LES CHARGES DE LA POPULATION : LE SERVICE MILITAIRE. Les sociétés anciennes n'avaient guère connu les armées distinctes de la population civile. L'homme libre ou le citoyen était en même temps le soldat. Il était soldat aussi longtemps que son corps était robuste, aussi souvent que l'Etat avait besoin de lui pour sa défense ou pour l'attaque de l'étranger. Le Romain, de dix-sept à quarante-six ans, était appelé chaque année devant le magistrat qui pouvait le prendre comme légionnaire. Il en était à peu près ainsi à Athènes et dans toutes les républiques anciennes. Le service militaire était également obligatoire chez les anciens Gaulois[1]. Il en fut autrement sous l'Empire romain. On a dit quelquefois qu'Auguste avait séparé l'armée des citoyens afin d'opprimer ceux-ci à l'aide de celle-là. Rien ne prouve qu'il ait fait ce calcul ; aucun des historiens de l'époque ne le lui attribue, et le détail de sa vie montre, au contraire, qu'il se fiait plus aux citoyens qu'aux soldats. La séparation de l'ordre civil et de l'ordre militaire eut un autre motif. Quand on étudie cette époque de l'histoire romaine, en observant surtout les sentiments qui dominaient dans les âmes, on remarque que l'esprit militaire avait presque disparu. Poussé à l'extrême pendant les deux siècles qui avaient précédé, il était comme épuisé. Les classes élevées surtout et même les classes moyennes s'éloignaient autant qu'il leur était possible du service militaire. En Italie, on se faisait colon et même esclave pour ne pas être soldat. Par une compensation naturelle, tandis que tout ce qui était riche ou aisé fuyait l'armée, la lie de la population, qui en avait été autrefois écartée, demandait à y entrer. Etre soldat devenait le métier préféré de ceux qui n'avaient rien et qui convoitaient butin ou terres. L'empereur Auguste donna satisfaction à ce double besoin de son époque. Les classes élevées et moyennes ne voulaient plus du service militaire obligatoire ; il le supprima autant qu'il fut possible[2]. Les classes pauvres souhaitaient une profession militaire qui fût lucrative ; il la créa. La vieille institution de la cité armée disparut ainsi ; il y eut désormais une armée distincte et séparée de la population civile. Quelques-uns furent soldats pendant 16, 20 ou 25 ans, et, à ce prix, le plus grand nombre fut, toute la vie, en paix et au travail. Cette pensée du gouvernement impérial est clairement exprimée par les historiens du temps. Exempter du service militaire la plupart des hommes, n'enrôler en général que ceux qui avaient besoin de ce moyen de vivre, en choisissant parmi eux les plus robustes, tel fut, suivant Dion Cassius, le principe suivi sous l'Empire[3]. De même, Hérodien affirme que, depuis le règne d'Auguste, les Italiens ne connaissaient plus les armes ni la guerre : Auguste, dit-il, fit cesser pour eux ce service, et, les débarrassant des armes, il employa des soldats payés[4]. C'était le système des armées permanentes et soldées substitue à celui des populations armées. Ce système assura aux cent vingt millions d'âmes qui habitaient l'Empire un repos et un travail que les peuples anciens n'avaient jamais connus. Les armées de l'Empire romain se composaient d'environ trente légions[5], comprenant chacune de 5.000 à 6.000 soldats. En y ajoutant les corps auxiliaires ainsi que les cohortes prétoriennes et urbaines, on peut estimer qu'elles comptaient environ 400.000 hommes. Ce chiffre suffisait à un Etat dix fois plus étendu que la France actuelle. C'était un soldat sur trois cents habitants. Ces armées se recrutaient en grande partie par des engagements volontaires. Une lettre de Trajan à Pline signale une catégorie de soldats qui se sont offerts d'eux-mêmes au service[6]. Les inscriptions aussi attestent cet usage[7]. Tacite fait remarquer que ces engagements étaient la ressource des pauvres et des gens sans aveu[8]. Un jurisconsulte du IIe siècle dit formellement que la plupart des soldats sont des volontaires[9]. L'appât était grand, en effet ; non seulement le soldat recevait, outre les vivres, une solde annuelle de 225 deniers, qui fut portée à 300 par Domitien ; mais encore, après son temps