LA GAULE ROMAINE

LIVRE PREMIER. — LA CONQUÊTE ROMAINE

 

CHAPITRE VIII.

 

 

SI LA GAULE A CHERCHÉ À S'AFFRANCHIR.

 

Il ne faut pas juger de la Gaule soumise aux Romains comme de quelques nations modernes soumises à un joug étranger. Il ne faut pas la comparer à la Pologne assujettie à la Russie, ou à l'Irlande sévèrement régie par l'Angleterre. Toute comparaison de cette nature serait inexacte. Nous ne devons pas nous représenter la Gaule asservie, frémissante dans cet esclavage, et toujours prête à briser ses fers. Les faits et les documents nous en donnent une tout autre idée.

Environ cent années après la conquête, l'empereur Claude, dans une harangue au sénat, prononçait cette parole : La fidélité de la Gaule, depuis cent ans, n'a jamais été ébranlée ; même dans les crises que notre Empire a traversées, son attachement ne s'est pas démenti[1].

On compte, à la vérité, quelques tentatives de soulèvement ; il les faut étudier de près pour voir si elles prouvent que la Gaule, prise dans son ensemble, voulut cesser d'être romaine.

La première est celle qui eut pour chef le Trévire Julius Florus et l'Eduen Julius Sacrovir. Ces deux Gaulois portaient des noms romains et ils avaient précédemment brigué et obtenu le droit de cité romaine[2]. Dans leur révolte, ils ne manquèrent pas de raviver le souvenir de la vieille indépendance ; mais c'est surtout en parlant du poids des impôts et des abus de la perception qu'ils soulevèrent les hommes[3]. Il n'existait pas de troupes romaines en Gaule, sauf une cohorte à Lyon ; la négligence ou les embarras de l'empereur Tibère laissaient aux Gaulois tout le temps et tout le loisir de s'insurger. Ils purent discourir dans leurs assemblées et leurs réunions[4], faire fabriquer des armes[5], envoyer partout des émissaires. Cependant aucune cité, aucun des 64 gouvernements réguliers de la Gaule ne se déclara contre Rome. Les soldats gaulois qui servaient l'Empire restèrent presque tous fidèles[6]. Florus et Sacrovir n'avaient avec eux que ce qu'il y avait de plus turbulent et ceux à qui le manque de ressources ou la crainte de châtiments mérités par des crimes faisait du désordre un besoin[7]. Il y eut peu de peuples où ne fussent semés les germes de la révolte : il faut pourtant que le nombre des insurgés ait été bien faible ; car, pour réduire le peuple de l'Anjou, il suffit d'une seule cohorte venue de Lyon ; quelques compagnies envoyées des légions de Germanie châtièrent les Turons[8] ; quelques pelotons de cavalerie eurent raison des Séquanes[9]. Le chef trévire ne put grouper autour de lui, dans son pays lui-même, qu'un ramassis d'hommes qui étaient ses débiteurs et ses clients[10]. Une aile de cavalerie conduite par un autre Trévire nommé Julius Indus dispersa sans peine cette foule confuse[11]. Sacrovir fut un peu plus heureux : il réussit à se saisir de la ville d'Augustodunum[12] ; il put rassembler jusqu'à 40.000 Gaulois, mais dont les quatre cinquièmes n'étaient armés que d'épieux et de couteaux ; les meilleurs d'entre eux, paraît-il, étaient des gladiateurs bardés de fer, du genre de ceux que l'on appelait crupellaires. Deux légions écrasèrent facilement cette multitude qui ne combattit même pas ; les gladiateurs seuls, sous leur épaisse armure de fer, tinrent debout quelques instants[13]. — Il nous paraît impossible de reconnaître à ces traits une véritable insurrection nationale. Si la Gaule eût voulu redevenir indépendante, les choses sans doute se seraient passées autrement. Tacite fait même remarquer que le gouvernement impérial donna peu d'attention à ces impuissantes émeutes, qui furent peut-être grossies par la renommée[14].

