PRISONS D’AUTREFOIS

 

CHAPITRE V. — COUVENTS DE FEMMES.

 

 

Les couvents composés de religieuses et destinés à recevoir des pensionnaires d'ordre du roi, autrement dit par lettres de cachet, étaient plus nombreux encore que les maisons tenues par des religieux.

 On en sait l'extrême variété sous l'Ancien régime. Il y en avait pour tous les goûts. A côté de vocations véritables, parmi ces religieuses combien de veuves plus ou moins inconsolables, de filles contraintes à prendre l'habit parce qu'elles étaient sans dot, les parents ayant employé celle qui aurait dû leur revenir à grossir la fortune du frère aîné. Parmi les abbesses, quelques femmes de grande vertu et de haute intelligence ; mais le plus grand nombre ne devaient leur dignité qu'à l'influence ou à l'illustration de leur maison. D'où l'extrême diversité des établissements, bien adaptés, au reste, et par leur diversité même, à recevoir des pensionnaires par lettre de cachet.

A Paris, le couvent de Notre-Dame-des-Prés était, au début du XVIIe siècle, une maison de haute liesse et bombance.

La marquise de Mirabeau, la mère du tonitruant tribun, est mise, d'ordre du roi, à l'abbaye des Allaix de Limoges. La vie y est très libre. Elle écrit au monde entier des lettres remplies d'injures et de calomnies contre la supérieure, Mme de Lintilhac.

A Paris, le couvent du faubourg Saint-Victor recevait des pensionnaires, soit volontaires, soit d'ordre du roi, à des conditions modestes. La maison était bien tenue, dans une atmosphère bienfaisante. On y voyait des dames de la meilleure société solliciter elles-mêmes une lettre de cachet oui les y mettrait à l'abri des tracas du monde et de leurs maris. De même dans la communauté du Saint-Esprit, à l'extrémité du faubourg Saint-Germain, religieuses et pensionnaires vivaient clans une égalité parfaite.

Le couvent est divisé en trois communautés : la Temple, que les Parisiens nommaient les Madelonnettes, tenu par des religieuses, avait le caractère d'une prison. D'Argenson y fait une inspection en 1708 et en écrit au ministre Pontchartrain, le 10 avril :

Le couvent est divisé en trois communautés la première, celle des professes : la seconde, qu'on appelle du Voile blanc, où se trouvent des manières de religieuses sur qui le supérieur ecclésiastique, établi par l'archevêque de Paris, a toute autorité la troisième, qu'on nomme la maison de Saint-Lazare est destinée aux prisonnières par lettre de cachet. La maison de force se compose d'un petit corps de logis contenant huit cellules grillées, mais sur lesquelles plonge la vue des voisins. Ceux-ci disent des injures les plus outrées aux religieuses qui sont chargées du soin de ces filles indociles, écrit d'Argenson. De plus, un toit commun avec un immeuble voisin assure l'entrée et facilite la sortie de toutes les lettres que l'on veut écrire. Les murs de clôture sont peu élevés. Les Madelonnettes étaient célèbres par le nombre des évasions.

Le ministre de Paris soupçonnait même la supérieure d'y avoir quelque part, car les religieuses de la Madeleine auraient désiré que leur communauté, fondée pour servir d'asile à des dames et à des demoiselles ayant péché, fût transformée en simple couvent et débarrassée de ses pensionnaires. Pontchartrain écrit au cardinal de Noailles que la tourière ne trouve rien de mieux, quand une dame a été confiée à sa garde pour mettre fin à une vie libertine, que d'avertir les amis de la darne afin qu'ils viennent adoucir sa captivité. Les religieuses permettaient à des dames du monde de prendre appartement dans leur couvent : celles-ci s'y trouvaient en contact avec les pénitentes, les prenaient en compassion, ce qui engendrait d'autres complications.

L'administration royale possédait trois maisons à Paris pour femmes ou filles dissipées : aux Madelonnettes, on mettait les moins coupables ou celles qui étaient femmes de qualité.

Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, nous trouvons à Paris une autre maison semblable aux Madelonnettes, c'est le couvent de Saint-Michel, autrement dit les Mathurines, rue des Postes. Des darnes du monde s'y retirent volontairement sur autorisation du Magistrat (lieutenant de police) : d'autres y étaient conduites par des inspecteurs de police. Le régime en était agréable et facile à suivre. Les prisonnières sortaient à leur gré, accompagnées de sœurs tourières ou de leurs parents : elles recevaient dans leurs chambres des amis à dîner. Là fut logée une dame Leblanc, emprisonnée parce qu'elle s'obstinait à vouloir demeurer avec son mari bien que celui-ci fût ruiné. Un des lieux de détention où le marquis de Mirabeau fit enfermer sa femme. Dans les dossiers des Mathurines, aux Archives nationales, on trouve des lettres d'amoureux adressées à leurs amies captives, lettres chiffrées, mais dont la clé est aisée à découvrir. Les maris se plaignent de la trop grande complaisance des sœurs tourières pour leurs pénitentes. La maison était placée sous l'autorité de l'archevêque de Paris. Il en allait de même au couvent de Valdosne, à Charenton.

Dans les provinces, un important asile pour pensionnaires était le couvent de Montbareil à Guingamp, tenu par les Ursulines : un vaste enclos entouré de murs et destiné à recevoir les filles de mauvaise vie et, notait un subdélégué, il est singulièrement propice à remplir cet objet. Après inspection, le subdélégué de Guingamp rédige, le 13 mars 1789, un rapport détaillé, fort précieux car il jette une vive lumière sur les maisons similaires, très nombreuses en France. Les détenues sont bien nourries et bien traitées. Pour les dames et demoiselles, il y a deux salles au rez-de-chaussée, dont l'une sert de dortoir, l'autre est la salle de travail. L'infirmerie. à la suite, est très propre et en bon état. Les lits sont bons et bien tenus. Une grande salle du haut est destinée aux filles du commun et aux paysannes. Elles y sont occupées à filer la laine, le lin et à faire du lacet. Elle est toujours en ordre. très claire, très propre. Les darnes de Montbareil traitent leurs pénitentes avec douceur quand elles le méritent : mais les fautes sont punies avec sévérité. Une lettre de la supérieure indique en quoi consistait cette sévérité. On descendait celle qu'on voulait punir en basse-fosse, où elle jeûne quelques jours au pain et à l'eau. On en a vu de très bons effets, ajoute la supérieure, et cette retraite a opéré bien des conversions. Les pénitentes sont bien entretenues, proprement, blanchement. La première pension est de 300 livres. Elle donne droit à du pain blanc, à de la soupe de la marmite des dames (religieuses), à de la morue et des légumes en carême, à de la viande les jours gras. Les pénitentes de la troisième catégorie (50 livres) sont nourries de pain de seigle bien façonné, de bouillies et de crêpes. Un grand nombre de pensionnaires avaient la liberté de sortir du couvent.

Voilà donc une maison de détention qui parait un modèle : mais la médaille a un revers que les intendants et les subdélégués, auxquels nous devons la connaissance des faits précédents, ne manquent pas de citer en leurs rapports. Montbareil, à côté des pensionnaires incarcérées d'ordre du roi (lettre de cachet), en recevait d'origine différente. D'abord les prisonnières de justice, on veut dire celles qui étaient incarcérées en suite d'une sentence prononcée par un tribunal régulièrement constitué. Fait bien intéressant à approfondir. Les observations des subdélégués sont suggestives. Ces jugements, disent-ils, ont le grand inconvénient de flétrir la personne qui en a été atteinte et de l'exclure à jamais de foute société honnête. Un second inconvénient, plus grave encore, était que les juges ne fixaient presque lamais le temps que les condamnées devaient passer en réclusion et les parents, étant armés par un jugement qui n'a eu très souvent pour objet qu'une détention qu'ils ont obtenue et sollicitée, parfois dix, douze et quinze ans même de détention n'ont pas encore assouvi leur mécontentement.

Une autre catégorie de prisonnières de justice est composée de celles qui ont été incarcérées à la demande de leur famille sur un simple permis du juge, sans aucune information. Il y a des juges qui donnent de pareilles soumissions par complaisance pour les familles, en sorte que, sans preuve, sans formalité, un citoyen y est privé de sa liberté, puisque sa détention dépend du caprice de ses parents qui ont quelquefois l'intérêt le plus vif à prolonger sa détention.