de service, on lui donnait une somme d'argent ou une terre avec une maison et quelques esclaves pour la culture. Ce qui était plus précieux encore, c'est que, s'il n'était pas citoyen romain en entrant au service[10], le diplôme de congé lui conférait ce titre si envié ; on y ajoutait même le connubium, c'est-à-dire le mariage légal, qui avait pour effet que ses enfants étaient citoyens romains comme lui[11]. Ainsi l'homme qui était né déditice et pauvre, devenait, par le service militaire, un citoyen, un propriétaire, un chef de famille. Les empereurs ajoutèrent à tout cela des privilèges honorifiques : ils décidèrent que les vétérans et leurs fils seraient traités à l'égal des décurions[12]. Le service militaire devint ainsi, même pour le simple soldat, un moyen de s'élever. Quoique les empereurs dussent compter beaucoup sur les engagements volontaires, ils ne pouvaient pas se priver de la ressource des appels forcés. Tantôt il fallait faire face à un danger pressant ; tantôt les volontaires ne se présentaient pas en assez grand nombre ou n'étaient pas de bonne condition[13]. Il fallait suppléer à ce qui manquait par le recrutement[14]. Nous ne possédons pas de documents précis sur la manière dont ce recrutement s'opérait. Peut-être n'y eut-il jamais de règles fixes sur ce point. Aucune loi ne déterminait l'âge de la conscription ni le nombre d'hommes que chaque pays devait fournir. L'appel n'avait pas lieu chaque année régulièrement ; une province restait quelquefois plusieurs années sans y être soumise. Quand le gouvernement avait besoin de soldais, il ordonnait un recrutement dans telle ou telle province et envoyait des commissaires appelés dilectatores[15]. Nul tirage au sort ; la population comparaissait devant les commissaires qui choisissaient les hommes arbitrairement. De là venaient beaucoup d'abus[16]. L'un des vices de l'Empire romain, et l'un de ses plus grands malheurs fut de n'avoir pas fait du recrutement une institution régulière et bien ordonnée. Aussi les populations y répugnaient-elles comme à tout ce qui est exceptionnel et arbitraire. L'historien Velléius reconnaît que le recrutement causait toujours un grand trouble[17]. Auguste dut plusieurs fois se montrer sévère pour des citoyens qui refusaient le service[18]. Il paraît qu'on voyait des pères couper le pouce à leurs enfants pour leur procurer des motifs d'exemption[19], et Suétone parle de gens qui se faisaient esclaves de peur d'être soldats[20]. Ce n'est pas que nous puissions croire que le nombre des appelés fût considérable. Il est facile de calculer que, pour remplir les vides d'une armée de 400.000 soldats qui servaient vingt ans en moyenne, il suffisait d'un enrôlement annuel d'environ 30.000 conscrits pour tout l'Empire ; or les engagements volontaires donnaient déjà, à tout le moins, la moitié de ce chiffre. Mais cette obligation d'être soldat pendant vingt ans était horrible pour le petit nombre qu'elle frappait[21]. On comprend sans peine la résistance que le gouvernement rencontrait et combien il lui était difficile de faire servir les citoyens malgré eux. Il fut invinciblement amené à autoriser le remplacement. Il ressort d'une lettre de Trajan à Pline que l'homme appelé au service avait le droit de donner un homme à sa place[22]. La difficulté d'obliger les citoyens au service militaire fit que le gouvernement impérial chercha une autre ressource. Il avait devant lui une vieille loi, consacrée par les mœurs et par le temps, qui lui interdisait de mettre les armes aux mains des esclaves et des affranchis. Mais la République lui avait déjà donné l'exemple d'enrôler ces hommes dans les dangers pressants[23]. Auguste fit de même dans deux circonstances où il avait besoin de levées plus fortes que d'habitude. A cet effet, il s'adressa aux riches propriétaires qui possédaient des esclaves et des affranchis dans leurs maisons ou sur leurs terres, et il exigea de chacun d'eux un chiffre d'hommes proportionné à sa fortune[24]. Un peu plus tard, nous voyons Néron avoir besoin de soldats ; il ordonne un recrutement dans les tribus, c'est-à-dire parmi les citoyens ; mais personne ne répond à l'appel. Il se