une association libre, il n'en montre jamais. Les écrivains qui sont venus après lui, Dion Cassius, Ammien Marcellin, Jornandès, parlent sans cesse de rois à la tête des peuples germains, et aucun d'eux ne décrit rien qui ressemble à des institutions républicaines[34]. Il est vrai que celle royauté n'était presque jamais sans limites. C'est qu'il y avait dans l'ancienne Germanie deux pouvoirs rivaux de la royauté. D'une part était le sacerdoce, qui exerçait un grand prestige sur des populations crédules et qui possédait même une partie de l'autorité judiciaire[35]. D'autre part étaient les chefs inférieurs, chefs de canton ou chefs de bande guerrière, les uns qui étaient princes par droit de naissance[36], les autres qui le devenaient en attirant autour d'eux une foule de clients et de compagnons de guerre qui leur restaient attachés même pendant la paix[37]. On conçoit que dans une société ainsi constituée la royauté eût peu de force. Ce sacerdoce et cette aristocratie étaient plus puissants que les rois[38]. Il existait dans chaque tribu des assemblées publiques, et elles étaient de deux sortes. Comme il était clair que le roi ne pouvait rien entreprendre sans l'assentiment des prêtres qui disposaient des auspices, et des chefs qui disposaient des guerriers, il devait consulter sur toutes choses ces prêtres et ces chefs, et il ne pouvait gouverner qu'en se conformant à leurs avis. Il y avait donc autour des rois une sorte de sénat aristocratique assez semblable à celui que l'histoire nous montre autour des anciens rois de Rome et de la Grèce[39]. Il se tenait aussi chez les Germains, comme dans ces anciennes cités, des réunions de tous les hommes libres. Aucune loi ne pouvait être établie ni aucune guerre entreprise sans le consentement de cette sorte d'assemblée générale[40]. Mais pour se faire une idée juste de ce qu'était cette assemblée et de la place qu'y pouvait tenir la liberté publique, il faudrait s'avoir dans le détail comment elle exerçait ses attributions et surtout de quelle manière on y votait. Tacite n'explique pas comment elle procédait à une élection, comment elle délibérait sur une loi. Il se borne à dire que tous les guerriers y étaient convoqués, et par ces guerriers nous devons entendre ceux qui n'étaient ni esclaves, ni colons, ni lites, ceux qui avaient été admis au rang de membres de la tribu et au privilège de porter les armes. Il ajoute que ces assemblées n'ont pas lieu à un jour fixe, mais qu'elles commencent quand on se trouve assez nombreux. Il fait encore remarquer que les hommes mettent peu d'empressement à se réunir et qu'ils croient faire acte de liberté en y venant lard ; on dirait qu'il s'agit ici d'une obligation pénible plutôt que d'un droit précieux. Une fois réunis, placés sous la sévère présidence d'un de leurs prêtres, ils écoulent en silence les propositions du roi ou des chefs[41]. Enfin, ils ne votent pas et ils ne peuvent répondre à la proposition qui leur est faite que par un murmure s'ils la rejettent, ou par un cliquetis d'armes s'ils l'approuvent. Voilà tous les traits que nous connaissons de ces assemblées ; ils sont caractéristiques ; cette absence de suffrage régulier et ce défaut absolu d'initiative marquent assez combien il y avait de distance entre les réunions des guerriers germains et les comices organisés de la Grèce et de Rome. Il est visible que de telles assemblées devaient avoir peu d'indépendance et exercer peu d'action sur la marche des affaires. Elles ratifiaient les volontés des chefs plutôt qu'elles ne dictaient les leurs. Aussi Tacite marque-t-il bien clairement que c'était entre le roi et les chefs que les affaires étaient réellement discutées[42]. Nous devons nous représenter ces assemblées partagées en deux groupes bien distincts ; dans une plaine, la foule des guerriers ; sous une tente ou sur un tertre élevé, le roi entouré des prêtres, des chefs, de tous les grands. La petite