Caius Julius Vindex, qui se révolta à la fin du règne de Néron, ne pensa pas à l'indépendance de la Gaule. Ce Gaulois, originaire d'Aquitaine et descendant d'une grande famille du pays, était sénateur romain et gouverneur de province[15]. Il n'avait pas lieu de souhaiter le renversement de l'Empire ; il ne voulait que changer d'empereur. Profitant de ce que les Gaulois avaient à se plaindre de l'administration de Néron, il les excita à la révolte. Les historiens anciens montrent avec une parfaite clarté la vraie nature de ce soulèvement. Vindex réunit les conjurés et commença par leur faire prêter serment de tout faire dans l'intérêt du sénat et du peuple romain[16]. Il les harangua ; sans dire un mot de l'indépendance gauloise, il leur énuméra les crimes de Néron : il dépeignit surtout la vie privée de ce monstre qui déshonorait, disait-il, le nom sacré d'empereur ; il les adjura enfin de venger le peuple romain, de délivrer de Néron l'univers entier[17] ; puis il proclama empereur Sulpicius Galba. Les Gaulois du Centre acceptèrent le nouveau prince ; mais ceux du Nord lui préférèrent Vitellius et s'armèrent pour le soutenir[18]. De liberté nationale il ne fut pas question.

Faut-il compter comme une révolte de la Gaule l'émeute soulevée par le Boien Marie ? Faut-il la présenter comme un effort de la démocratie ou du druidisme ? Mieux vaut s'en tenir au récit de Tacite, le seul que nous ayons sur cet événement. Un certain Maric, Boïen de la plus basse classe du peuple, osa, en simulant l'inspiration divine, provoquer les armes romaines. Il prétendait être libérateur des Gaules, il prétendait être un dieu[19]. On aperçoit bien dans ces premiers mots de l'historien que ce Marie avait le sentiment de l'indépendance gauloise et probablement de la religion nationale. Tacite ne prononce pourtant pas ici le nom des druides, et la suite montre combien ce mouvement était local et peu profond. Il rassembla 8.000 partisans, et entraîna quelques cantons voisins des Eduens ; mais cette cité à l'esprit très réfléchi arma l'élite de sa jeunesse et, aidée de quelques cohortes Vitelliennes, dispersa cette foule que la superstition avait rassemblée. Marie fut pris ; le stupide vulgaire le croyait invulnérable ; il n'en fut pas moins mis à mort[20].

La grande majorité des populations restait étrangère à tous ces mouvements de la Gaule et ne semblait pas penser à s'affranchir. Ce n'était pourtant pas la force matérielle qui la retenait dans l'obéissance. Rome n'avait pas d'armée pour la contenir. Quelques légions défendaient ses frontières contre les Germains ; mais il n'y avait pas de garnison dans l'intérieur du pays. Les troupes de police elles-mêmes étaient composées de Gaulois, entretenues et commandées par les autorités municipales. Si la Gaule avait regretté son indépendance perdue, il lui eût été facile de se soulever tout entière avant que les légions romaines eussent été à portée de combattre l'insurrection. Elle fut fidèle parce qu'elle voulut l'être. Un historien de ce temps-là dit d'elle : La Gaule entière, qui n'est pourtant ni amollie ni dégénérée, obéit volontairement à 1.200 soldats romains[21].

La révolte de Civilis, au milieu des luttes entre Vitellius et Vespasien, eut quelque gravité. Mais Civilis était un Batave, c'est-à-dire un Germain[22]. C'étaient aussi des Germains qui composaient son armée : Bataves, Frisons, Caninéfates, Cattes, Tongres, Bructères, Tenctères, Chauques, Triboques[23]. C'était toute l'avant-garde de la Germanie qui courait au pillage de la Gaule[24]. Velléda aussi était une Germaine et elle prédisait la victoire aux Germains[25]. Ils franchirent le Rhin, brûlant et saccageant. Ils s'emparèrent de Cologne, ville que les Romains avaient récemment fondée pour arrêter leurs incursions et qui par ce motif leur était particulièrement odieuse[26].

En tout cela il ne se pouvait agir d'affranchir la Gaule ; ces Germains n'étaient pas des libérateurs. Ils étaient même plus dangereux pour la Gaule que pour l'Empire. Civilis prétendit pourtant gagner les Gaulois à sa cause. C'était, au jugement de Tacite, un ambitieux qui voulait se faire roi des Gaulois et des Germains[27]. Pour attirer à lui les Gaulois, il leur parla de liberté, fit luire à leurs yeux l'abolition des impôts et du service militaire, leur rappela leur ancienne indépendance et leur en promit le retour[28].