décide alors à remplacer le recrutement par une réquisition d'esclaves ; il enjoint à chaque maître d'en livrer un nombre déterminé et il choisit parmi eux les plus robustes[25]. Vitellius fit de même[26]. Plus tard encore, Marc-Aurèle enrôla des esclaves[27]. Il est bien entendu que ces esclaves étaient préalablement affranchis, de sorte qu'à entrer dans l'armée ils gagnaient d'être hommes libres[28]. Il y a apparence que ce procédé devint d'un emploi de plus en plus fréquent. Si l'on regarde les titres des codes romains qui sont relatifs à l'armée, on est frappe de voir que les motifs d'exclusion tiennent plus de place que les motifs d'exemption. C'est qu'il s'agissait d'empêcher que les citoyens ne fournissent à leur place des hommes sans valeur. L'opération importante pour les fonctionnaires impériaux était celle qu'on appelait probatio et qui consistait à examiner chaque conscrit et à n'admettre que des hommes qui fussent propres au service. Il leur fallait lutter contre l'intérêt des propriétaires, qui, suivant l'expression de Végèce, donnaient comme soldats ceux qu'ils ne se souciaient pas de garder comme esclaves[29]. Ce n'est pas qu'on ait aboli la loi qui défendait à l'esclave de faire partie de l'armée. On ne cessa, au contraire, de la renouveler[30]. Mais aucune loi n'interdisait d'affranchir un esclave et d'en faire le même jour un conscrit. Le gouvernement avait maintes fois donné lui-même cet exemple aux propriétaires[31]. Il existait d'ailleurs dans la société de l'Empire romain plusieurs classes de serviteurs qui n'étaient pas réputés esclaves et qui obéissaient pourtant à un maître : c'étaient les affranchis, les colons, les clients — libertini, inquilini, coloni, clientes —[32]. A mesure que nous avançons dans les siècles de l'Empire, nous voyons le recrutement frapper de plus en plus ces classes d'hommes. Au IVe siècle, si nous observons le Code Théodosien, le service militaire ne nous apparaît plus comme une obligation personnelle du citoyen. Il devient une sorte d'impôt portant sur la propriété foncière, et cet impôt se paye en serviteurs. Tout possesseur du sol est astreint, non pas à être soldat lui-même, mais à fournir des soldats parmi les hommes qui lui appartiennent. Le nombre de conscrits est proportionnel à l'étendue et à la valeur des terres[33]. Un grand propriétaire devait fournir plusieurs soldats ; plusieurs petits propriétaires se réunissaient pour en fournir un[34]. Ce n'était pas ce propriétaire qui devait servir de sa personne ; cela lui était au contraire interdit, pour peu qu'il fût décurion : il devait livrer des conscrits à sa place. Tantôt il achetait des hommes hors des frontières de l'Empire pour les donner comme soldats au gouvernement[35]. Tantôt il prenait dans sa maison ou sur ses terres quelques affranchis, quelques colons, ou même quelques esclaves qu'il affranchissait aussitôt, et il en faisait des conscrits[36]. Le serviteur que le maître avait donné pour le service militaire cessait par cela même d'obéir au maître. Il était absolument dégagé de tout lien et de toute dépendance à son égard. Le jour où il sortait de l'armée, il ne revenait pas vers lui. Le service militaire lui prenait vingt ans de sa vie, mais, en revanche, le rendait libre et citoyen. Quant au maître, il avait perdu un de ses serviteurs ; mais, en revanche, il avait été exempt de l'obligation de porter les armes. Ces habitudes conduisirent naturellement le gouvernement impérial à remplacer l'impôt en hommes par un impôt en argent. A la fourniture des conscrits, præbitio tironum, se substitua peu à peu l'or de conscription, aurum tironicum. Lorsque l'État avait plus besoin d'hommes que d'argent, il exigeait que les propriétaires livrassent le nombre voulu de soldats ; c'est ce qu'on appelait exhibere tironum corpora. Quand il avait plus besoin d'argent que d'hommes, il permettait et quelquefois même il prescrivait que les propriétaires payassent, pour chaque homme, une somme qu'il déterminait. Le prix fixé était ordinairement de 25 pièces d'or par homme, sans compter les frais de premier habillement et de nourriture[37]. Pour avoir quelques bons soldats, dans un temps