assemblée a délibéré plusieurs jours à l'avance, et quand la grande est enfin réunie, elle ne peut que marquer son assentiment ou sa désapprobation. On a supposé que, chaque peuple germain étant partagé en plusieurs cantons, les chefs de ces cantons étaient élus par les suffrages du peuple ; mais cette conjecture ne s'appuie sur aucun texte ancien[43]. Tout porte à croire que l'État germain se divisait en plusieurs groupes, et que ces groupes avaient leurs chefs et leurs petits rois comme l'État entier avait son roi suprême. Ammien Marcellin signale, en effet, une hiérarchie de chefs, les uns qu'il appelle reges, les autres qu'il appelle reguli. Il énumère ainsi les principaux personnages d'un peuple germain : un roi (rex), un sous-roi (subregulus), des grands (optimates) et enfin les chefs qui gouvernent les diverses fractions du peuple[44]. Un peuple germain, pris dans son ensemble, n'avait pas toujours un monarque à sa tête ; parfois le roi suprême faisait défaut, et il n'y avait d'autre autorité que celle de ces chefs de canton ou de ces rois de second ordre. Ils traitaient en commun les affaires générales et chacun d'eux régnait sur son petit territoire. Il résultait de là que le gouvernement central était, républicain, tandis que le gouvernement local, dans le canton, était monarchique. La royauté n'était pas au centre, mais elle était partout[45]. Le droit de rendre la justice appartenait à ceux qui, à
des degrés divers, exerçaient l'autorité. Sur ce point important des
institutions germaniques, nous ne possédons d'autres renseignements qu'un
chapitre de Tacite. Il importe de l'observer de près ; car on en a tiré des
conclusions exagérées. Les crimes les plus graves,
dit-il, ceux qui entraînent la peine de mort, sont
jugés devant le conseil public. Pour le jugement des délits et des
contestations privées, l'usage est que l'on désigne dans ces mêmes assemblées
ceux des chefs qui doivent parcourir les cantons et les villages. Çà et là
ces juges s'arrêtent et tiennent leurs assises. Ils ne jugent pas sans être
entourés d'une centaine d'habitants du canton[46]. On voudrait
savoir quels étaient les droits de ce chef et quels étaient ceux de ces cent
habitants qui l'entouraient. Était-ce un grand jury analogue au jury anglais
? Était-ce même un tribunal que le chef ne faisait que présider, et qui
jugeait souverainement ? Toutes ces suppositions ont été faites ; mais Tacite
se borne à dire que ces hommes servaient de conseillers au chef qui jugeait et
qui prononçait les sentences[47]. La peine de mort n'était pas inconnue des Germains. Elle frappait les crimes commis contre la société, ne fût-ce que celui d'avoir été lâche dans un combat. Elle était prononcée par la bouche des prêtres et le coupable était immolé aux dieux, suivant un principe commun à tous les peuples primitifs et dont on trouve la trace dans le vieux droit romain[48]. Quant aux crimes d'ordre privé, ni l'État ni la religion n'intervenaient pour les punir. Il appartenait à la famille lésée d'en poursuivre la vengeance. Le fils de la victime pouvait, à son choix, rendre meurtre pour meurtre ou conclure un arrangement avec l'assassin et recevoir de lui une indemnité. Cette façon de payer le crime n'était pas particulière aux Germains ; elle fut commune à toutes les sociétés primitives, et on la peut voir dans la vieille législation des Grecs. A Athènes, aussi bien que dans la Germanie, c'était à chaque famille qu'il appartenait de venger le crime dont un des siens avait été frappé, et elle avait toujours le droit de transiger avec le coupable et de recevoir l'argent du meurtre[49]. Si l'on regarde deux peuples à une même époque, on est frappé de leurs différences ; il semble d'abord que chacun d'eux ait un génie propre, des institutions spéciales, une nature humaine particulière. Mais ce n'est pas ainsi qu'il faut comparer les peuples. Pour juger s'ils se ressemblent ou s'ils