Les Gaulois ne se laissèrent pas prendre tout de suite à un piège si grossier. Leurs auxiliaires coururent d'abord se joindre à l'armée romaine, et ils servirent l'Empire avec zèle[29]. Mais c'était le temps où l'Italie était eu proie à la guerre civile ; la bataille de Crémone avait été livrée déjà, mais la Gaule l'ignorait et croyait servir encore Vitellius vivant[30]. Bientôt on sut que l'Empire avait un nouveau maître, Vespasien, dont le nom même n'était pas connu de la Gaule ; c'était la troisième fois depuis une année qu'il fallait changer de serment. En même temps on voyait Civilis et les Germains faire des progrès ; ils avaient détruit plusieurs légions[31]. Il y eut alors un moment où beaucoup de Gaulois penchèrent vers la révolte, refusèrent aux Romains l'impôt et le service militaire[32] et prirent les armes, avec l'espoir de s'affranchir ou l'ambition de commander[33]. Un souffle de liberté et d'orgueil national semble à ce moment avoir passé sur la Gaule[34]. À la nouvelle de l'incendie du Capitole, on crut que les dieux abandonnaient Rome el que l'empire du monde allait passer à des nations transalpines ; telles étaient les prédictions des druides[35]. On ne voit pourtant pas dans le récit de Tacite que la Gaule se soit insurgée ; mais il y avait dans les armées romaines des cohortes gauloises ; après avoir été jusque-là fidèles, ces cohortes firent tout à coup défection. Les trois chefs gaulois Julius Classicus, Julius Sabinus et Julius Tutor étaient des officiers au service de l'Empire[36]. Se trouvant au milieu de légions fort affaiblies par de récents revers, ils s'entendirent avec Civilis, mirent à mort leur général et forcèrent les restes de ces légions à s'insurger comme eux. Ce fut une révolte militaire et non pas un soulèvement de la population[37].

Ces hommes parlaient de liberté ; ils se promettaient de rétablir la vieille indépendance et même de fonder un empire gaulois[38]. Le serment militaire, que les soldats avaient l'habitude de prêter aux empereurs, ils le firent prêter à l'Empire des Gaules[39]. Cependant l'un d'eux, Classicus, revêtit les insignes de général romain, et un autre, Sabinus, se fit saluer César[40]. Ces deux faits, attestés par Tacite, diminuent beaucoup la valeur du serment prêté à l'Empire des Gaules. L'historien ne dit pas non plus que la majorité de la population se soit soulevée à l'appel des trois chefs. Il fait bien voir que pendant plusieurs semaines il n'y eut aucun soldat romain en Gaule, que par conséquent la Gaule pouvait s'affranchir, si elle voulait, et qu'elle était maîtresse de ses destinées ; mais il ne dit nulle part qu'elle se soit insurgée. Il la montre hésitante ; on devine bien que tout un parti pencha vers la révolte et que quelques hommes individuellement prirent les armes ; mais, des quatre-vingts cités, il n'en nomme que deux, celle des Lingons et celle des Trévires, qui se soient décidées pour l'insurrection.

Cette insurrection fut réprimée d'abord, non par des troupes romaines, mais par les Gaulois eux-mêmes. Les Séquanes, restés fidèles à Rome, s'armèrent pour elle et mirent en déroute Sabinus et les Lingons[41].

Quant à Civilis et à ses Bataves, ils refusèrent de prêter serment à la Gaule. Ils aimaient mieux, dit Tacite, se fier aux Germains. Ils annonçaient même qu'ils allaient entrer en lutte avec les Gaulois ; ils disaient tout haut que la Gaule n'était bonne qu'à leur servir de proie[42].

La fidélité des Séquanes et leur victoire, peut-être aussi la crainte des Germains, ramenèrent la Gaule du côté de Rome[43]. Les Rèmes, qui n'avaient pas fait défection, convoquèrent une assemblée des députés de toutes les cités gauloises, pour délibérer en commun sur ce qu'il fallait préférer, de l'indépendance ou de la paix[44].