où les hommes ne l'étaient pas volontiers, l'Empire créa une sorte d'armée héréditaire. Il donna des terres à ses vétérans, à la condition que leurs fils seraient soldats après eux Les fils ne conservaient la possession du sol que sous la charge de continuer le service de guerre[38]. Surtout l'Empire s'adressa aux étrangers. Il enrôla des barbares, principalement des Germains. Dès le temps d'Auguste, il admettait ces hommes dans ses armées[39]. Tous les empereurs en eurent à leur solde ; leur nombre s'accrut sous Marc-Aurèle et ses successeurs[40] ; ils formèrent peu à peu la plus grande partie de l'armée. On voit par tous ces faits que la charge du service militaire fut fort adoucie pour la population civile. Une armée d'environ 400.000 soldats, composée en grande partie de volontaires, de fils de vétérans, ou d'étrangers, avec un recrutement peu à peu transformé en impôt, dispensait la grande majorité des citoyens de ce service de guerre qui, dans l'antiquité, leur avait pris le meilleur de leur temps et de leurs forces, et qui-devait, au moyen âge, reprendre possession de leur existence. Il n'est pas douteux que les hommes n'aient considéré cet allégement comme un très grand bienfait. Les armées permanentes sont celles qui coûtent aux peuples le moins de sang, de temps et d'argent. Deux dangers toutefois s'y attachent : l'un est que ces armées, souvent exigeantes, peuvent se soulever contre le gouvernement même qui les nourrit ; l'autre est que la population civile, trop exclusivement vouée au travail, se trouve désarmée et impuissante contre les ennemis qui menacent toute société paisible[41]. |
[1] C'est ce que César donne à entendre quand il dit que les druides étaient exempts du service militaire : Militiæ vacationem haben, VI, 14.
[2] Ce n'est pas que l'obligation du service militaire ait jamais été supprimée en droit. Voir Suétone, Auguste, 24. Il suffit de lire le titre du Digeste, De re mililari (XLIX, 16), pour s'en convaincre ; et cela explique le recrutement, dont nous parlerons plus loin. — Il faut encore noter que, dans les trois premiers siècles, les empereurs exigèrent que les jeunes gens dos familles sénatoriales qui aspiraient à la carrière des honneurs satisfissent au devoir militaire. Ils servaient en qualité de tribuns de légion et il leur suffisait quelquefois d'un séjour au camp de quelques mois.
[3] Dion Cassius, LII, 27. Ces idées sont exposées dans le discours que l’historien prête à Mécène ; ce discours, qui n'est certainement pas une œuvre de pure imagination, exprime la doctrine politique qui fut suivie par les Césars. — Cf. LII, 14 : Στρατεύωνται καὶ μισθοφορῶσιν οἵ ἰσχυρότατοι καὶ πενέστατοι.
[4] Hérodien, II, 11 (58) : Οἱ κατὰ τὴν Ἰταλίαν ἄνθρωποι, ὅπλων καὶ πολέμων ἀπηλλαγμένοι, γεωργίᾳ καὶ εἰρήνῃ προσεῖχον. Ό Σεβαστὸς Ἰταλιώτας πόνων ἀπέπαυσε καὶ τῶν ὅπλων ἐγύμνωσε, μισθοφόρους στρατιώτας καταστησάμενος. On a tiré de ce texte une conclusion exagérée quand on a dit que les Italiens avaient été formellement exemptés du service ; plusieurs faits montrent qu'ils ne l'étaient pas (Velléius, II, 111 ; Tacite, Annales, I, 31 ; Histoires, III, 58 ; Suétone, Auguste, 24 ; Tibère, 9 ; Dion, LVI, 23). Ammien, XV, 11, parle d'Italiens qui se coupent le pouce pour échapper à l'obligation du service, chose que Suétone avait déjà mentionnée. Une inscription signale un personnage missus ad juventutem per Italiam legendam [Corpus inscriptionum latinorum, t. III, n° 1457 ; Henzen, n° 5478°. Hérodien veut dire, non pas qu'une loi ait jamais exempté les Italiens, mais que, par le fait et sauf des cas pressants, ils n'eurent plus à servir. — On a quelquefois traduit ἐγύμνωσε ὅπλων comme si Hérodien voulait dire qu'Auguste avait interdit l'usage des armes aux Italiens pour les mieux asservir. Le texte d'Hérodien n'exprime pas cette pensée. D'ailleurs l'usage des armes ne fut Jamais interdit aux Italiens ; c'étaient même eux qui formaient les corps d'élite (Tacite, Annales, IV, 5). Les inscriptions montrent qu'ils remplissaient un bon nombre de cohortes. Le service obligatoire ne leur fut plus imposé, sauf exceptions, mais le service volontaire leur fut toujours permis.
