PRISONS D’AUTREFOIS

 

CHAPITRE VI. — LES REFUGES.

 

 

Après les couvents, les Refuges : le refuge de l'Isle-Bouchard en Touraine, celui de Nancy, celui de Besançon. Le refuge parisien — Sainte-Pélagie — en est le type : maisons tenues par des religieuses où venaient se mettre en paix de pauvres âmes secouées par les orages de la vie. Elles s'y réfugiaient d'initiative personnelle, mais l'administration royale en vint à profiter de l'existence de ces maisons, généralement bien ordonnées, pour y placer des détenues par lettre de cachet. Ainsi, les Refuges eux-mêmes en vinrent au long aller à prendre caractère de maisons de force.

Sainte-Pélagie avait été fondée par un comité de dames pieuses et charitables dans des vues de bienfaisance. Elles lui avaient donné son nom. A côté de recluses volontaires, natures délicates qui venaient y chercher asile contre les vicissitudes et les duretés du monde, des jeunes filles nobles et riches qui ayant déshonoré leur famille ou causé un scandale public y avaient été placées d'ordre du roi (lettre de cachet) ou par autorité de justice. Les recluses se trouvaient ainsi réparties en deux divisions, séparées l'une de l'autre : celle des pensionnaires de bonne volonté, et celle des prisonnières, cloîtrées par contrainte.

On vit ainsi réunies à Sainte-Pélagie jusqu'à quarante détenues ; mais généralement, elles y étaient moins nombreuses. A l'avènement du Régent, on en comptait dix, sur lesquelles le duc d'Orléans en fit élargir huit en l'honneur de son accession au pouvoir. Mais en conséquence de ses origines, on continua à recevoir à Sainte-Pélagie des pensionnaires volontaires avec des recluses d'ordre du roi ou des tribunaux. Le régime, de tradition, était peu sévère. Régime de communauté religieuse. Comme les nonnettes d'un couvent, les détenues se titraient Sœur avec un nom de sainte. Telle prisonnière était appelée Sœur Gertrude et telle autre Sœur Eulalie. La plupart d'entre elles pouvaient sortir librement, sous engagement de rentrer au jour et à l'heure fixés. Sœur Cunégonde sort de la maison pour aller passer quinze jours dans sa famille, à la campagne. Le mois de mai était si beau cette année et l'air de la campagne ferait grand bien à notre pensionnaire qui, le temps écoulé, revint gentiment se remettre en captivité. Les membres du comité de mendicité louent en leurs rapports la bonne tenue de la maison ; ils en soulignent le caractère honnête, décent et gai. Aussi, lors des inspections par les soins de la lieutenance de police, la majeure partie des pensionnaires demandent-elles à demeurer dans la maison ; celles de ces dernières dont la conduite était satisfaisante étaient alors placées dans la partie du Refuge réservée aux recluses de bonne volonté. Pauvres filles séduites, mais pour la plupart femmes mariées qui ont cru devoir donner à leur mari un ou plusieurs collaborateurs ; enfin, des malheureuses que, par pitié, les gens du roi ont voulu, par une lettre de cachet, soustraire aux rigueurs — à cette époque d'une sévérité extrême — et aux conséquences infamantes d'une condamnation judiciaire. Voici une jeune Allemande qui a été amenée de Mannheim par un mousquetaire, puis abandonnée ; elle est dans la partie de la maison réservée aux recluses de bonne volonté. Une pauvre fille a été séduite par son père ; elle en est devenue grosse, elle est du côté de bonne volonté.

La pension demandée aux particuliers variait de 400 à 600 livres. La famille cesse-t-elle de payer la pension, la prisonnière est aussitôt rendue à la liberté. L'administration prend à cœur les intérêts matériels des prisonnières, elle veille à ce que leur famille n'abuse pas de leur captivité pour leur faire tort en leurs biens et pourvoie convenablement à leur entretien.

La direction du Refuge avait autorité pour évacuer sur la Salpêtrière les pénitentes dont la conduite laissait à désirer ; menace, entre ses mains, contre les filles rebelles à une plus douce discipline. Ordre ancien que le chancelier Daguesseau approuve fort. D'autre part, pouvaient être transférées de la Salpêtrière au Refuge les détenues qui donnaient satisfaction par leur conduite ou avaient du crédit. Cependant, au séjour de Sainte-Pélagie, la plupart auraient préféré celui d'une abbaye.

Une dame Ulrich, âgée de quarante-cinq ans, était enfermée au Refuge depuis 1710. Lors de son inspection en 1714, d'Argenson pensa lui donner la liberté mais elle ne possédait qu'une rente de 100 francs. Comment subsister à Paris d'une somme si modique ?

En composant des romans et des nouvelles historiques, répondit-elle.

D'Argenson estima cette ressource plus dangereuse qu'utile. Mme Ulrich fut retenue au Refuge.

La différence entre Sainte-Pélagie et la Salpêtrière est bien marquée par d'Argenson dans une lettre à Pontchartrain à propos d'une personne qui devait être renfermée au plus tôt, écrit-il, à la maison du Refuge ou à l'Hôpital (Salpêtrière) : Ce qui me porte à vous proposer la première, c'est qu'on trouvera certainement chez cette femme de quoi payer la pension et que la maison de force (la Salpêtrière) ne convient qu'aux personnes dont la pénitence est entièrement désespérée.

Le Bon Pasteur de Paris ne recevait que des pénitentes volontaires.

Le Bon Pasteur de Caen peut être comparé au Refuge parisien.

Le Refuge de Besançon était, en 1711, si étroit qu'il n'y avait pour toutes les recluses qu'une seule chambre, ou plutôt qu'un seul grenier dans lequel elles couchaient. Les religieuses faisaient élever un bâtiment neuf.

Il y avait encore des refuges à Aix, à Marseille, à Arles, à Tarascon, à Tarbes. Les établissements tenus par des religieuses étaient généralement administrés par les notables du lieu. On y plaçait des personnes de la bourgeoisie et de la classe populaire. Nous avons dit que les gens de qualité nobiliaire préféraient les couvents.