Alors se produisit un des événements les plus caractéristiques de toute cette histoire. Les députés des divers peuples gaulois se réunirent en une sorte d'assemblée nationale dans la ville qu'on appelle aujourd'hui Reims. Là on délibéra avec une entière liberté sur le choix entre la domination romaine et l'indépendance. Jamais question plus haute n'a été posée devant une nation et n'a été débattue avec plus de calme. Des orateurs parlèrent en faveur de la liberté, d'autres pour le maintien de la domination étrangère. Nous ne voyons d'ailleurs à aucun indice que ceux-ci aient été accusés d'être des traîtres, même par leurs adversaires, et il ne semble pas qu'ils aient été moins attachés que les autres à leur patrie. On discuta. Le grand nom de la liberté et le souvenir de la vieille gloire furent évoqués ; les cœurs en furent émus. Mais quelques esprits plus froids firent voir les dangers de l'entreprise : six légions romaines étaient en marche. On se demanda surtout ce que la Gaule, à supposer qu'elle réussît à s'affranchir, ferait de son indépendance, quel gouvernement elle se donnerait, où serait sa capitale, son centre, son unité. On montra les rivalités qui allaient renaître, les prétentions et les haines, la concurrence des divers peuples et l'animosité des partis[45]. On fit entrevoir à quelles incertitudes, à quelles fluctuations serait livrée la société gauloise. On pensa surtout aux Germains, qui depuis deux siècles avaient les bras tendus vers la Gaule, qui étaient poussés contre elle par tous les genres de convoitise[46], et qui n'attendaient que l'insurrection des Gaulois contre Rome pour inonder leur pays et le mettre à rançon. On calcula tous les avantages de la paix et de la suprématie romaine. On compara le présent à ce que serait l'avenir, et l'on préféra le présent[47]. La conclusion de ces grands débats fut que l'assemblée déclara solennellement, au nom de la Gaule entière, qu'elle restait attachée à Rome. Elle enjoignit aux Trévires, qui restaient seuls soulevés, de déposer les armes et de rentrer dans l’obéissance[48]. Puis beaucoup de Gaulois s'armèrent spontanément pour la défense de l’Empire[49]. Civilis, vaincu une première fois, se refit une nouvelle armée en Germanie[50]. Il fut vaincu encore et les Germains furent refoulés au delà du Rhin, qui était leur limite. La Gaule fut sauvée de l'invasion et resta romaine.

Tacite met dans la bouche d'un général romain des paroles qui expriment avec justesse la pensée qui préoccupait le plus les hommes de ce temps-là : Quand nos armées, disait-il en s'adressant à des Gaulois, entrèrent dans votre pays, ce fut à la prière de vos ancêtres ; leurs discordes les fatiguaient et les épuisaient, et les Germains posaient déjà sur leur tête le joug de la servitude. Depuis ce temps, nous faisons la garde aux barrières du Rhin pour empêcher un nouvel Arioviste de venir régner sur la Gaule. Nous ne vous imposons d'ailleurs d'autres tributs que ceux qui nous servent à vous assurer la paix. Vos impôts payent les armées qui vous défendent. Si l'Empire romain disparaissait, que verrait-on sur la terre, si ce n'est la guerre universelle ? Et quel peuple serait en péril plus que vous, vous qui êtes le plus à portée de l'ennemi, vous qui possédez l'or et la richesse qui appellent l'envahisseur ?[51]