[5] Il n'y avait que vingt-cinq légions sous Tibère (Tacite, Annales, IV, 5). Le nombre fut peu à peu augmenté ; on en compta jusqu'à trente-trois. Les auxilia formaient, suivant Tacite, un nombre de soldats à peu près égal à celui des légions. Tous ces corps étaient rarement au complet. — La garde prétorienne comprenait neuf cohortes de 1.000 hommes.
[6] Pline, Lettres, X, 30 (39) : Voluntarii se obtulerint.
[7] Orelli-Henzen, n° 90, 244, 3402, 3586, 5156, 6756.
[8] Tacite, Annales, IV, 4 ; Quia plerumque inopes ac vagi sponte militiam sumant.
[9] Arrius Ménander, au Digeste, XLIX, 16, 4, § 10 : Plerumque voluntario milite numeri supplentur. Cf. Dosithée, Sentences d’Hadrien, § 2 (Bœcking, Corpus juris antejustiniani, p. 202).
[10] La règle était que les citoyens seuls fussent admis dans les légions ; mais il nous paraît hors de doute que de bonne heure on imagina le biais d'introduire les peregrini dans les légions en leur conférant immédiatement et dès leur entrée le droit de cité. Cela est nettement expliqué par Aristide, qui écrivait au temps des Antonins. Dans son Eloge do Rome (édit. Dindorf, t. I, p. 252), il s'exprime ainsi : D'une part, vos citoyens, qui sont les maîtres du monde, ne veulent pas endurer les fatigues du service ; d'autre part, vous ne vous fiez pas aux étrangers. Il vous faut pourtant des soldats ; que faites-vous alors ? Vous vous faites une armée de citoyens, sans que les anciens citoyens aient de fatigues. Comment cela ? Vous envoyez dans les provinces pour faire choix des hommes qui sont propres au service ; ceux-là, vous les séparez aussitôt de leur patrie de naissance et vous leur donnez pour patrie Rome elle-même ; ils deviennent en même temps citoyens et soldats ; en entrant au service, ils sont dès ce jour vos concitoyens. C'est ainsi que César, ayant formé la légion de l'Alouette, donna à ces Gaulois le droit de cité (Suétone, César, 24). Plus tard, quand le royaume de Pont fut réduit en province, Rome prit à son service l'ancienne garde du roi ; elle en fit une cohorte et elle donna à tous ceux qui la composaient le droit de cité romaine (Tacite, Histoires, III, 47). On s'explique alors le mot de Tacite, ibidem, III, 40 : Nihil validum in exercitibus nisi quod externum ; et l'on s'explique aussi que les diplômes militaires, missiones, n'aient jamais à conférer le droit de cité a des légionnaires au moment de leur sortie du service ; ces légionnaires étaient citoyens de naissance ou ils l'étaient devenus en entrant dans la légion.
[11] Voir le Recueil des diplômes militaires publié par L. Renier, 1876. [Cf. Corpus, t. III.] Voici la formule ordinaire de l’honesta missio : Imperator... veteranis... honestam missionem et civitatem dedit, ipsis liberisque eorum et connubium cum uxoribus quas tune habuissent cum est civitas iis data, aut, si qui cælibes essent, cum iis quas postea duxissent, dumtaxat singuli singulas. Cette formule ne s'appliquait qu'aux soldats des cohortes auxiliaires.
[12] Marcianus, au Digeste, XLIX, 18, 3 : Veteranis et liberis eorum idem honor habetur qui et decurionibus. Cf. Paul, ibidem, p. 4.
[13] C'est de ce second point que Tibère se plaint dans Tacite, Annales, IV, 4 : Si voluntarius miles suppeditet, non eadem virtute ac modestia agere, quia plerumque inopes ac vagi sponte militiam sumant.
[14] Dilectibus supplendos exercitus (Tacite, Annales, IV, 4). — Eadem anno dilectus per Gallium Narbonensem Africamque et Asiam habiti sunt supplendis Illyricis legionibus (Ibidem, XVI, 15).
