Les enfants abandonnés, les enfants trouvés étaient très nombreux sous l'ancien régime. Un édicule, en forme de très petite chapelle, une recevresse, était même spécialement édifié à cette intention sur le parvis de Notre-Dame. On sait comment Jean-Jacques Rousseau, prophète des temps nouveaux et qui écrivait de si beaux livres sur l'éducation de la jeunesse, abandonnait de la sorte ses enfants. L'hôpital des Enfants trouvés était spécialement destiné à recevoir les pauvres petits êtres, puis l'hôpital des Enfants-Rouges (rue du Grand-Chantier), qui dans la suite sera réuni aux Enfants trouvés. D'autres étaient placés à la Pitié et à la Salpêtrière. Ces établissements en arrivaient à recevoir de ces malheureux petits en si grand nombre qu'ils en venaient à manquer cruellement de nourrices ; aussi la perte en vies humaines y atteignait-elle de douloureuses proportions. Un registre des délibérations de l'Hôpital général de 1775 porte le chiffre des décès au tiers de celui des enfants recueillis. On en confiait à des meneurs qui les conduisaient à la campagne et les plaçaient moyennant une modique rétribution, chez des bonnes gens qui s'engageaient à les élever et à les nourrir jusqu'à l'âge de cinq ou six ans ; mais ici encore la mortalité, par suite d'une trop fréquente négligence de la part des nourriciers et nourricières, atteignait de désolantes proportions. Sous le règne de Louis XVI (1784), on essaya de nourrir les pauvres petits au biberon ; les résultats ne furent pas plus heureux. En 1678, dans la seule Salpêtrière et dans la seule partie de l'établissement dénommée l'Ecole, on comptait 280 enfants de cinq à dix ans. Par manque de place, on les couchait au dortoir cinq dans un même lit. Cette école installée à la Salpêtrière dans le bâtiment dit Saint-Joseph, était destinée aux enfants âgés de plus de quatre ans. Des femmes mariées y enseignaient aux bambins la lecture, l'écriture et les éléments du catéchisme. A six ou sept ans, les fillettes apprenaient à tricoter. Aux meilleurs sujets était enseigné le chant. Les petits garçons les plus adroits étaient transférés à onze ou douze ans à Bicêtre en vue d'y apprendre l'un ou l'autre métier. De la sorte y formait-on de futurs maîtres fileurs, tisserands, drapiers, cordonniers, serruriers, ébénistes et tanneurs. On s'occupait également d'en placer chez d'honnêtes artisans, tant à Paris qu'à la campagne. Pour les filles qu'elle mettait ainsi en apprentissage, la maison versait une modique pension, généralement 40 livres, soit approximativement 600 francs de valeur actuelle. En retour, le patron ou la patronne, chez qui elle était placée, prenaient l'engagement de s'efforcer de marier convenablement la fillette sur ses quinze ou seize ans, en lui fournissant une petite dot. Quant aux garçons, le maitre artisan était autorisé à les conserver gratuitement en son atelier deux années après achèvement de leur apprentissage, ce qui devait lui constituer la rétribution pour les soins donnés. Pour l'éducation professionnelle des enfants de l'Hôpital général, tous les corps de métier parisiens étaient tenus, à toute réquisition, — jusqu'aux maîtresses lingères — de mettre deux compagnons ou habiles ouvrières au service de l'Hôpital pour l'instruction technique des petits. Après dix ans de séjour et d'enseignement à Bicêtre ou à la Salpêtrière, lesdits compagnons en acquéraient droit de maîtrise et pouvaient, à leur tour, s'installer chefs d'atelier sans avoir à subir l'examen corporatif ni à produire de chef-d'œuvre. A la Salpêtrière, les filles apprenties couturières étaient réunies dans un bâtiment placé sous le vocable de Sainte-Claire. A leur intention y avaient été aménagés des ateliers. Fréquemment des personnes de condition, des bourgeoises parisiennes venaient y demander des filles qu'elles