diffèrent, il les faut observer, non au même point du temps, mais dans les mêmes périodes de leur développement. Deux groupes de populations peuvent avoir été régis par les mêmes institutions et avoir traversé les mêmes changements politiques ; parce que l'un d'eux a marché moins vite que l'autre, ils paraissent différer beaucoup ; la vérité est qu'ils se ressemblent. Si Tacite avait connu le vieil état social des populations sabelliennes et helléniques, il y aurait trouvé presque tous les traits de caractère qui le frappèrent si fort en Germanie. L'usage de marcher toujours armé avait été celui des anciens Grecs[50]. La répugnance des Germains à former des villes et le soin qu'ils prenaient d'isoler leurs habitations sont des traits de mœurs que Thucydide signale chez les Athéniens avant la guerre médique[51]. La solidarité des membres de chaque famille pour l'expiation des fautes connue pour le partage des indemnités, a été une institution reconnue par le plus vieux droit de Rome, et on en trouve des vestiges dans le droit grec. Ce que disent les lois germaniques de l'homme qui veut renoncer à sa famille, rappelle une antique formalité que les Romains et les Grecs avaient connue. Le droit civil des Germains était celui qu'avaient eu toutes les vieilles sociétés, en Grèce, en Italie et même dans l'Inde. Le mari achetait la femme à ses parents et marquait par là que le père lui avait cédé sa puissance sur elle. La femme était en tutelle toute sa vie, ainsi que dans l'Inde et dans la Grèce ; de l'autorité du père, elle passait sous celle du mari, puis sous celle des parents du mari défunt, et c'était de ceux-ci qu'un nouvel époux devait l'obtenir par un nouvel achat[52]. La succession, au moins celle de la terre, passait au fils et non pas à la fille ; le patrimoine se transmettait de mâle en mâle sans que les parents par les femmes fussent admis au partage ; cette règle, que l'on peut observer dans la loi salique, dans les codes des Ripuaires, des Bavarois, des Burgondes[53], avait été autrefois en vigueur dans l'Inde et dans la Grèce, et le droit romain en conservait encore des restes très-visibles. Les ordalies, les épreuves, les jugements de Dieu avaient été usités partout. Le bouclier qui était dressé devant tout tribunal germain a beaucoup d'analogie avec la pique qui était fichée en terre devant le tribunal des Quirites. L'usage des cojurateurs germains trouve son pendant dans l'ancienne Rome ; là aussi la famille accusée comparaissait tout entière devant le tribunal, escortée de ses amis et de tous ceux qui se portaient garants pour elle et s'engageaient à prendre leur part de responsabilité. Il n'est pas jusqu'à ces assemblées de guerriers germains applaudissant l'orateur par le cliquetis des armes, qui ne se retrouvent trait pour trait chez les anciens Gaulois[54]. Les institutions des Germains et leur vie domestique, leurs habitudes et leurs croyances, leurs vertus et leurs vices étaient ceux de toutes les nations de l'Europe. Ce qui les distinguait le plus des peuples dont nous venons de parler, c'est qu'ils n'étaient pas parvenus à cette forte constitution de l'État que les Grecs et les Romains avaient atteinte depuis plusieurs siècles. Le régime de la Cité ne s'établit jamais chez eux avec cette régularité et celle rigueur qu'il eut à Athènes, à Sparte, à Rome. La famille resta plus longtemps forte, et l'État resta toujours faible. Les petits groupes du canton et de la tribu qui s'étaient effacés d'assez bonne heure dans la cité grecque ou italienne, conservèrent longtemps en Germanie leur indépendance et leur vie propre. Aussi les Germains se trouvaient-ils encore au temps de Tacite dans cet état social par lequel avaient passé les anciens Grecs avant que leurs cités fussent fortement organisées. Un peuple germain, au lieu d'être, comme nos sociétés démocratiques, un assemblage de milliers d'individus égaux entre eux et directement soumis à