[15] Voir L. Renier, Mélanges d'épigraphie, p. 75-90.
[16] On peut se faire une idée de ces abus par quelques phrases de Tacite : Dilectum militarem pretio et ambitione corruptum (Annales, XIV, 18). — Rem suapte natura gravem avaritia onerabant (Histoires, IV, 14).
[17] Velléius, II, 150 : Rem perpetui præcipuique timoris supplementum.
[18] Dion Cassius, LVI, 23.
[19] Suétone, Auguste, 24. Ammien Marcellin, XV, 12 ; Code Théodosien, VII, 13, 4.
[20] Suétone, Tibère, 8 : Quos sacramenti metus ad hujusmodi latebras (ergastula) compulisset.
[21] Le mal était qu'on ne faisait pas ce recrutement chaque année ; Tacite, Dion, Hérodien, montrent par nombre de passages qu'en temps de paix, on laissait les légions se dégarnir au point qu'il ne restait plus que inania legionum nomina ; survenait une guerre, et il fallait alors agere acerbissime dilectum, c'est-à-dire appeler d'un seul coup autant de conscrits qu'on aurait pu en appeler en dix années successives.
[22] Dans les lettres de Pline, X, 30 (39). Il est question de quelques esclaves que Pline a découverts dans l'armée ; Trajan lui écrit : Refert voluntarii se obtulerint, an lecti sint, vel etiam vicarii dati... Si vicarii dati, penes eos culpa est qui dederunt.
[23] Tite Live, X, 21 ; XXII, 11 ; XL, 18 ; Épitomé, 74.
[24] Velléius, II, 111 : Viri feminæque ex censu coactæ libertinum dare militem. — Dion Cassius, LV, 31 : Στρατιώτας οὐκ εὐγενεῖς μόνον ἀλλὰ καὶ ἐξελευθέρους ούς παρά τε τῶν ἀνδρῶν καὶ παρὰ τῶν γυναικῶν δούλους ἠλευθέρωσεν. — Suétone, Auguste, 25 : Eosque servos viris feminisque pecuniosioribus indictos ac sine mora manumissos. Il faut ajouter que ces esclaves affranchis ne servaient pas dans les mêmes corps que les citoyens.
[25] Suétone, Néron, 44 : Tribus urbanas (universas ?) ad sacramentum citavit ; nullo idoneo respondente, certum dominis numerum indixit, nec nisi ex tota cujusque familia probatissimos.
[26] Tacite, Histoires, III, 58 : Vocari tribus jubet, dantes nomina sacramento adiyit... servorum numerum senatoribus indicit.
[27] Jules Capitolin, Marcus, 21 : Servos, quemadmodum bello punico factum fuerat, ad militiam paravit... armavit etiam gladiatores... latrones etiam milites fecit.
[28] M. C. Jullian a remarqué que beaucoup de légionnaires du temps de Marc-Aurèle portent le nom de Marcus Aurélius. C'étaient d'anciens esclaves affranchis par l'empereur en devenant soldats (C. Jullian, les Transformations de l’Italie, p. 55, n. 5).
[29] Végèce, I, 7 : Tirones per gratiam aut dissimulationem probantur, talesque sociantur armis quales domini habere fastidiunt.
[30] Digeste, XLIX, 16, 11 : Servi ab omni militia prohibentur, alioquin capite puniuntur.
[31] Suétone, Auguste, 25 ; Néron, 44. Dion Cassius, LV, 31.
[32] [Voir le volume sur l'Invasion germanique, liv. I.]
[33] Code Théodosien, VII, 13, 7 : Tironum præsbitio in patrimoniorum viribus potius quam in personarum muneribus collocetur. — Végèce, I, 7 : Possessoribus indicti tirones.
[34] Code Théodosien, VII, 13, 7, § 2 ; Sive senator, honoratus, principalis, decurio, vel plebeius tironem suo ac sociorum nomine oblaturus est, ita se a conjunctis accepturum solidos noverit ut integri pretii modus in triginta et sex solidis colligatur, ut, deducta portione quæ parti ipsius compelit reliquum consequatur, sex tironi vestis gratia præbiturus.
[35] C'est ce que le Code Théodosien appelle advenarum cœmptio juniorum (VII, 13, 7).