engageaient à leur service. A son arrivée à Bicêtre, Rétif de la Bretonne enfant, placé auprès d'un frère aîné qui, dans la maison, faisait fonction de maitre de catéchisme et de surveillant, est tout surpris en traversant les cours d'y voir passer une longue théorie d'enfants de chœur en calotte rouge, soutane, camail et surplis. Je les regardai avec admiration, écrit-il, et m'écriai : Ho ! que de petits curés ! Lui-même allait devenir un de ces petits curés sous le nom de Frère Augustin. Nous savons d'autre part que les curés des diverses paroisses de Paris demandaient à l'Hôpital général, pour le service des enterrements, les enfants qui porteraient les flambeaux durant la cérémonie. A la Pitié, on apprenait aux filles à lire, à écrire, à coudre et à tricoter ; les garçons recevaient une éducation analogue. Les bâtiments où ils étaient placés s'appelaient la Petite Pitié et les classes où ils travaillaient les petites classes. Dans les grandes classes, leur instruction se complétait par l'enseignement de l'orthographe et de l'arithmétique. Enfin, en des classes supérieures, où l'on n'était admis que par sélection, étaient enseignés le latin et quelques sciences abstraites. On y formait des maîtres destinés à donner plus tard l'enseignement dans les classes inférieures. L'instruction technique à la Pitié était assez développée pour que les enfants parvinssent à y fabriquer des draps pour les vêtements des détenus dans les divers hôpitaux, voire pour l'habillement des troupes. Les enfants étaient ainsi répartis, à la Pitié, en sept emplois, métiers divers, chacun sous la direction d'un maitre, assisté d'un sous-maitre. A la veille de la Révolution, le nombre des pauvres petits assistés y était de 1.396, occupant 1.100 lits. Malheureusement, ces pauvres petits êtres abandonnés se trouvaient réunis en trop grand nombre pour qu'une éducation soigneuse, une surveillance efficace y fussent possibles. Les vices se propageaient en ces agglomérations confuses. Les contemporains s'en plaignent et font de beaux projets pour y remédier. A l'hôpital du Saint-Esprit, il y avait, sous le règne de Louis XVI, environ quatre cents enfants, dont cent quatre-vingts orphelins. Les parents ou les particuliers, qui désiraient y faire recevoir des enfants, devaient au préalable faire un versement de 240 livres pour frais d'apprentissage. Comme dans les autres hôpitaux précédemment cités, les petits bonshommes y apprenaient à lire, à écrire, les premiers éléments du calcul et les principes de leur religion. Les garçons recevaient en outre des leçons de dessin et de plain-chant ; les filles, des leçons de couture. Le duc de La Rochefoucauld, qui inspecte l'établissement sur la fin de l'Ancien régime, écrit en son rapport que les filles y devenaient de bonnes ménagères. Quant aux garçons, ajoute le noble duc, il est regrettable que l'Etat continue à élever à grands frais des sujets dont le plus grand nombre doit troubler l'ordre public, tandis qu'il serait facile d'en faire des citoyens laborieux, utiles et heureux. Quant à ceux de ces enfants qui se révélaient mauvais sujets, ils étaient transférés, les garçons à Bicêtre, les filles à la Salpêtrière ; malheureux dont c'était la perte. Car il n'y avait pas seulement des hôpitaux maisons d'asile pour enfants abandonnés, la plupart d'entre eux servaient de maisons de correction, voire de prisons véritables. Prisons pour enfants. Et tout d'abord, à l'archevêché
même, la prison de l'Officialité où nous voyons qu'en juillet 1699 étaient
détenus vingt et un enfants, dont deux par ordonnance du lieutenant civil,
les autres à la requête de leurs parents à fin de correction. Nos jeunes
gaillards paraissent d'ailleurs avoir été réellement indisciplinés et, à
l'Officialité même, faisaient un vacarme qui soulevait plaintes sur plaintes.