Ces faits sont d'une grande importance. Ils suffiraient à témoigner que les lettres de cachet, étant donnée la société du temps, loin d'avoir été pour les citoyens un instrument d'oppression, leur étaient souvent une manière de sauvegarde.

La lettre de cachet était délivrée après une enquête soigneuse. Le prisonnier restait directement en communication avec intendants et ministres ; des inspections fréquentes maintenaient sur eux l'attention des autorités. Quel était au contraire le sort des malheureux dont il vient d'être question et de ceux qui suivent ? — car, outre les reclus de justice, on trouvait dans nos couvents des personnes détenues sans formalité aucune.

Il est des personnes, écrit le subdélégué de Guingamp à l'intendant de Brest, qui sont détenues sans aucune formalité. Un père, un mari prend des procurations des parents pour faire renfermer sa fille, sa femme. Saisi de ces pouvoirs, il prend des arrangements avec la communauté aussitôt elle — la femme ou la fille — est reçue et recluse et sa détention dure jusqu'à ce que sa famille la réclame. Une fille qui a fait une faute, qui a donné rmel9lie scandale, est menacée par son recteur (curé) d'être chassée de la paroisse. Pour se soustraire à ses menaces, elle se retire à Montbareil pour un an. On paie pension pour elle — il était des dames charitables qui considéraient que c'était œuvre pie —. Elle s'y rend dans l'intention de n'y rester qu'un an. Si cette fille est laborieuse, si elle a un peu d'industrie, l'année passée, on la garde gratuitement à la communauté. Elle devient esclave et n'ose faire paraître le désir de se soustraire à cet esclavage, car si elle demande sa sortie, on lui impose une pénitence très sévère. On trouve dans cette communauté des filles qui y sont venues sous l'impulsion de leur recteur (curé), qui y sont depuis quinze, vingt et trente ans, et qui y sont demeurées parce qu'on n'a pas voulu les laisser sortir et qui désirent y demeurer le reste de leurs jours parce que leurs parents sont morts depuis leur détention.

Aussi les supérieures des renfermeries n'aiment-elles pas les lettres de cachet à cause de la surveillance exercée par l'autorité, non seulement sur les détenues, mais sur leurs gardiennes ; elles ne les aiment pas à cause de l'attention accordée aux plaintes des recluses et des inspections auxquelles elles donnaient lieu : ce que nos bonnes Mères nommaient les inconvénients. Une Mère supérieure écrit à un bourgeois de Morlaix, le 15 juillet 1775 : Ce n'est que pour obliger Mlle de Kérentré que nous acceptons Mlle de la Tour (ordre demandé pour cause d'ivrognerie) comme pénitente, n'aimant pas ce qu'on nomme lettre de cachet à cause des inconvénients qui en résultent. Si vous ne l'avez pas obtenue, tenez-vous au permis du juge. En ce cas, nous ne vous demanderons que 50 écus au lieu de 200 livres.

La même supérieure écrit, le 10 janvier 1778, à un négociant de Concarneau : Vous pouvez vous dispenser de prendre une lettre de cachet pour enfermer votre femme. Nous la recevrons plus volontiers et il vous en coûtera moins : il ne faudrait qu'un permis écrit du juge du lieu. Nous ne recevons pas de pénitentes par ordre du roi à moins de 200 livres.

Aussi le gouvernement royal finit-il par intervenir. Ce fut une des mesures prises par ce grand réformateur, le baron de Breteuil, pour mettre la pratique des lettres de cachet en harmonie avec la transformation des mœurs.

Il en allait de même aux Ursulines de Montfort, qui n'aimaient pas plus que celles de Guingamp recevoir des pénitentes par lettre de cachet et demandaient en ce dernier cas une pension plus élevée. Le subdélégué du Boismilon, en son enquête de 1787, fait d'ailleurs l'éloge des soins dont les recluses étaient entourées, en sorte qu'on en a vu, après leurs lettres levées, rester par goût dans la communauté. En 1789, il n'y avait, aux Ursulines de Montfort, qu'une seule prisonnière qui y demeurait de son plein gré.

Des observations pareilles seraient à faire sur les couvents des Ursulines de Malestroit, de Muzillac, du Farouêt, d'Angoulême et de Loches.