Il semble étonnant au premier abord que la Gaule ait eu besoin de l'Empire pour se défendre contre la Germanie. Ce n'est pas que le courage et l'esprit militaire fissent défaut aux Gaulois. Il s'en faut beaucoup que les écrivains de ce temps-là les représentent comme une race amollie. Ils sont tous d'excellents soldats, dit Strabon, et c'est d'eux que les Romains tirent leur meilleure cavalerie[52]. César ne dédaignait pas non plus leurs fantassins ; il en enrôla beaucoup dans son armée. Ils ne cessèrent jamais, durant les cinq siècles de l'Empire, de fournir de nombreux soldats et des officiers aux légions romaines, qui à cette époque ne se recrutaient plus en Italie. Les bras qu'ils mettaient au service de l'Empire leur auraient suffi pour se défendre eux-mêmes. Mais, sans l'Empire, la désunion se fût mise aussitôt parmi eux. Dans les grandes guerres et en présence des invasions, le courage personnel ne sert presque de rien. C'est la force des institutions publiques et la discipline sociale qui défendent les nations. Là où le lien politique est trop faible, l'invasion a pour premier effet de désorganiser le corps de l'Etat, de troubler les esprits, d'égarer les caractères, et dans le désordre qu'elle répand elle est infailliblement victorieuse. C'est ce qui était arrivé à la Gaule au temps des Cimbres et au temps d'Arioviste. Cela se serait reproduit encore si la domination romaine n'avait fait d'elle un corps constitué et solide. Cette domination fut pour les Gaulois le lien, le ciment, la force de résistance[53].

 

 

 



[1] Discours de Claude, trouvé à Lyon : Centum annorum immobilem fidem, obsequiumque multis trepidis rebus nostris plus quant experium. — Tacite, Annales, VI, 21 : Continua et fida pax. — Ammien, XV, 12 : Gallias Cæsar societati nostræ fœderibus junxit æternis.

[2] Tacite, Annales, III, 40 : Ambobus Romana civitas olim data.

[3] Ibidem : Disserebant de continuatione tribulorum, gravitate fenoris, sævilia præsidentium.

[4] Ibidem : Per concilia et cœlus seditiosa disserebant.

[5] Tacite, Annales, III, 43.

[6] Tacite, Annales, III, 42 : Pauci corrupti, plures in officio mansere. Les soldats dont parle ici Tacite avaient été levés chez les Trévires. Il signale ailleurs des cohortes gauloises au service de Rome (Annales, II, 17 : Histoires, I, 70).

[7] Tacite, Annales, III, 40 : Ferocissimo quoque assumpto aut quibus ob egestatem ac melum ex flagiliis maxima peccandi necessitudo.

[8] Tacite, Annales, III, 41 ; III, 46 : Una cohors rebellem Turonum profligavit.

[9] Tacite, Annales, III, 46 : Paucæ turmæ profligavere Sequanos.

[10] Tacite, Annales, III, 42 : Vulgus oberatorum aut clientium.

[11] Tacite, Annales, III, 42 : Julius Indus e civitate eadem, discors Flore, et ob id navandæ operæ avidior, inconditam multitudinem disjecit.

[12] Il n'est pas exact que Sacrovir ait enrôlé la jeunesse des écoles, ainsi qu'on l'a dit (Henri Martin, t. I, p. 22i). Tacite dit qu'il garda ces jeunes gens en otage, ce qui est fort différent.

[13] Le récit de cette singulière bataille est dans Tacite, Annales, III, 45-40. Sacrovir avait mis en première ligne ses gladiateurs au milieu, ses cohortes bien armées sur les ailes ; derrière, les bandes mal armées. Silius attaqua de front ; les ailes gauloises, c'est-à-dire les cohortes bien armées, ne tinrent pas un moment, nec cunctatum apud latera ; les gladiateurs seuls retardèrent un instant le soldat romain, paulum moræ attulere ferrati ; ces crupellaires qu'une armure de fer couvait complètement (Annales, III, 45) ne pouvaient ni frapper ni fuir ; l'épée du légionnaire n'avait pas de prise sur eux ; il fallut les abattre avec la hache ou bien, à l'aide de leviers ou de fourches, les renverser à terre où ils restèrent comme des masses inertes sans pouvoir se relever. Quant à la seconde ligne de l'armée gauloise, Tacite n'en parle même pas.

[14] Tacite, Annales, III, 44 : Cuncta, ut mos famæ, in majus credita. L'historien ajoute que Tibère affectait une grande sécurité, soit par fermeté d'âme, soit qu'il sût que le mouvement se réduisait à peu de chose. Le mot de Velléius, quantæ molis bellum (II, 129), a peu de valeur historique. Il est digne de remarque que ni Suétone ni Dion Cassius n'ont cru devoir parler de ces événements.

[15] Dion Cassius, LXIII, 22 : βουλευτς τν ωμαων... προστη τν Γαλατν. — Suétone, Nero, 40 : Gallium provinciam pro præture obtinebat.