Prisons enfantines semblables à l'Officialité de Saint-Germain-des-Prés, à la
maison du Temple, à Saint-Martin, à Saint-Victor, à Saint-Lazare. Les plus
turbulents étaient transférés dans les prisons de Villeneuve-sur-Gravois. Au
début du règne de Louis XV, Sauvai écrivait en sa monumentale Histoire de
Paris : Depuis que les Missionnaires
— fondés par saint Vincent de Paul — sont à
Saint-Lazare, pour 5 ou 600 livres ils reçoivent les enfants de famille et
les traitent en enfants de bonne maison, ils ne les remettent point entre les
mains de leurs parents qu'en état de leur obéir et de mener une vie réglée ;
en un mot ils s'en acquittent si bien qu'on ne met presque plus ailleurs les
enfants de Paris dont les actions déshonorent leur famille. Ajoutons
que 5 ou 600 livres de l'époque représenteraient de nos jours dix ou douze
mille francs. A ce taux, nos Missionnaires
pouvaient bien traiter leurs jeunes hôtes. A Saint-Martin, où les parents faisaient incarcérer leurs enfants débauchés, la vie était sévère. On les y gardait, sur la fin du XVIIe siècle, dans une tour sous le gouvernement d'un Frère convers nommé Jacques Faissard ; dont on ne tarda pas à faire fessard, car réglément le Frère Faissard fessait les enfants commis à sa garde deux fois par jour. Il s'y prenait si bien, note Sauval, qu'au sortir de ses mains les uns se faisaient capucins, les autres chartreux, d'autres mathurins. Ces heureux résultats n'empêchèrent pas le Frère Faissard d'être dépouillé de ses fonctions éducatives dont il tirait personnellement d'appréciables bénéfices. Encouragé par le succès de ses méthodes, Frère Faissard, rendu à la vie civile, y continua son commerce éducatif en un appartement qu'il loua à cette intention et où il continua d'être favorisé d'une nombreuse clientèle. Mais les principales maisons de détention pour enfants à punir étaient Bicêtre pour les garçons et la Salpêtrière — pour les filles. Ils y étaient mis, soit à la requête des parents, soit sur ordre du Magistrat — on veut dire du lieutenant de police. Notons qu'un enfant, sous l'Ancien régime, ne parvenait à sa majorité qu'à l'âge de vingt-cinq ans ; jusque-là, il était réputé mineur et sous l'autorité de père et mère. A l'Hôpital général néanmoins — Bicêtre et Salpêtrière — de sérieuses précautions étaient prises et l'on vérifiait les plaintes des familles. A chaque requête en vue d'interner un enfant, le bureau de l'Hôpital déléguait un ou deux de ses membres pour enquête sur les plaintes formulées. Aux enfants enfermés à la demande de leurs parents étaient joints les enfants au-dessous de vingt-cinq ans arrêtés pour vol. A Bicêtre comme à la Salpêtrière, les enfants incarcérés pour correction étaient vêtus comme les pauvres recueillis dans la même maison : vêtements de tiretaine, selon le règlement de 1689 ; des sabots aux pieds ; leur lit comprenait paillasse, draps et une couverture. Les enfants à la correction se levaient le matin à cinq heures en été, six heures et demie en hiver. Ils étaient aussitôt conduits à l'ouvroir où l'un de leurs sous-maîtres leur faisait faire leurs prières en commun et chanter le Veni creator. Après quoi on leur distribuait à chacun un morceau de pain sec pour leur déjeuner. Une fille de service les peignait l'un après l'autre. Puis le travail commençait. On ne leur enseignait aucun des métiers où l'on instruisait les enfants recueillis par charité. Ils faisaient du lacet, mais qui leur était payé à la pièce, petites sommes qui demeuraient leur propriété. Ils demeuraient enfermés dans leur ouvroir tout le long du jour, n'interrompant leur travail qu'à midi, pour manger un morceau de pain, et à deux heures pour chanter vêpres, à cinq heures enfin pour le souper. L'été, cependant, avant de se coucher, ils sortaient en récréation. Ajoutons que la facture des lacets était pour eux interrompue à tour de rôle deux par deux, ils allaient prendre des leçons de lecture et d'écriture. Avec le produit de leur travail, nos petits prisonniers pouvaient améliorer leur menu, les jours gras — cinq jours par semaine — acquérir une demi-livre de bœuf et tous les jours de la semaine, des fruits et des rafraîchissements. Aussi bien le règlement de 1684, pour la Salpêtrière comme pour Bicêtre, fixait la récompense à donner aux enfants qui témoigneraient d'une conduite satisfaisante et du désir de se corriger ; récompense la meilleure qu'on pût souhaiter : On leur fera apprendre un métier, dit le règlement, autant que possible des métiers convenables à leur sexe et à leur inclination et propres à gagner leur vie, et ils seront traités avec douceur à mesure qu'ils donneront des preuves de leur changement. Le côté le plus fâcheux de l'existence de ces petits malheureux était le manque d'hygiène, à la Salpêtrière particulièrement. Le quartier était malsain, par suite des odeurs qui se dégageaient des petits cours d'eau serpentant dans le quartier et des dépôts d'ordures. La gale est la plus habituelle parmi les enfants de la maison, dit un rapport de 1790. Il y a une infirmerie établie uniquement pour cette maladie, où l'on met tous les enfants qui en sont attaqués et où ils sont traités avec grand soin, mais toujours infructueusement et sans que, jusqu'à présent, on soit parvenu à la détruire. De plus, il régnait dans la maison une épidémie de fièvre intermittente et dont on ne parvint jamais à se débarrasser. Les auteurs du rapport de 1790 l'attribuent aux émanations pestilentielles qui se dégageaient de la voirie, des eaux stagnantes qui avoisinaient la maison, enfin de la petite rivière (la Bièvre) qui charrie tous les immondices des Gobelins et du faubourg Saint-Marcel. |