l'autorité publique, était une fédération de cantons, de villages, de grandes familles nobles, de bandes de guerriers volontairement associés ; et les chefs de ces divers groupes, forts de leur noblesse ou du nombre de leurs serviteurs, étaient plus puissants que le roi et que l'État. De là vient que les Germains apparaissaient à Tacite comme doués d'une liberté dont Rome depuis bien des siècles n'offrait plus l'exemple. Il admirait que cette royauté ne fût jamais absolue ; c'est que le véritable pouvoir ne résidait pas en elle ; il se partageait entre les chefs de famille, les chefs de canton, les chefs de bande, tous ceux qui étaient nobles ou prêtres, tous ceux qui exerçaient cette espèce d'autorité que les langues germaniques appelaient mund, tous ceux qui traînaient à leur suite une nombreuse escorte de clients, de compagnons, de serviteurs. Là était la puissance, là était la force de discipline pour cette société. La liberté, très-grande vis-à-vis de l'autorité publique, était à peu près nulle vis-à-vis de ces chefs locaux ou de ces chefs domestiques. On a beaucoup vanté l'esprit d'indépendance des Germains ; pourtant l'immense majorité de ces hommes étaient dans les liens d'une sujétion personnelle. A titre d'esclaves ou de paysans attachés à la glèbe, de lites ou d'affranchis, de compagnons de guerre, ils étaient étroitement soumis, non au roi ou à l'État, mais à la personne d'un autre homme ; ils avaient un maître. Ce qui dominait de beaucoup dans la Germanie, loin que ce fût la liberté, c'était la subordination. |
[1] Le mot Germain signifie-t-il homme de guerre ? Cela est possible. Ce qui est certain, c'est qu'il n'était pas un nom ethnique, et qu'il était plutôt usité dans la bouche des Romains que dans celle des Germains. On ne voit pas que les populations de la Germanie l'aient jamais adopté. Il n'est porté par aucun de ceux qui ont plus lard envahi l'empire. Au cinquième et au sixième siècle, lorsque ces peuples voulaient se désigner par une appellation commune, ils n'en connaissaient pas d'autre que celle de barbari ; c'est ainsi que, dans leurs codes mêmes, les Wisigoths et les Burgondes appellent tous les hommes de leur race.
[2] Sur la religion des Germains, voyez un chapitre qui épuise la matière, dans le livre de M. Geffroy, Rome et les barbares.
[3] Mucrones
pro numinibus colunt. (Ammien, XVII, 12.)
[4] Regnator omnium Deus ; cœtera subjecta et parentia. (Tacite, 59.)
[5] Nec sacris adesse ignominioso fas. (Tacite, 6.)
[6] Certis diebus humanis quoque hostiis litare fas habent. (Tacite, 9.)
[7] Auspicia et sortes, ut qui maxime, observant. (Tacite, 10.)
[8] Tacite, c. 9. — Cf. César, I, 50 ; Strabon, VII, 2.
[9] Deos non in ullam humani oris speciem simulare. (Tacite, c. 9.) — L'historien ne veut pas dire par là que les Germains n'eussent pas d'idoles.
[10] Strabon, IV, 4, 2 : Tῇ φύσει καὶ τοῖς πολιτεύμασιν ἐμφερεῖς εἰσι καὶ συγγενεῖς ἀλλήλοις. — VII, 1, 2 : Γερμανοὶ μικρὸν ἐξαλλάττοντες τοῦ Κελτικοῦ φύλου... παραπλήσιοι δέ καὶ μορφαῖς καὶ ἤθεσι καὶ βίοις.
[11] Tacite, Germanie, 46.
[12] Cela ressort de tout le livre de Tacite et, en particulier, de ce qu'il dit des Chauques et des Chérusques (ch. 55 et 56). Il n'en est pas moins vrai que les déplacements étaient fréquents. Comme les Germains n'avaient pas de villes, ils reculaient facilement devant tout peuple qui leur paraissait plus fort. (Voyez César, IV, 1.)
[13] Tacite, Germ., 15 : Agrorum cura. — 25 : Humor ex hordeo et frumento. — 25 : Frumenti modunt dominus injungit. — 26 : Seges. — 45 : Frumenta cœterosque fructus. — Un siècle auparavant, César, dans une expédition, avait brûlé les récoltes des Sicambres, frumentis incensis (César, IV, 19). — César dit aussi des Tenctères qu'ils s'enfuirent devant les Suèves, quod ab agri cultura prohibebantur (IV, 1). Il ajoute d'ailleurs (VI, 22) que les Germains avaient peu de goût pour le travail agricole, non agriculturœ student.