[16] Zonaras, VI, 13. On sait que Zonaras est un écrivain fort postérieur à ces événements ; mais on sait aussi que Zonaras s'est servi de Dion Cassius, dont le véritable texte nous manque sur ce point.

[17] Dion Cassius (abrégé par Xiphilin), LXIII, 22-25. Tacite ne nous donne pas le récit de cette révolte ; mais les allusions qu'il y fait {Histoires, I, 51), confirment le récit de Dion Cassius. Il en est de même de Suétone (Galba, 9) et de Pline l'Ancien (XX, 57, 100). Il n'y a pas en tout cela un seul trait qui permette de voir en Vindex un partisan de l'indépendance.

[18] Tacite, Histoires, I, 51 : Pars Galliarum quæ Rhenum accolit, secula easdem partes (le parti de Vitellius), ac tum acercium instigatrix adversus Galbianos ; hoc enim nomen, fastidito Vindice, indiderant.

[19] Tacite, Histoires, II, 61 : Mariccus quidam, e plebe Boiorum... provocare arma romana simulatione numinum ausus est. Jamque assertor Galliarum et deus, nom id sibi indiderat...

[20] Tacite, Histoires, II, 61 : Concilis octo millibus hominum provimos Æduorum pagos trabebat, cum gravissima civitas electa juvenlute, adjectis a Vitellio cohortibus, fanaticam multitudinem disjecit....

[21] Josèphe, De bello judaico, II, 16.

[22] Tacite, Histoires, IV, 1-2-13. Ce Germain était d'ailleurs au service de Rome et avait obtenu un commandement de cohorte (ibidem, 16 et 32).

[23] Tacite, Histoires, VI, 16, 21, 37, 61, 70, 79.

[24] Tacite, Histoires, IV, 21 : Excita ad prædam famamque Germania. — Ibidem, 28 : Civitem immensis auctibus universa Germania extollebat.

[25] Tacite, Histoires, IV, 61 : Veleda, virgo nationis Bructeræ, late impevitabat, vetere apud Germanos more, quo plerasque feminarum fatidicas arbitrantur... Veleda prosperas res Germanis prædixerat. — Tacite, Germanie, 8 : Veledam, diu apud plerosque numinis loco habitam. — Nous ignorons absolument d'où est venue la singulière légende qui a fait de Velléda une Gauloise.

[26] Tacite, Histoires, IV, 65 : Transrhenanis gentibus invisa civitas opulentia auctuque ; neque aliumi finem belli rebantur quam si promicena ea sedes omnibus Germanis foret.

[27] Tacite, Histoires, IV, 18 : In Gallias Germaniasque infestas, validissinarum nationum regno imminebat.

[28] Tacite, Histoires, IV, 17 et 32.

[29] Tacite, Histoires, IV, 25 : Affluentibus auxiliis Gallorum, qui primo rem romanum enixe juvabant. Plus loin, c. 37, Tacite montre les Trévires luttant vaillamment contre les Germains.

[30] Tacite, Histoires, IV, 57.

[31] Mox, valescentibus Germanis (Tacite, Histoires, IV, 25).

[32] Delectum tributaque aspernantes (Tacite, Histoires, IV, 26).

[33] Pleræque civitates adversus nos armatæ, spe libertatis et cupidine imperitandi (Tacite, Histoires, IV, 25).

[34] Tacite, Histoires, 54 : Galli sustulerant animos.

[35] Tacite, Histoires, 54 : Fatali igne signum cælestis iræ datum et possessionem rerum humanorum transalpinis gentibus portendi druidæ canebant.

[36] Tacite, Histoires, 55.

[37] Voir tout le récit de Tacite, du chapitre 55 au chapitre 62.

[38] Tacite, Histoires, c. 55 et 58.

[39] Tacite, Histoires, 59-60 : Juravere qui aderant pro imperio Galliarum... In verba Galliarum juravere. Tacite ne parle ici que des soldats, soit ceux des légions romaines, soit ceux des cohortes auxiliaires. Il ne dit pas qu'un serment de cette nature ait été prêté par la population gauloise.