Par un rapport du subdélégué de Josselin, nous apprenons que les Salésiennes de Vannes sont dans le même état d'esprit que les Ursulines de Guingamp elles préfèrent, aux pensionnaires par lettre de cachet, celles qui leur sont envoyées par permis du juge local ou sur un avis de parents appuyé par le curé ou le seigneur du pays. Et le subdélégué en donne la raison les religieuses tracassent les familles, sous couleur de frais d'entretien pour les détenues, quand celles-ci ne sont pas sous l'autorité royale.

L'enquête du subdélégué, datée en 1789, est d'ailleurs très favorable au couvent de Vannes ;

Les détenues sont logées proprement, commodément, en de petites cellules ; chacune a la sienne. Elles se réunissent dans un vaste appartement. Elles sont nourries aussi bien que le permet la modicité de la pension et le couvent y supplée de ses propres fonds par charité. Les recluses travaillent pour la maison. On y trouve nombre de pensionnaires de bonne volonté, nulle n'est retenue de force. Les religieuses ont fait vœu d'instruire les filles de mauvaise vie.

Même observation sur le couvent des Madelonnettes de Nantes. L'ordre qui y retenait Marie-Madeleine de Geslin est levé. Elle est libre de sortir, écrit le subdélégué Durocher ; mais la demoiselle a répondu qu'elle n'userait de la liberté que le roi lui donnait que pour mettre ordre à quelques affaires de famille et qu'elle n'avait rien de plus à cœur que de rentrer dans la maison aussitôt qu'elles seraient terminées.

Cette note est de 1744. En 1788, rien ne semble changé. Un autre subdélégué dit qu'on ne saurait signaler d'abus aux Madelonnettes de Nantes : les détenues elles-mêmes ne se plaignent pas. Elles sont nourries et logées comme les religieuses, leur habit est le même, à la couleur prés : les robes des prisonnières sont brunes, celles des religieuses sont noires. Leurs exercices sont les mêmes. On les occupe à linger ou à broder. Les Filles de la Croix de Tréguier ont une vaste maison ; de grands jardins, un beau verger, un grand potager.

Les Cordelières de Savenay placent leurs pensionnaires dans des chambres à feu. Il s'agit d'une créole qui doit y entrer avec sa femme de chambre. La pension pour ces deux dames réunies sera de 900 livres. Au repas, on servira du vin et, deux fois par semaine, de la volaille. On dit que les créoles ne sont pas faciles à satisfaire, écrit la supérieure, je désire que cette dame ne soit pas du nombre.

Citons encore la Providence de Douai, la Trinité de Rennes, le Calvaire de Machecoul, les Pénitentes d'Angers, les Pénitentes de Poitiers, Notre-Dame-la-Riche de Tours, l'abbaye de Loüye lès Dourdan. Au couvent de Saint-joseph de Marseille, le régime était très rigoureux. Les Bénédictines de Besançon offraient grande sécurité par leur bonne clôture.

Et, sur l'ensemble, plane cet esprit de bienveillance familiale qui caractérise l'administration du temps. Les évasions n'émeuvent pas le ministre. Deux sœurs, Mlles de Calisson, étaient emprisonnées pour inconduite. L'une d'elles se sauve. Saint-Florentin écrit à l'intendant : Je vois, d'après un certificat du curé de Saint-Michel du Tertre, que celle des deux demoiselles qui s'est évadée mène actuellement une vie très régulière et la longue détention de l'autre pourrait également l'avoir corrigée. Non seulement on n'inquiète pas la fugitive, mais son escapade devint un motif de libérer sa sœur.

Ajoutons que si quelques communautés recherchaient des pensionnaires par correction, un grand nombre d'autres ne se souciaient pas de les recevoir. La supérieure des Cordelières de Saint-Quentin demande qu'on la débarrasse de la demoiselle La Pallu, la présence de ces sortes de personnes dans le couvent étant contraire aux règles. L'abbesse d'Avranches écrit en 1785 que sa maison n'a jamais eu de ces personnes et que, de plus, ces sortes de charges sont souvent aussi désagréables qu'injustes et bien contraires à sa façon de penser. Dans le Midi particulièrement, ce rôle de geôlier était loin d'être du goût des bonnes sœurs.