[14] César, racontant son expédition en Germanie, dit qu'il brûla vicos et ædificia (IV, 19). Il parle même d'oppida (IV, 19 et VI, 10). Tacite décrit la manière de construire, (c. 16) : Non cœmentorum apud illos aut legularum usus ; maleria ad omnia utuntur informi... quœdam loca diligentius illinunt terra ita pura ac splendente ut picturam ac lineamenta colorum imitentur. Ce ne sont pas là des huttes ni de simples cabanes. Tacite parle aussi de leurs villages (vici) dont les constructions ne se touchent pas, non in nostrum morem connexis ædificiis.
[15] Verberare servum ac vinculis cœrcere rarum ; occidere soient... impune. (Tacite, 25.) — Alligari se ac venire patitur. (Ibid., 24.)
[16] Tacite, Germ., 25 : Cœleri servi... Suam quisque sedem, suos penates regit ; frumenti modum dominus, aut pecoris, ut colono injungit.
[17] Libertini non multum supra servos sunt. (Tacite, 25.)
[18] Tacite, Germ., 25 : Ingenui et nobiles. — 15 : Insignis nobilitas. — 11 : Plebs et principes. — 14 : Plerique nobilium adolescentium. — Annales, I, 57 : Feminœ nobiles. — XI, 16 : Amissis per interna bella nobilibus. — Ce que nous avons dit plus haut de l'esprit aristocratique de la société romaine au milieu de laquelle vivait Tacite, nous dispense de faire remarquer que le mot nobilitas n'a pas dans la langue de cet écrivain le sens vague de notoriété ; il a le sens très-précis de noblesse de naissance. Cela est surtout clair dans ce passage où l'historien dit d'un membre d'une famille royale : Quum cœteros nobilitate anteiret (Ann., XI, 17). — Il y a d'ailleurs, au chapitre 44 de la Germanie, un passage où il énumère les quatre classes de la société germaine, qu'il désigne par les mots : servus, libertinus, ingenuus, nobilis.
[19] Saxonica gens in tribus ordinibus divisa consistit ; sunt enim inter illos qui Edilingi, qui Frilingi, qui lazzi illorum lingua dicuntur. (Nithard, IV, 2.) — Cf. Vita S. Libuini ; Pertz, t. II, p ; 668. — Le Capitulaire de 789, De partibus Saxoniœ, art. 15, distingue aussi la population en trois classes : nobiles, ingenui, lidi, sans compter les servi.
[20] César dit (VI, 22) que les Germains n'avaient pas de druides. Il n'y avait certainement pas chez eux un clergé organisé comme le corps druidique ; mais ils avaient des prêtres. Tacite le montre maintes fois : il signale un trait qui marque que le chef de famille avait un pouvoir sacerdotal comme dans les anciens temps de la Grèce et de Rome (ch. 10).
[21] Edda de Sœmund, t. III, p. 175 à 190 ; nous en donnons la traduction latine : Infantem peperit Edda, cute nigricantem, vocaruntque thrœl (servum) ; erat ei manuum cutis rugosa, digiti crassi, facies fœda, dorsum incurvum... Aggeres construxerunt, agros oblimarunt, circa sues occupabantur et cespites effodiebant. Inde ortce sunl servorum prosapiœ. — Infantem peperit Amma... Vocarunl karl (virum) rufum et rubicundum... didicit boves domare aratrum fabricari, domos œdificare, horrea struere ; inde ortce sunt prosapiœ colonorum. — Puerum peperit Modir... et nonten Iarl indiderunt ; flavus erat capillus, lucidœ genœ, oculi aculi. Didicit hastam quatere, equis insidere, gladios distringere. Runas Deus docuit ; nomen suum indidit, filium propriunt profitens, quem oblinere jussit hereditarios campos et antiquas habitationes... Calluit runas ; didicit avium clangorem intelligere.
[22] Tacite, Annales, I, 57 : Segestes... magna ami propinquorum et clientium manu. — César, VI, 22 : Gentibus cognationibusque hominum.
[23] Tacite, Germ., 1 : Nec fortuita conglobatio turmam aut cuneum facit, sed familiœ et propinquitates.
[24] Voyez Geffroy, Rome et les barbares, p. 195.
[25] César, IV, 6 ; V, 55 ; VI ; 25 : Civitates Germanorum. Tacite emploie les mots génies, civitates, populi, nationes. Strabon dit έθνη.
[26] Tacite, Germanie, 33.