[40] Tacite, c. 59 : Classiciis sumptis romani imperii insignibus in castra venit ; c. 67 : Sabinus Cæsarum se salutari jubet.

[41] Tacite, c. 67 : Sequanos civitatem nobis fidam.... Fusi Lingones.

[42] Tacite, c. 61 : Civilis neque se neque quemquam Batavum in verba Galliarum adigit ; fisus Germanorum opibus... certandum adversus Gallos de possessione rerum ; c. 76 : Gallos quid aliud quam prædam victoribus.

[43] Tacite, c. 67 : Sequanornm prospera acie belli impetus stetit ; resipiscere civitates, fasque el fœdera respicere.

[44] Tacite, c. 67 : Remi per Gallias edixere ut missis legatis in commune consultarent libertas an pax placeret.

[45] Tacite, Histoires, IV, 69 : Deterruit plerosque provinciarum æmulatio.... Quam, si cuncta procederent, sedem imperio legerent? nondum victoria, jam discordia erat.

[46] Tacite, Histoires, IV, 75 : Libido atque avaritia.

[47] Tacite, Histoires, IV, 69 : Pacis bona dissertans.... Tædio futurorum præsentia placuere.

[48] Tacite, Histoires, IV, 69 : Scribuntur ad Treveros epistolæ nomine Galliarum ut abstinerent armis.

[49] Tacite, Histoires, IV, 79 : Multitudinem sponte commotam ut pro Romanis arma capesseret.

[50] Tacite, Histoires, V, 13 : Reparato per Germanium exercitu.

[51] Tacite, Histoires, IV, 72-74.

[52] Strabon, IV, 4, 3. — Appien dit (Guerres civiles, II, 9) que César avait 10.000 cavaliers gaulois dans son armée.

[53] M. P. Viollet a imaginé un système sur les insurrections gauloises. Il est parti d'abord de cette idée préconçue que la Gaule avait dû se révolter fréquemment, énergiquement, unanimement. Pour justifier ces insurrections, il a prétendu que Rome s'était engagée envers les cités fédérées de la Gaule à ne pas leur mettre d'impôts, et que, rompant ces engagements, elle avait levé des impôts considérables. -— Tout cela est de pure imagination. — Il y eut, sans doute, quelques cités gauloises qui furent dites fédérées ; mais nous ignorons absolument quelles furent les conditions qui leur furent faites ; les documents n'en disent pas un mot. Comme on les appela civitates fœderatæ, il est permis de supposer qu'un fœdus fut conclu entre elles et Rome ; encore cela n'est-il pas sur, et la supposition opposée, à savoir qu'il n'y eut aucun traité, mais un simple titre, est tout aussi acceptable en l'absence de tout document ; en tout cas, et en admettant même que César ait conclu un fœdus avec chacune de ces cités, M. Viollet seul est assez hardi pour savoir que l'exemption d'impôts y fût contenue, assez hardi ensuite pour affirmer que Rome rompît cet engagement. M. Viollet commet une autre méprise : il voit, par exemple, qu'un Trévire s'est révolté, et il suppose tout de suite que c'est la cité des Trévires qui s'est révoltée. Il oublie que cet homme était un officier romain, citoyen romain, à peu près étranger à sa cité. Prendre un homme pour toute une cité, alors surtout qu'il s'agit d'une cité gauloise, est une forte erreur. Voir Académie des inscriptions, séance du 15 juillet 1887.

M. Mommsen a [de même] beaucoup exagéré l'importance de cette révolution. Il représente la noblesse celtique formant une vaste conjuration pour renverser la suprématie romaine ; les peuplades les plus considérables se joignant aux rebelles, les Trévires se jetant dans les Ardennes, les Éduens et les Séquanes se soulevant à la voix de Julius Sacrovir ; enfin ce soulèvement témoignant de la haine encore vivace des Gaulois et surtout de la noblesse contre les dominateurs étrangers ! (traduction, p. 101, texte, p. 73). Aucun de ces traits n'est dans les documents. Les documents ne parlent que du poids des impôts. Ils parlent non de toute la noblesse celtique, mais de quatre personnages seulement, et il se trouve que ces quatre personnages, nés en Gaule, étaient citoyens romains.