[36] Code Théodosien, VII, 13, 7 : Tironem ex agro ac domo propria oblaturus. — Le gouvernement pouvait saisir le serviteur malgré la volonté du maître ; dans le même code, VII, 13, 5, on remarque celte disposition singulière : si un conscrit s'est coupé le pouce pour échapper au service, que soo maître soit puni, dominus ejus puniatur.
[37] Code Théodosien, VII, 13, 13 : Annuimus ut pro tironibus prelia inferantur, damus optionem ut pro singulis viginti quinque solidos numerent, post initam rationem vestium et pastus. — Ibidem, XI, 18 : Tirones quorum pretia exhausti ærarii necessitas flagitavit.
[38] Lampride, Alexandre Sévère, 58 : Sola quæ de hostibus capta sunt, limitaneis ducibus et militibus donavit, ita ut corum ita essent si heredes illorum militarent, nec nuquam ad privatos pertinerent. — Vopiscus, Probus, 16 : Veteranis loca privata donavit, addens ut eorum filii ad militiam mitteventur. — Cf. Code Théodosien, VII, I, De re militari ; VII, 20, De veteranis ; VII, 23, De filiis veteranorum ; voir aussi Sulpice Sévère, Vita S. Martini, c. 2. — Nous pensons d'ailleurs [et nous aurons à démontrer] que ces concessions de terres n'ont aucun rapport avec les bénéfices et les fiefs des époques suivantes. [Voyez les Origines du Système féodal, c. 1.]
[39] Tacite, Annales, I, 24 ; I, 56 ; II, 16 ; IV, 73 ; XIII, 18 ; XV, 58 ; Histoires, I, 61, 95.
[40] Jules Capitolin, Marcus, 21 : Emit Germanorum auxilia. — [Ceci sera développé dans le liv. II du volume sur l’Invasion germanique, en particulier c. 7.]
[41] On voudrait pouvoir marquer la place des Gaulois dans les armées romaines. Il est certain que beaucoup d'entre eux, à toutes les époques, devinrent soldats de l'Empire, les uns par engagement volontaire, les autres par recrutement forcé. Ceux d'entre eux qui étaient dès l'abord citoyens romains, figurèrent dans les légions ; ceux qui étaient pérégrins servirent dans les corps auxiliaires, et devinrent citoyens à l'expiration de leur service. Mais il ne me semble pas possible d'apprécier leur nombre ni dans quelle proportion ils furent avec les soldats des autres provinces. Les inscriptions mentionnent assez fréquemment un Gaulois qui a servi ; ainsi nous voyons deux hommes nés à Béziers qui sont morts soldats à Mayence (Steiner, n° 284 et 531). Nous trouvons des hommes de la Narbonnaise qui ont appartenu à la 4e, à la 7e, à la 15e légion (Lebègue, n° 61, 62, 63) [cf. Corpus, XII. p. 921]. — Les Gaulois formaient-ils des corps spéciaux ? La legio Alaudæ est mentionnée dans une inscription, et l'on peut admettre avec quelque vraisemblance qu'elle était restée composée de Gaulois (Henzen, n° 6945). Les inscriptions mentionnent cinq autres légions qui portaient l'épithète de Gallica (idem, n° 6749, 5488, 6452, 5480, 6674, 6795) ; on admet ordinairement qu'elles avaient été formées en Gaule et qu'elles continuaient à s'y recruter ; cela ne me paraît pas démontré par les textes. — Pour les corps auxiliaires, les inscriptions et les diplômes militaires nous font connaître des cohortes Gallorum, des cohortes d'Aquitains, de Bituriges, d'Éduens, de Lingons, de Séquanes, de Nerviens, de Vangions, de Belges, de Morins (L. Renier, Diplômes militaires, n° 23, 25, 26, 32, 44, etc.) [les découvertes épigraphiques augmentent chaque jour le nombre des corps]. Il y a apparence que les Gaulois étaient appréciés comme soldats ; Ammien Marcellin, qui était un militaire, fait d'eux un brillant éloge, et il les montre combattant vaillamment pour l'Empire sur sa frontière orientale. — [Voyez les statistiques données par M. Mommsen, Ephemeris epigraphica, t. V, et son travail sur la Conscription, Hermès, 1886, analysé par Allmer, Revue épigraphique, t. II.]