[27] Sur la géographie de la Germanie et sur ce qu'on peut ajouter aux indications de Tacite, voyez Zeller, Histoire d'Allemagne, liv. 1, ch. 1 et 2.
[28] Tacite dit cela des Chauques : Tam immensum terrarum spatium non tenent modo, sed implent, ch. 55. — Il ne parle jamais de ces grands espaces dont les peuples germains, s'il fut en croire César, auraient aimé à s'entourer. Il dit des Germains, Gens numerosa. (Ch. 19.)
[29] Tacite, Germanie, 42.
[30] Tacite, Germ., 43 : Gothones regnantur. Tacite ne présente pas celte royauté comme un fait exceptionnel ; il dit seulement qu'elle est chez les Gothons plus absolue que chez les autres Germains : Regnantur paulo adductius quam cœterœ Germanorum gentes.
[31] Voyez tout le chapitre 44 de la Germanie.
[32] Tacite, Germ., 7 : Reges ex nobilitate sumunt. — Quelques interprètes ont pensé que cette phrase indiquait une royauté élective ; cela est douteux ; le mot sumere n'exprime pas dans la langue latine l'idée d'élection. Tacite ne dit nulle part que les Germains eussent l'habitude d'élire leurs rois ; il montre seulement que la royauté était quelquefois disputée et que les partis portaient tour à tour tel ou tel roi au pouvoir. Il faut se garder de prendre des faits exceptionnels pour une institution régulière de droit public. Il ressort du tableau qu'il trace, que la royauté était héréditaire ; au moins, ne devait-elle pas sortir d'une certaine famille.
[33] Tacite, Ann., XI, 16 : Uno relicto stirpis regiœ. Les Bataves aussi avaient une famille royale. (Histoires, IV, 15.)
[34] Les Bructères avaient un roi au temps de Trajan. (Pline, Lettres, II, 7.) — Au temps de Marc-Aurèle, un peuple germain avait un roi qui n'était qu'un enfant de douze ans. (Dion Cassius, LXXI, 11.) — Les Alamans avaient des rois en 554 ; il existait même des insignes royaux : Ejus vertici flammeus terulus aptabatur. (Ammien, XVI, 12.). — Les Francs avaient des rois au temps de Maximien. (Mamertin, Panégyr., III, 5 ; Eumène, ibid., VII, 10.) — Ammien cite des rois chez les Burgondes, les Alamans, les Quades, les Francs eu 574 (XXVIII, 5 ; XXIX, 6 ; XXX, 5). — Jornandès donne la généalogie complète de la famille royale des Goths. — Ne pensons pas, d'ailleurs, que la royauté fût une institution récente ; les Cimbres et les Teutons avaient eu des rois. Strabon signalait des rois chez les Gètes (VII, 5, 6 et 8) ; Hérodote en montre déjà chez les anciens Cimmériens (IV, 11), et cette royauté était toujours héréditaire.
[35] Tacite, Germ., 7 et 11.
[36] Insignis nobilitas etiam adolescentulis principis dignationem assignat. (Tacite, Germ., 13.)
[37] Hœc
dignitas, hœ vires, magno semper juvenum globo circumdari, in pace decus, in
bello prœsidium. (Tacite, Germ., 13.)
[38] Il semble qu'il y ait eu chez beaucoup de peuples germains un grand prêtre placé à côté du roi et partageant en quelque façon le pouvoir avec lui. Strabon signale ce grand prêtre chez les Cattes (VII, 1, 4) et chez les Gèles (VII, 5, 5) ; Ammien le signale chez les Burgondes (XXVIII, 5).
[39] Tacite, Germ., 11 : Principes consultant.
[40] Tacite, Germ., 11 : De majoribus rebus consultant omnes.
[41] Tacite, Germ., 11 : Silentium per sacerdotes, quibus et cœrcendi jus est, imperatur. Rex vel princeps... audiuntur. — Si displicuit sententia, fremitu aspernantur ; si placuit, frameas concutiunt.
[42] Tacite, Germ., 11 : Ita tamen ut ea quoque quorum penes plebem arbitrium est, apud principes pertractentur. M. Geffroy (Rome et les barbares, p. 214) remarque fort justement que ces principes, non élus, ne peuvent présenter même une ébauche du régime représentatif. Ammien explique la pensée de Tacite, quand il dit que chez les Quades, qui avaient un roi, tout se décidait ex communi procerum voluntate (XXX, 6).
[43] On a allégué la phrase de Tacite : Eliguntur principes qui jura per pagos reddant (ch. 12) ; mais il faut l'observer de près. Tacite ne dit pas que dans chaque pagus un chef soit élu par la population ; il dit, ce qui est tout à fait différent, que c'est dans l'assemblée centrale de l'Etat, in iisdem conciliis, que l'on choisit les chefs qui rendront la justice aux différents cantons. — Ce que nous avons vu des assemblées montre assez comment ils pouvaient être choisis ; ils l'étaient dans la réunion préparatoire des chefs et par eux, à la condition seulement que leur nom fût accueilli ensuite par le cliquetis d'armes de l'assemblée. — Ce passage de Tacite montre aussi que les juges étaient nécessairement des principes, c'est-à-dire des nobles et des chefs. — Il y a loin de là à la théorie des grafen électifs, que l'on a imaginée en dehors de tous les documents.
[44] Ammien, XVIII, 2 : Reges omnes et reguli. — XVII, 12 : Regalis Vitrodorus, Viduari regis filius, et Agilimundus subregulus, aliique optimates, et judices variis populis præsidentes. — Cf. XXVII, 5. — De même Dion Cassius (LXXI, 16, édition Boissée), mentionne un premier roi, un second roi, et plusieurs grands.
[45] C'est le sens des paroles de César, qui d'ailleurs ne s'appliquent qu'à une partie des Suèves : Principes regionum atque pagorum inter suos jus dicunt (VI, 23). — Remarquons que jus dicere dans la bouche d'un Romain, habitué à réunir inséparablement l'autorité judiciaire et l'autorité politique, désigne toute autre chose qu'un simple droit de juger.
[46] Centeni singulis ex plebe comites. (Tacite, Germ., 12.) — Notons que ce mot plebs ne peut désigner que les ingenui, c'est-à-dire la seconde des quatre classes de la société germanique.
[47] Consilium simul et auctoritas. (Tacite, Germ., 12.) — Sur le sens de ce mot auctoritas, voyez, à la fin de ce volume, Notes et éclaircissements, n° 4.
[48] Tacite, Germ., 7 et 12.
[49] Harpocration : Υποφονία, τά έπί φόνω χρήματα τοϊς οικείοις τοΰ φονευβέντος, ϊνα μή έπεξίωσιν. — Le prix d'une vie d'homme s'appelait ποινή τής ψυχής. (Voyez Hérodote, II, 154) — Rapprocher de cela deux passages de Démosthènes, l'un qui marque que la famille était seule chargée de poursuivre le coupable, et qu'elle pouvait transiger avec lui (Discours contre Nausimaque, 22), l'autre qui indique que la famille du meurtrier était solidaire du meurtre vis-à-vis de la famille de la victime (Discours contre Aristocrate, 82-84). Ce sont là les restes d'un vieux droit criminel qui avait fort ressemblé à celui des Germains.
[50] Tacite, Germ., 13 et 18 ; Thucydide,
I, 5.
[51] Tacite, Germ., 16 ; Thucydide, II, 16.
[52] C'est ce qui explique le reipus des lois germaniques. (Voyez Loi salique, 47.) — On sait que dans le vieux droit romain la veuve avait pour tuteur le plus proche agnat de son mari, et qu'elle ne pouvait se remarier sans le consentement de ce tuteur ; le reipus est le vestige d'une règle semblable qui restait en vigueur chez les Germains.
[53] Loi salique, 59 (61) : De terra nulla in muliere hereditas, sed ad virilem sexum tota terra pertineat (les textes les moins anciens portent terra salica. Pardessus, p. 55, 64, 518). — Loi des Ripuaires, 58 : Femina in hereditatem non succedat. — Les lois des Burgondes, des Bavarois, des Saxons n'accordent l'héritage à la fille qu'à défaut de fils.
[54] Tacite, Germ., 11 ; César, De bello gallico, VII, 21.